[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2013
En présence de madame la juge Mactavish
ENTRE :
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ELENA PAZIRAIE
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Ali Zahedi et son épouse, Elena Paziraie, demandent le contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’immigration refusant la demande de résidence permanente au Canada de M. Zahedi au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).
[2] M. Zahedi soutient qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale dans le traitement de sa demande de résidence permanente étant donné que l’agente a négligé de lui donner la possibilité de répondre à ses préoccupations concernant l’existence de son employeur et concernant ses fonctions. De plus, M. Zahedi soutient que la conclusion de l’agente, selon laquelle il n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il avait exercé les fonctions de directeur de la construction, est déraisonnable.
[3] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que M. Zahedi a bien été privé de son droit à l’équité procédurale en l’espèce étant donné qu’il n’a jamais eu la possibilité de dissiper les doutes découlant de la recherche indépendante menée par l’agente d’immigration sur l’existence de son employeur. Par conséquent, je fais droit à la demande.
Analyse
[4] M. Zahedi et son épouse sont des citoyens de l’Iran. M. Zahedi soutient avoir travaillé à titre de directeur de la construction pour l’entreprise Abadi-O-Tarh-O-Tadbir Consulting Engineers Co. Ltd. (Abadi-O-Tarh-O-Tadbir).
[5] M. Zahedi a demandé la résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) en avril 2010. Il a fait sa demande à titre de directeur de la construction, code 0711 de la Classification nationale des professions [la CNP], et a fourni des documents à l’appui de sa demande, dont des lettres de ses employeurs et des avis de constitution en personne morale et de résolution parus dans la Gazette de l’Iran pour Abadi‑O‑Tarh‑O‑Tadbir.
[6] M. Zahedi n’a jamais été invité à fournir des documents supplémentaires, pas plus qu’il n’a été interviewé en lien avec sa demande.
[7] Selon la lettre de décision, le refus repose sur l’incapacité de M. Zahedi à fournir suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il avait exercé les fonctions décrites dans l’énoncé principal du poste de directeur de la construction, ou qu’il avait exercé toutes les fonctions essentielles ainsi qu’un nombre considérable des fonctions principales de directeur de la construction. L’agente a également conclu que les fonctions décrites dans la lettre d’emploi de M. Zahedi ne correspondaient pas à la description du poste figurant dans la CNP.
[8] Je conviens avec le défendeur que l’agente d’immigration n’était pas tenue de s’adresser à M. Zahedi pour obtenir des renseignements supplémentaires concernant les fonctions de son poste. Il incombe au demandeur de visa de fournir suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il remplit les exigences applicables à la CNP. Les agents d’immigration ne seront pas tenus de demander des renseignements supplémentaires afin de permettre à un demandeur de visa de consolider une demande incomplète : Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 442, aux paragraphes 9 et 10. Le défaut de l’agente d’immigration de procéder ainsi en l’espèce ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale.
[9] Cependant, comme le souligne le défendeur, la lettre de refus doit être lue en corrélation avec les notes du Système mondial de gestion des cas [le SMGC], lesquelles constituent les motifs de l’agente. Il ressort des notes du SMGC que les lacunes dans les documents produits par M. Zahedi ne constituent qu’un des motifs pour le refus de la demande, ce qui n’apparait pas clairement dans la lettre de refus. L’agente avait manifestement une autre réserve relativement à la demande.
[10] Après avoir analysé la mesure dans laquelle les renseignements sur le poste fournis par M. Zahedi répondaient aux exigences de la CNP, l’agente a précisé dans les notes du SMGC [traduction] « Qui plus est, j’ai fait une recherche sur Internet concernant l’employeur [de M. Zahedi] […], et je n’ai trouvé aucun document, ce qui m’apparaît anormal ».
[11] Comme la Cour l’a souligné dans Talpur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 25, bien que l’obligation d’équité dont bénéficient les demandeurs de visa se situe à l’extrémité inférieure du registre, les agents des visas doivent communiquer leurs réserves se rapportant à l’authenticité ou à la crédibilité des éléments de preuve produits par les demandeurs : au paragraphe 21.
[12] Il est reconnu que l’agente n’a jamais fait part à M. Zahedi de ses préoccupations au sujet d’Abadi‑O‑Tarh‑O‑Tadbir afin de lui permettre de tenter d’y répondre. Voilà qui constitue un manquement à l’équité procédurale. M. Zahedi ne pouvait pas raisonnablement prédire que l’agente aurait des doutes à la suite de son incapacité à trouver un site Web relatif à son employeur et, par conséquent, n’a pas pu s’employer à l’avance à dissiper ces réserves dans les documents originaux relatifs à sa demande : Kuhathasan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 457, aux paragraphes 39 à 41.
[13] Le défendeur me presse de rejeter la demande parce que l’agente a conclu que M. Zahedi n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve relatifs à son expérience professionnelle et n’a pas démontré qu’il avait exercé les fonctions de directeur de la construction. Par conséquent, le défendeur soutient que les préoccupations de l’agente découlant de la recherche sur Internet sont essentiellement sans importance par rapport aux résultats.
[14] Ce n’est pas mon avis.
[15] Les préoccupations de l’agente relativement à l’existence de l’employeur présumé de M. Zahedi étaient sérieuses au point de figurer dans les notes du SMGC. De plus, le fait que l’agente a utilisé l’expression [traduction] « [q]ui plus est » dans son analyse des résultats de la recherche sur Internet indique que les préoccupations en question faisaient partie de ses motifs pour le rejet de la demande de visa.
[16] L’agente était manifestement sceptique quant à la légitimité de la demande de M. Zahedi à la lumière du fait que la recherche sur Internet n’a pas permis de trouver une mention de l’entreprise Abadi‑O‑Tarh‑O‑Tadbir. Nous ne savons pas dans quelle mesure ce scepticisme a eu une incidence sur l’analyse par l’agente de la demande tout entière.
[17] Il semble de plus, à partir de l’affidavit de M. Zahedi, que celui‑ci pouvait expliquer les raisons pour lesquelles il n’existait aucune trace de l’entreprise sur Internet. Même si l’agent des visas n’est pas tenu d’accepter l’explication, M. Zahedi a, à tout le moins, le droit de la faire valoir.
[18] Je n’accepte pas non plus l’observation du défendeur selon laquelle, même s’il y avait eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce, il n’y aurait rien à gagner en renvoyant la demande de M. Zahedi pour réexamen étant donné que l’intéressé n’a clairement pas établi qu’il répondait aux exigences du poste de directeur de la construction tel qu’il est décrit dans la CNP.
[19] En règle générale, un manquement à l’équité procédurale rend nulles l’audience et la décision qui en résultent : voir Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, [1985] ACS no 78. La Cour suprême a souligné dans Cardinal que le droit à une audition équitable doit être considéré comme « un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit » : au paragraphe 23. La Cour a précisé au même paragraphe « [i]l n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition ».
[20] Il existe une exception limitée à cette règle. Une cour de révision peut ne pas tenir compte d’un manquement à la justice naturelle « lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir » : Mobil Oil Canada Ltd. c Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, [1994] ACS no 14 (QL), au paragraphe 53. Voir aussi Yassine c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 172 N.R. 308, au paragraphe 9 (CAF). Une telle situation peut arriver lorsque, par exemple, les circonstances de l’affaire soulèvent un type particulier de question de droit, savoir une question pour laquelle il existe une réponse inéluctable : Mobil Oil, au paragraphe 52. Ce n’est pas le cas ici.
Conclusion
[21] Pour ces motifs, je fais droit à la demande de contrôle judiciaire. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève pas de question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire, et la demande de visa de M. Zahedi est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision.
Traduction certifiée conforme
Line Niquet
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-8481-12
INTITULÉ : ALI ZAHEDI ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 28 août 2013
ET JUGEMENT : LA JUGE MACTAVISH
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 3 septembre 2013
COMPARUTIONS :
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POUR LES DEMANDEURS |
Alexis Singer
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats
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POUR LES DEMANDEURS |
WILLIAM F. PENTNEY Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR |