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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20130822

Dossier : IMM-6239-12

Référence : 2013 CF 896

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 août 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

PENG FEI LIU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), visant le contrôle judiciaire d’une décision en date du 18 juin 2012 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande présentée par le demandeur afin de se faire reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur, âgé de 26 ans, est citoyen chinois. Il cherche protection au Canada contre le Bureau de la sécurité publique [BSP]. Il a relaté les faits suivants dans le formulaire de renseignements personnels [FRP] qu’il a soumis à l’appui de sa demande d’asile.

Exposé circonstancié du FRP

[3]               Le demandeur est né et a grandi à Gaocheng, une ville de la province du Hebei, en Chine. Sa mère est devenue adepte du Falun Gong en 2006, et elle assistait à des séances hebdomadaires chez des particuliers. Ni le demandeur ni son père ne pratiquaient le Falun Gong.

[4]               Le demandeur est entré au Canada le 19 février 2009 en possession d’un visa d’étudiant. Ici, il en a appris davantage sur la pratique du Falun Gong ainsi que sur la persécution que ses adeptes subissaient en Chine. Sa mère lui ayant demandé de lui envoyer des documents, le demandeur lui a expédié à trois reprises, entre mai et novembre 2009, des brochures et feuillets au sujet du Falun Gong.

[5]               Le 17 janvier 2010, le demandeur a reçu un téléphone de son père l’informant que, le 16 janvier 2010, le groupe de Falun Gong de sa mère avait fait l’objet d’une descente des représentants du BSP, lesquels avaient trouvé les documents que le demandeur avait envoyés du Canada. Sa mère a été mise en détention, et elle est toujours détenue. Le BSP a également détenu le père du demandeur pendant une journée complète pour l’interroger, et celui‑ci doit depuis lors se présenter aux autorités une fois par mois. Le BSP a aussi laissé au père une assignation enjoignant au demandeur de rentrer en Chine immédiatement pour être interrogé. Le père a dit à son fils de ne pas revenir en Chine, car il y serait sûrement incarcéré.

[6]               À cause de l’appartenance de la mère au Falun Gong, le père du demandeur a été congédié à la fin du mois de janvier 2010, et son frère a été renvoyé de son école. Les représentants du BSP ont continué de venir à la maison familiale à la recherche du demandeur. Le demandeur a présenté sa demande d’asile le 7 mai 2010.

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]               Le principal problème dont souffrait la demande d’asile, selon la SPR, était la crédibilité. Le demandeur a déposé une assignation de type Zhuanhuan, utilisée lorsque les autorités estiment que l’intéressé coopérera et que la fuite est peu probable. Il ne s’agit pas d’une mesure coercitive. Avec l’assignation, le demandeur a soumis une preuve documentaire sur le rôle des cours d’appel en Chine, laquelle ne correspondait pas à la preuve documentaire au dossier. La SPR lui a préféré sa propre preuve documentaire relative aux différents types d’assignation, parce qu’elle provenait de multiples sources et correspondait aux éléments de preuve dont elle disposait. Elle a mentionné que sa preuve documentaire datait du 1er juin 2004, mais que rien ne donnait à penser que les renseignements y figurant n’étaient plus valides. Elle a également signalé que, contrairement à ce qu’énonçait la preuve documentaire, l’assignation ne mentionnait pas l’article 92 du Code de procédure pénale de la République populaire de Chine et, à cause de cela, elle a conclu que l’assignation n’était pas authentique.

[8]               De plus, la SPR n’était pas convaincue que les autorités chinoises, sachant que le demandeur était au Canada, continueraient à le chercher, et elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’elles ne le cherchaient pas. Le demandeur a également témoigné que le BSP avait interrogé son frère. Toutefois, il n’avait pas consigné ce renseignement dans le FRP, et la SPR a estimé qu’il s’agissait d’une omission grave parce que ce fait avait rapport avec l’intérêt que le BSP continuait à porter au demandeur. Le demandeur a expliqué que le renvoi de son frère de l’université signifiait nécessairement qu’il avait été interrogé par le BSP, mais la SPR n’a pas jugé l’explication satisfaisante, et elle a conclu que le frère n’avait pas été questionné par le BSP et n’avait pas été renvoyé de l’université.

[9]               S’agissant des documents soumis par le demandeur au sujet de la détention de sa mère et du congédiement de son père, la SPR s’est reportée à la preuve documentaire signalant qu’on pouvait se procurer de faux documents en Chine et, comme elle avait déjà jugé que l’assignation n’était pas authentique, elle n’a pas accordé de poids à ces documents.

[10]           Le demandeur a dit avoir pris des précautions particulières pour envoyer à sa mère les documents concernant le Falun Gong. Notamment, le nom du destinataire n’était pas celui d’une personne vivant à l’adresse de sa famille. La SPR n’a pas considéré qu’il s’agissait de précautions appréciables puisque les autorités chinoises savaient que le demandeur était au Canada et que, selon la preuve documentaire, la police chinoise n’exige pas nécessairement de preuve. En outre, l’envoi des documents par messager pouvait avoir eu pour effet d’accentuer la surveillance et de faire courir un plus grand risque à sa mère.

[11]           En raison de ces problèmes de crédibilité, la SPR a conclu à l’absence d’éléments de preuve crédibles permettant de considérer le demandeur comme réfugié au sens de la Convention ou personne à protéger aux termes des articles 96 ou 97 de la Loi. Sa demande a donc été rejetée.

QUESTIONS EN LITIGE

[12]           Le demandeur soulève en l’espèce les questions suivantes :

a.                   La SPR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité : (i) en appréciant mal l’assignation visant le demandeur et en interprétant mal la preuve relative à de telles assignations en Chine, (ii) en formulant des conclusions conjecturales au sujet de la conduite du BSP, (iii) en rejetant des éléments de preuve documentaire crédibles et (iv) en concluant à l’invraisemblance alors que les faits présentés étaient de ceux auxquels on pouvait logiquement s’attendre.

 

NORME DE CONTRÔLE

[13]           L’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, de la Cour suprême du Canada établit que l’analyse relative à la norme de contrôle n’est pas toujours nécessaire. En fait, lorsque la norme de contrôle à appliquer à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la cour doit examiner les quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

[14]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable à une conclusion concernant la crédibilité est celle de la décision raisonnable. De plus, dans la décision Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a établi que l’appréciation de la crédibilité se situant au cœur même de la conclusion de fait que tire la SPR, il convient de l’évaluer selon la norme de la raisonnabilité. Enfin, selon la décision Aguilar Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, la juge Mary Gleason a statué (au paragraphe 9) que la norme de contrôle applicable aux conclusions concernant la crédibilité était celle de la décision raisonnable. C’est donc cette norme qui s’applique à la première question.

[15]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel [ainsi qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

[…]

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards,

 

 

 

[…]

 

ARGUMENTATION

Arguments du demandeur

[17]           Le demandeur fait valoir qu’un témoignage est présumé véridique et que les incohérences relevées à l’égard de points accessoires ne doivent pas avoir d’effet sur les éléments essentiels d’une demande d’asile. Ainsi que la Cour l’a indiqué au paragraphe 20 de la décision Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 429 :

Troisièmement, ce ne sont pas tous les types d’incohérence ou d’invraisemblance contenue dans la preuve présentée par le demandeur qui justifieront raisonnablement que la Commission tire des conclusions défavorables sur la crédibilité en général. Il ne conviendrait pas que la Commission tire ses conclusions après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication. En outre, la Commission devrait évaluer la crédibilité d’un demandeur et la vraisemblance de son témoignage en tenant compte des conditions existant dans son pays et des autres éléments de preuve documentaire dont elle dispose. Les incohérences mineures ou secondaires contenues dans la preuve du demandeur ne devraient pas inciter la Commission à conclure à une absence générale de crédibilité si la preuve documentaire confirme la vraisemblance de son récit.

 

 

[18]           La SPR a conclu à l’inauthenticité de l’assignation parce que le document ne mentionnait pas l’article 92 du Code de procédure pénale de la République populaire de Chine, mais plutôt les articles 300 et 189 dudit code.

[19]           Le demandeur soutient, premièrement, que cette conclusion est déraisonnable parce que rien n’établit que le modèle d’assignation figurant dans la preuve documentaire est de même type que l’assignation visant le demandeur. Deuxièmement, le seul document sur lequel la SPR s’est fondée était une réponse à une demande d’information désuète, datant du 1er juin 2004, laquelle ne constituait pas, selon lui, une source fiable pour ce qui était de ce à quoi ressemblait une assignation délivrée en 2010, ainsi que la Cour l’a indiqué dans Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 288.

[20]           Le demandeur avance que, même si cet élément de preuve documentaire pouvait être retenu, la SPR l’a mal interprété. Le document précise que les assignations sont des « modèles », il ne dit pas qu’elles sont le seul type d’assignation existant en Chine, pas plus qu’il n’affirme que le style et le format des assignations sont uniformes dans tout le pays. Une réponse à une demande d’information plus récente, datée du 6 juin 2010, non examinée par la SPR, indique que la forme que revêtent les assignations en Chine varie énormément. Les différences que présentait l’assignation visant le demandeur par rapport à l’exemple de 2004 n’avaient rien de surprenant ou de suspect. Ainsi que la Cour l’a indiqué dans Lin, précité, aux paragraphes 51‑53 :

Ainsi que le demandeur le souligne, la SPR a poursuivi en rejetant la presque totalité des autres documents qu’il avait soumis à l’appui de sa demande. La SPR a commencé par conclure que l’assignation était un faux. Le demandeur a soumis l’assignation avec une traduction anglaise. À l’audience, il a été décidé, après avoir consulté l’interprète agréé choisi par la SPR que la traduction anglaise de l’assignation que le demandeur avait fournie renfermait une erreur. La traduction anglaise parle du paragraphe 92(1) du Code pénal de la RPC alors que l’assignation originale du demandeur ne mentionne pas cette loi. La SPR a accepté que l’assignation citait en fait le Code de procédure pénale et que la traduction anglaise renfermait une erreur. La SPR a néanmoins remis en question l’authenticité du document. À cet égard, la SPR a cité des documents tirés de son propre cartable national de documentation qui donne des exemples d’assignations chinoises. La SPR a comparé l’assignation à ces exemples et a estimé que leur présentation était fort différente.

 

J’accepte l’argument du demandeur suivant lequel cette conclusion était entièrement déraisonnable. La RDI CHN42444.EF, sur laquelle la SPR s’est fondée, remonte à juin 2004. Il est fort peu probable que ce document ait pu constituer une source fiable pour savoir ce à quoi pouvait ressembler une assignation délivrée en 2009. En tout état de cause, la RDI CHN42444.EF précise bien que les assignations données à titre d’exemple ne sont que des « modèles ». La RDI n’affirme pas qu’il s’agit des seules formes d’assignation délivrées par les autorités chinoises et elle n’affirme pas non plus que le style et le contenu des assignations sont uniformes sur tout le territoire de la Chine. Au contraire, ainsi que le demandeur le souligne, le document démontre que l’application de la loi peut varier considérablement d’une région à l’autre de la RPC en ce qui concerne la procédure. En particulier :

[...] même si le droit procédural en Chine devait être appliqué uniformément et que le Ministère de la Sécurité publique avait déployé des efforts concertés afin d’améliorer les normes policières, en pratique, le [traduction] « BSP [Bureau de la sécurité publique] n’a pas encore établi la primauté du droit » (ibid. 21 avr. 2004). Selon le professeur agrégé, l’application de la loi peut varier considérablement en fonction des régions, où les différences constituent parfois des politiques écrites, mais [traduction] « la plupart du temps la règle écrite cède le pas aux normes de la rue » (ibid.).

 

Par conséquent, suivant les renseignements contenus dans la RDI, le fait que l’assignation soit différente sous certains aspects des modèles proposés dans la RDI n’est ni surprenant ni douteux. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la SPR a commis une erreur en rejetant son assignation en se fondant sur une interprétation trop stricte et en fin de compte erronée d’un document désuet.

[21]           En outre, rien n’indique où et quand le modèle examiné par la SPR a été délivré. Qui plus est, bien que le BSP ne soit pas censé laisser d’assignation aux membres de la famille de la personne visée, cela arrive souvent. Le fait que l’assignation ait été remise au père du demandeur indique que les représentants du BSP ne connaissaient pas la procédure à suivre et n’agissaient pas conformément à la loi, de sorte qu’il était déraisonnable pour la SPR de s’attendre à ce que l’assignation soit délivrée correctement.

[22]           Le demandeur soutient également que l’unique élément de preuve documentaire cité par la SPR n’étaye pas l’affirmation qu’on peut facilement se procurer de fausses assignations en Chine. Ce document concerne les provinces du Guangdong et du Fujian, alors que le demandeur vient de la province du Hebei, et il indique en outre qu’il n’a pas été possible d’obtenir des renseignements précis sur les fausses assignations. Il était donc déraisonnable pour la SPR de s’appuyer sur cette preuve documentaire.

[23]           Selon le demandeur, les conclusions erronées de la SPR au sujet de l’assignation ont vicié toute la décision, lui conférant un caractère déraisonnable.

[24]           Le demandeur ajoute que la SPR a fait des suppositions déraisonnables au sujet des actions du BSP. Sa conclusion que le BSP, sachant le demandeur au Canada, ne continuerait pas à se rendre chez lui ne reposait sur aucun fondement objectif. La SPR ne devrait pas conjecturer sur les processus mentaux et l’efficacité des autorités chinoises.

[25]           En outre, compte tenu de la preuve documentaire citée par la SPR indiquant que la pratique du Falun Gong a souvent des répercussions pour les membres de la famille des adeptes, comme des visites policières inopinées, il n’est pas invraisemblable que des représentants du BSP soient allés plusieurs fois chez ses parents, à sa recherche.

[26]           Parce qu’elle avait conclu que l’assignation était fausse et qu’il était possible de se procurer de faux documents en Chine, la SPR a aussi écarté la preuve confirmant la détention de la mère et le congédiement du père présentée par le demandeur. La conclusion qu’un document est faux ne constitue pas un fondement suffisant pour déclarer faux tous les autres documents; il doit y avoir des éléments de preuve indiquant qu’un document est faux (Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 877 [Zheng]).

[27]           La SPR n’a pas non plus cru le témoignage du demandeur selon lequel il avait expédié la documentation sur le Falun Gong à sa mère par messager en changeant le nom du destinataire, omettant ainsi d’observer la présomption de véracité des témoignages applicable lorsqu’il n’existe aucune raison d’en douter (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776). Au moment de cet envoi, personne ne savait que sa mère était adepte du Falun Gong, et le demandeur fait valoir que ses gestes ne débordaient pas du cadre de ce à quoi on pouvait logiquement s’attendre.

Arguments du défendeur

[28]           Le défendeur soutient que la SPR pouvait se fonder sur la preuve documentaire contenue dans la Réponse à la demande d’information et accorder plus de poids à cette information qu’à l’explication fournie par le demandeur au sujet des différences dans la présentation de l’assignation. Elle a reconnu que le renseignement n’était pas très récent, mais a jugé qu’il était toujours pertinent et probant.

[29]           Dans une affaire similaire, Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 187 [Chen], la SPR avait conclu qu’une assignation n’était pas authentique parce qu’elle ne portait pas le numéro du Code de procédure pénale :

10.       Le demandeur reproche principalement à la Commission son évaluation de la preuve. S’il peut être possible qu’une assignation chinoise authentique ne contienne pas la signature de la personne qui l’a reçue ou ne comporte pas le numéro du Code de procédure pénale, la preuve dont disposait la Commission indique que ces deux éléments sont censés figurer sur une assignation authentique. L’absence de ceux‑ci et la disponibilité de documents frauduleux en Chine ont conduit la Commission à conclure que l’assignation n’était pas authentique. On ne peut pas dire que cette décision est déraisonnable. Elle est fondée sur la preuve dont était saisie la Commission.

[30]           Un modèle d’assignation peut constituer un fondement suffisant pour mettre en doute l’authenticité d’une assignation déposée en preuve (Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 262). En outre, dans Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 790, la juge Anne Mactavish a déclaré que l’acceptation de l’argument que la RDI de 2004 était désuète et que la procédure suivie par le BSP pouvait varier selon les régions n’empêchait pas la SPR de tirer une conclusion défavorable en raison de différences présentes dans une assignation, telles une mention erronée de la loi ou de la disposition applicable ou l’absence de signature sur le document.

[31]           La SPR a conclu en l’espèce que l’assignation n’était pas authentique notamment parce qu’y était mentionné l’article 189 du Code de procédure pénale, relatif aux niveaux juridictionnels, qui n’était pas la bonne disposition. La SPR a questionné le demandeur au sujet de cette divergence, mais il n’a pu l’expliquer, et son avocat a soutenu qu’il s’agissait probablement d’une erreur. Le défendeur soutient que la SPR pouvait raisonnablement accorder plus de poids à la preuve documentaire.

[32]           Le demandeur invoque la décision Lin, précitée, établissant, selon lui, qu’il est déraisonnable pour la SPR de se fonder sur la RDI de 2004. Toutefois, la Cour a jugé, dans Lin, que la décision de la SPR était erronée pour plusieurs raisons, et non du seul fait qu’elle s’était fondée sur la RDI de 2004; elle a relevé d’autres erreurs importantes, notamment :

54.       La SPR a également conclu que l’assignation n’était pas authentique parce que l’article tiré du Code de procédure pénale chinois était différent de celui qui était mentionné dans l’assignation donnée comme exemple dans la RDI CHN42444.EF. Cependant, l’assignation du demandeur et le modèle d’assignation mentionnent le même article. Ainsi que la SPR l’a déclaré, le modèle d’assignation mentionnait « l’article 92 ». Or, l’assignation du demandeur mentionne aussi l’article 92. Par conséquent, la conclusion de la SPR est, selon moi, manifestement erronée.

[33]           Le demandeur affirme également que la SPR n’a pas tenu compte de la RDI du 6 juillet 2010. Il faut toutefois présumer que la SPR a examiné la totalité de la preuve, et il n’est pas nécessaire que la RDI soit expressément mentionnée dans la décision (Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 490, paragraphes 13‑14). Fait plus important, cette RDI n’explique pas pourquoi l’assignation visant le demandeur comportait les différences signalées par la SPR. Le seul élément de preuve contenu dans cette RDI au sujet des assignations consiste en un commentaire selon lequel elles devraient être revêtues d’un sceau rouge. Ce n’est pas la présence ou l’absence d’un tel sceau qui a amené la SPR à conclure à l’inauthenticité de l’assignation, si bien que la SPR pouvait raisonnablement en omettre la mention.

[34]           Le défendeur souligne également que la SPR a posé au demandeur la question précise de la raison pour laquelle le BSP s’intéresserait à lui étant donné qu’il le savait au Canada, et que celui‑ci a répondu que le BSP pouvait encore s’intéresser à lui, mais qu’il n’en était pas certain. Le demandeur a également admis qu’il ne savait pas que les autorités chinoises pouvaient contrôler les entrées et sorties des citoyens en Chine.

[35]           En dépit de l’argument du demandeur voulant que la SPR ait fait abstraction de la preuve indiquant que les familles d’adeptes du Falun Gong sont victimes de persécution, la SPR est, encore une fois, présumée avoir examiné la totalité de la preuve. La SPR pouvait juger non plausible que le BSP soit à la recherche du demandeur alors qu’il le savait au Canada et avait les moyens de confirmer son retour.

[36]           En outre, la SPR a relevé une omission importante dans le FRP du demandeur, à savoir le fait que son jeune frère avait été interrogé par le BSP. La SPR n’a pas retenu l’explication du demandeur selon laquelle il n’en avait pas parlé parce qu’il était évident que le BSP aurait interrogé son frère, et elle a raisonnablement conclu que le frère n’avait pas été renvoyé de l’université et n’avait pas été interrogé par le BSP.

[37]           La SPR pouvait également écarter d’autres éléments de preuve parce que le demandeur avait déjà démontré qu’il était disposé à présenter de faux documents et parce que de tels documents pouvaient facilement être obtenus en Chine. De plus, ces éléments de preuve n’établissaient pas que le demandeur était exposé à un risque en raison de l’adhésion de sa mère au Falun Gong, si bien que même si la SPR avait commis une erreur à l’égard de ces éléments, cette erreur n’avait eu aucun effet sur sa décision.

[38]           La SPR pouvait conclure en outre qu’il était peu plausible que le demandeur ait envoyé de la documentation sur le Falun Gong à sa mère. Le demandeur savait qu’il était interdit de participer aux activités du Falun Gong en Chine, mais il aurait néanmoins pris le risque d’envoyer de tels documents à sa mère. Il était raisonnable que la SPR conclue que les « précautions » n’étaient pas satisfaisantes et, en conséquence, il lui était loisible de déterminer qu’il n’avait pas réellement envoyé ces documents. Il s’agissait d’une conclusion en matière de vraisemblance qu’elle avait le pouvoir de tirer (Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114 (CAF)).

ANALYSE

[39]           Je conviens avec le demandeur que les conclusions de la SPR relatives à l’assignation ont grandement influé sur le reste de la décision.

[40]           Pour apprécier l’authenticité de l’assignation, la SPR s’est appuyée sur la trousse documentaire du 1er juin 2004 qui a été soumise à la Cour dans plusieurs affaires. Le juge Donald Rennie, par exemple, l’a récemment examinée dans Lin, précité, et a mis en garde contre l’interprétation trop stricte et, en fin de compte, malavisée, de documents désuets.

[41]           Comme le demandeur l’a souligné, les modèles d’assignation cités par la SPR ne portaient aucune mention de l’endroit ou de la date de délivrance, de sorte qu’il était impossible de savoir s’ils avaient été utilisés pendant la même période et dans la même région de la Chine que l’assignation visant le demandeur. J’estime donc que, même s’il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure à la fausseté de l’assignation en la comparant aux modèles contenus dans la trousse documentaire, cela ne pouvait constituer une indication certaine que le demandeur cherchait à tromper la SPR. Celle‑ci devait apprécier individuellement tous les autres éléments de preuve et les soupeser avec soin.

[42]           Toutefois, la SPR s’est fondée sur ses conclusions au sujet de l’assignation pour écarter les autres éléments de preuve documentaire sans évaluer leur authenticité de façon indépendante :

En ce qui concerne la documentation présentée à l’appui de la détention de la mère du demandeur d’asile et du congédiement du père de ce dernier, le tribunal renvoie de nouveau à la documentation citée précédemment, qui fait ressortir la disponibilité de documents frauduleux en Chine. Étant donné que le tribunal a déjà conclu que l’assignation n’est pas authentique, il n’accorde aucune valeur aux documents relatifs à la détention et au congédiement.

[43]           Même si la conclusion de la SPR au sujet de l’assignation peut être jugée raisonnable, il y a là un manque de logique. La SPR n’a pas la certitude que l’assignation est fausse, elle conclut simplement à sa fausseté selon la prépondérance des probabilités, et elle sait qu’il existe en Chine une grande variété d’assignations. Si la SPR avait procédé à un examen indépendant des autres éléments de preuve documentaire et les avait jugés authentiques, cela aurait pu militer en faveur de l’authenticité de l’assignation. Dans les circonstances, il était déraisonnable pour la SPR de rejeter d’emblée d’autres éléments de preuve documentaire parce qu’elle avait conclu à l’inauthenticité de l’assignation. La SPR était tenue d’évaluer de façon indépendante les autres éléments de preuve documentaire. Voir Zheng, précité. Les deux documents revêtaient de l’importance pour la crédibilité du demandeur, mais plus particulièrement celui qui se rapportait à la détention de sa mère.

[44]           La SPR a tiré d’autres conclusions non liées à la preuve documentaire, mais elles ne suffisent pas à elles seules à établir le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble. Les conclusions relatives à la preuve documentaire étaient capitales. Si la SPR avait procédé à une appréciation raisonnable de la totalité de la preuve documentaire, elle aurait fort bien pu considérer le témoignage du demandeur sous un jour différent. Il n’est donc pas nécessaire de traiter des arguments du demandeur au sujet de ces autres conclusions. La décision est dangereuse et déraisonnable, et il y a lieu de renvoyer la présente affaire pour nouvel examen.

[45]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est également de cet avis.

JUGEMENT

 

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée devant la SPR pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-6239-12

 

INTITULÉ :

PENG FEI LIU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 4 JUILLET 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 22 août 2013

 

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ildiko Erdei

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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