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Date : 20130911

Dossier : T‑735‑11

Référence : 2013 CF 947

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

ABB TECHNOLOGY AG,
ABB INC. ET
ABB AG

 

demanderesses

 

et

 

HYUNDAI HEAVY INDUSTRIES CO., LTD.

 

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demanderesses dans la présente action en contrefaçon de brevet, ABB Technology AG, ABB Inc. et ABB AG (collectivement, ABB), allèguent que la défenderesse Hyundai Heavy Industries Co., Ltd. (Hyundai) a contrefait les brevets canadiens no 2 570 772 (le brevet 772) et 2 567 781 (le brevet 781). ABB conteste spécifiquement la vente de plusieurs ensembles d’appareillages à isolation gazeuse (GIS) moyenne tension par Hyundai à British Columbia Transmission Corporation et/ou British Columbia Hydro Authority (collectivement, BC Hydro). Ces ensembles GIS contreferaient un certain nombre de caractéristiques essentielles revendiquées dans les brevets 772 et 781. La défenderesse a présenté une demande reconventionnelle à l’encontre des demanderesses pour que les deux brevets soient déclarés invalides. Cette action a été disjointe et la Cour ne se prononcera ici que sur les questions de responsabilité.

 

[2]               Les parties conviennent des faits suivants :

a.         La demanderesse ABB Technology AG (« ABB Technology ») est une société suisse ayant son siège social au Affolternstrasse 44, CH 8050 Zürich, Suisse.

 

b.         La demanderesse ABB Inc. (« ABB Canada ») est une société canadienne ayant son siège social au 8585, route Transcanadienne, Saint‑Laurent, Montréal.

 

c.         La demanderesse ABB AG (« ABB Allemagne ») est une société allemande ayant son siège social au Kallstadter Str. 1, Mannheim, 68309, Allemagne.

 

d.         La défenderesse est une société constituée en vertu des lois de la Corée et ayant son siège social au 1 Junha‑dong, Dong‑gu, Ulsan‑si, République de Corée.

 

e.         La demande du brevet 772 a été déposée le 27 juin 2005, et elle est devenue accessible au public pour consultation le 5 janvier 2006. De plus, le brevet 772 revendique la priorité à l’égard de la demande de brevet allemand no 10 2004 031 090.0, déposée le 28 juin 2004, et de la demande de brevet allemand no 10 2005 029 600.9, déposée le 23 juin 2005.

 

f.          Le brevet 772 a été délivré le 10 août 2010. Ses inventeurs sont Harald Fink et Maik Hyrenbach et il porte le titre « Gas‑Insulated Medium‑Voltage Switchgear ». Les dossiers de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada indiquent qu’ABB Technology AG est la titulaire de ce brevet.

 

g.         La demande du brevet 781 a été déposée le 7 juin 2005, et elle est devenue accessible au public pour consultation le 22 décembre 2005. De plus, le brevet 781 revendique la priorité à l’égard de la demande de brevet allemand no 10 2004 028 275.7, déposée le 9 juin 2004.

 

h.         Le brevet 772 a été délivré le 10 août 2010. Ses inventeurs sont Kasimir Mai et Maik Hyrenbach et il porte le titre « Gas‑Insulated Switchgear Assembly having a Switch‑Position Inspection Window ». Les dossiers de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada indiquent qu’ABB Technology AG est la titulaire de ce brevet.

 

i.          La défenderesse a vendu des ensembles d’appareillage HMGS‑G82 au Canada, continue de faire la mise en marché de son appareillage C‑GIS au Canada, est en train de réaliser l’installation et la mise en marche de ses ensembles d’appareillage pour BC Hydro et compte présenter des soumissions pour des projets à venir.

 

j.          L’ensemble HMGS‑G82 est un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension.

 

k.         Le SF6 est le gaz isolant utilisé dans le HMGS‑G82.

 

l.          Le HMGS‑G82 est triphasé.

 

[3]               De nombreuses questions continuent d’être en litige entre les parties, notamment la propriété des brevets, l’interprétation des revendications, ainsi que la validité et la contrefaçon des brevets. Pour les motifs qui suivent, il n’est pas nécessaire de trancher chacune des questions en litige.

 

Les témoins du procès

[4]               Sept témoins ont été entendus dans présent procès. ABB en a fait entendre trois et Hyundai, quatre.

 

[5]               Monsieur Maik Hyrenbach travaille pour ABB AG à titre d’ingénieur principal au service de recherche et développement. Il est l’un des inventeurs nommés dans les deux brevets. Son témoignage a porté sur les technologies pertinentes relativement aux revendications des brevets et sur les étapes qui ont mené à la technologie brevetée. Il a également expliqué par quelles modalités ABB a transféré la propriété des brevets.

 

[6]               Monsieur Christoph Bartoszek a également témoigné pour le compte d’ABB. Il est directeur des ventes chez ABB AG. Dans son témoignage, il a décrit les activités commerciales d’ABB au Canada, et a rappelé que la compagnie fournit depuis longtemps des appareillages à BC Hydro.

 

[7]               Monsieur David Leone a offert son opinion d’expert pour le compte d’ABB sur les questions d’interprétation, de validité et de contrefaçon, et à cette fin a produit deux rapports à l’égard desquels il a été contre‑interrogé.

 

[8]               Monsieur Sung Geil Kim (M. Kim) a témoigné en coréen et son témoignage a été adroitement interprété par M. Albert Kim. Monsieur Kim travaille pour Hyundai à titre d’ingénieur. Il a témoigné sur ses responsabilités à l’égard de la conception et du développement des GIS moyenne tension de Hyundai, y compris la fourniture d’ensembles GIS à BC Hydro.

 

[9]               Monsieur Albert Tymchyshyn a été appelé par Hyundai à témoigner sur l’équipement GIS fourni par l’entreprise à BC Hydro. Monsieur Tymchyshyn travaille pour SNC‑Lavalin Engineering (SNC) à Vancouver. SNC a des responsabilités contractuelles courantes envers BC Hydro relativement au poste électrique Kidd 1 où le GIS de Hyundai a été installé. Monsieur Tymchyshyn a témoigné principalement au sujet de questions liées à la contrefaçon du brevet 781.

 

[10]           La preuve d’expert de Hyundai a été présentée par MM. Tim Molony et Stig Nilsson. Ils ont rédigé trois rapports concernant l’interprétation des revendications, la validité et la contrefaçon. Ils ont tous deux été contre‑interrogés relativement à leurs avis.

 

[11]           Aucune objection n’a été soulevée quant à l’admissibilité de ces avis d’expert, et je suis convaincu que chacun de ces témoins était qualifié pour aborder les questions évoquées dans leurs rapports et témoignages respectifs.

 

Propriété des brevets

[12]           Hyundai fait valoir qu’aucune des demanderesses n’a d’intérêt suffisant à l’égard des brevets en cause pour intenter la présente action ou justifier une action en dommages‑intérêts. Cependant, les brevets ont été délivrés au Canada à ABB Technology AG et reposent sur les cessions signées par les inventeurs désignés. Il est possible que les procédures internes par lesquelles l’entreprise a effectué le transfert de propriété de ces brevets aient été entachées d’irrégularités, mais la preuve dont je dispose est loin d’établir qu’aucune des demanderesses n’a d’intérêt suffisant pour lui conférer la qualité pour agir. L’allégation de Hyundai est problématique notamment en ce qu’elle est fondée sur un point de droit allemand qui n’a pas été établi à ma satisfaction. Je n’ai donc aucune raison de conclure que ces brevets n’auraient pas dû être délivrés à ABB Technology AG.

 

Aperçu général de la technologie et des brevets

[13]           L’appareillage de connexion désigne une vaste gamme d’appareils électromécaniques qui règlent le flot de l’électricité. Un ensemble d’appareillage de connexion est une combinaison d’éléments dont l’objet est de permettre une régulation sécuritaire du flux de la puissance électrique du côté source (arrivée) au côté charge (départ). Un ensemble d’appareillage comprend généralement des éléments comme des disjoncteurs, des jeux de barres, des sectionneurs, des sectionneurs de terre, des transformateurs de mesure, des têtes de câble et des dispositifs de commande.

 

[14]           Le risque de défaut d’arc est une préoccupation de sécurité importante dans les ensembles d’appareillage à haute tension. L’air peut conduire l’électricité; lorsqu’un courant crée un arc entre deux éléments, la décharge peut être explosive et présente un danger mortel. Pour prévenir les défauts d’arc, les éléments d’appareillage à isolement dans l’air (AIS, de l’anglais Air Insulated Switchgear) doivent donc être suffisamment séparés ou, lorsqu’un contact est nécessaire, avoir un contact suffisamment ferme.

 

[15]           Dans les années 1930, la technologie d’isolation gazeuse a commencé à être appliquée à l’appareillage haute tension. Cette méthode implique d’enfermer les ensembles d’appareillage à haute tension dans des enveloppes étanches aux gaz. Le gaz que contiennent habituellement ces systèmes est l’hexafluorure de soufre (SF6), un gaz qui possède d’excellentes propriétés d’isolement et d’extinction de l’arc.

 

[16]           Dans un système GIS, les éléments peuvent être beaucoup plus rapprochés parce que le risque de défaut d’arc est considérablement réduit. L’utilisation de GIS permettait un gain d’espace considérable, particulièrement pour les tensions élevées qui exigent des distances de séparation plus grandes.

 

[17]           Dans les années 1980, la technologie a commencé à être appliquée à l’appareillage à moyenne tension (typiquement de 1 à 52 kV) et elle continue de remplacer les systèmes AIS plus anciens.

 

[18]           La preuve présentée indique qu’il n’existe pas de norme internationale commune qui s’applique à l’appareillage GIS et qu’il ne semble pas y avoir de norme canadienne ou américaine qui vise spécialement l’appareillage GIS moyenne tension (voir le rapport Monoly, au paragraphe 44). Les exigences de conception de l’appareillage moyenne tension sont principalement déterminées par les besoins des utilisateurs, ce qui a eu pour effet d’introduire des différences entre les pratiques européennes et nord‑américaines. Ce point ressort aux paragraphes 49 et 50 du premier rapport de M. Leone :

 

[traduction]

49.       Certains marchés ou clients peuvent imposer laquelle des combinaisons de ces fonctions doit être réalisée dans tel ou tel ensemble d’appareillage. Bon nombre des exigences sont motivées par des protocoles de réparation et de maintenance imposés par les normes locales et les pratiques du client. Ces protocoles sont importants en raison du risque accru de blessure que présentent les tensions élevées et les grandes puissances.

 

50.       Par exemple, dans le marché nord‑américain, communément appelé le marché ANSI, la pratique est d’exiger que l’équipement ou les conducteurs électriques soumis à une tension supérieure à 600 V doivent être munis d’un moyen permettant leur mise à la terre lors des activités de maintenance, en plus d’un moyen d’isolation du circuit. Dans le marché européen, communément appelé le marché CEI, la pratique est d’exiger un moyen d’isolation du circuit, sans qu’il ne soit cependant d’usage d’exiger un moyen supplémentaire de mise à la terre au cours des travaux de maintenance. En revanche, dans les deux marchés, il existe une exigence commune de « coupure visible » permettant de vérifier l’isolation du circuit.

 

[Notes de bas de page omises]

 

 

Monsieur Nilsson fait essentiellement valoir le même argument au paragraphe 11 de son rapport sur la validité :

[traduction

11.       Les principes généraux d’exploitation sont d’usage répandu à travers le monde et sont constamment harmonisés par le biais d’activités de normalisation. Cependant, les codes et pratiques acceptables, de même que la terminologie, varieront d’une région à l’autre, et ne seront pas parfaitement harmonisés y compris dans la même région. Par exemple, les pratiques européennes se distinguent à certains égards de celles de l’Amérique du Nord, qui elles‑ mêmes peuvent varier de quelque manière d’une société de production à l’autre (p. ex. les services publics d’électricité de l’État de New York par rapport à ceux de l’État de Californie). C’est notamment pour cette raison que chaque installation est considérée comme un projet de conception sur mesure.

 

[19]           Dans les ensembles d’appareillage du type de ceux décrits dans les brevets en litige, un des principaux éléments de sécurité est le disjoncteur. Le disjoncteur coupe l’alimentation si une anomalie ou un défaut se produit. S’il faut faire la maintenance du disjoncteur, ce dernier doit être débranché du circuit. Dans un GIS, ce débranchement peut être fait de différentes manières, qui comportent toutes un moyen de mise à la terre.

 

[20]           En Europe, il est pratique courante de mettre le circuit à la terre en fermant le disjoncteur (mise à la terre par l’entremise du disjoncteur). En Amérique du Nord, cette pratique est jugée dangereuse, car le disjoncteur peut s’ouvrir et déconnecter les câbles de la terre et parce qu’il n’est pas possible de contrôler visuellement les contacts dans le disjoncteur. Il est donc d’usage en Amérique du Nord d’intégrer un sectionneur de terre distinct et possiblement visible en dessous du disjoncteur.

 

[21]           Les brevets en litige concernent deux exigences particulières d’un marché à l’égard des ensembles GIS.

 

[22]           Le brevet 772 reconnaît la prédilection nord‑américaine pour une mise à la terre redondante entre le disjoncteur et les câbles de départ et le besoin d’intégrer [traduction] « à la fois un sectionneur supplémentaire et un conducteur de terre supplémentaire » à l’ensemble d’appareillage. Cet ajout crée un problème de dimensionnement du compartiment rempli de gaz, problème que les inventeurs affirment avoir résolu en agrandissant le compartiment du disjoncteur en direction des têtes de câbles.

 

[23]           Le brevet 781 offre une solution au problème du contrôle visuel des positions d’un sectionneur dans une enveloppe fermée d’un GIS. Selon le brevet, la solution est d’installer une fenêtre d’inspection dans le boîtier de l’ensemble d’appareillage GIS selon une ligne d’observation directe du sectionneur. La visualisation de la position du sectionneur est facilitée par l’ajout à l’élément mobile d’un repère coloré ou topographique servant de points de référence.

 

[24]           Plusieurs des termes employés dans ces brevets demandent à être interprétés. Ces questions d’interprétation ont été évoquées par M. Leone pour le compte d’ABB, et par MM. Nilsson et Molony pour celui de Hyundai.

 

Principes d’interprétation des brevets

[25]           Les revendications de brevets doivent s’interpréter de manière téléologique. Cet exercice s’effectue du point de vue de la personne versée dans l’art à qui le brevet s’adresse. Une interprétation purement littérale peut céder le pas à une approche contextuelle ou nuancée conforme aux connaissances courantes et à l’expérience d’une telle personne. Il s’agit notamment d’identifier les éléments essentiels de l’invention et de les distinguer de ceux qui ne le sont pas. Cette opération est nécessaire dans la mesure où il peut y avoir contrefaçon même si le contrevenant omet ou remplace les caractéristiques non essentielles : voir l’arrêt Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 RCS 1024, et Western Electric Co. c Baldwin International Radio, [1934] RCS 570, aux pages 586 et 587, 4 DLR 129 (CSC).

 

[26]           Le libellé des revendications doit s’interpréter dans la visée d’une issue équitable entre le breveté et le public : voir l’arrêt Whirlpool Corporation c Camco Inc., 2000 CSC 67, au paragraphe 49, [2000] 2 RCS 1067. Les termes utilisés dans les revendications peuvent être envisagés à la lumière du mémoire descriptif dans son ensemble, mais non dans l’optique d’élargir ou de restreindre la portée du texte. En d’autres mots, un libellé restrictif aura préséance sur une description plus détaillée de l’invention dans le mémoire descriptif. Bien que la Cour doive rester ouverte à l’intention présumée de l’inventeur, ce principe n’autorise pas une interprétation qui ignore effectivement le libellé des revendications. L’équilibre requis est expliqué dans cet extrait de l’arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 51.

51        Cet aspect est plus particulièrement examiné dans les arrêts Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67, et Whirlpool Corp. c. Maytag Corp., [2000] 2 R.C.S. 1116, 2000 CSC 68, rendus concurremment. L’interprétation des revendications avec le concours d’un destinataire versé dans l’art donne au breveté l’assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d’un expert concernant leur sens technique. Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.

 

[27]           ABB soutient que l’approche téléologique doit amener la Cour à opter pour une interprétation favorable à la validité de ces brevets, et invoque à cet égard la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Letourneau c Clearbrook Iron Works Ltd., 2005 CF 1229, [2005] ACF no 1589, ainsi que la jurisprudence à laquelle elle renvoie. L’application d’un seul principe d’interprétation comme s’il avait préséance sur les autres comporte toutefois un certain danger; dans l’arrêt Whirlpool, précité, la Cour suprême du Canada a d’ailleurs explicitement mis en garde contre une interprétation des revendications axée sur un résultat. Il convient de rappeler que c’est le breveté qui rédige le brevet et qui doit, en y mettant le soin suffisant, faire en sorte d’éviter les ambigüités évidentes ou manifestes. Il doit d’ailleurs rédiger le brevet en des termes assez clairs pour que les concurrents en comprennent les limites : voir l’arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 42.

 

[28]           L’interprétation téléologique est fondamentalement un exercice de mise en contexte qui met l’accent sur le libellé des revendications telles que les lirait objectivement la personne fictive versée dans l’art. L’approche à laquelle je souscris est expliquée dans l’extrait suivant de l’arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 49 :

[…]

 

Il faut donc donner à un brevet une interprétation qui, selon l’art. 12 de la Loi d’interprétation, « soit compatible avec la réalisation de son objet ». L’intention est exprimée par des mots dont le sens doit être respecté, mais les mots eux‑mêmes sont utilisés dans un contexte qui fournit généralement des indices quant à la façon de les interpréter ainsi qu’une protection contre leur mauvaise interprétation. Dans Interprétation des lois (3e éd. 1999), P.‑A. Côté l’explique succinctement lorsqu’il écrit, à la p. 490 : « Ce sens découle en partie du contexte de leur utilisation, et l’objet de la loi fait partie intégrante de ce contexte » (je souligne). Voir, dans le même sens, Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au par. 21. Ces principes s’appliquent à l’interprétation des revendications en vertu de la Loi d’interprétation.

 

f)         Même si les appelantes expriment la crainte que l’« interprétation téléologique » ouvre la porte à une preuve d’intention extrinsèque, comme c’est le cas de certains types de preuve extrinsèque aux États‑Unis, ni l’un ni l’autre des arrêts Catnic et O’Hara, précités, n’excède les limites du mémoire descriptif, et les deux se limitent à bon droit au libellé des revendications interprété dans le contexte de l’ensemble du mémoire descriptif.

 

g)         Même si elle est une appellation qui a été appliquée à l’interprétation des revendications par l’arrêt Catnic, précité, l’« interprétation téléologique » elle‑même est fort compatible, selon moi, avec ce que le juge Dickson avait affirmé, l’année précédente, dans l’arrêt Consolboard, précité, au sujet de l’interprétation des revendications (aux pp. 520 et 521):

 

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation, [1950] R.C.S. 36), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la p. 574 : [traduction] « Quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet. » […]

 

[29]           « Interpréter raisonnablement » le libellé du brevet ne signifie pas, à mon avis, préférer une interprétation discutable ayant pour effet de maintenir le brevet. Dans la plupart des cas, le libellé, interprété de façon contextuelle et objective, permettra d’établir son objet et d’assurer ainsi sa réalisation. J’ajouterai que l’approche téléologique n’invite pas la Cour à ignorer les règles courantes de la grammaire et de la syntaxe. Si la caractéristique essentielle d’un brevet est définie de manière spécifique, et qu’un autre terme plus général susceptible d’englober cette caractéristique spécifique est aussi employé, normalement on ne déduira pas que les deux termes veulent dire la même chose. L’utilisation de termes différents sert habituellement à distinguer les caractéristiques les unes des autres et non pour exprimer une synonymie.

 

Qui est la personne versée dans l’art dans la présente affaire?

[30]           Les parties ne s’entendent pas complètement sur les connaissances sur la technologie GIS que devrait avoir la personne versée dans l’art pour interpréter ces brevets. Selon le rapport initial de M. Leone, la personne versée dans l’art lisant le brevet 781 devrait avoir « une expérience des ensembles à isolation gazeuse en général ». Cette personne aurait également une bonne compréhension des aspects électriques, mécaniques et des aspects liés à la sécurité de « tels ensembles » et connaîtrait notamment le besoin de contrôler visuellement les positions des sectionneurs et les moyens d’y arriver, y compris les caméras et les fenêtres (voir aux paragraphes 252 et 253). Au paragraphe 258, M. Leone affirme ce qui suit :

[traduction]

À mon avis, la personne versée dans l’art à laquelle s’adresse le brevet 781 ferait partie du même large ensemble de personnes que j’ai indiqué ci‑dessus pour le brevet 772, mais dans le contexte des ensembles d’appareillage en général (sans se limiter aux ensembles d’appareillage moyenne tension, car le besoin de contrôle visuel s’applique également aux applications à basse, moyenne et haute tension).

 

[31]           D’après M. Leone, l’expérience pratique liée aux GIS moyenne tension de la personne versée dans l’art qui lirait le brevet 772 serait limitée. Dans son rapport produit en réponse, M. Leone s’oppose à l’opinion de M. Nilsson selon laquelle les deux brevets s’adressent à la même personne versée dans l’art dont l’étendue des connaissances et de l’expérience va au‑delà du GIS moyenne tension. Monsieur Leone ne justifie d’aucune manière la distinction qu’il établit, et la preuve établit en fait qu’il n’y a pas de démarcation claire entre les GIS moyenne et haute tensions, car les limites de leurs capacités se recoupent. Je rejette donc la prétention de M. Leone selon laquelle la personne versée dans l’art visée par chaque brevet n’est pas la même. J’accepte plutôt la description qu’en donne M. Nilsson au paragraphe 7 de son rapport :

[traduction]

À mon avis, la personne moyennement versée dans l’art à qui les brevets 772 et 781 s’adressent a deux à quatre années d’expérience de travail dans les appareillages en général, et notamment de l’expérience dans la conception des appareillages à isolation gazeuse. Cette personne aurait la formation technique requise. Son expérience peut consister à avoir fourni des appareillages aux utilisateurs finaux, normalement une entreprise de services d’électricité ou un complexe industriel, ou à avoir agi comme représentant de l’utilisateur final responsable de la supervision, de la conception et de l’installation de l’infrastructure électrique. Dans un cas comme dans l’autre, cette personne devrait bien connaître la configuration, le fonctionnement, la maintenance et l’utilisation de différents types d’appareillage, et être au fait des risques liés à la manipulation de l’énergie électrique et des meilleures pratiques permettant de les atténuer.

 

Le brevet 781 – Interprétation

[32]           Le brevet 781 reposant sur la demande PCT no EP 2005/006079 a été déposé le 7 juin 2005. La demande PCT revendiquait la priorité à l’égard de la demande de brevet allemande déposée le 9 juin 2004. Le brevet 781 a été publié le 22 décembre 2005 et délivré le 10 août 2010.

 

[33]           Le brevet 781 porte sur le problème de la visualisation de la position des sectionneurs dans des GIS moyenne tension. Le contrôle visuel des positions de sectionneur dans les GIS en supplément aux méthodes de vérification par télédétection est une exigence de sécurité souvent posée par les opérateurs, particulièrement en Amérique du Nord : voir au paragraphe 273 de la déclaration du 15 mars 2013 de m. Leone. Les utilisateurs d’appareillage se préoccupent naturellement de s’assurer que les éléments intérieurs portant des charges électriques mortelles soient mis hors tension et mis à la terre avant la réalisation de travaux de maintenance. L’utilisation de sectionneurs est un moyen d’y arriver; cependant, dans les GIS, ces sectionneurs sont inaccessibles et ne peuvent être observés aisément.

 

[34]           La solution proposée dans le brevet 781 pour visualiser la position des sectionneurs est l’installation d’une ou plusieurs fenêtres de visualisation étanches aux gaz dans le boîtier selon une ligne d’observation directe ou indirecte (à l’aide de miroirs) des sectionneurs. Le contrôle visuel est facilité par l’ajout à l’élément mobile de repères permanents servant de points de référence.

 

[35]           Le brevet 781 comporte huit revendications. La revendication 1 est indépendante, tandis que les revendications 2 à 8 sont dépendantes. Les revendications 1 à 4 sont particulièrement importantes pour la question de la contrefaçon, mais toutes les revendications sont en cause pour ce qui est de la validité. Voici les revendications :

[traduction]

Les réalisations de l’invention à l’égard desquelles le breveté revendique une propriété ou un privilège exclusifs sont définies comme suit :

 

1.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse qui comporte au moins un sectionneur dans le boîtier de la partie remplie de gaz isolant de l’ensemble et qui est muni d’une fenêtre d’inspection installée dans le boîtier de sorte qu’un élément de contact mobile d’un sectionneur : puisse être vu à l’oeil nu depuis l’extérieur du boîtier selon une ligne d’observation directe à travers la fenêtre d’inspection ou puisse être vu depuis l’extérieur du boîtier selon une ligne d’observation indirecte à travers la fenêtre d’inspection, par l’entremise d’au moins un miroir, à l’oeil nu, sauf pour ledit miroir.

 

2.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans la revendication 1 dont la fenêtre d’inspection est installée dans le boîtier de façon à ce que le joint avec le boîtier soit étanche.

 

3.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans la revendication 2 muni d’un dispositif déclenché par surpression installé dans le boîtier qui se déclenche avant la pression de rupture du joint d’étanchéité de la fenêtre d’inspection.

 

4.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans les revendications 1, 2 et 3 dans lequel l’élément de contact mobile du sectionneur est muni d’un repère coloré ou topographique qui change de position par rapport à un repère ou une structure de référence fixe en fonction de la position de l’élément de contact du sectionneur.

 

5.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans la revendication 4 dans lequel, pour inspecter les positions de sectionneur dans une disposition polyphasée, les positions de la fenêtre d’inspection et du repère et de la structure de référence sont choisies en relation les unes avec les autres de façon à ce que cette dernière puisse être inspectée de façon sécuritaire.

 

6.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans la revendication 4 ou 5 dans lequel des moyens d’éclairage sont disposés à l’extérieur du boîtier de façon à pouvoir éclairer le repère ou la structure de référence en vue de son inspection.

 

7.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 6 dans lequel, en vue de permettre l’inspection de la position des sectionneurs dans une installation polyphasée, une ou plusieurs fenêtres d’inspection sont disposées.

 

8.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 7, qui est un ensemble d’appareillage moyenne tension à isolation gazeuse.

 

[36]           De manière générale, l’interprétation des revendications 1 à 4 n’est pas difficile. ABB revendique une invention relative à l’utilisation de fenêtres d’inspection pour s’assurer des positions des sectionneurs dans les GIS moyenne tension. Elle revendique également l’invention de l’intégration aux sectionneurs décrits de repères colorés ou topographiques servant de références de position.

 

[37]           La preuve révèle un point d’interprétation litigieux important pour ce qui est de savoir si l’expression [traduction] « élément de contact mobile d’un sectionneur » renvoie seulement à un sectionneur à contact glissant ou si elle englobe également ce qu’on appelle généralement un sectionneur à couteau. ABB fait valoir que les revendications du brevet portent sur le problème de la visualisation des sectionneurs à contact glissant, pour lesquels l’utilisation de fenêtres était semble‑t‑il inconnu. La défenderesse affirme que la personne versée dans l’art comprendrait que le terme inclut les sectionneurs à couteau. Cette différence est significative, car, comme le reconnaît ABB, l’utilisation de fenêtres de visualisation dans les GIS moyenne et haute tension pour observer la position de sectionneurs à couteau était déjà connue.

 

[38]           La preuve qui m’a été présentée établit que les sectionneurs à couteau sont couramment utilisés dans les AIS où les restrictions d’espace ne constituent généralement pas des contraintes importantes. Dans les systèmes GIS, où les restrictions d’espace sont souvent importantes, les sectionneurs à contact glissant sont plus souvent utilisés.

 

[39]           Les sectionneurs à contact glissant et les sectionneurs à couteau remplissent la même fonction par des moyens quelque peu différents. Dans un sectionneur à contact glissant, le contact mobile se déplace linéairement entre ses positions, qui, dans le cas d’un sectionneur à trois positions, sont les positions « fermeture », « isolation » ou « mise à la terre ». Bien que le contact mobile ne puisse se trouver qu’à une seule position à la fois, l’opérateur se soucie quand même de ce que le contact soit dans la bonne position pour établir un solide contact (« fermeture » ou « mise à la terre ») ou complètement isolé des positions « fermeture » ou « mise à la terre ». Une position non optimale peut produire un défaut d’arc, avec des résultats catastrophiques. Avec les sectionneurs à contact glissant, les positions de repos du contact mobile peuvent être difficiles à observer.

 

[40]           Les sectionneurs à couteau peuvent également servir de sectionneurs à trois positions. Ces sectionneurs comprennent une lame mobile (le « couteau ») qui pivote en suivant un arc entre les positions et qui établit le contact avec une mâchoire mise à la terre ou une mâchoire sous tension ou qui repose entre ces deux positions (isolation). De par leur conception, les positions de contact et d’isolation des sectionneurs à couteau sont généralement plus faciles à observer que celles des sectionneurs à contact glissant.

 

[41]           Monsieur Leone a affirmé que la personne versée dans l’art ayant en tête le contexte global des revendications, de la description et des dessins du brevet 781 ne croirait pas que l’expression [traduction] « élément de contact mobile d’un sectionneur » englobe les sectionneurs à couteau (voir au paragraphe 275 de la déclaration du M. Leone). Cette opinion se justifie selon lui par la facilité avec laquelle les sectionneurs à couteau peuvent être observés (voir au paragraphe 277) ainsi que par l’utilisation d’un sectionneur à contact glissant dans la réalisation exemplaire des figures 1 et 2 du brevet.

 

[42]           Le fait que M. Leone s’appuie sur la facilité avec laquelle les sectionneurs à couteau peuvent habituellement être vus n’est pas une base valide pour les exclure de la revendication 1. Rien dans le brevet ne traite de ce point et la distinction est entièrement relative. Le problème dont il est question est de visualiser un sectionneur dans un endroit inaccessible qui peut présenter des problèmes de visibilité nombreux et variables. Bien que la position d’un sectionneur à couteau puisse être plus facile à voir par une fenêtre d’inspection, ce n’est pas inévitablement le cas. D’ailleurs, en comparant la facilité de visualiser les sectionneurs à couteau dans les AIS et les GIS, M. Leone a reconnu que [traduction] « si l’on met un sectionneur à couteau dans un GIS, il est plus difficile à voir » (voir à la page 650).

 

[43]           Bien qu’à certains endroits M. Leone soit très catégorique sur les problèmes « uniques » et « spécifiques » liés à la visualisation des sectionneurs à contact glissant, à d’autres points son témoignage est moins dogmatique. Par exemple, lorsqu’on lui a demandé pourquoi les fenêtres ne semblaient pas avoir été employées pour visualiser les sectionneurs à contact glissant quand les antériorités divulguaient cet usage avec les sectionneurs à couteau, il a répondu : [traduction] « Je crois que c’est à cause de la configuration et de l’utilisation minime des sectionneurs à contact glissant à l’époque. Il était facile de confirmer – plus facile de confirmer avec les sectionneurs à couteau, ce qui était essentiellement l’état de la technique à l’époque, et aucune solution n’avait encore été mise au point pour les fenêtres et les sectionneurs à contact glissant. » Il va dans le même sens dans son témoignage à la page 649. Il est également reconnu, dans la description du brevet, que les problèmes de visualisation liés aux ensembles de GIS varient selon leur [traduction] « construction, position et conception ».

 

[44]           Je ne souscris pas à l’interprétation de M. Leone de cette caractéristique essentielle du brevet 781. D’un point de vue purement grammatical, les mots utilisés par les inventeurs s’appliquent entièrement aux sectionneurs à couteau, qui intègrent également un [traduction] « élément de contact mobile d’un sectionneur », c’est‑à‑dire le couteau. Les deux types de sectionneurs étaient clairement présents à l’esprit des inventeurs, puisqu’à la première page de la description, on peut lire que [traduction] « les sectionneurs à trois positions classiques sont appelés sectionneurs à course linéaire ou sectionneurs à couteau ». Par la suite, le brevet utilise le terme sectionneurs [en anglais : disconnectors] pour décrire le sectionneur visualisé. Pour un lecteur versé dans l’art, l’interprétation des revendications ne se limiterait pas aux [traduction] « sectionneurs à course linéaire », puisque cette expression n’a pas été réutilisée. Le brevet emploie plutôt une référence générale à un contact mobile qui ne distingue pas les types de sectionneurs.

 

[45]           Monsieur Leone n’a pas abordé ce point grammatical dans son rapport. Le point a cependant été abordé de façon indirecte durant son témoignage : lorsqu’on lui a demandé ce qui l’avait mené à son interprétation étroite de [traduction] « élément de contact mobile d’un sectionneur », M. Leone a donné la réponse suivante :

 

[traduction]

R.        Oui, et c’est la première référence qui commence à m’indiquer qu’ils parlent d’un sectionneur à course linéaire, parce que le contact mobile n’est pas généralement un couteau. Si on avait parlé d’un couteau mobile ou d’une lame mobile, j’aurais pensé à un sectionneur à couteau, mais comme il est question d’une « pièce de contact mobile », je tends vers un sectionneur à glissement. [page 537]

 

En fait, ce témoignage compromet l’opinion de M. Leone sur l’interprétation. En donnant à entendre que le rédacteur des revendications aurait utilisé un terme spécifique si son intention était d’inclure un sectionneur à couteau, il invite nécessairement la même approche si l’intention du rédacteur était de ne revendiquer qu’un sectionneur à contact glissant. Le rédacteur a plutôt employé des mots pouvant facilement décrire les deux types de sectionneurs.

 

[46]           Comme l’indique M. Leone, l’utilisation d’un sectionneur à contact glissant dans les illustrations du brevet n’étaye aucune restriction dans l’énoncé des revendications. En fait, puisque les diagrammes sont « exemplaires », le lecteur versé dans l’art peut autant déduire que les revendications ne sont pas limitées, mais qu’elles incluent plutôt les deux types de sectionneurs classiques auxquels renvoie le terme « sectionneur ».

 

[47]           Je rejette l’affirmation de M. Leone selon laquelle le problème dont traite le brevet 781 est unique ou propre aux sectionneurs à contact glissant ou que les problèmes de visibilité n’existent pas pour les sectionneurs à couteau. Quel que soit le type de sectionneur, l’observateur a besoin de savoir à quel endroit le contact mobile repose. Dans les ensembles GIS, les deux types de sectionneurs peuvent être difficiles à observer. Sur la question de l’interprétation, j’accepte l’opinion de M. Nilsson selon laquelle l’expression [traduction] « élément de contact mobile d’un sectionneur » de la revendication 1 est un terme générique qui comprend les sectionneurs à couteau et les sectionneurs à contact glissant.

 

[48]           La revendication 4 soulève un autre point d’interprétation litigieux, c’est‑à‑dire de savoir en quoi consiste un [traduction] « repère coloré ou topographique » sur le contact mobile. ABB et M. Leone maintiennent que Hyundai a intégré une telle fonction dans son GIS installé en Colombie‑Britannique.

 

[49]           Le brevet 781 divulgue une réalisation d’une référence colorée et topographique qui a la forme d’une rainure usinée et peinte autour de la circonférence de l’élément de contact mobile du sectionneur. Lorsque l’élément de contact mobile est bien logé, l’anneau peint est visible directement à côté de l’extrémité du boîtier circulaire du sectionneur, ce qui indique à l’utilisateur que le contact est dans la position voulue. Selon M. Leone, les inventeurs n’avaient aucune exigence particulière quant à la couleur ou la forme du repère topographique (voir le rapport de M. Leone, au paragraphe 330). La caractérisation de M. Leone de cette fonction essentielle ne me pose aucun problème particulier, mais, comme je l’exposerai plus loin, je ne suis pas d’accord avec lui pour dire que les caractéristiques visibles, quelles qu’elles soient, sont incluses, peu importe leur fonction. Après avoir entendu les témoins de Hyundai, je rejette l’opinion de M. Leone selon laquelle les tiges de guidage qui dépassent du contact mobile du sectionneur de Hyundai constituent un repère topographique de positionnement comme celui décrit à la revendication 4 ou que la personne versée dans l’art interpréterait la revendication 4 d’une façon qui inclut ces tiges.

 

Le brevet 781 – Validité – Principes juridiques

[50]           La démarche générale permettant de statuer sur l’évidence a été expliqué par la juge Judith Snider dans le jugement Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2008 CF 825, [2008] ACF no 1094, aux paragraphes 226 et 227 :

226      Le critère de l’évidence a fait couler beaucoup d’encre dans la jurisprudence. Je crois cependant que, dans l’arrêt Novopharm Ltd. c. Janssen‑Ortho Inc., 2007 CAF 217 (Janssen‑Ortho (C.A.F.)), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 32200, 6 décembre 2007, [2007] C.S.C.R. no 442, la Cour d’appel fédérale a maintenant fourni un résumé très utile du critère de l’évidence et de la manière dont le juge du procès devrait aborder la question. La juge Sharlow, s’exprimant pour la Cour d’appel dans Janssen‑Ortho (C.A.F.), a ainsi présenté le critère de l’évidence aux paragraphes 23 et 24 :

 

Le critère juridique admis de l’évidence a été formulé comme suit par le juge Hugessen à la page 294 de l’arrêt‑clé Beloit Canada Ltd. et al. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.) :

 

La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

 

L’examen que commande le critère Beloit est de nature factuelle et fonctionnelle et doit être guidé par la preuve d’expert touchant les compétences pertinentes de la personne hypothétique normalement versée dans l’art et l’état de la technique à l’époque pertinente. Il convient d’évaluer attentivement la crédibilité et la fiabilité de cette preuve d’expert. Il ne faut en effet jamais oublier la mise en garde classique que fait le juge Hugessen contre la sagesse rétrospective à la page 295 de Beloit :

 

Une fois qu’elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l’infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j’aurais pu faire cela »; avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l’avez‑vous pas fait? »

 

227      Au paragraphe 25, la juge Sharlow a exposé, de manière très pertinente, plusieurs facteurs qui peuvent « orienter la recherche nécessaire des faits » et qui peuvent être utilisés « en tant que cadre de l’analyse à laquelle ces faits doivent être soumis ». La juge a ensuite énuméré et expliqué la liste non exhaustive suivante des facteurs qui peuvent orienter la recherche des faits. Ces facteurs sont les suivants :

 

Principaux facteurs

 

1.         L’invention.

 

2.         La personne hypothétique versée dans l’art dont parle Beloit.

 

3.         Les connaissances que possède la personne hypothétique normalement versée dans l’art.

 

4.         Le climat régnant dans le domaine en question à l’époque où l’invention supposée a été faite.

 

5.         La motivation qui, à l’époque où l’invention supposée a été faite, incitait à résoudre un problème reconnu.

 

6.         Le temps et les efforts qu’a exigés l’invention supposée.

 

Facteurs secondaires

 

7.         Le succès commercial.

 

8.         Les prix et autres récompenses.

 

[51]           Dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265, au paragraphe 67, la Cour suprême du Canada a élaboré un cadre en quatre volets pour évaluer le caractère évident de la revendication. Suivant ce critère, le tribunal de révision doit s’en tenir aux étapes suivantes :

a.         identifier la « personne versée dans l’art » et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

b.         définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

c.         recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

d.         abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

Les brevets en cause sont présumés valides et c’est à la défenderesse qu’il incombe de prouver le contraire selon la prépondérance de la preuve.

 

Le brevet 781 est‑il invalide pour cause d’évidence?

[52]           Vu ma conclusion portant que la revendication 1 du brevet 781 comporte une revendication à l’égard de l’usage de fenêtres d’observation pour vérifier la position de sectionneurs à couteau dans des GIS moyenne tension, l’invalidité du brevet en découle nécessairement. Il n’était pas loisible à ABB de revendiquer un monopole sur une technologie déjà connue dans l’art antérieur : voir Apotex, précité, au paragraphe 51; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 SCR 533, au paragraphe 1; et voir Free World Trust, précité, au paragraphe 13. Même si je me trompe sur la signification de l’expression [traduction] « élément de contact mobile d’un sectionneur », le brevet 781 est invalide parce que l’utilisation de fenêtres dans un GIS moyenne tension pour observer la position de sectionneurs à contact glissant aurait été évidente pour la personne versée dans l’art. La preuve démontre clairement que l’utilisation de caméras pour vérifier les positions de sectionneur par Hyundai ne contrefait pas le brevet, puisque, comme le reconnaît M. Leone, une telle utilisation était déjà connue dans l’art antérieur (voir au paragraphe 253 de la déclaration de M. Leone et au paragraphe 206 de la réponse de M. Leone). De même, ABB ne conteste pas que l’utilisation de fenêtres pour observer les positions de sectionneur était connue dans l,art antérieur à tout le moins pour l’AIS, pour les applications de GIS où des sectionneurs à couteau sont utilisés ainsi que pour les sectionneurs à contact glissant dans les GIS haute tension (voir au paragraphe 198 du rapport de M. Leone en réponse).

 

[53]           Monsieur Leone est d’avis que malgré l’utilisation de fenêtres dans les AIS et les GIS, des questions de sécurité décourageaient leur utilisation dans le cas de l’invention décrite dans le brevet 781. Cette affirmation est indéfendable, puisque, comme le reconnaît M. Leone, l’utilisation de fenêtres était une méthode fiable et éprouvée pour vérifier la position des sectionneurs dans le GIS. Toute préoccupation de sécurité inhérente à leur utilisation avait vraisemblablement été résolue.

 

[54]           Aux paragraphes 210 et 211 de sa réponse, M. Leone offre les affirmations supplémentaires qui suivent :

 

[traduction]

210.     Par conséquent, la personne versée dans l’art aurait compris que même si des fenêtres avaient été utilisées dans certains contextes, il existait certainement d’autres moyens de confirmer la position d’un sectionneur, y compris des moyens non visuels, si le client y consentait. D’ailleurs, jusqu’au 9 juin 2004, les seuls sectionneurs dont la personne versée dans l’art aurait su qu’ils peuvent être utilisés avec une fenêtre d’inspection étaient les sectionneurs à couteau. À cet égard, les références citées aux paragraphes 150 à 153 de la déclaration de M. Nilsson (pièces nos 29 et 30) se limitent aux fenêtres servant à observer des sectionneurs à couteau. En outre, le 9 juin 2004, la personne versée dans l’art aurait eu connaissance du fait que les seules options pour inspecter les sectionneurs à contact glissant étaient les caméras et les moyens non visuels (comme il a été décrit ci‑dessus).

 

211.     En résumé, la personne versée dans l’art pouvait emprunter plusieurs chemins et il existait d’importantes raisons pour que cette personne croie qu’une fenêtre d’inspection ne puisse fonctionner et ne puisse fournir une solution satisfaisante dans le contexte des ensembles d’appareillage à isolation gazeuse munis de sectionneurs à contact glissant. La personne versée dans l’art n’aurait pas pris directement et sans difficulté la voie d’une fenêtre d’inspection dans ce contexte. L’état de la technique, qui comprenait l’utilisation de fenêtres pour les sectionneurs à couteau, mais qui consistait à utiliser des caméras et des moyens non visuels pour les sectionneurs à contact glissant, éloignait clairement la personne versée dans l’art de l’utilisation de fenêtres.

 

Ce témoignage est faux. Le problème lié à la visibilité des positions de sectionneur dans les applications GIS avait été résolu et le brevet 722 ne décrit rien d’inventif.

 

[55]           Lorsqu’on a demandé à M. Leone s’il pouvait affirmer catégoriquement si des fenêtres avaient servi à visualiser des sectionneurs à contact glissant dans des GIS moyenne tension, il n’a pu que dire qu’il n’avait rien vu qui lui permettait de trancher [traduction] « dans un sens ou dans l’autre » (voir à la page 653). Il a cependant concédé que des fenêtres avaient bien été utilisées pour observer des sectionneurs à contact glissant dans des GIS haute tension (voir aux pages 628 et 629). Il a également affirmé que même s’il ne savait pas si des fenêtres avait servi à observer des sectionneurs à contact glissant dans des GIS moyenne tension, le problème de visualisation des positions de sectionneur avait été résolu au moyen de caméras et d’autres dispositifs, vraisemblablement à l’exclusion des fenêtres (voir aux pages 653 et 631). Bien qu’il ait affirmé au paragraphe 228 de son rapport en réponse que la disposition des fenêtres d’observation n’aurait pas été évidente pour la personne versée dans l’art, lorsqu’on l’a interrogé sur l’absence d’instructions de positionnement dans le brevet, il a décrit un processus de mesure banal (voir aux pages 554 à 556) qu’il a finalement qualifié [traduction] « d’une affaire de géométrie, à vrai dire » (voir à la page 644). La portée de la revendication 6 constitue un autre exemple où M. Leone a exposé dans son rapport une prétention indéfendable qu’il a ensuite abandonnée lors de son contre‑interrogatoire. Au paragraphe 232 de son rapport en réponse, M. Leone affirme que la personne versée dans l’art ne saurait pas utiliser une lampe de poche pour éclairer une position de sectionneur; toutefois, dans son témoignage, il a concédé qu’il s’agissait d’une méthode connue pour observer la position d’un sectionneur à contact glissant – du moins à partir du côté (voir page 630). Il n’a jamais expliqué pourquoi une lampe de poche n’aurait été utile qu’à partir du côté de l’ensemble GIS.

 

[56]           Le témoignage de M. Leone prête un appui peu solide au caractère inventif de l’utilisation d’une fenêtre pour observer un type de sectionneur différent dans les applications de GIS moyenne tension, appui que je rejette.

 

[57]           L’affirmation de M. Leone selon laquelle la personne versée dans l’art n’aurait pas connu l’utilisation des fenêtres et des sectionneurs à contact glissant dans les GIS haute tension est insoutenable. Bien que les ingénieurs d’ABB aient séparé leurs équipes de développement haute tension et moyenne tension, il est difficile de croire qu’une personne raisonnablement diligente travaillant sur des GIS moyenne tension méconnaîtrait ces avancées dans les GIS haute tension et la possibilité de les utiliser dans des applications à des tensions moindres. En fait, la preuve indique clairement que c’est l’avantage de l’isolation gazeuse dans les applications haute tension qui a établi le marché pour la même technologie dans les applications à des tensions moindres. Le problème de la vérification visuelle des positions d’un sectionneur est le même dans les deux cas et la personne versée dans l’art se serait naturellement tournée vers les solutions haute tension pour s’en inspirer. Ce faisant, cette personne aurait constaté l’utilisation efficace à la fois des fenêtres et des caméras.

 

[58]           J’accepte qu’il puisse y avoir moins d’options pour aménager une fenêtre dans un GIS moyenne tension que dans un GIS haute tension, mais le problème essentiel et sa solution sont les mêmes dans les deux applications : le concepteur doit trouver un endroit qui permet d’observer le sectionneur par la fenêtre. Monsieur Hyrenbach a affirmé qu’il a été surpris quand, à la première tentative pour faire un trou dans le prototype d’ABB, il pouvait clairement voir le sectionneur en question. Je rejette son témoignage. Monsieur Hyrenbach savait où se trouvait le sectionneur dans la caisse du GIS et il aurait été tout à fait conscient de la présence de tout autre obstacle à l’observation du sectionneur. Il a percé le trou ostensiblement pour obtenir une source d’éclairage, alors que toute personne douée de bon sens n’aurait aucunement été surprise, et n’aurait pas dû l’être, de ce qu’il pouvait voir. De même, Hyundai n’a pas eu de difficulté à positionner la fenêtre de son GIS : la fenêtre de la caméra a été placée selon une ligne d’observation directe des sectionneurs avec les deux autres fenêtres décalées à gauche et à droite, respectivement. Il s’agit du type de travail par essai et erreur que n’importe quel technicien compétent peut faire sans aucune inventivité. Il s’agit d’une adaptation d’atelier d’une approche existante et éprouvée à un problème qui a déjà été résolu par les mêmes moyens.

 

[59]           Les témoignages de MM. Molony et Nilsson établissent de façon certaine l’invalidité du brevet 781 pour cause d’évidence[1]. Les fenêtres d’inspection étaient bien connues dans l’art antérieur, elles étaient reconnues comme moyen de visualiser les positions de sectionneur dans plusieurs antériorités et normes applicables aux GIS et elles étaient exigées par de nombreux utilisateurs finaux. La thèse selon laquelle ces faits peuvent être écartés parce qu’ABB a « inventé » l’utilisation de fenêtres pour visualiser un type de sectionneurs connu est spécieuse.

 

[60]           Sur la question de l’évidence, j’accepte les appréciations de l’art antérieur formulées par MM. Molony et Nilsson dans leur rapport respectif, y compris les conclusions suivantes :

 

[traduction]

189.     Compte tenu de l’expérience nord‑américaine et des exigences de sécurité opérationnelles pour les GIS de toutes les tensions, il apparaît clairement que l’aménagement de fenêtres d’observation (d’inspection) servant à vérifier les positions des contacts des sectionneurs d’isolation et de mise à la terre dans les GIS et la disposition, au besoin, d’un moyen d’éclairage, est la pratique nord‑américaine normale depuis 30 ans ou plus. Ce fait est évident pour une personne normalement versée dans l’art et ne constitue donc pas une nouvelle exigence ou une nouvelle invention. [Témoignage de M. Molony]

 

[…]

 

146.     Il est donc clair que l’utilisation de hublots ou de fenêtres était une caractéristique normale pour l’équipement GIS en général pour les postes GIS et le matériel connexe. La personne versée dans l’art s’attendrait donc à ce que de telles fenêtres ou de tels hublots fassent partie de la spécification d’achat de postes GIS à diverses fins, y compris l’utilisation de fenêtres pour déterminer les positions des sectionneurs d’isolation et de mise à la terre. [Témoignage de M. Nilsson]

 

Le brevet 781 – Contrefaçon

[61]           Monsieur Leone affirme, en ne se fondant sur pratiquement aucun élément de preuve, que les tiges de guidage fixées au contact mobile d’un sectionneur de Hyundai constituent des repères topographiques qui contrefont la revendication 4 du brevet 781. Il soutient que les trois positions des sectionneurs à trois positions des GIS de Hyundai peuvent être vérifiées au moyen de ces tiges qui sont « à peu près vis‑à‑vis » les entrées des boitiers des contacts du sectionneur. Son rapport ne contient aucune information sur l’usage prévu de ces tiges, même s’il est évident au regard de la preuve qu’elles sont conçues pour empêcher le contact mobile de tourner lorsqu’il est en mouvement.

 

[62]           Monsieur Tymchyshyn a été interrogé sur la possibilité d’utiliser ces tiges de guidage de la manière proposée par M. Leone, c’est‑à‑dire de s’en servir comme références topographiques pour vérifier la position des contacts mobiles d’un sectionneur de Hyundai. Il a répondu que les tiges sont difficiles à voir et que, de toute façon, elles n’offrent pas une indication fiable des positions des sectionneurs. Son témoignage à ce sujet est le suivant :

 

[traduction]

            Vous verrez cependant qu’à la page suivante, la p. 125, il y a deux petits objets blancs qui – en fait, si vous regardez l’image du haut, à l’extrême droite, puis l’image du bas, à droite, dans un cercle rouge, pourriez‑vous décrire de quoi il s’agit? Les avez‑vous déjà vus auparavant?

 

R.        Je les ai vus quelquefois lorsque nous avons fait des essais de fonctionnement de l’équipement. Ils sont très difficiles à voir. L’éclairage là‑dedans n’est pas aussi bon que cela, même lorsque la caméra est en marche et ce sont les lumières DEL qui vous permettent de voir. 

 

            D’après ce que je sais, ils sont installés comme des ergots, pour empêcher la tige de tourner afin de la maintenir alignée pendant l’ouverture ou la fermeture. Je ne m’en suis jamais servi comme référence pour déterminer si quelque chose est ouvert ou fermé, non.

 

Q.        Pourquoi ne vous en serviriez‑vous pas comme référence?

 

R.        Parce que ce n’est pas toujours dans un état stable. Ça bouge. Çe n’est qu’une partie du temps de fonctionnement. Ça ne vous donne pas vraiment une indication de l’ouverture complète ou de la fermeture complète. Dans la réalité, c’est très difficile à voir.

 

[63]           Monsieur Kim a attesté que les tiges de guidage ne servent qu’à empêcher le contact de tourner lorsqu’il est en mouvement. Ce résultat est obtenu par l’insertion des tiges dans une étroite rainure pratiquée dans les parois intérieures des sections de l’enveloppe des sectionneurs. Sur toute la course du contact, au moins une des tiges est retenue dans la rainure et empêche ainsi le contact de tourner. Selon M. Kim, ces tiges n’ont pas été conçues pour aider l’utilisateur à déterminer les positions de repos du contact mobile. Rien ne permet d’établir que Hyundai a indiqué à BC Hydro qu’elles pouvaient être utilisé de cette façon.

 

[64]           En contre‑interrogatoire, on a demandé à M. Nilsson si une caractéristique mécanique pouvait remplir plus d’une fonction, y compris une fonction non prévue. Il a évidemment répondu par l’affirmative. Il convient cependant de souligner qu’on ne lui a jamais demandé si un opérateur prudent se servirait des tiges de guidage pour vérifier la position des sectionneurs de Hyundai.

 

[65]           ABB prétend que les tiges peuvent servir à deux fonctions, y compris la fonction non prévue de repérage des positions des sectionneurs et que, de cette façon, elles contrefont la revendication 4.

 

[66]           Le témoignage de M. Leone selon lequel les tiges peuvent servir d’indicateur des positions du sectionneur est inacceptable dans le contexte du témoignage de M. Tymchyshyn. Aucun utilisateur de ce système conscient des dangers présents n’utiliserait ces tiges de guidage comme références de positionnement. Elles ne sont pas conçues pour cet usage, Hyundai ne préconise pas cet usage des tiges, et elles sont des indicateurs inadéquats et peu fiables pour déterminer les positions de sectionneur. Aucun utilisateur prudent (BC Hydro) ne considérerait que ces tiges sont autre chose que ce pour quoi elles ont été conçues, c’est‑à‑dire un moyen d’empêcher la rotation des contacts glissant d’un sectionneur. Je rejette donc l’argument d’ABB et le témoignage de M. Leone selon lesquels les tiges de guidage de Hyundai contrefont la revendication 4 ou les revendications qui en dépendent.

 

[67]           ABB fait valoir que la caméra utilisée dans le GIS moyenne tension d’Hyundai peut être enlevée par l’opérateur, ce qui permettrait alors d’utiliser la fenêtre à laquelle elle est fixée pour l’observation directe. Monsieur Tymchyshyn a affirmé dans son témoignage que comme BC Hydro avait un doute sur la possibilité de visualiser entièrement les trois sectionneurs dans les trois positions au moyen de la caméra, il a fréquemment évalué les fenêtres comme moyen d’observation de rechange. Il a qualifié la visibilité de mauvaise, et, après avoir visionné la vidéo de simulation de M. Leone, il a indiqué qu’il ne s’agissait pas d’une représentation fidèle de ce qu’on peut voir à l’oeil nu, ce qui cadre avec ma propre comparaison de la vidéo avec des photos prises par la fenêtre d’observation. J’estime que même avec les limites indiquées, la caméra de Hyundai offre la meilleure option pour déterminer la position des sectionneurs en question. Étant donné le caractère peu pratique et déficient de l’utilisation de la fenêtre pour une observation directe, BC Hydro n’a aucune raison d’enlever la caméra et, même si BC Hydro le faisait, cela ne constituerait pas une contrefaçon de la part de Hyundai.

 

[68]           Les fenêtres de Hyundai ne sont pas commodément accessibles et elles ne permettent pas une observation directe informative. Le problème de l’accessibilité est exacerbé par les dangers de l’observation directe dans un espace confiné en présence de circuits potentiellement sous tension. Monsieur Tymchyshyn a indiqué dans son témoignage qu’un opérateur prudent ne s’exposerait pas à ce risque, qui ne peut être éliminé qu’en mettant hors tension les circuits de commande situés près de la fenêtre d’observation. Selon M. Tymchyshyn, la façon dont le matériel est conçu fait en sorte qu’il est [traduction] « pratiquement impossible d’obtenir une bonne vue ». ABB, ni aucun de ses témoins, n’ont jamais expliqué pourquoi on entreprendrait l’observation directe quand une caméra permet une observation à distance sécuritaire qui offre une vue aussi bonne sinon meilleure des sectionneurs. Monsieur Kim a qualifié ces fenêtres de redondantes et expliqué que leur présence représentait une erreur de conception après l’adoption de l’utilisation de caméras par Hyundai. Je n’ai aucune raison de douter de cette affirmation, mais même une erreur de conception peut constituer une contrefaçon. Or, cependant, l’impossibilité pour un observateur d’utiliser les fenêtres de Hyundai pour obtenir quelque information utile que ce soit sur la position des sectionneurs, particulièrement en présence d’une caméra plus sécuritaire, plus commode et ne constituant pas une contrefaçon, rend les fenêtres fonctionnellement caduques. Dans ces circonstances, il n’y a pas de contrefaçon.

 

Le brevet 772 – Interprétation

[69]           Le brevet 772, qui reposait sur la demande PCT no EP 2005/006892, a été déposé le 27 juin 2005. La demande PCT revendiquait une priorité à l’égard de deux demandes de brevet allemand. Le brevet 772 a été publié le 5 janvier 2006 et délivré le 10 août 2010.

 

[70]           ABB dit que le brevet 772 est dimensionnel. Le brevet résoudrait le problème de l’adaptation d’un ensemble GIS moyenne tension aux impératifs du marché nord‑américain qui exigent la mise à la terre de la cellule de départ du circuit (c’est‑à‑dire en dessous du disjoncteur). Cette exigence de mise à la terre est remplie en ajoutant un sectionneur à trois positions en dessous du disjoncteur. Le brevet 772 décrit comme suit le problème que rencontreraient les inventeurs :

[traduction]

Outre le sectionneur dans le compartiment des jeux de barre, le sectionneur dans la cellule de départ isole le potentiel de terre dans la cellule de départ et le potentiel haute tension des jeux de barre l’un de l’autre.

 

Il est cependant souvent impossible de répondre à cette exigence en raison des dimensions et de la disposition prédéterminées des compartiments fonctionnels individuels.

 

La solution inventive à ce problème est ensuite exposée :

[traduction]

Selon l’invention, le compartiment du disjoncteur est dimensionné de façon à y disposer à la fois le disjoncteur ainsi que les sectionneurs et les conducteurs de terre du côté de la cellule de départ.

 

Cela équivaut à dire que pour maintenir une conception aussi compacte que possible et des dimensions externes pratiquement inchangées pour ce qui est de la largeur, de la hauteur et de la profondeur de l’ensemble d’appareillage, seul le compartiment du disjoncteur est agrandi dans la direction des connexions de câbles, donc quant à sa hauteur, et les trois dispositifs nécessaires peuvent y être disposés, c’est‑à‑dire le disjoncteur, le sectionneur du côté de la cellule de départ et le conducteur du côté de la cellule de départ.

 

[71]           Le brevet 772 contient également un diagramme et une légende pour aider le lecteur à comprendre les revendications. Le diagramme et sa légende sont reproduits ci‑dessous :

 

[traduction]

Symboles de référence :

 

(1)        Compartiment des jeux de barre

(2)        Sectionneur à trois positions

(3)        Sectionneur à deux positions

(4)        Compartiment basse tension

(5)        Compartiment du disjoncteur

(6)        Disjoncteur

(7)        Sectionneur du côté de la cellule de départ

(8)        Conducteur de terre

(9)        Transformateurs de courant ou capteurs de courant

(10)      Lignes de départ

 

[72]           Bien que les témoins experts aient exprimé leur désaccord sur la signification d’un certain nombre de termes utilisés dans le brevet 772, les seules questions qui exigent une interprétation juridique concernent la portée de l’invention décrite dans la revendication 1. Les six autres revendications dépendent toutes de la revendication 1 et chacune d’entre elles décrit une caractéristique qui était bien connue dans l’art antérieur. Voici les revendications :

[traduction]

Les réalisations de l’invention à l’égard desquelles le breveté revendique une propriété ou un privilège exclusifs sont définies comme suit :

 

1.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comportant des disjoncteurs, des sectionneurs et des conducteurs de terre, dans lequel le compartiment du disjoncteur est dimensionné de façon à y disposer à la fois (i) les disjoncteurs et (ii) les sectionneurs et les conducteurs de terre dans une cellule de départ.

 

2.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans la revendication 1, comportant en outre un moyen de verrouillage faisant en sorte que le conducteur de terre dans la cellule de départ ne puisse être introduit dans l’ensemble que lorsqu’un sectionneur associé à un disjoncteur est ouvert.

 

3.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans la revendication 2, dans lequel le sectionneur ne peut être ouvert que par l’entremise du moyen de verrouillage lorsque le disjoncteur a d’abord été déconnecté.

 

4.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans l’une ou l’autre des revendications 1, 2 ou 3, comportant en outre des mécanismes d’entraînement pour les dispositifs de sectionnement qui sont situés entièrement dans un compartiment basse tension et qui peuvent être actionnés par un moteur ou par un entraînement manuel.

 

5.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 4, comportant en outre des transformateurs de courant et/ou des capteurs de courants disposés dans le compartiment du disjoncteur.

 

6.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 5, comportant en outre des connecteurs femelles permettant le raccordement externe de transformateurs de tension.

 

7.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 6, dans lequel un sectionneur dans la cellule de départ et un conducteur de terre dans la cellule de départ sont des sectionneurs à contact glissant.

 

[73]           ABB prétend que la revendication 1 n’englobe pas la caractéristique essentielle que serait la présence d’un second sectionneur en dessous du transformateur capable de mettre à la terre les lignes ou câbles de départ. ABB fait valoir que comme l’invention du brevet 722 vise l’exigence du marché nord‑américain d’une mise à la terre indépendante du disjoncteur du côté départ, la revendication 1 ne devrait pas être interprétée de façon à inclure comme caractéristique essentielle la mise à la terre des câbles, car cet avantage est optionnel. Le plaignant souligne que la mise à la terre du câble peut être réalisée à l’extérieur de l’ensemble de GIS, et que même si cette caractéristique est illustrée dans le diagramme du brevet et qu’elle est distinguée des autres éléments identifiés, il faut la considérer comme étant non essentielle. Cette question est importante parce que les ensembles GIS de Hyundai vendus à BC Hydro n’intègrent pas de mise à la terre de câble.

 

[74]           Le critère permettant de distinguer les éléments essentiels de la revendication d’un brevet de ceux qui ne le sont pas, est décrit dans l’arrêt Free World Trust, précité, aux paragraphes 55 à 57 :

55        Il serait injuste de permettre qu’un appareil qui ne se distingue de celui décrit dans les revendications du brevet que par la permutation de caractéristiques secondaires échappe impunément au monopole conféré par le brevet. En conséquence, les éléments de l’invention sont qualifiés soit d’essentiels (la substitution d’un autre élément ou une omission fait en sorte que l’appareil échappe au monopole), soit de non essentiels (la substitution ou l’omission n’entraîne pas nécessairement le rejet d’une allégation de contrefaçon). Pour qu’un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c.‑à‑d. que, si le travailleur versé dans l’art avait alors été informé de l’élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction« qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière », sa réponse aurait été affirmative : Improver Corp. c. Remington, précité, à la p. 192. Dans ce contexte, je crois qu’il faut entendre par « fonctionner de la même manière » que la variante (ou le composant) accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat. Dans Improver Corp. c. Remington, le juge Hoffmann a tenté de ramener l’essentiel de l’analyse proposée dans l’arrêt Catnic à une série de questions concises, à la p. 182 :

 

[traduction

            (i) La variante influence‑t‑elle de façon appréciable le fonctionnement de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative :

 

            (ii) Le fait que la variante n’influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l’invention aurait‑il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l’affirmative :

 

            (iii) L’expert du domaine conclurait‑il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu’une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.

 

56        Les trois questions ne sont pas exhaustives, mais elles englobent ce qui est au cœur de l’analyse de lord Diplock, et elles ont par la suite été approuvées par les tribunaux anglais.

 

57        Dans AT & T Technologies, précité, à la p. 257, le juge Reed dégage une série de principes d’interprétation à partir de différents arrêts, dont Catnic et O’Hara, précités. Le troisième principe qu’elle dégage est le suivant :

 

(3)  Si une variante d’un aspect d’une revendication n’a aucune incidence importante sur le fonctionnement de l’invention, il existe une présomption portant que le brevet est contrefait et que le breveté voulait que cette variante entre dans la portée de la revendication. . . [Je souligne.]

 

Le caractère souhaitable d’une telle présomption est confirmé par quelques observateurs (voir p. ex. J.‑C. Boudreau, « AT&T Technologies : A Contribution to the Purposive Construction Approach for Patent Infringement Analysis in Canada » (1998‑1999), 15 R.C.P.I. 323). S’il s’ensuit que le caractère non essentiel est présumé lorsqu’il est établi, compte tenu de la connaissance de l’interchangeabilité existant à la date de la contrefaçon (AT & T Technologies, précité, à la p. 262), qu’une variante n’aurait aucun effet important sur la manière dont fonctionne l’invention, je ne peux, en toute déférence, être d’accord sur ce point de vue. Si elle était appliquée, cette présomption aurait pour effet que l’étendue du monopole s’accroîtrait pendant la période de validité du brevet lorsque des substituts seraient mis au point et intégrés aux connaissances usuelles du travailleur versé dans l’art. On ne peut considérer que l’inventeur a eu l’« intention » nécessaire à l’égard de connaissances dont l’acquisition est postérieure, sauf dans le sens non pertinent de vouloir tirer avantage de la plus grande portée possible de ses revendications. À mon avis, dans Catnic et O’Hara, précités, les tribunaux ont eu raison d’exiger du breveté qu’il établisse une interchangeabilité connue et manifeste à la date de la publication du brevet. Si le breveté ne se décharge pas de ce fardeau de preuve, l’expression ou le mot descriptifs figurant dans la revendication doivent être considérés comme essentiels, sauf lorsque la teneur des revendications indique le contraire.

 

(iv)       Conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications du brevet

 

[75]           J’admets que la mise à la terre des câbles peut être réalisée par un moyen autre qu’un sectionneur de terre placé dans un compartiment GIS. La preuve établit également que le marché nord‑américain considère que la mise à la terre des câbles à l’intérieur de l’ensemble GIS est une option. Se pose cependant la question de savoir si les inventeurs ont inclus un sectionneur de mise à la terre des câbles indépendant dans les caractéristiques essentielles de la revendication 1.

 

[76]           Monsieur Leone a affirmé que le sectionneur de mise à la terre des câbles représenté dans les diagrammes est une caractéristique non essentielle du brevet. Selon son témoignage, l’exigence de mise à la terre nord‑américaine décrite dans le mémoire descriptif du brevet ne concerne que la fonctionnalité de mise à la terre du disjoncteur qui peut être obtenue par le sectionneur à trois positions appelé [traduction] « sectionneur du côté de la cellule de départ ». Selon cette interprétation, les mots [traduction] « le sectionneur du côté de la cellule de départ et le conducteur du côté de la cellule de départ » renvoient à un seul élément qui peut à la fois isoler et mettre à la terre le disjoncteur. Cette interprétation suppose que les inventeurs n’ont pas rédigé les revendications sur la foi d’une mauvaise compréhension de l’exigence nord‑américaine de mise à la terre et que l’expression susmentionnée renvoie à des fonctionnalités et non à deux éléments sectionneurs servant à mettre à la terre à la fois le disjoncteur et les câbles de départ.

 

[77]           La revendication 1 est maladroitement rédigée et son libellé n’est pas vraiment clair. Il est cependant ouvert à interprétation et tous les témoins experts sont parvenus à lui donner une signification.

 

[78]           Lorsqu’elle est lue en conjonction avec le diagramme qui l’accompagne (figure 1), la revendication 1 fait une distinction claire entre le sectionneur de mise à la terre du disjoncteur de la cellule de départ et le sectionneur de mise à la terre des câbles. Dans le brevet, le sectionneur de mise à la terre du disjoncteur est appelé [traduction] « sectionneur du côté de la cellule de départ », tandis que le sectionneur de mise à la terre du câble est appelé [traduction] « conducteur de terre ». Cette distinction est faite à répétition dans le mémoire descriptif et elle est conservée dans les revendications. Le contexte constitué par les termes descriptifs qui entourent l’expression contestée contredit également l’interprétation qu’ABB fait de cette expression. Le sectionneur du disjoncteur (sectionneur, no 7) et le sectionneur du câble (conducteur de terre, no 8) sont appelés [traduction] « les deux dispositifs » ou, en conjonction avec le disjoncteur, [traduction] « les trois dispositifs » dans « les trois dispositifs nécessaires peuvent tous être disposés à l’intérieur » [du compartiment du disjoncteur]. Il s’agit de références claires aux dispositifs représentés dans le diagramme du brevet, dispositifs dont la disposition est la matière de l’invention. Les expressions ne renvoient pas à un seul dispositif qui remplit différentes fonctions.

 

[79]           Selon le témoignage de M. Leone, le fait que la revendication 2 du brevet 772 décrive un raffinement de la revendication 1 appuie son interprétation selon laquelle la fonction de mise à la terre remplie par le sectionneur de mise à la terre des câbles est optionnelle et non essentielle dans la revendication 1. Ce témoignage est exagéré et peu convaincant. J’estime que le libellé de la revendication 2 concorde mieux avec l’interprétation de Hyundai. Les descriptions des éléments dans la revendication 2 sont les mêmes que celles qui se trouvent ailleurs dans le brevet et la revendication 2 décrit une fonction de verrouillage bien connue qui sert à empêcher les erreurs de sectionnement et qui fonctionne en présence de deux éléments distincts. Le [traduction] « conducteur de terre » représenté par le numéro 8 dans la figure 1 est l’un de ces éléments. Le rapport de contrefaçon de M. Nilsson défend efficacement cette thèse aux paragraphes 51 à 60 et coupe court aux vues contraires de M. Leone de façon convaincante. Je souscris à l’opinion de M. Nilsson plutôt qu’à celle de M. Leone. J’ajouterais que le texte du brevet contient très peu d’éléments qui appuient l’opinion d’interprétation de M. Leone et que, pour la plus grande partie, son rapport ignore les passages qui viennent contredire cette opinion.

 

[80]           S’il est possible qu’il ne soit pas nécessaire de placer un sectionneur de mise à la terre du câble dans le compartiment GIS, rien n’empêchait les inventeurs d’y en mettre un et la pratique semble courante. Monsieur Hyrenbach a d’ailleurs expliqué l’avantage de faire la mise à la terre à l’intérieur du compartiment GIS dans le témoignage suivant :

 

[traduction]

            LE TÉMOIN : D’abord, vous devez avoir une possibilité de mettre à la terre à l’intérieur. Vous ne pouvez faire la mise à la terre à l’extérieur à moins de vous assurer que tout est hors tension. Mais vous ne pourrez en être certain, par exemple, si un tableau est raccordé par un câble à un autre poste. Vous pouvez donc tout faire pour vous assurer qu’aucune énergie ne soit transmise des jeux de barres, par exemple, aux câbles, mais vous pouvez également téléphoner à l’autre côté pour leur demander de mettre le câble à la terre. Mais alors, au moment d’enlever le câble, pour être certain que le câble est encore mis à la terre, vous devez faire confiance à l’opérateur de l’autre poste.

 

            Il vaut donc bien mieux pouvoir mettre le tableau à la terre de façon sécuritaire à l’intérieur du panneau, qui a un pouvoir de fermeture même s’il y a de la tension. Donc si l’autre côté a rétabli le circuit parce que le travail est terminé, on peut mettre sous tension, et si vous décidez ensuite de mettre à la terre au moyen du disjoncteur, le disjoncteur va reconnaître le court‑circuit et interrompre le courant de nouveau. C’est donc sécuritaire. Rien ne se produira. Et si la mise à la terre a été faite et que tout a fonctionné, c’est sécuritaire. Vous pouvez ensuite enlever, par exemple, la prise à laquelle le transformateur de puissance est raccordé, puis insérer un dispositif de mise à la terre, car rien ne peut se produire, tout est mis à la terre.

 

J’ajouterais que la solution du problème de dimensionnement décrit dans le brevet 772 est mise en valeur par le nombre d’éléments que les inventeurs jugent qu’il est souhaitable d’inclure.

 

[81]           Il me semble que les inventeurs ont probablement mal compris les exigences de mise à la terre nord‑américaine, car, à la page 2 du brevet, ils écrivent : [traduction] « Pour ce qui est du marché nord‑américain, cependant, il faut à la fois un sectionneur supplémentaire et un conducteur de terre supplémentaire dans la cellule de départ... » L’interprétation des revendications du brevet ne devrait pas être influencée par des erreurs de cette importance. La personne versée dans l’art supposerait que les affirmations pertinentes de l’inventeur sont justes et interpréterait les revendications en conséquence. En l’espèce, l’inventeur indique que la mise à la terre des câbles est nécessaire et inclut cet élément sans réserve à la revendication 1. Si la mise à la terre des câbles n’était pas une caractéristique essentielle de la revendication 1, il n’était pas nécessaire de la mentionner. Si on voulait en faire une réalisation optionnelle, on aurait pu la décrire de la sorte et l’inclure dans une revendication dépendante. Rien dans les revendications ou le mémoire descriptif ne pousse le lecteur versé dans l’art à penser que l’inclusion du sectionneur de mise à la terre du câble (conducteur de terre) dans le compartiment GIS visait un objectif inventif d’importance subordonnée par rapport à celui du sectionneur du disjoncteur. La mise à la terre ayant été incluse comme caractéristique essentielle des revendications, il est trop tard pour qu’ABB se rétracte.

 

Le brevet 772 ‑ validité

[82]           La preuve et le brevet 772 (voir à la page 1, ligne 30) indiquent clairement que pour réaliser l’objet du brevet, tous les circuits haute tension d’un ensemble GIS doivent être enclos dans le compartiment rempli de gaz. Les inventeurs n’avaient donc pas la possibilité de laisser les éléments supplémentaires à l’extérieur du compartiment rempli de gaz. Les options qui s’ouvraient à eux comprenaient les variations des dimensions du compartiment GIS ou de la configuration des éléments haute tension à l’intérieur de celui‑ci, ou les deux. L’option qu’ils ont choisie est d’augmenter la taille du compartiment du disjoncteur et de réduire par conséquent la taille du compartiment des câbles de départ. De cette façon, les éléments de mise à la terre supplémentaires disposent de l’espace nécessaire, mais les dimensions externes du compartiment GIS d’ABB sont « virtuellement inchangée ».

 

[83]           Il est important de souligner que le brevet 772 ne revendique pas l’inventivité de l’une quelconque des autres dimensions du compartiment GIS ou de ses espaces internes. ABB prétend plutôt à un monopole sur un ensemble GIS moyenne tension de n’importe quelle taille ou configuration dont les éléments de mise à la terre de la cellule de départ sont installés dans ce qu’il est convenu d’appeler le compartiment du disjoncteur.

 

[84]           ABB soutient que l’inventivité du brevet 772 repose sur [traduction] « l’idée contre‑intuitive de mettre tous les éléments décrits dans un seul compartiment rempli de gaz ». Il est cependant difficile de comprendre en quoi l’idée de base de mettre des éléments de mise à la terre supplémentaires dans le compartiment du disjoncteur répond au problème énoncé par les inventeurs. En fait, selon la revendication 1 du brevet 772, la solution inventive consiste à dimensionner le compartiment du disjoncteur de façon à pouvoir y loger les éléments de mise à la terre. Nulle part dans le brevet n’est-il affirmé qu’il est inventif de mettre tous les éléments de mise à la terre à un même endroit; d’ailleurs, eu égard à l’art antérieur, une telle affirmation n’aurait pu être faite. L’endroit évident pour installer les éléments de mise à la terre se trouve directement sous le disjoncteur. La question de savoir si on avait en outre pu les isoler dans leur propre compartiment rempli de gaz n’est pas envisagée dans le brevet comme faisant partie du problème ou de sa solution.

 

[85]           Dans ses présentations finales à la cour, ABB a affirmé que l’état de la technique à l’époque pertinente pour les GIS moyenne tension était orienté vers les solutions à compartiments multiples qui séparaient le disjoncteur des éléments de mise à la terre de la cellule de départ. Selon cet argument, il était contre‑intuitif de mettre toutes ces pièces dans un seul compartiment rempli de gaz parce que l’utilisation d’espaces séparés comportait plusieurs avantages, le plus notable étant l’intégrité structurale. La solution à un seul compartiment pouvait également compromettre l’accès aux câbles de départ. ABB décrit la solution inventive offerte par le brevet 772 comme suit :

 

[traduction]

33.       Compte tenu de ce qui précède, les inventeurs ont montré qu’un ensemble d’appareillage GIS moyenne tension qui répond aux exigences du marché nord‑américain quant à l’isolation et à la mise à la terre des deux côtés du disjoncteur pouvait être fabriqué tout en conservant les dimensions externes. Le nouveau GIS moyenne tension qu’ils ont conçu répondait au besoin non comblé que les inventeurs ont reconnu, soit de conserver un ensemble compact. Il a été établi que les désavantages de l’instabilité et de la perte du compartiment des câbles étaient surmontables.

 

[86]           Le problème fondamental que soulève l’affirmation qui précède est que le brevet 772 ne traite ni des problèmes qu’ABB prétend avoir dû surmonter ni même d’aucun des obstacles techniques que l’entreprise affirme avoir rencontrés. Le brevet ne porte pas sur une solution technique unique aux problèmes d’intégrité structurale non résolus. De même, aucune solution à la réduction correspondante du compartiment des câbles n’est décrite. ABB a simplement réduit la taille de son compartiment des câbles et prétend maintenant que la perte d’espace était « surmontable ».

 

[87]           Cette démarche n’a rien surmonté du tout. Il s’agissait d’un compromis consistant à agrandir le compartiment du disjoncteur aux dépens du compartiment des câbles. ABB a simplement réarrangé son propre ensemble de GIS d’une façon qui soit acceptable pour le marché. Je ne doute pas qu’un certain nombre de problèmes techniques aient dû être résolus, mais il ne s’agit pas de l’objet du brevet 772.

 

[88]           Monsieur Leone a qualifié l’approche d’ABB au problème de dimensionnement dont traite le brevet 772 de [traduction] « divergence dramatique par rapport à l’état de la technique » et d’une approche à laquelle la personne versée dans l’art [traduction] ne « serait pas directement passée ». Monsieur Leone a ensuite affirmé que la personne versée dans l’art aurait [traduction] « d’abord envisagé, et réalisé sans difficulté, la mise en oeuvre une solution à compartiments multiples (voir au paragraphe 81 de son rapport en réponse). Ce témoignage ne concorde pas du tout avec l’art antérieur tel qu’il existait à l’époque. La disposition de multiples éléments dans un compartiment GIS commun, y compris les éléments de mise à la terre exacts auxquels renvoie le brevet 772, était déjà bien connue dans l’art antérieur. Le brevet de Tohya décrit un ensemble GIS qui intègre des disjoncteurs, des sectionneurs et des sectionneurs de mise à la terre dans un compartiment sous pression commun. La seule différence réside dans le fait que le système Tohya utilisait du gaz comprimé comme isolant au lieu du SF6. En contre‑interrogatoire, la tentative de M. Leone de distinguer ce brevet n’a pas été convaincante (voir à la page 629).

 

[89]           Le brevet d’Arioka décrit un ensemble GIS dans lequel un disjoncteur et un sectionneur à trois positions sont logés dans un compartiment rempli de gaz commun. Il est vrai que cet arrangement ne comprend pas de fonction de mise à la terre des câbles, mais il serait conforme à la revendication 1 si le sectionneur de mise à la terre des câbles était considéré comme non essentiel.

 

[90]           La combinaison d’un disjoncteur avec toute une série de différents éléments d’appareillage dans une capsule GIS commune était également bien connue d’ABB. Le témoignage de M. Hyrenbach a confirmé l’existence de plusieurs combinaisons d’éléments dans les ensembles GIS précédents d’ABB ainsi que la variation de la taille des compartiments remplis de gaz (voir aux pages 307, 327, 328 et 329). Ce témoignage établi qu’ABB faisait des modifications à la taille et à la configuration de ses compartiments GIS selon les besoins et compromet l’affirmation de M. Leone selon laquelle le brevet 772 représente une [traduction] « divergence dramatique » par rapport à l’art antérieur et aux propres pratiques de conception d’ABB.

 

[91]           Même M. Leone a concédé que l’on connaissait à l’époque la combinaison d’un disjoncteur avec d’autres appareillages dans un seul compartiment, y compris des transformateurs de courant (voir aux pages 630 et 631).

 

[92]           Je souscris à l’opinion de M. Molony selon laquelle modifier une capsule GIS afin de pouvoir y placer les éléments d’une technologie existante et reliée serait évident pour la personne versée dans l’art. La même chose est vraie pour l’idée de mettre le sectionneur de mise à la terre du disjoncteur et un sectionneur de mise à la terre des câbles dans le compartiment du disjoncteur. Comme l’affirme M. Molony, c’est l’endroit le plus évident où les placer. Monsieur Nilsson est arrivé à la même opinion au terme de son examen de plusieurs antériorités. Je suis d’accord M. Nilsson pour dire que mettre des sectionneurs et un disjoncteur dans un compartiment rempli de gaz commun [traduction] « est une astuce de conception bien connue », tout comme la nécessité d’agrandir le compartiment au besoin. Si le concepteur ne veut pas augmenter la dimension extérieure de l’ensemble, l’option évidente est de réduire l’espace intérieur attribué aux autres parties, en l’espèce l’espace attribué aux câbles de départ.

 

[93]           La preuve indique que l’invention revendiquée par ABB dans le brevet 772 n’avait rien d’approfondi. Monsieur Hyrenbach a reconnu qu’ABB n’a envisagé que deux options : mettre les éléments de mise à la terre supplémentaires dans un compartiment de disjoncteur agrandi ou dans deux compartiments remplis de gaz distincts. ABB a adopté la solution à un seul compartiment très rapidement. Elle a préparé un dessin pour le prototype à un seul compartiment, mais aucun dessin n’a été fait pour l’option à deux compartiments (voir à la page 304). Monsieur Hyrenbach a convenu que la décision d’aller de l’avant avec un seul compartiment était fondée sur des questions de coûts et de performance thermique (voir à la page 400). Il a également concédé que si les questions structurelles pouvaient être résolues, l’approche à un seul compartiment était préférable (voir pages 400 et 403). Une fois qu’il a été déterminé que le prototype à un seul compartiment était stable, ABB n’avait aucun besoin d’essayer quelque chose de différent (voir à la page 402). Je déduis de ce témoignage qu’il n’était pas contre‑intuitif d’adopter une approche à un seul compartiment. Au contraire, ABB considérait qu’il s’agissait de l’approche la plus souhaitable si les questions d’intégrité structurelle pouvaient être maîtrisées. Le témoignage de M. Hyrenbach contredit directement l’opinion que M. Leone exprime au paragraphe 64 de son rapport en réponse selon laquelle la personne versée dans l’art [traduction] « n’aurait pas été disposée à ajouter des éléments à un compartiment de disjoncteur dans un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension conçu pour le marché nord‑américain et n’aurait eu aucune raison de le faire » et qu’elle aurait plutôt « été portée et prédisposée à faire exactement le contraire ».

 

[94]           Monsieur Hyrenbach a fini par reconnaître que toutes les revendications dépendantes du brevet 772 étaient connues dans l’art antérieur. Il s’agit notamment de l’utilisation de disques limiteurs de pression (à la page 309), de la connexion d’un transformateur de tension à l’extérieur d’un GIS au moyen de connecteurs femelles (à la page 309), de l’utilisation d’un dispositif déclenché par surpression (à la page 424), de l’utilisation d’un compartiment basse tension contenant les mécanismes d’entraînement servant à la manœuvre des sectionneurs (à la page 424), de l’utilisation de divers verrouillages au sein des éléments de sectionnement (aux pages 223, 224 et 318), de l’utilisation de sectionneurs à contact glissant (aux pages 315 et 423), de l’utilisation de prises d’essai (à la page 310) et de l’utilisation de joints étanches avec les fenêtres d’observation (à la page 424). Monsieur Leone a de même reconnu cet art antérieur au cours d’un long échange en contre‑interrogatoire (voir aux pages 629 à 638).

 

[95]           ABB prétend prouver l’inventivité de la promesse du brevet 772 en faisant référence à un brevet similaire accordé à Hyundai qui vise à monopoliser un ensemble GIS moyenne tension de transfert de bus dans lequel le disjoncteur est enclos dans sa propre enceinte à isolation gazeuse. Cela représenterait une amélioration par rapport à une approche à une seule enceinte parce que le disjoncteur est complètement isolé du circuit de dérivation, ce qui facilite l’accès au disjoncteur sans perturber le circuit de dérivation indépendant.

 

[96]           Je ne pense pas que le brevet Hyundai appuie le brevet 772 d’une manière probante. La validité du brevet Hyundai ne peut pas être évaluée dans le cadre de la présente instance. Je m’en tiendrai à dire que toute tentative, de la part des parties, de monopoliser une technologie existante en vertu d’une différence de présentation risque d’être accueillie avec scepticisme.

 

[97]           ABB fait valoir que la simplicité ne fait pas obstacle à la brevetabilité et que le brevet peut se justifier par une « étincelle d’esprit inventif ». Elle s’appuie sur le fait que M. Leone juge les revendications du brevet 772 inventives, lorsque combinées les unes aux autres.

 

[98]           Je reconnais qu’une idée simple ou qu’une idée qui n’apporte qu’une petite contribution à l’édifice des connaissances existantes peut être inventive. Des combinaisons uniques de techniques existantes peuvent également donner lieu à un brevet. Toutefois, le simple fait de dresser une liste de caractéristiques bien connues et de les présenter comme des réalisations supplémentaires d’une revendication d’un brevet ne convertit pas une idée évidente à tous autres égards en une invention. L’inventivité d’une combinaison repose sur l’interaction ou la synergie des éléments, déjà connus ou non, qui, lorsqu’ils sont considérés comme un tout, créent un objet utile et nouveau. L’affirmation d’ABB et de M. Leone selon laquelle l’ajout de disques de rupture, de joints étanches, de moyens d’éclairage, de verrouillages, de mécanismes d’entraînement pour sectionneurs, de transformateurs et d’autres éléments connus dans des revendications dépendantes rend inexplicablement leurs « découvertes » inventives n’est pas fondée. Dans l’ensemble, les revendications dépendantes du brevet 781 et du brevet 772 décrivent des caractéristiques ou des dispositifs bien connus qui n’ont aucune relation fonctionnelle apparente avec le fonctionnement de l’invention revendiquée telle qu’elle est décrite dans les descriptions et exprimée dans les revendications indépendantes et elles n’ajoutent rien d’inventif à ces revendications.

 

Le brevet 772 – Contrefaçon

[99]           Les témoignages de MM. Kim et Nilsson permettent d’établir que les ensembles GIS de Hyundai vendus à BC Hydro ne comportent pas la caractéristique de mise à la terre des câbles. Comme il s’agit d’une composante essentielle de la revendication 1 du brevet 772, il n’y a pas de contrefaçon : voir l’arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 32.

 

Décision

[100]       Pour les motifs qui précèdent, l’action intentée par les demanderesses contre la défenderesse est rejetée. La demande reconventionnelle de la défenderesse est accueillie et les brevets 772 et 781 sont déclarés invalides.

 

[101]       Les parties me présenteront des arguments au sujet des dépens. La défenderesse disposera de deux semaines pour fournir des observations écrites, après quoi les demanderesses auront deux semaines pour y répondre. Les observations soumises ne doivent pas dépasser dix pages.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’action que les demanderesses ont intentée contre la défenderesse est rejetée. La demande reconventionnelle de la défenderesse est accueillie et les brevets 772 et 781 sont déclarés invalides.

 

LA COUR STATUE PAR AILLEURS que la question des dépens sera tranchée plus tard lorsque les parties présenteront leurs observations supplémentaires.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑735‑11

 

INTITULÉ :                                                  ABB TECHNOLOGY AG ET AUTRES
c
HYUNDAI HEAVY INDUSTRIES CO., LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Du 10 au 14 juin 2013 et
du 17 au 20 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 11 septembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Van Barr

Michael Crichton

Kiernan Murphy

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Alan Aucoin

Anthony Prenol

Sarah O’Grady

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson, s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Blake, Cassels & Graydon, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 



[1] Il convient de souligner que ces témoins n’ont pas été soumis à un contre‑interrogatoire pertinent sur le contenu de leurs rapports et que leur témoignage n’a pratiquement pas été contesté.

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