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Date : 20130826

Dossier : T-153-13

Référence : 2013 CF 900

Ottawa (Ontario), le 26 août 2013

En présence de monsieur le juge en chef

 

 

ENTRE :

 

LA PREMIÈRE NATION DES HUPACASATH

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU CANADA et LE PROCUREUR-GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la ratification imminente de l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République populaire de Chine concernant la promotion et la protection réciproque des investissements (l’Accord).

 

[2]               La demanderesse, la Première Nation des Hupacasath (la PNH), sollicite un jugement déclaratoire portant que le Canada a l’obligation d’entreprendre un processus de consultation et d’accommodement avec les Premières Nations, y compris la PNH, avant de ratifier l’Accord ou de prendre d’autres mesures qui lieront le Canada au titre de cet Accord.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que :

 

(i) Les effets préjudiciables potentiels que, selon la PNH, l’Accord pourrait avoir sur leurs droits ancestraux revendiqués en raison des modifications qu’il pourrait entraîner au cadre juridique applicable à la réglementation canadienne des terres et des ressources ne sont pas importants et sont de nature hypothétique. Je conclus aussi que la PNH n’a pas établi l’existence du lien causal nécessaire entre ces effets préjudiciables potentiels allégués et l’Accord.

 

(ii) Il en va de même pour ce qui est des effets préjudiciables potentiels que, selon la PNH, l’Accord pourrait avoir sur l’étendue d’autonomie gouvernementale qu’elle pourrait réaliser.

 

(iii) Par conséquent, la ratification de l’Accord par le gouvernement du Canada (Canada) sans entreprendre des consultations avec la PNH ne contreviendrait pas au principe de l’honneur de la Couronne ou à l’obligation de consulter la PNH avant de prendre quelque mesure pouvant avoir des effets préjudiciables sur leurs droits ancestraux revendiqués.

 

[4]               La présente demande sera par conséquent rejetée.

 

I.          L’Accord

 

[5]               L’Accord a été signé à Vladivostok (Russie), le 9 septembre 2012.

 

[6]               Conformément à l’article 35, le Canada et le gouvernement de la République populaire de Chine (les Parties contractantes) doivent se notifier mutuellement, par la voie diplomatique, l’accomplissement des procédures juridiques internes nécessaires à l’entrée en vigueur de l’Accord. L’Accord entrera en vigueur le 1er jour du mois qui suit la réception de la deuxième notification, et il restera en vigueur pendant une période d’au moins 15 années.

 

[7]               L’une ou l’autre des parties peut mettre fin à l’Accord après l’expiration de la période initiale de 15 années. La dénonciation prendra effet un an après sa réception par l’autre Partie contractante. Cependant, s’agissant des investissements faits avant la date de dénonciation, l’Accord restera en vigueur pour une période additionnelle de 15 années après la date de dénonciation.

 

[8]               Les parties à la présente instance (les Parties) semblent convenir que les dispositions de fond de l’Accord présentent de nombreuses similitudes avec celles de l’Accord de libre‑échange nord‑américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis et le gouvernement du Mexique, le 17 décembre 1992, RT Can 1994 no 2, 32 ILM 289 (entrée en vigueur : 1er janvier 1994) (l’ALÉNA) et qu’elles ressemblent étroitement aux dispositions du Modèle canadien de 2004 de l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers (le modèle d’APIE de 2004). La PNH a effectivement reconnu que les dispositions de l’Accord qui sont le point de mire de la présente instance [traduction] « sont les mêmes que celles énoncées dans l’ALÉNA » (réponse de la demanderesse (la réponse), au para 33).

 

[9]               Selon la Note explicative sur l’Accord […] (la Note explicative), l’Accord :

 

[…] est un traité bilatéral conçu pour protéger et promouvoir les investissements entre le Canada et la République populaire de Chine (les « Parties »), qui définit des droits et des obligations juridiquement contraignants pour les deux parties en matière d’investissements étrangers.

 

L’Accord prévoit une protection juridique additionnelle pour les investisseurs canadiens faisant des affaires en République populaire de Chine, établit la manière dont doivent être traités les investisseurs canadiens et énonce les procédures visant les mesures que peuvent prendre ces investisseurs relativement aux violations alléguées de l’Accord. Les principales dispositions de l’Accord comprennent : le traitement national, le traitement de la nation la plus favorisée, la norme minimale de traitement, la protection contre l’expropriation, les obligations relatives au libre transfert de fonds et un mécanisme de règlement des différends opposant un investisseur et un État.

[…] is a bilateral treaty designed to protect and promote investment between Canada and the People’s Republic of China (the “Parties”) by assigning legally binding rights and obligations to both Parties in foreign investment matters.

 

 

 

The Agreement provides Canadian investors operating in the People’s Republic of China with additional legal protection, setting out the manner in which Canadian investors should be treated and procedures through which they may pursue alleged breaches of the Agreement. Key provisions include: national treatment, most-favoured nation treatment, minimum standard of treatment, protection against expropriation, obligations for the free transfer of funds and an investor-State dispute settlement mechanism.

 

[10]           L’Accord confère aussi les protections décrites ci‑dessus aux investisseurs de la République populaire de Chine (la Chine).

 

[11]           La Note explicative mentionne aussi que « [l]es consultations relatives à l’Accord ont été tenues dans le cadre du processus de consultation continu mené auprès des parties intéressées par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ».

 

[12]           Les Parties conviennent que ni la PNH ni les autres Premières Nations n’ont pas été consultées, et ce, malgré le fait que le Canada ait publié un examen environnemental initial de l’Accord afin de permettre au public de présenter des commentaires à ce sujet en février 2008.

 

[13]           Peu après l’annonce de la signature de l’Accord, la PNH a écrit au premier ministre Harper pour lui demander que la ratification de l’Accord soit reportée [traduction] « jusqu’à ce qu’une consultation complète et en bonne et due forme ait lieu entre la Couronne et les Premières Nations fondatrices, y compris [la PNH] ». Des représentants d’autres Premières Nations ont fait des demandes similaires. On n’a pas acquiescé à la demande de la PNH à ce jour. Semble-t-il qu’il en va de même en ce qui a trait aux demandes qui ont été formulées pour le compte des autres Premières Nations.

 

[14]           Aucune modification législative n’est nécessaire pour mettre en œuvre l’Accord.

 

[15]           L’Accord est similaire à de nombreux égards aux 24 autres accords sur la protection des investissements étrangers (APIE) que le Canada a signés depuis 1989, particulièrement ceux qu’il a signés depuis 1995 (affidavit de M. Vernon MacKay, (l’affidavit de MacKay), dossier des défendeurs, volume I, onglet 1, aux para 20 à 31 et 39 à 44).

 

 

II.        La PNH

 

[16]           La PNH, anciennement connue sous le nom de bande indienne d’Opetchesaht, est une « bande » au sens de la définition prévue à la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5 (la Loi sur les Indiens). Le chef et le conseil de la PNH représentent les quelque 285 membres de la bande, qui sont tous des Indiens au sens de la Loi sur les Indiens.

 

[17]           Selon l’affidavit souscrit par Mme Carolyne Sayers (l’affidavit de Sayers), une membre du conseil de la PNH, les membres de la bande de la PNH vivent à l’intérieur de deux réserves situées près de Port Alberni, sur l’île de Vancouver. Il semble que ces réserves soient situées sur les rives de l’inlet Alberni et qu’elles ont respectivement une superficie d’environ 53,4 et 2,6 hectares. La PNH a aussi trois autres réserves sur ce territoire : ces réserves ne sont pas occupées en raison du manque d’infrastructure. La PNH revendique en tout des droits ancestraux et le titre aborigène à l’égard d’un territoire d’environ 232 000 hectares dans la région du centre de l’île de Vancouver, comme le montre la carte reproduite à l’annexe 1 des présents motifs.

 

[18]           Dans son affidavit, qu’elle a souscrit pour le compte du chef et du conseil de la PNH et qui était autorisé par ces derniers, Mme Sayers déclarait qu’elle est préoccupée par les effets préjudiciables qu’auront la ratification et la mise en œuvre de l’Accord sur la PNH à plusieurs égards, notamment :

 

a)      la PNH pourrait être empêchée d’exercer ses droits en matière de conservation, de gestion et de protection des terres, des ressources et des habitats, selon les lois, coutumes et pratiques traditionnelles des Hupacasath, ainsi que dans l’intérêt supérieur de ses membres;

b)      la PNH pourrait être empêchée de négocier un traité ayant pour effet de protéger ses droits d’exercer ses pouvoirs dans l’intérêt supérieur du peuple hupacasath, y compris en matière de conservation, de gestion et de protection des terres, ressources et habitats, et d’exercer d’autres activités en matière de gouvernance conformément aux lois, coutumes et pratiques traditionnelles des Hupacasath, ainsi que dans l’intérêt supérieur de ses membres;

c)      les différends entre la PNH et les sociétés dans lesquelles des investisseurs chinois détiennent une participation relativement à l’utilisation des ressources seront résolus par l’application des règles de droit applicables au commerce international et aux investissements internationaux, qui, selon Mme Sayers, ne confèrent pas les mêmes protections des droits ancestraux et du titre aborigène que celle offerte par le droit constitutionnel canadien;

d)     parce que les mesures visant à protéger les droits et le titre de la PNH peuvent donner lieu à d’importantes réclamations pour dommages, le gouvernement fédéral et les provinces seront moins portés à prendre des mesures, notamment d’entreprendre des consultations adéquates et d’offrir des accommodements raisonnables, pour protéger ces droits;

e)      les droits des investisseurs chinois et les répercussions de toute éventuelle plainte en vertu de l’Accord sur le Canada peuvent être pris en considération par le gouvernement et les cours pour établir si une mesure précise que la PNH demande en vue de protéger ses droits et son titre constituerait un accommodement raisonnable.

 

 

III.             La question en litige

 

[19]           Dans sa demande, la PNH sollicitait :

a)      un jugement déclarant que le Canada a l’obligation d’entreprendre un processus de consultation et d’accommodement avec les Premières Nations, y compris la PNH, avant de prendre des mesures qui lieront le Canada au titre de l’Accord;

b)      une ordonnance interdisant au ministre des Affaires étrangères, ou à tout autre fonctionnaire ou représentant du Canada, d’envoyer à la Chine une lettre déclarant que le Canada a rempli toutes les procédures juridiques internes nécessaires à l’entrée en vigueur de l’Accord avant que le processus de consultation et d’accommodement approprié n’ait été effectué;

c)      une injonction interlocutoire interdisant au ministre des Affaires étrangères, ou à tout autre fonctionnaire ou représentant du Canada, d’envoyer à la Chine une lettre déclarant que le Canada a rempli toutes les procédures juridiques internes nécessaires à l’entrée en vigueur de l’Accord avant que la présente demande soit instruite et tranchée par la Cour.

 

[20]           Dans leurs observations écrites, les défendeurs ont énoncé que si la Cour conclut que l’obligation de consulter la PNH a pris naissance et qu’elle a été violée, il ne serait pas nécessaire pour la Cour d’aller plus loin que de rendre un jugement déclarant qu’une telle obligation existe envers la PNH en l’espèce, [traduction] « puisque l’on peut tenir pour acquis que le gouvernement se conformera au droit énoncé par les tribunaux ».

 

[21]           Compte tenu de cet énoncé, la PNH a retiré sa demande pour qu’on lui accorde les réparations décrites aux alinéas 19b) et c) ci‑dessus.

 

[22]           Les défendeurs ont aussi fait observer que tout jugement déclaratoire que la Cour pourrait rendre devra porter uniquement sur l’obligation alléguée de consulter la PNH en l’espèce et qu’il ne devra traiter de la question de savoir si cette obligation de consulter s’étend aux autres Premières Nations. Je souscris à cette observation.

 

[23]           Comme l’ont fait remarquer les défendeurs, la PNH n’a pas introduit un recours collectif pour le compte d’autres Premières Nations. Elle n’a pas non plus signifié d’avis à toutes les Premières Nations pour qu’elles puissent être ajoutées comme parties. Aucune autre Première Nation n’a demandé à être mise en cause dans la présente instance.

 

[24]           Dans ces circonstances, je conviens qu’il ne serait pas approprié pour la Cour de traiter, dans un jugement déclaratoire qui pourrait être rendu dans la présente instance, de la question de savoir si l’obligation de consulter existe en l’espèce envers les autres Premières Nations, dans la mesure où il serait possible de surmonter l’énorme difficulté sur le plan pratique de tenir des consultations viables et significatives auprès des plus de 600 bandes de Premières Nations à l’échelle du pays. Ma conclusion à cet égard est renforcée par le fait que les droits ancestraux sont à la fois propres à chaque bande et tributaires des faits (R c Gladstone, [1996] 2 RCS 723, au para 65, et R c Van der Peet, [1996] 2 RCS 507, au para 69), et que les représentants des groupes autochtones doivent être autorisés par le groupe qu’ils représentent pour parler en leur nom ou pour présenter des revendications pour leur compte (Sechelt Nation c Bell Pole, 2013 BCSC 892 (QL), au para 17). De plus, à une exception près, aucune preuve n’a été présentée pour le compte d’autres Premières Nations au sujet des possibles effets de l’Accord sur leurs droits ancestraux.

 

[25]           Dans ses observations écrites initiales, la PNH a soulevé la question initiale de savoir si la ratification de l’Accord est un acte qui peut être assujetti au contrôle judiciaire. La PNH soutient que la ratification de l’Accord est assujettie au contrôle judiciaire, au motif que l’omission du Canada de consulter la PNH avant la ratification constitue une violation de son obligation constitutionnelle de la consulter au sujet d’une mesure qui peut avoir une incidence sur ses droits ancestraux. Cela dit, au cours de l’audience, la PNH a souligné qu’elle ne laissait pas entendre que la Cour peut procéder au contrôle de la prérogative du Canada de signer l’Accord ou du contenu de l’Accord. La PNH reconnaît qu’il s’agit là de questions de « haute politique » qui ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire (Black c Canada (Premier ministre) (2001), 54 OR (3d) 215, au para 52). Les défendeurs n’ont pas présenté d’opposition à l’égard de cette question préjudicielle. Effectivement, il ne fait aucun doute que l’exercice de la prérogative de la Couronne peut faire l’objet d’un contrôle sur le plan de sa constitutionalité (Canada (Premier ministre) c Khadr, 2010 CSC 3, aux para 36 et 37; Black, précité, au para 50).

 

[26]           Par conséquent, la seule question devant être tranchée dans le contexte de la présente demande est celle de savoir si, avant la ratification de l’Accord, le Canada avait l’obligation de consulter la PNH, conformément à l’article 33 de l’Accord.

 

 

IV.             La norme de contrôle applicable

 

[27]           La ratification de l’Accord relève de l’exercice de la prérogative. Les Parties conviennent que l’exercice de cette prérogative peut faire l’objet d’un contrôle pour des motifs constitutionnels. Dans la présente instance, la PNH soutient que l’omission du Canada de la consulter avant de ratifier l’Accord constituait une violation de son obligation constitutionnelle d’entreprendre des consultations auprès de la PNH avant de prendre toute mesure qui pourrait avoir un effet préjudiciable envers elle. La demanderesse affirme aussi qu’une telle mesure contreviendrait à l’obligation constitutionnelle du Canada d’agir honorablement dans tous ses rapports avec les peuples autochtones (Tzeachten First Nation c Canada (Attorney General) 2007 BCCA 133, aux para 47 à 49; Nlaka’pamux Nation Tribunal Council c British Columbia (Project Assessment Director, Environmental Assessment Office), 2011 BCCA 78, au para 68).

 

[28]           Cette question en litige est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, étant donné sa nature constitutionnelle (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 58; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association 2011 CSC 61, au para 30).

 

 

V.   Les questions préliminaires

 

[29]           Dans leurs observations écrites, les défendeurs demandent à la Cour de radier quatre affidavits souscrits pour le compte de la demanderesse par des personnes qui ne sont pas des membres de la PNH. Subsidiairement, les défendeurs ont demandé que des parties de ces affidavits soient radiées. Les défendeurs maintiennent que ces affidavits ou des parties de ceux‑ci sont manifestement non pertinents.

 

[30]           Les affidavits en question étaient souscrits par le grand chef Stewart Phillip, le chef James Ahnassay, le chef Bryce Williams et le chef Isadore Day.

 

[31]           Parmi ces affidavits, les trois premiers portent principalement sur les consultations qui étaient demandées au sujet de l’Accord et sur les préoccupations des auteurs des affidavits concernant les possibles incidences de l’Accord sur (i) les droits ancestraux et les droits issus de traités de leur bande, ainsi que leur capacité à protéger l’environnement dans leurs territoires ou (ii) les Premières Nations en général. L’affidavit du grand chef Phillip traite aussi brièvement de l’historique de la fondation de l’Union of British Columbia Indian Chiefs et des principaux objectifs de cet organisme.

 

[32]           L’affidavit du chef Day, souscrit pour le compte de la Première Nation de Serpent River et de la Chiefs of Ontario Organization (la COO), met aussi l’accent sur les possibles incidences de l’Accord sur les droits issus de traités et les autres droits dont jouissent les Premières Nations. De plus, il contient un aperçu de l’historique des relations entre les Premières Nations et la Couronne et il traite de manière plus détaillée des préoccupations des Premières Nations que ne le faisaient les trois autres affidavits mentionnés immédiatement ci‑dessus.

 

[33]           Malgré que le grand chef Phillip, le chef Ahnassay, le chef Williams et le chef Day ne soient pas autorisés à représenter la PNH et qu’ils aient mis l’accent sur les possibles incidences de l’Accord sur leurs groupes respectifs de Premières Nations ou sur les Premières Nations en général, j’ai décidé d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de permettre que leurs affidavits restent dans le dossier de la Cour. Ma décision à cet égard est fondée sur ma conclusion selon laquelle ces affidavits pourraient m’aider à comprendre les effets potentiels de l’Accord sur la PNH. En ce qui concerne l’affidavit du chef Day, j’estime que l’historique qu’il contient est utile pour m’aider à comprendre l’important contexte dans lequel l’obligation juridique de la Couronne de consulter les Premières Nations est née, notamment parce que cette obligation se rapporte à l’honneur de la Couronne et à l’objectif de réconciliation.

 

 

VI. Les experts

 

A.        M. Gus Van Harten

 

[34]           M. Gus Van Harten a témoigné à titre d’expert de la PNH, au moyen d’une lettre datée du 13 février 2013 (l’opinion de Van Harten), lettre qu’il a transmise à l’avocat de la PNH.

 

[35]           M. Van Harten est un professeur agrégé à la Faculté de droit Osgoode Hall de l’Université York. Il a obtenu son doctorat en 2006 et il a depuis publié un certain nombre d’articles, surtout sur l’arbitrage en matière de traités d’investissements. Il a aussi rédigé un livre à ce sujet.

 

[36]           M. Van Harten a été retenu pour donner son témoignage d’expert au sujet de divers aspects de l’Accord. Ces aspects comprennent notamment les obligations que ce traité impose au Canada, la manière en quoi il diffère des autres traités internationaux auxquels le Canada est partie, la façon dont ce traité s’appliquera aux mesures gouvernementales et à la législation fédérale ainsi que provinciale, comment s’appliquera‑t‑il aux décisions judiciaires domestiques ayant une incidence sur les terres et les ressources faisant l’objet de revendications fondées sur les droits ancestraux ou sur les droits issus de traités, la question de savoir si les principes du droit national seront pris en compte par les arbitres internationaux désignés pour trancher les litiges relatifs à l’Accord et si les mesures prises ou les gestes posés par les gouvernements des Premières Nations pourraient éventuellement mettre le Canada en situation de non conformité à l’Accord.

 

[37]           Les défendeurs ont soutenu que la Cour devrait accorder un poids réduit au témoignage de M. Van Harten, parce qu’il a vivement critiqué ce type de dispositions d’arbitrage entre investisseurs et États qui sont incluses dans l’Accord et parce qu’il a fréquemment et publiquement exprimé son opposition à la ratification de l’Accord.

 

[38]           Étant donné que la PNH a pris connaissance de ces allégations et qu’elle ne les a pas contestées, je suis porté à souscrire à la position des défendeurs, surtout au motif qu’il appert que la capacité de M. Van Harten à « aider la Cour avec impartialité », comme l’exige le Code de déontologie régissant les témoins experts, DORS/2010-176, est quelque peu remise en question.

 

B.                 M. J. Christopher Thomas, c.r.

 

[39]           M. Christopher Thomas, c.r. a témoigné à titre d’expert pour les défendeurs, au moyen d’une lettre transmise le 13 mars 2013 (l’opinion de Thomas) à l’avocat des défendeurs.

 

[40]           M. Thomas est chercheur universitaire principal au centre de droit international de l’Université nationale de Singapour. Il a aussi pratiqué dans le domaine du droit économique international pendant plus de 25 ans et enseigné dans deux universités canadiennes, et il travaillait pour le ministre fédéral du Commerce international lors du lancement du Cycle d’Uruguay de négociations commerciales multilatérales et lors des négociations de l’Accord de libre‑échange entre le Canada et les États-Unis. De plus, il avait représenté le gouvernement du Mexique dans le contexte des négociations de l’ALÉNA et de deux ententes connexes conclues en matière de travail et de coopération environnementale. Il a aussi exercé les fonctions de membre d’un tribunal arbitral en matière de commerce international et celles d’arbitre international.

 

[41]           Les services de M. Thomas ont été retenus pour qu’il puisse donner son point de vue sur l’opinion de Van Harten, notamment sur sa critique de l’arbitrage international opposant un investisseur et un État; l’étendue des différences entre l’Accord et les ententes conclues par le Canada dans le passé en matière de protection des investissements; la mesure dans laquelle l’Accord peut empêcher un gouvernement de déterminer le niveau approprié de protection environnementale, de gérer ses ressources internationales ou d’apporter des modifications à sa législation; l’interaction entre l’Accord et le droit national du Canada; les réparations qui peuvent être accordées par un tribunal d’arbitrage constitué en vertu de l’Accord; la mesure dans laquelle le Canada peut être, au titre de l’Accord, tenu responsable sur le plan international à l’égard des mesures législatives et des décisions judiciaires concernant la PNH, ainsi que de la portée de l’exception pour affaires autochtones qui est prévue à l’Accord.

 

C.        Observations générales

 

[42]           Étant donné la partialité reconnue de M. Van Harten, et puisque j’ai généralement conclu que M. Thomas était plus neutre, plus rigoureux d’un point de vue factuel et plus convaincant, j’ai généralement préféré son témoignage à celui de M. Van Harten lorsque ceux‑ci divergeaient. De toute façon, j’ai conclu que le témoignage de M. Van Harten n’aidait pas de manière importante la PNH à démontrer que les effets potentiels de l’Accord sur ses droits ancestraux sont importants et non-hypothétiques, comme il est nécessaire pour faire naître l’obligation de consulter. Cela était attribuable, dans une grande mesure, au fait que ses affirmations quant à des questions cruciales étaient formulées de manière laconique et qu’elles n’étaient pas étayées.

 

 

VII.                 Analyse

 

A.       L’obligation de consulter – Principes généraux

 

[43]           L’obligation qu’a le gouvernement du Canada de consulter les peuples autochtones, y compris la PNH, et d’accommoder leurs intérêts dans certaines circonstances repose sur l’honneur de la Couronne (Nation haïda c Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, aux para 16 et 20 (Haïda)). En résumé, « [d]ans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, la Couronne doit agir honorablement ». Cela est nécessaire pour atteindre l’important objectif de « concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté ». Par ailleurs, pour atteindre cet objectif, le principe d’honneur de la Couronne doit recevoir une interprétation généreuse (Haïda, précité, au para 17). Dans la même veine, l’obligation de consulter doit être envisagée de manière « généreuse » et « téléologique » (Rio Tinto Alcan Inc c Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, au para 43 (Rio Tinto)).

 

[44]           L’honneur de la Couronne fait naître différentes obligations, selon les circonstances. Dans un cas où, comme en l’espèce avec la PNH, il n’y a toujours pas de traité conclu avec un groupe autochtone en particulier, l’honneur de la Couronne entraîne une obligation de la consulter lorsque les conditions décrites ci‑dessous sont satisfaites. De plus, lorsque ces conditions sont remplies, l’honneur de la Couronne exige de plus, si nécessaire, que les droits pertinents du groupe autochtone en question soient raisonnablement accommodés (Haïda, précité, aux para 18, 20, 27 et 33).

 

[45]           Les droits ancestraux qui sont pertinents à cette fin sont ceux protégés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, lequel reconnaît et confirme [traduction] « les droits existants – ancestraux ou issus de traits – des peuples autochtones du Canada » (Hiawatha First Nation c Ontario (Minister of Environment), [2007] OJ no 406, au para 50). Le paragraphe 35(3) précise qu’il est entendu, aux fins de cette disposition, que sont compris parmi les « droits issus de traités » les « droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis ».

 

[46]           Étant donné la dimension constitutionnelle du principe d’honneur de la Couronne, l’obligation de consulter est un [traduction] « impératif constitutionnel » (Nlaka’pamux Nation Tribal Council c British Columbia (Project Assessment Director, Environmental Assessment Office), 2011 BCCA 78, au para 68). Elle vise à protéger les droits ancestraux et les droits issus de traités, ainsi que la réalisation de l’objectif de la réconciliation des peuples autochtones et de la Couronne (Rio Tinto, précité, au para 34; Manitoba Metis Federation Inc c Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, au para 66).

 

[47]           L’obligation de consulter et d’accommoder, une fois déclenchée, a un contenu qui varie selon les circonstances. La jurisprudence à cet égard continue d’évoluer. Cependant, en termes généraux, « l’étendue de l’obligation dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué, et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre » (Haïda, précité, au para 39).

 

[48]           La présente affaire porte seulement sur la question de savoir si les conditions préalables pour déclencher l’obligation de consulter étaient remplies. Elle ne porte pas sur la teneur de cette obligation, dans la mesure où celle‑ci existe à l’égard de la ratification de l’Accord.

 

[49]           Dans l’arrêt Haïda, précité, la Cour suprême du Canada a mentionné, au paragraphe 34, que l’obligation de consultation « prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celuici ».

 

[50]           Dans l’arrêt Rio Tinto, précité, au paragraphe 31, la Cour suprême du Canada a apporté les précisions suivantes à l’égard de ce critère :

 

[31] […] Ce critère comporte trois volets : (1) la connaissance par la Couronne, réelle ou imputée, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, (2) la mesure envisagée de la Couronne et (3) la possibilité que cette mesure ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. J’examinerai chacun de ces volets plus en détail. D’abord, quelques remarques générales sont de mise concernant la source et la nature de l’obligation de consulter.

 

[51]           Je traiterai de chacun de ces trois volets du critère de manière distincte ci‑dessous. Bien que la PNH ait aussi succinctement mentionné dans sa demande que l’obligation de consulter qui incombe au Canada découle aussi de l’obligation fiduciaire de la Couronne à l’égard des peuples des Premières Nations ainsi que de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Résolution 61/295, 13 septembre 2007, je conviens avec les défendeurs que la question de savoir si l’obligation alléguée de consulter la PNH existe en l’espèce doit être tranchée uniquement au moyen de l’application du critère exposé immédiatement ci‑dessus. J’ajouterai en passant que la PNH n’a pas fait valoir ces affirmations dans ses observations écrites ou orales, et que, dans un communiqué de presse publié par Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, intitulé Énoncé du Canada appuyant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, on y décrit la déclaration comme étant « un document d’aspiration » qui n’est « pas juridiquement contraign[ant], ne constitue pas une expression du droit international coutumier et ne modifie pas les lois canadiennes ». La PNH n’a pas présenté d’observations ou produit de preuve à l’effet contraire.

 

B.         La connaissance, par la Couronne, des droits ou des revendications de la PNH

 

[52]           Les Parties conviennent que ce volet du critère est satisfait.

 

[53]           Dans son affidavit, Mme Sayers a décrit de la manière suivante les droits ancestraux revendiqués par la PNH :

 

[traduction]

a)      Le droit, prioritairement à tous les autres usagers et sous réserve uniquement de la conservation des ressources, d’exploiter, de gérer, de protéger et d’utiliser les ressources halieutiques, fauniques et autres du territoire traditionnel de la PNH;

 

b)      Les droits de commercialiser les ressources halieutiques, fauniques et autres pour assurer sa subsistance;

 

c)      Le droit d’avoir accès à des zones exclusives et privilégiées pour exploiter ou utiliser les ressources halieutiques, fauniques et autres à l’intérieur de leur territoire traditionnel;

 

d)     Le droit de protéger les habitats qui permettent la survie des ressources halieutiques, fauniques et autres que les Hupacasaths ont le droit d’exploiter;

 

e)      Le droit d’exploiter et d’utiliser les ressources halieutiques, fauniques et autres, de veiller à leur conservation, ainsi que de protéger et de gérer l’habitat de ces ressources conformément aux lois, coutumes et pratiques ancestrales des Hupacasath, autant sous leur forme traditionnelle que sous leur forme moderne;

 

f)       Le droit de construire, d’entretenir et d’occuper des structures inhérentes à l’exploitation, à l’utilisation, à la gestion ou à la conservation des ressources halieutiques, fauniques et autres du territoire de la PNH.

 

[54]           Les défendeurs ont confirmé qu’ils étaient au courant que les droits ancestraux qui précèdent avaient été mis de l’avant par la PNH lors de négociation de traités et dans le contexte de litiges. On constate d’entrée de jeu que ces droits se rapportent essentiellement à l’usage, la gestion et la conservation des terres et des ressources à l’intérieur du territoire revendiqué par la PNH. Les défendeurs reconnaissent que ces droits trouvent leurs origines dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ce sont ces droits, et seulement ces droits, qui sont pertinents pour l’analyse qui suit.

 

C.         La mesure envisagée de la Couronne

 

[55]           Les parties conviennent que la mesure envisagée de la Couronne en l’espèce est la ratification de l’Accord.

 

D.                    La possibilité que la mesure envisagée ait un effet préjudiciable sur les droits ancestraux revendiqués par la PNH

 

[56]           Pour se prononcer sur la question de savoir si ce troisième élément du critère relatif à l’obligation de consulter est rempli, il est crucial de déterminer « la mesure dans laquelle les dispositions envisagées par la Couronne auraient un effet préjudiciable » sur les droits ancestraux revendiqués (Première nation crie Mikisew c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, au para 34 (Mikisew)). Bien que cet élément doive être interprété de manière généreuse et téléologique, « de simples répercussions hypothétiques » ne suffiront pas. Il doit y avoir « un effet préjudiciable important sur la possibilité qu’une Première nation puisse exercer son droit ancestral » (Rio Tinto, précité, au para 46). De plus, la Première Nation revendicatrice « doit établir un lien de causalité entre la mesure ou la décision envisagée par le gouvernement et un effet préjudiciable éventuel sur une revendication autochtone ou un droit ancestral » (Rio Tinto, précité, au para 45).

 

[57]           À cet égard, l’effet préjudiciable peut englober toute répercussion risquant d’avoir un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. Cela comprend les décisions de haute gestion ou les modifications structurelles apportées à la gestion des ressources qui risquent d’avoir un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral, et ce, même si ces décisions n’ont pas d’effet immédiat sur les ressources ou sur les terres où se trouvent la ressource (Rio Tinto, précité, au para 47), ou si des possibilités de consultations se présentent par la suite à l’égard de mesures précises qui pourraient être prises conformément à de telles décisions de haute gestion ou modifications structurelles (Dene Tha’ First Nation c British Columbia (Minister of Energy and Mines), 2013 BCSC 977, au para 114).

 

[58]           La PNH soutient que la ratification de l’Accord constitue une telle décision de haute gestion ou modification structurelle et qui pourrait, de manière non hypothétique, avoir des effets préjudiciables importants sur les droits ancestraux qu’elle revendique, et ce, en dépit du fait qu’elle n’aura aucun effet immédiat sur ses terres ou sur les ressources qu’on y trouve. À cet égard, la PNH ajoute que le consentement du Canada à être lié par l’Accord « peut ouvrir la voie à d’autres décisions ayant un effet préjudiciable direct sur les terres et les ressources » (Rio Tinto, précité, au para 47), en raison de l’octroi, aux investisseurs chinois, de droits exécutoires dont un palier de gouvernement au Canada doit tenir compte lorsqu’il prend quelque décision que ce soit en matière de gestion des ressources.

 

[59]           En toute déférence, je ne puis souscrire à cette prétention, et ce, pour les motifs exposés ci‑dessous. À mon avis, la preuve produite dans la présente instance ne démontre pas que les effets préjudiciables que l’Accord pourrait avoir sur les droits ancestraux revendiqués par la PNH seront importants et non hypothétiques. Au contraire, je suis convaincu que les effets préjudiciables relevés par la PNH sont hypothétiques, improbables et non importants. De plus, la PNH n’a pas démontré l’existence du lien de causalité requis entre l’Accord et les effets préjudiciables potentiels allégués.

 

[60]           La PNH a prétendu que la ratification de l’Accord entraînera probablement les deux catégories générales suivantes d’effets préjudiciables :

 

a)      L’Accord entraînera un changement significatif dans le cadre juridique applicable à la réglementation en matière de terres et de ressources au Canada, et ce changement occasionnera divers possibles effets préjudiciables sur leurs droits ancestraux;

b)      Les droits octroyés aux investisseurs chinois par l’Accord auront des effets directs préjudiciables sur le niveau d’autonomie gouvernementale que la PNH pourra réaliser, que ce soit par l’exercice de ses droits ancestraux, par l’entremise du processus de traité ou par l’exercice d’un pouvoir délégué par le Canada ou par le gouvernement de la Colombie‑Britannique.

 

[61]           Je traiterai de ces deux catégories d’effets préjudiciables allégués de manière séparée ci‑dessous. Cependant, je me prononcerai d’abord sur une question initiale soulevée par les défendeurs.

 

(i)         Peut‑on affirmer que l’Accord ne peut, d’un point de vue juridique, donner naissance à une obligation de consulter?

 

 

[62]           Les défendeurs soutiennent que la ratification de l’Accord ne peut, d’un point de vue juridique, faire naître une obligation de consulter la PNH. Cette thèse repose principalement sur leurs affirmations selon lesquelles (i) la ratification de l’Accord n’entraînera pas de modifications au droit national canadien et ne nécessitera pas de modifications aux lois et aux règlements en vigueur, et (ii) le pouvoir des tribunaux arbitraux établis sous le régime de l’Accord ne s’étendra pas à la sphère nationale. Concernant ce dernier point, les défendeurs font observer que l’Accord limite les pouvoirs de redressement de ces tribunaux arbitraux à l’attribution de dommages‑intérêts pécuniaires ou à la restitution de biens, et ce, seulement à l’encontre du Canada et de la Chine. Il s’ensuit que, dans l’éventualité où un tribunal arbitral devait conclure qu’une mesure adoptée par la PNH contrevient aux obligations qui incombent au Canada au titre de l’Accord, le tribunal arbitral n’aurait pas compétence pour l’interdire, et ce serait le Canada, et non la PNH, qui aurait la responsabilité de payer les dommages‑intérêts ou de procéder à la restitution. Autrement dit, toute décision rendue par un tribunal arbitral sous le régime de l’Accord ne serait pas contraignante à l’égard de la PNH.

 

[63]           Les défendeurs invoquent la décision Council of Canadians c Canada (Attorney General) [2005] OJ no 3422 (Council of Canadians – CSJO); conf. par [2006] OJ no 4751 (Council of Canadians – CAON) à l’appui de leur thèse. Dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario avait confirmé la conclusion tirée en première instance selon laquelle le fait que les tribunaux arbitraux constitués sous le régime du chapitre 11 de l’ALÉNA n’avaient pas été intégrés dans le droit national canadien écartait l’un des possibles fondements pour appliquer l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 (Council of Canadians – CAON, précitée, au para 25). Cependant, la Cour avait ensuite refusé de se pencher sur la question plus large de savoir si un tribunal établi sous le régime d’un traité international est intrinsèquement exempté de l’application de l’article 96, parce qu’elle était convaincue que les tribunaux constitués en vertu de l’ALÉNA ne contrevenaient pas à l’article 96.

 

[64]           L’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit ce qui suit :

 

Le gouverneur-général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

 

The Governor General shall appoint the Judges of the Superior, District, and County Courts in each Province, except those of the Courts of Probate in Nova Scotia and New Brunswick.

 

[65]           Dans ses motifs, la Cour d’appel de l’Ontario a fait remarquer que, bien que cette disposition soit [traduction] « formulée comme étant un pouvoir de nomination accordé au gouvernement fédéral », il est maintenant bien établi que l’article 96 avait pour objet de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire et de donner une certaine uniformité au système judiciaire dans l’ensemble du pays » (Council of Canadians – CAON, précité, au para 31).

 

[66]           En parvenant à la conclusion que le chapitre 11 de l’ALÉNA n’avait pas été intégré dans le droit national canadien, la juge de première instance avait fait remarquer que le droit international, qui régit les tribunaux arbitraux de l’ALÉNA, et le droit national ne s’appliquent pas dans les mêmes sphères (Council of Canadians – CSJO, précité, au para 41). Elle a ensuite conclu que la création de tribunaux arbitraux sous le régime de l’ALÉNA ne peut contrevenir à la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B à la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (la Charte), parce que (i) ces tribunaux arbitraux n’ont pas le pouvoir de modifier les lois ou les pratiques nationales, (ii) parce que leur compétence est circonscrite aux questions de droit international dont ils sont saisis et que les mesures de redressement sont elles aussi limitées, (iii) parce qu’aucune disposition de l’ALÉNA contraint le Canada à modifier ses lois et ses pratiques, et (iv) parce que l’arbitrage de plaintes portant que le Canada ne s’est pas acquitté des obligations qui lui incombent au titre du traité n’a aucune incidence sur les droits des Canadiens et ne peut déterminer ceux‑ci (Council of Canadians – CSJO, précité, au para 65).

 

[67]           Les défendeurs se fondent sur le raisonnement qui précède pour affirmer que l’Accord ne peut, d’un point de vue juridique, déclencher l’obligation constitutionnelle de consulter.

 

[68]           À mon avis, le fait que les dispositions relatives à l’arbitrage contenues dans l’ALÉNA, ou les dispositions similaires contenues dans les autres APIE, n’entraînent pas l’application de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 et ne contreviennent pas à la Charte n’exclut pas la possibilité que la ratification de telles ententes puisse donner naissance à l’application du principe constitutionnel de l’honneur de la Couronne ainsi qu’à une obligation de consulter des Premières Nations avant que cette ratification n’ait lieu. L’une des raisons pour lesquelles il en est ainsi est qu’une simple possibilité non hypothétique d’effets importants sur les droits ancestraux revendiqués suffit pour déclencher l’obligation de consulter, alors que les droits garantis par la Charte interviennent uniquement en présence d’un risque plus sérieux que la violation alléguée aura lieu (Phillips c Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 RCS 97, au para 108; Council of Canadians – CSJO, précité, au para 62). En l’absence des autres considérations juridiques qui n’ont pas été traitées dans la présente instance, la question peut devoir être tranchée en fonction des faits et sur la preuve dans chaque situation, soit, la question de savoir si la Première Nation a établi les trois éléments nécessaires pour faire naître l’obligation de consulter. De toute façon, étant donné les conclusions auxquelles je suis parvenu ci‑dessous à l’égard des faits et de la preuve dans la présente affaire, il n’est pas nécessaire que je me prononce de manière définitive sur la thèse des défendeurs selon laquelle l’Accord ne peut, d’un point de vue juridique, faire naître l’obligation de consulter.

 

[69]           Je ferai cependant remarquer au passage que la position des défendeurs à cet égard ne concorde pas avec les dispositions contenues dans un certain nombre d’accords définitifs que le Canada a conclus avec les Premières Nations et qui l’obligent à consulter les Premières Nations avant de consentir à être lié par un nouveau traité international qui ferait naître de nouvelles obligations juridiques internationales pouvant avoir des effets préjudiciables à l’égard d’un droit appartenant aux Premières Nations. (Voir, à titre d’exemple, Accord Définitif des Premières Nations Maa-nulthes, 9 décembre 2006, au para 1.7.1; Entente définitive des Lheidli T’enneh, 29 octobre 2006, au para 11; Tla’amin Final Agreement, au paragraphe 24; Accord définitif de la Première Nation de Yale, au para 2.8.1; et Accord définitif de la Première Nation de Tsawwassen, articles 30 et 31 du Chapitre 2; voir aussi Accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale entre le peuple Tlicho et le gouvernement des Territoires‑du‑Nord‑Ouest, au para 7.13.2).

 

(ii)        Les effets découlant d’un changement dans le cadre législatif applicable à la réglementation des terres et des ressources

 

[70]           La PNH soutient que la ratification de l’Accord fait naître l’obligation de consulter, parce qu’elle accorde aux investisseurs chinois des droits nouveaux, matériels et exécutoires relativement aux investissements qu’ils peuvent détenir ou maintenir à l’intérieur de territoires au sujet desquels la PNH revendique des droits ancestraux ou des droits issus de traités. La PNH soutient que cela constitue une modification considérable dans le paysage juridique concernant ses terres et ses ressources parce que, entre autres, ces droits entraînent inéluctablement une limite quant aux possibilités dont dispose la Couronne pour répondre aux revendications ancestrales et fondées sur des traités de la PNH ainsi que pour protéger les ressources qui sont visées par ces revendications.

 

[71]           Les Parties conviennent qu’il ne semble pas y avoir eu de précédents dans lesquels les tribunaux canadiens avaient été appelés à se pencher sur la question de savoir s’il existe une obligation de consulter à l’égard de tout autre traité d’investissement ou d’un accord international similaire.

 

a)      La jurisprudence invoquée par la PNH concernant l’obligation de consulter

 

[72]           La PNH se fonde, à l’appui de son affirmation selon laquelle la ratification de l’Accord constituerait une décision de haute gestion ou un changement structurel qui aurait des effets préjudiciables importants et non hypothétiques sur les droits ancestraux qu’elle revendique, sur un ensemble de précédents dans lesquels on a conclu à l’existence de l’obligation de consulter à l’égard d’une mesure qui répondait à ce critère.

 

[73]           Je conviens avec les défendeurs que ces précédents peuvent tous être différenciés de la présente affaire, parce que les décisions de haut niveau ou les changements structurels dans chacun de ces précédents se rapportaient directement aux terres et aux ressources à l’égard desquelles les peuples autochtones en question avaient revendiqué des droits ancestraux ou en avaient établi l’existence. En revanche, l’Accord est un traité général créant un cadre national d’investissement et qui ne se rapporte pas directement à des terres ou à des ressources en particulier. Le traité ne se rapporte pas directement, ou même de façon générale, aux terres ou aux ressources; il a plutôt pour objet de protéger et promouvoir les investissements entre le Canada et la Chine en garantissant l’existence de droits et obligations élémentaires et exécutoires à l’égard des investisseurs des deux Parties contractantes.

 

[74]           Dans la décision Hupacasath First Nation c British Columbia (Minister of Forests), 2005 BCSC 1712 (Hupacasath), la mesure de la Couronne qui a fait naître l’obligation de consulter était le fait que certaines terres avaient été exclues d’une concession de ferme forestière (CFF) à l’intérieur du territoire revendiqué par la PNH. On avait conclu que le fait que ces terres avaient été exclues de la CFF pouvait entraîner un plus faible degré d’intervention gouvernementale dans les activités sur la terre que celui existant sous le régime de la CFF. La juge Lynn Smith a donné des détails suivants au paragraphe 223 :

 

[traduction]

Il y a baisse du niveau de gestion forestière ainsi qu’une baisse plus importante de la surveillance environnementale. Le retrait de la Couronne fait en sorte que, concrètement, l’accès à la terre par les Hupacasath devient moins certain. Il y aura possiblement une pression accrue sur les ressources des terres de la Couronne à l’intérieur de la CFF en raison du fait que les terres exclues n’y sont pas assujetties. Les terres peuvent maintenant faire l’objet de développement et être revendues.

 

 

[75]           La juge Smith a entre autres ajouté qu’en consentant à exclure les terres en question de la CFF, [traduction] « la Couronne décidait de renoncer au contrôle des activités sur les terres, contrôle qui permettait un degré de protection des possibles droits ancestraux supérieur à celui qui découle de l’application continue de la législation fédérale et provinciale » (Hupacasath, précitée, au para 225). Comme je l’explique plus en détail dans les motifs ci‑dessous, la ratification de l’Accord n’entraînera pas une telle renonciation au contrôle des activités ou diminution non hypothétique de la capacité de la Couronne à protéger les droits ancestraux que la PNH revendique.

 

[76]           Dans la décision Gitxsan First Nation c British Columbia (Minister of Forests), 2002 BCSC 1701, le juge Tysoe concluait que le consentement donné par le ministre des Forêts à un changement dans le contrôle d’une société qui détenait une CFF faisait naître l’obligation de consulter. En parvenant à cette conclusion, le juge Tysoe a jugé que le changement de tête dirigeante de la société, ainsi que le fait que ce changement avait eu pour effet de mettre la société à l’abri de la faillite, entraînait un possible effet préjudiciable non hypothétique à l’égard des droits ancestraux et du titre aborigène de la Première Nation demanderesse. Cela était en partie attribuable au fait que les personnes qui prenaient les décisions à l’égard des concessions pouvaient changer de philosophie. De plus, toute vente faite par un syndic de faillite (en l’absence d’un tel changement dans le contrôle de la société) aurait nécessité le consentement du ministre, lequel aurait eu l’obligation de consulter la demanderesse avant de donner un tel consentement. Une fois de plus, la ratification de l’Accord n’a pas un tel potentiel non hypothétique d’avoir des effets préjudiciables sur les terres ou les ressources à l’égard desquelles la PNH a revendiqué des droits ancestraux.

 

[77]           Dans la même veine, les mesures de la Couronne qui étaient en cause dans les autres précédents relatifs à l’obligation de consulter que la PNH a invoqués concernaient aussi directement les terres revendiquées par les Premières Nations demanderesses ou les ressources précises de ces terres. Par exemple :

 

         Dans la décision Huu-Ay-Aht First Nation c The Minister of Forests, 2005 BCSC 697, la mesure de la Couronne consistait en une politique de revitalisation de la forêt et des parcours naturels qui, entre autres choses, reprenait 20 % des droits de coupe annuels des permis remplaçables d’exploitation forestière majeure et des concessions de ferme forestière dans l’ensemble de la province et en avait redistribué une partie aux Premières Nations, selon une formule qui avait été rejetée par la demanderesse. La Couronne a prétendu, sans succès, qu’une obligation de consulter ne prenait pas naissance avant que ne soit prise l’éventuelle décision d’octroyer ou de renouveler des permis spécifiques relatifs à des parcelles de terre en particulier.

 

         Dans la décision Première Nation Dene Tha’ c Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354, la mesure de la Couronne en cause était l’élaboration d’un mécanisme ou d’un plan de surveillance relativement à la construction du gazoduc MacKenzie (GM), duquel tous les processus environnementaux et d’examen à venir découleraient. Ce mécanisme, ou plan de coopération, ne conférait aucun droit, mais établissait les moyens par lesquels les éventuelles activités en lien avec le GM, qui traversait le territoire de la demanderesse, seraient gérées.

 

         Dans la décision Première Nation Kwicksutaineuk Ah-Kwa-Mish c Canada (Procureur général), 2012 CF 517, la mesure de la Couronne en cause était le renouvellement des permis d’aquaculture de poissons qui étaient situées à l’intérieur des territoires de la demanderesse par le gouvernement fédéral après avoir assumé la compétence à cet égard, laquelle était jusque‑là assumée par le gouvernement provincial. La demanderesse demandait à être consultée, parce qu’elle était préoccupée du fait que les licences autorisant l’aquaculture de poissons dans certains sites présentaient des risques importants à l’égard de la santé des poissons sauvages de la région, dont ils avaient besoin pour exercer leurs droits de pêche ancestraux.

 

         Dans la décision Squamish Indian Band c British Columbia (Minister of Sustainable Resource Management), 2004 BCSC 1320 (Squamish), la mesure de la Couronne en cause était une décision de permettre un changement de contrôle ainsi que l’expansion d’un centre de ski/club de golf projeté sur des terres à l’égard desquelles la demanderesse revendiquait des droits ancestraux et le titre aborigène. Dans sa conclusion selon laquelle il existait une obligation de consulter, la Cour a qualifié de [traduction] « dramatiques » les conséquences concrètes de la décision de permettre le changement de contrôle (Squamish, précitée, au para 78).

 

[78]           Les affaires susmentionnées portaient toutes sur des mesures de la Couronne qui se rapportaient directement aux territoires revendiqués par la Première Nation demanderesse ou aux ressources situées sur ces territoires. Elles peuvent toutes être différenciées de la ratification de l’Accord, parce que l’Accord ne porte pas sur des terres en particulier, ni sur d’éventuels projets concernant des terres précises, ni sur des ressources précises. Il s’agit simplement d’un accord consistant en un vaste cadre national qui confère des protections juridiques supplémentaires aux investisseurs chinois au Canada ainsi qu’aux investisseurs canadiens en Chine et qui vont de pair avec les droits prévus par plusieurs traités de protection des investissements en vigueur et dans plusieurs accords commerciaux auxquels le Canada est déjà partie.

 

b)      Les effets préjudiciables potentiels relevés par la PNH

 

[79]           Néanmoins, il est toujours important d’examiner chacun des principaux effets préjudiciables que, selon ce qu’allègue la PNH, la ratification de l’Accord pourrait avoir sur ses droits ancestraux. Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’ai conclu que chacun de ces effets allégués est hypothétique et non important. En l’absence de droits revendiqués plus précis qui pourraient subir des effets préjudiciables et de mesures plus précises qui pourraient être jugées comme contrevenant à l’Accord, il est aussi difficile d’identifier l’existence du lien de causalité requis entre l’Accord et l’effet préjudiciable potentiel sur les droits ancestraux revendiqués par la PNH.

 

[80]           Les Parties conviennent que la jurisprudence est peu développée quant à la question de savoir ce qu’est un effet non hypothétique et important.

 

[81]           La principale préoccupation de la PNH semble être la possibilité que les droits conférés aux investisseurs chinois au titre de l’Accord puissent être invoqués pour contester ou pour décourager des mesures qui auraient pour effet de préserver les terres et les ressources qui sont visées par ses droits ancestraux revendiqués. Autrement dit, la PNH soutient que l’Accord peut contraindre ou mener le Canada à s’abstenir de prendre certains types de mesures qu’il lui aurait sinon été loisible de prendre pour régler des différends qui pourraient surgir entre les investisseurs chinois et la PNH, par exemple, si la PNH adopte des mesures en vue de protéger ses terres et ses ressources pour l’avenir.

 

[82]           En ce qui a trait à [traduction] « l’effet dissuasif » que l’Accord pourrait avoir sur le gouvernement, la PNH affirme que même la possibilité que les tribunaux arbitraux accordent des dommages‑intérêts importants en faveur des investisseurs chinois pourrait bien entrer en ligne de compte dans l’analyse que fera le Canada quant à la question de savoir s’il va de l’avant avec une mesure proposée qui vise à protéger les droits ancestraux revendiqués par la PNH. À cet égard, la PNH a accordé un poids important au témoignage donné par M. MacKay, le Directeur intérimaire de la Division de la politique commerciale sur l’investissement du ministère des Affaires étrangères et Commerce international (le MAECI). Il a confirmé en contre‑interrogatoire que les ministères chargés de l’élaboration de mesures réglementaires ou de d’autres initiatives stratégiques, y compris de mesures qui peuvent être adoptées en vue d’accommoder les peuples autochtones, sont fortement conseillés de consulter la Direction générale du droit commercial pour s’assurer que les obligations ou les mesures en question sont compatibles avec les obligations du Canada en matière de commerce international et d’investissements internationaux (contre‑interrogatoire sur affidavit de Vernon John MacKay, le 3 avril 2013 (le contre‑interrogatoire de MacKay), dossier de la demanderesse, volume II, aux p 482, 483 et 537).

 

[83]           Compte tenu de ce qui précède, la PNH soutient aussi que la ratification de l’Accord entraînera un changement important dans les facteurs qui seront pris en compte dans le contexte de l’exercice de pondération que la Couronne a l’obligation d’effectuer dans les cas où des accommodements sont requis lorsqu’elle prend des décisions qui pourraient avoir des effets préjudiciables sur les droits ancestraux revendiqués par la PNH. La PNH affirme par conséquent que ces droits seront moins susceptibles de recevoir la protection qui est effectivement requise pour préserver l’honneur de la Couronne. Par exemple, si la forme d’accommodement que privilégierait la PNH pouvait exposer le Canada à une responsabilité potentielle importante à l’égard d’un ou de plusieurs investisseurs chinois, cela pourrait être pris en compte lorsque le Canada déterminera si une telle mesure est raisonnable.

 

[84]           À l’appui de ses prétentions, la PNH se fondait surtout sur l’expérience sous le régime de l’ALÉNA, sur celle acquise par d’autres dans le cadre des accords prévoyant l’arbitrage opposant un investisseur et un État et sur l’incertitude actuelle quant à la manière dont les tribunaux arbitraux vont probablement examiner les réclamations fondées sur l’Accord. Cependant, la PNH a aussi encouragé la Cour à aller au‑delà de l’expérience acquise à ce jour sous le régime de l’ALÉNA et des autres accords internationaux en matière de commerce et d’investissement, parce que cette expérience est restreinte et qu’elle continue d’évoluer. La PNH a aussi écarté l’expérience du Canada dans le cadre des quelque 24 traités bilatéraux de protection des investissements qui sont actuellement en vigueur, au motif que, dans la plupart des cas, l’autre partie au traité a peu investi au Canada. En revanche, la PNH a fait remarquer que les investissements chinois au Canada se sont accrus : ils ont passé d’environ 228 millions de dollars en 2003 à plus de 12 milliards de dollars en 2009, et ce, avant l’acquisition, un peu plus tôt cette année, de Nexen Inc. par CNOOC Ltd., une société d’État chinoise œuvrant dans le secteur du pétrole, dans le cadre d’une transaction évaluée à environ 15 milliards de dollars. La PNH accorde aussi beaucoup d’importance au fait qu’une grande partie des investissements réalisés par les sociétés chinoises au Canada jusqu’à maintenant provenaient d’entreprises ayant des liens avec le gouvernement chinois, lequel aurait, selon la PNH, un intérêt important et centralisé à obtenir des ressources naturelles au Canada ainsi qu’ailleurs dans le monde.

 

[85]           En ce qui a trait à l’ALÉNA, la PNH mentionne qu’il s’agit du seul autre accord international en matière de commerce ou d’investissement qui prévoit des instances d’arbitrage opposant un investisseur et un État dans le cadre duquel le Canada reçoit une importante quantité d’investissements étrangers. La PNH fait observer que la plupart des obligations prévues dans l’Accord sont les mêmes que celles prévues dans l’ALÉNA, et qu’en raison de son expérience au sein de l’ALÉNA, le Canada se classe sixième sur une liste de 90 pays qui a été publiée par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement en 2012 en ce qui a trait aux réclamations faites par des investisseurs étrangers à l’encontre de gouvernements. La PNH fait de plus remarquer que, alors que l’ALÉNA peut être dénoncé à tout moment par un de ses trois signataires au moyen d’un préavis d’un an, l’Accord restera en vigueur pendant une période d’au moins 15 années et la protection qu’il confère aux investissements faits avant la fin de cette période restera en vigueur pendant une période additionnelle de 15 années.

 

[86]           La PNH présente deux points d’ordre général en ce qui a trait à l’incertitude juridique. Premièrement, elle relève que les arbitres qui seront désignés pour trancher les plaintes intentées en vertu de l’Accord ne sont pas des juges et qu’ils ne jouissent pas des caractéristiques de l’indépendance judiciaire, comme l’inamovibilité et la sécurité financière. La demanderesse relève que M. Van Harten a relaté dans son témoignage, et ce point ne semble pas être contesté, que de nombreux arbitres exercent aussi la profession d’avocat. Deuxièmement, elle relève qu’il y a un degré important d’incertitude quant à la manière dont les dispositions importantes de l’Accord seront appliquées. Ce point sera abordé davantage ci‑dessous. D’un point de vue général, elle affirme que les décisions rendues par les arbitres sous le régime de l’Accord pourront faire l’objet d’un contrôle judiciaire uniquement pour des motifs très limités et que, à ce jour, les demandes de contrôle judiciaire visant des décisions rendues par des tribunaux constitués sous le régime de l’ALÉNA ont été rejetées dans leur intégralité, à une exception près (Metalclad Corporation c The United Mexican States, (30 août 2000), ICSID Case No. ARB (AF)/97/1), où une partie de la décision a été annulée.

 

[87]           La PNH reconnaît que les décisions arbitrales rendues sous le régime de l’Accord peuvent uniquement être prononcées à l’encontre des parties à l’Accord, c’est-à-dire, le Canada et la Chine, et qu’elles ont force obligatoire uniquement entre celles-ci, conformément à l’article 32 de l’Accord. Plus précisément, elle reconnaît qu’un tribunal arbitral n’a pas compétence pour invalider une mesure que la PNH ou le Canada pourrait adopter en vue de protéger les droits revendiqués par la PNH. La demanderesse reconnaît qu’il est possible que les parties à l’Accord choisissent simplement de verser les dommages‑intérêts et de laisser en vigueur la réglementation ou les autres mesures qui ont été jugées contraires à l’Accord. Cependant, compte tenu des modalités qui sont contenues dans les diverses ententes définitives que le gouvernement du Canada a conclues avec les Premières Nations, la demanderesse prétend qu’il est peu probable qu’elle ait l’obligation d’offrir une réparation relativement aux mesures qu’elle pourrait mettre en œuvre (si l’on tient pour acquis qu’elle conclura ultérieurement une entente définitive contenant des modalités similaires), dans l’éventualité où ces mesures sont jugées contraires à l’Accord. La PNH maintient qu’il est peu probable que le Canada maintienne de telles mesures si une telle conclusion est prononcée.

 

[88]           En plus des observations générales exposées ci-dessus, la PNH a formulé diverses observations portant précisément sur l’article 4 et sur l’article 10 de l’Accord, qui traitent respectivement de la norme minimale de traitement qui doit être accordée aux investisseurs étrangers et de l’expropriation. Les Parties conviennent que, selon les expériences internationales antérieures, si les investisseurs chinois intentent des contestations au titre de l’Accord, celles‑ci seront probablement fondées sur l’une de ces deux dispositions, ou sur les deux, plutôt que sur d’autres dispositions. La PNH ajoute qu’il s’agit là des deux dispositions qui ont été les plus susceptibles d’entraîner l’adjudication de montants importants sous le régime des autres traités d’investissement.

 

[89]           La PNH a aussi fait des observations au sujet de la portée de certaines des exceptions prévues à l’Accord, y compris (i) les mesures que le Canada se réserve le droit d’adopter conformément à l’annexe B.8, lesquelles comprennent des mesures n’accordant pas aux investisseurs chinois des droits ou des privilèges accordés aux peuples autochtones, et (ii) les mesures environnementales.

 

[90]           Les observations des Parties au sujet des dispositions de l’Accord relatives à la norme minimale de traitement (la NMT), à l’expropriation et aux exceptions sont abordées de manière distincte ci‑dessous.

 

[91]           Cependant, avant de me pencher sur ces observations, je m’empresse de faire observer que, en l’absence d’un traité moderne, il semble que les Parties s’entendent pour dire que les pouvoirs législatifs dont dispose la PNH se limitent à ceux conférés par les articles 81 et 83 de la Loi sur les Indiens, précitée. L’article 81 autorise les conseils de bande à prendre des règlements administratifs qui ne sont pas incompatibles avec la Loi sur les Indiens ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre relativement à divers objets, y compris la santé, la circulation, le zonage et la planification et l’aménagement du territoire, la construction ainsi que l’entretien des bâtiments et des infrastructures, la protection de la faune et le jeu. L’article 83 accorde aux conseils de bande le pouvoir de prendre des règlements administratifs, sous réserve de l’approbation du ministre, pour des objets tels que les taxes locales, la délivrance de permis, la nomination de fonctionnaires locaux, la rémunération des fonctionnaires locaux et la réunion de fonds provenant des membres de la bande et destinés à supporter des entreprises de la bande. Les lois que la PNH adopte en vertu des articles 81 et 83 s’appliquent uniquement sur les réserves de la PNH (R c Alfred, [1993] BCJ no 2277, au para 18).

 

[92]           La PNH est aussi dotée d’un plan d’aménagement du territoire, que Mme Sayers reconnaît être de nature consultative (contre‑interrogatoire sur affidavit de Carolyne Brenda Sayers (le contre‑interrogatoire de Sayers), dossier des défendeurs, volume III, aux pp 919 à 921). Un des éléments importants de ce plan est la Stratégie d’accès au cèdre [Cedar Access Strategy] (la CAS) de la PNH, que, à l’instar de son plan d’aménagement du territoire, la PNH cherche à mettre en œuvre avec le consentement et la coopération de tierces parties (contre‑interrogatoire de Sayers, à la p 922). Les Parties semblent s’entendre sur le fait que, à titre de documents consultatifs (et non de documents juridiques), le plan d’aménagement du territoire et la CAS ne sont pas des documents qui relèvent du champ d’application potentiel de l’Accord.

 

1.      La norme minimale de traitement

 

[93]           Les dispositions relatives à la NMT sont exposées à l’article 4 de l’Accord. Conformément au paragraphe 4(1), les Parties contractantes doivent « accorde[r] aux investissements visés un traitement juste et équitable ainsi qu’une protection et une sécurité intégrales, conformément au droit international ». Au titre du paragraphe 4(2), les concepts de « traitement juste et équitable » et de « protection et sécurité intégrales » n’exigent pas un traitement supplémentaire ou supérieur à celui prescrit par la NMT des étrangers en droit international, tel qu’en fait foi la pratique générale des États acceptée comme étant le droit. Les Parties s’entendent sur le fait que cette disposition, dont le libellé est à toutes fins pratiques identique à celui employé dans la Note d’interprétation publiée par la Commission du libre‑échange de l’ALÉNA en 2001 (la Note d’interprétation de 2001) au sujet des dispositions relatives à la NMT à l’article 1105 de l’ALÉNA (opinion de Thomas, au para 102), envisage la norme minimale de traitement exigée par le droit international coutumier.

 

[94]           La PNH, en se fondant apparemment en grande partie sur des décisions antérieures à la Note d’interprétation de 2001, affirme que le « traitement juste et équitable » s’entend d’un vaste éventail de protections de fond et de protections procédurales, notamment l’exigence, pour les États, de répondre aux attentes légitimes des investisseurs étrangers et de maintenir un cadre législatif et réglementaire stable pour ces derniers. Elle ajoute que cette norme ne permettra pas au Canada de se défendre contre une contestation en se fondant sur l’argument selon lequel la mesure en question était nécessaire pour que le Canada s’acquitte de ses responsabilités qui lui incombent au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La PNH énonce, en invoquant une récente notification d’intention déposée par Eli Lilly and Company, qu’il serait même loisible à un investisseur chinois de contester des théories judiciaires élaborées en vue de donner effet à l’article 35, au motif que ces théories entraînent une instabilité réglementaire à l’égard de l’investissement. Eli Lilly conteste aussi dans sa notification d’intention la théorie de la « promesse du brevet » élaborée par cette Cour, ainsi que par la Cour d’appel fédérale (Eli Lilly and Company c Canada, ALÉNA, Group spéc c 11, Notification d’intention, 7 novembre 2012).

 

[95]           Les défendeurs ont pour leur part adopté la position selon laquelle l’obligation relative à la NMT prévoit simplement [traduction] « une exigence de base » très basse en matière procédurale, à l’égard de laquelle le traitement accordé aux investisseurs chinois ne peut être inférieur. Cette position a été appuyée par M. Thomas; j’accepte d’ailleurs son témoignage à ce sujet. À cet égard, il a fait remarquer que l’obligation relative à la NMT prévue à l’article 4 [traduction] « est considérée comme étant une norme de traitement de base que tous les membres de la communauté internationale sont capables de satisfaire » (opinion de Thomas, au para 119). Les défendeurs ont décrit cette norme ainsi, en invoquant la récente décision rendue par un tribunal arbitral dans l’affaire Glamis Gold Corporation c United States of America, NAFTA Ch 11 Panel, Award, 8 juin 2009 (Glamis Gold), au para 627 :

 

[traduction]

[…] suffisamment flagrante et choquante – le déni de justice évident, le caractère manifestement arbitraire, l’iniquité frappante, l’absence totale d’application régulière de la loi, la discrimination patente ou l’absence manifeste de motifs – pour qu’elle ne réponde pas aux normes internationales établies […]

 

[96]           Les défendeurs maintiennent, en se fondant sur la décision Mobil Investments Canada Inc & Murphy Oil Corporation c Canada, ALÉNA, Group spéc c 11, Décision sur la responsabilité et sur les principes de quantum, 22 mai 2012, au para 153 (Mobil), que cette norme n’interdit pas les modifications au régime réglementaire, et ce, même si ces changements ont des incidences défavorables sur un investisseur. Un tribunal arbitral a énoncé ce qui suit dans cette affaire :

 

[traduction]

L’article 1105 [de l’ALÉNA] peut protéger un investisseur contre des changements qui entraînent un environnement instable sur le plan juridique et commercial, mais seulement si ces changements peuvent être caractérisés d’arbitraires, de manifestement injustes ou discriminatoires, ou s’ils sont par ailleurs incompatibles avec les normes du droit international coutumier. Dans un environnement international et national de nature complexe, l’article 1105 n’empêche en rien les pouvoirs publics de modifier le cadre réglementaire pour tenir compte des nouvelles politiques et des nouveaux besoins, et ce, même si certains de ces changements peuvent avoir de profondes conséquences et incidences, et même s’ils imposent des fardeaux supplémentaires importants à un investisseur.

 

 

 

[97]           Selon M. Thomas, dont j’accepte une fois de plus le témoignage, le fait qu’une mesure réglementaire puisse avoir un effet défavorable sur un investissement, accroître les coûts engagés par un investisseur pour exploiter une entreprise ou entraîner une baisse de rentabilité ne constitue pas en soi une expropriation indirecte (opinion de Thomas, aux para 32 et 131).

 

[98]           À l’appui de sa thèse selon laquelle les investisseurs chinois peuvent invoquer les dispositions relatives à la NMT prévues à l’article 4 pour contester des mesures qui pourraient être adoptées en vue de protéger ou d’accommoder les droits revendiqués par la PNH et pour tenter d’obtenir des montants importants à titre de dommages‑intérêts, la PNH fait référence à plusieurs plaintes ou notifications d’intention de déposer des plaintes qui ont été présentées à l’encontre du Canada sous le régime de l’ALÉNA (p. ex. : SD Myers, Inc c Government of Canada, NAFTA Ch 11 Panel, Partial Award, 13 novembre 2000 (SD Myers); Windstream Energy LLC c Government of Canada, NAFTA Ch 11 Panel, Notice of Intent, 17 octobre 2012; Lone Pine Resources Inc c Government of Canada, NAFTA Ch 11 Panel, Notice of Intent, 8 novembre 2012; Pope & Talbot Inc c Government of Canada, NAFTA Ch 11 Panel, Award in Respect of Damages, 31 mai 2002 (Pope & Talbot) ainsi qu’à des plaintes formulées à l’encontre d’autres pays (p. ex. : Tecnicas Medioambientales TECMED SA c United Mexican States, ICSID Case No. ARB (AF)/00/2; Occidental Exploration and Production Company c Republic of Ecuador, (Final Award, 1er juillet 2004) LCIA Case No. UN 3467).

 

[99]           La PNH reconnaît que la Note d’interprétation de 2001, précitée, avait été publiée en réponse à l’interprétation large qui avait été donnée à cette disposition dans les décisions antérieures, et plus particulièrement Pope & Talbot, précitée. La PNH reconnaît aussi que l’interprétation donnée à l’obligation relative à la NMT prévue à l’ALÉNA a été intégrée au libellé de l’article 4 de l’Accord, comme il a été mentionné ci‑dessus. Cependant, la PNH maintient que les obligations relatives à la nation la plus favorisée (NPF) prévues à l’article 5 de l’Accord peuvent conduire un tribunal arbitral à donner une interprétation large à l’obligation relative à la NMT, comme cela a été le cas dans Pope & Talbot et dans les autres affaires qui avaient été tranchées avant l’adoption de la Note d’interprétation de 2001. La PNH fait aussi remarquer que, dans la décision plus récente rendue dans l’affaire Merrill & Ring Forestry LP c Canada, ICSID Administrated, Award, 31 mars 2010 (Merrill & Ring), le tribunal arbitral a retenu l’interprétation selon laquelle les obligations relatives à la NMT contenues dans l’ALÉNA étaient plus larges que l’interprétation mise de l’avant par le Canada et il a conclu que la NMT établie par le droit international coutumier continue d’évoluer, en fonction des réalités de la communauté internationale (Merrill & Ring, précitée, au para 193). Le tribunal arbitral concluait ensuite que cette norme [traduction] « assure un traitement juste et équitable des investisseurs étrangers, dans les limites de la raisonnabilité » (Merrill & Ring, précitée, au para 213). Néanmoins, comme l’ont fait remarquer les défendeurs, le tribunal arbitral a ensuite conclu que, indépendamment de la question de savoir si la norme retenue était la norme moins sévère mise de l’avant par l’investisseur ou la norme plus sévère mise de l’avant par le Canada, les dommages n’avaient pas été établis (Merrill & Ring, précitée, au para 266).

 

[100]       Le professeur Van Harten a mentionné dans son affidavit qu’un tribunal arbitral conclurait probablement que les dispositions relatives à la NPF qui se trouvent à l’article 5 de l’Accord auraient pour effet de rendre inapplicables les dispositions de l’article 4 qui ont pour effet d’intégrer la norme du « droit international coutumier » formulée dans la Note d’interprétation de 2001, à laquelle j’ai fait référence précédemment (dossier de la demanderesse, à la p 85). Sa croyance semble s’appuyer sur l’idée selon laquelle certains traités bilatéraux d’investissements entrés en vigueur après le 1er janvier 1994 ne contenaient pas de telles dispositions, ni les limites que ces dispositions apportaient à la NMT. (Conformément au paragraphe 8(1) de l’Accord, les dispositions relatives à la NPF prévues à l’article 5 ne s’appliquent pas au traitement accordé en vertu de tout accord international bilatéral ou multilatéral en vigueur avant le 1er janvier 1994.) Cependant, M. Van Harten n’a pas relevé d’accords commerciaux ou d’APIE postérieurs à 1993 qui conféraient des protections plus larges aux investisseurs que celles prévues à l’article 4 de l’Accord.

 

[101]       M. MacKay a reconnu, au stade du contre‑interrogatoire, la possibilité que la disposition relative à la NPF prévue à l’article 5 pourrait possiblement rendre inapplicable les dispositions de l’article 4 qui reprenaient celles de la Note d’interprétation de 2001 de la CLÉ. Cependant, il a maintenu que la Note d’interprétation de 2001 ne faisait que clarifier la norme qui était prévue à l’ALÉNA depuis le départ et qui est consacrée dans tous les autres accords commerciaux et traités d’investissements internationaux postérieurs à 1993 auxquels le Canada est partie (dossier de la demanderesse, aux pp 509 et 510).

 

[102]       M. Thomas n’a pas traité de cette question précise, bien qu’il ait relaté au cours du contre‑interrogatoire, alors qu’il discutait de la note interprétative concernant l’expropriation à l’annexe B.10 de l’Accord, que le texte même des dispositions de fond d’un traité serait probablement examiné de manière très sérieuse par un tribunal arbitral et que ces dispositions auraient peut-être, en fin de compte, préséance sur la clause de la NPF (dossier de la demanderesse, aux pp 769 à 772).

 

[103]       Je suis d’avis que la preuve à cet égard ne s’avère pas concluante. J’accepte la thèse de la PNH selon laquelle il existe une certaine incertitude quant à la question de savoir si un investisseur chinois pourrait convaincre un tribunal arbitral constitué en vertu de l’Accord de lui faire bénéficier d’une obligation relative à la NMT qui avait été négociée dans un autre traité de protection des investissements postérieur à 1993 ne contenant pas les dispositions limitatives prévues à l’article 4. Cependant, la PNH n’a pas produit de preuve démontrant qu’il y existe d’autres accords munis de dispositions relatives à la NMT qui entrent dans le champ d’application de l’article 5 et dont le libellé est plus favorable. Il s’ensuit que je dois m’en remettre à des conjectures quant à savoir si cela est effectivement le cas.

 

[104]       Je souscris aussi à la thèse de la PNH selon laquelle, même si on ne tient pas compte des dispositions relatives à la NPF de l’article 5, il existe une certaine incertitude en ce moment au sujet de la portée des obligations relatives à la NMT qui sont consacrées à l’article 4. (Voir aussi Margaret Clare Ryan, « Glamis Gold, Ltd c The United States and the Fair and Equitable Treatment Standard », (2011) 56:4 McGill LJ 919, p 957). Cependant, une fois de plus, la PNH n’a pas présenté de preuve concrète pour démontrer en quoi, dans l’éventualité où un tribunal arbitral devait accorder à un investisseur chinois les avantages d’une norme qui est différente de celle envisagée par des citations susmentionnées tirées de Glamis Gold and Mobil, elle serait concrètement exposée à une possibilité non hypothétique que cette situation entraîne des effets préjudiciables importants à l’égard des droits ancestraux qu’elle revendique. Effectivement, selon le témoignage non contesté de M. Thomas, une seule des onze affaires qui est postérieure à la Note d’interprétation de 2001 et qui soulevait une contestation fondée sur l’obligation relative à la NMT au titre de l’article 1105 de l’ALÉNA a été accueillie (contre‑interrogatoire sur affidavit de John Christopher Thomas (le contre‑interrogatoire de Thomas), dossier de la demanderesse, à la p 785). Cela dit, je reconnais que, dans Pope & Talbot, précitée, le tribunal avait conclu que la mesure contestée en vertu de l’article 1105 dans cette affaire aurait contrevenu même à l’interprétation plus restrictive de la NMT qui figurait dans la Note d’interprétation de 2001. Cependant, je remarque aussi qu’il existe très peu d’affaires dans lesquelles on a conclu que le Canada avait manqué à ses obligations relatives à la NMT prévues à l’ALÉNA et aux 24 autres APIE auxquels il est partie.

 

[105]       Compte tenu de ce qui précède, ainsi que du fait que le niveau global actuel d’investissements au Canada qui proviennent d’investisseurs chinois ne représente uniquement une petite partie du niveau global d’investissements au Canada qui proviennent d’américains sur une base annuelle au cours des deux dernières décennies, je suis convaincu que la possibilité que les obligations relatives à la NMT contenues dans l’Accord aient des effets préjudiciables sur les droits ancestraux revendiqués par la PNH est hypothétique et qu’elle n’est pas importante.

 

2.                  L’expropriation

 

[106]       Le paragraphe 10(1) de l’Accord prévoit entre autres ce qui suit :

 

Les investissements visés des investisseurs de l’une ou l’autre Partie contractante ou le rendement obtenu par ces derniers ne peuvent faire l’objet d’une expropriation, d’une nationalisation ou de mesures ayant un effet équivalent à celui d’une nationalisation ou d’une expropriation sur le territoire de l’autre Partie contractante […], si ce n’est dans l’intérêt public, dans le respect des principes internes d’application régulière de la loi, de façon non discriminatoire et moyennant le versement d’une compensation.

 

[107]       Les Parties conviennent que cette obligation protège les investisseurs contre l’expropriation directe et indirecte.

 

[108]       La PNH soutient que l’interdiction de procéder à une expropriation directe ou à une expropriation indirecte sans compensation est précisément conçue pour garantir que les investisseurs chinois seront compensés dans la situation où ces investisseurs ne pourraient obtenir de compensation sous le régime du droit national. Autrement dit, la PNH affirme que, lorsque l’Accord sera ratifié, les organes législatifs canadiens ne pourront plus procéder à l’expropriation d’un investissement fait par des investisseurs chinois sans leur verser une compensation intégrale. Par conséquent, la PNH soutient que le Canada renoncera ainsi à un important degré de flexibilité dans sa capacité de protéger les terres et les ressources qui se rapportent aux droits ancestraux qu’elle revendique.

 

[109]       En réponse, les défendeurs affirment que le Canada observe, depuis longtemps, la politique de ne pas exproprier de tierces parties pour régler des revendications territoriales et d’acquérir les terres détenues par des tierces parties uniquement selon le principe de [traduction] « vente gré à gré ». Cette affirmation était appuyée par les documents fournis par le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada. Par conséquent, les défendeurs affirment que, concrètement, il n’y aura aucun changement dans l’éventail des possibilités dont le Canada dispose et qu’il pourrait concrètement envisager en vue de protéger ou d’accommoder les droits ancestraux revendiqués par la PNH. Ils mentionnent, en invoquant l’arrêt Régie des transports en commun de la région de Toronto c Dell Holdings Ltd, [1997] 1 RCS 32, aux para 20 à 23, qu’il existe en droit canadien une forte présomption selon laquelle dès qu’une terre est expropriée, une compensation sera versée, à moins que le libellé de la législation autorisant l’expropriation prévoie expressément le contraire.

 

[110]       En l’absence de quelque élément de preuve donnant à penser qu’il existe une possibilité non hypothétique que le Canada ou la Province de la Colombie‑Britannique ait par ailleurs envisagé, en l’absence de l’Accord, l’éventualité de procéder à une expropriation sans compensation, je n’ai d’autre choix que de conclure qu’il est improbable que la disparition de cette possibilité théorique ait, de manière non hypothétique, la possibilité d’entraîner des effets préjudiciables sur les droits ancestraux revendiqués par les PNH.

 

[111]       La PNH soutient aussi que l’interdiction de procéder à une expropriation indirecte aura pour effet de réduire la portée des mesures qui pourront être adoptées en vue de préserver ses terres et ses ressources. La PNH affirme, comme elle le faisait à l’égard de l’obligation relative à la NMT prévue à l’article 4, qu’il existe un important degré d’incertitude quant aux cas dans lesquels on pourrait conclure que des mesures constituent une expropriation indirecte. Elle renchérit en affirmant qu’il ne fait aucun doute que les mesures gouvernementales légitimes adoptées dans l’intérêt du public peuvent constituer une expropriation, et ce, même en l’absence de discrimination. De plus, elle affirme, en renvoyant à la décision rendue par le tribunal arbitral de l’ALÉNA dans l’affaire Metalclad, précitée, que les attentes légitimes d’un investisseur qui sous-tendaient l’investissement seront prises en considération lorsque viendra le temps de déterminer s’il y a eu expropriation indirecte. Elle soutient aussi qu’une mesure ayant des effets préjudiciables importants sur la valeur d’un investissement pourrait être jugée comme constituant une expropriation indirecte.

 

[112]       À l’appui de sa thèse selon laquelle les dispositions relatives à l’expropriation prévues à l’article 10 pourraient conduire le Canada à s’abstenir d’adopter une mesure qui serait autrement probablement promulguée pour protéger ou accommoder les droits ancestraux qu’elle revendique, la PNH a fait observer que le Canada avait déboursé un total d’environ 160 millions de dollars à titre de règlement dans le contexte de plaintes en matière d’expropriation sous le régime de l’ALÉNA. Ces plaintes avaient été intentées par Ethyl Corporation au sujet d’une interdiction d’importer et de faire le commerce interprovincial du MMT, qu’on soupçonnait être une neurotoxine, ainsi que par Abitibi Bowater à l’égard de dispositions législatives adoptées par le gouvernement de Terre‑Neuve qui visaient à procéder à l’expropriation de certains terrains et de certains actifs de la société, incluant ses droits relatifs aux ressources, après qu’elle eut annoncé son intention de fermer une usine de pâtes et papiers située dans cette province.

 

[113]       Les défendeurs font observer en réponse que l’annexe B.10 de l’Accord définit l’expropriation indirecte comme résultant « d’une mesure ou d’une série de mesures d’une Partie contractante qui a un effet équivalent à l’expropriation directe sans transfert formel de titre ou confiscation pure et simple ». De plus, ils mentionnent que l’annexe B.10 précise que « le fait que la mesure ou la série de mesures de la Partie contractante ait un effet défavorable sur la valeur économique d’un investissement ne [suffit] pas à lui seul à établir qu’il y a eu expropriation indirecte ». De plus, ils affirment que dans la disposition suivante, qui se trouve au paragraphe 3 de l’annexe B.10, montrent clairement que les circonstances dans lesquelles un règlement adopté de bonne foi peut constituer une expropriation indirecte sont rares :

 

Sauf dans de rares cas, par exemple si une mesure ou série de mesures est si rigoureuse au regard de son objet qu’on ne peut raisonnablement penser qu’elle a été adoptée et appliquée de bonne foi, une mesure ou une série de mesures non discriminatoire d’une Partie contractante qui est conçue et appliquée dans un but légitime de protection du bien-être public, par exemple en matière de santé, de sécurité et d’environnement, ne constitue pas une expropriation indirecte.

 

[114]       La PNH a fait observer en réplique que M. Thomas avait convenu lors de son contre‑interrogatoire que les règlements visant un objectif d’intérêt public adoptés de bonne foi peuvent constituer une expropriation sous le régime de l’Accord, et que la forme que prend une mesure et l’intention de l’État ne sont pas déterminantes. La PNH a fait remarquer que M. Thomas avait aussi convenu que la question de savoir à quel moment le règlement dépasse les bornes et constitue une mesure [traduction] « assimilable à l’expropriation » n’est pas encore tranchée et qu’il n’existe aucune ligne de démarcation claire qui détermine à quel moment une compensation sera nécessaire, parce que chaque affaire est largement tributaire des faits (contre‑interrogatoire de Thomas, dossier de la demanderesse, aux pp 754 à 760).

 

[115]       De plus, la PNH a fait remarquer que l’annexe B.10 n’offre aucune protection aux mesures dont l’objet est de protéger les droits ancestraux et le titre aborigène ou de par ailleurs permettre au Canada de s’acquitter des obligations qui lui incombent au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. À cet égard, la demanderesse a souligné que M. MacKay a reconnu que rien n’a été fait en vue de négocier une protection visant précisément de telles mesures, parce que le Canada ne voulait pas [traduction] « se livrer à un tel marchandage » (contre‑interrogatoire de MacKay, dossier de la demanderesse, à la p 535). En se fondant sur cet état de fait, la PNH conclut qu’une mesure visant à protéger les droits des peuples autochtones ne pourrait bénéficier de l’application de l’annexe B.10.

 

[116]       Tout comme elle l’avait affirmé en ce qui concerne les dispositions relatives à la NMT prévues à l’article 4 de l’Accord, dont j’ai traité précédemment, la PNH soutient que les dispositions relatives à la NPF prévues à l’article 5 neutraliseraient effectivement les restrictions prévues à l’annexe B.10, restrictions que le Canada et les États-Unis avaient intégrées à leur modèle respectif d’accord en matière de protection des investissements étrangers en 2004, dans le but de clarifier le cadre applicable pour établir s’il y a eu expropriation indirecte. La preuve sur laquelle la PNH se fondait à cet égard ressemble de très près à celle que j’ai abordée précédemment aux paragraphes 100 à 102 en ce qui concerne l’interaction entre les dispositions relatives à la NPF et celles relatives à la NMT, prévues respectivement aux articles 5 et 4 de l’Accord.

 

[117]       Je dois, essentiellement pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment au paragraphe 103, m’en remettre à des conjectures quant à savoir si les dispositions relatives à la NPF seraient appliquées de manière à neutraliser la totalité ou une partie des restrictions exposées à l’annexe B.10 sans compter que le paragraphe 35(4) mentionne expressément que les annexes et les notes de bas de page de l’Accord en font partie intégrante.

 

[118]       Je suis effectivement convaincu que, même sans tenir compte des dispositions relatives à la NPF prévues à l’article 5, on ne sait pas trop comment les dispositions de l’annexe B.10 et de l’article 10 peuvent être appliquées à des mesures au sujet desquelles on pourrait alléguer qu’elles constituent une expropriation indirecte, comme l’a d’ailleurs reconnu M. Thomas (contre‑interrogatoire de Thomas, dossier de la demanderesse, aux pp 754 et 755).

 

[119]       Cependant, j’accepte le témoignage de M. Thomas portant que les situations dans lesquelles on pourrait conclure qu’une mesure non discriminatoire qui est adoptée et appliquée dans un but légitime de protection du bien-être public, comme l’envisage l’annexe B.10, seront probablement rares (opinion de Thomas, au para 33). J’accepte aussi son témoignage non contesté selon lequel, à l’exception d’une notification d’intention de déposer une plainte, laquelle n’a pas conduit à la création d’un tribunal, il n’y a pas eu d’autres plaintes, et encore moins de décision d’un tribunal, contre le Canada à l’égard de toute mesure fédérale, provinciale ou territoriale ayant été adoptée en lien avec les droits ou les intérêts des Autochtones, ni au sujet de prétendues mesures illégales adoptées par les Premières Nations elles-mêmes (opinion de Thomas, aux para 29, 30 et 127). Dans la même veine, j’accepte le témoignage de M. Thomas selon lequel il n’y a eu qu’une seule plainte de ce genre déposée contre les États-Unis (Glamis Gold, précitée) pour contester des mesures réglementaires adoptées en vue de protéger les droits des Autochtones, et que cette plainte a non seulement été rejetée, mais qu’elle constitue aussi un bon exemple de la manière dont ces droits seront pris en considération par un tribunal arbitral lors de l’application des normes prévues dans l’Accord (opinion de Thomas, aux para 31 et 199 à 204).

 

[120]       Compte tenu de ce qui précède, et en l’absence de toute preuve du contraire, je n’ai pas été convaincu qu’il existe une possibilité importante et non hypothétique (i) qu’un tribunal arbitral conclue que des mesures ayant pour objet de protéger ou d’accommoder les droits ancestraux revendiqués par la PNH contreviennent aux dispositions relatives à l’expropriation prévues à l’article 10 de l’Accord, ou (ii) que le Canada s’abstienne de mettre en œuvre une mesure en ce sens qu’il aurait sinon adoptée, et ce, en raison de sa crainte d’être condamné à verser des dommagesintérêts importants à un ou plusieurs investisseurs chinois.

 

3.                  Les exceptions prévues dans l’Accord

 

[121]       À l’appui de leur thèse selon laquelle le Canada dispose encore d’amplement de souplesse pour protéger et pour accommoder les droits ancestraux revendiqués par la PNH, les défendeurs font remarquer que, comme cela a été le cas dans tous les autres APIE conclus par le Canada, l’Accord contient des exceptions générales pour garantir que le gouvernement fédéral et les gouvernements infranationaux conservent une certaine souplesse dans les domaines clés. À cet égard, ils font remarquer que les « exceptions spécifiques », qui sont quelquefois désignées sous le nom de « réserves », sont souvent employées pour exclure certaines matières précises du champ d’application d’une partie ou de l’ensemble des obligations prévues dans un APIE; quant aux « exceptions générales », celles-ci sont habituellement utilisées pour rendre un APIE inapplicable à l’égard de matières plus étendues.

 

[122]       En ce qui a trait aux exceptions spécifiques, les défendeurs affirment que, conformément à l’article 8, les mesures non conformes existantes sont maintenues, et ce, malgré l’application des dispositions relatives à la NPF prévues à l’article 5, des dispositions relatives au traitement national prévues à l’article 6 et des dispositions se rapportant aux dirigeants et au conseil d’administration, qui sont prévues à l’article 7. De plus, les défendeurs font remarquer qu’en application de l’article 8, le Canada peut se garder de la flexibilité en ce qui a trait aux mesures qui pourraient être adoptées dans le cadre de certains programmes ou dans des domaines névralgiques, en les exemptant de l’application des articles 5, 6 et 7. Par exemple, les défendeurs font observer que, conformément à l’article 8, les achats et les subventions ne sont pas visés par les obligations prévues par l’Accord. De plus, par l’application de l’annexe B.8, l’article 8 prévoit aussi que les articles 5, 6 et 7 ne s’appliquent pas aux mesures se rapportant, entre autres, aux services sociaux qui sont établis ou qui sont maintenus dans l’intérêt public et, encore plus important en l’espèce, aux droits et aux privilèges accordés aux peuples autochtones (la réserve relative aux Autochtones).

 

[123]       Les défendeurs soutiennent que la réserve relative aux Autochtones permet à tous les paliers de gouvernements nationaux, y compris aux gouvernements autochtones jouissant de pouvoirs législatifs et réglementaires, d’accorder aux Autochtones des droits et des privilèges qui seraient par ailleurs non compatibles avec les obligations exposées dans l’Accord. Les défendeurs font remarquer que le Canada s’est assuré de garder, sous le régime des autres APIE qu’il avait conclus, la flexibilité de pouvoir donner préséance aux intérêts des Autochtones.

 

[124]       Les Parties semblent convenir que la réserve relative aux Autochtones ne s’applique pas aux dispositions relatives à la NMT prévues à l’article 4, ni aux dispositions relatives à l’expropriation prévues à l’article 10 et ni aux dispositions relatives aux prescriptions de résultats, prévues à l’article 9 (lequel, apparemment, réaffirme les obligations déjà contenues dans l’Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce, auquel tous les pays membres de l’OMC sont parties et à l’égard duquel aucune réserve ne peut être invoquée). Selon le témoignage non contredit de M. MacKay, les divers APIE auxquels le Canada est partie, y compris l’Accord, n’étendent pas l’application des réserves à la NMT et à l’expropriation, parce que de telles réserves [traduction] « iraient à l’encontre de l’objectif du traité, qui est d’établir une stabilité juridique réciproque pour les investisseurs étrangers dans le pays hôte ». M. MacKay a renchéri en mentionnant que les obligations relatives à la NMT et à l’expropriation sont simplement [traduction] « des protections de base contre le manquement à l’application régulière de la loi, le déni de justice et les mesures spoliatrices » (affidavit de MacKay, au para 58).

 

[125]       En ce qui a trait aux exceptions générales contenues dans l’Accord, les défendeurs ont fait remarquer que le Canada a soustrait divers types de mesures à l’application des obligations contenues dans l’Accord. Cela comprend aussi, conformément à l’article 33(2), les mesures environnementales (i) qui sont nécessaires pour assurer l’observation des lois et règlements qui ne sont pas incompatibles avec les dispositions de l’Accord (ii) qui sont nécessaires à la protection de la santé ou de la vie des personnes ou des animaux, ou à la préservation des végétaux, ou (iii) qui se rapportent à la conservation des ressources naturelles épuisables, qu’elles soient biologiques ou non biologiques, si ces mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions sur la production ou la consommation nationale.

 

[126]       La PNH maintient que les exceptions mentionnées précédemment ainsi que la réserve relative aux Autochtones ne permettent pas au Canada de se garder suffisamment de flexibilité pour protéger et accommoder les droits ancestraux qu’elle revendique. En ce qui concerne plus particulièrement l’exception environnementale prévue au paragraphe 33(2), elle fait observer que, parmi les trois types de mesures qui sont décrits, les deux premiers sont seulement restreints aux mesures qui sont nécessaires pour l’atteinte des objectifs qui sont énoncés et qu’il incomberait au Canada de démontrer l’existence d’une telle nécessité. Elle suggère, en se fondant sur l’ouvrage Law and Practice of Investment Treaties (Austin, Tex. : Wolters Kluwer, 2009) de Andrew Newcombe et Lluis Paradell, aux pages 500 à 506, que le sens du terme « nécessaire » peut être, d’un côté du spectre, indispensable ou absolument nécessaire, ou, à l’autre bout du spectre, être un élément contribuant à l’atteinte des objectifs énoncés. Newcombe et Paradell font aussi remarquer, de manière plus large, que les exceptions générales comme celles discutées précédemment soulèvent de nombreuses questions d’interprétation qui n’ont pas encore été clarifiées dans la jurisprudence.

 

[127]       Je reconnais qu’il existe une certaine incertitude concernant la portée des exceptions générales et des exceptions spécifiques mentionnées ci-dessus. Cependant, il demeure loin d’être clair en quoi cette incertitude aide la PNH à établir que les effets préjudiciables potentiels sur ses droits ancestraux revendiqués sont importants et non hypothétiques.

 

[128]       La PNH a eu des difficultés lorsqu’on l’a priée, au cours de l’audience, d’en dire plus à cet égard et, d’un aspect plus large, en quoi l’Accord en général fait naître la possible existence de tels effets. À un certain moment, elle a mentionné que [traduction] « il n’est pas déraisonnable d’imaginer un scénario où l’adoption de mesures pour protéger des droits ancestraux pourrait entraîner la révocation d’un permis, mesure au sujet de laquelle on pourrait ensuite [affirmer qu’elle entraîne] une diminution substantielle de la valeur d’un investissement [d’un investisseur chinois] » (transcription, à la p 178). Cette déclaration est similaire à son observation écrite selon laquelle un tribunal arbitral pourrait conclure à l’existence d’une violation de l’Accord et imposer des dommages‑intérêts importants au Canada relativement à l’annulation d’un permis d’extraction de ressources par les tribunaux, au motif que soit (i) le Canada n’a pas procédé à une consultation adéquate ou qu’il n’a pas accommodé les droits ancestraux revendiqués, soit (ii) le développement autorisé par le permis contrevient de manière injustifiable à des droits ancestraux ou à des droits issus de traités. En l’absence d’une preuve démontrant qu’il existe un risque non hypothétique et important qu’un tribunal arbitral puisse non seulement prononcer une telle conclusion à l’égard d’un permis déterminé, mais aussi que cette conclusion aura des effets préjudiciables sur les droits ancestraux revendiqués par la PNH, je ne peux souscrire à l’observation de la PNH selon laquelle la ratification de l’Accord fait naître un tel risque non hypothétique et important.

 

[129]       La PNH a aussi déclaré que la ratification de l’Accord fait naître le risque important et non hypothétique que le Canada tiendra compte, lorsqu’il sera appelé à déterminer comment il accommodera les droits ancestraux qu’elle revendique, du risque qu’un tribunal arbitral rende une décision défavorable à son endroit. Cette question a été abordée plus en détail aux paragraphes 82 et 83, ci‑dessus. Cependant, la PNH n’a pas produit de preuve qui démontre, de manière convaincante, que le fait que le Canada tienne compte d’un tel risque dans l’élaboration de mesures visant à protéger ou à accommoder les droits ancestraux revendiqués par la PNH entraînera une possibilité importante et non hypothétique que la marge de manœuvre du Canada soit limitée, entravée ou influencée d’une manière qui laissera la PNH dans une situation plus défavorable, en ce qui a trait à ces droits, que si l’Accord n’est pas mis en œuvre. En l’absence d’une telle preuve, et compte tenu de la nature très rudimentaire des obligations relatives à la NMT et à l’expropriation ainsi que du fait que les exceptions générales et les exceptions spécifiques abordées ci-dessus conféreront une certaine flexibilité au Canada, je conclus que cette affirmation n’est que pure conjecture. Ma conclusion à cet égard est renforcée par le témoignage de M. MacKay, selon lequel il n’a [traduction] « pas connaissance d’une décision rendue par une cour canadienne selon laquelle la norme minimale de traitement ou la disposition en matière d’expropriation fait obstacle aux revendications autochtones ou aux droits ancestraux, ou qu’elles sont incompatibles avec ceux-ci » (affidavit de MacKay, au para 59).

 

[130]       Un autre exemple fourni par la PNH quant à savoir comment, concrètement, la ratification de l’Accord pourrait avoir des effets préjudiciables sur les droits ancestraux qu’elle revendique, était la possibilité que la PNH puisse vouloir adopter un moratoire sur le développement foncier jusqu’à ce que la réglementation régissant le plan d’aménagement du territoire sur ses réserves ou sur un territoire plus étendu ait été adoptée. La PNH a fait remarquer que le gouvernement du peuple Tlicho (le gouvernement Tlicho) avait fait quelque chose de similaire et qu’il avait ensuite été incapable, dans une instance tenue devant la Cour suprême des Territoires‑du‑Nord-Ouest, d’empêcher la tenue d’une évaluation environnementale. Cela s’est produit sans égard au fait que l’examen se penchait entre autres sur de possibles routes d’accès que le gouvernement Tlicho ne voulait pas voir comprises dans l’évaluation (Tlicho Government c MacKenzie Valley Impact Review Board, 2011 NWTSC 31). La PNH a soutenu, en extrapolant à partir de cette affaire, qu’il n’est pas difficile d’imaginer un scénario dans lequel un moratoire similaire pourrait donner lieu à une décision défavorable contre le Canada en arbitrage si on devait y juger que le moratoire contrevient aux dispositions relatives à la NMT ou à l’expropriation de l’Accord. La PNH a soutenu que, dans une telle situation, le Canada pourrait exercer des pressions sur elle afin qu’elle abandonne le moratoire ou qu’elle s’acquitte des dommages-intérêts imposés au Canada (transcription, aux pages 212 à 218). Quant à cette dernière question, la PNH a relevé que le gouvernement Tlicho a conclu un accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale avec le Canada ainsi qu’avec le gouvernement des Territoires du Nord‑Ouest, et que la clause 7.13.6 de cet accord exige que le gouvernement Tlicho, sur demande du gouvernement du Canada et dans l’éventualité d’une décision défavorable rendue par un tribunal arbitral international à l’égard d’une loi ou d’une mesure prise par le gouvernement Tlicho dans l’exercice de sa compétence, remédie à sa loi ou à la mesure prise pour permettre au Canada de s’acquitter de ses obligations internationales. La PNH a laissé entendre qu’il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle soit contrainte de consentir à une disposition similaire dans tout accord du même type qu’elle pourrait éventuellement négocier avec le Canada et avec le gouvernement de la Colombie-Britannique.

 

[131]       Là encore, je n’ai pas été convaincu qu’il existe une possibilité importante et non hypothétique que ce scénario se produise, surtout en raison de l’absence d’éléments de preuve selon lesquels (i) la PNH étudie la possibilité d’adopter un tel moratoire, (ii) un tel moratoire puisse d’une manière ou d’une autre avoir des effets préjudiciables sur un possible investissement chinois dans le territoire de la PNH, (iii) il y aurait une possibilité non hypothétique que l’on juge qu’un tel moratoire contrevient à l’Accord, et (iv) le Canada ne garderait pas suffisamment de flexibilité pour régler cette situation d’une manière n’entraînant aucun effet préjudiciable sur les droits ancestraux revendiqués par la PNH.

 

c)      Les conclusions concernant les possibles effets qui, selon la PNH, découleront d’une modification dans le cadre juridique applicable à la réglementation des terres et des ressources

 

[132]       Pour les motifs exposés ci-dessous, la PNH n’a pas démontré que la ratification avait un potentiel non hypothétique et important d’avoir des effets préjudiciables sur les droits ancestraux revendiqués par la PNH, en raison des changements que l’Accord apportera au cadre juridique applicable à la réglementation des terres et des ressources au Canada.

 

[133]       Ma conclusion à cet égard est renforcée par les éléments suivants :

 

a)      L’expérience du Canada au sein de l’ALÉNA et dans le cadre des 24 APIE conclus avec d’autres États constitue possiblement la meilleure preuve disponible pertinente pour examiner la possibilité que l’Accord ait les effets relevés par la PNH. Effectivement, cette expérience est plus pertinente que celle des autres pays au sein d’accords auxquels le Canada n’est pas partie et à l’égard desquels la PNH a décelé uniquement un petit nombre de décisions arbitrales au cours de la présente instance.

-    Comme il a été discuté précédemment au paragraphe 104, d’après le témoignage non contredit de M. Thomas, seulement une des 11 affaires qui sont postérieures à la Note d’interprétation de 2001 et qui soulevaient une contestation fondée sur l’obligation relative à la NMT prévue à l’article 1105 de l’ALÉNA s’était soldée par l’acceptation de la contestation. Dans tous les cas, le nombre total de cas dans lesquels on a conclu que le Canada contrevenait à cette obligation est extrêmement faible.

-    Dans la même veine, comme il a été discuté précédemment au paragraphe 119, M. Thomas a aussi donné un témoignage non contesté portant que, à l’exception d’une notification d’intention de déposer une plainte, laquelle n’avait pas entraîné la constitution d’un tribunal arbitral, il n’y a pas eu d’autres plaintes, et encore moins une décision d’un tribunal, contre le Canada à l’égard d’une mesure fédérale, provinciale ou territoriale adoptée relativement aux droits ancestraux ou à l’égard de mesures prétendument illégales adoptées par des Premières Nations elles-mêmes, et il n’y a eu qu’une seule plainte de ce type qui a été déposée contre les États‑Unis, laquelle a été rejetée.

-    Seules deux décisions accordant des dommages-intérêts ont été prononcées contre le Canada dans le passé (Pope & Talbot et SD Myers, précitées); pris cumulativement, les dommages-intérêts étaient de moins de 7 millions de dollars, malgré le fait qu’il y ait eu une conclusion défavorable quant à la responsabilité du Canada dans une troisième affaire (Mobil, précitée), affaire dans laquelle les dommages restent à être établis. Il y a aussi environ six autres causes dans lesquelles des plaintes ont été déposées et pour lesquelles aucun règlement n’est intervenu, ainsi que deux autres causes dans lesquelles une notification d’intention a été déposée, mais où aucune plainte officielle n’a été présentée.

-    Comme il a été mentionné précédemment au paragraphe 112, seules deux plaintes contre le Canada en vertu de l’ALÉNA ont été réglées par le versement d’une compensation, pour un montant cumulatif d’environ 160 millions de dollars (transcription, aux pp 343 à 348).

-    M. MacKay, dont le témoignage à ce sujet ne semble pas avoir été contredit, a déclaré dans son affidavit qu’il n’avait pas connaissance de l’existence d’éléments de preuve laissant entendre que les pertes ou les règlements pécuniaires susmentionnés ont eu des répercussions ou ont entravé la capacité du Canada de prendre des règlements dans l’intérêt public de manière non discriminatoire, et aucune des plaintes qui ont été intentées contre le Canada ne concernait les droits ancestraux (affidavit de MacKay, au para 69). Il a aussi témoigné, et cela n’a pas été contesté, qu’à sa connaissance, aucune cour canadienne n’avait conclu que les dispositions relatives à la NMT ou à l’expropriation dans les accords internationaux auxquels le Canada est partie portaient atteinte à des revendications autochtones ou à des droits ancestraux, ni qu’elles étaient incompatibles avec ceux-ci; effectivement, les groupes autochtones n’ont introduit aucun litige au Canada relativement aux effets prétendus d’un APIE ou d’un autre traité d’investissement, y compris l’ALÉNA, sur les droits ancestraux depuis 1989 (affidavit de MacKay, aux para 59 et 69).

-    Les Parties semblent convenir que, à ce jour, aucune plainte n’a été déposée contre le Canada sous le régime de l’un des 24 APIE qu’il a conclu.

 

b)      Tout ce que les Chinois ont investi au Canada jusqu’à maintenant ne représente qu’une petite partie de ce que les Américains investissent chaque année depuis que l’ALÉNA est entré en vigueur, le 1er janvier 1994. Selon le témoignage non contesté de M. MacKay, en 2011, soit la dernière année pour laquelle des données sont disponibles, la somme des investissements chinois au Canada s’élevait à 10,9 milliards de dollars, comparativement à environ 326 milliards de dollars pour les investisseurs américains – un chiffre qui représente environ 30 fois le niveau d’investissement total provenant de la Chine. Bien que CNOOC Ltd. ait subséquemment fait l’acquisition de Nexen, Inc. dans une transaction dont la valeur s’élevait approximativement à 15 milliards de dollars, selon le témoignage non contesté de M. MacKay, la plupart des actifs de Nexen sont situés à l’extérieur du Canada (contre-interrogatoire de MacKay, dossier de la demanderesse, à la p 485). Selon les données incluses dans la pièce H de l’affidavit de M. MacKay, le niveau total d’investissement au Canada provenant d’investisseurs américains s’élevait à environ 103 milliards de dollars en 1994 et s’est constamment accru depuis ce temps.

 

c)      Aucune preuve n’a été présentée pour démontrer, ou même laisser entendre, que la situation sous le régime de l’Accord sera probablement différente que la situation qui prévaut sous le régime de l’ALÉNA ou des 24 APIE auxquels le Canada est actuellement partie.

 

d)     Rien ne démontre que l’ALÉNA ou les 24 APIE en vigueur ont entravé ou « dissuadé » des gouvernements infranationaux du Canada de légiférer dans l’intérêt public. Effectivement, le moratoire imposé par le gouvernement du Québec contre la fracturation du gaz naturel (de schiste) (au sujet duquel une notification d’intention a été déposée en 2012 par Lone Pine Resources Inc) ainsi que celui imposé par l’Ontario contre les parcs éoliens extracôtiers (à l’égard duquel Windstream Energy LLC a déposé une plainte en 2013) donne à penser qu’il n’y a eu ni entrave, ni dissuasion.

 

e)      À l’exception de la preuve par ouï-dire présentée par Mme Sayers et qu’elle avait obtenue du Wall Street Journal, lequel rapportait que China Investment Corp. était près de faire l’acquisition, pour la somme d’environ 100 millions de dollars, d’une participation de 12,5 % dans certains actifs détenus par Island Timberlands LP dans le secteur du bois d’œuvre, il n’y a pas de preuve concernant d’actuels ou potentiels investissements, par des investisseurs chinois, à l’intérieur du territoire revendiqué par la PNH, et encore moins sur ses réserves.

 

f)       Aucune preuve n’a été produite pour démontrer, ou même laisser entendre, que des mesures fédérales ou infranationales en vigueur, y compris des mesures mises sur pied par la PNH, pourraient contrevenir ou être incompatibles avec quelque disposition de l’Accord.

 

g)      Il y a très peu, s’il en est, de preuve démontrant l’existence d’un lien de causalité entre l’Accord et de possibles investissements au Canada par des investisseurs chinois, et il n’y a pas de preuve de l’existence d’un tel lien à l’égard de possibles investissements à l’intérieur du territoire de la PNH. Le seul élément de preuve produit en l’espèce était un document intitulé Évaluation environnementale définitive de l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers (APIE) Canada‑Chine, qui était joint à l’affidavit de M. MacKay en tant que pièce BB. La mention suivante apparaît à la page 2 de ce document :

 

[…] Les auteurs de [l’évaluation environnementale] initiale ont indiqué que la mise en œuvre de l’APIE Canada-Chine n’était susceptible d’entraîner ni des changements importants au chapitre de l’investissement […] Dans [l’évaluation environnementale] définitive, on réitère que la mise en œuvre de l’APIE Canada‑Chine n’aura aucun impact environnemental important; toutefois, au fil des années, les investisseurs chinois ont manifesté de plus en plus leur désir d’investir au Canada, et cette tendance va probablement se poursuivre, voire augmenter, à la suite de la mise en œuvre de l’APIE. […]

 

h)      Même si le seul accommodement raisonnable à l’égard d’un droit ancestral revendiqué par la PNH devait nécessiter la prise de mesures comme une expropriation de terres ou un moratoire, un tribunal arbitral n’aurait pas compétence pour interdire une telle mesure, et toute décision qui pourrait être rendue en faveur d’un investisseur chinois serait seulement rendue contre le Canada. La PNH ne sera jamais défenderesse dans une action introduite par un investisseur chinois sous le régime de l’Accord.

 

i)        Les pouvoirs législatifs dont la PNH dispose sont ceux conférés par la Loi sur les Indiens à plus de 600 bandes, et sont limités au zonage et à la planification d’aménagement des terres, à la conservation, la protection et la gestion du gibier et du poisson ainsi que la délivrance de permis aux entreprises et la réglementation de celles-ci (articles 81 à 83 de la Loi sur les Indiens).

 

j)        Un investisseur chinois ne peut contester le plan d’aménagement du territoire et la CAS dont la PNH est actuellement dotée.

 

k)      Les frontières du territoire que la PNH revendique comme étant son territoire traditionnel restent incertaines. Il y a au moins neuf Premières Nations dont le territoire traditionnel revendiqué recoupe celui revendiqué par la PNH (affidavit de M. Jim Barkwell, dossier des défendeurs, volume II, onglet 34, au para 16).

 

[134]       Je conviens avec les défendeurs que les observations de la PNH peuvent ultimement être ramenées à des affirmations au sujet des investissements chinois au Canada en général, et indépendamment de l’expérience du Canada à ce jour dans le cadre de l’ALÉNA et des 24 autres APIE auxquels il est partie, portant que (i) de tels investissements pourraient éventuellement être faits dans son territoire, (ii) une mesure pourrait possiblement être adoptée à l’avenir relativement à cet investissement, (iii) l’investisseur hypothétique pourrait déposer une plainte contre le Canada, (iv) une décision arbitrale pourrait être rendue à l’encontre du Canada au sujet de la mesure en question, malgré la nature rudimentaire des obligations prévues dans l’Accord, l’existence de la réserve relative aux Autochtones et les autres exceptions qui y sont contenues, et (v) la capacité du Canada de protéger et d’accommoder les droits ancestraux revendiqués par la PNH sera diminuée, soit en raison de cette décision arbitrale, soit parce que l’éventualité d’une telle décision aura un effet de dissuasion sur le Canada. La PNH n’a pas réussi à démontrer que ce scénario est quoi que ce soit d’autre que conjectural ou lointain.

 

(iii)       Les effets préjudiciables sur l’étendue d’autonomie gouvernementale que la PNH pourra réaliser

 

[135]       La PNH soutient que les garanties juridiques conférées aux investisseurs par l’Accord auront un effet préjudiciable direct sur l’étendue d’autonomie gouvernementale qu’elle pourra réaliser par l’entremise (i) de l’exercice de ses droits ancestraux, ou (ii) du processus de conclusion de traités, ou (iii) de l’exercice de pouvoirs délégués par le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux. La PNH soutient que, peu importe le type de structure de gouvernance dont elle se dote, son pouvoir sera limité ou circonscrit par les dispositions contraignantes de l’Accord, y compris les droits qu’il accorde aux investisseurs chinois. Elle affirme que cet effet préjudiciable suffit pour déclencher l’obligation du Canada de la consulter avant de ratifier l’Accord. En toute déférence, je ne suis pas d’accord.

 

[136]       À l’appui de ses observations à ce sujet, la PNH fait remarquer que, conformément au paragraphe 2(2) de l’Accord, le traité s’appliquera à toute entité qui exerce un pouvoir réglementaire, administratif ou toute autre prérogative de puissance publique qui lui est délégué par cette Partie contractante. Par conséquent, la demanderesse déclare qu’elle sera assujettie à l’Accord, et ce, peu importe qu’elle exerce ses pouvoirs d’adoption des lois ou de gouvernance en vertu d’un droit ancestral ou par l’entremise d’une entente de délégation conclue avec une province et/ou le gouvernement fédéral ou par l’entremise d’un traité jouissant des garanties prévues par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

[137]       Les parties conviennent que la PNH n’a jamais conclu de traité ou [traduction] « d’accord sur les revendications territoriales » avec la Couronne du chef du Canada ou de la Colombie‑Britannique. Cependant, la PNH est partie, conjointement avec le Canada et avec le gouvernement de la Colombie‑Britannique, à une entente non contraignante intitulée Framework Agreement to Negotiate a Treaty (l’Entente-cadre), datée du 27 juillet 2007. Selon le témoignage par affidavit non contesté de M. Barkwell, cette entente a été conclue dans le cadre du Processus de négociation des traités de la Colombie-Britannique (le Processus de traités de la C.‑B.). En 2009, la PNH était rendue à l’étape 4 de ce processus, qui en compte six et qui n’est pas conçu de manière à exiger un examen ou une preuve de droits ancestraux ou d’un titre aborigène. Bien que les parties n’aient pas négocié activement depuis 2009, la PNH est toujours engagée dans ce processus, selon le témoignage non contesté de Mme Sayers (contre-interrogatoire de Sayers, dossier des défendeurs, volume III, aux pp 915 et 916). Les matières visées par les négociations et qui se retrouvent dans l’Entente‑cadre sont notamment :

 

[traduction]

a)      Les terres, y compris le titre, le pouvoir d’adopter des lois, le choix et l’accès;

b)      L’eau et les ressources en eau;

c)      Les forêts et ressources forestières;

d)     Les pêcheries et les ressources marines;

e)      La langue, le patrimoine et la culture;

f)       L’exploitation minière et les ressources sous-terraines;

g)      La faune et les oiseaux migrateurs;

h)      La gouvernance;

i)        Les questions financières, y compris les ententes fiscales et le partage des revenus et des redevances provenant des ressources;

j)        La gestion de l’environnement;

k)      Les dispositions générales, y compris la certitude, l’admissibilité et l’inscription, la ratification, la modification, la mise en œuvre et le règlement des différends; et

l)        Le règlement des revendications de la PNH quant aux droits ancestraux et au titre aborigène, notamment l’aspect financier connexe et les questions de certitude mentionnées ci-dessus.

 

[138]       En plus de ce qui précède, la PNH relève qu’elle effectue déjà une certaine réglementation quant à l’usage des terres, notamment par l’entremise de son plan d’aménagement du territoire et de la CAS qui s’y rattache.

 

[139]       La PNH affirme que le consentement du Canada à être lié par l’Accord pourrait l’empêcher de négocier une entente ou un traité protégeant ses droits d’exercer son pouvoir dans l’intérêt supérieur du peuple hupacasath, notamment en ce qui a trait à la conservation, la gestion et la protection des terres, des ressources et des habitats, ainsi que de s’engager dans d’autres activités de gouvernance, conformément aux lois, coutumes et pratiques traditionnelles des Hupacasaths.

 

[140]       Il est important d’effectuer une distinction entre les effets préjudiciables potentiels sur les droits ancestraux revendiqués et les effets préjudiciables potentiels sur la position de négociation ultérieure d’une Première Nation. L’obligation de consulter s’applique seulement aux premiers de ces effets préjudiciables lorsqu’il est démontré que ceux-ci ne sont pas hypothétiques, qu’ils sont importants et qu’il existe un lien de causalité entre ces effets et la mesure précise envisagée par la Couronne. Autrement dit, cette obligation ne s’applique pas à la mesure envisagée qui pourrait simplement avoir des effets préjudiciables potentiels sur la position de négociation ultérieure de la PNH (Rio Tinto, précité, aux para 46 et 50). L’obligation ne s’applique pas non plus aux autres intérêts de la PNH qui ne concernent pas précisément les droits ancestraux qu’elle revendique, lesquels figurent au paragraphe 53 ci-dessus.

 

[141]       Par conséquent, dans la mesure où les effets préjudiciables potentiels relevés par la PNH concernent des objets dont il est plus ou moins probable qu’ils soient abordés dans les traités que la PNH pourrait négocier ultérieurement avec le Canada en raison de l’Accord et qui ne concernent pas directement les droits ancestraux revendiqués par la PNH en soi, ces effets potentiels ne peuvent pas déclencher l’obligation de consulter. Cela comprend les effets préjudiciables sur ces aspects de [traduction] « l’intérêt supérieur du peuple hupacasath » et sur [traduction] « les autres activités de gouvernance » qui ne se rapportent pas aux droits ancestraux revendiqués par la PNH (Première Nation des Ahousaht c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2007 CF 567, aux para 31 et 32; conf. par 2008 CAF 212 (Ahousat CAF), au para 37).

 

[142]       La PNH s’est expressément montrée préoccupée par le fait que tout droit de gouvernance qui sera prévu dans un traité qui pourrait être négocié dans le cadre du Processus de traité de la C.‑B., ou dans un autre cadre, devra être conforme aux obligations internationales du Canada, y compris celles prévues par l’Accord. À cet égard, elle a relevé un certain nombre d’ententes conclues entre des Premières Nations et le gouvernement fédéral ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux qui sont sans équivoque à ce sujet. Parmi ces ententes, on retrouve l’Entente de principe concernant la Première nation Yekooche (à l’alinéa 24b)) et l’Entente de principe concernant la Première nation K’ómoks (au paragraphe 35), qui exigent que toute Entente définitive prescrive que les lois adoptées par les Premières Nations ainsi que les autres formes d’exercice du pouvoir délégué soient compatibles avec les obligations juridiques internationales du Canada. Dans la même veine, l’accord relatif à l’autonomie gouvernementale de la Première Nation de Westbank exige, au paragraphe 36, que la Première Nation prenne toutes les mesures nécessaires  « pour que ses lois et ses actions soient conformes aux obligations juridiques internationales du Canada » et oblige celle‑ci à « remédier à toute Loi de Westbank ou action de la Première Nation de Westbank qui aura été jugée incompatible avec les obligations juridiques internationales du Canada par un organe de surveillance d’un traité international ou tout autre tribunal compétent ». Un certain nombre des autres ententes relevées par la PNH contiennent des dispositions similaires.

 

[143]       Si la thèse de la PNH est que l’Accord accroît, de manière non négligeable, la probabilité que ces types de dispositions doivent être inclus dans toute entente définitive ou dans tout autre traité qu’elle pourrait éventuellement négocier avec le Canada, cela n’était pas étayé par la preuve. On peut dire de même si la thèse de la PNH est que la ratification de l’Accord réduira la marge de manœuvre dont elle dispose pour ne pas devoir consentir à ce type de dispositions, ou pour négocier des dispositions de rechange qui pourraient imposer des contraintes moins lourdes sur sa capacité de protéger les droits ancestraux qu’elle revendique. En fait, la PNH a répété à maintes reprises dans ses plaidoiries qu’il est déjà hautement probable, sinon pratiquement certain, que le Canada va insister pour que ce type de dispositions soit inclus dans toute entente définitive ou tout autre traité qu’il pourrait en fin de compte négocier avec la PNH (transcription, aux pp 23, 153 à 157). La présence de ces dispositions dans les ententes citées ci-dessus ainsi que dans celles jointes à l’affidavit de Mme Sayers tend à appuyer cette thèse.

 

[144]       Étant donné la présence de ce type de dispositions dans ces ententes et en l’absence de preuve donnant à penser que, si ce n’était pas de la ratification de l’Accord, la PNH aurait pu être capable de négocier des dispositions différentes lui accordant une plus grande marge de manœuvre pour protéger les droits ancestraux qu’elle revendique, je suis convaincu que la PNH n’a pas établi l’existence du lien de causalité requis entre la ratification de l’Accord et les effets préjudiciables potentiels qu’elle a relevés. Autrement dit, je suis convaincu que la PNH n’a pas établi l’existence d’un lien causal entre la ratification de l’Accord et les types de dispositions de traités qu’elle a relevés et auxquels elle pourrait devoir consentir dans des traités ultérieurs qu’elle négociera avec le Canada. La preuve donne à penser qu’il est probable que le Canada contraigne la PNH à exercer ses droits issus de traités d’une manière compatible avec le type d’obligations prévu par l’Accord, et ce, dans toute éventualité.

 

[145]       La PNH a accordé une grande importance, autant dans ses observations écrites que dans ses plaidoiries, au fait que la ratification de l’Accord aurait pour effet d’étendre aux investisseurs chinois le bénéfice des dispositions décrites ci-dessus. Par exemple, la PNH a maintenu que l’Accord obligera la PNH à s’abstenir d’adopter des règlements qui auraient pour effet de diminuer de manière importante la valeur d’un investissement détenu par un ressortissant chinois si elle ne lui verse pas de compensation. Elle a aussi soutenu que l’Accord obligera la PNH à garantir qu’elle fournit un « traitement juste et équitable » aux investisseurs chinois, au sens où ce terme a été interprété par les arbitres, et que la PNH ne pourrait imposer des exigences de rendement qui nécessitent l’utilisation de produits locaux. Bien qu’elle reconnaisse qu’elle aura toujours la capacité d’offrir un traitement préférentiel aux Premières Nations, elle a déclaré qu’elle sera contrainte d’effectuer des distinctions entre d’autres sociétés si des investisseurs chinois ont une participation dans certaines d’entre elles.

 

[146]       Cependant, une fois de plus, la PNH n’a pas produit d’éléments de preuve qui donnent à penser qu’il existe une possibilité non hypothétique et importante qu’en l’absence de l’Accord, la PNH aurait d’une manière ou d’une autre adopté une loi ou pris une mesure qui (i) n’est pas compatible avec une ou plusieurs des obligations envisagées dans l’Accord, mais qui (ii) respecte néanmoins les obligations existantes du Canada envers les investisseurs des pays membres de l’ALÉNA et des 24 pays avec lesquels le Canada a conclu un APIE (Ahousaht CAF, précité).

 

 

VIII.           Conclusion

 

[147]       Les effets préjudiciables potentiels que, selon la PNH, la ratification de l’Accord aurait sur les droits ancestraux qu’elle revendique en raison des changements que l’Accord pourrait entraîner au cadre juridique applicable à la réglementation des terres et des ressources au Canada ne sont pas importants et sont de nature tout à fait hypothétique. De plus, la PNH n’a pas établi l’existence du lien de causalité nécessaire entre ces effets préjudiciables potentiels et l’Accord.

 

[148]       On peut dire la même chose en ce qui concerne les affirmations de la PNH selon lesquelles les droits octroyés aux investisseurs chinois dans le cadre de l’Accord auront des effets directs et préjudiciables sur l’étendue d’autonomie gouvernementale qu’elle pourra réaliser, que ce soit par l’entremise de l’exercice de ses droits ancestraux, du processus de conclusion des traités ou de l’exercice de pouvoirs délégués par le Canada ou par le gouvernement de la Colombie‑Britannique.

 

[149]       Par conséquent, la ratification de l’Accord par le Canada, sans procéder à des consultations auprès de la PNH, ne violerait ni (i) l’obligation constitutionnelle du Canada d’agir honorablement avec la PNH dans tous ses rapports avec elle, et particulièrement eu égard aux droits ancestraux qu’elle revendique, ni (ii) son obligation de consulter la PNH avant d’adopter une mesure qui pourrait avoir un effet préjudiciable sur ces droits.

 

[150]       La présente demande sera par conséquent rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR DÉCLARE ET ORDONNE :

La présente demande est rejetée avec dépens.

 

 

 

 

 

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

 

 




COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-153-13

 

INTITULÉ :                                      LA PREMIÈRE NATION HUPACASATH

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES et

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Les 5, 6 et 7 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 26 août 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Mark Underhill

Catherine Boies Parker

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Tim Timberg, Judith Hoffman

Mara Tessier, Shane Spelliscy

Pierre-Olivier Savoie

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Underhill, Boies Parker

1320 – 355 Burrard Street

Vancouver (C.-B.) V6C 2G8

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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