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Date : 20130822

Dossier : IMM-10961-12

Référence : 2013 CF 892

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 août 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

GEJZA CONKA, NADEZDA CONKOVA, STELA CONKOVA ET OTILIA CONKOVA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi], d’une décision rendue par un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission]. La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs et a conclu qu’ils n’ont pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I.          Contexte

[2]               Les demandeurs forment une famille de citoyens slovaques, constituée du père [le demandeur principal], de sa femme, de leur fille et de leur fils. Ils appartiennent au groupe ethnique rom.

 

[3]               Selon l’exposé circonstancié figurant dans le formulaire de renseignements personnels [FRP] du demandeur principal déposé le 19 septembre 2011, les demandeurs ont été victimes de discrimination et de racisme tout au long de leur vie en Slovaquie. Voici les principaux exemples où ils auraient été victimes de persécution : 

         en 2006, la femme et les enfants du demandeur principal n’ont pas pu obtenir des soins médicaux et on a dit à la femme de se faire stériliser afin qu’elle n’ait pas d’autres enfants roms dans le futur;

         la colonie où vivaient les demandeurs était attaquée tous les vendredis. Des pierres étaient lancées dans leurs fenêtres et ils étaient injuriés;

         les demandeurs ne pouvaient pas utiliser les transports en commun et ils étaient attaqués en raison de leur appartenance au groupe ethnique rom;

         en 2005, le demandeur principal travaillait dans la construction et ses collègues ont commencé à l’intimider, en écrivant des insultes racistes sur son casier et en changeant la température de l’eau quand il se trouvait sous la douche;

         les demandeurs vivaient près de la forêt et ils ne pouvaient pas aller en ville ou au restaurant à cause des violences qu’ils subissaient.

 

[4]               En raison de la persécution, les demandeurs sont venus au Canada et ont demandé l’asile le 25 août 2011.

 

[5]               Dans son témoignage devant la Commission, le demandeur principal a affirmé qu’il n’avait jamais été agressé physiquement et que sa maison n’avait jamais été attaquée ni endommagée puisqu’elle était quelque peu protégée en se trouvant à l’intérieur d’une colonie rom. Le demandeur principal a ajouté qu’il n’avait jamais eu aucun contact personnel avec la police pour quelque raison que ce soit.

 

[6]               Dans sa décision, la Commission souligne que les demandes en l’espèce sont jointes en vertu de la disposition qui est maintenant le paragraphe 55(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256.

 

[7]               La question déterminante que devait examiner la Commission lorsqu’elle a rejeté la demande des demandeurs était celle de la protection de l’État. La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État.

 

[8]               Au début de ses motifs, la Commission décrit la discrimination dont le demandeur principal a fait état dans son témoignage devant la Commission, et non la discrimination qu’il a présentée dans son exposé circonstancié du FRP. Autrement dit, la Commission décrit la violence verbale et les attaques générales dirigées contre l’établissement des demandeurs, et non les dommages causés à la maison des demandeurs ou les attaques contre le demandeur principal. Par conséquent, la Commission estime que le racisme et la discrimination dont sont victimes les demandeurs ne requièrent pas la protection de l’État.

 

[9]               Malgré cette conclusion, la Commission est toujours d’avis que les demandeurs auraient pu se prévaloir de la protection de l’État, c’est-à-dire les services de police et des organismes de surveillance. Elle se fonde sur un examen rapide de la preuve documentaire pour rendre cette décision. 

 

[10]           La Commission a rejeté la demande du demandeur principal et celles de la femme et des enfants du demandeur principal au motif qu’il n’y avait aucune différence substantielle entre elles.

 

II.        Questions en litige

[11]           Les questions soulevées dans le cadre de la présente demande s’énoncent comme suit :  

A.  Est-ce qu’il était déraisonnable pour la Commission de rejeter la demande de la femme du demandeur pour les mêmes motifs qu’il a rejeté celle du demandeur principal?

B.  La conclusion de la Commission quant à la protection de l’État était-elle déraisonnable?

 

III.       Norme de contrôle

[12]           La conclusion de la Commission quant à la protection de l’État est susceptible de contrôle suivant la norme de la raisonnabilité (Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, par 46, 59; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par 47-48, 51 [Dunsmuir]).

 

[13]           De même, la question de savoir si les faits qui sous-tendent les demandes des demandeurs sont semblables est une question de fait et la décision de la Commission commande la retenue de la Cour, selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir, précité, par 53).

 

[14]           Les demandeurs prétendent également que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant de mentionner certains aspects de l’exposé circonstancié figurant dans le FRP du demandeur principal. L’insuffisance des motifs n’entraîne pas l’application d’une norme de contrôle indépendante; les motifs doivent plutôt être examinés selon le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par 14).

 

IV.       Analyse

A.  Est-ce qu’il était déraisonnable pour la Commission de rejeter les demandes des demandeurs pour les mêmes motifs?

[15]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en ne faisant pas la distinction entre la demande de la femme du demandeur principal et celle du demandeur principal, ce qui constitue une atteinte à son droit à une audition impartiale et aux droits garantis aux articles 7 et 15 de la Charte, en raison d’une discrimination fondée sur le sexe.

 

[16]           Cette position ne tient pas compte du fait que la Commission a mentionné et pris en considération les difficultés qu’ont eues les demandeurs à obtenir des services médicaux, comme il est énoncé au paragraphe 5 de la décision de la Commission.

 

[17]           De plus, la Commission a conclu que les demandeurs pouvaient bénéficier d’une protection adéquate de l’État. Si cette conclusion est raisonnable, les autres questions dont était saisie la Commission sont théoriques.

 

B.  La conclusion de la Commission quant à la protection de l’État était-elle déraisonnable?

[18]            Les demandeurs soutiennent que la Commission a omis de signaler certains renseignements contenus dans l’exposé circonstancié du FRP du demandeur principal dans la décision et que la conclusion de la Commission quant à la protection de l’État était donc viciée.  

 

[19]           En ce qui concerne l’omission de la preuve sur les attaques physiques qui figurait dans l’exposé circonstancié du FRP du demandeur principal, il n’est pas nécessaire que la Commission examine tous les éléments de preuve pour rendre sa décision. Cependant, le besoin d’examiner explicitement la preuve augmente avec l’importance de cette preuve quant aux questions en litige,  comme il est indiqué dans Gondi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 433, par 16 :

Il est bien établi que la Commission est réputée avoir examiné tous les documents dont elle était saisie et qu’elle n’est pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve ni d’expliquer la façon dont elle les a traités : Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317 (CAF). Cependant, le besoin de mentionner et d’analyser certains éléments de preuve augmente avec l’importance de ceux-ci : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (1re inst.).

 

[20]           La preuve sur les attaques physiques est très pertinente quant à la question de savoir si la protection de l’État est nécessaire. Cependant, on peut déduire, à la lecture d’une transcription, que la Commission avait un motif valable de ne pas mentionner les incidents décrits dans l’exposé circonstancié du FRP. À la page 221 du dossier se trouve le dialogue qu’ont eu la Commission et le demandeur principal lors de l’audience :

[traduction]

Q : Avez-vous déjà été personnellement attaqué ou est-ce que votre femme ou vos enfants ont été agressés physiquement par ces personnes?

 

A : Cela ne nous est pas arrivé personnellement, mais c’est arrivé à nos voisins lorsqu’ils sont allés en ville et qu’ils ont été attaqués.

 

[21]           À la page 223, la Commission pose une question semblable :

[traduction]

Q: D’accord. Alors, si je comprends bien, vous et votre femme n’avez jamais été attaqués physiquement par ces skinheads ou par d’autres racistes. Est-ce exact?

 

A: Oui, c’est exact.

 

[22]           Il est clair que la Commission s’est penchée sur la question de savoir si les demandeurs ont été attaqués et qu’elle a donné au demandeur principal l’occasion de dire qu’ils avaient été attaqués. La Commission aurait pu faire un effort supplémentaire pour interroger explicitement le demandeur principal sur la différence entre son témoignage et son exposé circonstancié figurant dans le FRP, mais il est évident qu’elle a examiné la question fondamentale (à savoir si le demandeur principal a été attaqué) à deux reprises pendant l’audience et qu’elle a examiné sa réponse (qu’il n’a pas été attaqué) dans ses motifs. Il ne semble donc pas raisonnable de conclure que la Commission a ignoré la preuve et qu’elle est arrivée à une décision erronée. La conclusion de la Commission était raisonnable.

 

[23]           Les demandeurs ne réussissent pas non plus à prouver qu’il leur était impossible d’obtenir la protection de l’État. Ce critère est énoncé dans l’arrêt Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au par 30 :

[L]e demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante.

 

[24]           L’analyse de la Commission visant à déterminer si les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État est plutôt faible, soit un bref examen de la preuve documentaire des efforts déployés par le gouvernement de la Slovaquie pour protéger les Roms. Elle ne traite pas du caractère satisfaisant de ces efforts dans les faits (EYMV c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364).

 

[25]           Cependant, dans Ward c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] 2 RCS 689, au par 49, le juge La Forest affirme que la demande d’un demandeur sera rejetée dans le cas où la protection de l’État aurait pu raisonnablement être assurée, mais que le demandeur ne l’a pas demandée. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas sollicité la protection de l’État. Ils ont affirmé qu’ils pensaient qu’il serait inutile d’essayer d’obtenir la protection, mais leur témoignage est peu convaincant compte tenu de la preuve documentaire traitée par la Commission. Comme il est indiqué dans l’arrêt Ward, précité, au par. 48, le demandeur ne doit pas « mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité », mais l’omission des demandeurs de prendre des mesures pour solliciter une telle protection, compte tenu du fait qu’aucune violence n’était dirigée contre eux, n’était pas raisonnable.

 

[26]           Par conséquent, bien que l’examen de la preuve documentaire fait par la Commission ne soit pas suffisant en soi pour démontrer que les demandeurs auraient pu se prévaloir d’une protection adéquate de l’État en Slovaquie, les demandeurs n’ont pas essayé d’obtenir la protection de la police et, en agissant ainsi, n’ont rien fait pour réfuter la présomption de la protection de l’État.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée;

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Mylène Borduas


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10961-12

 

INTITULÉ :                                      Conka et al. c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 14 août 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 22 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dushahi Sribavan

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ladan Shahrouz

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CABINET ROCCO GALATI

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                                                                  

 

 

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