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Date : 20130812

Dossier : T-1106-12

Référence : 2013 CF 864

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 août 2013

En présence de monsieur le juge Roy

 

 

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

 

ENTRE :

 

LAKELAND BANK

 

 

 

demanderesse/défenderesse reconventionnelle

 

et

 

 

LE NAVIRE « NEVER E NUFF »,

NUMÉRO DE COQUE DNAZ8012C303

et

PATRICK SALVAIL SAINT‑GERMAIN

et

LOCATION HOLAND (1995) LTÉE

 

 

 

défendeurs/demandeurs reconventionnels

 

 

et

 

 

 

BREEN P. McMAHON

 

 

 

défendeur


 

ET ENTRE

 

 

 

LE NAVIRE « NEVER E NUFF »,

NUMÉRO DE COQUE DNAZ8012C303

et

PATRICK SALVAIL SAINT‑GERMAIN

et

LOCATION HOLAND (1995) LTÉE

 

 

 

 

demandeurs en garantie

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, la Lakeland Bank, est une institution bancaire américaine. Elle estime avoir droit à un jugement sommaire, conformément à l’article 213 des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106 (les Règles).

 

[2]               La demanderesse soutient que les droits sur le navire « Never E Nuff » (ci-après désigné le navire) sont incontestés. Elle souhaite exécuter ses droits in rem sur le navire et disposer du navire sans délai.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-après, la requête en jugement sommaire est rejetée.

 

I. Les faits

[4]               À l’appui de sa requête, la demanderesse présente l’affidavit d’un de ses vice-présidents qui témoigne d’événements survenus aux États-Unis.

 

[5]               Il semblerait que la demanderesse ait conclu une entente avec un certain Breen McMahon, un citoyen américain de l’État de New York, visant l’achat du navire. M. McMahon aurait conclu un contrat d’hypothèque de premier rang sur le navire avec la demanderesse le 17 janvier 2007, dans l’État de New York.

 

[6]               Patrick Salvail Saint-Germain et Location Holand (1995) Ltée (les défendeurs) n’étaient pas des parties à la transaction qui a consenti l’hypothèque de premier rang sur le navire à la demanderesse.

 

[7]               À l’insu de la demanderesse, M. McMahon aurait indiqué qu’il pensait avoir vendu le navire à un dénommé « Patrick », mais, en fait, il aurait vendu le navire à Location Holand (1995) Ltée. Il semblerait que la vente soit survenue en avril 2007. M. McMahon aurait cessé d’effectuer ses versements de prêt à la demanderesse en mars 2008.

 

[8]               Par la suite, la demanderesse a obtenu un jugement par défaut à l’encontre de M. McMahon dans la Cour de district américaine du district Nord de New York. Le prétendu jugement, daté du 24 août 2010, vise une somme de plus de 190 000 $US. Il autorise la demanderesse à prendre possession et à disposer du navire. Le problème était que M. McMahon s’était départi du navire, qui se trouvait à l’extérieur des États-Unis.

 

[9]               La demanderesse a saisi le navire le 11 juin 2012 dans la province de Québec; il était alors en la possession de M. Salvail Saint-Germain.

 

[10]           Il suffira, pour les besoins de la présente requête, d’indiquer que les défendeurs s’opposent à la requête. Il y avait un lien entre les deux défendeurs, mais ce lien n’est pas pertinent en l’espèce, et il n’est pas nécessaire de l’examiner pour trancher la requête en jugement sommaire (il suffit de signaler que M. Salvail Saint-Germain, après avoir loué le navire par l’entremise d’une personne morale qu’il dirigeait, a acheté le navire de Location Holand (1995) Ltée). Les circonstances de l’achat du « Never E Nuff » par Location Holand (1995) Ltée sont inconnues pour l’instant.

 

[11]           La demanderesse soutient que sa cause d’action est une action in rem contre le navire et qu’elle n’a rien à voir avec le différend entre les défendeurs qui est présenté comme étant in personam. Détenant un droit sur le navire, la demanderesse souhaite que le tribunal lui accorde un jugement sommaire.

           

II. Analyse

[12]           Ainsi qu’il a été signalé lors de l’audition de la requête, il faudrait que la demanderesse démontre qu’elle possède clairement un droit sur le navire. Aux termes du paragraphe 215(1) des Règles :

215. (1) Si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

215. (1) If on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

 

[13]           Ici, à cette étape, la demanderesse fait renvoi à des contrats passés et à des jugements rendus dans un pays étranger, en vertu de lois étrangères, visant des parties autres que les deux défendeurs qui ont été les propriétaires et qui ont eu possession du navire. En fait, l’article 23 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC, 1985, ch. C-5, exige l’ampliation du dossier de tout tribunal américain avant que ce dossier ne soit admis en preuve ou encore avant qu’une décision ne puisse être prise sur la base de ce dossier. La demanderesse tente plutôt de présenter ces documents en preuve par le truchement d’un affidavit d’un de ses vice-présidents. On ne peut procéder ainsi. Ces documents doivent être certifiés. La requête pourrait être rejetée sur cette seule base, sans plus, étant donné le fardeau qui incombe à la demanderesse et l’insuffisance de la preuve dont dispose la Cour.

 

[14]           De plus, à première vue, la demanderesse demande la reconnaissance et l’exécution d’une décision étrangère. Elle souhaite l’exécution de ce qui est présenté comme étant le jugement par défaut rendu contre un citoyen américain.

 

[15]           La demanderesse a soutenu que le droit maritime s’applique en l’espèce. Toutefois, elle n’a jamais expliqué l’importance qu’elle accordait à cette thèse, en particulier à la question de savoir de quelle manière un jugement étranger, qui n’a même pas été authentifié en vue de sa présentation en preuve devant la Cour, pourrait servir de base juridique pour l’exécution, sans plus.

 

[16]           La Cour n’est pas convaincue qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse. Au contraire, je crois qu’une instruction approfondie, avec des éléments de preuve correctement présentés en preuve et testés, doit avoir lieu. Comme l’a affirmé Tetley dans Maritime Liens and Claims, Business Law Communications Ltd (1985), dans le contexte de l’intégrité d’une vente judiciaire [traduction] : « [b]ien qu’un jugement ne puisse être exécuté sans d’abord avoir été reconnu, il peut aisément être reconnu sans être exécuté ».

 

[17]           Non seulement il n’y a pas de preuve régulière devant la Cour concernant la requête en jugement sommaire elle-même, mais en outre la question de l’exécution d’un jugement étranger est au cœur de la demande. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14, [2008] 1 RCS 372, la Cour suprême note, au paragraphe 11, qu’il faut produire des éléments de preuve (dans cette affaire, c’était le défendeur qui souhaitait obtenir un jugement sommaire). La personne qui demande un jugement sommaire « ne peut se fonder sur de simples allégations ou sur les actes de procédure ». Comme l’a signalé la Cour suprême, « les exigences auxquelles il faut satisfaire pour obtenir un jugement sommaire sont élevées ».

 

[18]           Le défendeur, Location Holand (1995) Ltée, soutient qu’aucune sûreté n’a été enregistrée dans la province de Québec. Les deux défendeurs soulèvent des questions concernant l’application du Code civil du Québec, LQ 1991, c 64. La demanderesse soutiendra vraisemblablement que l’application du droit maritime, le cas échéant, fait obstacle à tout argument fondé sur le droit civil du Québec. Il s’agit d’une question qu’il convient d’examiner correctement.

 

[19]           Dans l’hypothèse où le droit maritime s’appliquerait en l’espèce, il resterait à trancher la question de l’exécution d’un jugement étranger obtenu à l’encontre d’un étranger, sans la moindre participation des défendeurs qui contestent cette exécution avec véhémence et soutiennent que le Code civil du Québec s’applique dans la présente affaire.

 

[20]           La présente affaire ne se prête pas à un jugement sommaire. Il y a des questions importantes qui requièrent la tenue d’un procès. Par conséquent, la requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse sera rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse est rejetée avec dépens, qui seront adjugés aux défendeurs, Location Holand (1995) Ltée et Patrick Salvail Saint-Germain.

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1106-12

 

INTITULÉ :                                      Lakeland Bank

                                                            c Le navire « Never E Nuff » et autres

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 12 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Hamerman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Adrian Legault

POUR LE DÉFENDEUR

 

Harvey Shaffer

 

MIS EN CAUSE/DÉFENDEUR EN GARANTIE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

De Man, Pilotte

Montréal(Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Charbonneau Avocats Conseils

Greenfield Park (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

Shaffer & Associates

Westmount (Québec)

 

MIS EN CAUSE/DÉFENDEUR EN GARANTIE

 

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