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Date : 20130815

Dossier : IMM-4707-13

Référence : 2013 CF 869

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 15 août 2013

En présence de monsieur le juge Annis

 

 

ENTRE :

 

LARISSA LEGNIN

ET

NIKOL LEGNIN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, des citoyens de la Russie, demandent à la Cour d’ordonner un sursis à l’exécution de leur renvoi du Canada prévu pour le mercredi 28 août 2013, à 7 h.

 

[2]               Après avoir passé plus de six mois en Israël, les demandeurs sont arrivés au Canada en 2006 et ont demandé l’asile.

 

 

[3]               Le 29 juillet 2011, un agent principal d’immigration a rejeté la demande d’ERAR.

 

[4]               Le 4 juillet 2011, les demandeurs ont déposé une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire (demande CH).

 

[5]               Le 20 septembre 2011, les demandeurs ont rencontré l’agent de renvoi et ont reçu une décision défavorable relativement à l’ERAR. Ils ont été avisés que les mesures de renvoi dont ils faisaient l’objet étaient devenues exécutoires et qu’ils avaient le droit de contester la décision défavorable rendue relativement à l’ERAR. Les demandeurs ont déclaré qu’ils se conformeraient à la mesure de renvoi. Ils n’ont pas contesté en Cour fédérale la décision défavorable rendue relativement à l’ERAR.

 

[6]               Toutefois, ils ont demandé que leur renvoi soit reporté afin que la demanderesse, Larissa, puisse agir comme témoin dans une audience en matière pénale. La demande de report contenait également des allégations concernant l’intérêt supérieur de l’enfant, Nikol, et concernant une demande CH en cours d’instance.

 

[7]               L’agent d’application de la loi a d’abord rejeté la demande de report présentée sur le fondement de la demande CH. Néanmoins, le 8 décembre 2011, L’agent de renvoi a accueilli la demande des demandeurs de permettre à la demanderesse, Larissa, de témoigner dans une affaire pénale.

 

[8]               Le 4 janvier 2013, les demandeurs ont rencontré l’agent de renvoi. Par l’entremise de leur avocat, qui était présent à la rencontre, les demandeurs ont demandé un report indéfini du renvoi en invoquant « l’intérêt supérieur de l’enfant » et en soulignant que la demande CH qui avait été déposée en février 2012 n’avait pas encore été tranchée. Ladite demande a été accueillie par l’agent qui a retardé le renvoi de trois mois, non pas en raison de la demande CH en cours d’instance, mais pour permettre aux demandeurs de se préparer adéquatement en vue de leur départ.

 

[9]               La question de savoir si la demande CH constituait une nouvelle procédure a fait l’objet d’observations de la part des parties au cours de l’audience. J’accepte les notes de l’agent à titre de preuve de ce qui suit :

M. Genik m’informe qu’il a déposé une nouvelle demande humanitaire car la première serait truffée d’erreur, faite par l’ancien avocate qui n’a plus le mandat de représenter le sujet.

 

[10]           Le 1er mars 2013, le renvoi des demandeurs a été reporté une deuxième fois afin de permettre à l’enfant, Nikol, de terminer son année scolaire.

 

[11]           Le 28 mai 2013, les demandeurs, par l’entremise de leur avocat, ont soumis une autre demande de suspension administrative du renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue quant à leur demande CH. Le même jour, l’agent d’exécution de la loi a rejeté la demande de report. Cette décision de renvoi fait l’objet de la présente demande de sursis.

 

Analyse

[12]           Les trois critères énoncés dans Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF) doivent tous être satisfaits pour que la Cour accueille la requête en sursis.  Si les demandeurs ne satisfont pas au moindre critère, la Cour ne peut pas accorder la mesure demandée.

 

[13]           L’octroi d’un sursis est une mesure extraordinaire. Le demandeur doit faire la preuve de « circonstances spéciales et impérieuses » qui donneraient ouverture à « une intervention judiciaire exceptionnelle ». Les demandeurs ne l’ont pas fait en l’espèce.

 

Absence de question sérieuse

 

[14]           Le droit concernant les demandes de report soumises alors qu’une demande CH est en cours d’instance est décrit de la façon suivante par le juge O’Keefe dans Ortiz c Canada (Ministre de la  Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 18, aux paragraphes 43 à 46 :

43        En l'absence de considérations spéciales, le fait qu'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire soit en instance ne suffit pas, en règle générale, pour justifier un sursis, à moins qu'il n'existe une menace à la sécurité personnelle (voir Ramada c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1112, [2005] ACF no 1384, au paragraphe 3; et Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 CF 682, [2001] ACF no 295, au paragraphe 45). Le juge Pierre Blais s’est exprimé comme suit dans ses motifs concordants, dans l’arrêt Baron, précité, au paragraphe 87 :

 

Les demandes CH ne sont pas censées faire obstacle aux mesures de renvoi valides. Lorsque l’ERAR révèle que le demandeur ne serait exposé à aucun risque s’il retournait dans son pays d’origine, on s’attend à ce que le demandeur présente ses demandes de résidence permanente ultérieures de son pays d’origine.

 

44        Par ailleurs, l'agent de renvoi ne peut examiner qu'un nombre limité de facteurs lorsqu'il évalue une demande de report. En général, ces demandes ne doivent être accueillies que dans les cas « où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain » (voir Wang, précité, au paragraphe 48).

 

45        Les agents de renvoi ne sont pas en mesure d'évaluer toute la preuve susceptible d'être pertinente dans le cadre d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire (voir Ramada, précitée, au paragraphe 7). Ils peuvent cependant déterminer s’il existe de bonnes raisons de retarder le renvoi, par exemple la capacité de voyager d’une personne, la nécessité d’honorer d’autres engagements comme des obligations scolaires, ou des circonstances impérieuses telles que des considérations d’ordre humanitaire (voir Ramada, précitée, au paragraphe 3). Les agents peuvent aussi réfléchir à la possibilité de remédier aux conséquences du renvoi en réadmettant le demandeur une fois la demande pendante approuvée (voir Wang, précitée, au paragraphe 48).

 

46        Pour ce qui est des enfants concernés, leur intérêt immédiat doit être traité équitablement et avec sensibilité (voir Joarder c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 230, [2006] ACF no 310, au paragraphe 3). Cependant, les agents de renvoi « ne [sont] pas tenu[s] d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt supérieur des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi » (voir Baron, précité, au paragraphe 57).

 

[15]           Les demandeurs prétendent principalement que leur fille, qui ne lit ni écrit le russe et qui semble avoir des difficultés d’apprentissage se trouve à la merci du système scolaire russe qui est reconnu pour ne pas s’occuper des enfants « difficiles ».  Celle-ci serait par conséquent encouragée à quitter l’école.

 

[16]           Les demandeurs soulignent que leur fille a fait toutes ses études dans le système scolaire québécois. Elle reçoit un soutien personnalisé supplémentaire dispensé de façon proactive et la séparer de l’école québécoise qu’elle fréquente, même temporairement, nuirait à ses études.

 

[17]           Il est également fait mention des deux sœurs résidentes permanentes de l’enfant qui prennent toutes les deux soins de celle-ci.

 

[18]           Les demandeurs prétendent que l’agent de renvoi n’a pas dûment examiné la preuve relative à la situation de l’enfant.

 

[19]           L’enfant a déposé une demande CH  et les demandeurs sollicitent un report jusqu’à ce que cette demande soit tranchée.

 

[20]           Je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que l’agent a examiné les allégations et la preuve et que sa décision est raisonnable dans les circonstances. Le fondement factuel de la preuve des demandeurs est hypothétique et ne satisfait pas au critère élevé décrit ci-dessus qui est exigé pour l’octroi d’un sursis à une mesure de renvoi.

 

[21]           La preuve est insuffisante et est désuète en ce qui concerne les difficultés d’apprentissage de l’enfant, qui, selon son avocate, ne pouvaient à tout événement pas être décrites comme étant une invalidité. Il n’y a aucun examen ni aucune documentation à l’appui, mis à par la lettre émanant de l’école de l’enfant. De plus, deux années se sont écoulées depuis que cette lettre a été écrite et une mise à jour aurait dû être fournie entre-temps. Dans le même ordre d’idée, la preuve concernant la situation de l’enfant en Russie est également hypothétique et est dépourvue de valeur probante.

 

[22]           Dans l’hypothèse où les demandeurs ont déposé une nouvelle demande en février 2012, on a beaucoup discuté de la question des difficultés qui seraient causées à l’enfant du fait qu’elle se trouverait à l’extérieur du Canada pendant un, deux ou trois ans, si les demandeurs obtenaient gain de cause dans leur demande CH. Je le répète, toute conclusion serait hypothétique. L’enfant parle russe couramment et étant donné qu’on ne sait pas vraiment si elle a toujours des difficultés d’apprentissage, les difficultés occasionnées par un séjour d’un ou deux ans à l’extérieur du Canada ne sont pas un élément suffisamment important pour être pris en compte dans le cadre de la décision de reporter ou non le renvoi.

 

[23]           Il convient de souligner qu’il semble qu’une jurisprudence récente de la Cour fédérale donne à penser que la modification apportée au paragraphe 48(2) le 15 décembre 2012 restreint davantage la portée du pouvoir discrétionnaire déjà limitée de la Cour en exigeant que la mesure de renvoi soit exécutée « dès que possible », plutôt que « dès que les circonstances le permettent » comme il était écrit dans l’ancien texte.

 

[24]           Je conviens que la modification vise à indiquer qu’il faut réduire au minimum les délais d’exécution des mesures de renvoi. Étant donné que les demandeurs se sont déjà vu accorder deux reports de leur renvoi, il semble davantage nécessaire de se conformer au paragraphe 48(2).

 

Préjudice irréparable

[25]           Même si je devais conclure qu’il y a une question sérieuse à trancher, la preuve qui a déjà été soumise ne permet pas de conclure que l’enfant subirait un préjudice irréparable du fait de son renvoi. La preuve, dans l’ensemble, est hypothétique et ne permet pas de conclure que l’enfant subirait un préjudice irréparable et qu’il serait ainsi justifié de reporter son renvoi.

 

Conclusion et ordonnance

 

[26]           Par conséquent, pour tous les motifs qui précèdent, la cour statue que la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

 

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4707-13

 

INTITULÉ :                                      LARISSA LEGNIN et autres

                                                            ET  MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal, (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 13 août 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 15 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pietro Iannuzzi

 

Salima Djerroud

POUR LES DEMANDEURS

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pietro Iannuzzi Avocat Inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Willaim F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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