[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2013
En présence de monsieur le juge Simon Noël
ENTRE :
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], datée du 23 août 2012, refusant l’asile à la demanderesse.
I. Faits
[2] La demanderesse a été agressée sexuellement par son beau‑père en 2008. Elle avait alors 18 ans. Les agressions se sont poursuivies jusqu’à ce qu’elle ait 21 ans.
[3] Une fois, son beau‑père a tenté de la violer, et elle l’a dit à sa mère. La mère de la demanderesse a alors quitté son conjoint, qui blâme la demanderesse pour la rupture de son mariage et veut la tuer.
[4] À cause des menaces proférées par le beau-père, la mère de la demanderesse a envoyé celle‑ci vivre chez sa tante à Windhoek. Son beau-père l’y a suivie et l’a agressée. La demanderesse croit que si sa tante n’avait pas empêché son beau‑père de la battre, celui‑ci l’aurait tuée ou enlevée.
[5] La demanderesse n’a pas porté plainte contre son beau-père auprès de la police à cause des menaces que celui‑ci a proférées contre elle et contre sa mère.
[6] La demanderesse a quitté la Namibie et est arrivée au Canada le 4 avril 2011; elle a demandé l’asile le même jour.
II. Décision visée par le contrôle
[7] La SPR a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau d’établir une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs prévus à la Convention ou qu’elle serait personnellement exposée, selon la prépondérance des probabilités, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou encore au risque d’être soumise à la torture si elle rentrait en Namibie.
[8] La SPR a indiqué qu’elle a examiné la demande de la demanderesse à la lumière des Directives no 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.
[9] La SPR a accordé peu de valeur probante à une lettre de sa tante et de sa mère confirmant que son beau‑père l’avait molestée en Namibie étant donné que celles‑ci n’apportent pas d’éléments de preuve objectifs concernant la disponibilité de la protection de l’État en Namibie.
[10] La SPR a énoncé le critère relatif à la possibilité de refuge intérieur [la PRI] et établi que la demanderesse disposait d’une PRI viable à Walvis Bay, même si elle soutient que son beau‑père serait en mesure de l’y retrouver et qu’il serait difficile pour elle de s’établir à titre de femme célibataire, qu’il lui serait impossible d’y trouver un travail, qu’elle n’est pas indépendante au plan financier et que les gens en Namibie comptent sur leur famille élargie pour subvenir à leurs besoins. La SPR a pris en compte le fait que la Namibie compte plus de deux millions d’habitants, que Walvis Bay a une population relativement importante et est située à une bonne distance du village d’Otjiteke, où vivait son beau‑père, et que les explications fournies par la demanderesse n’établissent pas l’existence de difficultés excessives. La SPR a également constaté qu’il existe des refuges pour femmes à Walvis Bay. En ce qui concerne l’existence de la protection de l’État à Walvis Bay, la SPR a souligné que la demanderesse y serait en sécurité si son beau‑père l’abordait.
[11] Au sujet de la protection de l’État, la SPR a relevé que la demanderesse n’a pas porté plainte contre son beau‑père quand il a menacé de la tuer et de tuer sa mère et parce qu’elle ne croyait pas que la police l’aiderait étant donné que la police namibienne ne prend pas au sérieux la violence contre les femmes et qu’elle avait entendu dire que la police n’était pas intervenue quand d’autres femmes s’étaient adressées à elle. La SPR a estimé que la demanderesse n’a pas fourni d’éléments de preuve détaillés au sujet des femmes se trouvant dans la même situation qu’elle.
[12] La SPR a estimé que les éléments de preuve documentaire produits n’étayent pas l’allégation de la demanderesse selon laquelle le gouvernement de la Namibie ne protège pas les femmes victimes de violence conjugale et de violence et révèlent que la protection de l’État est suffisante. En effet, la police namibienne a mis sur pied l’Unité de protection des femmes et des enfants [Women and Child Protection Unit – WCPU], qui aide les victimes de violence. Elle compte sept unités réparties dans tout le pays. De plus, la Namibie a un texte de loi exhaustif sur la violence conjugale qui prévoit aussi la délivrance d’ordonnances de protection. La SPR a également pris en considération la preuve selon laquelle les personnes qui demandent une ordonnance doivent composer avec de longs délais d’attente et essuient parfois un refus, et il arrive que les ordonnances de protection ne soient pas accordées par les magistrats parce qu’ils n’obtiennent pas toute l’information voulue et que les ordonnances ne conviennent pas toujours à chaque situation. La Namibie a des lois contre les viols, et les sanctions sont exécutées. Il existe également un grand nombre de refuges pour les femmes en difficulté, en plus d’ONG qui apportent un soutien aux femmes, ce qui démontre l’existence d’un système de soutien social pour les femmes.
[13] En ce qui concerne la police, la SPR a conclu que, même si parfois les agents n’aiment pas intervenir dans les affaires de famille, elle a le devoir de protéger les femmes, et la demanderesse peut demander à parler à une personne de grade supérieur ou au commissaire de police de la Namibie.
[14] La SPR a également souligné que la menace proférée par son beau‑père de la tuer si elle se plaignait à la police ne tient plus étant donné qu’il semble déterminé à la tuer et que, par conséquent, la demanderesse aurait pu rapporter les menaces et les agressions de sorte que la police puisse faire enquête. De plus, les demandeurs d’asile ne peuvent pas réfuter la présomption de protection de l’État dans une démocratie en invoquant tout simplement une réticence subjective à solliciter la protection de l’État, et la demanderesse n’a pas fourni d’explication raisonnable pour ne pas s’être adressée à la police namibienne. La SPR a par conséquent établi que la demanderesse n’avait pas pris les mesures nécessaires pour obtenir la protection de l’État en Namibie avant de demander l’asile au Canada.
III. Observations de la demanderesse
[15] La demanderesse soutient que, même si la SPR a affirmé que sa décision reposait en partie sur la crédibilité, la lecture de celle‑ci révèle que le commissaire n’a pas tiré de conclusions défavorables relativement à la crédibilité au sujet de quelque aspect que ce soit de la demande d’asile.
[16] La demanderesse affirme que la SPR a été saisie d’éléments de preuve démontrant que la police namibienne ne prend pas la violence conjugale au sérieux et que la mise en œuvre des lois sur la violence conjugale est toujours très insuffisante. Elle soutient que, selon des éléments de preuve documentaire objectifs, il est faux de prétendre que la protection de l’État en Namibie est adéquate malgré les grands efforts déployés par le gouvernement étant donné que les actes de violence conjugale et de violence contre les femmes en Namibie sont toujours impunis et que le gouvernement ne prend guère de mesures, voire aucune, pour régler le problème. Dans sa décision, la SPR n’a pas abordé comme il se devait l’absence de réelle mise en application des dispositions législatives. Faute d’une réelle mise en application, il est faux de prétendre que l’État offre une véritable protection aux victimes d’actes de violence fondés sur le sexe.
[17] De plus, la demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en concluant que la demanderesse dispose d’une PRI viable à Walvis Bay. Elle a expliqué clairement à l’audience qu’il serait facile pour son beau‑père de la retrouver dans cette ville, qu’elle s’exposerait à des difficultés excessives si elle devait y vivre et qu’elle ressentirait une peur extrême. Qui plus est, étant donné que la Namibie n’offre pas une protection suffisante aux femmes, il est faux de prétendre qu’il existe une PRI viable.
IV. Observations du défendeur
[18] Le défendeur soutient que la conclusion de la SPR relative à la protection de l’État est raisonnable et a été tirée en tenant compte des éléments de preuve. Il n’est pas facile de réfuter la présomption de protection de l’État étant donné que le demandeur d’asile doit fournir à la SPR des éléments de preuve convaincants selon lesquels, selon la prépondérance des probabilités, la protection de l’État est inadéquate. Le demandeur d’asile doit également démontrer qu’il a épuisé toutes les voies de protection possibles.
[19] La demanderesse n’a pas fourni d’éléments de preuve pertinents, dignes de foi et convaincants voulant que la Namibie n’est pas en mesure de la protéger. Elle ne s’est pas adressée à la police, et la preuve qu’elle a présentée au sujet de personnes se trouvant dans la même situation qu’elle était vague. Son explication selon laquelle son beau‑père avait menacé de la tuer si elle portait plainte à la police n’est pas crédible étant donné qu’il avait aussi menacé de la tuer à la suite de la rupture de sa relation avec sa mère.
[20] La SPR a examiné les conditions dans le pays et a conclu que la protection de l’État est offerte, même si elle n’est pas parfaite. Elle a souligné que la police avait créé sept WCPU dans tout le pays, qui viennent en aide aux femmes victimes de violence. De plus, un certain nombre d’affaires de viol ont fait l’objet de poursuites et entraîné des sanctions.
[21] Qui plus est, le défendeur soutient que les arguments de la demanderesse concernant les éléments de preuve invitent la Cour à apprécier ceux-ci à nouveau et, pour cette raison, ne soulèvent pas de questions sérieuses. La SPR n’était pas tenue d’énumérer chaque élément de preuve, et le fait que certains des éléments de preuve documentaire peuvent conduire à une conclusion différente ne constitue pas une raison suffisante pour conclure que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle.
[22] Au sujet de l’existence d’une PRI viable, le défendeur soutient que la conclusion de la SPR relative à la PRI est raisonnable. La SPR a conclu de façon raisonnable qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée à Walvis Bay étant donné que la ville est relativement grande et assez éloignée du village où vit son beau‑père. Il était loisible à la SPR de conclure qu’il ne serait pas déraisonnable que la demanderesse s’y réfugie. Le fait qu’elle n’y ait pas de famille et qu’elle soit célibataire ne rend pas nécessairement la conclusion de la SPR déraisonnable.
V. Questions en litige
1. La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans sa conclusion sur la protection de l’État?
2. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse disposait d’une PRI viable à Walvis Bay?
VI. Normes de contrôle
[23] La conclusion tirée par la SPR au sujet de la protection de l’État et la PRI doivent être examinées selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).
VII. Analyse
A. La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans sa conclusion sur la protection de l’État?
[24] Les conclusions de la SPR concernant la protection de l’État et l’existence d’une PRI viable sont toutes les deux raisonnables pour les motifs suivants.
[25] La demanderesse convient que la SPR a analysé les lois en vigueur en Namibie visant la protection des femmes, mais soutient qu’elle ne s’est pas assez attardée sur l’efficacité de leur mise en œuvre.
[26] Dans sa décision, la SPR a examiné la question de la mise en œuvre. Elle a expressément souligné que la mise en œuvre des lois visant à protéger les femmes n’est pas parfaite, mais que les éléments de preuve démontrent que les tribunaux ont instruit un certain nombre d’affaires de viol et d’agression sexuelle et ont édicté des sanctions. De plus, elle a estimé qu’il existait un programme de protection, même si la mise en œuvre de celui-ci a entrainé son lot de problèmes.
[27] Le dossier dont était saisie la Cour révèle que la SPR a fait une analyse exhaustive d’un certain nombre de documents sur les conditions au pays et, bien que ceux‑ci indiquent que la protection de l’État n’est pas parfaite, cela ne constitue pas le critère ici étant donné que la SPR doit vérifier si la protection de l’État est adéquate. De plus, il ne suffit pas que les demandeurs d’asile se contentent de démontrer que leur gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes se trouvant dans leur situation (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c Villafranca, (1992) 18 Imm LR (2e) 130, 99 DLR (4e) 334) (CAF)).
[28] Sur la foi de ces éléments de preuve, il était raisonnable que la SPR conclue que la demanderesse aurait dû se prévaloir des mécanismes existants pour obtenir la protection de l’État étant donné que la Namibie bénéficie de la présomption voulant qu’elle est en mesure de protéger ses citoyens (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 20 Imm LR (2e) 85). La demanderesse ne peut pas réfuter la présomption de la protection de l’État dans une démocratie qui fonctionne en invoquant tout simplement « une réticence subjective à solliciter la protection de l’État » (Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1126, au paragraphe 10, 141 ACWS (3d) 822). La conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse aurait dû se prévaloir des programmes et des initiatives visant à protéger les femmes, notamment en faisant une déposition à la police, en s’inscrivant au programme de protection ou en obtenant de l’aide auprès de l’une des sept WCUP créées par la police namibienne, est raisonnable.
B. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse disposait d’ une PRI viable?
[29] La SPR a fait une analyse détaillée de la PRI. Elle a pris note des explications fournies par la demanderesse quant aux raisons pour lesquelles la réinstallation dans cette ville constituerait pour elle une difficulté excessive, mais a conclu que ce ne serait pas le cas.
[30] La SPR a analysé expressément l’existence de la protection de l’État à Walvis Bay et souligné que cette ville dispose d’un refuge pour femmes où travaillent des agents de police ayant reçu une formation spécifique et une WCPU. Sa conclusion selon laquelle, selon la prépondérance des probabilités, son beau‑père ne pourrait pas la retrouver aussi loin de son village, dans une ville où vivent plus de 40 000 personnes, est raisonnable.
[31] La SPR n’a pas commis d’erreur dans son analyse en vertu du second volet de l’analyse relative à la PRI. Il s’agit strictement d’un critère objectif. Sa conclusion selon laquelle les difficultés invoquées par la demanderesse, notamment le fait de vivre en tant que célibataire dans une ville où elle ne connaît personne et que les gens en Namibie sont à la charge de leur famille, ne correspondent pas à la notion de difficultés excessives comme l’a interprété la jurisprudence (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000) 11 Imm LR (3d) 142, au paragraphe 14, 266 NR 380 (CAF)).
[32] Les parties ont été invitées à soumettre des questions à certifier, mais aucune n’a été proposée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question n’est certifiée.
« Simon Noël »
Traduction certifiée conforme
Line Niquet
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-9979-12
INTITULÉ : KAMBIRI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 28 août 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE NOËL
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 4 septembre 2013
COMPARUTIONS :
Solomon Orjiwuru |
POUR LA DEMANDERESSE
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Jelena Urosevic |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Solomon Orjiwuru Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
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William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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