Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20130917


Dossier :

IMM-11754-12

 

Référence : 2013 CF 959

Montréal (Québec), le 17 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

ALHASSANE DIALLO

 

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

partie défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 26 juillet 2012 par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SPR a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

II. Faits

[2]               Le demandeur, monsieur Alhassane Diallo, est citoyen de la Guinée, née en 1967 à Conakry.

 

[3]               Monsieur Diallo a quitté la Guinée le 23 juin 1999 pour les États-Unis.

 

[4]               Le 5 avril 2007, monsieur Diallo a épousé une citoyenne américaine, madame Sharon Powell. À cette époque, monsieur Diallo vivait aux États-Unis illégalement. Son épouse a engagé des procédures de parrainage après huit (8) mois de mariage.

 

[5]               Le couple s’est séparé le 26 mars 2008, suite au déménagement de madame Powell à Tampa, en Floride, pour motifs de travail. Pour cette raison, le parrainage du demandeur aux États-Unis n’a jamais abouti.

 

[6]               Le 1er novembre 2010, le demandeur est arrivé au Canada avec l’aide d’un camionneur, alléguant une volonté de se réunir avec sa conjointe, madame Mariame Drame, un ancien amour de la Guinée. Le demandeur a déposé une demande d’asile le 3 novembre 2010 à Montréal, Québec.

 

[7]               Dans sa demande d’asile, le demandeur atteste qu’il craint de retourner en Guinée parce qu’il risque d’être tué par l’ex-mari de sa conjointe, monsieur Soriba Camara.

 

[8]               Le demandeur insiste que monsieur Camara, un militaire guinéen, aurait fait plusieurs menaces auprès de sa famille qu’il allait le tuer s’il revenait en Guinée parce qu’il a eu un enfant avec son ex-conjointe en 2009.

 

[9]               Le demandeur soutient également que la famille de sa conjointe, notamment son père, l’aurait aussi menacé avant son départ de la Guinée en 1999, car il a continué à fréquenter madame Drame malgré le fait qu’elle avait été offerte en mariage à monsieur Camara.

 

III. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[10]           Dans la présente affaire, la SPR a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié ni une personne à protéger. Selon la SPR, le demandeur ne disait pas la vérité dans son témoignage et avait inventé « plusieurs scénarios » pour étayer sa demande d’asile.

 

[11]           La SPR a conclu que les prétentions du demandeur étaient invraisemblables pour les motifs suivants :

a.       La SPR a estimé qu’il était invraisemblable que monsieur Diallo ait continué à fréquenter madame Drame malgré le fait qu’elle avait été offerte en mariage à monsieur Camara en 1999, et que son père lui avait interdit de sortir avec elle;

b.      La SPR n’a pas trouvé crédible le fait que les parents de madame Drame auraient menacé le demandeur pour qu’il arrête de sortir avec leur fille, puisqu’elle n’avait pas fait allusion à cet amour ou amitié dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP] lorsqu’elle a fait sa propre demande d’asile au Canada en 2006. La SPR a souligné que si le père de sa conjointe s’était vraiment opposé à leur union, elle l’aurait déclaré dans son FRP;

c.       La SPR a statué que le manque de crédibilité du demandeur était surtout fondé sur sa prétention qu’il serait à l’origine du divorce entre madame Drame et son ex-mari, monsieur Camara. La SPR a conclu qu’il était invraisemblable que le demandeur soit à l’origine du divorce puisqu’il avait quitté la Guinée quatre ans avant que madame Drame ait épousé monsieur Camara. De plus, madame Drame a déclaré dans son FRP qu’elle avait sollicité le divorce parce que monsieur Camara l’avait battu et blessé, et non parce qu’elle avait été « la petite amie » du demandeur.

 

[12]           La SPR a fait valoir que n’ayant pas jugé « du tout » crédible son témoignage, le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau de preuve. La SPR a donc rejeté sa demande d’asile.

 

IV. Point en litige

[13]           La SPR a-t-elle erré dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

 

V. Dispositions législatives pertinentes

[14]           Les articles 96 et 97 de la LIPR s'appliquent en l'espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VI. Norme de contrôle

[15]           La jurisprudence de la Cour établit clairement que les conclusions de la Commission sur la crédibilité et le manque de vraisemblance sont des questions de fait et sont donc susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (QL/Lexis) (CAF); Cekim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 177; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

VII. Analyse

[16]           En l’espèce, le demandeur allègue que la décision de la SPR est déraisonnable et que ses conclusions sur l’absence de crédibilité ne sont pas justifiées. Particulièrement, il prétend que la SPR a basé sa décision sur des faits secondaires qui ne touchaient pas le cœur de sa demande.

 

[17]           Le défendeur affirme que les conclusions de la SPR sur l’absence de crédibilité sont raisonnables et se justifient par des motifs transparents et intelligibles. Le défendeur soutient que la SPR était en droit de se fonder sur des omissions et contradictions entre le FRP du demandeur et son témoignage pour évaluer sa crédibilité, et que son appréciation de la crédibilité ne justifie pas l’intervention de cette Cour.

 

[18]           Il est bien établi en droit que l’obligation de motiver les conclusions défavorables quant à la crédibilité devient particulièrement importante quand ces conclusions sont fondées sur des invraisemblances. La décision récente d’Ansar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1152, explique la distinction importante entre les conclusions quant à la crédibilité et celles relatives à l’invraisemblance :

[17]      D’entrée de jeu, il importe d’établir une distinction entre les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité et sa conclusion voulant que le danger posé par M. Choudhry soit « invraisemblable ». Le tribunal doit être attentif à l’emploi qu’il fait de ce terme et de ses conséquences. Il ne peut conclure à l’invraisemblance que « dans les cas les plus évidents » (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7, [2001] A.C.F. no 1131). Les inférences faites par le tribunal doivent être raisonnables et ses motifs doivent être formulés en termes clairs et explicites (R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 9, [2003] A.C.F. no 162). Ainsi que l’explique le juge Richard Mosley au paragraphe 15 de la décision Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, [2004] A.C.F. no 1149 :

 

[L]es conclusions sur la vraisemblance reposent sur un raisonnement distinct de celui des conclusions sur la crédibilité et peuvent être influencées par des présomptions culturelles ou des perceptions erronées. En conséquence, les conclusions d’invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l’appui des déductions de la Commission et devraient faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions.

[Non souligné dans l’original.]

 

            [La Cour souligne].

 

[19]           Dans Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, 419 FTR 135, la juge Mary Gleason, examinant la jurisprudence sur ce sujet, souligne :

[11]      [...] la Commission doit invoquer « des éléments de preuve fiables et vérifiables au regard desquels la vraisemblance des témoignages des demandeurs pourraient être appréciés » [sic], sinon la conclusion au sujet de l’invraisemblance pourrait n’être que « de la spéculation non fondée » (voir la décision Gjelaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 37, [2010] ACF no 31, au paragraphe 4; voir également la décision Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 694, [2012] ACF no 885 (la décision Cao), au paragraphe 20). [La Cour souligne.]

 

[20]           Après avoir examiné cette jurisprudence et la décision de la SPR, la Cour constate que les conclusions relatives à l’invraisemblance tirées par le tribunal justifient entièrement une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur. La Cour n’a aucune raison d’intervenir. Les conclusions tirées par la SPR dans le présent cas sont raisonnables.

 

[21]           La Cour constate que les conclusions de la SPR relatives à l’invraisemblance sont fondées sur une preuve ou un raisonnement clair à l’appui de ses déductions.

[22]           La demande d’asile de madame Drame était basée sur la violence conjugale qu’elle a subie pendant son mariage à monsieur Camara avec plusieurs détails à l’appui démontrant clairement et d’une façon très apparente les raisons pour ce divorce, sachant qu’il n’y avait aucune autre mention d’une histoire sous-jacente.

 

[23]           La Cour juge que la conclusion de la SPR quant à l’invraisemblance du témoignage du demandeur qu’il était à l’origine du divorce de sa conjointe est basée sur un raisonnement apparent en lisant les détails entourant son témoignage ainsi qu’une compréhension de la preuve entière dont le tribunal disposait.

 

[24]           La SPR a conclu, avec raison, que le manque de crédibilité du demandeur était fondé sur son témoignage relié au divorce parce que cette prétention venait contredire l’allégation originale du demandeur que monsieur Camara voulait le tuer parce qu’il avait eu un enfant avec son ex-conjointe.

 

[25]           Il est difficile de réconcilier les deux allégations, mais dans le présent cas, il est évident en lisant le procès-verbal que le demandeur a fabriqué l’histoire qu’il fut en danger d’être tué par monsieur Camara parce qu’il a eu un enfant avec son ex-conjointe. Reconnaissant que le demandeur ait témoigné pour la première fois à l’audience qu’il aurait aussi reçu des menaces reliées au divorce avant les menaces de 2009, cette preuve manifeste un manque flagrant de crédibilité dans le témoignage du demandeur comme l’a conclu la SPR. Certes, un tel fait supplémentaire suffit pour justifier le rejet complet du récit du demandeur (voir procès-verbal à la page 51).

 

[26]           Dans ses motifs, la SPR a réalisé, en écoutant l’explication, le manque de crédibilité par cette nouvelle constatation. C’est de cette façon que la SPR a fondé sa décision sur un manque de logique inhérent et sur l’incohérence perçue dans le témoignage pour conclure que le demandeur avait changé sa version des faits et qu’il n’était pas crédible. La SPR a ainsi décidé d’écarter les autres éléments de preuve, y compris la lettre de la sœur du demandeur suite au manque de crédibilité flagrant. La Cour juge que cette omission ne constitue aucune erreur susceptible de révision.

 

[27]           Dans l’ensemble, la Cour est entièrement satisfaite que la SPR a convenablement apprécié la preuve dont elle disposait dans le présent cas, ou qu’elle a formulé ses motifs en termes clairs et logiques. Compte tenu de la preuve entière, orale et écrite, la SPR se fondait sur aucune spéculation et conjecture. Par conséquent, la Cour estime que la SPR a tiré une conclusion raisonnable quant à la crédibilité inexistante de monsieur Diallo.

 

[28]           Les motifs ont été clairement articulés démontrant, selon l’ensemble de la preuve et de la logique inhérente, la raisonnabilité de la décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708). La Cour spécifie qu’une décision doit toujours être raisonnable eu égard « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47); et, cela a été fait entièrement.

 

[29]           La décision visée est transparente et intelligible; elle offre une justification des résultats à la lumière du dossier entier présenté (voir la trilogie des décisions de la Cour suprême du Canada (Dunsmuir, ci-dessus; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, ci-dessus; Alberta (Information and Privacy Commission) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654). Donc, la décision est raisonnable.

 

VIII. Conclusion

[30]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire. Aucune question d’importance générale à certifier.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

                                                            IMM-11754-12

 

 

 

INTITULÉ :

ALHASSANE DIALLO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 16 SEPTEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 17 septembre 2013

COMPARUTIONS :

Jean Cantin

 

Pour la partie demanderesse

 

Margarita Tzavelakos

 

Pour la partie défenderesse

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean Cantin

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.