Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130819

Dossier : IMM-10084-12

Référence : 2013 CF 880

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 août 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

ZLATKO STRUGAR, SANDRA STRUGAR, LEONARDA STRUGAR, TEODOR STRUGAR,

et KAROLA PONGRAC

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les membres de la famille de la demanderesse sont tous des citoyens croates. Ils sont arrivés ensemble au Canada, le 24 août 2011, et ont demandé l’asile, le 31 août 2011, parce que Mme Strugar est lesbienne, et que, pour cette raison sa famille et elle ont souffert de persécution en Croatie.

 

[2]               Mme Strugar est légalement mariée à M. Strugar qui savait qu’elle était lesbienne lorsqu’il l’a épousée; toutefois, ils ont convenu d’élever leurs enfants ensemble et d’avoir une vie sexuelle séparée. Le mariage leur permettrait d’avoir une famille, et offrirait une couverture à l’homosexualité de Mme Strugar.

 

[3]               Deux ans avant de s’enfuir de la Croatie, des personnes de la communauté de Mme Strugar l’ont vue embrasser sa petite amie, pour lui dire au revoir, dans une voiture stationnée près d’un arrêt d’autobus. Les membres de la communauté ont alors commencé à menacer Mme Strugar, son époux, sa mère, et ses enfants. Teodor, le fils de Mme Strugar, a été pris pour cible à l’école et il s’est battu plusieurs fois contre des enfants qui avaient découvert que Mme Strugar était lesbienne. Teodor a été hospitalisé deux fois en raison de ces incidents – une fois pour un bras cassé, et une autre fois après que le muscle de son mollet droit fut entaillé.

 

[4]               La Commission a décidé que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Selon la Commission, Mme Strugar n’était pas crédible, et les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Les demandeurs contestent ces deux conclusions, et ils soutiennent en outre que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tiré de conclusion claire relativement à la question de savoir si oui ou non Mme Strugar était lesbienne, et ainsi, la Commission n’a pas effectué une analyse factuelle transparente justifiant sa conclusion selon laquelle les demandeurs ne craignaient pas d’être persécutés pour l’un des motifs prévus par la Convention.

 

[5]               Je conviens avec les demandeurs que la conclusion de la Commission relative à la crédibilité est déraisonnable. La Commission a conclu que la crédibilité de Mme Strugar était mise en cause principalement parce que, selon elle, l’explication de Mme Strugar relativement à la façon dont elle rencontrait les autres femmes lesbiennes dans des cafés était invraisemblable, et parce que le fait de se risquer à donner un baiser passionné près d’un arrêt d’autobus public, au milieu de la journée, n’était pas compatible avec son témoignage selon lequel elle prenait soin de cacher son orientation sexuelle.

 

[6]               La décision Latsabidze c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1429, et d’autres décisions de la Cour ont mis en garde contre le fait de tirer des conclusions relatives à la crédibilité simplement étayées par le fait que le juge des faits a conclu que la preuve était invraisemblable, sans aucune explication ou analyse permettant d’expliquer pourquoi une telle conclusion avait été tirée. En l’espèce, dans une décision très succincte, la Commission n’a fait part d’aucune analyse factuelle ou légale étayant son point de vue relativement à l’invraisemblance.

 

[7]               Je conviens avec le défendeur que la Commission a aussi fondé sa conclusion relative à la crédibilité sur l’observation selon laquelle des faits importants avaient été omis dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP). Néanmoins, selon moi, la décision de la Commission que le fait pour Mme Strugar de ne pas fournir une liste des noms de ses amoureuses en Croatie constituait une telle omission était clairement déraisonnable. Selon le FRP, les demandeurs sont invités à exposer « tous les événements importants et les raisons qui [les] ont amené[s] à demander l’asile au Canada », et, dans la présente espèce, cela n’avait aucun lien avec l’identité de ses amoureuses, mais était uniquement lié à son orientation sexuelle. Il était loisible à la Commission, comme elle l’a fait, d’interroger la demanderesse sur l’identité de ces personnes et les relations qu’elle entretenait avec elles, mais la simple omission de ce renseignement dans son FRP n’est pas un fondement raisonnable pour remettre en cause la crédibilité de la demanderesse.

 

[8]               Bien que l’analyse de la Commission relative à la protection de l’État consiste en un simple paragraphe, je conclus qu’elle est raisonnable. La seule tentative entreprise par l’un quelconque des demandeurs était une question posée relativement à la protection de l’État. Mme Strugar a demandé des conseils à un ami policier, il lui a répondu qu’elle ne devrait pas s’adresser à la police à moins qu’on lui fasse du mal, car si elle le faisait, cela révélerait qu’elle est lesbienne. Elle a reçu ce conseil avant la divulgation de son homosexualité, et avant les « agressions » qui ont amené la famille à quitter la Croatie. Il n’est pas déraisonnable que la Commission conclue qu’il ne s’agissait pas d’une tentative de solliciter la protection de l’État. C’était le seul effort entrepris par les demandeurs. Par conséquent, la conclusion selon laquelle aucune tentative n’avait été faite pour solliciter la protection était raisonnable.

 

[9]               En outre, la conclusion de la Commission voulant que, selon le dossier, la protection est offerte aux personnes gaies et lesbiennes est aussi raisonnable et elle n’a pas été réfutée par les demandeurs qui « [n’ont] fourni aucun autre élément de preuve que [leur] parole ou [leur] croyance » qu’ils n’obtiendraient aucune protection. Je relève que, même l’ami policier de la demanderesse ne lui a pas fait une telle déclaration, mais lui a plutôt conseillé d’attendre jusqu’à ce qu’on lui fasse du mal avant de solliciter la protection de l’État. Il aurait fondé son conseil sur sa croyance que la protection de la police serait offerte.

 

[10]           Enfin, je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que la présente espèce est distincte de la décision Odetoyinbo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 501. Au paragraphe 8 de cette décision, le juge Martineau a fait l’observation suivante :

En l’espèce, la Commission n’a pas affirmé expressément dans ses motifs qu’elle ne croyait pas que le demandeur était bisexuel. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas ne pas tenir compte de la preuve objective convaincante au dossier faisant état des violences subies par les hommes homosexuels au Nigeria. En conséquence, même si la Commission avait rejeté le témoignage du demandeur quant à ce qui lui était arrivé au Nigeria, elle avait tout de même le devoir d’examiner si l’orientation sexuelle du demandeur le mettrait personnellement en danger dans son pays.

 

 

[11]           Bien que la Commission n’ait pas de façon explicite conclu que Mme Strugar était lesbienne, elle a tenu compte du fait que son orientation sexuelle l’exposerait personnellement à un risque en Croatie, et elle a conclu que la protection de l’État était offerte et qu’elle était adéquate.

 

[12]           Bien que les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité soient déraisonnables, la conclusion portant sur la protection de l’État ne peut pas être modifiée, et, ainsi, la présente demande est rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

            « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-10084-12

 

INTITULÉ :                                                  ZLATKO STRUGAR ET AUTRES

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 août 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        Le juge Zinn

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 19 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joanna Mennie

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Alex C. Kam

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Bellissimo Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.