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Date : 20130820

Dossier: IMM-4193-12

Référence : 2013 CF 883

Ottawa (Ontario), le 20 août 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny 

 

ENTRE :

 

ZOUHAIR EL MAGHRAOUI

 

 

Partie demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

Partie défenderesse

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »), d’une décision prise par une agente de Citoyenneté et Immigration Canada (« CIC ») le 17 avril 2012 refusant la demande de résidence permanente du demandeur au motif qu’il existe des motifs raisonnables de croire que celui-ci est interdit de territoire pour fausses déclarations et pour raison de sécurité à titre de membre d’une organisation terroriste, conformément aux articles 34(1)f) et 40(1) de la LIPR. L’agente a par ailleurs conclu qu’il n’était pas opportun d’accorder, en vertu de l’article 25 de la LIPR, une dispense pour motifs humanitaires au demandeur, compte tenu de la gravité des interdictions de territoire le concernant.

 

Les faits

[2]               Le demandeur, un citoyen tunisien, est arrivé au Canada en 1995. Il a présenté une demande d’asile qui a été rejetée en 1997; la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision a également été rejetée le 7 janvier 1998. En février 1998, il s’est marié à Madame Amina El Maachi, aujourd’hui citoyenne canadienne. Le couple a trois enfants mineurs nés au Canada, et madame a également deux enfants issus d’un précédent mariage.

 

[3]               En avril 1998, le demandeur présente une demande de résidence permanente et de dispense pour motifs humanitaires. Cette demande était parrainée par son épouse. Le 20 septembre 1999, une agente de CIC conclut que le mariage était de bonne foi et approuve la demande à la première étape, sujette à l’examen des interdictions de territoire qui pouvaient s’appliquer en l’espèce. Le Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec rejette cependant la demande d’engagement présentée par Madame El Maachi le 29 septembre 2000, de telle sorte que la demande de résidence permanente du demandeur n’est plus parrainée.

 

[4]               Le demandeur a rencontré des agents du Service canadien du renseignement de sécurité      (« SCRS ») le 22 août 2001 et le 16 janvier 2002 concernant sa demande de résidence permanente. Le ou vers le 29 décembre 2003, le SCRS a transmis à l’Agence des Services frontaliers du Canada (« ASFC ») un premier rapport concernant le demandeur. Un nouveau rapport a subséquemment été transmis le 3 mars 2011.

[5]               Le 19 juin 2009, le demandeur envoie une mise en demeure à CIC et exige qu’on lui octroie sans délai la résidence permanente. Le 18 mars 2010, CIC demande à M. Maghraoui une mise à jour de son dossier. Dans sa réponse du 21 janvier 2011, le demandeur demande la divulgation de « tous renseignements (de source externe ou autre) liées à des préoccupations potentielles d’interdiction de territoire ». 

 

[6]               Le 22 novembre 2011, le demandeur est convoqué à une entrevue par CIC. Il est avisé que « les informations disponibles indiquent qu’il y a une possibilité que vous soyez décrit aux alinéas 34 et/ou 40 de la LIPR ». L’entrevue s’est tenue le 6 décembre, et la décision de l’agente est datée du17 avril 2012.

 

La décision contestée

[7]               L’agente a conclu que le demandeur était interdit de territoire en vertu des alinéas 34(1)f) (sécurité) et 40(1)(a) (fausses déclarations) de la LIPR. Elle a reconnu en début d’analyse qu’une déclaration du demandeur à l’égard du témoin à la naissance de son fils avait été mal consignée dans les notes du SCRS, mais a néanmoins conclu que l’ensemble du document ne pouvait s’en trouver invalidé pour autant.

 

[8]               En ce qui concerne tout d’abord l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, l’agente a identifié plusieurs fausses déclarations du demandeur qui auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Elle relève tout d’abord le faux récit du demandeur présenté pour obtenir le statut de réfugié ainsi que les contradictions, omissions et minimisation des liens qu’il a eus avec plusieurs individus liés au réseau Al-Qaïda.

[9]               L’agente a constaté que le demandeur avait présenté un récit non crédible à l’appui de sa demande d’asile qui fut rejetée en 1997. Le demandeur alléguait alors s’être associé à un groupe religieux nommé « Groupe du soufisme » pour « arrêter de pratiquer l’homosexualité ». Il aurait alors été associé, par les autorités tunisiennes, au groupe islamique El-Nahda. Or, ce n’est que 14 ans plus tard que le demandeur a rectifié ses déclarations et avoué qu’il n’avait jamais fait partie du « Groupe du soufisme » et qu’il n’avait jamais été arrêté et détenu par les autorités tunisiennes. L’agente a conclu que « le fait que le requérant ait menti mine sa crédibilité et me laisse aussi penser qu’il puisse cacher des éléments importants au sujet de ses antécédents en Tunisie » (Décision, para 20).

 

[10]           L’agente note également que le demandeur a présenté des témoignages contradictoires concernant ses liens avec un certain Hicham Gherras et un dénommé Ahmed Laabidi. Le demandeur aurait déclaré ne pas connaître Laabidi. Il se serait repris après que l’agente du SCRS l’eût confronté au fait que Laabidi avait agi comme témoin à son mariage. En ce qui concerne Gherras, l’agente note que le demandeur a été incapable de l’identifier sur une photo en 2001, alors qu’il en a été capable en 2002. La preuve démontre qu’en novembre 2000, l’épouse de M. Gherras a été arrêtée en Allemagne et avait en sa possession le passeport de l’épouse du demandeur. Après un échange avec l’agente, le demandeur a blâmé le fils de son épouse qui aurait peut-être vendu ce passeport. L’agente a conclu qu’il s’agit là d’une « coïncidence surprenante », et que les liens entre le demandeur et M. Gherras sont plus importants que ce qui est indiqué par le demandeur.

 

[11]           La décision de l’agente repose cependant sur le fait que le demandeur a omis de déclarer l’étendue de ses liens avec deux individus reliés au réseau Al-Qaïda, Raouf Hannachi et Mohamedou Ould Slahi. Lors de sa première entrevue avec le SCRS en août 2001, le demandeur indique qu’il voyait Raouf Hannachi à la mosquée, au stade de soccer et au café tunisien. Lors de la seconde entrevue en janvier 2002, le demandeur a identifié Raouf Hannachi sur une photographie, précisant qu’il ne l’avait jamais invité à sa résidence. Pourtant, lorsque questionné par l’agente en entrevue et confronté aux notes du SCRS, le demandeur a indiqué n’avoir jamais vu Raouf Hannachi. L’agente a conclu que le demandeur cherche à minimiser les liens plus étroits qu’il entretient avec Raouf Hannachi et présentait ainsi une fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

 

[12]           En ce qui concerne Slahi, le demandeur a pu l’identifier sur une photo lors de son entrevue avec le SCRS en 2001 et a déclaré qu’il s’agissait d’un contact à la mosquée. En 2002, il n’a pu l’identifier sur une photo et a nié le connaître lors de l’entrevue avec l’agente, bien que Slahi ait dit bien le connaître. L’agente a conclu que les témoignages divergents au sujet des liens qu’entretient (ou a entretenu) le demandeur avec MM. Hannachi et Slahi créent un doute quant à la franchise et à la candeur de son récit, et qu’il minimise ces liens par crainte qu’ils nuisent à sa demande de résidence permanente.

 

[13]           En ce qui concerne l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, l’agente note que toute personne qui offre un support logistique ou participe de quelque manière que ce soit aux activités d’une organisation terroriste, peut être considéré membre de cette organisation. Elle explique ensuite qu’il ressort tant de la preuve ouverte que classifiée que le demandeur a entretenu des liens étroits avec des membres connus du réseau Al-Qaïda, c’est-à-dire Hannachi et Slahi. Elle ajoute que ces deux individus sont reliés à Ahmed Ressam, présentement emprisonné aux États-Unis pour avoir comploté en vue de commettre un attentat à la bombe à l’aéroport de Los Angeles au tournant du millénaire. 

 

[14]           D’autre part, l’agente entretient des doutes quant à la provenance d’un solde de plus de      30 000 $ dans le compte conjoint du demandeur et de son épouse, compte tenu de leurs faibles revenus déclarés et du fait qu’ils ont trois enfants mineurs à leur charge. Le demandeur a indiqué qu’une partie de l’argent, soit 10 000 $, lui avait été confiée par la fille de son épouse; or, cette dernière a également deux enfants et ne travaillait qu’occasionnellement dans des emplois non spécialisés. L’agente n’a donc pas jugé les explications du demandeur satisfaisantes.

 

[15]           Compte tenu de tous ces éléments, l’agente a formulé les remarques suivantes quant à la sécurité nationale :

[58] J’ai tenu compte des déclarations du requérant, de même que de l’ensemble de l’information disponible, tant ouverte que classifiée. J’ai constaté et aussi tenu compte des éléments suivants :

 

        - les liens étroits du requérant avec des individus membres ou liés au réseau Al-Qaïda;

        - l’attitude du requérant lors de l’entrevue, tendant à minimiser ou nier ces liens;

        - les contradictions et omissions du requérant au sujet des individus qu’il a fréquentés;

- le manque de crédibilité du requérant.

 

[59] Dans le contexte de l’évaluation sécuritaire, processus essentiel à l’obtention de la résidence permanente, le requérant a choisi de cacher d’importants éléments d’information au sujet de ses relations avec des personnes liées au réseau Al-Qaïda. Ceci me donne des motifs de penser que le requérant savait qu’il ne devait pas être associé à ces individus.

 

[60] Le requérant a par ailleurs déclaré ne jamais avoir pris part à quelque activité que ce soit en lien avec l’islamisme extrémiste ou une organisation islamiste. Toutefois, la crédibilité du requérant, entachée par ses fausses déclarations, combinée à l’information classifiée, me permettent raisonnablement de douter de la sincérité des déclarations du requérant à ce sujet.

 

[61] Ainsi, considérant ce qui précède, j’ai accordé un poids important à l’information classifiée et au fait que le requérant ait fait de fausses déclarations à propos de ses liens avec des individus liés au réseau Al-Qaïda (voir notes classifiées).

 

[62] Enfin, j’ai aussi tenu compte de l’interprétation large et non restrictive donnée par les cours canadiennes à la notion de ‘membre’ d’une organisation.

 

[63] Je suis d’avis que tous les éléments qui précèdent, combinés, me donnent des motifs raisonnables de croire que le requérant a été membre du réseau Al-Qaïda. Par conséquent, le requérant est décrit à l’article 34(1)f) de la LIPR et est interdit de territoire au Canada.

 

[64] Je suis par ailleurs d’avis que, de par la teneur des questions qui lui ont été posées lors de l’entrevue, le requérant a été raisonnablement informé des préoccupations de CIC, et a ainsi eu l’occasion d’y répondre.

 

[16]           En ce qui concerne la demande de dispense pour motifs humanitaires, l’agente note tout d’abord que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une crainte personnalisée en Tunisie. Elle se dit sensible à la situation du demandeur, notamment le fait qu’il est au Canada depuis 1995, que son épouse a une santé fragile et qu’il a trois enfants au Canada. L’agente tient également compte du fait que le demandeur apporte un soutien financier et moral à sa famille et qu’il n’est pas dans l’intérêt des enfants que le demandeur soit retourné en Tunisie. Elle conclut néanmoins que la gravité des interdictions de territoire l’emporte sur ces difficultés :

[74] J’en suis arrivé à la conclusion précédemment que le requérant est interdit de territoire au Canada en vertu de L34(1)f), car il existe des motifs raisonnables de croire qu’il a fait partie du réseau Al-Qaïda. Il s’agit d’une organisation ayant une ampleur planétaire, comptant des cellules dispersées dans le mode entier, au sein desquels se trouvent des membres et des collaborateurs prêts à s’engager dans des actions violentes et terroristes au nom d’une idéologie islamiste extrémiste. Al-Qaïda a d’ailleurs été impliqué dans de nombreux attentats terroristes, notamment ceux du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Après un examen attentif des motifs humanitaires invoqués, j’ai constaté que si le requérant devait quitter le Canada, lui et tous les membres de sa famille au Canada vivraient d’importantes difficultés. Toutefois, je suis d’avis que la gravité de l’interdiction de territoire surpasse ces difficultés dans les circonstances en l’espèce.

 

[75] De plus, en faisant de fausses déclarations au sujet de ses liens avec des gens d’intérêt liés au réseau Al-Qaïda, le requérant a tenté de se soustraire à l’obligation de fournir tous les renseignements pertinents à la vérification de ses antécédents, qui fait partie des exigences auxquelles tous les demandeurs à la résidence permanente doivent se soumettre. Je suis d’avis que le requérant a ainsi tenté d’entraver les vérifications sécuritaires. Ainsi, l’interdiction de territoire en vertu de L40(1)a) dont est frappé le requérant est liée à des considérations de sécurité nationale. Je suis d’avis que les difficultés relevées auparavant ne surpassent pas en gravité cette interdiction de territoire et il n’est donc pas justifié de la lever, dans les circonstances en l’espèce.

 

Questions en litige

[17]           Le demandeur n’a pas véritablement contesté la raisonnabilité de la décision prise par l’agente quant au mérite. Tant dans ses représentations écrites que lors de l’audition, son avocate a invoqué plusieurs manquements à l’équité procédurale qui entacheraient les conclusions de l’agente. Elle a plus particulièrement fait valoir que la procédure suivie en l’espèce viole à plusieurs égards les droits garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Je me prononcerai donc dans les paragraphes sur les arguments suivants soulevés par l’avocate du demandeur:

a)     L’agente a-t-elle violé son obligation de divulgation, l’équité procédurale et les droits du demandeur protégés par l’article 7 de la Charte en ne lui communiquant pas les informations et les documents reliés à ses préoccupations quant à l’admissibilité du demandeur en vertu des articles 34 et 40 de la LIPR?

 

b)    L’agente aurait-elle dû écarter les rapports du SCRS en raison du fait qu’ils sont peu fiables?

 

c)     L’agente aurait-elle dû exclure les rapports du SCRS dans la mesure où les notes d’entrevue ont été détruites?

 

Analyse

[18]           Il est maintenant bien établi que la norme de contrôle applicable lorsque la question est de savoir si les principes de justice naturelle et d’équité procédurale ont été respectés est celle de la décision correcte : Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 2 RCF 392; Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29 au para 100, [2003] 1 RCS 539. Par conséquent, cette Cour ne fera preuve d’aucune déférence dans l’hypothèse où elle constaterait que l’agente ne s’est pas conformé à ses obligations, eu égard au demandeur.

 

a.             L’agente a-t-elle violé son obligation de divulgation, l’équité procédurale et les droits du demandeur protégés par l’article 7 de la Charte en ne lui communiquant pas les informations et les documents reliés à ses préoccupations quant à l’admissibilité du demandeur en vertu des articles 34 et 40 de la LIPR?

 

[19]           Le demandeur allègue que l’agente a violé l’équité procédurale ainsi que les droits que lui garantit l’article 7 de la Charte en omettant de divulguer, avant l’entrevue, l’ensemble de la preuve dont elle disposait. Il ajoute que les informations auxquelles il a été confronté lors de l’entrevue, de même que les copies caviardées du rapport émis par le SCRS le 29 décembre 2003 et des notes d’entrevue du SCRS obtenues suite à une demande d’accès, n’étaient pas suffisantes pour lui permettre de répondre aux préoccupations de l’agente. Selon le demandeur, la divulgation de ces rapports était nécessaire pour « égaliser les chances ». Enfin, il soutient que même les documents publics auxquels l’agente a accordé beaucoup d’importance auraient dû lui être communiqués.

 

[20]           Je ne peux faire droit à cet argument, pour les raisons que j’ai déjà évoquées dans les arrêts Jahazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 242 au para 32, [2011] 3 RCF 85 et Stables c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1319 aux para 40-42, 400 FTR 135. Pour que le droit prévu à l’article 7 de la Charte d’être traité en conformité avec les principes de justice fondamentale, une personne doit au préalable établir qu’elle a subi ou pourrait subir une atteinte à sa vie, à sa liberté ou à la sécurité de sa personne. Dans l’arrêt Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350, la Cour suprême du Canada a précisé que l’article 7 de la Charte trouvait application parce que les personnes nommées dans un certificat de sécurité étaient détenues et pouvaient être retournées dans un pays où il existe un risque de torture :

[17] Ainsi, Medovarski ne permet pas d’affirmer que la procédure d’expulsion, dans le contexte de l’immigration, échappe à l’examen fondé sur l’art. 7. Si l’expulsion d’un non-citoyen dans le contexte de l’immigration n’enclenche peut-être pas en soi l’application de l’art. 7 de la Charte, certains éléments rattachés à l’expulsion, telles la détention au cours du processus de délivrance et d’examen d’un certificat ou l’éventualité d’un renvoi vers un pays où il existe un risque de torture, pourraient en entrainer l’application.

 

[21]           Or, en l’espèce, le demandeur n’est pas détenu et la LIPR n’exige pas sa détention. Il ne fait pas face à un renvoi du Canada et pourra, au besoin, déposer une demande d’examen des risques avant renvoi conformément à l’article 115 de la LIPR. Au surplus, il n’y a aucune preuve de risque personnalisé à la vie ou à la sécurité de sa personne dans l’éventualité d’un retour en Tunisie. Au risque de me répéter, je crois utile de reprendre l’extrait suivant de mes motifs dans l’arrêt Stables :

[40] Il a été confirmé à maintes reprises qu’une conclusion d’interdiction de territoire ne met pas en soi en cause les droits conférés par l’article 7 (voir, par exemple,  Poshteh c Canada (MCI), 2005 CAF 85, au paragraphe 63, [2005] 3 RCF 487 [Poshteh]; Barrera c Canada (MEI), [1993] 2 CF 3, aux pages 15 et 16, 99 DLR(4th) 264). Même s’il est vrai que le demandeur, du fait qu’il n’est pas un réfugié, pourrait être expulsé pendant le traitement de sa demande de dispense ministérielle, cela ne serait pas suffisant pour déclencher l’application des droits garantis par l’article 7 (Medovarski c Canada (MCI), 2005 CSC 51, au paragraphe 46, [2005] 2 RCS 539; Canada (MEI) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711, aux paragraphes 12 et 13; Hoang c Canada (MEI), 24 ACWS(3d) 1140 (CAF), 120 NR 193 (CAF)). 

 

[41] Pareille conclusion est compatible avec le fondement constitutionnel du droit canadien en matière d’immigration, à savoir que seuls les citoyens canadiens disposent du droit absolu d’entrer au Canada et d’y demeurer. Les non-citoyens ne disposent pas d’un droit absolu d’entrer au Canada ou d’y demeurer et leur capacité à le faire dépend strictement de la question de savoir s’ils satisfont aux critères d’admissibilité prévus par le législateur.

 

[42] Il est vrai que, dans Suresh, précité, la Cour suprême a statué que le renvoi d’un réfugié au sens de la Convention vers un pays où cette personne serait exposée à un risque de torture met en jeu les droits garantis par l’article 7 de la Charte et que la mesure de renvoi ne peut être exécutée à moins que le renvoi ne soit fait en conformité avec les principes de justice fondamentale. C’est donc le risque de torture en cas de renvoi, et non le fait du renvoi lui-même, qui a fait entrer en jeu les droits garantis par l’article 7 dans cette affaire. […]

 

[22]           Ceci étant dit, les principes d’équité procédurale exigent que l’on communique à un demandeur les renseignements sur lesquels on s’appuie pour prendre une décision, de façon à ce qu’il puisse présenter sa version des faits et corriger les erreurs ou les malentendus qui auraient pu s’y glisser. Cette obligation d’équité pourra être remplie sans qu’il soit toujours nécessaire de procéder à l’entière communication des documents et rapports sur lesquels le décideur s’est fondé. Il en ira ainsi, notamment, lorsqu’un document est protégé par le privilège fondé sur la sécurité nationale ou sur la relation avocat-client. En bout de ligne, la préoccupation sera toujours celle de s’assurer que le demandeur a la possibilité de participer pleinement au processus décisionnel, en prenant connaissance des informations qui lui sont défavorables et en ayant l’occasion de présenter son point de vue : voir notamment Dasent c Canada (Ministre de la Citoyennet et de l’Immigration) (1re inst.), [1995] 1 CF 720 au para 23; Mekonen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1133, aux para 12 et ss.; Nadarasa c Canada (MCI), 2009 CF 1112 au para 25, [2009] ACF no 1350 (QL). Plus l’impact de la décision contestée sera important, plus cette exigence sera élevée : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux para 31-33. En l’occurrence, la décision de rejeter la demande de résidence permanente du demandeur au motif qu’il existe des motifs raisonnables de croire que celui-ci était interdit de territoire pour fausses déclarations et pour appartenance à une organisation terroriste pourrait avoir des répercussions considérables s’il est expulsé vers son pays d’origine. 

 

[23]           Après avoir pris connaissance de l’ensemble du dossier ainsi que des renseignements qui en ont été exclus pour motif de sécurité nationale, j’en suis venu à la conclusion que l’agente n’avait pas manqué à son obligation de respecter les principes d’équité procédurale. L’agente a convoqué le demandeur en entrevue en lui indiquant qu’elle avait des préoccupations quant aux interdictions de territoire pour fausses déclarations (LIPR, art 40) et sécurité (LIPR, art 34). La lettre de convocation précisait ainsi l’objet de l’entrevue :

Le but de l’entrevue est de vous faire part de nos préoccupations et de vous donner la possibilité de nous fournir des réponses. Nous discuterons notamment de vos activités et de vos contacts au Canada, passés et présents. Nous examinerons votre historique d’immigration en général, et en particulier les déclarations divergentes que vous avez faites dans le cadre de votre demande de résidence permanente.

 

[24]           Le demandeur ne peut donc plaider avoir été pris par surprise. De toute façon, ces deux entrevues avec le SCRS ne pouvaient laisser de doute dans son esprit quant aux préoccupations des autorités canadiennes à son égard en raison de ses liens avec des individus spécifiques faisant possiblement partie de la mouvance islamiste. Qui plus est, le demandeur avait obtenu, par le biais d’une demande d’accès à l’information, une copie des notes d’entrevue avec le SCRS datées du 30 août 2001 et du 31 janvier 2002. Le demandeur a reçu ces notes le 26 novembre 2008, soit trois ans avant son audience. Bien que ces notes lui soient parvenues caviardées, il a tout de même pu se remémorer les sujets abordés lors de ces entrevues et ne pouvait en ignorer le contenu puisqu’il était évidemment présent à ces entrevues. C’est d’ailleurs grâce à ces notes qu’il a compris la pertinence de soumettre en preuve la déclaration de naissance de son fils Mouaadh, de façon à établir qu’elle avait été signée par une infirmière et non par M. Hicham Gherras comme le laissait croire les notes d’entrevue de décembre 2003 consignées par le SCRS.

 

[25]           D’autre part, il ressort des notes d’entrevue que l’agente a confronté le demandeur à l’essentiel des déclarations contradictoires et des omissions qu’elle lui reproche. Elle est revenue sur les réponses qu’il avait données lors des deux entrevues avec les agents du SCRS, et a évoqué les renseignements clés contenus dans ces rapports. Elle lui a permis d’apporter tous les correctifs et précisions voulus et de faire valoir sa version des faits, notamment quant à ses liens avec Raouf Hannachi, Mohamedou Ould Slahi, Ahmed Laabidi et Hichem Guerras. À titre d’exemples, je me permets de citer les paragraphes suivants des notes d’entrevue :

82. Lors de votre entrevue avec le SCRS le 22AOU2001, on vous a demandé si vous connaissiez le tunisien Ahmed Laabidi et vous avez déclaré que ce nom vous était inconnu. Pourquoi ne pas avoir tout de suite dit que vous le connaissiez?

 

83. Au SCRS en août 2001, pourquoi ne pas avoir déclaré Djelloul Bouhali comme votre témoin?

 

[…]

 

96. Au cours de l’entrevue du 22 août 2001 avec le SCRS, lorsqu’on vous a montré une photo de Hicham, vous avez déclaré l’avoir déjà vu à la mosquée mais ne pas pouvoir l’identifier. Tel que vous me le décrivez, Chayma est née le 16 juillet 2001, vous avez eu cette entrevue environ 5 semaines après sa naissance, c’était très rapproché. Comment expliquez-vous que nous ne pouviez reconnaître où vous l’aviez vu?

 

97. Puis, lors de l’entrevue du 16 janvier 2002, vous avez déclaré avoir vu Hicham à l’hôpital en septembre 1998, car sa femme partageait une chambre avec la vôtre pour son accouchement. Pourquoi me dites-vous aujourd’hui que c’était à la naissance de Chayma alors qu’à l’époque vous avez dit à la naissance de Mouaadh?

 

[…]

 

101. Selon les infos que je possède vous avez déclaré au SCRS que oui effectivement Hicham a signé pour la naissance de Mouaadh?

 

102. Selon les infos que j’ai, on vous a montré sa photo?

 

[…]

 

105. L’info au dossier indique aussi que l’épouse de H. Gherras a été arrêtée en Allemagne en novembre 2000 avec le ppt de votre épouse. Explications?

 

[…]

 

110. En ce qui (sic) a trait à cette personne [Mohamedou Ould Slahi], lorsqu’au cours de l’entrevue avec le SCRS le 22 août 2001, on vous a montré sa photo, vous l’avez reconnu, vous avez déclaré qu’il s’agissait d’un contact de la mosquée Assuna au nom de ‘Abdullah’?

 

111. Si je vous donne son nom? (…) Il s’agit du nom que vous avez donné au SCRS, je vais vous donner son vrai nom.

 

112. Encore au sujet de M. Ould Slahi, si je vous disais que j’ai des infos selon lesquelles M. Ould Slahi a déjà été vu aussi par le SCRS et il a déjà déclaré qu’il vous connaissait très bien, qu’en dites-vous?

 

[…]

 

121. Vous dites que vous n’avez jamais rencontré Raouf Hannachi en personne?

 

122. Pourtant au SCRS vous avez déclaré l’avoir déjà vu? (…) Vous rappelez-vous qu’on vous ait questionné à propos de Raouf?

 

123. Pourtant au SCRS on vous a questionné à son propos à plusieurs reprises, et vous avez déclaré que le voyiez dans des lieux publics, mais que vous ne l’aviez jamais vu dans une résidence privée quelconque?

 

[26]           Ces nombreuses questions témoignent du fait que l’on a spécifiquement attiré l’attention du demandeur sur les divergences qui ont été relevées à partir des différentes réponses qu’il a données aux mêmes questions, et qu’il a eu tout le loisir de s’expliquer. Le demandeur n’a d’ailleurs aucunement tenté de démontrer en quoi sa participation au processus aurait été différente s’il avait reçu les rapports du SCRS (intégralement ou caviardés) au préalable, et n’a donné aucun exemple de ce qu’il aurait pu dire s’il avait pu prendre connaissance de ces rapports avant l’entrevue. Au contraire, il a fourni à l’agente les mêmes explications (notamment à l’égard du passeport de sa femme) qu’il avait déjà fournies plus tôt quant aux écarts entre ses différentes réponses.

 

[27]           Compte tenu de tout ce qui précède, j’en arrive donc à la conclusion que le processus suivi par l’agente était équitable et n’a pas privé le demandeur de la possibilité de faire la lumière sur ses activités st sur ses relations avec les quatre individus soupçonnés d’être impliqués au sein de la mouvance islamiste du réseau Al-Qaïda. L’agente n’avait pas l’obligation de remettre au demandeur les rapports du SCRS. La Cour suprême du Canada a reconnu à plusieurs reprises que des considérations relatives à la sécurité nationale peuvent limiter l’étendue de la divulgation de renseignements à l’intéressé : Ruby c Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 RCS 3; Suresh, précité; Charkaoui, précité. D’autre part, il n’existe aucun mécanisme semblable à ce que prévoient les articles 86 et 87 devant la CISR et la Cour fédérale permettant au Ministre de présenter une requête en non-divulgation dans le cadre d’une procédure administrative. Il n’est pas du tout certain qu’un agent du Ministre puisse, sans autorisation législative, caviarder de son propre chef et sans aucun encadrement, des renseignements dont la divulgation pourrait à son avis porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Ce qui importe, pour les fins du respect de l’équité procédurale, c’est que les renseignements contenus dans les documents sur lesquels le décideur fonde sa décision soient communiqués au demandeur, par opposition aux documents eux-mêmes. En l’occurrence, cette obligation a été respectée.

 

[28]           Qu’en est-il cependant des documents provenant de sources d’information publiques? La règle de base en cette matière a été énoncée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), [1998] 3 CF 461, et elle est à l’effet que les documents provenant de sources d’information documentaires publiées n’ont pas à être divulgués avant que la décision soit prise :

[11] …

Dans les cas où le requérant est au courant d’un processus général de recours aux sources d’information documentaires publiées sur la situation du pays d’origine, comme le requérant à l’instance doit être présumé l’avoir été, et lorsqu’il a fourni des renseignements de ce genre avec sa demande, je ne saurais conclure que les renseignements mentionnés par l’ACRRR dépassaient la portée des renseignements disponibles pour le public qu’un requérant raisonnable, assisté par avocat, comme le requérant à l’instance l’a été, prévoirait que l’ACRRR examinerait en prenant sa décision.

 

Il s’agissait de renseignements disponibles pour le public, comme dans les affaires Nadarajah et Quintanilla. À mon avis, il n’existait, de la part de l’ACRRR, aucune obligation d’indiquer les documents particuliers qu’il examinait avant de prendre sa décision. Il n’y a pas eu de violation de l’obligation d’équité en se reportant à des documents disponibles émanant de sources publiques sans identifier les documents particuliers avant que la décision de l’ACRRR n’ait été prise.

 

Voir aussi : Holder c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2012 CF 337 au para 28, [2012] ACF no 353; Stephenson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 932 aux para 35 ss., [2011] ACF no 932

 

[29]           Dans sa décision, l’agente a effectivement fait référence à plusieurs rapports, livres, articles de journaux et de revues qui traitent notamment d’Ahmed Ressam, Mohamedou Ould Slahi et du réseau Al-Qaïda. Ces documents ont tous un caractère public, n’ont pas été préparé en relation avec le cas du demandeur et ne portent pas précisément sur lui. Au contraire, ils concernent des personnes au sujet desquelles le demandeur a été interrogé lors des entrevues avec le SCRS et ne visent qu’à confirmer les liens entre ces personnes et la mouvance islamiste. Le demandeur n’a d’ailleurs pas tenté de démontrer en quoi ces documents, qui servent de toile de fond, avaient pu le prendre par surprise ni comment leur divulgation aurait pu lui permettre de mieux se préparer. 

 

[30]           Il revenait au demandeur d’expliquer les liens qu’il entretenait avec les quatre personnes soupçonnées d’appartenir au réseau Al-Qaïda, ce qu’il n’a pas été en mesure de faire. Ses contradictions, ses omissions et ses tentatives de minimiser la connaissance qu’il avait de ces personnes n’ont rien à voir avec les documents de nature publique cités par l’agente, et elle n’avait aucune obligation de les divulguer au demandeur avant de prendre sa décision.

 

b)    L’agente aurait-elle dû écarter les rapports du SCRS en raison du fait qu’ils sont peu fiables?

 

[31]           Le demandeur a présenté à l’agente une requête visant à exclure les notes et les rapports du SCRS, et a de nouveau fait valoir devant cette Cour que l’agente n’aurait pas dû tenir compte de ces notes et rapports compte tenu de leur peu de fiabilité. Le demandeur allègue plus précisément la longueur des délais entre le moment où les entrevues ont eu lieu (août 2001 et janvier 2002), la rédaction du rapport (29 décembre 2003) et sa transmission à l’ASFC (12 février 2004), l’existence d’une erreur dans les notes du SCRS au niveau d’une déclaration attribuée erronément au demandeur, un rapport pour l’année 1999-2000 du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) établissant que des erreurs se sont glissées dans des notes d’entrevue du SCRS à trois occasions, et l’inconstitutionnalité de la politique de destruction de la preuve par le SCRS. Je reviendrai sur ce dernier point lorsque j’aborderai la dernière question en litige.

 

[32]           Il convient tout d’abord de mentionner que l’agente a tenu compte de ces représentations dans sa décision, et a explicitement convenu que les notes du SCRS contiennent une erreur dans la mesure où elles indiquent que M. Hicham Guerras a signé pour déclarer la naissance du fils du demandeur alors que c’est plutôt le demandeur qui a signé la déclaration de naissance de l’enfant de M. Gherras. Cette erreur n’était cependant pas significative dans le contexte de la décision de l’agente quant aux liens que le demandeur entretenait avec M. Guerras.

 

[33]           L’agente a également considéré l’extrait du rapport émanant du CSARS invoqué par le demandeur. Hormis les trois plaintes émanant du public auxquelles le demandeur réfère dans ses représentations, l’agente note que le Comité a examiné 16 enquêtes de sécurité à l’immigration menées par le SCRS et a conclu que toutes les notes d’information contenues dans cet échantillon étaient exactes et bien fondées sur les renseignements recueillis. Sur cette base, elle pouvait raisonnablement conclure que les notes du SCRS sont généralement fiables et ainsi rejeter la requête du demandeur, d’autant plus qu’une part appréciable de l’information présentée dans le rapport du SCRS avait été colligée dans un contexte plus large que celui de la vérification des antécédents du demandeur.

[34]           Le demandeur a tenté de faire valoir que d’autres erreurs avaient pu se glisser dans les notes d’entrevue et dans les rapports du SCRS. Mais ce ne sont là que pures spéculations. Mise à part l’erreur au sujet du certificat de naissance de son fils, il ressort des notes d’entrevue de l’agente que le demandeur n’a jamais remis en question les déclarations faites au SCRS mais s’est contenté de les minimiser ou de les nuancer. Il a eu tout le loisir d’en établir l’inexactitude comme il l’a fait pour la déclaration de naissance, et il ne peut maintenant s’objecter à leur utilisation parce qu’il n’est pas d’accord avec les conclusions que l’agente en a tirées.

 

c)   L’agente aurait-elle dû exclure les rapports du SCRS dans la mesure où les notes d’entrevue ont été détruites?

 

[35]           Tel que mentionné plus haut, le demandeur s’appuie sur les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 RCS 326 (Charkaoui #2), et par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Harkat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 122, [2012] 3 RCF 635, que la politique interne du SCRS relativement à la destruction des notes opérationnelles viole les principes d’équité procédurale et constitue un manquement grave à l’obligation de conserver les informations prévue à l’article 12 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, ch C-23. Pour les motifs qui suivent, je ne crois pas que cet argument puisse être retenu dans le contexte du présent dossier.

 

[36]           Dans l’arrêt Charkaoui #2, la Cour suprême du Canada a conclu que dans le contexte des certificats de sécurité, la politique de destruction des notes d’entrevue par le SCRS était contraire à l’article 12 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, et violait les droits garantis par l’article 7 de la Charte. Selon la Cour, l’équité procédurale exige que le juge désigné ait accès aux notes des agents et qu’il puisse les fournir à la personne intéressée en prenant soin d’écarter l’information qui est susceptible de menacer la sécurité nationale. La Cour suprême du Canada s’est limitée à déclarer que la destruction des notes n’était pas conforme à l’article 7 de la Charte et qu’il revenait au juge désigné de déterminer si la destruction des notes a eu un impact préjudiciable.

 

[37]           La question de la destruction des notes du SCRS dans le contexte des certificats de sécurité a de nouveau été examinée dans l’affaire Harkat. À cette occasion, la Cour d’appel fédérale a confirmé que la politique de destruction des notes originales en vigueur au moment des faits en litige (Politique OPS-217) violait l’article 7 de la Charte. La Cour d’appel fédérale a noté qu’en l’espèce, la destruction des notes originales causait un préjudice à l’appelant et que la divulgation des résumés à l’avocat spécial ne constituait pas une réparation adéquate, puisque leur exactitude ne pouvait être vérifiée ni par l’avocat spécial ni par le juge désigné. La réparation convenable, dans les circonstances, consistait à exclure les résumés de la preuve admissible.

 

[38]           En l’espèce, le demandeur ne peut invoquer une violation de l’article 7 de la Charte et demander l’exclusion des rapports du SCRS en vertu du paragraphe 24(1) de la LIPR pour la bonne et simple raison que cette disposition ne trouve pas application en l’espèce. Tel que précédemment mentionné, le contexte dans le cadre du présent dossier n’est pas celui des certificats de sécurité où une personne peut être détenue et renvoyée dans un pays où des risques de torture sont allégués.

 

[39]           D’autre part, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Harkat a bien pris soin de formuler une exception au principe de l’exclusion des résumés lorsque les notes et enregistrements originaux ont été détruits. Lorsque le résumé porte sur des conversations auxquelles le demandeur a participé, il n’y a aucune nécessité d’intervenir puisqu’il pourra corriger les erreurs qu’il peut contenir. Voici comment le juge Létourneau s’exprimait à ce propos :

[143] Je n’engloberais pas dans l’exclusion les conversations auxquelles l’appelant a participé. Il est à l’égard de celles-ci en mesure d’apprécier l’exactitude et la fiabilité des résumés. Bien qu’elle demeure condamnable, la destruction de ces originaux ne cause pas un préjudice aussi étendu à l’appelant que dans les cas où les originaux détruits sont des originaux de conversations le concernant, mais auxquelles il n’a pas participé. Il peut alors, en témoignant ou au moyen d’autres éléments de preuve particuliers, soulever les erreurs, incohérences ou inexactitudes que comportent ces résumés, et qui ont une incidence sur leur exactitude et leur fiabilité. À titre de réparation convenable et juste à l’égard de ces conversations, je me limiterais à déclarer qu’il a été porté atteinte à son droit à la divulgation garanti par l’article 7 de la Charte : voir Canada (Premier ministre) c Khadr, [2010] 1 R.C.S. 44.

 

[40]           Le demandeur n’a cité aucune décision où la destruction des notes originales d’entrevue par le SCRS a été examinée dans le contexte d’une demande de résidence permanente. La seule décision à laquelle on a référé est celle rendue dans l’affaire Golestaneh c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 509, [2007] ACF no 691, où le juge Blais a conclu qu’un agent de l’ASFC commet une erreur de droit lorsqu’il établit un rapport d’interdiction de territoire sur la foi d’un rapport du SCRS sans consulter les documents étayant ce rapport. Cet arrêt ne me semble d’aucune utilité au demandeur, puisqu’il appert de la décision contestée que l’agente a eu accès et a consulté tous les documents disponibles. 

 

Conclusion

[41]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Lors de l’audition, l’avocate du demandeur a formulé une question certifiée relativement à l’obligation de conservation des notes d’entrevue par le SCRS, qu’elle a par la suite retirée parce qu’elle estimait que la Cour suprême du Canada y avait déjà répondu dans l’arrêt Charkaoui #2. Bien que je ne sois pas d’accord avec l’interprétation que le demandeur fait de l’arrêt Charkaoui #2, je n’estime pas nécessaire de certifier cette question dans la mesure où elle me semble avoir déjà été tranchée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Harkat.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4193-12

 

INTITULÉ :                                      Zouhair El Maghraoui

                                                            c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Patil Tutunjian

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Patricia G. Nobl

Me Daniel Latulippe

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon et Associés inc.

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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