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Date : 20130819

Dossier : IMM-7787-12

Référence : 2013 CF 881

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 août 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

AMR MOSTAFA DEYAB

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission], présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur, concluant qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le 1er mai 2013, le juge Simpson a invalidé le mémoire et l’affidavit du demandeur d’asile datés du 3 décembre 2012 en réponse à la demande du défendeur selon laquelle l’affidavit du demandeur renfermait des arguments et des points de vue inadmissibles. Le demandeur a produit un nouveau mémoire et un nouvel affidavit le 31 mai 2013.

 

I.          Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen de l’Égypte. Il est arrivé au Canada en 2001 et y a étudié jusqu’en 2006 en vertu d’un visa d’étudiant. Il est retourné en Égypte pendant un mois, en décembre 2004. Pendant cette visite, il a eu une altercation avec des responsables du Parti démocratique national de Hosni Moubarak. Il prétend avoir été battu par la police au cours d’une brève détention.

 

[4]               Après l’incident, il est rentré au Canada en janvier 2005, où il est demeuré jusqu’à l’expiration de son visa d’étudiant, en janvier 2007. N’ayant aucun statut, il a été renvoyé en Égypte en septembre 2009. Lorsqu’il est arrivé en Égypte, la police l’a détenu pendant huit jours. Le demandeur allègue qu’il a été battu et privé de liquides et de nourriture pendant sa détention.

 

[5]               Il prétend que sa détention reposait sur des accusations qui ont été portées contre lui à la suite de son altercation avec des responsables gouvernementaux pendant son voyage en Égypte, en 2004. À son insu, il a été condamné in absentia à deux ans d’emprisonnement et de travaux forcés en 2008. Malgré cette sentence, il a réussi à quitter la prison le 11 septembre 2009 par des moyens illégaux.

 

[6]               Même s’il était recherché par la police, il est resté en Égypte pendant plusieurs mois et est parvenu à éviter d’être capturé par les autorités. Pendant cette période, il a obtenu un visa pour le Royaume-Uni et les États-Unis ainsi qu’un passeport égyptien. Le défendeur allègue que le demandeur a aussi obtenu un visa pour l’Allemagne, ce que le demandeur conteste. Le demandeur a aussi demandé un visa de visiteur pour le Canada et une autorisation de retourner au Canada, qui lui ont été refusés.

 

[7]               Pendant qu’il était en Égypte, en 2009, le demandeur a aussi eu une altercation avec un agent des visas au Caire en rapport avec la liberté de religion, ce qui a entraîné le dépôt d’autres accusations contre lui.

 

[8]               Il a quitté l’Égypte le 2 février 2010 avec l’aide d’un ami qui l’a aussi aidé à passer la sécurité à l’aéroport sans être détecté par les autorités. Il est arrivé au Canada en passant par le Royaume-Uni et les États-Unis le 24 février 2010.

 

[9]               La question déterminante pour la Commission était la crédibilité du demandeur.

 

[10]           Premièrement, la Commission n’a pas estimé crédible le fait que le demandeur n’a pas demandé l’asile à son retour au Canada à la suite de sa première altercation et son premier passage à tabac par la police, en 2004.

 

[11]           Deuxièmement, la Commission a des réserves quant au fait que, pendant une entrevue avec un agent d’immigration à Fort Erie le 24 février 2010, le demandeur a répondu [traduction] : « Parce que j’ai de la famille au Canada. Je suis resté au Canada. » à la question « Pourquoi vous demandez l’asile au Canada? ». La Commission estime que le demandeur aurait dû mentionner sa crainte des autorités égyptiennes si cette crainte était réelle. Cette réserve est renforcée par la réponse du demandeur aux questions de la Commission sur ce sujet pendant l’audience. Son explication selon laquelle il n’était pas accompagné d’un avocat n’a pas convaincu la Commission, étant donné qu’il a traité de nombreuses fois avec des responsables de l’immigration par le passé et que rien n’indiquait qu’il souffrait de problèmes médicaux ou psychologiques susceptibles d’inhiber ses communications avec la Commission.

 

[12]           Troisièmement, la Commission a estimé que les documents judiciaires faisant état de la condamnation du demandeur en 2008 ne sont pas dignes de foi. La Commission souligne que la page 20 de la pièce C‑4 (page 501 du dossier du défendeur) a été modifiée et qu’il est peu probable qu’un ami du demandeur puisse avoir obtenu ces documents en Égypte en l’absence du demandeur.

 

[13]           Quatrièmement, la Commission ne croit pas que le demandeur ait été détenu par la police pendant huit jours sans que celle‑ci s’aperçoive qu’une sentence avait été prononcée contre lui à la suite d’une condamnation en 2008 et ne croit pas non plus que le demandeur ait pu sortir de prison par des moyens illégaux et ait pu passer inaperçu dans son pays pendant cinq mois, particulièrement étant donné qu’il avait fait des démarches pour obtenir un nouveau passeport et demandé divers visas pendant cette période.

 

[14]           Cinquièmement, la Commission a tiré une inférence défavorable sur la crédibilité sur la foi de la page 1 de la pièce C‑5 (page 503 du dossier), où il est indiqué que le demandeur a reçu une assignation à comparaître relativement aux accusations découlant de son altercation avec l’agent des visas en 2009. La Commission souligne que le demandeur allègue qu’il était au Canada à ce moment. Par conséquent, la Commission conclut que le document a été falsifié.

 

[15]           Sixièmement, la Commission a des réserves concernant l’avertissement de sécurité produit à la page 5 de la pièce C‑5 (page 507 du dossier). La Commission entretient des doutes quant à la façon dont le demandeur aurait pu obtenir le document. Le demandeur soutient que le document a été envoyé en novembre 2010 par courriel, avec d’autres documents judiciaires, mais il n’a pas pu, au moment de l’audience, produire d’éléments de preuve relatifs à cet échange de courriels ni une explication raisonnable des raisons pour lesquelles il n’avait pas pu fournir une telle preuve.

 

[16]           Au‑delà de la question de crédibilité, la Commission a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que les problèmes du demandeur en Égypte équivalaient à de la persécution, car il s’agissait de poursuites. La Commission souligne que les documents produits après l’audience par le soi-disant avocat égyptien du demandeur, M. Riyad, n’aident guère à cet égard et, en fait, renforcent l’absence de crédibilité.

 

II.        Questions en litige

[17]           La présente demande de contrôle soulève les questions suivantes :

A.    L’affidavit du demandeur du 31 mai 2013 est‑il inadmissible?

B.     La décision de la Commission concernant la crédibilité est‑elle déraisonnable?

 

III.       Norme de contrôle

[18]           La norme de contrôle qui s’applique aux questions relatives à la crédibilité est la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 48 et 51; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 46 et 59).

 

IV.       Analyse

A.  L’affidavit du demandeur du 31 mai 2013 est‑il inadmissible?

[19]           Le défendeur soutient que l’affidavit du demandeur est inadmissible parce qu’il contient des arguments et des opinions juridiques. Il souligne en particulier que les paragraphes 9 à 21 consistent essentiellement en une analyse point par point du raisonnement de la Commission suivie d’affirmations faisant ressortir en quoi les conclusions de la Commission sont erronées.

 

[20]           L’affidavit du demandeur du 31 mai 2013 diffère de l’affidavit original produit le 3 septembre 2012. L’affidavit du 31 mai 2013 est exempt des formules critiquant directement le raisonnement de la Commission (à l’exception des paragraphes 12 et 21) et préconisant d’autres conclusions. Pour sa part, l’affidavit du 31 mai 2013 présente une argumentation implicite en énonçant une conclusion de la Commission, puis en soulignant les éléments de preuve figurant au dossier contredisant celle-ci, ce qui sous‑entend clairement que les conclusions de la Commission sont erronées.

 

[21]           L’objet des affidavits, à la lumière de la règle 81(1), est énoncé dans Van Duyvenbode c Canada, 2009 CAF 120, au paragraphe 2 :

[traduction]

Un affidavit doit reposer sur la connaissance personnelle. Il a pour objet de présenter les faits pertinents quant au litige sans commentaires ni explications.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Dans Armstrong c Canada (Procureur général), 2005 CF 1013, au paragraphe 42, le juge François Lemieux écrit :

[42]      D’un côté, de nombreux paragraphes contiennent des arguments juridiques et un bon nombre d’entre eux font référence aux dispositions législatives ou réglementaires applicables; ils contiennent aussi parfois des citations de dictionnaire en vue d’indiquer le sens ordinaire des mots que l’on retrouve dans les lois ou les règlements. Ces références sont inappropriées, mais j’estime qu’il n’est pas nécessaire de radier ces paragraphes pour les motifs fournis par le juge Hugessen dans la décision Sawridge, précitée, étant donné que cela ne cause aucun préjudice au défendeur. De plus, leur radiation ne serait pas utile parce que ces paragraphes contiennent des arguments valides qui peuvent être présentés par l’avocate du demandeur dans le mémoire qu’il produira avec le dossier de la requête.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[23]           Ce raisonnement s’applique dans la présente demande. L’affidavit du demandeur reprend largement le dossier factuel soumis au tribunal. Il ne comporte pas de nouvelles affirmations de fait et ne porte pas préjudice au demandeur, car il met en relief des déclarations antérieures du demandeur et des documents produits par celui‑ci. Comme l’ont souligné et l’ont convenu les avocats pendant l’audience, l’affidavit est accepté, mais aucun poids ne lui sera conféré quand il se borne à être argumentatif, à critiquer le raisonnement de la Commission ou à présenter des positions ou arguments juridiques.

 

B.  La conclusion de la Commission sur la crédibilité est‑elle déraisonnable?

[24]           Le demandeur produit plusieurs arguments pour contrer les conclusions de la Commission en matière de crédibilité.

 

[25]           En ce qui concerne les préoccupations de la Commission quant au fait que le demandeur n’avait aucune preuve de la façon dont il a obtenu copie de l’avertissement de sécurité qui a été émis contre lui, le demandeur soutient qu’il a produit le 4 juin 2012 des communications reçues de son avocat qui répondent auxdites préoccupations. Le demandeur affirme que les documents dissipent les préoccupations de la Commission.

 

[26]           Pendant l’audience, le demandeur s’est fondé essentiellement sur la pièce G renvoyant à son affidavit, c.‑à‑d. une lettre de son avocat égyptien, M. Riyad, et sur l’affirmation dans la lettre selon laquelle [traduction] « […] les deux poursuites contreviennent à la Constitution qui garantit la liberté de religion et d’expression », que, selon lui, le commissaire a mal interprété cette affirmation ou l’a appliquée incorrectement en concluant que le demandeur avait simplement fait l’objet de poursuites, et non pas de persécution, en Égypte.

 

 

[27]           La communication de M. Riyad ne corrobore qu’un aspect du témoignage du demandeur, contient du ouï-dire et n’émane pas d’une personne désintéressée quant à l’issue de la demande.

 

[28]           Rien n’oblige la Commission à analyser tous les éléments de preuve dans ses motifs et, en l’espèce, la Commission n’a pas cru le témoignage du demandeur en raison d’incohérences, d’omissions et de conclusions d’invraisemblance (Florea c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA); Foyet c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 187 FTR 81).

 

[29]           La correspondance de M. Riyad présente aussi des faiblesses dans la preuve, lesquelles ont été soulignées par le défendeur, et ne réfute pas la majorité des conclusions de la Commission sur la crédibilité. Plus particulièrement, elle n’aborde pas le fait que le demandeur a pu éviter la prison alors qu’une sentence d’emprisonnement a été prononcée contre lui, qu’il a pu échapper à la capture et sortir d’Égypte après y avoir vécu cinq mois et qu’il n’a pas mentionné aux responsables de l’immigration ses craintes de persécution. Ces conclusions reposaient toutes sur la preuve et sont raisonnables. De plus, la Commission et la Cour n’étaient pas saisies d’éléments de preuve démontrant que les poursuites intentées contre le demandeur en Égypte ont donné lieu à une conclusion ou des sanctions contre lui

 

[30]           Je conviens avec le défendeur que, selon la norme Dunsmuir, les conclusions de la Commission sur la crédibilité étaient raisonnables.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande du demandeur est rejetée;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge


 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7787-12

 

INTITULÉ :                                      Deyab c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 août 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 19 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tom Leousis

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Teresa Ramnarine

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

A. Tom Leousis

Avocat

Hamilton (Ontario )

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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