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Date : 20130821

Dossier : IMM-8775-12

Référence : 2013 CF 888

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 août 2013

En présence de madame la juge McVeigh

 

ENTRE :

 

GYORGY RICZU

TEREZIA HARASZT

VIRAG RICZU

GYORGY RICZU

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par Louise Paquette‑Neville, commissaire à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission), en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La Commission a rejeté la demande d’asile présentée par les demandeurs et a conclu qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I.          Le contexte

[2]               Les demandeurs – le père (le demandeur principal), sa conjointe de fait, leur fille et leur fils – sont des citoyens hongrois d’origine rom. Ils ont 27, 26, 5 et 3 ans, respectivement. La famille vivait à Sajozsentpeter, une petite ville près de Miskolc, la troisième plus grande ville de la Hongrie. Le demandeur principal était infirmier auxiliaire à Miskolc.

 

[3]               Leur Formulaire de renseignements personnels (le FRP) incluait un exposé circonstancié de trois paragraphes, daté du 29 décembre 2010, qui mentionnait que la vie en Hongrie n’était plus supportable pour les demandeurs en raison des menaces, des mauvais traitements et de la discrimination tenaces qu’ils subissaient à cause de leur origine rom.

 

[4]               Le 10 mai 2012, les demandeurs ont présenté à la Commission un ajout de trois pages au FRP original. Dans l’exposé circonstancié modifié, les demandeurs décrivent trois situations où, selon leurs allégations, ils ont été victimes de persécution :

a)      le premier de ces incidents est survenu en août 2010. Le demandeur principal allègue que cinq Hongrois de souche ont proféré des menaces contre les demandeurs à un terrain de jeux dans leur ville d’origine de Sajozsentpeter;

b)      le deuxième incident est survenu le 10 octobre 2010. Les demandeurs sont allés à la ville avoisinante de Miskolc et ont croisé par hasard un rassemblement antitzigane dont les participants leur ont proféré des menaces. Leur fils a été frappé par une bouteille de Coca-Cola. Le demandeur principal a été poussé contre un arrêt d’autobus, si bien qu’il s’est blessé à la main;

c)      le troisième incident s’est produit le 21 novembre 2010. D’après le demandeur principal, il se promenait dans Sajozsentpeter avec son ami Kotai Otto lorsque des skinheads les ont menacés avant de poignarder son ami Otto. Ce dernier est mort dans ses bras. Les demandeurs ont quitté le pays le lendemain des funérailles et sont arrivés au Canada où ils ont demandé l’asile le 2 décembre 2010.

 

II.        La question en litige

[5]               La question soulevée dans le cadre de la présente demande est la suivante :

            A.  L’analyse de la protection de l’État effectuée par la Commission était-elle raisonnable?

 

III.       La norme de contrôle

[6]               La norme de contrôle applicable à la conclusion de la Commission concernant la protection de l’État est la décision raisonnable (Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 354, aux paragraphes 25 et 29; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 46 et 59 (Khosa); Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 48 et 51 (Dunsmuir)).

 

[7]               Lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la raisonnabilité, la Cour doit déterminer si les conclusions de la Commission appartiennent aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Bien qu’il puisse y avoir plus d’une issue possible, dans la mesure où le processus décisionnel de la Commission est justifié, transparent et intelligible, le tribunal de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Khosa, précité, au paragraphe 59).

 

IV.             Analyse

A.  Le cadre approprié pour l’analyse de la protection de l’État

[8]               Le critère applicable pour analyser la protection de l’État dans le contexte de l’alinéa 96a) et du sous-alinéa 97(1)b)(i) de la Loi a été exposé dans Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 30 :

[…] le demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante.

 

 

[9]               L’État n’est pas tenu d’assurer une protection parfaite à tous ses citoyens en tout temps (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] ACF no 1189, 99 DLR (4th) 334).

 

B.  Demander la protection d’organisations policières et autres

[10]           Il y a une présomption voulant que l’État soit en mesure de protéger ses citoyens et que plus cet État est démocratique, plus le fardeau du demandeur est grand pour ce qui est de démontrer qu’il a épuisé toutes les mesures de recours à sa disposition (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, et Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Hughey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 41).

 

[11]           Le demandeur principal a soutenu qu’il était allé à la police à la suite des trois incidents et n’avait obtenu aucune assistance, si bien qu’il aurait été inutile d’y retourner de nouveau. Les demandeurs font valoir que c’est l’efficacité sur le terrain qui compte, et non les efforts, et que, dans le présent dossier, la police et les autres organismes ne font rien, si bien qu’il n’y a aucune raison d’y avoir recours.

 

[12]           Le demandeur principal affirme être allé à la police pour signaler l’incident de violence verbale survenu au terrain de jeux en août 2010. Au poste de police, on lui a demandé s’il était en mesure de prouver ses dires et de décrire les agresseurs. Lorsque le demandeur principal a indiqué à la police qu’ils étaient les seuls témoins, la police ne s’est pas donné la peine de consigner quoi que ce soit par écrit. À l’audience, à la question de savoir s’il y avait d’autres autorités vers lesquelles il aurait pu se tourner à la suite de l’inaction de la police, il a signalé l’administration autonome minoritaire de Sajozsentpeter; toutefois, selon le demandeur principal, on dit que le système judiciaire accorde plus de foi à la police qu’à l’administration. Il n’y a pas eu de suite à la plainte.

 

[13]           La Commission a conclu qu’il s’agissait là d’un traitement odieux, mais que le problème du racisme ne pouvait être réglé du jour au lendemain. Elle a conclu que l’État s’attaquait à la discrimination en adoptant des mesures législatives et, de façon concrète, en mettant en place des lieux de règlement des plaintes. De l’avis de la Commission, ces mesures étaient suffisantes sur le plan pratique. La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas fait d’efforts raisonnables pour régler la discrimination et qu’ils n’avaient pas démontré, au moyen d’une preuve claire et convaincante, que la protection de l’État était inadéquate concernant l’incident en question.

 

[14]           Selon le témoignage du demandeur principal, le 10 octobre 2010, sa famille s’est rendue à Mickolc pour s’amuser et elle a croisé un rassemblement. Le fils du demandeur principal a reçu une bouteille de Coca-Cola sur la tête et le demandeur principal a subi une blessure à la main. Le demandeur principal a signalé l’incident à la police de Sajozsentpeter (la ville où il habitait), plutôt qu’à celle de Mickolc (où l’incident s’était produit). Il a affirmé qu’il avait trop peur de se présenter au service de police de Mickolc. Le demandeur principal n’était pas en mesure de fournir aux policiers une description autre que les agresseurs étaient des membres de la Garde et des racistes. Selon le témoignage du demandeur principal, les policiers ne semblaient pas intéressés. En réponse au commissaire qui lui a demandé pourquoi il avait signalé l’incident dans la ville où il habitait, il a répondu qu’il pensait que les policiers communiqueraient avec la police de Mickolc. Le demandeur principal est retourné au poste de police de Sajoszentpeter deux ou trois semaines plus tard pour faire le suivi de sa plainte, mais le réceptionniste lui a dit que la personne chargée du dossier était absente. Il n’est pas retourné, car il estimait que les policiers ne traitaient pas l’incident comme ils l’auraient fait si un citoyen d’origine hongroise l’avait signalé.

 

[15]           La Commission a conclu qu’il n’avait pas été en mesure de fournir à la police une description de la personne qui avait lancé la bouteille, à part une description générale des membres de la Garde. Elle a noté que, selon le FRP modifié, le demandeur principal s’était rendu à un hôpital pour faire soigner sa main et avait signalé au personnel hospitalier ce qui était arrivé, mais que personne ne semblait vraiment prêter attention. Le tribunal éprouvait de la sympathie pour les demandeurs, mais a conclu qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce que la police fasse enquête quand elle ne disposait pas d’éléments de preuve suffisants concernant l’agresseur. La Commission a conclu que, tout compte fait, la police et l’État prennent des mesures pour contrer cette violence accrue.

 

[16]           En novembre 2010, lors de l’incident où l’ami du demandeur principal a été poignardé pendant qu’ils marchaient ensemble, la police est arrivée à peu près en même temps que l’ambulance. Selon le demandeur principal, il était tellement bouleversé qu’il n’était pas capable de parler à la police, sauf pour leur dire que l’agresseur était un [traduction] « grand chauve qui fait de la musculation ». Le lendemain de l’incident, le demandeur principal s’est rendu au poste de police pour faire une déclaration. Il n’a pas pu obtenir une copie du rapport. Le lendemain des funérailles, les demandeurs sont partis pour le Canada. Lorsque sa mère est allée au poste de police pour chercher une copie de la déclaration, les policiers lui ont dit qu’ils voulaient parler au demandeur principal. La mère du demandeur principal lui a dit que les policiers étaient venus à son ancienne résidence en Hongrie en janvier ou février 2011 pour tenter de le trouver. Le demandeur principal présume que cette visite était liée à l’enquête sur la mort d’Otto. Selon le témoignage du demandeur principal, en mars 2012, sa mère lui a dit qu’elle avait reçu une lettre de menaces adressée au demandeur principal à son ancienne adresse en Hongrie. Le demandeur principal a présumé que cette lettre provenait d’une personne associée au meurtre d’Otto. La Commission a attribué peu de poids à cette note, car elle remontait à deux ans après l’incident, ne portait pas de signature, avait été composée à l’aide de lettres découpées dans des journaux et avait été postée au demandeur principal par sa mère.

 

[17]            En réponse aux questions de la Commission, il a indiqué qu’il ne pensait pas avoir à comparaître à une audience ou à une affaire judiciaire.

 

[18]           La Commission a conclu que, à tout le moins, le départ des demandeurs n’avait pas aidé la police à identifier l’agresseur et que cela était déraisonnable, étant donné qu’il savait que son ami avait eu une altercation avec quelqu’un du voisinage trois semaines auparavant. La Commission a conclu que le départ du demandeur principal avait été hâtif, puisque l’État souhaitait recueillir sa déclaration, que les policiers s’étaient rendus chez lui et qu’il avait été témoin de l’agression.

 

[19]           Il est très difficile de soutenir que l’État ne vous protège pas quand vous n’aidez pas les autorités en leur fournissant des descriptions des prétendus agresseurs et que vous omettez de faire un suivi auprès des policiers concernant l’agresseur qui a tué votre ami (Szucs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF n1614). La police ne peut pas résoudre des crimes lorsqu’il y a peu d’éléments de preuve, voire aucun, pour mener l’enquête.

 

[20]           Les demandeurs ne peuvent réfuter une présomption en ne faisant qu’affirmer leur réticence subjective à faire appel à l’État ou à d’autres organismes chargés par la loi de leur venir en aide (Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 530). Une telle réticence est plus compréhensible lorsque les policiers sont les prétendus agresseurs, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

C.  L’examen de tous les éléments de preuve pertinents par la Commission

[21]           Je conclus que la Commission a mené un examen exhaustif et très détaillé de la preuve documentaire afin de rendre sa décision concernant la protection de l’État, contrairement aux insinuations des demandeurs selon lesquelles elle aurait complètement fait fi de la preuve documentaire favorable aux demandeurs. Il n’y a pas de preuve à l’appui de ces insinuations.

 

[22]           De même, je ne souscris pas à l’avis des demandeurs selon lequel la Commission a complètement fait abstraction de leurs témoignages. La Commission a examiné chacune des principales allégations de persécution présentées par les demandeurs, soit les incidents survenus en août, en octobre et en novembre 2010, ainsi que les mesures prises par les policiers en réponse à ces incidents. De plus, elle a examiné les incidents secondaires ayant trait à l’école maternelle de la fille du demandeur principal et au traitement médical du fils et du père du demandeur principal – des incidents qui n’ont pas fait partie de la preuve présentée par les demandeurs en l’espèce.

 

D.  L’appréciation raisonnable de la preuve par la Commission

[23]           La Commission a examiné les éléments de preuve non concordants au sujet de la situation en Hongrie. Elle était au fait des lacunes de la protection accordée aux Roms en Hongrie. Sa décision – à savoir que la protection est adéquate, même si elle n’est pas parfaite – pouvait être rendue à la lumière de la preuve à sa disposition. La décision découlait d’une analyse détaillée de la preuve documentaire dans le cadre de laquelle cette preuve a été examinée et appréciée à la lumière des faits de l’espèce.

 

[24]           Après avoir examiné la situation particulière des demandeurs, la Commission a conclu que les membres de cette famille n’étaient pas personnellement exposés à un préjudice au sens de l’article 97 de la Loi. La Commission a conclu que les demandeurs « n’[avaient] pas réfuté la présomption de la protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante et qu’ils n’[avaient] pas pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour se réclamer de cette protection avant de présenter une demande d’asile ».

 

[25]           Chaque cas doit être tranché sur la base des faits qui lui sont propres, tels qu’ils ont été établis par la preuve. Les demandeurs ont cité de récentes décisions : Kemenczei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1349, Biro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1120, et Majoros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 421. Ces trois décisions avaient trait à des Roms dont la demande de contrôle judiciaire avait été accueillie. Je souscris à ces décisions, mais il continue d’y avoir des décisions où la Cour rejette les demandes de contrôle judiciaire présentées par des Roms de la Hongrie. Cela confirme que de telles décisions reposent fortement sur les faits et que chaque cas doit être examiné en fonction des faits qui lui sont propres.

 

[26]           D’après les faits de l’espèce, je conclus que la Commission a tiré une conclusion qui, à la lumière de la preuve, est transparente, justifiable et intelligible et qui appartient aux issues acceptables eu égard à la preuve dont elle disposait (Dunsmuir, au paragraphe 47 et Khosa, au paragraphe 46).

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8775-12

 

INTITULÉ :                                      Riczu et autres c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 28 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 21 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

George J. Kubes

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Teresa Ramnarine

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Georges J. Kubes

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                                                                

 

 

 

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