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Date: 20130828

Dossier : T-2124-12

Référence : 2013 CF 909

ENTRE :

 

PIERRETTE CONNELLY

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

SOCIÉTÉ DE COMMUNICATION ATIKAMECKW-MONTAGNAIS

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

              MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE de MONTIGNY

 

[1]               La demanderesse se pourvoit, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, à l’encontre d’une décision prise par l’arbitre François G. Fortier le 29 octobre dernier rejetant sa plainte de congédiement injustifié au motif qu’elle n’avait pas été congédiée mais licenciée en raison de l’abolition de son poste. 

 

[2]               À la suite de l’audition de cette demande de contrôle judiciaire le 11 juillet dernier, j’ai indiqué aux parties que la demande était accueillie et que le dossier serait retourné à un autre arbitre pour qu’il se prononce de nouveau sur la plainte. Ce qui suit constitue mes motifs pour en arriver à une telle décision.

 

Les faits

[3]               La demanderesse, Mme Pierrette Connelly, a été à l’emploi de la Société de communication Atikamekw-Montagnais (SOCAM) de 1994 à 2011. La SOCAM est une organisation à but non lucratif dont la mission est de développer les communications médiatiques au sein de diverses communautés atikamekw et innu. La demanderesse a occupé les postes de commis de bureau et de réceptionniste avant d’être nommée chargé de projet en 2006.

 

[4]               La preuve révèle que les relations entre la demanderesse et le directeur général, M. Bernard Hervieux, étaient tendues au moins depuis le mois de juin 2002. La défenderesse a même offert un montant d’argent à la demanderesse pour qu’elle quitte volontairement son emploi neuf mois avant d’abolir son poste.

 

[5]               Le 18 février 2011, le conseil d’administration de la SOCAM a décidé, par le biais d’une résolution, d’abolir le poste de chargé de projet. Ladite résolution se lit comme suit :

ATTENDU QUE la direction générale a procédé à une analyse interne des besoins et des ressources actuels et futurs de la SOCAM;

 

ATTENDU QUE dans le cadre de cette analyse et en considération des finances de la SOCAM, il s’avère que le poste de chargé de projet n’est plus viable ni justifié au sein de l’organisation et qu’une restructuration s’impose;

 

ATTENDU QUE les administrateurs ont considérés [sic] les différentes options et jugent appropriés et nécessaires [sic] l’abolition du poste de chargé de projet;

 

EN CONSÉQUENCE, SUR PROPOSITION DÛMENT PROPOSÉE ET APPUYÉE, IL EST RÉSOLU :

 

1.         d’abolir le poste de chargé de projet au sein de la SOCAM;

2.         d’autoriser directeur général à prendre les moyens et les démarches nécessaires afin d’abolir le poste de chargé de projet conformément aux règles applicables;

 

[…]

 

[6]               Le 28 février 2011, M. Hervieux informe donc par écrit la demanderesse que son poste est aboli et qu’elle est licenciée le jour même. La portion pertinente de cette lettre est à l’effet suivant :

Par la présente, veuillez prendre avis que nous avons décidé d’abolir ton poste de chargé de projet et par conséquent de mettre définitivement fin à ton lien d’emploi au sein de la SOCAM.

 

Le présent avis de licenciement résulte de la décision du conseil d’administration de procéder à une certaine restructuration administrative au sein de l’organisation par laquelle le poste de chargé de projet a été aboli.

 

Cette décision est effective immédiatement.

 

En effet, après analyse, il appert malheureusement que ton poste n’est plus justifié ni viable compte tenu du financement, des besoins et des ressources de la SOCAM actuels et futurs ainsi que des objectifs et fonctions liés au poste de chargé de projet.

 

Par conséquent, j’ai l’autorisation et le mandat de déterminer avec toi les modalités en ce qui a trait aux sommes auxquelles tu as droit en vertu de nos politiques internes et de la Loi (préavis, indemnité de départ et vacances).

 

[…]

 

[7]               Le 1er avril 2011, la demanderesse a déposé une plainte de congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC (1985), ch L-2 (le « Code »).

La décision contestée

[8]               L’audition devant l’arbitre s’est tenue les 14 mars et 4 avril 2012. Lors de ces deux journées, l’arbitre a entendu le témoignage de la demanderesse, de M. Bernard Hervieux et de Mme Johanne Dionne, responsable des finances de la SOCAM. Les témoignages entendus par l’arbitre n’ont pas été enregistrés. 

 

[9]               L’arbitre a rendu sa décision le 29 octobre 2012. Appliquant le paragraphe 242(3.1)a) du Code, en vertu duquel l’arbitre ne peut procéder à l’instruction d’une plainte lorsque le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste, il a rejeté la plainte de la demanderesse pour le motif que cette dernière n’a pas été congédiée mais licenciée en raison de la suppression d’un poste. L’analyse de l’arbitre est brève et tient dans les quelques paragraphes reproduits ci-dessous :

IV. DÉCISION ET MOTIFS :

 

Il s’agit pour l’arbitre de déterminer si PIERRETTE CONNELLY a été victime d’un congédiement injuste comme elle le prétend ou si l’employeur a procédé à l’abolition de son poste.

 

Après analyse de la preuve, des différents témoignages entendus et des autorités soumises, je suis d’avis que PIERRETTE CONNELLY n’a pas été victime d’un congédiement injuste de la part de l’employeur, elle a été licenciée suite à l’abolition de son poste.

 

En conséquence, l’arbitre ne peut procéder à l’instruction de sa plainte.

 

J’en viens à cette conclusion pour les principaux motifs qui suivent.

 

Il ne s’agit pas ici de l’abolition fictive d’un poste.

 

Des témoignages entendus, rien ne permet à l’arbitre de supposer que l’employeur était de mauvaise foi en abolissant le poste de chargé de projet comme il l’a fait.

 

La preuve a démontré que l’employeur a procédé à la réorganisation des tâches afin de répartir les montants d’argent entre les différents postes et services.

 

Il s’agit strictement d’un droit de gérance de l’employeur de décider comment les montants d’argent sont répartis entre les différents postes et services.  Dans le présent cas, ceci a été fait de façon à rééquilibrer les finances de l’entreprise qui était dans une situation difficile.

 

Questions en litige

[10]           Trois questions doivent être tranchées dans le cadre du présent litige :

a)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

b)      L’arbitre a-t-il commis une erreur susceptible de révision dans son interprétation de l’article 242(3.1)a) du Code?

 

c)      L’arbitre a-t-il tiré des conclusions de faits déraisonnables?

 

Analyse

 

a)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

[11]           Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique à la seconde question en litige, et je suis du même avis. Il est bien établi que la retenue s’impose lorsque le contrôle judiciaire porte sur des questions de fait. Dans de tels cas, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, ou encore si la justification de la décision et la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel sont déficientes : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47 et 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Stirbys c Assemblée des Premières Nations, 2011 CF 42 au para 14, [2011] ACF no 66 (QL); Ocean Services Ltd c Guenette, 2010 CF 188 au para 24. [2010] ACF no 214 (QL) [Ocean Services ]; Kassab c Bell Canada, 2008 CF 1181 au para 28, [2008] ACF no 1503 (QL).

 

[12]           Les parties ne s’entendent pas, cependant, sur la norme de contrôle applicable à la première question en litige. La demanderesse soutient que l’interprétation du paragraphe 242(3.1) du Code est une question de droit qui touche à la compétence de l’arbitre et qu’elle doit par conséquent être révisée en fonction de la norme de la décision correcte. Le défendeur, pour sa part, insiste sur l’expertise de l’arbitre et sur le fait que l’interprétation de ce paragraphe est au cœur même de son mandat pour démontrer que la norme applicable doit plutôt être celle de la raisonnabilité. Sur ce point, je suis d’avis que la position du défendeur doit prévaloir.

 

[13]           Il est vrai que la jurisprudence a quelque peu fluctué sur cette question. La demanderesse s’est notamment appuyée sur l’arrêt Ocean Services, précité, dans le cadre duquel le juge Mandamin a appliqué la norme de la décision correcte à la question de savoir si l’arbitre avait erré en concluant qu’il avait compétence pour entendre la plainte de congédiement du défendeur, au motif qu’il s’agissait d’une question de compétence. D’autres jugements, pour la plupart antérieurs à l’arrêt Dunsmuir, précité, vont également dans ce sens : voir, entre autres, Widrig c Regroupement Mamit Innuat Inc, 2007 CF 1224 au para 25, [2007] ACF no 1582 (QL); Première Nation des Waywayseecappo c Cooke, 2010 CF 101 au para 17, [2010] ACF no 91 (QL); Thomas c Bande indienne Crie d’Enoch, 2003 CFPI 104 au para 31, [2003] ACF no 153 (QL); conf par 2004 CAF 2, [2005] ACF no 3 (QL); Perswain c Manitoba Assn of Native Fire Fighters Inc., 2003 CFPI 364 au para 22, [2003] ACF no 533 (QL).

 

[14]           Je m’estime cependant lié par la décision plus récente de la Cour d’appel fédérale sur cette même question dans l’arrêt Banque Canadienne Impériale de Commerce c Muthiah, 2011 CAF 276 au para 4, [2011] ACF no 1426 (QL). À cette occasion, la Cour a clairement indiqué que l’interprétation de l’article 242(3.1) par un arbitre est révisable en fonction de la norme de la décision raisonnable. Cette décision m’apparaît d’ailleurs tout à fait conforme à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 RCS 471, où la plus haute cour a précisé sa pensée sur ce qu’il faut entendre par une question de compétence. À cette occasion, la Cour écrivait :

18. L’arrêt Dunsmuir reconnaît que la norme de la décision correcte continue de s’appliquer aux questions constitutionnelles, aux questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, ainsi qu’aux questions portant sur la « délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents » (par. 58, 60-61); voir également l’arrêt Smith c Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, par. 26, le juge Fish. La norme de la décision correcte vaut aussi pour les questions touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité. À cet égard, la Cour se distancie expressément des définitions larges de la compétence de façon qu’une question se rapportant à celle-ci se pose uniquement lorsque le tribunal administratif « doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question » (par. 59; voir également l’arrêt United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c Calgary (Ville), 2004 CSC 19, [2004] 1 R.C.S. 485, par. 5).

 

Voir aussi : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 au para 30, [2011| 3 RCS 654.

 

[15]           En l’occurrence, nous ne sommes clairement pas en présence d’une véritable question de compétence telle que décrite par la Cour suprême dans les jugements précités. Il est clair que le législateur a confié à l’arbitre le pouvoir de déterminer si un plaignant a été licencié ou plutôt congédié. Il s’agit à n’en pas douter d’une question de droit qui concerne l’interprétation de la loi constitutive d’où l’arbitre tire son mandat. Qui plus est, le Code comporte une clause privative étanche à l’article 243 qui témoigne de l’intention du Parlement de mettre les décisions prises par des arbitres à l’abri des tribunaux sauf dans les cas les plus clairs d’abus ou d’excès de compétence. Par conséquent, la première question doit également être analysée en appliquant la norme de la décision raisonnable.

 

b)      L’arbitre a-t-il commis une erreur susceptible de révision dans son interprétation de l’article 242(3.1)a) du Code?

 

[16]           Le paragraphe 242(3.1)a) prévoit deux circonstances dans lesquelles l’arbitre doit s’abstenir de procéder à l’instruction d’une plainte de congédiement injuste :

SECTION XIV

 

CONGÉDIEMENT INJUSTE

 

[…]

 

Restriction

 

242. (3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

 

DIVISION XIV

 

UNJUST DISMISSAL

 

 

Limitation on complaints

 

242. (3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

 

[17]           Les principes applicables à l’interprétation de cette disposition sont bien établis, et ont été succinctement résumés par le juge Pinard dans l’arrêt Kassab c Bell Canada, 2008 CF 1181, [2008] ACF no 1503 (QL) :

[24]  Pour qu’un employeur puisse invoquer le paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail, il doit démonter deux choses : « premièrement, une justification économique du licenciement; deuxièmement, une explication raisonnable quant au choix du licenciement des employés » (Bande indienne Crie d’Enoch c Arleen Thomas, 2004 CAF 2, au par. 5, [2004] A.C.F. no 3 (C.A.) (QL)).

 

[25]  Lorsque l’employeur démontre ces éléments, c’est au plaignant de convaincre l’arbitre que « la mesure par ailleurs justifiable prise par l’employeur est une ‘mise en scène’, un ‘subterfuge’, une mesure ‘malveillante’ ou ‘détournée’ », ce qui peut être le cas si l’ensemble d’activités acquittées par l’employé licencié est confié à une autre personne (Flieger et al. c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651)

 

[18]           En d’autres termes, la protection contre le congédiement injuste ne jouera pas si la perte d’emploi résulte de circonstances économiques (manque de travail ou suppression d’un poste). C’est néanmoins l’employeur qui a le fardeau d’établir que de telles circonstances ont motivé sa décision, et d’expliquer la raisonnabilité du choix de l’employé qui a été congédié.

 

[19]           À ce chapitre, il est intéressant de noter que la notion de « poste » a été assimilée au concept de « fonction ». Voici comment s’est exprimée la Cour suprême du Canada à ce sujet :

[27]   Par conséquent, il y a « suppression d’une fonction » lorsque cet ensemble d’activités qui constitue un poste n’est plus exécuté par suite de la décision arrêtée de bonne foi par l’employeur. Par exemple, si un ensemble donné d’activités est tout simplement confié intégralement à une autre personne, ou si l’activité ou la tâche reçoit simplement un titre nouveau et différent de façon à pouvoir figurer dans une autre description de poste, alors on ne pourrait parler de la « suppression d’une fonction ». En revanche, si les activités qui font partie de l’ensemble ou du groupe d’activités sont réparties entre d’autres personnes, comme ce fut le cas dans Mudarth, précité, il y aurait « suppression d’une fonction ». Il y aurait également « suppression d’une fonction » si les responsabilités sont décentralisées, comme ce fut le cas dans Coulombe, précité.

 

Flieger c Nouveau-Brunswick, [1993] 2 RCS 651, à la p 664.

 

[20]           D’autre part, l’arbitre n’est pas tenu d’accepter l’explication fournie par l’employeur pour justifier le choix de l’employé qui a été congédié et doit apprécier la bonne foi de ses motifs. L’employeur doit démontrer que les circonstances économiques alléguées représentent « le motif réel, essentiel, et effectif de la cessation de son emploi » : Sedpex Inc c Canada (un arbitre nommé sous le régime du Code canadien du travail), [1989] 2 CF 289 au para 13. Voir aussi Thomas c Bande indienne crie d’Enoch aux para 35 et 40; McMurtry c Air Canada, [2002] CLAD no 536; Michel Coutu, Julie Bourgault et Annick Desjardins, « Droit fédéral du travail », Éditions Yvon Blais, 2011, pp 139-140.

 

[21]           Ce n’est que lorsque l’employeur a réussi à établir ces deux éléments (circonstances économiques et raisonnabilité du choix de l’employé licencié) que le fardeau de preuve est renversé et que l’employé visé par le licenciement doit démontrer que sa mise à pied constitue une « mise en scène », un « subterfuge », une mesure « malveillante » ou « détournée ».

 

[22]           Dans le présent dossier, je suis d’accord avec l’avocat de la demanderesse pour dire que l’arbitre a commis plusieurs erreurs dans son interprétation de l’alinéa 242(3.1)a) du Code. Tout d’abord, l’arbitre s’est contenté d’affirmer que le poste de la demanderesse a été aboli de façon à rééquilibrer les finances de l’entreprise, qui était dans une situation difficile, et qu’il a procédé à la réorganisation des tâches pour faire des économies. Il n’a cependant rien dit des motifs qui ont poussé la SOCAM à abolir le poste de la demanderesse et ne s’est donc pas prononcé sur la question de savoir si les circonstances économiques constituaient la véritable raison de son licenciement.

 

[23]           D’autre part, l’arbitre semble avoir inversé le fardeau de preuve puisqu’il débute son analyse en écrivant que la demanderesse n’avait pas établi que l’employeur était de mauvaise foi en décidant d’abolir son poste. Il semble donc que l’absence de preuve indiquant que l’employeur a agi de mauvaise foi a été fatale pour la demanderesse. Or, il incombait plutôt à l’employeur d’établir selon la prépondérance des probabilités qu’il avait agi de bonne foi avant que le fardeau d’établir le contraire soit transféré à l’employée. 

 

[24]           Ces deux erreurs de droit sont flagrantes et m’apparaissent déraisonnables, non seulement parce que les conclusions tirées par l’arbitre n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard du droit, mais également parce que la justification fournie par l’arbitre et l’intelligibilité de ses motifs sont déficientes. Par conséquent, je suis d’avis que la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire doit être annulée sur la base de ce seul motif.

 

c)      L’arbitre a-t-il tiré des conclusions de faits déraisonnables?

 

[25]           Ici encore, l’arbitre a commis plusieurs erreurs dans son appréciation des faits. Tout d’abord, il accepte la prétention de la défenderesse à l’effet qu’elle connaîtrait des difficultés financières, alors qu’on ne lui a présenté aucune preuve à cet effet. Alors que la décision d’abolir le poste de la demanderesse a été prise par le conseil d’administration, aucun membre de ce conseil n’est venu témoigner devant l’arbitre. Quant au directeur général, M. Bernard Hervieux, il ne pouvait répondre aux questions puisqu’il ne fait pas partie du conseil d’administration. Enfin, aucun procès-verbal de la réunion du conseil d’administration au cours de laquelle a été aboli le poste de la demanderesse n’a été déposé en preuve. Or, pour reprendre les propos de MM Sopinka et Lederman dans leur ouvrage The Law of Evidence in Civil Cases, Toronto, Butterworths, 1974 (tels que reproduits dans Bande indienne de Norway House c Canada (Arbitre, Code du travail) (1re inst.), [1994] 3 CF 376, p 414), « [i]l est bien connu que le défaut d’une partie ou d’un témoin de présenter une preuve, qu’il est en son pouvoir de produire et qui aurait pu élucider les faits, justifie le tribunal d’en déduire que cette preuve aurait été défavorable à la partie ou au témoin à qui l’on peut reprocher cette omission».

 

[26]           À cette absence de témoignage d’un membre du conseil d’administration s’ajoute le fait qu’aucune analyse des besoins et des ressources actuels et futurs de la SOCAM n’a été déposée en preuve, alors même que la décision du conseil d’administration serait basée sur une telle analyse, tel qu’il appert du texte de la Résolution du Conseil d’administration adoptée le 18 février 2011 cité plus haut au paragraphe 5 des présents motifs.

 

[27]           Quant à la crainte qu’aurait eu la SOCAM de voir ses subventions amputées par Patrimoine Canada pour l’année 2011, elles ne se sont pas matérialisées puisqu’il appert du contre-interrogatoire de M. Hervieux que le montant octroyé est passé de 580 000,00 $ en 2010 à           648 000,00 $ en 2011 (affidavit de Mme Connelly, no 11, division B-ii. para 5); Dossier de la demanderesse, p 22). En revanche, l’arbitre aurait accepté que la défenderesse introduise en preuve des états financiers datés du 7 juillet 2011, donc postérieurs de plusieurs mois au congédiement de la demanderesse, et ce malgré l’objection de son procureur. 

 

[28]           Compte tenu de cette preuve déficiente à plusieurs égards, l’arbitre ne pouvait raisonnablement conclure que la défenderesse avait des difficultés financières, et il a donc erré en considérant qu’elle s’était déchargée de son fardeau d’établir la justification de nature économique invoquée au soutien de sa décision de mettre à pied la demanderesse.

 

[29]           Il en va de même à l’égard de la conclusion de l’arbitre à l’effet que « l’employeur a procédé à la réorganisation des tâches afin de répartir les montants d’argent entre les différents postes et services ». Aucune preuve n’a été déposée à cet effet, et encore une fois aucun membre du conseil d’administration n’est venu témoigner qu’il y avait eu une réorganisation des tâches. Les conclusions de l’arbitre à ce chapitre étaient donc également déraisonnables et sans fondement.

 

[30]           Enfin, l’arbitre ne pouvait raisonnablement conclure qu’il ne s’agissait pas d’une abolition fictive en l’absence d’une explication raisonnable justifiant le choix de l’employé à licencier. D’une part, il n’était pas possible de parler de suppression de fonction alors que la preuve non contestée de la demanderesse est à l’effet qu’une sous-contractante a été engagée suite au congédiement de la demanderesse pour exécuter des tâches de chargé de projets. Qui plus est, aucune preuve n’a été présentée par la défenderesse relativement à la recherche d’autres alternatives pour ne pas congédier la demanderesse, comme par exemple l’octroi d’un autre poste ou d’un poste à temps partiel, la mise à pied temporaire, etc. Bref, il est manifeste que la défenderesse n’a pas fait la démonstration qu’elle avait appliquée des critères de sélection du poste aboli de manière objective, raisonnable et impartiale lors de l’abolition du poste de la demanderesse. 

 

[31]           Qui plus est, l’arbitre a fait fi des faits mis en preuve par la demanderesse qui ont pu influencer l’objectivité et l’impartialité du processus suivi par la défenderesse (conflit existant depuis plusieurs années entre le directeur général et la demanderesse, offre d’un montant d’argent neuf mois avant l’abolition de son poste pour qu’elle quitte son emploi, façon cavalière et sans préavis de lui annoncer la perte de son emploi). Tous ces éléments auraient pu amener l’arbitre à conclure que la défenderesse n’était pas de bonne foi et que la situation économique prétendument difficile ne constituait qu’un prétexte pour se débarrasser de la demanderesse. Or, l’arbitre ne discute aucunement de ces éléments de preuve et se contente d’écrire que la plaignante « prétend avoir été congédiée injustement » pour ensuite conclure de façon lapidaire qu’ « il ne s’agit pas ici de l’abolition fictive d’un poste ». Une telle conclusion est clairement déraisonnable compte tenu de la preuve qui était devant lui, et ne s’appuie sur aucun raisonnement intelligible et transparent.

 

Conclusion

[32]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que la décision rendue par l’arbitre François G. Fortier le 29 octobre 2012 doit être annulée, et que le dossier doit être retourné devant un nouvel arbitre pour qu’une décision soit prise en tenant compte des présents motifs. 

 

 

 

 

 

 

[33]           La demande de contrôle judiciaire soit accueillie, avec les frais en faveur de la demanderesse. Le dossier est donc retourné à un nouvel arbitre pour qu’il en soit disposé en tenant compte des présents motifs.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

Ottawa, Ontario

Le 28 août 2013

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2124-12

 

INTITULÉ :                                      Pierrette Connelly c

                                                            Société de communication Atikameckw-Montagnais

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Québec, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 juillet 2013

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me André Lepage

Me Gwenaelle Thibaut

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Benoît Champoux

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie Aubut

Québec (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Neashish & Champoux

Québec (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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