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Date : 20130823

Dossier : IMM-9710-12

Référence : 2013 CF 898

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 août 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

JOHN JAIRO MARTINEZ GONZALEZ

PAOLA DEYANIRA MONTOYA MAHECHA

LAURA SOFIA PEREIRA MONTOYA

 

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs demandent à la Cour d’infirmer une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a refusé d’accorder aux demandeurs, des citoyens de la Colombie, la protection prévue à l’article 96 et au paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Pour les motifs qui suivent, leur demande est accueillie et la décision de la Commission est infirmée.

 

Contexte

[2]               John Jairo Martinez Gonzalez est un éditeur en Colombie. Paola Deyanira Montoya Mahecha est sa conjointe de fait, et Laura Sofia Pereira Montoya est la fille de cette dernière. 

 

[3]               Le 26 mai 2010, un inconnu a demandé à M. Gonzalez de publier un livre sur l’histoire des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), un dangereux groupe de guérilla colombienne. Devant le refus de l’homme de se soumettre à certaines exigences prévues par la loi, M. Gonzalez a refusé de publier le livre.

 

[4]               Le 10 juin 2010, l’homme s’est à nouveau rendu à l’entreprise de M. Gonzalez pour demander à ce dernier de publier son livre. M. Gonzalez a encore une fois refusé, après quoi l’homme a proféré des menaces contre lui et sa famille.

 

[5]               En raison de ces menaces, les demandeurs sont restés chez eux et n’ont pas répondu au téléphone pendant plusieurs jours. Le 18 juin 2010, ils se sont installés dans la maison d’un ami, et ils ont attendu dix jours avant de retourner chez eux.

 

[6]               Le 6 juillet 2010, les demandeurs, souhaitant quitter la Colombie, ont présenté des demandes de visas canadiens. Le 16 juillet 2010, M. Gonzalez a informé le coordonnateur de l’unité de lutte contre le terrorisme du bureau du procureur général en Colombie des menaces qu’il avait reçues le 10 juin 2010. Le coordonnateur a dit à M. Gonzalez qu’il souhaitait qu’il participe à l’enquête en incitant l’auteur des menaces à se manifester à nouveau, en vue d’obtenir plus de renseignements à son sujet. Le coordonnateur a également dit à M. Gonzalez que quelqu’un communiquerait avec lui le lundi suivant. Personne n’a tenté de prendre contact avec M. Gonzalez.

 

[7]               Le 26 juillet 2010, M. Gonzalez a de nouveau signalé les menaces, cette fois au directeur de l’unité GAULA de l’armée nationale de la Colombie, qui se consacre à la lutte contre les enlèvements et l’extorsion. Le directeur a accepté d’enquêter et, à l’instar du coordonnateur, il souhaitait se servir de M. Gonzalez pour piéger l’auteur des menaces, afin qu’il se manifeste de nouveau et qu’il puisse être identifié.

 

[8]               Le 3 août 2010, une lettre de menaces rédigée par les FARC a été déposée à l’entreprise de M. Gonzalez. Les demandeurs ont fui la Colombie 20 jours plus tard, le 23 août 2010. Ils ont présenté des demandes d’asile le 26 août 2010.

 

[9]               La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Il a été déterminé que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État. La Commission a conclu que la Colombie avait fait d’importants progrès dans la lutte contre les activités des FARC, qu’elle s’était dotée de structures efficaces pour enquêter sur les activités des FARC et pour s’y attaquer, et que les demandeurs en l’espèce, bien qu’ils aient initialement fait appel aux mécanismes de protection de l’État, n’ont pas accordé assez de temps ni fourni suffisamment de renseignements à l’État pour qu’il puisse offrir sa protection.

 

Question en litige

[10]           La seule question en litige est la raisonnabilité de la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption d’existence d’une protection adéquate de l’État en Colombie pour les civils ciblés par les FARC.

 

Analyse

[11]           L’élément de preuve le plus convaincant concernant l’absence de protection adéquate de l’État est un rapport rédigé par M. Chernick :

[traduction]

L’État colombien est incapable de protéger les personnes qui ont été ciblées, qu’il s’agisse de communautés contraintes de se déplacer en Colombie ou de personnes menacées d’enlèvement, d’extorsion ou de mise à mort extrajudiciaire. Presque toutes les atteintes aux droits de la personne en Colombie sont commises impunément. [Non souligné dans l’original.]

 

[12]           Dans le même rapport, il est souligné que [traduction] « en 2009 [...] la menace avec laquelle doivent composer les personnes qui ont été ciblées par les FARC, les paramilitaires ou les acteurs étatiques sans scrupules ne s’est pas dissipée; dans certains cas, les dangers et les risques se sont accentués » et [traduction] « les opérations militaires fructueuses lancées contre les FARC en 2008 ont affaibli ces dernières, sans pour autant que cela se traduise par une diminution des risques pour les personnes qui ont été ciblées directement par les FARC ». [Non souligné dans l’original.] La Commission a cité un passage de ce rapport, mais elle ne fait aucune mention du passage qui précède, parce qu’elle ne s’est pas penchée sur la protection de l’État eu égard aux risques particuliers avec lesquels devaient composer les demandeurs du fait qu’ils avaient été ciblés.

 

[13]           Le juge Shore s’est récemment penché sur une demande très semblable à celle qui nous intéresse, dans Avila Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1291 [Avila]. Cette décision n’a pas été mentionnée par l’une ou l’autre des parties, mais la Cour l’a portée à leur attention et, après l’audience, elle a reçu des observations écrites concernant sont applicabilité.

 

[14]           Dans la décision Avila, le juge Shore s’est penché essentiellement sur les mêmes éléments de preuve concernant la Colombie que ceux ayant été présentés à la Commission dans la présente espèce, y compris le rapport de M. Chernick. Eu égard à la protection de l’État, le juge Shore conclut, au paragraphe 41 de sa décision, que « [l]a demanderesse principale a présenté des rapports clairs et convaincants provenant de sources dignes de foi, lesquels semblent démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la Colombie ne peut protéger les personnes ciblées par les forces paramilitaires ». [Non souligné dans l’original.]

 

[15]           Aux paragraphes 43 et 44, le juge Shore conclut ce qui suit :

Il n’était pas raisonnable pour la SPR de conclure que les efforts de la Colombie pour lutter contre la criminalité l’emportaient sur la preuve des violations des droits de la personne commises par les forces paramilitaires. La SPR soutient qu’elle a apprécié la preuve sur la situation du pays avant de conclure à l’existence d’une protection de l’État adéquate et efficace :

[32] ...] La Commission reconnaît que la preuve documentaire, constituée à partir de différentes sources, comporte certaines incohérences; toutefois, la prépondérance des éléments de preuve objectifs qui traitent des conditions actuelles en Colombie donne à penser que la protection offerte par l’État aux victimes d’actes criminels y est adéquate, même si elle n’est pas parfaite, que la Colombie s’efforce sérieusement d’enrayer les problèmes de criminalité et que les policiers sont prêts à aider les victimes et capables de le faire. En outre, il ressort de la preuve que les efforts faits par l’État pour s’attaquer aux problèmes de criminalité se sont avérés efficaces.

La preuve prépondérante versée au dossier et le CND tendent à indiquer le contraire : la Colombie ne peut pas protéger de façon efficace les personnes ciblées par les forces paramilitaires. [Non souligné dans l’original.]

 

[16]           Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, la Commission s’est penchée sur la protection de l’État de façon générale, mais elle n’a pas examiné les circonstances propres aux demandeurs, c’est‑à‑dire le fait que ces derniers avaient été ciblés directement par les FARC. Ce faisant, la Commission a commis une erreur susceptible de révision : Flores Alcazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 173. Pour cette raison, la décision doit être infirmée.

 

[17]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a soumis de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : La demande est accueillie. La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de personnes à protéger au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, est infirmée. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9710-12

 

 

INTITULÉ :                                      JOHN JAIRO MARTINEZ GONZALEZ ET AL c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 août 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 août 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alla Kikinova

 

 

                   POUR LES DEMANDEURS

Jane Stewart  

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHAEL LOEBACH     

Avocat        

London (Ontario)

 

                   POUR LES DEMANDEURS

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                     POUR LE DÉFENDEUR

 

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