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Date : 20130905

Dossier : IMM-5277-13

Référence : 2013 CF 936

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

CANADA (MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE)

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MATTHEW PAUL DEHART

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE HENEGHAN

 

[1]               Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 7 août 2013, rendue par la commissaire K. Henrique de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Dans cette décision, la Commission a ordonné la mise en liberté de Matthew Paul DeHart (le défendeur), sous certaines conditions, dans l’attente de l’issue de l’enquête menée au titre de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

[2]               À la demande des parties, un jugement a été rendu le 3 septembre 2013; il mentionnait que les motifs suivraient.

 

[3]               Bien que le juge Zinn ait rendu une ordonnance de confidentialité, le 15 août 2013, après l’audition d’une requête en suspension de l’exécution de l’ordonnance de mise en liberté du défendeur, cette ordonnance a été levée, vu l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire. Les avocats des deux parties ont été invités à présenter leurs observations sur ce point. Bien que l’avocat du demandeur en ait demandé le maintien, l’avocate du défendeur était d’avis que cela n’était pas nécessaire. Les intérêts du défendeur pèsent plus lourds que ceux du demandeur, et, m’en tenant au principe général selon lequel les audiences des tribunaux sont publiques, et dans le cadre de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’ai annulé l’ordonnance de confidentialité.

 

Contexte

[4]               Le défendeur est un citoyen des États‑Unis qui est arrivé au Canada, le 3 avril 2013, avec ses parents Paul et LeeAnn DeHart. Les trois ont présenté une demande d’asile à leur entrée au Canada, au motif que le défendeur avait été torturé par les autorités aux États‑Unis et qu’il craignait d’être persécuté, s’il devait y retourner.

 

[5]               Le 6 octobre 2010, le défendeur a été accusé, au Tennessee, de production et de transport de pornographie juvénile. Le 25 janvier 2010, la résidence du demandeur a été fouillée, et son ordinateur saisi. Le 6 août 2010, il a été arrêté et détenu par des fonctionnaires américains alors qu’il franchissait la frontière canado‑américaine, à Calais, dans le Maine. Il allègue avoir été drogué, exposé à la torture psychologique, et interrogé par des agents du FBI relativement à des questions de sécurité nationale.

 

[6]               Pendant sa détention, le défendeur a reçu un diagnostic de rupture psychotique, et, depuis, il montre des signes d’un état de stress post‑traumatique. Il allègue que cet état résulte de la torture qu’il a subie.

 

[7]               Le défendeur a été détenu dans le Maine jusqu’en octobre 2010. Finalement, le 22 mai 2012, il a été mis en liberté sous conditions dans le Tennessee; comme conditions de sa mise en liberté, ses parents ont déposé en garantie les deux voitures qu’ils possédaient, et sa grand‑mère a donné en garantie la valeur nette de sa maison située en Indiana. Le défendeur est demeuré en liberté dans l’attente de son procès jusqu’au 4 avril 2013, date à laquelle il ne s’est pas présenté à l’audience relative à l’état de l’instance et au contrôle des motifs de sa détention. Un mandat d’arrêt a été lancé contre lui, après qu’il eut quitté les États‑Unis et qu’il fut arrivé au Canada.

 

[8]               Le défendeur allègue qu’il est membre du groupe de pirates informatiques Anonymous depuis la fondation de ce dernier. Ainsi, il était au courant de ce qu’il croit être une divulgation de documents du gouvernement portant sur la sécurité nationale des États‑Unis. Il soutient que l’enquête de pornographie juvénile est une couverture pour la tentative du gouvernement des États‑Unis de récupérer ces documents et de mener une enquête contre lui pour espionnage. C’est ce qui constitue le motif de sa crainte de persécution; il croit que c’est pour cette raison qu’on l’a interrogé et torturé en août 2010.

 

[9]               Le 4 avril 2013, le défendeur a été arrêté par l’Agence des services frontaliers du Canada, au motif que sa demande d’asile était suspendue dans l’attente de l’enquête sur l’admissibilité menée en application des alinéas 34(1)a) et 36(1)c) de la Loi.

 

[10]           Le 8 avril 2013, à la première audience du contrôle des motifs de détention, une ordonnance a été rendue selon laquelle le défendeur devait être maintenu en détention, au titre des alinéas 58(1)a) et 58(1)b) de la Loi, plus précisément, au motif qu’il constituait un danger pour le public, que sa mise en accusation constituait une infraction d’ordre sexuel entrant dans le champ d’application de l’alinéa 246f) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002‑227 (le Règlement), et qu’il se soustrairait vraisemblablement aux prochaines procédures en matière d’immigration. La Commission a relevé que la détention était justifiée, parce que le défendeur constituait un danger pour le public en raison du caractère grave de l’infraction de pornographie juvénile, des allégations d’espionnage, et de ses antécédents de non-respect des ordonnances des tribunaux. La Commission a aussi conclu que le défendeur n’avait pas proposé de solution de rechange à la détention, et qu’il n’y avait pas d’indication qu’il serait détenu pendant longtemps.

 

[11]           Le 15 avril 2013, une deuxième audience du contrôle des motifs de détention a eu lieu. Le défendeur a demandé sa mise en liberté sur son propre engagement, dans l’attente des résultats de l’enquête. La Commission a rejeté cette demande comme solution de rechange à la détention et elle a déclaré que le demandeur constituait un danger pour le public et qu’il se soustrairait vraisemblablement aux prochaines procédures. La Commission a souligné que le dossier du défendeur était récent, que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) devrait se voir accorder un délai raisonnable pour préparer sa cause contre le défendeur, et que, vu que ce dernier ne s’était pas présenté aux États‑Unis, la détention était à ce moment‑là une meilleure option par rapport à la mise en liberté.

 

[12]           Une troisième audience du contrôle des motifs de détention a eu lieu le 13 mai 2013. Encore une fois, la Commission a confirmé que le défendeur constituait un danger pour le public, et qu’il se soustrairait vraisemblablement aux prochaines procédures. La Commission a répété que la crainte du défendeur d’être renvoyé dans son pays d’origine augmentait la vraisemblance du fait qu’il se soustrairait aux prochaines procédures. Une fois de plus, la Commission a conclu que la détention ne serait vraisemblablement pas longue.

 

[13]           Bien que le défendeur ait proposé d’être remis en liberté, qu’une église de Toronto lui offrirait la résidence et lui apporterait un soutien financier, la Commission a rejeté cette offre, au motif qu’elle ne dissipait pas les préoccupations relatives au danger qu’il constituait pour le public ni celles relatives à son risque de fuite.

 

[14]           L’audience suivante du contrôle des motifs de détention a eu lieu le 12 juin 2013. La Commission a réaffirmé ses préoccupations relativement au fait que le défendeur constituait un danger pour le public et qu’il se soustrairait vraisemblablement aux prochaines procédures. Sa détention a été maintenue.

 

[15]           À cette date, la Commission a relevé que la détention du défendeur commençait à se prolonger, et qu’il risquait de passer une très longue période de temps en détention. La Commission s’est dite préoccupée par le fait que le ministre n’avait produit aucune trousse documentaire mentionnant la date de l’audience, et a demandé au ministre de lui fournir une date précise du moment où la trousse documentaire serait prête. La Commission a conseillé au défendeur de retenir les services d’un avocat pour l’aider dans cette affaire, et de proposer un plan concret de mise en liberté pour sa prochaine audience de contrôle des motifs de détention.

 

[16]           La cinquième audience de contrôle des motifs de détention a eu lieu 10 juillet 2013. La Commission s’est fondée sur les mêmes motifs que lors de ses décisions précédentes, et elle a maintenu la détention. La Commission a souligné que des dates avaient été fixées pour l’audience concernant l’admissibilité du défendeur et l’audience concernant sa demande d’asile, et que celles‑ci auraient lieu sous peu. La Commission a relevé que le défendeur travaillait à l’élaboration d’un plan concret de mise en liberté, toutefois, les cinq mille dollars de cautionnement offerts par les parents ne suffisaient pas à dissiper ses préoccupations. Compte tenu du fait que les deux audiences auraient lieu à des dates relativement rapprochées, et compte tenu des motifs antérieurs de la Commission, la détention du défendeur a été maintenue.

 

Décision soumise au contrôle

[17]           L’audience suivante de contrôle des motifs de détention du défendeur a eu lieu le 7 août 2013. S’écartant de la décision antérieure de la Commission, la commissaire Karina Henrique a autorisé la mise en liberté du défendeur, sous certaines conditions. Comme motifs clairs et convaincants de s’écarter de ses précédentes décisions, la Commission a mis de l’avant le fait que la détention du défendeur pourrait être longue, et qu’un plan de mise en liberté concret avait été présenté par le défendeur. La Commission a conclu que les conditions dissipaient adéquatement les préoccupations selon lesquelles le défendeur constituait un danger pour le public et qu’il se soustrairait vraisemblablement à de prochaines procédures.

 

[18]           Les parents du défendeur devaient fournir une garantie de 10 000 $ en espèces, et le défendeur serait soumis à une surveillance par GPS pendant sa mise en liberté. Les frais de surveillance seraient payés par ses parents. Les parents devaient prépayer six mois de frais de surveillance afin de dissiper les préoccupations du ministre quant à savoir s’ils disposaient de fonds suffisants. La surveillance par GPS avait pour but de s’assurer que le défendeur respecte la condition voulant qu’il demeure à résidence 24 heures par jour, 7 jours par semaine, sauf lorsqu’il se rendrait aux contrôles hebdomadaires à l’Agence des services frontaliers du Canada, et lorsqu’il assisterait aux audiences relatives à son dossier d’immigration. Chaque fois que le défendeur quitterait la résidence de ses parents, il devrait être accompagné par ceux‑ci. Enfin, comme condition de sa mise en liberté, le défendeur ne devrait avoir accès ni à Internet ni à aucun appareil électronique permettant la connexion à Internet, notamment les ordinateurs ou les téléphones cellulaires comportant un forfait de données.

 

[19]           La Commission a reconnu que les accusations portées contre le défendeur étaient graves, mais elle a aussi souligné qu’il ne s’agissait que d’allégations, et que le défendeur était présumé innocent. Satisfaite du plan de mise en liberté présenté par le défendeur, la Commission a ordonné qu’il soit remis en liberté aux conditions énoncées dans son ordonnance.

 

Observations

i) Observations du demandeur

[20]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a accepté les parents du défendeur comme cautions. Il déclare que les parents ne pouvaient pas se porter caution, et ce, pour plusieurs raisons.

 

[21]           Premièrement, le demandeur renvoie à l’alinéa 47(1)a) du Règlement, et il soutient qu’étant donné que les parents n’avaient pas respecté leur garantie aux États-Unis, ils ne sont pas admissibles à agir comme cautions.

 

[22]           En outre, le demandeur soutient que la Commission a déraisonnablement accepté que les parents puissent voir à ce que le défendeur respecte ses conditions de mise en liberté. Selon le demandeur, la conduite des parents, lorsqu’ils ont accompagné le défendeur au Canada, démontre qu’ils le soutiennent et qu’ils croient qu’il n’est pas coupable des accusations portées contre lui aux États‑Unis. Le demandeur soutient en outre que la conduite des parents démontre qu’ils veulent qu’une propriété qui avait été déposée comme garantie soit confisquée, et veulent aider le défendeur à se dérober à une ordonnance d’un tribunal américain.

 

[23]           De plus, le demandeur soutient que la Commission a déraisonnablement conclu que la surveillance électronique permettrait de dissiper adéquatement les préoccupations décrites aux alinéas 58(1)a) et 58(1)b) de la Loi, c’est‑à‑dire que le défendeur constitue un danger pour le public et qu’il se soustraira vraisemblablement aux procédures prévues par la Loi.

 

[24]           Le demandeur soutient que le plan de surveillance par GPS n’est pas suffisamment précis et qu’il est donc déraisonnable. À cet égard, le demandeur se fonde sur les paragraphes 91 et 92 de la décision Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Berisha (2012), 12 Imm LR (4th) 321. Selon le demandeur, il ne ressort pas du plan de mise en liberté que les parents vont rester à la maison avec le défendeur en tout temps, afin de s’assurer qu’il respecte les conditions de sa mise en liberté. Le demandeur soutient aussi que le plan est vague en ce qui concerne l’étendue de la zone surveillée.

 

[25]           Enfin, le demandeur soutient que la Commission s’est lancée de façon déraisonnable et inappropriée dans des conjectures, ce qui constitue une erreur selon ce qu’a affirmé la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 67 et 68 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Li, [2010] 2 RCF 433. Il soutient que la Commission ne peut estimer la durée de la détention à venir que sur la base des faits existant au moment de l’audience de contrôle des motifs de détention.

 

ii) Observations du défendeur

[26]           Le défendeur soutient que la décision de la Commission satisfait à la norme de la décision raisonnable dans tous ses aspects. Premièrement, il reconnaît que même si ses parents n’ont pas respecté une garantie dans un pays étranger, l’interdiction qui figure à l’alinéa 47(1)a) du Règlement ne s’applique pas, étant donné que rien dans ce Règlement ne dit que ce dernier s’applique à un manquement qui a lieu à l’extérieur du Canada.

 

[27]           Quoi qu’il en soit, la Commission disposait de preuve relativement au dépôt de la garantie aux États‑Unis. Aussi, des éléments de preuve établissaient que les parents disposaient au Canada de la somme nécessaire pour effectuer un important dépôt en espèces. Des éléments de preuve établissaient également l’existence d’une relation étroite entre le défendeur et ses parents.

 

[28]           En outre, des éléments de preuve relatifs au caractère, aux antécédents d’emploi, et aux emplois récents des parents démontraient qu’ils étaient capables de se porter caution.

 

[29]           La Commission ne s’est pas uniquement fiée sur les parents pour s’assurer que le défendeur respecte les conditions de sa mise en liberté. La Commission a ordonné une assignation à résidence 24 heures par jour, 7 jours par semaine, et a interdit l’accès à Internet. La surveillance par GPS a été incluse afin de s’assurer que le défendeur respecte les conditions de sa mise en liberté. La Commission disposait d’éléments de preuve quant au fonctionnement du GPS.

 

[30]           Le défendeur soutient en outre que l’ordonnance de la Commission relative à la surveillance par GPS était suffisamment précise. La décision Berisha peut faire l’objet d’une distinction, étant donné que les préoccupations soulevées dans celle‑ci ne sont pas soulevées dans la présente espèce. La zone est restreinte à la résidence des parents, et la police sera avisée en cas de violation dans la zone surveillée.

 

[31]           Enfin, le défendeur soutient que la façon dont la Commission a estimé la durée anticipée de la détention est un exercice essentiellement conjectural. La conclusion de la Commission est fondée sur son expertise et son expérience en matière de contrôle des motifs de détention. Le défendeur soutient que la Commission a traité des éléments figurant aux alinéas 58(1)a) et 58(1)b), et qu’elle a raisonnablement conclu qu’il devrait être mis en liberté.

 

Discussion et décision

 

[32]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1)         Quelle est la norme de contrôle applicable?

2)         La décision de la Commission selon laquelle les parents du défendeur pouvaient agir comme cautions était‑elle déraisonnable?

3)         La décision de la Commission selon laquelle la surveillance électronique dissipait adéquatement les préoccupations mentionnées à l’article 58 était‑elle déraisonnable?

4)         Les conjectures émises par la Commission relativement à la durée anticipée de la détention du défendeur étaient‑elles déraisonnables?

 

[33]           La décision contestée en l’espèce a été rendue au titre du paragraphe 58(1) de la Loi. Les alinéas 58(1)a) et 58(1)b) sont pertinents, et ils sont libellés de la façon suivante :

 

58.(1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tels des faits suivants :

 

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

 

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

58.(1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

 

(a) they are a danger to the public;

 

 

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

 

 

[34]           Une décision rendue en vertu de l’article 58 comporte une appréciation de la preuve, et est soumise aux exigences réglementaires. À ce titre, elle soulève une question mixte de fait et de droit, et la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable; voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 51, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, [2004] 3 RCF 572, au paragraphe 10. Ainsi, la principale question en litige dans la présente demande est de savoir si la décision de la Commission de remettre le défendeur en liberté sous conditions, notamment que ses parents fassent un dépôt en espèces, était raisonnable.

 

[35]           Selon la décision Thanabalasingham, un contrôle des motifs de détention n’est pas une audience de novo dans laquelle la Commission peut rendre une décision sans égard aux décisions antérieures. Au contraire, un contrôle des motifs de détention est constitué de décisions fondées « essentiellement sur les faits pour lesquelles il est habituellement fait preuve de retenue », et la Commission doit fournir des « motifs clairs et convaincants » pour s’écarter de la décision antérieure ordonnant la détention. Au paragraphe 12, le juge Rothstein (tel était alors son titre) a décrit l’exigence de la façon suivante :

La meilleure façon pour le commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants serait d’expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion, c’est-à-dire expliquer ce que la décision antérieure énonçait et les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire.

 

[36]           Selon moi, la décision satisfait à la norme de la décision raisonnable telle qu’elle est énoncée au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, c’est‑à‑dire qu’elle est justifiée, intelligible et transparente. En outre, la décision énonce « des motifs clairs et convaincants » de s’écarter des décisions antérieures.

 

[37]           La Commission a raisonnablement conclu que les parents pouvaient verser un cautionnement en faisant un dépôt en espèces. L’interdiction figurant à l’alinéa 249(1)a) du Règlement ne s’applique pas. Premièrement, il n’y a pas de preuve que les parents avaient déposé une « garantie » aux États‑Unis. Selon l’ordonnance, datée du 22 mai 2012, de la cour de district des États‑Unis pour le district du centre du Tennessee, section de Nashville, contenue dans le dossier certifié du Tribunal, une ordonnance avait été rendue pour la mise en liberté du défendeur. L’ordonnance était rédigée en partie de la façon suivante :

[traduction]

Il est ordonné que le défendeur soit mis en liberté dans l’attente de son procès, sous condition du dépôt d’une garantie constituée de deux automobiles dont les parents du défendeur sont propriétaires, à la satisfaction du commis de la Cour, dans les trente (30) jours de la présente ordonnance, et de la valeur nette de la maison de la grand‑mère du défendeur située en Indiana.

 

[38]           Rien dans les modalités jointes à cette ordonnance ne fait état des circonstances dans lesquelles les autorités pouvaient réaliser la garantie déposée, et rien au dossier ne démontre que les autorités américaines avaient entrepris quelque mesure que ce soit pour réaliser la garantie déposée.

 

[39]           En outre, selon moi, rien ne prouve que les parents n’avaient « pas respecté » les obligations découlant de quelque garantie que ce soit. Le guide opérationnel ENF8, intitulé « Garantie », préparé par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) donne à entendre que le terme « garantie » à l’alinéa 48(1)a) de la Loi doit être compris dans le sens habituel du terme « garantie ». À cet égard, je me réfère à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Fonds de développement économique local c Canadian Pickles Corp, [1991] 3 RCS 388, à la page 413, qui est ainsi rédigé :

Un cautionnement est généralement un contrat entre une caution et un prêteur.  L’objet du cautionnement est une créance due au prêteur par un débiteur.  Dans le contrat de cautionnement, la caution consent à rembourser le prêteur en cas de non‑paiement par le débiteur []

 

[40]           Selon moi, la garantie déposée par les parents n’est pas une « caution » au sens du droit canadien. Le demandeur n’a pas établi que le cautionnement est une « garantie », ainsi son argument relatif à l’application de l’alinéa 48(1)a) ne peut pas être retenu.

 

[41]           En outre, l’argument du demandeur à cet égard me semble nécessiter une application extraterritoriale de la Loi, ce qui est contraire au principe général selon lequel, en l’absence d’un libellé clair dans la loi autorisant l’application extraterritoriale, la disposition législative canadienne s’applique uniquement au Canada; voir le paragraphe 55 de l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Association canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 RCS 427, dans lequel le juge Binnie a déclaré que « les tribunaux tiennent néanmoins pour acquis, à défaut d’un libellé manifestement contraire, que le législateur n’a pas voulu conférer à une loi une portée extraterritoriale ».

 

[42]           Aucun argument n’a été soulevé relativement à la capacité des parents de contracter dans la province de l’Ontario et manifestement aucune preuve n’a été déposée à cet égard. Quoi qu’il en soit, les parents fournissent de l’argent en espèces et aucun contrat n’est exigé à cet égard.

 

[43]           J’examine ensuite l’argument relatif à la conclusion de la Commission portant sur le caractère approprié et suffisant de la surveillance par GPS.

 

[44]           Après avoir examiné la preuve dont la Commission disposait relativement à cette question, je suis convaincue que cette partie de la décision était raisonnable. Un représentant du fournisseur de l’appareil GPS a témoigné à l’audience. L’avocate du demandeur en a profité pour lui poser des questions. Il ressortait clairement de cette preuve que l’appareil serait programmé de telle sorte que, grâce au système GPS, un manquement aux conditions relatives aux déplacements du défendeur serait communiqué à la police.

 

[45]           La commissaire a précisément demandé au témoin comment l’appareil fonctionnerait si elle ordonnait un couvre-feu de 24 heures. Le témoin a répondu qu’il s’agissait « de la fonction la plus simple ».

 

[46]           Après avoir examiné la preuve dont disposait la commissaire, je suis convaincue qu’elle a raisonnablement accepté la surveillance par GPS proposée à titre de condition de la mise en liberté du défendeur.

 

[47]           Enfin, il y a la question de savoir si la Commission a spéculé à tort sur la durée anticipée de la détention. La Commission a reconnu, le 7 août 2013, que le défendeur « pourr[ait] rester longtemps en détention ». Elle a reconnu qu’il devait subir une enquête sur son admissibilité et que cette enquête avait déjà fait l’objet d’un report et la date de sa tenue serait fixée par voie administrative. Elle a relevé que l’audience relative à la demande d’asile du défendeur devait commencer le 22 août. Ensuite elle a déclaré ce qui suit :

Cependant, nous sommes tous humains; des personnes tombent malades et des situations surviennent, de sorte que rien ne garantit que votre demande d’asile sera instruite le 22, rien ne garantit que le processus sera terminé, et rien ne garantit qu’une décision sera rendue ce jour-là. Cela prolongera donc la durée de votre détention.

 

[48]           Le demandeur insiste sur ces observations lorsqu’il allègue que la Commission s’est livrée à des conjectures quand elle a rendu sa décision le 7 août 2013. Je ne suis pas de cet avis.

 

[49]           La Commission a raisonnablement pris en compte la durée probable de la détention du défendeur. Ce faisant, la Commission se fondait sur les autres observations faites par les autres commissions. Il y a manifestement eu une progression dans les décisions des autres commissions relativement à la question de la durée probable de la détention. Au début, les commissions déclaraient que la détention ne serait vraisemblablement pas longue, mais à l’audience du 12 juin, c’est‑à‑dire l’audience qui a précédé celle présidée par le commissaire Adamidis, on s’inquiétait du fait que la détention « commençait à se prolonger ».

 

[50]           Il appert que la Commission a raisonnablement pris en compte cette observation ainsi que l’écoulement du temps lorsqu’elle a rendu sa décision, le 7 octobre 2013, de remettre le défendeur en liberté.

 

[51]           En général, je suis convaincue que la Commission a décrit des circonstances claires et convaincantes qui la justifiaient de s’écarter des décisions antérieures. Elle a raisonnablement accepté que les parents puissent servir de cautions et faire un dépôt en espèces. La Commission a raisonnablement examiné le caractère judicieux de la surveillance électronique. Elle a fixé un couvre‑feu de 24 heures, une assignation à résidence efficiente, ainsi que la condition que le défendeur réside avec ses parents et informe au préalable les autorités en matière d’immigration de tout changement d’adresse.

 

[52]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée pour que je la certifie.

« E. Heneghan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 5 septembre 2013

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-5277-13

 

INTITULÉ :                                            CANADA (LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE)

                                                                  c

                                                                  MATTHEW PAUL DEHART

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 28 août 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                 La juge Heneghan

 

DATE DES MOTIFS :                           Le 5 septembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gregory G. George

Jane Stewart

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lily Tekle

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Cabinet de Larry Butkowsky

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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