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Date : 20130829

Dossier : IMM‑11894‑12

Référence : 2013 CF 913

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

NOE GAMA SANCHEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], de la décision datée du 30 octobre 2012 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR], de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a conclu que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés aux termes de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et de l’article 98 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen du Mexique âgé de 38 ans. Il est arrivé au Canada le 1er juin 2008 et a demandé l’asile le 9 décembre 2008.

[3]               Avant de venir au Canada, le demandeur a vécu aux États‑Unis. Le 13 novembre 1996, le demandeur a vendu environ 200 grammes de drogue contenant de la méthamphétamine à un agent d’infiltration au Nebraska. Le demandeur a été accusé de deux infractions criminelles : I) complot pour possession en vue d’en faire le trafic et pour trafic d’une substance contenant de la méthamphétamine et II) possession en vue d’en faire le trafic d’une substance contenant de la méthamphétamine.

[4]               Sur l’indication d’un informateur, la police du Nebraska a également fouillé le sous‑sol de la maison voisine de celle du demandeur. Selon l’informateur, le demandeur avait été vu entrant dans le sous‑sol de cette maison et en ressortant avec de la drogue. La police a attribué au demandeur et à son frère la possession de la drogue trouvée dans le sous‑sol. La police a également découvert une arme.

[5]               Le demandeur a coopéré avec les autorités du Nebraska, et un plaidoyer a été négocié. Le demandeur a plaidé coupable au premier chef d’accusation, et le deuxième chef a été abandonné. Dans le cadre de la négociation du plaidoyer, le demandeur a accepté d’être expulsé, et le Bureau du procureur des États‑Unis a accepté de faire valoir que le demandeur n’était pas une tête dirigeante, un organisateur ou un responsable de l’infraction, et accepté de ne pas porter d’accusations plus graves. Le demandeur a reçu une peine d’emprisonnement de 60 mois, c’est‑à‑dire la peine minimale obligatoire, alors que la peine maximale était de 40 ans. Le 25 juin 1998, le demandeur a été transféré dans une prison mexicaine, et il a été remis en liberté en 2001 après avoir purgé sa peine.

[6]               L’entente de plaidoyer conclue par le demandeur prévoyait également qu’il serait tenu responsable d’au moins 100 grammes, mais d’au plus 700 grammes d’une substance ou d’un mélange contenant de la méthamphétamine. Avant le prononcé de la peine, l’avocat du demandeur s’est opposé à la quantité de drogue qui aurait été impliquée dans l’infraction et à l’étendue alléguée des antécédents criminels du demandeur. Le demandeur a affirmé qu’il n’avait rien à voir avec la drogue trouvée dans le sous‑sol de la maison voisine et qu’il n’avait jamais pris part à des activités liées à la drogue, à l’exception de la fois où il avait tenté de vendre de la méthamphétamine (le 13 novembre 1996).

[7]               Selon le demandeur, la seule fois où il a tenté de vendre de la méthamphétamine s’est produite le 13 novembre 1996. Plus tôt ce jour‑là, il avait appris le décès de sa grand‑mère et voulait désespérément retourner au Mexique pour assister aux funérailles. Le demandeur avait 22 ans à l’époque et, affirme‑t‑il, il pensait que la seule façon d’obtenir l’argent nécessaire pour aller au Mexique était de vendre de la drogue. Néanmoins, la cour du Nebraska a conclu, en prononçant la peine, que l’infraction impliquait au moins 400 grammes, mais au plus 700 grammes, d’une substance contenant de la méthamphétamine, et que les antécédents criminels du demandeur ne se limitaient pas à la tentative de vente faite le 13 novembre 1996.

[8]               Dans une décision datée du 30 octobre 2012, la SPR a conclu que les antécédents criminels du demandeur comprenaient un crime grave de droit commun et que, par conséquent, le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés.

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[9]               La SPR a conclu que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés aux termes de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, laquelle est ainsi rédigée :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

[10]           Étant donné que les faits entourant les antécédents criminels du demandeur sont peu contestés, la principale question en litige est celle de savoir si le crime visé était « grave » ou non aux fins de l’application de l’alinéa 1Fb). Le ministre devait démontrer que le crime était « grave » selon une norme inférieure à la prépondérance des probabilités, mais supérieure à un simple doute (Sumaida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 66 (CA)).

[11]           La SPR a fait remarquer qu’il fallait appliquer la même approche pour établir les faits dans les cas d’exclusion que dans les cas d’interdiction de territoire, et que cette approche était différente de celle qui convenait pour établir les faits concernant les demandes d’asile présentées au titre des articles 96 ou 97 de la Loi. La norme que la SPR a appliquée en l’espèce était celle des « motifs raisonnables de croire », qui constitue un critère préliminaire, plutôt qu’une norme de preuve (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 39).

[12]           La SPR a noté que, selon le Code criminel du Canada, LRC 1985 (le Code criminel) et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19 (la LRCDAS), le demandeur avait été reconnu coupable d’une infraction punissable par mise en accusation, et non d’une infraction mixte. Les infractions susceptibles d’entraîner une peine d’emprisonnement de plus de dix ans doivent être considérées comme graves (Canada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 300 (CA)), bien que la SPR ait estimé qu’il s’agissait d’une « ligne directrice » plutôt que d’une règle absolue. De plus, la Cour d’appel fédérale a fourni des directives sur cette question aux paragraphes 44 à 46 de l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404  [Jayasekara] :

Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité (voir S. v. Refugee Status Appeals Authority; S. & Ors v. Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1157; Miguel‑Miguel v. Gonzales, 500 F.3d 941 (9th Cir. 2007), 29 août 2007, aux pages 945, 946 et 947). En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités. On ne met toutefois pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous‑jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine (voir Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), au paragraphe 38; Immigration and Naturalization Service v. Aguirre‑Aguirre, à la page 427; T. v. Secretary of State for the Home Department, [1995] 1 W.L.R. 545 (C.A.), aux pages 554 et 555; Dhayakpa v. Minister of Immigration and Ethnic Affairs, au paragraphe 24).

 

Ainsi, une coercition qui ne permet pas d’invoquer le moyen de défense de droit criminel de la contrainte peut constituer une circonstance atténuante pertinente pour évaluer la gravité du crime commis. Le préjudice causé à la victime ou à la société, l’utilisation d’une arme, le fait que le crime a été commis par un groupe criminel organisé, etc. seraient également des facteurs pertinents à considérer.

 

Je tiens par ailleurs à ajouter, par souci de clarté, qu’à l’instar de la Grande‑Bretagne et des États‑Unis, le Canada dispose d’un nombre assez élevé d’infractions hybrides, c’est‑à‑dire d’infractions qui, selon les circonstances aggravantes ou atténuantes entourant leur perpétration, peuvent être punissables par procédure sommaire ou, plus sévèrement, sur acte d’accusation. Dans des pays où cette option existe, le choix du mode de poursuite est utile pour évaluer la gravité du crime s’il existe une différence marquée entre la peine prévue pour une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et celle prévue pour un geste punissable sur acte d’accusation.

 

[13]           Selon la SPR, la question de savoir si les lois applicables devaient être celles en vigueur à l’époque où l’infraction a été commise (1996) ou à l’époque de l’audience sur l’exclusion (2011) pouvait être importante. En effet, en 1996, le trafic de méthamphétamine était assujetti à la Loi sur les aliments et les drogues, LRC 1985, c F‑27, alors en vigueur, et constituait une infraction mixte, pas strictement punissable par mise en accusation. La SPR a ensuite examiné les observations présentées par les deux parties sur ce point et s’est fondée sur l’arrêt Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, pour conclure que l’objectif de l’alinéa 1Fb) consistait à « s’assurer que le pays d’accueil puisse protéger sa propre population en fermant ses frontières à des criminels qu’il juge indésirables en raison de la gravité des crimes ordinaires qu’il les soupçonne d’avoir commis » et que, par conséquent, il convenait d’appliquer les lois qui étaient en vigueur à l’époque de l’audience sur l’exclusion.

[14]           La SPR a examiné les faits entourant l’arrestation du demandeur pour l’affaire de drogue. Le principal point de discorde entre les parties concernait l’information provenant des autorités américaines soumise par le ministre selon laquelle le demandeur et son frère avaient été impliqués dans le trafic de stupéfiants dans la région d’Omaha pendant environ deux ans, alors que le demandeur affirmait que lui et son frère avaient vendu de la drogue une fois seulement, quand ils tentaient d’obtenir de l’argent pour pouvoir aller au Mexique afin d’assister aux funérailles de leur grand‑mère. Le demandeur a présenté un certificat de décès censé être celui de sa grand‑mère, qui serait décédée le 13 novembre 1996.

[15]           Le demandeur a également témoigné que son voisin était un trafiquant de drogue et lui avait dit qu’il pouvait gagner de l’argent en livrant de la drogue. Le demandeur a relaté la vente de la drogue à un agent d’infiltration, récit qui cadrait avec la version des faits donnée par les autorités américaines, mais il a affirmé qu’il ignorait tout de la drogue qui se trouvait dans le sous‑sol de la maison voisine. Il a également nié les allégations de l’informateur, qui avait dit à la police que le demandeur avait été vu vendant de la drogue dans le secteur et gardant de la drogue dans le sous‑sol.

[16]           La cour du Nebraska, a également fait remarquer la SPR, n’a pas accepté que le demandeur soit responsable seulement de la quantité de drogue vendue à l’agent d’infiltration et a conclu que l’infraction concernait au moins 400 grammes, c’est‑à‑dire que le demandeur était aussi responsable des 369 grammes trouvés au sous‑sol de la maison voisine. La cour du Nebraska a en outre fait référence à un [traduction] « rapport d’enquête présentenciel », selon lequel les antécédents criminels du demandeur interdisaient l’application des [traduction] « dispositions des soupapes de sûreté » et que la peine minimale obligatoire de 60 mois d’emprisonnement devait être imposée. Bien que le rapport d’enquête présentenciel n’ait pas été communiqué à la SPR, la SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que cette mention signifiait que le demandeur avait des antécédents criminels se rapportant à l’affaire de drogue que la cour du Nebraska n’était pas disposée à réduire sous prétexte que lesdits antécédents avaient été exagérés. La cour a ajouté que, parce que le demandeur avait accepté d’être expulsé, une diminution à 60 mois d’emprisonnement était appropriée. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que cette décision signifiait que la peine du demandeur aurait été supérieure à 60 mois s’il n’avait pas accepté d’être expulsé.

[17]           Le demandeur a témoigné qu’il avait accepté de négocier un plaidoyer seulement parce que, s’il ne l’avait pas fait et que l’affaire était instruite, il risquait une peine d’emprisonnement de 50 ans. Il a aussi affirmé qu’il avait plaidé coupable à la seule accusation d’avoir vendu de la drogue à un agent d’infiltration, pour laquelle il devait recevoir une peine d’emprisonnement de 18 à 36 mois seulement, mais a reconnu que son avocat lui avait bien expliqué le contenu de l’entente sur le plaidoyer. Le demandeur a ajouté qu’il avait interjeté appel (et abandonné la procédure par la suite) parce qu’il n’avait rien à voir avec la drogue trouvée au sous‑sol de la maison voisine, mais il n’a cependant fourni aucun élément de preuve sur cet appel à la SPR.

[18]           La SPR a souligné qu’elle n’était pas obligée de procéder « à une nouvelle instruction » de l’affaire jugée à l’étranger, et a conclu que le ministre avait fourni des motifs sérieux de penser que le demandeur avait commis le crime dont il avait été déclaré coupable au Nebraska. La SPR a également accepté des éléments de preuve en dehors du plaidoyer de culpabilité du demandeur qui indiquaient que celui‑ci avait pris part à d’autres activités de trafic de drogue, outre la vente à l’agent d’infiltration. Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve crédible pour établir le contraire, et si le demandeur voulait peut‑être rentrer au Mexique parce que sa grand‑mère venait de mourir, la SPR a estimé que cette raison ne justifiait pas la perpétration d’une infraction aussi grave. Cette motivation a été confirmée dans le plaidoyer de culpabilité du demandeur, mais n’a pas été acceptée par la cour du Nebraska et n’a eu aucune incidence sur la déclaration de culpabilité ou la peine. Le demandeur avait également fourni de fausses pièces d’identité aux autorités américaines à une occasion, ce qui remettait en cause sa crédibilité.

[19]           En ce qui concerne les facteurs atténuants, le demandeur a souligné que la drogue n’avait pas été trouvée dans sa maison et qu’il n’y avait aucune preuve de violence. Le demandeur a en outre affirmé qu’il ne faisait pas partie d’une opération organisée, mais la SPR a fait remarquer que l’accusation à laquelle le demandeur avait plaidé coupable faisait mention d’un complot. Le procureur du district avait aussi souligné qu’il ne porterait pas d’accusation plus grave de possession d’arme dangereuse. Cette décision, a estimé la SPR, ne signifiait pas que le demandeur n’avait pas commis l’infraction, mais signifiait simplement que le procureur avait décidé de laisser tomber l’accusation. De plus, le fait que le demandeur avait purgé sa peine n’était pas une raison suffisante pour ne pas appliquer l’alinéa 1Fb) (Jayasekara). Selon une ample jurisprudence, la réadaptation d’un individu ne constitue pas un facteur pertinent lors de l’évaluation de la « gravité » d’un crime dans les affaires d’exclusion.

[20]           La SPR a fait mention de certains facteurs aggravants. Tout d’abord, compte tenu de la quantité de drogue en cause, la SPR estimait qu’il y avait des motifs sérieux de penser que la participation du demandeur ne pouvait pas avoir commencé le 13 novembre 1996, le jour même du décès de la grand‑mère. La tentative faite par le demandeur de se présenter sous une fausse identité et la production de pièces à l’appui de cette fausse allégation constituaient aussi des facteurs aggravants.

[21]           La SPR a fait remarquer que le trafic de drogue était une infraction valant présomption de crime grave (Jayasekara, au paragraphe 48), présomption pouvant toutefois être réfutée. La Cour d’appel fédérale a discuté de la gravité du trafic de drogue dans l’arrêt Jayasekara, et la SPR a ajouté que le trafic de drogue était reconnu comme un crime grave par de nombreux organismes internationaux et pays, « gravité » qui se manifestait dans les lourdes peines imposées dans de nombreux pays à ceux qui se livraient à de telles activités.

[22]           Compte tenu de tout ce qui précède, la SPR a conclu que le ministre avait établi que le crime commis par le demandeur au Nebraska était « grave » aux fins de l’application de l’alinéa 1Fb). Le demandeur a donc été exclu de la protection accordée aux réfugiés.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[23]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

98. La personne visée aux sections E ou F de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

Exclusion — Refugee Convention

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

[24]           L’alinéa 1Fb) de la Convention s’applique aussi dans la présente instance :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

QUESTIONS EN LITIGE

[25]           Le demandeur soulève les questions suivantes en l’espèce :

a.                   La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la gravité de l’infraction en faisant référence aux dispositions législatives équivalentes au Canada en vigueur au moment de l’audience plutôt qu’au moment de l’infraction?

b.                  La SPR a‑t‑elle également commis une erreur dans son évaluation de la gravité de l’infraction en faisant abstraction de circonstances atténuantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité du demandeur?

 

NORME DE PREUVE

[26]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs qui entrent en jeu dans l’analyse de la norme de contrôle.

[27]           Le demandeur souligne que la Cour d’appel fédérale a statué, aux paragraphes 24 et 25 de l’arrêt Febles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 324 [Febles], que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne l’interprétation faite par la SPR de l’alinéa 1Fb) est celle de la décision correcte. La question de savoir s’il fallait se reporter aux lois en vigueur au moment de la déclaration de culpabilité ou au moment de l’audience a été examinée dans un contexte semblable dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Velasco, 2011 CF 627 [Velasco], dans laquelle le juge Leonard Mandamin a conclu, au paragraphe 34, que la norme de la décision correcte s’appliquait. La première question en litige sera donc contrôlée selon la norme de la décision correcte.

[28]           La question de savoir si une personne est visée ou non par l’alinéa 1Fb) est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Jayasekara, précité; Feimi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 262, au paragraphe 6). Le demandeur en convient; la deuxième question sera contrôlée selon la norme de la raisonnabilité.

[29]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir les arrêts Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

ARGUMENTS

Demandeur

            Date de l’infraction équivalente au Canada

[30]           La peine pouvant être infligée pour un crime commis dans un pays étranger selon le droit interne du pays d’accueil est un facteur pertinent à prendre en considération pour déterminer la « gravité » d’un crime de droit commun au sens de l’alinéa Fb) (Jayasekara, précité). La SPR a conclu que les lois en vigueur à l’époque de l’audience s’appliquaient. Toutefois, la Cour d’appel fédérale est récemment parvenue à la conclusion contraire dans l’arrêt Febles, précité :

52        À mon avis, le sens ordinaire du libellé de l’alinéa 1Fb) est le suivant : pour décider si le crime est grave, lorsqu’il s’agit d’exclure, ou non, le demandeur d’asile, il faut tenir compte des faits énumérés par notre Cour par l’arrêt Jayasekara. La gravité du crime doit être appréciée en fonction du moment où il a été commis. La gravité du crime ne change pas avec le temps et le fait que le demandeur d’asile s’est par la suite réadapté et qu’il a cessé de représenter un danger pour la société n’y change rien non plus.

 

 

[31]           En outre, dans l’arrêt Feimi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 325 [Feimi], la Cour d’appel fédérale a réitéré que la gravité d’un crime devait être appréciée en fonction du moment où le crime avait été commis et que la « dangerosité actuelle » du demandeur n’était pas un facteur pertinent lorsqu’il s’agissait de déterminer si le demandeur était exclu par application de l’alinéa 1Fb).

[32]           Le raisonnement exposé dans l’arrêt Febles a été appliqué récemment par la Cour fédérale dans la décision Valdespino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 359 [Valdespino]. Le juge Douglas Campbell a conclu, aux paragraphes 6 et 11, que la gravité d’un crime devait être évaluée en fonction de facteurs qui étaient présents au moment de la perpétration du crime, et qu’il était contraire à la loi de considérer des circonstances atténuantes et aggravantes postérieures au crime.

[33]           Le demandeur soutient que, selon la jurisprudence présentée ci‑dessus, ce sont les lois du Canada en vigueur au moment où le crime a été commis à l’extérieur du Canada que la SPR aurait dû appliquer.

Facteurs atténuants

[34]           Dans l’arrêt Jayasekara, au paragraphe 44, la Cour d’appel fédérale a statué qu’il fallait tenir compte des circonstances atténuantes dans l’analyse de la gravité du crime. Le demandeur affirme que les facteurs atténuants suivants sont pertinents dans son cas :

                     Il avait seulement 22 ans au moment du crime;

                     Sa grand‑mère venait de mourir et il voulait retourner au Mexique pour les funérailles;

                     Il ne s’agissait pas d’un crime avec violence;

                     Il a coopéré avec les autorités américaines pendant l’enquête;

                     Aucune déclaration de culpabilité n’avait été prononcée contre lui auparavant;

                     Ni drogue ni accessoires connexes n’avaient été trouvés dans sa résidence;

                     Aucun élément de preuve solide ne le liait à la drogue trouvée au sous‑sol, et le cadenas du sous‑sol ne portait pas ses empreintes digitales;

                     La quantité de drogue était relativement faible;

                     Il a accepté d’être expulsé et de conclure une entente de plaidoyer;

                     Le procureur du district n’a pas visé de chefs d’accusation plus graves pour possession d’arme ou obstruction à la justice, et a fait valoir que le demandeur n’était pas une tête dirigeante, un organisateur ou un responsable de l’infraction;

                     La sentence minimale obligatoire de cinq ans a été infligée, alors que la peine maximale possible était de 40 ans;

                     L’accusation mentionnait une substance contenant de la méthamphétamine et non de la méthamphétamine pure, auquel cas la sentence minimale obligatoire aurait été de dix ans, plutôt que de cinq ans.

 

[35]           Le demandeur affirme que la SPR devait prendre en considération tous ces facteurs dans leur ensemble, et que le fait qu’ils ne l’aient pas été constitue une erreur (Toro c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] 1 CF 652 (CAF)).

Défendeur

            Date de l’infraction équivalente au Canada

[36]           Le défendeur souligne que, dans l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale a statué que certaines infractions, dont le trafic de drogue, valaient présomption de crime grave. La présomption de gravité s’applique également à un crime punissable d’une peine d’emprisonnement d’au moins dix ans.

[37]           De plus, dans l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel a énoncé les facteurs devant être considérés au moment d’évaluer la gravité d’un crime aux fins de l’alinéa 1Fb) :

                     les éléments constitutifs du crime;

                     le mode de poursuite;

                     la peine prévue;

                     les faits à la base de la déclaration de culpabilité;

                     les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité.

 

[38]           La SPR a souligné que la possession de méthamphétamine dans le but d’en faire le trafic était actuellement une infraction punissable par mise en accusation visée par la LRCDAS pour laquelle une peine d’emprisonnement à perpétuité pouvait être infligée. Le demandeur affirme que la SPR aurait dû considérer la peine possible au Canada pour possession de méthamphétamine dans le but d’en faire le trafic en 1996, époque où il a commis l’infraction aux États‑Unis et où il s’agissait d’une infraction mixte visée par la Loi sur les aliments et drogues. Le défendeur soutient qu’accepter cet argument serait contraire aux objectifs de l’alinéa 1Fb), qui permet à un pays de fermer ses frontières à ceux à qui la protection ne devrait pas être accordée à son avis en raison des crimes qu’ils ont commis (Jayasekara, aux paragraphes 28 et 29).

[39]           Le défendeur affirme que, dans l’arrêt Febles, cité et invoqué par le demandeur, la Cour d’appel fédérale ne se demandait pas si la gravité du crime commis par le demandeur d’asile devait être évaluée en fonction des lois du pays d’accueil en vigueur au moment de l’infraction ou au moment de l’audience. La Cour d’appel devait décider si la réadaptation était un facteur pertinent dont la SPR devait tenir compte en évaluant la gravité du crime. La Cour d’appel a conclu que la réadaptation ne constituait pas un facteur pertinent pour un certain nombre de raisons, y compris le fait que l’application de l’alinéa 1Fb) ne se limitait pas aux demandeurs d’asile qui présentaient un danger actuel pour la population canadienne. Le commentaire de la Cour d’appel selon lequel la gravité d’un crime doit être appréciée en fonction du moment où il a été commis doit être lu dans le contexte du reste du paragraphe des motifs de la Cour d’appel, où il est indiqué que la gravité du crime ne change pas avec le temps et que la réadaptation subséquente du demandeur d’asile n’y change rien non plus. Par conséquent, le commentaire sur lequel se fonde le demandeur ne donne guère de poids, sinon aucun, à son argument.

[40]           De surcroît, si la peine qui aurait pu être infligée au demandeur en 1996 était prise en considération, l’infraction constituerait encore un crime grave au Canada. Une infraction mixte est traitée comme une infraction punissable par voie de mise en accusation, sauf si la Couronne choisit la procédure sommaire comme mode de poursuite. Donc, même en vertu du droit criminel du Canada applicable en 1996, une peine possible de dix ans pouvait être infligée au demandeur pour trafic de drogue, ce qui soulève la présomption de crime grave.

[41]           Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Raina, 2012 CF 618 [Raina], la Cour fédérale a conclu que la SPR avait commis une erreur en estimant que les contacts sexuels pouvaient être considérés comme étant sans gravité parce qu’il s’agissait d’une infraction mixte. De même, dans l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale s’est expressément appuyée sur le fait que la peine maximale prévue pour le trafic de stupéfiants au Canada était de 18 mois dans le cas d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et l’emprisonnement à perpétuité pour une infraction punissable sur acte d’accusation, selon la substance faisant l’objet du trafic, pour établir que le trafic de drogue était considéré comme un crime grave au Canada.

Facteurs atténuants

[42]           Le défendeur souligne que, dans les motifs de sa décision, la SPR a examiné soigneusement et en profondeur les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara. La SPR n’était pas tenue d’analyser dans ses motifs toutes les circonstances du demandeur d’asile au niveau de détail avancé par le demandeur. De plus, la SPR a bel et bien examiné longuement et en détail les éléments énumérés par le demandeur. Par exemple, la SPR a tenu compte des éléments suivants : l’âge du demandeur, la raison qui l’aurait poussé à commettre le crime, à savoir le décès de sa grand‑mère, l’absence d’antécédents criminels, l’allégation selon laquelle le demandeur n’avait rien à voir avec la drogue trouvée dans le sous‑sol, la peine minimale obligatoire infligée, les chefs d’accusation visés par le procureur du district, le fait qu’aucune drogue n’avait été trouvée dans son appartement et l’absence de preuve de violence.

[43]           Une simple lecture de la décision révèle que la SPR a pleinement analysé les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara, et le défendeur soutient que la décision était raisonnable.

Réponse du demandeur

[44]           Le demandeur soutient que la présomption de gravité s’appliquant au trafic de drogue et aux infractions punissables d’une peine d’emprisonnement d’au moins dix ans peut être réfutée (Jayasekara; Feimi, au paragraphe 22). L’évaluation ne s’arrête pas là. Le mode de poursuite est un facteur pertinent à prendre en considération s’il existe une différence marquée entre la peine prévue pour une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et celle prévue pour un geste punissable sur acte d’accusation.

[45]           Bien que la Cour d’appel ait statué, dans l’arrêt Febles, que la durée de la peine et le fait qu’elle a été purgée, la réadaptation et le « danger actuel » ne sont pas des facteurs pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer la gravité d’un crime aux fins de l’alinéa 1Fb), elle a clairement énoncé que « [l]a gravité du crime doit être appréciée en fonction du moment où il a été commis. La gravité du crime ne change pas avec le temps. »

[46]           Selon le demandeur, s’il ne faut pas tenir compte du passage du temps, à savoir la réadaptation du demandeur d’asile et le fait qu’il a purgé sa peine après avoir commis son crime, il serait inéquitable pour le ministre de profiter de changements législatifs ayant eu pour effet d’augmenter la gravité d’un crime donné. Si la question de savoir si le demandeur d’asile représente un danger actuel pour la population du Canada n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit d’évaluer la « gravité », la peine infligée actuellement ne devrait pas l’être non plus. Cette interprétation ne minerait pas la capacité du Canada de refuser d’accorder la protection à certains demandeurs d’asile, car la nature mixte de l’infraction n’est qu’un des facteurs à évaluer au moment de se prononcer sur l’exclusion au titre de l’alinéa 1Fb).

[47]           Le demandeur affirme aussi que les facteurs atténuants mentionnés par la SPR n’ont pas tous été analysés. Énumérer simplement les faits ne signifie pas qu’ils ont été analysés (Zhong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 980). La décision Valdespino, précitée, souligne l’importance de traiter tous les facteurs atténuants dans l’analyse de la gravité d’une infraction.

Exposé des arguments supplémentaires du défendeur

[48]           Le défendeur soutient que le droit n’appuie pas la thèse du demandeur selon laquelle la SPR devait considérer le droit criminel au Canada tel qu’il existait à l’époque où le crime a été commis. Dans l’arrêt Febles, la Cour d’appel examinait si la réadaptation était un facteur pertinent dans l’évaluation de la gravité d’un crime, et non s’il fallait appliquer les lois en vigueur au moment de la perpétration du crime ou celles en vigueur au moment de l’audience concernant la demande d’asile. Il faut interpréter le commentaire de la Cour d’appel selon lequel la gravité du crime doit être appréciée en fonction du moment où il a été commis dans le contexte de la suite des propos de la Cour d’appel, qui indique que la gravité du crime ne change pas avec le temps « et le fait que le demandeur d’asile s’est par la suite réadapté et qu’il a cessé de représenter un danger pour la société n’y change rien non plus » (Febles, au paragraphe 52). En outre, compte tenu des objectifs de l’alinéa 1Fb), le point de vue actuel du pays d’accueil sur la gravité du crime est un facteur pertinent.

[49]           De plus, si la loi qui s’appliquait en 1996 à la possession de méthamphétamine en vue d’en faire le trafic était prise en considération, l’infraction constituerait quand même un crime grave au Canada. Il s’agissait d’une infraction mixte, traitée comme une infraction punissable par voie de mise en accusation, sauf si la Couronne choisit la procédure sommaire comme mode de poursuite (Raina, précitée).

[50]           En réponse à l’argument du demandeur qui affirme que les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara n’ont pas été dûment analysés, le défendeur souligne que la SPR a soigneusement recensé et examiné les facteurs dans ses motifs. La SPR n’était pas tenue de discuter en détail de chaque facteur atténuant ni d’expliquer pourquoi elle avait apprécié les différents facteurs comme elle l’avait fait (Velasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 273, au paragraphe 16; Shire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 97, aux paragraphes 62 à 64; Ganem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1147, aux paragraphes 44 à 47). De plus, contrairement à ce qu’allègue le demandeur, la SPR a analysé à fond dans ses motifs bon nombre des facteurs qu’elle aurait, selon le demandeur, négligés.

ANALYSE

[51]           Le demandeur ne conteste pas le fait qu’il a été déclaré coupable en 1997 de complot et de possession en vue de faire le trafic de méthamphétamine aux États‑Unis. Le fait qu’il s’agissait d’un crime de droit commun n’est pas contesté non plus. La seule question que doit trancher la Cour est celle de savoir si la SPR a fait une erreur susceptible de contrôle quand elle a conclu que le demandeur avait commis un crime grave aux fins de l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

[52]           Comme la SPR l’a clairement énoncé dans sa décision, la date applicable pour l’évaluation de la gravité de toute infraction est un important point à considérer aux fins de l’alinéa 1Fb) :

[34]      L’incidence de la réponse pourrait être importante. Au moment où l’infraction a été commise, la possession de méthamphétamine dans le but d’en faire le trafic au Canada était assujettie à la Loi sur les aliments et drogues (LAD) alors en vigueur. La méthamphétamine était alors une drogue contrôlée au titre de l’annexe G. Selon l’article 39 de la LAD, quiconque était reconnu coupable de possession de méthamphétamine dans le but d’en faire le trafic était passible, s’il était reconnu coupable, d’une peine d’emprisonnement d’au plus dix ans, mais, sur déclaration sommaire de culpabilité, d’une peine d’emprisonnement d’au plus 18 mois. Il s’agissait alors d’une infraction mixte, pas strictement punissable par mise en accusation, contrairement à la LRCDAS, comme il est précisé plus haut.

 

[35]      Si la LAD s’appliquait à l’analyse relative à l’exclusion en l’espèce, ce qui pourrait alors être considéré, c’est la question de savoir si, à titre d’infraction mixte, les circonstances pourraient mener à une conclusion selon laquelle l’acte criminel n’est pas grave, comme dans la décision de la Cour fédérale dans l’affaire M.C.I. c. Lopez Velasco. Dans cette affaire (qui consistait essentiellement en une demande d’annulation fondée sur le fait que le demandeur d’asile n’avait pas divulgué le fait qu’il avait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité en 1992 pour [traduction] « le harcèlement ou l’attentat à la pudeur de personnes mineures » aux États‑Unis lors de l’audition d’une demande d’asile qui a connu une issue favorable), il avait été établi que, en fait, aux États‑Unis et au Canada en 1992, il s’agissait d’infractions mixtes et, à l’exemple de la Cour d’appel aux paragraphes 37 à 58 de Jayasekara, les infractions pourraient ne pas être considérées comme graves. La Cour dans José Velasco a soutenu (et n’a pas contesté) que :

 

La SPR a accepté que ce soit le statut du défendeur ou sa potentielle interdiction de territoire au moment de sa demande d’asile (et non au moment de l’audience pour l’annulation en 2010) qui devait être considéré et, dans le but d’analyser les crimes, qu’il faille référer aux lois de la Californie et du Canada au moment de leur perpétration en 1992.

 

[53]           Pour rendre sa décision, la SPR a appliqué les lois telles qu’elles existaient au Canada à l’époque de l’audience et non à l’époque de l’infraction.

[54]           Le demandeur affirme qu’il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle, et s’appuie sur les arrêts Febles, précité, et Feimi, précité, et sur la décision Valdespino rendue récemment par le juge Campbell pour avancer que la gravité d’un crime doit être appréciée en fonction du moment où il a été commis.

[55]           Dans l’arrêt Feimi, la Cour d’appel fédérale a suivi l’arrêt Febles qu’elle avait elle‑même rendu, et le point de discorde en l’espèce nous oblige à examiner l’intention de la Cour d’appel fédérale derrière le paragraphe suivant de l’arrêt Febles :

52    À mon avis, le sens ordinaire du libellé de l’alinéa 1Fb) est le suivant : pour décider si le crime est grave, lorsqu’il s’agit d’exclure, ou non, le demandeur d’asile, il faut tenir compte des faits énumérés par notre Cour par l’arrêt Jayasekara. La gravité du crime doit être appréciée en fonction du moment où il a été commis. La gravité du crime ne change pas avec le temps et le fait que le demandeur d’asile s’est par la suite réadapté et qu’il a cessé de représenter un danger pour la société n’y change rien non plus.

 

[56]           Le demandeur affirme que si la gravité du crime doit être appréciée en fonction du moment où il a été commis, une erreur susceptible de révision s’est produite en l’espèce, parce que la SPR a apprécié la gravité en fonction du moment où l’audience s’est déroulée, et la différence entre les deux revêtait une grande importance dans le cadre de l’évaluation faite par la SPR des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara.

[57]           Par ailleurs, le défendeur soutient que la Cour d’appel fédérale traitait seulement de la réadaptation dans les arrêts Febles et Feimi. La gravité du crime ne change pas au fil du temps en fonction du fait que le demandeur d’asile a pu se réadapter. Le gouvernement du Canada n’est pas empêché pour autant de modifier les lois en vue de rendre certains crimes plus graves, et quand cette situation se produit, comme en l’espèce, c’est l’inclusion la plus grave du crime dans la législation en vigueur au moment de l’audience qui doit servir à évaluer la gravité du crime aux fins de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

[58]           La Cour a entendu de solides arguments des avocats des deux parties. L’avocat du demandeur souligne qu’il serait incohérent et injuste d’ignorer la réadaptation et d’évaluer la gravité du crime en fonction du moment où il a été commis dans certains cas, mais d’évaluer, dans d’autres cas, la gravité du crime au moment de l’audience par suite d’une modification législative. Le défendeur avance que l’argument du demandeur ne respecte pas les objectifs de l’alinéa 1Fb), qui permet entre autres à un pays de fermer ses frontières à ceux à qui la protection ne devrait pas être accordée à son avis en raison des crimes qu’ils ont commis. Ces résumés ne rendent pas bien les subtilités des observations présentées par les avocats, mais je crois qu’ils en expriment l’essentiel.

[59]           En définitive, je dois me ranger du côté du défendeur. En effet, je ne crois pas que les dispositions pertinentes de la Convention ou de la Loi exigent qu’il faille se demander ce qui est juste envers les demandeurs d’asile, ou si une incohérence quelconque existe.

[60]           L’alinéa 1Fb) de la Convention permet aux signataires de refuser d’accorder la protection aux demandeurs d’asile qui ont, à leur avis, commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays. Ce droit est conféré au Canada et aux autres signataires. Le crime grave de droit commun a été commis à un moment donné avant l’admission. Il ressort clairement de l’arrêt Febles que, si un crime grave de droit commun a été commis, la réadaptation subséquente du demandeur d’asile ne changera pas la gravité du crime. Il n’appartient pas au demandeur de dire s’il mérite ou non de demander l’asile. C’est au Canada de décider de ceux qu’il juge indésirables, et le point de vue du Canada à cet égard peut évoluer dans le temps quand le Parlement modifie sa façon de percevoir des crimes particuliers. Un crime jugé auparavant avec plus d’indulgence pourra sembler beaucoup plus menaçant et répugnant au fil du temps et des gouvernements. À mon avis, le demandeur d’asile qui ne mérite pas la protection au moment de l’audience ne peut être autorisé à demander l’asile en s’appuyant sur le fait que son activité criminelle était considérée comme étant moins grave à l’époque où elle a été commise. Si c’était le cas, le Canada pourrait accorder l’asile à des demandeurs que le pays est parvenu à considérer comme étant hautement indésirables et non méritants. Je ne crois pas que le Canada puisse avoir les mains liées de cette façon.

[61]           Le point central est la gravité du crime de droit commun, et non la question de savoir si la réadaptation a rendu le demandeur d’asile moins dangereux pour la population. Souvent, aucune différence ne sera constatée à cet égard entre l’époque où le crime a été commis et l’époque de l’audience. Toutefois, quand des modifications législatives ont eu pour effet d’augmenter ou de diminuer la gravité d’un crime, il me semble que la SPR doit évaluer le demandeur d’asile en fonction du point de vue dominant du Canada sur la gravité du crime en question, ce qui ne signifiera pas nécessairement le point de vue au moment où le crime a été commis.

[62]           Je ne crois pas que les arrêts Febles et Feimi (vu qu’ils traitent de la réadaptation et, pour reprendre les propos employés par le juge Mosley dans Camacho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 789, au paragraphe 16, de facteurs « étrangers aux faits et aux circonstances sous‑jacents à la déclaration de culpabilité ») m’empêchent de tirer de telles conclusions sur ce point. En fait, je crois que des arrêts comme Febles et, notamment, Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, portent en grande partie sur l’objectif général de l’alinéa 1Fb) et appuient mes propres conclusions.

[63]           Je dois cependant admettre que la question n’est pas totalement claire et qu’il pourrait bien être nécessaire de la soumettre à la Cour d’appel fédérale.

[64]           Lorsqu’il s’agit de l’application faite par la SPR des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara et de son évaluation des facteurs atténuants pertinents, le demandeur affirme que certains de ces facteurs ont été mentionnés et dûment traités dans les motifs de la décision. Il dit cependant que d’autres facteurs ne l’ont pas été, et que la SPR a également omis de pondérer et d’apprécier les facteurs atténuants dans leur ensemble. Il ajoute que le seul fait d’énumérer les faits ne signifie pas que les faits ont été analysés.

[65]           La lecture de la décision dans son ensemble me convainc que la SPR a apprécié et pondéré tous les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara de manière raisonnable en évaluant la gravité des crimes commis par le demandeur. Bien que les facteurs n’aient peut‑être pas tous été examinés et appréciés de la façon dont ils auraient dû l’être selon le demandeur, je suis convaincu que l’essentiel est présent dans les motifs. Voir Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF no 1687, au paragraphe 3. Les motifs à l’appui de la conclusion de la SPR sont transparents, intelligibles et justifiables étant donné les facteurs en jeu, et je ne saurais affirmer que la décision sur ce point n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[66]           Les deux parties ont proposé des questions semblables aux fins de certification. Je crois que la question suivante saisit bien l’essence de ce point d’intérêt :

Lorsque le commissaire de la Section de la protection des réfugiés évalue l’équivalent canadien d’une infraction commise à l’étranger dans le contexte de l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara, doit‑il évaluer la gravité du crime en question en fonction du moment où il a été commis ou, si un changement a été apporté entre‑temps à l’équivalent canadien, en fonction du moment où a lieu l’audience concernant l’exclusion de la Section de la protection des réfugiés?

 

[67]           Je conviens avec le demandeur qu’il s’agit d’une question grave de portée générale aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi, qu’elle transcende les intérêts des parties directement concernées, vise une question générale de grande importance et permettrait de trancher l’appel.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée;

2.                  La question suivante est certifiée :

Lorsque le commissaire de la Section de la protection des réfugiés évalue l’équivalent canadien d’une infraction commise à l’étranger dans le contexte de l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara, doit‑il évaluer la gravité du crime en question en fonction du moment où il a été commis ou, si un changement a été apporté entre‑temps à l’équivalent canadien, en fonction du moment où a lieu l’audience concernant l’exclusion de la Section de la protection des réfugiés?

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑11894‑12

 

INTITULÉ :                                                  NOE GAMA SANCHEZ

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 17 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Warren Puddicombe

 

POUR LE DEMANDEUR

R. Keith Reimer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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