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Date : 20130906

Dossier : T-1788-11

Référence : 2013 CF 939

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

EBRAHIM LATIFI

 

 

 

demandeur

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL) ET BUREAU DES PASSEPORTS

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, vise la décision d’un arbitre de Passeport Canada, Jocelyn Francoeur [l’arbitre], de révoquer l’accès du demandeur aux services de passeport pendant une période de cinq ans, à compter du 23 décembre 2010.

 

I.          Contexte

[2]               Les parties admettent que le 23 décembre 2010 un inconnu [l’imposteur] a tenté de prendre un vol d’Istanbul, en Turquie, à destination de Toronto, en présentant le passeport du demandeur [le passeport]. Les autorités l’ont fait descendre de l’avion mais ne l’ont pas détenu. Son identité n’est pas connue. Les parties ne contestent pas non plus que M. Ali Reza Gomravi, ami de longue date du demandeur, se trouvait également à bord. Le demandeur avait d’ailleurs donné le nom de M. Gomravi comme référence dans sa demande de passeport du 6 mai 2006.

 

[3]               À l’égard de la plupart des autres faits fondant la décision de l’arbitre, la position des parties diffère radicalement.

 

[4]               Le demandeur déclare dans son affidavit qu’il s’est rendu en Allemagne en décembre 2010, par affaires et pour voir de la famille. Il devait revenir à Toronto le 22 décembre 2010 en partant de Bonn, en Allemagne, via Istanbul, en compagnie de M. Gomravi. Il a passé la nuit à l’aéroport d’Istanbul et s’est aperçu, au matin, qu’il n’avait plus son passeport et sa carte d’embarquement. Il a immédiatement signalé la perte aux autorités turques, qui l’on placé en détention jusqu’au 3 janvier 2011, date à laquelle il a obtenu sa mise en liberté en versant un pot‑de‑vin. En le libérant, les autorités turques lui ont remis son passeport. Le demandeur a pris un vol d’Istanbul à Dubai, aux Émirats arabes unis, le 8 janvier 2011. Après trois jours passés à l’aéroport de Dubai, il s’est rendu à Vienne, en Autriche, en transitant pas Dammam, en Arabie saoudite, le 11 janvier 2001, puis il a pris un vol pour Toronto via Paris. Le demandeur affirme ne pas connaître l’imposteur.

 

[5]               Le défendeur allègue que le demandeur et l’imposteur se connaissent, et que M. Gomravi a agi comme facilitateur pour permettre à l’imposteur d’entrer illégalement au Canada. Il ne croit pas que le demandeur se trouvait à Istanbul le 22 décembre 2010, un fait corroboré par M. Gomravi. Le passeport semble avoir été remis à l’imposteur après l’expulsion de celui‑ci de l’avion.

 

[6]               Il n’est pas contesté que le demandeur a pris un vol Vienne-Paris le 12 janvier 2011, puis un vol de Paris vers le Canada le 14 janvier 2011. Les parties conviennent également que le demandeur a tenté de renouveler son passeport, qui était alors en sa possession, le 4 mai 2011.

 

[7]               Dans une lettre de proposition en date du 26 mai 2011, Passeport Canada a indiqué au demandeur qu’après enquête, il formulait la recommandation préliminaire de refuser les services de passeport en application de l’article 10.3 du Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86 [le Décret]. La lettre informait le demandeur qu’il pouvait répondre à l’enquête et fournir des renseignements supplémentaires avant que l’arbitre rende la décision définitive. Entre la date de cette lettre et celle de la décision de l’arbitre, 36 courriels ont été échangés entre divers fonctionnaires de Passeport Canada et le demandeur.

 

[8]               L’arbitre a rendu sa décision le 22 septembre 2011, mais en raison de l’omission de la preuve d’un timbre établissant l’utilisation du passeport le 12 janvier 2011 à Vienne, la décision a été réexaminée et rendue une deuxième fois le 17 octobre 2011.

 

[9]               La décision de l’arbitre reposait sur le caractère improbable des explications du demandeur au sujet de l’utilisation de son passeport par l’imposteur le 23 décembre 2010. L’arbitre a estimé que, si l’on ajoutait foi à la version du demandeur, il fallait que l’un ou l’autre des scénarios suivants se soit produit :

A.    l’imposteur avait trouvé le passeport et la carte d’embarquement du demandeur et tenté de les utiliser. Après son échec, l’imposteur s’était débarrassé du passeport, qui a par la suite été trouvé par les autorités;

B.     le service de sécurité aéroportuaire a trouvé le passeport et la carte d’embarquement du demandeur et a agi comme complice de l’imposteur, puis l’a expulsé de l’avion, a repris possession du passeport et a ensuite forcé le demandeur à verser un pot‑de‑vin pour le ravoir.

 

[10]           L’arbitre a conclu à l’improbabilité de ces scénarios, et il n’a pas non plus jugé crédible que le demandeur se soit rendu à Istanbul et y ait été détenu. Il signale qu’aucun élément de preuve objective n’établit où il se trouvait entre le 23 décembre 2010 et le 12 janvier 2011 et, plus particulièrement, qu’il aurait été détenu en Turquie.

 

[11]           Compte tenu de ces probabilités et de l’absence de preuve étayant une explication contraire, autre que la preuve soumise par le demandeur lui-même, l’arbitre a conclu que le demandeur avait permis à l’imposteur d’utiliser son passeport pour se rendre à Toronto et que M. Gomravi avait servi de facilitateur. Le passeport avait ensuite été retourné au demandeur pour son vol en partance de Vienne le 12 janvier 2010. Cela constituait une violation de l’alinéa 10(2)c) du décret.

 

[12]           Vu cette conclusion, l’arbitre a refusé les services de passeport pour une période de cinq ans en application de l’article 10.3 du décret, puisque le passeport était expiré à la date de la décision. 

 

II.        Question soulevée

[13]           La présente espèce soulève la question suivante :

A.    La décision de Passeport Canada de refuser au demandeur les services de passeport pendant cinq ans en vertu du Décret sur les passeports canadiens est‑elle raisonnable?

 

III.       Norme de contrôle

[14]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Kamel c Canada (Procureur général), 2008 CF 338).

 

IV.       Analyse

A.  Dispositions législatives applicables

Décret sur les passeports canadiens (TR/81-86)

10. (1) Sans que soit limitée la généralité des paragraphes 4(3) et (4), il est entendu que le ministre peut révoquer un passeport pour les mêmes motifs que ceux qu’il invoque pour refuser d’en délivrer un.

(2) Il peut en outre révoquer le passeport de la personne qui :

c) permet à une autre personne de se servir du passeport;

 

10.3 Dans le cas où un passeport aurait pu être révoqué pour l’un des motifs visés aux articles 10 et 10.1 — à l’exception du motif prévu à l’alinéa 9g) — s’il n’avait pas été expiré, le ministre peut imposer une période de refus de services de passeport pour le même motif si les faits qui auraient autrement pu mener à la révocation se sont produits avant la date d’expiration.

Canadian Passport Order, SI/81-86

10. (1) Without limiting the generality of subsections 4(3) and (4) and for the greater certainty, the Minister may revoke a passport on the same grounds on which he or she may refuse to issue a passport.

(2) In addition, the Minister may revoke the passport of a person who

(c) permits another person to use the passport;

 

10.3 If a passport that is issued to a person has expired but could have been revoked under any of the grounds set out in sections 10 and 10.1 had it not expired, the Minister may impose a period of refusal of passport services on those same grounds, except for the grounds set out in paragraph 9(g), if the facts that could otherwise have led to the revocation of the passport occurred before its expiry date.

 

[15]           Le demandeur soutient que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable parce qu’elle repose sur des preuves insuffisantes et contradictoires, en particulier au sujet de ses déplacements, et aussi au sujet de son trajet vers la Turquie, de sa détention et celle de l’imposteur, et de l’endroit où se trouvait son passeport pendant les incidents en question.

 

[16]           Le demandeur en a contre le caractère contradictoire de la preuve, mais il n’appartient pas à la cour de révision de reprendre l’appréciation de la preuve (Okhionkpanmwonyi c Canada (Procureur général), 2011 CF 1129).  

 

[17]           Il était également raisonnable que l’arbitre examine la preuve et qu’il estime peu probable que les faits relatés par le demandeur se soient produits. L’absence de toute preuve de l’ami du demandeur, M. Gomravi, corroborant l’affirmation du demandeur qu’il se trouvait à Istanbul ou niant qu’il ait facilité l’utilisation du passeport de M. Latifi par l’imposteur, et l’absence d’élément de preuve objective concernant la détention de M. Latifi ont amené l’enquêteur à révoquer le passeport du demandeur pour une période de cinq ans.

 

[18]           En outre, le demandeur a été incapable de fournir les itinéraires de ses déplacements allégués entre l’Allemagne et Istanbul, Istanbul et Dubai, Dubai et l’Arabie saoudite et l’Arabie Saoudite et Vienne.

 

[19]           Il appert de la correspondance figurant au dossier certifié du Tribunal que les fonctionnaires de Passeport Canada ont donné pleine latitude au demandeur pour fournir les éléments de preuve qu’il entendait soumettre, et ce dernier n’a pas présenté de preuve étayant de façon satisfaisante sa version des faits concernant l’utilisation de son passeport par un imposteur.

 

[20]           La décision de l’arbitre selon laquelle le demandeur a permis à l’imposteur d’utiliser son passeport repose sur une preuve circonstancielle mais qui, prise dans son ensemble, est fondée, et un refus de services d’une durée de cinq ans est raisonnable (Slaeman c Canada (Procureur général), 2012 CF 641, aux para 49‑50). L’arbitre a fondé sa décision sur la faible probabilité que les événements se soient produits de la façon décrite par le demandeur et sur l’absence de preuve objective étayant sa version des faits. Son raisonnement est justifiable, intelligible et suffisant, et il s’inscrit dans les issues possibles acceptables, ainsi que l’exigent les arrêts Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, et Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62).

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Les dépens, établis à 2 500 $, sont adjugés au défendeur, comme en ont convenu les parties.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1788-11

 

INTITULÉ :                                      Latifi c PGC et al.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 septembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mitchell Rowe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Agnieszka Zagorska

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

R. MITCHELL ROWE

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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