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Date : 20130822

Dossier: T-13-12

Référence : 2013 CF 895

Ottawa (Ontario), le 22 août 2013

En présence de monsieur le juge Roy 

 

ENTRE :

 

MARTIN LAPOSTOLLE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F-7, d’une décision d’un arbitre de la Commission des relations de travail de la fonction publique (l’arbitre) en date du 5 décembre 2011, 2011 CRTFP 138, dans laquelle l’arbitre rejette le grief de Martin Lapostolle (le demandeur) et maintient son congédiement.

 

[2]               Martin Lapostolle, le demandeur, a fait l’objet d’un congédiement par son employeur. Le Conseil du Trésor est l’employeur aux termes de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC, 1985, ch F-11; Martin Lapostolle agissait au sein du Service correctionnel du Canada. Il a fait grief de son congédiement; ce grief a été rejeté par une décision de la Commission des relations de travail de la fonction publique, le 5 décembre 2011. C’est de cette décision dont le contrôle judiciaire est demandé.

 

[3]               Au moment de son congédiement, le demandeur occupait un poste d’agent correctionnel de niveau CX-02 au Centre régional de réception à Sainte-Anne-des-Plaines, au Québec.

 

[4]               Le licenciement a été ordonné à cause des fréquentations qu’a entretenues le demandeur, incluant une commandite non déclarée à l’employeur, malgré les avertissements qui avaient d’ailleurs mené à une autre sanction disciplinaire.

 

[5]               Le demandeur, quant à lui, a adopté devant cette Cour une approche « mousquet »: il a tiré à tous vents. Il a tenté de minimiser la gravité des faits, allégué n’avoir pas été prévenu adéquatement, a prétendu à un grand nombre d’erreurs et omissions de la part de l’arbitre, en plus de prétendre qu’on portait atteinte à sa vie privée.

 

[6]               Par ailleurs, nulle part ne trouve-t-on une démonstration par rapport à une norme de contrôle. Sans le dire, le demandeur argumentait comme si la norme applicable était celle de la décision correcte ou, lorsqu’il reconnaissait que la norme aurait dû être la norme de la décision raisonnable, il se contentait de noter de prétendues erreurs ou omissions, aussi minimes soient-elles. Au cumul des prétendues erreurs et omissions, on espérait probablement montrer que la décision devait être déraisonnable.

[7]               Le défendeur plaide que la norme de contrôle est la norme de la décision raisonnable, qui entraîne déférence de la part de la Cour qui agit en révision. Ce dont se plaint le demandeur, argumente le défendeur, est l’évaluation de la preuve faite par l’arbitre. Le simple désaccord avec cette évaluation ne suffit pas.

 

Norme de contrôle

[8]               Il me semble ne plus faire de doute qu’en matière de congédiement, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Dans Payne c Banque de Montréal, 2013 CAF 33, [2013] ACF no 123 (QL), il a été décidé que la question de déterminer si un congédiement est injuste fait l’objet d’une norme de contrôle selon la décision raisonnable (voir aussi King c Canada (Procureur général), 2013 CAF 131, [2013] ACF no 551 (QL)).

 

[9]               Il en découle que la Cour en révision judiciaire devra faire preuve de déférence à l’égard de la décision de l’arbitre. De ce fait, il se peut bien qu’il y ait plus d’une solution et la Cour n’est pas autorisée à choisir celle qui lui plairait davantage. Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour a décrit ce qui constitue les apanages de la raisonnabilité. On peut lire au paragraphe 47 :

[47]  La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[10]           Le demandeur doit donc démontrer, par la prépondérance de la preuve, que l’arbitre a décidé de façon déraisonnable eu égard aux faits et au droit. Il ne suffit pas d’argumenter qu’autre solution ou interprétation est possible et devrait être favorisée. Si la décision attaquée fait partie des issus possibles acceptables, après examen de sa justification à la lumière d’un processus décisionnel transparent et intelligible, elle ne sera pas renversée. Comme le soulignait la Cour dans Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 48, les cours de justice « ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues ».

 

Décision

[11]           Après l’examen du dossier, j’ai conclu que le demandeur ne s’est pas déchargé du fardeau qui était le sien de faire la démonstration que la décision de l’arbitre était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire doit donc échouer.

 

[12]           Cette affaire a été plaidée durant une journée complète au cours de laquelle le demandeur avait choisi d’attaquer la décision sous contrôle judiciaire en alléguant la commission de pas moins de 64 erreurs ou omissions quant à la preuve de la part de l’arbitre. Le défendeur répondait en arguant que le demandeur présentait de la preuve nouvelle, non testée, grâce à un affidavit de 445 paragraphes soumis personnellement par le demandeur. Cette prétention du défendeur était elle-même appuyée d’un long affidavit d’une employée du Service correctionnel du Canada qui avait assisté aux audiences tenues par l’arbitre du 29 août au 1er septembre 2011.

 

[13]           La tâche de la Cour a été rendue particulièrement difficile du fait que les allégations, de part et d’autre, ne pouvaient être examinées à la lumière de la preuve. En effet, le dossier ne contient pas les transcriptions de ces audiences. Les avocats des parties l’ont confirmé et n’ont pas offert de substitut. Le dossier tel que présenté, sans plus, est ce qui est devant la Cour.

 

[14]           Ainsi, les allégations concernant l’appréciation de la preuve par l’arbitre, erronée aux dires du demandeur, ne peuvent être examinées avec précision puisque la preuve faite devant l’arbitre n’est pas disponible. De la même manière, les allégations faites par le défendeur selon lesquelles le demandeur cherche à introduire de nouveaux éléments de preuve ne peuvent pas davantage faire l’objet d’une analyse précise à cause de la même lacune.

 

[15]           Le mémoire de droit et de faits du demandeur comptait à lui seul 47 pages, soit plus de 50% de plus que ce que les Règles de notre Cour permettent. Après audition des parties, les théories de la cause respectives, étant donné la dispersion des arguments, restaient quelque peu incertaines. En fin de compte, le demandeur cherchait à trouver des trous, à créer des brèches, dans la décision de l’arbitre. Le défendeur contestait la création de ces brèches et plaidait que la décision est raisonnable au sens de la Loi. J’ai examiné d’aussi près que possible les allégations du demandeur, à la lumière de la décision de l’arbitre afin de décider si, eu égard à ce qui est disponible, la décision était raisonnable.

 

 

 

 

Faits

[16]           M. Martin Lapostolle était à l’emploi du Service correctionnel du Canada jusqu’au 19 janvier 2010. Il a fait l’objet d’un congédiement à cette date, à la suite d’une décision prise à cet égard le 18 janvier 2010.

 

[17]           La trame factuelle peut être résumée ainsi. Le demandeur a fait l’objet d’une mesure disciplinaire le 28 février 2008. Le demandeur et le défendeur ne s’entendent pas sur la portée de cette mesure. Le défendeur soutient que la suspension était imposée principalement à cause des accointances du demandeur. C’est d’ailleurs dans une bonne mesure ce qui génèrera le congédiement.

 

[18]           Quant au demandeur, il soutient qu’il a été suspendu sans solde pour une journée à cause d’un accès pris par lui sans autorisation à des informations privilégiées. Par information privilégiée, j’entends de l’information qui est protégée par l’employeur et au sujet de laquelle l’accès est limité.

 

[19]           La position adoptée par le demandeur ne correspond pas au texte de la mesure disciplinaire. À sa face même, le rapport de mesures disciplinaires traite de deux sujets différents. Le second sujet, duquel se réclame le demandeur pour prétendre qu’il était celui au sujet duquel la mesure disciplinaire était prise, aurait été l’accès aux renseignements privilégiés. Pourtant, cet incident est présenté au rapport comme étant secondaire. On y lit :

2.         Le rapport établit également qu’au cours des six mois précédant l’enquête, vous avez consulté plusieurs dossiers de détenus qui, selon toute apparence, n’étaient sous votre responsabilité ou que leur consultation n’était pas directement reliée à vos fonctions spécifique d’AC-II

 

Dans la partie du rapport où on peut relater la version de l’employé, on y indique que le demandeur a vérifié à au moins trois occasions des dossiers de détenus à des fins personnelles.

 

[20]           Le rapport contient par ailleurs un exposé beaucoup plus long du premier incident qui donne lieu à la mesure disciplinaire. Il s’agit d’un incident qui s’est produit le 3 novembre 2007. Il m’apparaît important de reproduire le texte décrivant les faits :

1.         Le 3 novembre 2007, vous vous êtes affiché en public en compagnie des tenanciers du Bar de danseuses nues Le Garage en embarquant dans une limousine identifiée au bar Le Garage et en allant manger au restaurant avec eux. Cet événement a été porté à notre connaissance lors d’une réunion de renseignement réunissant différents corps policiers et à laquelle le SCC participe. Lors de cet incident, une intervention policière a été nécessaire et vous vous êtes retrouvé relié à cet événement qui a nécessité un rapport de police à cause du comportement de certains individus du groupe. En vous affichant publiquement avec des personnes qui pourraient être mêlées aux milieux criminels, vous vous mettez dans une position de vulnérabilité, vous exposant à des risques tels que le chantage et la corruption (trafic d’influence, redevance, dette, etc.). Le rapport d’enquête a également mis en lumière que vous avez sollicité le financement de chandails pour la ligue de hockey balle auprès du propriétaire du même bar, renforcissant les dangers de redevances et de lien particulier. En vous affichant avec des individus connus des policiers et identifiés comme étant des gens d’intérêt, vous êtes susceptible de ternir l’image du Service correctionnel. [...]

 

Dans la partie réservée aux commentaires de l’employé, on y lit que les autres occupants de la limousine étaient le gérant et le propriétaire dudit bar, une troisième personne qui sera impliquée dans un incident ultérieur qui mènera au congédiement du demandeur et d’autres personnes non nommées ou inconnues. Le demandeur indique au rapport avoir modifié ses comportements et évite « d’aller au bar Le Garage et en refusant les offres de sortir ‘avec le gérant de l’établissement’ car vous ne pouvez pas savoir à l’avance avec qui celui-ci sera ».

 

[21]           Dans la partie du rapport qui décrit la mesure prise, soit la suspension sans solde pour une journée, deux éléments retiennent l’attention :

- Considérant que vous avez reconnu que votre conduite était susceptible de ternir l’image du service et que vous avez mentionné avoir modifié vos comportements depuis;

 

- Considérant que vous continuez de justifier la consultation des dossiers des délinquants à des fins personnelles, ne reconnaissant pas ainsi la gravité de vos actions à cet égard.

 

[22]           Il est sans équivoque, à mon avis, que la mesure disciplinaire couvrait les fréquentations du demandeur. Et l’avertissement était aussi sans équivoque. Le rapport déclare : « Toute récidive de votre part pourra entraîner des mesures disciplinaires plus sévères n’excluant pas le licenciement ».

 

[23]           D’ailleurs, le comportement subséquent du demandeur confirme que la mesure incluait les accointances. En effet, il n’est pas disputé que le demandeur a cherché à établir de façon plus précise les personnes qui devaient être exclues. Les témoignages du directeur adjoint au Centre régional de réception et le président du syndicat le confirment. Ce qui reste moins clair est le contenu de la conversation.

 

[24]           La Cour n’a pas accès aux témoignages qui ont été rendus. Nous n’en avons que le court résumé de l’arbitre. Au surplus, le défendeur soumet un affidavit d’une employée qui a assisté aux auditions devant l’arbitre. Elle y déclare que, lors de l’audience, le directeur adjoint « a témoigné à l’effet qu’il avait avisé le demandeur de ne pas se tenir avec des individus connus des policiers ou de fréquenter des endroits connus des policiers ». Le témoignage du président du syndicat, tel que rapporté par l’arbitre, confirme que des éclaircissements étaient demandés sur les fréquentations permises à l’extérieur du travail. Je cite quelques phrases tirées du paragraphe 26 de la décision sous examen :

[...] Une des personnes présente [sic] dans la limousine du bar de St-Janvier avec le fonctionnaire était un ami de longue date. Le fonctionnaire voulait savoir s’il pouvait aller déjeuner avec lui et continuer à le voir [sic]. [Le témoin] et le fonctionnaire ont rencontré [le directeur adjoint] pendant une trentaine de minutes pour en discuter. [Le directeur adjoint] ne pouvait préciser les conditions de fréquentation des amis du fonctionnaire, sauf qu’il n’était pas sage de les fréquenter dans un endroit public. Il n’a pas été question de quelque autre personne à exclure des fréquentations du fonctionnaire. [...]

 

[25]           Les résumés des témoignages du directeur adjoint et du demandeur à cet égard, tels que présentés par l’arbitre, ne me semblent pas faire dévier de la conclusion ultérieure de l’arbitre. En effet, le demandeur aurait décrit la réponse du directeur adjoint comme étant vague. On peut comprendre pourquoi. La mesure disciplinaire parle d’elle-même et il ne revenait pas au directeur adjoint d’en changer la portée. De fait, le témoignage du directeur adjoint est présenté comme précis quant aux risques associés à « Côtoyer des personnes associées au crime organisé » : celui-ci nuit à l’image du Service correctionnel du Canada et il y a risque de menace ou chantage.

 

[26]           Le propos du demandeur est qu’il n’avait pas été prévenu de se tenir à l’écart des personnes qui sont nommées et qui étaient à bord de la limousine le 3 novembre 2007. Avec égards, la révision que j’ai menée, dans la mesure du possible, des témoignages devant l’arbitre ne me permet pas d’opiner qu’il était déraisonnable de conclure que le demandeur avait été prévenu au sujet des occupants de ladite limousine. Qu’il ait tenté de limiter le nombre de personnes qu’il devrait éviter de fréquenter me semble tout à fait plausible. Qu’on lui ait donné ce genre d’assurances me le semble beaucoup moins. De fait, le résumé des témoignages des trois personnes présentes à la rencontre et celui d’une personne ayant assisté aux audiences mènent à la même conclusion. Le rapport au soutien de la mesure disciplinaire du 28 février 2008 parle clairement des tenanciers de l’établissement. On voit mal comment cela n’y inclurait pas le propriétaire de l’établissement.

 

[27]           Ainsi, le demandeur savait qu’il devait s’abstenir d’avoir certaines relations. C’est du moins la conclusion à laquelle il faut en venir sur la base de la prépondérance de la preuve. Cela mène à un examen de la preuve au sujet des incidents qui ont donné lieu au licenciement en janvier 2010.

 

[28]           Ayant déjà été sanctionné, l’employeur a reproché en 2009 deux types d’incidents impliquant le demandeur. D’abord, le demandeur a été intercepté par la police à deux reprises, les 11 et 17 juin 2009, en compagnie de l’occupant de la limousine qui était aussi le propriétaire du bar. Ensuite, le demandeur a été commandité par un autre occupant de ladite limousine pour lui permettre de participer à un tournoi de poker où la mise aurait été de $10,000. Le demandeur devait toucher 40% des gains, à la hauteur de sa contribution financière, alors que son partenaire y était à la hauteur de 60%.

 

[29]           Le demandeur était suspendu sans solde le 5 novembre 2009, pendant que les allégations relatives aux incidents du 11 et 17 juin 2009 faisaient l’objet d’une enquête disciplinaire interne. L’effet préjudiciable à la réputation du Service correctionnel du Canada y a été mentionné.

 

[30]           L’enquête aura mené à un rapport le 7 décembre 2009. Ce rapport concluait que le demandeur était en compagnie d’une personne nommément désignée dont il devait se dissocier. À cet égard, le demandeur cherche à minimiser le sérieux de l’affaire en plaidant l’ignorance de la conséquence et le caractère fortuit des rencontres de juin 2009.

 

[31]           La même enquête traitait aussi de la commandite. Deux volets étaient alors mis en exergue. D’abord, le rapport reproche au demandeur de s’être absenté de son travail, sans autorisation préalable, pour participer audit tournoi de poker, tenu à Las Vegas, entre les 2 et 16 juillet 2009. Le rapport reconnaît une certaine confusion sur le statut du demandeur pour certaines des journées de cet intervalle, mais conclut que pour plusieurs de ces journées, les congés, ou de maladie ou annuels, n’étaient pas pré-autorisés, tel que requis. Dans un second temps, on reproche au demandeur son lien avec le commanditaire pour le tournoi de poker puisqu’il s’agissait là d’un des individus identifiés dans la mesure disciplinaire du 26 février 2008. Le rapport note d’ailleurs que la mesure prévenait du risque de licenciement en cas de récidive. Qui plus est, l’avantage financier inhérent à la commandite, qui a d’ailleurs produit un gain de 179,000 $, n’avait jamais été déclaré à l’employeur.

 

[32]           C’est sur la foi de ce rapport que le congédiement a été ordonné le 18 janvier 2010. La lettre de congédiement est peu détaillée : elle fait état des fréquentations inconvenantes des 11 et 17 juin 2009. L’image du Service correctionnel du Canada ayant été entachée, le lien de confiance avec l’employeur était brisé de façon irréparable. Tant le Code de valeurs et d’Éthique de la Fonction publique que les Règles de conduite professionnelle et le Code de discipline du Service correctionnel du Canada avaient été enfreints. Le dossier disciplinaire était aussi invoqué.

 

[33]           Quant au rapport de mesures disciplinaires, il est plus explicite. Toute la question des congés baignant dans la confusion, aucune mesure disciplinaire n’est prise à cet égard. Par ailleurs, est retenu contre le demandeur son dossier disciplinaire qui s’est alourdi en 2009 (l’assiduité, propos injurieux à l’endroit d’un gestionnaire correctionnel, propos à caractère sexuel inapproprié en milieu de travail, jeu de cartes avec jetons à la vue des détenus). Les incidents des 11 et 17 juin 2009 et « votre lien contractuel de deux ans », ce qui réfère à la commandite reçue d’une des personnes identifiées comme n’étant pas une accointance qu’un agent correctionnel devrait avoir, sont ceux qui sont retenus contre le demandeur pour en justifier le licenciement.

 

L’Arbitre

[34]           Face à cet enchevêtrement, l’arbitre de grief devait conclure que le congédiement était justifié.

 

[35]           Après avoir fait un exposé de la preuve entendue, l’arbitre conclut que les incidents des 11 et 17 juin 2009 et la commandite de deux années, impliquant des personnes dont le demandeur devait s’éloigner au terme de la sanction disciplinaire du 26 février 2008, suffisent pour justifier le congédiement. L’agent correctionnel est un agent de la paix, donc exerçant une charge publique, qui requiert intégrité et équité. Ce sont des contraintes qui accompagnent ces fonctions, mais elles sont nécessaires pour maintenir l’image d’intégrité du Service correctionnel du Canada.

 

[36]           L’arbitre a considéré que la mesure disciplinaire de février 2008 constituait un avertissement direct, allant même jusqu’à menace de licenciement. Or, l’arbitre ne croit pas aux coïncidences invoquées quant aux incidents de juin 2009 et impliquant le propriétaire du bar (paragraphe 73 de la décision). Elle traite d’aveuglement volontaire de la part du demandeur son association quant à la commandite du tournoi de poker. Par ailleurs, elle évacue, à bon droit, l’épisode des congés pris, autorisés ou pas, pour participer au tournoi tenu à Las Vegas. Ce n’est que la commandite non déclarée qui est sanctionnée. L’arbitre est de toute évidence concernée par la position de vulnérabilité et le fait que le comportement du demandeur nuise à l’image de cet employeur dont l’intégrité doit être sans reproche. On peut lire au paragraphe 93 de la décision :

En s’affichant avec des personnes du milieu du crime organisé, le fonctionnaire a nui à l’image du SCC et en regard de toutes ces circonstances, la conduite que lui reproche l’employeur le rend inapte à remplir des fonctions avec intégrité. La preuve est suffisante pour me persuader que le lien de confiance avec l’employeur a irrémédiablement été rompu et que, compte tenu de la vocation du Centre régional de réception, le fonctionnaire constitue un risque pour la sécurité de l’établissement s’il est réintégré. Les années de service et le grade du fonctionnaire ne mitigent pas mes conclusions.   [La Cour souligne].

 

Analyse

[37]           La seule question qui se pose au juge en révision judiciaire comme celle-ci est de déterminer si la décision est raisonnable, c’est-à-dire si elle est justifiée, et si le processus décisionnel est transparent et intelligible. C’est le fardeau qui attend le demandeur de démontrer que la décision n’est pas raisonnable; il devait s’en décharger sur la base de la balance des probabilités. Alors qu’en droit criminel le fardeau est sur la Couronne de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable, ici le fardeau est sur le demandeur de démontrer que la décision n’est pas raisonnable.

 

[38]           Or, le demandeur s’est employé à rechercher des erreurs factuelles ou des omissions, souvent insignifiantes ou imaginaires. Ainsi, à titre d’exemple, le demandeur discute abondamment d’erreurs commises par l’arbitre relativement aux congés de juillet 2009. Comme indiqué précédemment, cette question a été expurgée par l’arbitre (paragraphe 75 de la décision). De la même manière, le demandeur insiste qu’il ne s’agit pas d’une commandite, mais bien d’un partenariat. La différence entre les deux n’est pas expliquée, pas plus d’ailleurs que l’importance qu’une distinction, s’il en est, aurait.

 

[39]           En d’autres occasions, les erreurs et omissions proposées par le demandeur ne sont que des désaccords quant aux inférences tirées de la preuve faite. Encore ici, à titre illustratif, le demandeur fait grand état, en invoquant plusieurs erreurs ou omissions, du témoignage d’un agent du renseignement de la Sûreté du Québec dont la crédibilité est mise en doute parce qu’il témoigne en utilisant du ouï-dire ou parce qu’il n’aurait pas pu répondre à certaines questions. Non seulement sont-ce des allégations qui ne peuvent être confirmées par cette Cour qui n’a aucun accès à la preuve présentée, mais elles sont sans conséquence sur la question à laquelle l’arbitre devait répondre.

 

[40]           Il convient de rappeler les propos de la juge Abella, au nom de la Cour suprême du Canada, dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 :

[14]      Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

 

[...]

 

[16]      Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

[...]

 

[18]      Dans Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, le juge Evans précise, dans des motifs confirmés par notre Cour (2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572), que l’arrêt Dunsmuir cherche à « [éviter] qu’on [aborde] le contrôle judiciaire sous un angle trop formaliste » (par. 164). Il signale qu’« [o]n ne s’atten[d] pas à de la perfection » et indique que la cour de révision doit se demander si, « lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, on constate que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (par. 163). J’estime que la description de l’exercice que donnent les intimées dans leur mémoire est particulièrement utile pour en décrire la nature :

 

[traduction]  La déférence est le principe directeur qui régit le contrôle de la décision d’un tribunal administratif selon la norme de la décision raisonnable. Il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs.  [par. 44]

 

[41]           Le genre d’attaque lancée par le demandeur peut peut-être avoir du succès où le doute raisonnable suffit pour avoir gain de cause. Mais, en révision judiciaire, non seulement le fardeau est-il sur le demandeur qui ne bénéficie d’aucune présomption, mais il doit satisfaire la Cour sur la base de la balance des probabilités.

 

[42]           En révisant les 64 erreurs et omissions alléguées par le demandeur, on constate qu’aucune ne s’attaque au cœur de la décision. On aurait pu croire que le genre d’attaque lancée nécessite une référence directe à la preuve devant l’arbitre, preuve qui n’est pas disponible à la Cour. En soi, cela aurait pu suffire, à mon avis, pour rejeter une telle demande de contrôle judiciaire à cause du fardeau de démonstration qui repose sur les épaules d’un demandeur. Mais il y a plus. Cet examen des 64 erreurs ou omissions me convainc que, prises individuellement, elles ne mènent nulle part lorsque mesurées au test de la raisonnabilité. Leur effet cumulatif, de par la qualité des allégations d’erreur ou d’omission, ne mène nulle part non plus.

 

[43]           La décision de l’arbitre, au sujet des questions factuelles posées par le demandeur, ne peut être attaquée avec succès lorsque mesurée contre la norme de raisonnabilité voulant que la décision appartienne « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus au para 47). Le demandeur ne réussit pas non plus, à mon avis, à soulever une autre issue possible que celle à laquelle l’arbitre arrive. Est-il besoin de le rappeler : la mesure disciplinaire de février 2008 donnait au demandeur un avertissement direct que certaines accointances ne pouvaient être tolérées. Il était raisonnable pour l’arbitre de conclure qu’il a choisi, malgré cela, de passer outre à l’avertissement les 11 et 17 juin 2009. Les coïncidences alléguées par le demandeur apparaissent difficiles à accepter et l’arbitre pouvait conclure comme elle l’a fait. L’arbitre pouvait aussi inférer aveuglement volontaire quant au commanditaire (ou partenaire) du demandeur. L’arbitre a déclaré sans ambages qu’il s’agissait là du nœud de l’affaire (paragraphe 67 de la décision). Les erreurs et omissions, si tant est qu’elles en seraient, ne porteraient aucunement atteinte à la décision telle que rendue. Les allégations se trouvent au mieux en périphérie. Les motifs donnés pour justifier la décision sont inattaquables au plan de leur raisonnabilité au sens de Dunsmuir, précité. L’arbitre a choisi parmi des issues possibles acceptables eu égard aux faits et au droit.

 

[44]           Aux erreurs 59, 65, 67 (ce qui porte le total à 67 erreurs alléguées), le demandeur soulève ce qui ressemble davantage à des questions de droit. Aucune n’a été développée et elles sont de la nature de généralisations. Il n’y a pas lieu de s’y attarder.

 

[45]           D’autres éléments de preuve, pour des incidents postérieurs au congédiement décidé le 18 janvier 2010, mais contemporains en ce qu’ils se sont produits en 2010, ont été acceptés par l’arbitre. Cette preuve tendant à impliquer le demandeur avec des gens qu’on dit près des milieux criminalisés me semblait, pour ce que j’ai pu en voir, comme portant à équivoque. J’estime que sa valeur probante est relativement faible; de toute façon, l’arbitre en a fait peu de cas, disant qu’elle est admissible pour tendre à « démontrer que les craintes de l’employeur quant au bris du lien de confiance sont justifiées » (paragraphe 94 de la décision). Telle utilisation est conforme au droit (Compagnie minière Québec-Cartier c Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 RCS 1095). Quoiqu’il en soit, l’arbitre avait déjà conclu que le congédiement était justifié dans les circonstances et il n’a pas été démontré que sa décision était déraisonnable (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654).

 

[46]           Le comportement du demandeur était sérieux aux yeux de l’arbitre. La Cour doit faire preuve de déférence et montrer « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » (Dunsmuir, précité au para 48).

 

[47]           En fin de compte, le fardeau qu’avait le demandeur n’a pas été déchargé. La Cour agissant en révision ne substitue pas son opinion à celle du décideur. Elle ne cherche qu’à en déterminer la raisonnabilité. L’approche choisie par le demandeur de s’attaquer à de prétendues erreurs et omissions aura de meilleures chances de succès si ces erreurs peuvent être démontrées et qu’elles portent atteinte à l’intégrité du processus décisionnel.

 

[48]           En l’espèce, non seulement ces erreurs et omissions n’ont pu être démontrées, mais elles étaient alléguées à l’égard de sujets qui n’étaient, au mieux, qu’en périphérie. Quant à ce qui était le cœur de l’affaire, les décisions prises par l’arbitre ont toutes l’apanage de la raisonnabilité. Le demandeur, qui occupait un poste pour lequel l’intégrité est une caractéristique essentielle, a été clairement prévenu que certaines accointances étaient inappropriées. S’il l’ignorait au début de sa carrière, ce qui serait surprenant par ailleurs, il a été avisé clairement en février 2008 que la qualité des accointances peut mener à congédiement. Il a même subi une sanction disciplinaire à cet égard. Malgré cela, l’arbitre a raisonnablement conclu qu’il a choisi de maintenir contact avec certaines gens pourtant identifiés, alors même que son dossier disciplinaire s’alourdissait par ailleurs. De même, il a conclu une commandite, ou un partenariat, pour une durée de deux ans sans en prévenir ses supérieurs et son employeur, commandite qui impliquait en plus l’un des occupants de la limousine dans l’incident ayant donné lieu à la mesure disciplinaire de février 2008. C’était à l’arbitre de peser la preuve, d’en tirer des inférences et de conclure quant à la mesure de congédiement. Le demandeur n’a pas démontré que l’arbitre n’a pas été raisonnable. Il en découle que la demande de contrôle judiciaire faillit.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Avec dépens en faveur du défendeur.

 

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-13-12

 

INTITULÉ :                                      Martin Lapostolle

                                                            c. Procureur général du Canada

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Nicole Giguère

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Pierre-Marc Champagne

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Debkoski Giguyre

Boisbriand (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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