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Date : 20130822

Dossier : IMM-7131-12

Référence : 2013 CF 891

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 août 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

HAMMAD AHMAD KHAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue par un premier secrétaire (immigration) à l’ambassade du Canada à Londres [l’agent], conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi]. L’agent a rejeté la demande du demandeur visant à obtenir la résidence permanente au Canada à titre de travailleur qualifié (fédéral).

 

I.          Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen pakistanais. Il a demandé le statut de résident permanent au Canada à titre de travailleur qualifié en juin 2010. Il a ensuite été évalué en fonction de son expérience à titre de directeur financier.

 

[3]               Divers documents accompagnaient sa demande comme preuve de ses emplois antérieurs auprès de deux sociétés financières : Lehman Brothers et Marshall Wace. Ces documents ont été soumis pour satisfaire à l’exigence selon laquelle il doit avoir acquis une année d’expérience professionnelle continue rémunérée à temps plein comme directeur financier au cours des dix dernières années.

 

[4]               Les documents se rapportant à Lehman Brothers comprennent notamment une lettre de MJA Jarvis, les administrateurs de faillite pour Lehman Brothers, qui confirmait qu’il travaillait dans le Service des capitaux propres (equities department) à titre d’associé en analyse quantitative (quantitative associate) du 26 juin 2006 au 3 octobre 2008 et qu’il gagnait 70 000 . Il était également indiqué dans la lettre qu’en règle générale, Lehman Brothers divulgue seulement les titres de postes et dates d’emploi en ce qui concerne les anciens employés. Le demandeur a également fourni une copie de son contrat initial d’emploi conclu avec Lehman Brothers et une lettre dans laquelle il était expliqué qu’en raison des procédures de faillite contre Lehman Brothers, il n’avait pas pu obtenir une lettre de recommandation plus détaillée.   

 

[5]               Dans son exposé des arguments, le demandeur affirme qu’il exerçait diverses fonctions d’analyse financière dans le cadre de son emploi chez Lehman Brothers. Il conseillait notamment les clients sur les investissements et les opérations sur actions et il élaborait divers modèles d’investissement.

 

[6]               Les documents se rapportant à Marshall Wace comprennent une lettre d’un administrateur de  Marshall Wace qui confirmait qu’il y avait travaillé d’octobre 2008 à janvier 2011 (date de la lettre), bien qu’il soit indiqué dans son exposé des arguments qu’il y ait travaillé jusqu’en juin 2011. Dans la lettre, il souligne que, dans le cadre de son travail, il devait chercher et mettre en œuvre de nouvelles idées dans les marchés boursiers et les marchés à terme, qu’il gagnait 85 000 ₤ et qu’il  agissait comme [traduction] « chercheur en analyse quantitative » (quantitative researcher).  Le demandeur a aussi déposé son offre et son contrat d’emploi relativement à son poste chez Marshall Wace.

 

[7]               Dans son exposé des arguments, le demandeur mentionne qu’il a essayé d’obtenir une autre lettre de Marshall Wace après avoir essuyé le refus de l’agent, mais comme il ne travaillait plus là, il n’a pas réussi.

 

[8]               Le demandeur dépose aussi sa propre description des fonctions qu’il exerçait au sein de ces entreprises à l’annexe 3 de sa demande. S’agissant de Marshall Wace, il réitère les responsabilités décrites dans la lettre d’emploi. S’agissant de Lehman Brothers, il définit ses principales tâches comme étant de [traduction] « conseiller les clients sur les investissements quantitatifs dans les marchés boursiers mondiaux et les marchés à terme mondiaux et élaborer des outils quantitatifs pour faciliter leurs investissements ».

 

[9]               La liste de contrôle des documents requis pour les demandes présentées au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés énonce ce que doivent inclure les lettres d’emploi, lesquelles sont nécessaires pour prouver l’expérience professionnelle requise. Comme il est précisé dans la liste de contrôle, ces lettres doivent inclure la période d’emploi, les postes occupés, les principales responsabilités et tâches liées à ces postes, le salaire annuel total ainsi que les avantages sociaux et le nombre d’heures par semaine.

 

[10]           Le 24 mai 2012, la demande du demandeur a été rejetée au motif que les lettres qu’il a présentées ne fournissaient pas suffisamment d’éléments de preuve pour montrer qu’il satisfaisait à l’exigence de l’expérience professionnelle décrite précédemment. Plus particulièrement, les notes de l’agent indiquaient que le demandeur n’avait fourni que de courtes lettres de recommandation et que ces lettres n’énuméraient pas les tâches qu’il devait remplir dans le cadre de son travail. De plus, l’agent a conclu que la preuve présentée à l’annexe 3 n’était pas objective.

 

II.        Questions en litige

[11]           Les questions soulevées dans le cadre de la présente demande s’énoncent comme suit :

A.    L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en ne communiquant pas ses préoccupations au demandeur avant de rendre une décision?

B.     La décision de l’agent de rejeter la demande était-elle déraisonnable compte tenu de la preuve présentée?

 

III.       Norme de contrôle

[12]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Kastrati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1141, par 9-10; Dhillon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1049, par 11-14).

 

[13]           Les parties conviennent également que la norme de contrôle applicable à la deuxième question est celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par 47).

 

IV.       Analyse

A.  L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en ne communiquant pas ses préoccupations au demandeur avant de rendre une décision? 

[14]           J’arrive à la conclusion qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.  

 

[15]           Le demandeur prétend que l’agent aurait dû lui communiquer ses préoccupations au sujet des lettres de Lehman Brothers et Marshall Wace avant de rejeter sa demande et que cette obligation s’étend à la preuve fournie par le demandeur lui-même, ainsi qu’aux préoccupations quant à la crédibilité.

 

[16]           Bien que l’agent ait une obligation d’équité procédurale de communiquer avec le demandeur quand sa crédibilité ou son authenticité sont remises en question, l’agent n’a plus cette obligation quand la preuve présentée par le demandeur est insuffisante (Luongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 618, par 16, 18).

 

[17]           La décision de l’agent de refuser la demande du demandeur reposait sur l’insuffisance de la preuve dont il disposait. Comme l’a dit le juge Gleason dans Bayat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), non publiée, IMM-7042-12, à la page 7 :

Finalement, en ce qui concerne le prétendu manquement à l'équité procédurale, contrairement à ce que soutient le demandeur, l'agent n'était pas tenu de l'informer des doutes qu'il avait relativement à sa demande puisque ceux-ci se rapportaient simplement à l'insuffisance de la preuve présentée par le demandeur et qu'il ne s'agissait nullement de mettre en doute la crédibilité du demandeur ou l'authenticité des documents qu'il a soumis. Il est bien établi que, dans de telles circonstances, l'agent des visas n'a pas à offrir au demandeur la possibilité de présenter des observations additionnelles (Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25; Pan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 838 aux par. 26-28; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 au par. 24). Les décisions qu'a invoquées le demandeur, soit Farooq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 164 et Farsoodeh c Canada (Citoyenneté et Immigration) (24 mai 2013), IMM-7132-12 (CF), sont dans le droit de fil de cette jurisprudence puisque les deux tiennent au fait que l'agent a douté de la crédibilité de la preuve offerte. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce et, par conséquent, aucune atteinte n'a été portée au droit du demandeur à l'équité procédurale.

 

 

 

[18]            De plus, il incombe au demandeur de fournir la preuve nécessaire pour démontrer qu’il répond aux critères de la catégorie précise au titre de laquelle il demande un statut au Canada (Shetty c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1321, par 12).

 

B.  La décision de l’agent de rejeter la demande était-elle déraisonnable compte tenu de la preuve présentée?

[19]           Le demandeur soutient dans son exposé des arguments qu’il satisfaisait aux exigences documentaires précisées dans le chapitre du guide sur le traitement des demandes à l’étranger portant sur les travailleurs qualifiés pour appuyer son argument selon lequel il avait acquis au moins une année d’expérience professionnelle continue au cours des dix dernières années. Ce guide précise que la preuve devrait comporter « suffisamment de détails » pour appuyer cet argument.  

 

[20]           Le demandeur invoque l’affaire Shinde c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF nº 1468, à l’appui de l’assertion selon laquelle la jurisprudence a établi qu’il n’est pas nécessaire qu’un demandeur ait exercé toutes les fonctions décrites dans la définition de sa profession qui figure dans la Classification nationale des professions [CNP]. Dans Tabanag c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2011] ACF nº 1575, la cour a conclu qu’il suffit que le demandeur ait exercé « au moins une » des fonctions principales.

 

[21]           Les arguments présentés par le défendeur dans son exposé des arguments initial et dans son exposé additionnel portent essentiellement sur le fait que la liste de contrôle des documents énonce clairement les renseignements que les lettres d’emploi doivent inclure et qu’aucune des lettres fournies ne répondait à ce critère. De plus, la liste de contrôle des arguments indique clairement que les fonctions déclarées par la personne concernée ne constituent pas une preuve acceptable. Par conséquent, il était raisonnable pour l’agent d’exiger une preuve objective des fonctions du demandeur (Bar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 317, par 22-23).

 

[22]           Voici la description de directeur financier qui figure dans la CNP :

Les directeurs financiers planifient, organisent, dirigent, contrôlent et évaluent les opérations de services financiers et de comptabilité. Ils élaborent et mettent en œuvre les procédures et les systèmes financiers d’un établissement. Ils fixent les normes de rendement et préparent divers rapports financiers pour la haute direction. Ils travaillent dans les services financiers et départements de comptabilité des entreprises et organismes des secteurs privé et public.

 

 

[23]           Voici les principales fonctions des directeurs financiers :

 

Les directeurs financiers exercent une partie ou l’ensemble des fonctions suivantes :

1.      planifier, organiser, diriger, contrôler et évaluer les activités d’un service de comptabilité, de vérification ou autre service financier;

2.      élaborer et mettre en œuvre les politiques, les procédures et les systèmes financiers d’un établissement;

3.      préparer les états financiers, les états récapitulatifs et les autres rapports d’analyse de rentabilité et de gestion financière ou en coordonner la préparation;

4.      coordonner le processus de planification financière et de budget, en faire l’analyse et corriger les prévisions;

5.      superviser le développement et la mise sur pied de modèles de simulation financière;

6.      évaluer les systèmes de rapports financiers, les pratiques comptables et les initiatives d’investissement et proposer des modifications concernant les procédés, les systèmes d’exploitation, les budgets et autres fonctions de contrôle financier aux cadres supérieurs et chefs d’autres services ou aux directeurs régionaux;

7.      embaucher, organiser, former et gérer le personnel;

8.      jouer le rôle d’agent de liaison entre l’entreprise et ses actionnaires, le public investisseur et les analystes financiers externes;

9.      définir les normes de rentabilité de projets d’investissement et s’occuper des fusions ou des acquisitions;

10.  alerter et faire rapport à la haute direction de toute tendance critique par rapport à la performance financière de l’entreprise.

 

 

[24]           Revenons à la preuve du demandeur, la lettre de Marshall Wace dont dispose le défendeur correspond en quelque sorte à la fonction qui figure au point 5 ci-dessus, de même que la description des fonctions pour son emploi chez Lehman Brothers.

 

[25]           Cependant, il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur n’est pas suffisamment qualifié. Peu importe le nombre précis de fonctions nécessaires, il est clair que la preuve du demandeur a permis d’établir qu’il a exercé, au mieux, une des fonctions. Compte tenu du précédent établi dans l’affaire Taleb, le demandeur affirme que l’agent aurait dû accorder plus d’importance à la description de ses fonctions qui se trouvait à l’annexe 3, mais je ne vois pas, vu le peu de renseignements fournis par le demandeur, comment cela appuie son argument selon lequel il était déraisonnable pour l’agent de conclure qu’il n’a pas respecté son obligation de fournir suffisamment d’éléments de preuve.  

 

[26]           Les motifs de l’agent sur la raison pour laquelle il a rejeté la demande du demandeur étaient clairs – il était d’avis que la preuve relative aux tâches exercées par le demandeur n’était pas suffisante. Comme l’a affirmé l’avocat du défendeur, il n’appartient pas à l’agent de déduire quelles tâches le demandeur a effectivement exercées dans le cadre de son emploi simplement à partir du titre du poste et du salaire. La conclusion est justifiable au regard de la preuve et elle appartient aux issues possibles acceptables, comme l’exige l’arrêt Dunsmuir. Vu la déférence dont il y a lieu de faire preuve envers l’agent, je confirme sa décision. 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande du demandeur est rejetée;

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7131-12

 

INTITULÉ :                                      Khan c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 août 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 22 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacqueline Swaisland

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jeannine Plamondon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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