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Cour fédérale

 

Federal Court

                                                                                                                           

 


Date : 20130809

Dossier : IMM-6514-12

Référence : 2013 CF 851

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 août 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

BORIS GVOZDENOVIC

KRISTINA GVOZDENOVIC

PAUL GVOZDENOVIC

LUKAS GVOZDENOVIC

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en conformité avec le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 5 juin 2012 (la décision), par laquelle la Section a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention et celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur principal (le demandeur) est un homme de 39 ans d’origine serbe, et les demandeurs secondaires sont son épouse et ses deux fils. Le demandeur et sa famille sont des citoyens de la Croatie.

[3]               Le demandeur est né et a grandi dans une petite ville de Croatie avec son épouse et ses deux fils. La ville compte environ 15 000 habitants et est située à [traduction] « peut-être 70 kilomètres » de Zagreb. En 2007, le demandeur est devenu membre du Parti social‑démocrate (le SDP), parce qu’il trouvait difficile de décrocher un emploi sans appartenir à un parti politique. Au début, le demandeur n’était pas intéressé par la politique, mais il aimait le programme du parti et appréciait le fait que celui-ci ne repose pas sur la nationalité.

[4]               Puis, le demandeur s’est mis à prendre une part de plus en plus grande aux activités du SDP. Il a commencé à avoir des problèmes avec ses amis et ses voisins, qui lui disaient que, s’il était un vrai croate, il adhérerait au Parti démocrate croate (le HDZ). Le demandeur est toutefois demeuré membre du SDP parce qu’il croyait en la démocratie et au système croate.

[5]               À l’occasion d’une réunion de l’association locale du SDP, en 2008, le demandeur a été élu président de l’association malgré ses protestations. Il a commencé à faire l’objet de gestes d’intimidation et de menaces croissants, qu’il a en partie attribués à son origine serbe. Les incidents en question consistaient en : des attaques personnelles et anonymes, des appels téléphoniques réguliers le menaçant de mort; deux attaques contre son épouse; la filature de son fils; et plusieurs animaux morts laissés sur le pas de leur porte avec des notes menaçant sa famille et lui-même de mort. Lorsque le demandeur s’est plaint à d’autres membres du SDP, ceux‑ci lui ont dit que c’était normal et qu’il ne devait pas abandonner. Le demandeur ne s’est pas adressé à la police parce que le chef de la police était un fier partisan du HDZ.

[6]               Le demandeur a tenté de démissionner de son poste de président, mais le parti a refusé sa démission, soulignant que tous ces incidents faisaient partie du combat politique. De peur qu’il soit reconduit dans ses fonctions aux prochaines élections et que le risque s’intensifie, le demandeur et sa famille se sont enfuis au Canada en juin 2011. À l’appui de sa demande d’asile, le demandeur a produit une lettre de son beau‑frère, confirmant son origine serbe, deux lettres de Zlata Kasaic et In Kutina, confirmant les attaques perpétrées contre lui et sa famille, et une lettre de Measki Mario, confirmant qu’il avait été élu président de l’association locale du SDP à Repusnica. La demande d’asile du demandeur a été entendue le 31 janvier 2012 et a été rejetée le 5 juin 2012.

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[7]               La SPR a invoqué plusieurs motifs pour rejeter la demande d’asile du demandeur, notamment « la crédibilité du témoignage des demandeurs d’asile, l’élément subjectif de la crainte fondée de persécution et l’élément objectif de cette crainte, à savoir par qui les demandeurs d’asile craignent d’être persécutés s’ils retournent en Croatie, de même que la protection offerte par l’État et la possibilité de refuge intérieur (PRI) [à Zagreb] ».

[8]               La SPR a mis en doute la crédibilité du demandeur et estimé qu’une grande partie de sa demande d’asile était invraisemblable. À cet égard, elle a souligné :

Le tribunal estime qu’il n’est pas crédible que le demandeur d’asile et son épouse aient prétendument fait l’objet de menaces proférées par des inconnus, pendant trois ans, et qu’ils n’aient fait aucun effort pour obtenir l’aide de la police ou toute autre forme d’aide pour trouver les auteurs desdites menaces. Le tribunal conclut que les éléments de preuve en l’espèce ne sont absolument pas dignes de foi ni crédibles et que, selon la prépondérance des probabilités, les incidents, tels que le demandeur d’asile les a décrits, n’ont jamais eu lieu, de sorte que le tribunal ne croit pas les allégations du demandeur d’asile en l’espèce.

 

 

[9]               La SPR a aussi souligné que le seul élément de preuve étayant l’origine serbe du demandeur était une lettre de son beau‑frère, indiquant que la famille s’était déclarée comme étant croate pendant la guerre et que l’origine serbe du demandeur d’asile n’a été révélée qu’après le mariage avec sa sœur. La SPR a souligné que le certificat de mariage du demandeur précise que le demandeur et son épouse sont de nationalité croate, et que si le demandeur portait un nom de famille serbe, la famille de son épouse aurait dû savoir avant le mariage qu’il était serbe.

[10]           En ce qui concerne la protection de l’État, la SPR a souligné au paragraphe 9 de la décision : « Il incombe au demandeur d’asile de réfuter la présomption de protection de l’État. En ne faisant pas d’efforts raisonnables pour obtenir une protection en Croatie, les demandeurs d’asile n’ont pas réussi à prouver de façon claire et convaincante que ce pays est incapable de protéger ses citoyens. » La SPR a aussi précisé que rien n’indique que le frère ou la mère du demandeur, qui vivent toujours dans la ville d’origine du demandeur, sont persécutés en raison de leur origine serbe.

[11]           La SPR a aussi conclu qu’il existait une PRI à Zagreb. Même si les éléments de preuve documentaire font état d’une certaine discrimination contre les minorités à Zagreb, la SPR ne croyait pas que les demandeurs s’exposeraient à un risque objectif de persécution dans cette ville. La SPR a conclu que rien n’indiquait que les demandeurs s’exposeraient à quelque difficulté que ce soit susceptible de rendre la PRI déraisonnable.

[12]           La SPR a conclu que la demande d’asile des demandeurs reposait sur une volonté de vivre une vie meilleure au Canada et qu’il ne s’agit pas d’un motif permettant d’accorder l’asile. La SPR, pour les motifs susmentionnés, a rejeté la demande d’asile des demandeurs fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi.

QUESTIONS EN LITIGE

[13]           Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes en l’espèce :

a.                   La SPR a‑t‑elle commis une erreur de droit en ne prenant pas en compte des éléments de preuve très corroborants à l’appui de la demande d’asile et qui auraient dû être pris en compte?

b.                  La SPR a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité parce qu’elle a tiré des conclusions déraisonnables concernant la vraisemblance et n’a pas pris en compte des éléments de preuve?

c.                   La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans sa conclusion relative à la PRI en interprétant incorrectement et en omettant de prendre en compte des éléments de preuve concernant le risque auquel serait exposé le demandeur à Zagreb?

 

NORME DE CONTRÔLE

[14]           La Cour suprême du Canada, dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, a soutenu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. En effet, si la norme de contrôle applicable à la question particulière dont elle est saisie est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la Cour entreprendra l’analyse des quatre éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

[15]           Il convient de faire preuve de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve par la SPR, et celle-ci est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Alhayek c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1126, au paragraphe 49). C’est pourquoi la première question en litige sera contrôlée selon la norme de la raisonnabilité.

[16]           Dans Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a soutenu que la norme de contrôle applicable aux conclusions concernant la crédibilité est celle de la raisonnabilité. De plus, dans Elmi c Canada (Ministre de la Citioyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a affirmé que les conclusions relatives à la crédibilité sont au cœur même du rôle du juge des faits de la SPR et doivent, par conséquent, être évaluées selon la norme de la raisonnabilité. Enfin, dans Aguilar Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, la juge Mary Gleason a soutenu, au paragraphe 9, que la norme de contrôle applicable à une conclusion concernant la crédibilité est la raisonnabilité. La deuxième question sera révisée selon la norme de la raisonnabilité.

[17]           L’existence d’une PRI est une question mixte de faits et de droit et est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Davila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1116, au paragraphe 26; Nzayisenga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1103, au paragraphe 25; MACP c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 81, au paragraphe 29). La question de la protection de l’État est également soulevée en l’espèce et elle est, comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale dans Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 36, susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Par conséquent, la raisonnabilité est la norme qui s’applique à la troisième question en litige.

[18]           Dans la révision d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[19]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[...]

 

Personne à protéger

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou  occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[...]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

[...]

 

Person in Need of Protection

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[...]

 

ARGUMENTS

Les demandeurs

            La SPR a-t-elle omis de prendre en compte des éléments de preuve corroborants?

 

[20]           La SPR a estimé que le témoignage du demandeur était invraisemblable parce que celui‑ci n’a fait aucune déposition à la police. Elle était toutefois saisie d’éléments de preuve allant au cœur de la demande d’asile du demandeur et était donc tenue de les prendre en compte et d’expliquer pourquoi elle ne l’a pas acceptés (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (1re inst.)).

[21]           La SPR était saisie de trois lettres corroborant le récit du demandeur et les menaces que la famille a reçues, mais elle n’a renvoyé qu’à l’une de ces lettres – celle du beau‑frère du demandeur confirmant que celui‑ci était serbe. Tous les autres documents corroborants confirmant les événements qui ont incité le demandeur à fuir la Croatie ont été complètement laissés de côté. La SPR ne peut pas simplement omettre ces éléments de preuve, et si elle n’avait pas foi en ceux‑ci, elle devait fournir des motifs valables pour les rejeter.

[22]           L’affaire est semblable à Terigho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 835, où la Cour a souligné aux paragraphes 9 et 10 :

Il existe en général une présomption selon laquelle un tribunal, par exemple un agent qui évalue une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, a tenu compte de toute la preuve à son dossier. Cependant, lorsque des éléments de preuve pertinents contredisent une conclusion du tribunal quant à une question essentielle, le tribunal a le devoir d’analyser ces éléments de preuve et d’expliquer dans sa décision pourquoi il ne les accepte pas ou pourquoi il leur préfère d’autres éléments de preuve portant sur cette question. Plus ces éléments de preuve sont pertinents, plus grande est l’obligation du tribunal d’expliquer les motifs pour lesquels il ne leur accorde pas de valeur probante : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (C.F. 1re inst.); Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236, 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).  

 

Indiscutablement, la preuve documentaire présentait une grande pertinence quant à l’authenticité du mariage. Lorsqu’on a demandé à l’agente, au cours du contre‑interrogatoire sur son affidavit, pourquoi elle n’avait pas mentionné les documents dans sa décision, elle a répondu, en substance, qu’ils ne représentaient qu’un seul élément de preuve et qu’elle préférait se fier aux entrevues personnelles avec les conjoints et à son appréciation de la cohérence de leurs réponses à ses questions. Il appert donc que l’agente a fait totalement abstraction des documents et a fondé sa décision uniquement sur l’opinion qu’elle s’est faite à la suite des entrevues. Je ne doute pas que les entrevues constituent un outil efficace pour démasquer les cas de fraude dans le traitement des demandes fondées sur des motifs humanitaires, mais le résultat de cet exercice ne libère pas l’agent de l’obligation d’analyser adéquatement les autres éléments de preuve. Son omission à cet égard constitue une erreur donnant lieu à révision.

 

 

[23]           Subsidiairement, si la Cour établit que la SPR a bel et bien pris en compte les éléments de preuve, le demandeur soutient que la SPR n’a pas fourni des motifs suffisants pour les rejeter. Il existe une présomption de véracité, et les conclusions défavorables relatives à la crédibilité doivent être énoncées en termes clairs et explicites. Comme il est souligné aux paragraphes 12 et 13 de Untel 2004 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 360 :

Tel qu’énoncé dans l’affaire Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1980] 2 C.F. 302, lorsqu’un demandeur jure que les allégations sont vraies, cela crée une présomption :

J’estime que la Commission a agi arbitrairement en mettant en doute, sans justes motifs, la véracité des déclarations sous serment du requérant susmentionnées. Quand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter ... En l’espèce, je ne vois aucune raison valable pour la Commission de douter de la sincérité des allégations susmentionnées du requérant.

 

Or, malgré la latitude qui lui est accordée dans l’appréciation de la crédibilité, la Commission a l’obligation de faire connaître toutes conclusions défavorables quant à la crédibilité en « termes clairs et explicites » (voir Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no. 228). Ceci comprend normalement l’obligation de donner des exemples ou des illustrations de motifs afin d’expliquer pourquoi le témoignage du demandeur n’est pas accepté tel qu’élaboré dans Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no. 1256.

[24]           Le demandeur soutient que la SPR n’a pas fourni de motifs suffisants pour rejeter ses éléments de preuve.

            Crédibilité

[25]           Qui plus est, en l’espèce, la SPR n’a pas refusé de croire le demandeur en raison des contradictions dans ses témoignages ou de son comportement, mais a fondé ses conclusions défavorables quant à la crédibilité uniquement sur l’invraisemblance de son récit. La Cour a affirmé dans Pulido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 209, au paragraphe 37 :

Cet argument soulève plusieurs problèmes. Tout d’abord, il est bien établi que lorsque la Commission tire des conclusions relatives à la vraisemblance, elle doit agir avec prudence, et que de telles conclusions ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents, par exemple lorsque les faits sortent tellement de l’ordinaire que le juge des faits peut raisonnablement conclure qu’il est impossible que l’événement en question se soit produit, ou lorsque la preuve documentaire dont dispose le tribunal démontre que les événements n’ont pas pu se produire de la façon dont l’affirme le demandeur : voir Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 875, 2003 CFPI 653, au paragraphe 24. Ce n’est simplement pas le cas en l’espèce.

 

 

[26]           La SPR a jugé invraisemblable que le demandeur ne porte pas plainte auprès de la police, mais le demandeur a clairement expliqué qu’il lui aurait été inutile de demander l’aide de la police parce que les responsables sont noyautés par le HDZ. La SPR a soutenu que le demandeur aurait dû s’adresser à des instances supérieures, mais ne lui a pas posé de questions en ce sens. Par conséquent, cette conclusion était déraisonnable.

[27]           De plus, le demandeur a indiqué que les agresseurs l’avaient menacé de graves représailles si son épouse ou lui‑même s’adressaient à la police. La SPR n’a pas du tout pris en compte cette explication. Elle a estimé que le demandeur aurait dû se plaindre auprès des responsables locaux du SDP, mais celui-ci a affirmé qu’il l’avait fait et que cette démarche n’avait rien donné. La conclusion de la SPR était erronée à cet égard.

 

 

Possibilité de refuge intérieur

[28]           La SPR a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à des risques à Zagreb, ville située à des « kilomètres » de celle où il vivait. Le demandeur a affirmé qu’il ne pouvait pas aller à Zagreb parce qu’il craignait d’y être persécuté en raison de son origine serbe, et que son nom de famille est manifestement serbe. La SPR a souligné que le seul élément de preuve concernant l’origine ethnique du demandeur figurait dans la lettre du beau‑frère, et que si son nom de famille était manifestement serbe, l’origine ethnique du demandeur aurait été révélée bien avant son mariage.

[29]           Le demandeur soutient que la SPR a mal compris la lettre de son beau‑frère. Le beau‑frère n’a pas écrit qu’il n’avait appris uniquement après le mariage que le demandeur était d’origine serbe, mais bien que des gens avaient commencé à lui poser des questions sur le demandeur qu’après le mariage. Par conséquent, le demandeur soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas serbe ou manifestement serbe est erronée. Le demandeur souligne qu’il a fourni de solides éléments de preuve de vive voix concernant son origine ethnique, que la SPR se devait de prendre en compte.

[30]           La SPR a aussi conclu que, parce que la famille du demandeur n’était pas persécutée, il ne serait pas non plus persécuté. Cependant, le demandeur a affirmé que son frère était constamment victime de discrimination dans l’emploi parce qu’il est serbe. Surtout, le demandeur a affirmé que les problèmes qu’il a connus étaient attribuables au fait qu’il était serbe, certes, mais aussi parce qu’il était un activiste serbe. La SPR devait mener une appréciation fondée sur ces éléments de preuve, et si elle a choisi de ne pas croire ceux‑ci, elle devait fournir des motifs à cet égard.

[31]           La SPR disposait d’éléments de preuve concernant la PRI selon lesquels elle n’était pas raisonnable en raison de l’origine ethnique du demandeur, mais aussi en raison du fait que celui‑ci menait des activités politiques et était connu dans toute la Croatie. Il était loisible à la SPR de rejeter ces éléments de preuve, mais elle ne pouvait pas tout simplement ne pas les prendre en compte.

Le défendeur

            Crédibilité

[32]           Le défendeur soutient que la conclusion de la SPR, selon laquelle il n’était pas vraisemblable que le demandeur n’ait pas demandé d’aide pendant plus de trois années d’attaques et de menaces, était raisonnable. Cette conclusion était fondée sur la preuve documentaire, sur le bon sens et la raison.

[33]           La SPR a examiné les éléments de preuve documentaire concernant le SDP, selon lesquels le parti exerçait une certaine influence en Croatie. Il était par conséquent raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur rapporte les incidents en question auprès d’une personne d’influence. Le demandeur a soutenu, à tort, que la SPR a conclu qu’il ne s’était pas plaint auprès de l’association locale du SDP, tandis qu’elle a en fait conclu que le demandeur ne s’était pas plaint auprès du maire de la ville ou d’une autre personne d’influence. Pour cette raison, le défendeur soutient que la SPR n’a pas commis d’erreur.

[34]           Qui plus est, les gestes posés par le demandeur ne correspondent pas, loin s’en faut, à ce à quoi on s’attendrait raisonnablement. Le demandeur et sa famille prétendent avoir fait l’objet de multiples attaques et reçu des menaces sérieuses. Le demandeur a soutenu qu’il craignait vraiment pour la sécurité de sa famille, mais il est resté en poste et a attendu deux ans pour agir, malgré les menaces et les attaques continues. Le comportement du demandeur est contraire au sens commun et à la raison, et il est loisible à la SPR de rejeter des éléments de preuve s’ils ne sont pas compatibles avec les probabilités qui ressortent du dossier tout entier (Araya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 626, au paragraphe 6).

[35]           La SPR est censée avoir pris en compte tous les éléments de preuve et n’est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve dans sa décision (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 946 (CA)). Il n’était pas nécessaire que la SPR mentionne les lettres produites par le demandeur; la SPR a conclu que le fait que le demandeur n’a pas fait d’efforts pour obtenir une protection minait sa crédibilité au point où elle a jugé que les incidents ne s’étaient jamais produits. Étant donné qu’elle ne croyait pas que les événements s’étaient produits comme le prétendait le demandeur, les lettres n’étaient pas suffisamment importantes pour être mentionnées dans la décision.

Possibilité de refuge intérieur

[36]           Le demandeur soutient que la SPR a mal interprété la lettre de son beau‑frère, mais la lettre dit que ce n’est qu’après le mariage que des amis ont commencé à poser des questions sur l’origine ethnique du demandeur et que le beau‑frère a appris que le demandeur était serbe que lorsque celui‑ci le lui a dit. Cela suppose que son beau‑frère n’a pas constaté que le demandeur était serbe à partir de son nom de famille. Pour cette raison, le défendeur soutient que l’interprétation de la SPR selon laquelle la famille de l’épouse du demandeur n’était pas au courant de l’origine ethnique du demandeur est raisonnable.

[37]           Quoi qu’il en soit, la SPR a aussi conclu que le demandeur ne serait pas persécuté. Rien ne prouve que son frère et sa mère qui vivent dans sa ville d’origine sont persécutés pour leur origine serbe. Le demandeur soutient que la SPR a écarté son témoignage selon lequel son frère était victime de discrimination dans l’emploi en raison de son origine serbe, mais la SPR a conclu qu’il n’y avait aucune preuve de persécution. Le demandeur n’a pas démontré que les problèmes d’emploi de son frère atteignaient le niveau de la persécution.

[38]           Le défendeur souligne aussi que le demandeur n’a pas produit d’éléments de preuve selon lesquels, parce qu’il a mené des activités politiques et qu’il est serbe, il ferait l’objet de persécution à Zagreb et dans toute la Croatie. Par conséquent, il était raisonnable que la SPR aborde la demande d’asile du demandeur uniquement du point de vue de son origine ethnique.

[39]           Le défendeur souligne que la conclusion relative à une PRI est déterminante dans une demande d’asile. Étant donné que le demandeur n’a pas démontré que la conclusion de la SPR relativement à une PRI était déraisonnable, la question permet de trancher le présent contrôle judiciaire.

La réplique du demandeur

[40]           Le demandeur souligne que la seule conclusion relative à la crédibilité tenait au fait qu’il n’était pas vraisemblable qu’il ne demande pas aux autorités de le protéger. Cependant, la situation a été expliquée en détail pendant l’audience. Le demandeur réaffirme que la SPR n’a pas pris en compte des éléments de preuve et a tiré des inférences déraisonnables.

[41]           Le défendeur soutient que la conclusion de la SPR relative à une PRI est raisonnable; cette conclusion reposait toutefois sur le fait qu’on ne se rendrait pas compte que le demandeur est serbe. Le demandeur soutient qu’il n’était pas raisonnablement loisible à la SPR de tirer une telle conclusion et que, par conséquent, la conclusion sur la PRI est déraisonnable.

[42]           Qui plus est, la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à des difficultés à Zagreb contredit la conclusion de la SPR selon laquelle les serbes sont victimes de discrimination en Croatie.

ANALYSE

[43]           L’avocate des demandeurs soutient que la seule véritable question en litige en l’espèce est la crédibilité et que, si la SPR avait trouvé.les demandeurs crédibles, toutes les autres conclusions auraient été différentes. Je ne crois pas qu’une analyse juste et raisonnable de la décision puisse étayer cette position. Selon le paragraphe 6 de la décision, les « questions déterminantes » sont manifestement :

a.                   La crédibilité;

b.                  L’élément subjectif de la crainte fondée de persécution et l’élément objectif de cette crainte;

c.                   La protection de l’État;

d.                  La PRI

La SPR a fourni une analyse distincte pour chacune de ces questions. La PRI fait l’objet d’une section distincte, mais les paragraphes 8 et 9 portent sur la protection de l’État et contiennent des conclusions claires et distinctes sur cet élément.

 

[44]           Le fait que les demandeurs n’aient pas demandé d’être protégés face à des menaces sérieuses pendant trois ans a amené la SPR à douter de leur crédibilité, mais le fait qu’ils ne se soient pas adressés à la police, étant donné les autres éléments de preuve à ce sujet, signifiait aussi qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

[45]           L’analyse de la protection de l’État effectuée par la SPR est brève mais, étant donné que les demandeurs n’ont pas renvoyé à des éléments de preuve sur le sujet dans des observations soumises après l’audience, l’analyse est suffisamment transparente et peut se justifier.

[46]           La SPR a analysé comme il se devait les raisons avancées par le demandeur pour expliquer  pourquoi il n’avait rien fait pour obtenir une protection après trois années de menaces sérieuses. Je ne peux pas affirmer que l’analyse de la protection de l’État contient une erreur susceptible de révision rendant celle‑ci incompatible avec les principes énoncés dans Dunsmuir.

[47]           De plus, je ne suis pas convaincu que l’analyse de la PRI est déraisonnable. Même si la SPR avait commis une erreur sur la question de savoir si le demandeur serait facile à reconnaître à titre de serbe (et les éléments de preuve ne sont pas clairs à cet égard), rien n’indiquait que les membres de sa famille en Croatie sont persécutés ou qu’il serait une cible à Zagreb s’il cessait ses activités politiques (ce qu’il prétend vouloir faire). Les menaces qu’il a reçues étaient attribuables au poste occupé (ses activités auprès du SDP), et il n’occupe plus ce poste.

[48]           Globalement, je ne peux pas trouver d’erreur susceptible de contrôle dans les conclusions relatives à la protection de l’État ou celles relatives à une PRI. À mon avis, ces conclusions se tiennent à titre de motifs subsidiaires aux questions entourant la crédibilité. J’estime donc qu’il n’y a pas lieu d’évaluer les arguments des demandeurs concernant la crédibilité.

[49]           Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et c’est aussi l’avis de la Cour.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6514-12

 

INTITULÉ :                                      BORIS GVOZDENOVIC ET AUTRES c MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 2 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 9 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LES DEMANDEURS

Sophia Karantonis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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