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Cour fédérale

 

Federal Court

                                                                                                                           

 


Date : 20130809

Dossier : IMM-5804-12

Référence : 2013 CF 854

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 août 2013

En présence de madame la juge Strickland

 

 

ENTRE :

 

CSABA BERI

PIROSKA KORBELY

CSABA MARTIN BERI

VIRGINIA BERI

KEVIN BERI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention et qu’ils n’étaient pas des personnes à protéger, au titre respectivement des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La présente demande est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi.

 

Le contexte

[2]               Les demandeurs sont des citoyens hongrois d’origine ethnique rom. Il s’agit de Csaba Beri, de son épouse Piroska Korbely et de leurs enfants Virginia Beri, Kevin Beri et Csaba Martin Beri. Ils allèguent qu’ils craignent d’être persécutés en Hongrie par des Hongrois racistes, notamment les skinheads, la Garde hongroise et le parti Jobbik.

 

[3]               Les demandeurs ont décrit la discrimination et la persécution à laquelle leur famille étendue ainsi qu’eux‑mêmes avaient été exposés tout au long de leur vie en Hongrie. Ils ont fui ce pays et ils sont arrivés à l’aéroport Lester B. Pearson à Toronto le 7 novembre 2010; ils ont demandé l’asile le jour même.

 

[4]               La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention au titre de l’article 96 et qu’ils n’étaient pas des personnes à protéger au sens de l’article 97 de la Loi (la décision). C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[5]               La SPR a reconnu que la preuve documentaire confirmait que les agressions violentes contre les Roms avaient toujours cours et que les Roms subissaient de la discrimination dans presque tous les domaines de la vie quotidienne. Par conséquent, la SPR a conclu, en tenant compte des circonstances particulières liées à la demande d’asile des demandeurs, que la protection de l’État était la question déterminante dans l’affaire dont elle était saisie.

 

[6]               La SPR a déclaré qu’il incombait aux demandeurs de réfuter la présomption selon laquelle une protection de l’État est offerte, en la convainquant, à l’aide d’une preuve claire et convaincante, que, selon la prépondérance des probabilités, l’État ne peut protéger ses citoyens.

 

[7]               La SPR a tenu compte du fait que Csaba Beri avait été agressé à plusieurs occasions. Ce dernier a mentionné qu’il n’avait pas signalé à la police l’agression ayant eu lieu en 2001 parce qu’il ne connaissait pas le nom de ses assaillants et parce qu’il croyait que la police ne ferait rien à propos de cet incident. En mai 2008, Csaba Beri avait été agressé de nouveau alors qu’il se cherchait un emploi. Il avait demandé à un garde de sécurité de l’aider, mais on lui avait dit de retourner chez lui. Il n’avait pas signalé cet incident à la police, parce qu’il avait peur des policiers et parce qu’il ne croyait pas non plus qu’ils allaient l’aider. La SPR a aussi relevé qu’en juillet 2009, Csaba Beri avait été violemment expulsé d’un café parce qu’il était un « Tzigane ». Il n’avait pas signalé cet incident à la police, parce qu’il croyait que les policiers l’humilieraient plutôt que de l’aider.

 

[8]               La SPR a aussi tenu compte du fait qu’un des enfants, Csaba Martin Beri, avait été agressé par des skinheads au cours de l’été 2009. Bien que des policiers étaient tout près, ils n’avaient pas empêché l’incident de se produire. Les demandeurs n’avaient pas signalé l’incident aux policiers, et ce, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés ci‑dessus.

 

[9]               La SPR a relevé qu’en mars 2010, Csaba Beri et son épouse, Piroska Korbely, avaient été agressés et que Mme Korbely avait dû recevoir des soins médicaux. Csaba Beri s’était présenté au poste de police et, bien que les policiers n’aient pas fait preuve de courtoisie, ils lui avaient permis de déposer une plainte. Lorsque M. Beri était retourné quelque temps après pour faire un suivi au sujet de l’incident, la police l’a informé qu’elle allait fermer le dossier, parce que les policiers étaient incapables d’établir l’identité des assaillants.

 

[10]           La SPR a tenu compte du fait que Csaba Beri avait communiqué avec le gouvernement de la minorité rom (le GMR) en vue d’obtenir de l’aide concernant la discrimination dont son enfant faisait l’objet à l’école. Le GMR avait tenté, sans succès, de régler le problème et il lui avait mentionné qu’il avait communiqué avec la police dans d’autres cas, sans succès. Le GMR pouvait uniquement entendre les plaintes qui étaient déposées et confirmer l’existence de racisme.

 

[11]           La SPR a relevé que les demandeurs n’avaient jamais tenté d’acheminer leurs plaintes à une autorité supérieure, et ce, malgré le fait qu’ils avaient été très insatisfaits de la réponse de la police. La SPR a mentionné que les demandeurs n’avaient jamais entendu parler de l’Association des agents de police roms ou de la Commission indépendante des plaintes contre la police. Elle a aussi tenu compte du fait que les demandeurs avaient connaissance de l’existence du bureau de l’Ombudsman pour les droits des minorités, mais qu’ils n’avaient jamais communiqué avec cet organisme, car ils ne connaissaient pas son rôle.

 

[12]           La SPR n’était pas convaincue que les demandeurs avaient réfuté la présomption relative à la protection de l’État. Il n’y avait pas assez de renseignements pour donner à penser que la police ne déployait pas des efforts authentiques et sérieux pour faire enquête relativement aux allégations de Csaba Beri et pour appréhender les auteurs des gestes allégués. De plus, la SPR ne jugeait pas que les observations formulées par Csaba Beri concernant l’efficacité de la protection de l’État étaient convaincantes. Elle a privilégié la preuve documentaire au témoignage des demandeurs.

 

[13]           La SPR a aussi conclu, en se fondant sur la preuve documentaire, que la Hongrie reconnaissait franchement ses problèmes passés et qu’elle déployait de sérieux efforts, au moyen de plusieurs mesures, pour corriger le tir en ce qui concerne le traitement des minorités, surtout celui réservé aux Roms. La SPR a de plus conclu que, malgré des rapports faisant état de corruption policière, plusieurs sources démontraient que la Hongrie répond aux plaintes qui sont déposées. De plus, si les demandeurs étaient victimes de discrimination, ils pouvaient avoir recours à l’Autorité pour l’égalité de traitement, demander une indemnisation par l’entremise du système judiciaire ou déposer des plaintes auprès de l’Association des agents de police roms.

 

[14]           La SPR a relevé que la Hongrie fait de l’objet de critiques au sujet des mesures qu’elle avait prises pour mettre en œuvre les lois qu’elle avait adoptées en vue de régler les problèmes de discrimination et de persécution ainsi que pour combattre le racisme, surtout celui envers les Roms. Cependant, il est important de souligner que la Hongrie fait partie de l’Union européenne (UE) et qu’elle est par conséquent tenue de maintenir diverses normes en vue de préserver son statut de membre de l’UE. Par conséquent, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la Hongrie prend les mesures nécessaires pour appliquer les normes exigées par l’Union européenne.

 

[15]           La SPR a conclu que, selon l’ensemble de la preuve, les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État et qu’ils n’avaient pas pris toutes les mesures raisonnables pour se réclamer de cette protection avant de présenter une demande d’asile. La SPR n’était pas convaincue que les demandeurs n’auraient pas bénéficié d’une telle protection s’ils en avaient fait la demande. Il n’y avait pas une preuve suffisamment convaincante pour démontrer qu’il existait une possibilité sérieuse que les demandeurs soient exposés à de la persécution, au titre de l’article 96, ou qu’ils étaient, selon la prépondérance des probabilités, exposés à une menace à leurs vies ou un risque de peine cruelle et inusitée ou de torture, au titre de l’article 97, s’ils étaient renvoyés en Hongrie.

 

Les questions en litige

[16]           Les demandeurs soutiennent que lorsque la SPR a conclu qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger, elle a commis les erreurs de droit ou de fait suivantes :

a)      elle n’a pas fait un examen raisonnable de la preuve dans son ensemble et elle n’a pas eu d’égard à la totalité de la preuve;

b)      elle a mal interprété la question de la persécution et elle ne s’est pas penchée sur la nature cumulative des facteurs de discrimination et de la violence dont les demandeurs avaient été victimes dans l’ensemble;

c)      elle a commis une erreur dans son appréciation de la protection de l’État.

 

[17]           Il ne fait aucun doute, à la lecture de la décision de la SPR, que la question déterminante était celle de la protection de l’État. Puisque la décision n’aborde pas précisément la question de la persécution ou du risque, on peut prendre pour acquis que la SPR souscrivait à la prétention des demandeurs quant à cette composante de l’analyse. Par conséquent, je suis d’avis qu’en l’espèce, la question en litige est de savoir si la décision de la SPR, selon laquelle la protection de l’État était disponible en Hongrie, était raisonnable eu égard à la preuve dont elle disposait.

 

La norme de contrôle applicable

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 57, qu’il n’est pas nécessaire de mener une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. (Dunsmuir, précité; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009CAF 189 (Kisana), au paragraphe 18).

 

[19]           La Cour a conclu que les décisions relatives à la protection de l’État sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38; Orellana Ortega c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 611, au paragraphe 7; Mendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, [2008] ACF no 771, aux paragraphes 11 à 13). Par conséquent, la norme de contrôle applicable en l’espèce est la raisonnabilité.

 

Analyse

La position des demandeurs

[20]           Les demandeurs soutiennent que leurs allégations devraient être acceptées comme étant des faits, puisque la SPR n’a pas tiré de conclusions défavorables en matière de crédibilité. Bien que la SPR ait reconnu que les Roms font l’objet de discrimination dans presque tous les aspects de la vie, elle a omis de faire un examen distinct de la question de la persécution. Cela conduit à la présomption selon laquelle elle a reconnu que les demandeurs avaient été persécutés en Hongrie.

 

[21]           Les demandeurs prétendent aussi que la SPR avait l’obligation de tenir compte de la nature cumulative des incidents de violence et de discrimination dont ils avaient fait l’objet pour établir s’ils avaient une crainte fondée de persécution. Dans l’éventualité où elle ne faisait pas un tel examen, la SPR devait expliquer pourquoi ces incidents n’équivalaient pas à de la persécution.

 

[22]           En ce qui concerne la protection de l’État, les demandeurs soutiennent que la Commission disposait d’éléments de preuve selon lesquels les demandeurs avaient tenté d’obtenir la protection de la police et qu’ils avaient signalé des incidents au GMR à plus ou moins 20 occasions.

 

[23]           Les demandeurs prétendent aussi que la SPR a commis une erreur dans son analyse lorsqu’elle a refusé de tenir compte d’éléments de preuve non contredits qui étayaient leur témoignage ainsi qu’en y privilégiant la preuve documentaire. Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve quant à l’absence de protection de l’État adéquate en Hongrie, autant d’un point de vue spécifique d’un point général, éléments de preuve dont la SPR n’a pas tenu compte. Les demandeurs soutiennent que la SPR a aussi omis d’apprécier « l’efficacité concrète » des efforts déployés par la Hongrie pour régler les problèmes de discrimination et de persécution des Roms hongrois. Par conséquent, l’examen de la SPR quant aux allégations était incomplet. Les demandeurs ont produit un aperçu exhaustif des précédents qui, selon eux, appuient leur position.

 

La position du défendeur

[24]           Le défendeur soutient que la décision de la SPR était raisonnable, et ce, pour trois motifs. Premièrement, selon la preuve fournie par les demandeurs, la discrimination dont ils faisaient l’objet n’équivalait pas à de la persécution. Deuxièmement, les demandeurs n’ont pas déployé des efforts raisonnables en vue d’obtenir la protection. En dernier lieu, la preuve documentaire démontrait que des efforts déployés par l’État pour protéger les Roms donnaient des résultats.

 

[25]           La SPR a examiné toute la preuve, et ce faisant, elle avait le droit de privilégier la preuve documentaire aux témoignages fournis par les demandeurs, et ce, même en l’absence d’une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Le défendeur prétend que les demandeurs demandent simplement à la Cour de soupeser la preuve à nouveau.

 

[26]           Le défendeur soutient que, même si la SPR avait conclu que les demandeurs avaient fait l’objet de persécution, cela n’établit pas qu’ils seront persécutés à l’avenir. Le défendeur reconnaît que les éléments de preuve relatant des incidents ne constituant pas de la persécution, mais qui témoignent d’une persécution systématique, ne peuvent être mis de côté. Cependant, il soutient que les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que la SPR avait fait fi de tels éléments de preuve quant à la persécution, parce qu’elle avait fait mention des pratiques discriminatoires dont avaient été victimes tous les membres de la famille à l’école et en ce qui avait trait à l’accès aux discothèques, aux emplois et aux lieux publics. La SPR a clairement relevé que les actes discriminatoires n’étaient pas constitutifs d’une crainte fondée de persécution, parce que les demandeurs avaient accès à la protection de l’État.

 

[27]           Le défendeur soutient que les conclusions tirées par la SPR au sujet de la protection de l’État étaient raisonnables. Il incombait aux demandeurs de réfuter la présomption relative à la protection de l’État, ce qu’ils n’ont pas réussi à faire. De plus, exiger que la protection de l’État soit efficace constitue une norme inatteignable; le bon critère quant à la protection de l’État est celui de savoir si elle est adéquate.

 

[28]           La SPR a examiné la preuve des demandeurs au sujet de la protection de l’État conjointement avec la preuve documentaire, qui comprenait des éléments de preuve qui contredisaient la preuve des demandeurs. Les motifs de la SPR démontrent qu’elle avait fait mention des efforts déployés par l’État, mais qu’elle s’était aussi penchée sur les résultats découlant de ces efforts.

 

[29]           De plus, les demandeurs doivent, pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État, convaincre la SPR qu’ils s’étaient adressés à l’État pour obtenir de la protection lorsqu’une telle protection pouvait raisonnablement être offerte. Dans plusieurs cas, les demandeurs n’avaient pas signalé quoi que ce soit aux policiers et il n’y avait pas suffisamment de renseignements qui donnaient à penser que la police ne faisait pas enquête de manière authentique relativement aux allégations formulées par les demandeurs et qu’elle ne tentait pas d’appréhender les assaillants.

 

[30]           Le défendeur soutient que la réticence subjective des demandeurs à se réclamer de la protection de l’État n’est pas suffisante pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État, tout comme l’est leurs tentatives infructueuses d’obtenir de la protection de la part des policiers. La protection de l’État peut être offerte sous forme d’organismes étatiques ou d’organismes financés par l’État.

 

Analyse

[31]           La SPR a conclu que la disponibilité de la protection de l’État était la question déterminante relativement à la demande d’asile des demandeurs. Il n’y avait pas de doutes quant à la crédibilité, comme le confirme la transcription de l’audience tenue devant la SPR. Lorsque le conseil des demandeurs a soulevé la question de la crédibilité, la SPR a répondu ceci : [traduction] « Je vais vous arrêter là monsieur, parce que je crois que votre client était très crédible ».

 

[32]           Le défendeur prétend que d’exiger que la protection de l’État soit efficace constitue une norme inatteignable et que le bon critère est celui de savoir si la protection de l’État est adéquate. Il invoque, à cet égard. Samuel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 762 (Samuel), aux paragraphes 10 et 13; Mendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584 (1e inst) (Mendez), au paragraphe 23; Suarez Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 723 (1e inst) (Suarez), aux paragraphes 9 à 11; Kis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2012 CF 606 (Kis); Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 530 (Molnar); Racz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 436 (Racz); Horvath et al c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 253 (Horvath); Balough c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 216 (Balough).

 

[33]           Ni Razc, précitée, ni Balough, précitée, ne portaient sur l’efficacité concrète de la protection de l’État en Hongrie. Dans la décision Kis, précitée, le juge Near a conclu que le critère approprié concernant la protection de l’État est la suffisance de celle‑ci, et non son efficacité intrinsèque.

 

[34]           Il pourrait être utile d’apporter des clarifications aux principes relatifs à la protection de l’État qui s’appliquent dans la présente affaire. Selon ces principes, qui avaient été établis précédemment dans les arrêts Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 (Ward) et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Flores Carillo, 2008 CAF 94, [2008] ACF no 399 (Carillo), un demandeur d’asile « doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » (Carillo, précité, au paragraphe 30).

 

[35]           La protection de l’État n’a pas à être parfaite, mais elle doit être suffisante, et l’omission du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l’État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée » (Ward, précité, au paragraphe 49; Da Souza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1279 (Da Souza), aux paragraphes 15 et 18). Une protection de l’État adéquate nécessite davantage que de faire de « sérieux efforts » en vue de résoudre les problèmes et de protéger les citoyens (Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, [2007] 4 RCF 385 (CF)).

 

[36]           La SPR doit plutôt porter son attention sur ce qui se passe concrètement dans un pays, c’est‑à‑dire, sur la preuve démontrant l’existence d’une protection réelle ou concrète, et non sur les efforts déployés par un État pour la mettre en place. Comme il a été mentionné dans la décision Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250 (Hercegi), au paragraphe 5 , au sujet des demandeurs hongrois d’origine ethnique rom dans cette affaire :

[5]        [...] Ce n’est pas suffisant de dire que des mesures sont prises en vue d’offrir un jour une protection suffisante de l’État. C’est la protection concrète, actuellement offerte qui compte. La preuve établit de façon accablante en l’espèce que la Hongrie est actuellement incapable d’offrir une protection suffisante à ses citoyens Roms. Je reprends les propos que j’ai tenus dans l’arrêt Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1176, aux paragraphes 8 à 11 :

 

8     Une autre erreur de droit a trait à la nature de la protection de l’État qui doit être prise en compte. En l’espèce, le commissaire a conclu que le Mexique « fait de sérieux efforts » pour résoudre le problème. Ce n’est pas là le critère. Ce qui doit être pris en compte est l’efficacité réelle de la protection. [...]

 

[37]           Plusieurs autres décisions ont fait écho à la conclusion tirée dans Hercegi, précitée, notamment Majoros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 421, au paragraphe 12; Gulyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 254, au paragraphe 81; Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438, aux paragraphes 11 et 12; Flores Alcazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 173; Jaroslav c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 634, au paragraphe 75; Beharry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 111, au paragraphe 9; Meza Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, au paragraphe 16, et Bautista c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 120, aux paragraphes 8 à 15.

 

[38]           La Cour a aussi reconnu qu’il est très difficile d’évaluer la situation de la Hongrie. Comme l’a mentionné le juge Russell dans la décision Molnar, précitée, il est n’est pas facile d’effectuer une analyse de la protection de l’État dans un pays comme la Hongrie, où les cas de violation des droits fondamentaux sont évidents et clairement reconnus :

[105]       Il est très difficile d’évaluer la situation de la Hongrie. La réponse à cette question dépend en grande partie des faits et des éléments de preuve présentés dans chaque cas ainsi que de la réponse à la question de savoir si la SPR a procédé à une analyse raisonnable. Dans l’affirmative, j’estime qu’il n’appartient pas à notre Cour d’intervenir, et ce, même si elle aurait pu arriver à une conclusion différente. J’estime que la SPR a procédé à une analyse raisonnable dans le cas qui nous occupe et qu’elle s’est montrée sensible aux principes applicables, qu’elle a appliqués aux faits au dossier d’une manière responsable. Pour cette raison, je ne puis modifier la décision.

 

[39]           Dans Molnar, précitée, le juge Russell a rejeté l’allégation selon laquelle la SPR avait uniquement examiné les efforts déployés par la Hongrie en vue d’assurer une protection, sans toutefois tenir compte du caractère adéquat de la protection de l’État dans les faits. Cependant, il est possible d’effectuer une distinction entre cette affaire et la présente, puisque la crédibilité des demandeurs était mise en doute et que la SPR avait fait un examen approfondi de la protection de l’État en se fondant le dossier dont elle disposait, même si ces éléments n’avaient pas un incident important sur l’analyse de la protection de l’État.

 

[40]           Dans la décision Horvath, précitée, que le défendeur a invoquée, le juge Rennie a conclu au paragraphe 16, que l’affaire dont il est saisi n’en était pas une dans laquelle la SPR « s’en est tenue à des généralisations au sujet du pays en cause sans tenir compte des éléments de preuve précis dont elle disposait, et la Commission ne s’est pas contentée non plus de mentionner les efforts ou les bonnes intentions du gouvernement sans s’interroger sur leur mise en œuvre et sur les résultats concrets ». Il a raisonnablement conclu, en se fondant sur la preuve dont disposait la SPR, que les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État. Cependant, le juge Rennie a apporté des nuances à cette conclusion en déclarant ce qui suit :

[18] Ma conclusion n’enlève rien aux observations que mon collègue, le juge Michel Shore, a formulées dans la décision Kovacs, au paragraphe 66 :

 

Ainsi, il ne suffit pas de démontrer les changements et les améliorations contenues dans l’État hongrois, notamment l’existence de plusieurs recours et la possibilité d’obtenir une protection de l’État hongrois. Encore fautil prouver que les changements sont mis en œuvre de façon efficace dans la pratique. La preuve d’une volonté d’amélioration et des progrès tentés par l’État ne devrait pas constituer, pour le décideur, un indice décisif à l’effet que les mesures potentielles équivalent à une protection efficace dans le pays sous étude. Comme la jurisprudence cidessus le démontre, la volonté, aussi bonne qu’elle pourrait l’être, n’équivaut pas à l’action.

 

[41]           Dans la présente affaire, la SPR a reconnu que les Roms continuent d’être victimes de violentes agressions et qu’ils font l’objet de discrimination dans presque toutes les sphères de la vie, en renvoyant au rapport du Département d’État des États-Unis daté du 8 avril 2011 et intitulé « Hungary » Country Reports on Human Rights Practices for 2010 (le Rapport sur le pays de 2010). La SPR a mentionné que « la Hongrie reconnaît franchement avoir eu des problèmes par le passé, mais qu’elle fait de sérieux efforts pour corriger la façon dont sont traitées les minorités dans ce pays, notamment les Roms ». Elle a aussi déclaré ceci :

La Commission reconnaît que plusieurs sources contenues dans la preuve documentaire comportent certaines incohérences; toutefois, la prépondérance des éléments de preuve objectifs concernant la situation actuelle dans le pays laisse croire que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par la Hongrie aux Roms qui sont victimes de criminalité, d’abus de pouvoir de la part des policiers, de discrimination et de persécution est adéquate, que la Hongrie fait des efforts sérieux pour régler ces problèmes et que la police et les représentants du gouvernement veulent protéger les victimes et qu’ils sont capables de le faire.

 

[42]           La SPR a énoncé, dans le contexte de son examen de la preuve documentaire, que « [l]e gouvernement de la Hongrie [avait] pris des mesures d’ordre juridique et institutionnel afin d’améliorer la situation de la minorité rom ». Bien que la SPR ait relevé les critiques concernant la mise en œuvre des lois hongroises adoptées en vue de répondre au problème de la discrimination et de la persécution de ses minorités, surtout les Roms, elle a aussi déclaré que le gouvernement déploie des efforts « pour tenir compte expressément des problèmes éprouvés par les Roms [...] ».

 

[43]           Au sujet des mesures spécifiques en place en Hongrie, la SPR a mentionné ce qui suit :

•           En 2008, la Garde hongroise, un groupement nationaliste extrémiste, a été déclarée dissoute; cette dissolution avait été confirmée par la Cour suprême de ce pays plus tard dans l’année;

 

•           Les Roms, à l’instar de toutes les autres minorités officiellement reconnues, ont le droit d’élire leur propre gouvernement autonome de la minorité, lequel organise des activités pour la minorité et s’occupe des questions liées à la culture et l’éducation. De plus, le président de ce gouvernement autonome de la minorité a le droit de parole aux assemblées des gouvernements locaux;

 

•           Bien qu’il existe des rapports faisant état de la corruption policière et du recours à la force excessive contre les Roms, l’État prend des mesures lorsque des plaintes sont déposées.

 

•           La Commission indépendante des plaintes contre la police (la CIPP) a commencé ses activités en 2008. Bien que cet organisme fût constitué pour examiner, de manière indépendante, les plaintes contre les interventions policières qui contreviennent aux droits fondamentaux et pour formuler des recommandations au chef de la Police nationale, des critiques sont faites quant au fait que la police n’effectue un suivi seulement à l’égard d’une petite partie des recommandations de la CIPP;

 

•           Au cours des 10 premiers mois de l’année 2009, plus de 4 000 agents de police ont été jugés responsables de manquement disciplinaire, d’infractions mineures ou d’infractions criminelles, ou jugés inaptes à exercer leur fonction. Au cours de la même période, presque 390 agents avaient été condamnés par les tribunaux à des peines de prison, à des peines avec sursis ou à des amendes, ou ont été rétrogradés ou congédiés;

 

•           La CIPP a fait des enquêtes sur les infractions ou les omissions policières ayant eu une incidence sur les droits fondamentaux et elle a relevé 157 violations, qu’elle avait renvoyées au chef de police; ce dernier avait souscrit à une seule conclusion de la CIPP, avait partiellement accepté les conclusions dans 27 cas et les avaient rejetées dans le reste des cas (Rapport sur le pays de 2010 des États-Unis);

 

•           Le commissaire parlementaire aux droits des minorités nationales et ethniques accepte les plaintes de toute personne qui, en raison d’une mesure prise par une organisation gouvernementale, croit qu’il y a eu violation de ces droits en tant que membre d’une minorité. La preuve révèle aussi l’existence de nombreuses autres initiatives semblables entreprises par le gouvernement hongrois en vue de régler les problèmes de corruption au sein des forces policières;

 

•           La police continue de commettre des abus contre les Roms, mais des éléments de preuve révèlent aussi qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités prennent des mesures dans ces cas (aucun renvoi à un élément de preuve documentaire à l’appui);

 

•           Il est possible d’avoir recours à l’Autorité pour l’égalité de traitement : les particuliers peuvent s’adresser à cet organisme pour directement demander réparation dans le cas d’une contravention à l’interdiction de discrimination, et ce, dans le cadre de divers rapports de droits public et privé depuis 2005;

 

•           D’autres recours existent également. Il est possible de demander une indemnisation par l’intermédiaire des tribunaux, ou de s’adresser à l’un des commissaires parlementaires (Conseil de l’Europe. 24 février 2009. Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI). Rapport de l’ECRI sur la Hongrie (quatrième cycle de monitoring));Réponse à la demande d’information HUN103232.EF. 15 octobre 2009) ou à l’Association des agents de police roms. Les plaintes adressées à cet organisme portent généralement sur des questions liées à la discrimination dans l’emploi, au traitement discriminatoire et à la discrimination commise par les autorités chargées de l’application de la loi ou par les agents de police (réponse à la demande d’information HUN103091.EF 21 avril 2009);

 

•           La Hongrie est dotée de l’un des régimes de protection des minorités le plus avancé dans la région et elle a pris de nombreuses initiatives au sujet de la situation des Roms, notamment en matière d’éducation, d’emploi, de logement, de santé et de représentation politique (Societe Institute; Réponse à la demande d’information HUN103232.EF 6 octobre 009 et HUN103267.EF 16 octobre 2009);

 

•           Le gouvernement a déployé nombre d’efforts pour répondre de manière spécifique aux problèmes auxquels sont exposés les Roms (Rapport sur le pays de 2010 des États-Unis, 8 avril 2011);

 

•           La Hongrie fait partie de l’Union européenne et, par conséquent, elle doit se conformer à un certain nombre de normes diverses pour préserver son statut de membre;

 

[44]           Je suis d’avis que la décision de la SPR en ce qui concerne la protection de l’État est davantage descriptive qu’analytique. C’est‑à‑dire qu’elle décrit les efforts déployés par l’État en vue de régler les problèmes de discrimination et de persécution des Roms, ainsi que pour leur offrir une protection, mais elle n’entreprend pas de réelles analyses quant à l’efficacité concrète de ces efforts, ou de leur succès. Comme l’a mentionné le juge Mosley dans la décision EYMV c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, [2011] ACF no 1663 (QL) (EYMV) :

[16]      La Commission n’a fourni aucune analyse quant au caractère satisfaisant des efforts concrets déployés par le gouvernement du Honduras et par les acteurs internationaux pour améliorer la protection de l’État au Honduras. Bien que les efforts déployés par un État soient effectivement pertinents quant à l’analyse de la protection de l’État, ils ne sont ni déterminants ni suffisants (Jaroslav c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 634, [2011] ACF no 816, paragraphe 75). Les efforts doivent avoir, dans les faits, « véritablement engendré une protection adéquate de l’État » (Beharry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 111, paragraphe 9).

 

[45]           Dans Kemenczei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1349 (Kemenczei), au paragraphe 57, le juge Russell a mentionné ce qui suit à propos de l’omission de la SPR de traiter de la suffisance opérationnelle des mécanismes en place pour protéger le peuple rom en Hongrie :

[57]      À mon avis, cette analyse est aux antipodes de ce que la SPR doit faire. L’analyse doit porter sur le cadre législatif et procédural (mesures) que le gouvernement de la Hongrie a tenté d’appliquer, non sur la suffisance opérationnelle de ces mesures.

 

[46]           L’analyse de la SPR est aussi similaire à celle effectuée dans le cas de la décision Moczo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 734 (Moczo). Dans Moczo, la SPR avait rejeté la demande d’asile des demanderesses en se fondant sur sa conclusion selon laquelle la communauté rom de Hongrie pouvait se réclamer de la protection de l’État. Le juge O’Reilly a énoncé ce qui suit au paragraphe 10 :

[10]           En ce qui a trait à la preuve documentaire, la Commission s’est concentrée sur les descriptions des efforts de l’État visant à améliorer la situation en Hongrie et sur les activités des intervenants non gouvernementaux visant à aider l’État. Cependant, la preuve au sujet des efforts de l’État n’aide pas à répondre à la question principale soulevée dans les cas de protection de l’État — c’est-à-dire, si l’on examine la preuve dans son ensemble, y compris la preuve au sujet de la capacité de l’État de protéger ses citoyens, le demandeur a-t-il montré qu’il existe un risque raisonnable qu’il soit exposé à de la persécution dans son pays d’origine? Pour répondre à cette question, la Commission doit déterminer si la preuve portant sur les ressources de l’État dont les demandeurs peuvent se prévaloir montre qu’il n’existe probablement pas de risque raisonnable de persécution s’ils retournaient en Hongrie (voir Muvangua c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 542, aux paragraphes 7 et 9).

 

[47]           Dans la décision Orgona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1438, (Orgona), au paragraphe 11, le juge Zinn a tiré la conclusion suivante, qui s’applique directement à la situation dont est saisie la Cour :

[11]      Ce sont les actes, et non les bonnes intentions, qui démontrent l’existence réelle d’une protection contre la persécution. Voir sur ce point quelques-unes des très nombreuses décisions de la Cour relatives à la protection de l’État en Hongrie : Balogh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 809, au paragraphe 37; Kovacs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1003, au paragraphe 70; Bors c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1004, au paragraphe 63; Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250, au paragraphe 5; Kanto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1049, au paragraphe 40; Sebok c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1107, au paragraphe 22; Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326, au paragraphe 17; Kemenczei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1349, aux paragraphes 57 à 60.

 

[48]           Dans la présente affaire, la SPR a affirmé qu’elle privilégiait « la preuve documentaire plutôt que le témoignage des demandeurs [...], car celle‑ci a été tirée d’un large éventail de documents publics, provenant d’organisations gouvernementales et non gouvernementales fiables ». Cependant, en ce qui concerne la preuve documentaire, la SPR a surtout mis l’accent sur les efforts déployés par l’État en vue d’améliorer la situation en Hongrie et sur les gestes posés par les acteurs non gouvernementaux en vue de l’aider. Elle a omis de se pencher sur le caractère adéquat sur le terrain de ces mesures, tout comme cela avait été le cas dans certains des précédents cités ci‑dessus (Orgona, Moczo, Kemenczei, EYMV, toutes précitées).

 

[49]           Par exemple, le Rapport sur le pays de 2010, précité, mentionne que [traduction] « les ONG de défense des droits de la personne s’étaient plaints que les organismes d’application de la Loi, les procureurs et les tribunaux étaient hésitants à reconnaître l’existence de motivations racistes à l’égard de nombreux crimes ». De plus, le Rapport sur le pays de 2009 révèle que le gouvernement de la Hongrie n’avait pas mis en œuvre de lois efficaces contre la corruption des fonctionnaires, et que la corruption au sein des appareils exécutifs et législatifs de l’État se serait accrue au cours de l’année 2009.

 

[50]           Le Rapport sur le pays de 2010 indique aussi que [traduction] « [l]es Roms étaient toujours victimes de violentes agressions, ce qui suscitait beaucoup d’inquiétude au sein de la population et des différends profonds à l’égard des crimes à caractère raciste [...] ». De plus, [traduction] « les Roms faisaient plus fréquemment l’objet de détention et de profilage racial que les noms‑Roms ». Le rapport énonce que, selon l’Union hongroise pour les libertés civiles (l’UHLC), [traduction] « la police et les municipalités appliquaient de manière sélective les lois à l’encontre de la communauté Rom, dans le but de les maintenir isolés et de restreindre leur liberté de mouvement » (page 34 du rapport/page 190 du dossier). Pour renchérir, [traduction] « [d]es organisations non gouvernementales de défense des droits de la personne ont signalé que les Roms subissaient de la discrimination dans presque tous les domaines de la vie quotidienne, en particulier l’emploi, l’éducation, le logement, les établissements pénitentiaires et l’accès aux endroits publics, comme les restaurants et les bars ». Aussi, l’UHLC, [traduction] « la police et les municipalités appliquaient de manière sélective les lois à l’encontre de la communauté Rom, dans le but de les maintenir isolés et de restreindre leur liberté de mouvement ».

 

[51]           De plus, le Conseil de l’Europe, dans le Rapport de l’ECRI sur la Hongrie (quatrième cycle de monitoring), publié le 24 février 2009, affirme que « [d]epuis le troisième rapport de l’ECRI, la Hongrie a connu un développement particulièrement alarmant, avec une forte recrudescence du racisme dans le discours public ». L’ECRI note aussi que « des actes de brutalité policière à l’encontre des Roms sont toujours signalés ». Les Roms de Hongrie continuent de faire l’objet violence à caractère raciste, de racisme dans la sphère publique ainsi que de crimes à caractère raciste.

 

[52]           L’ECRI formule aussi plusieurs recommandations, lesquelles concernent surtout le manque de suivi quant à la conformité à la loi et aux mesures, ainsi qu’à la mise en œuvre de ces mesures. L’ECRI énonce ceci :

L’ECRI réitère sa recommandation de trouver des moyens d’évaluer la situation des groupes minoritaires dans différents domaines de la vie et souligne que le suivi est essentiel pour mesurer les effets et le succès des politiques mises en place pour améliorer la situation. [...]

 

[53]           L’ECRI fait aussi mention du fait que les ONG soulignent que :

[...] la rareté des déclarations de violences racistes ne signifie pas pour autant que ces actes ne sont pas commis, car les victimes sont souvent réticentes à se faire connaître ou à signaler les aspects racistes de ce type d’infractions, que ce soit à cause d’un sentiment de honte, par peur des représailles ou parce qu’elles estiment peu probable que des suites sérieuses soient données à ce genre d’affaire.

 

[54]           De plus, Amnesty International était préoccupée par le fait que « les autorités hongroises ne prennent pas les mesures nécessaires pour prévenir les violences contre les Roms et y réagir de façon efficace du fait des lacunes et des carences que présente le système judiciaire du pays ». (Novembre 2010. Agressions contre les Roms en Hongrie. (EUR 27/0010/2010) (le Rapport d’Amnesty International). Ce rapport mentionne aussi que « [l]es dispositions relatives aux crimes de haine ne sont pas complètement mises en œuvre [...] ».

 

[55]           De plus, le Centre européen de défense des droits des Roms énonce ce qui suit :

[traduction]

[...] la discrimination est omni présente dans tous les aspects de la vie pour les Roms en Hongrie, et elle est encore plus flagrante dans les domaines de l’éducation, de l’habitation et de l’accès au service public. Le gouvernement n’a pas réussi à empêcher, à interdire et à éradiquer la pratique de ségrégation raciale en matière d’éducation et d’habitation. Les mesures légales et administratives visant à interdire la discrimination raciale sont à ce jour inefficace pour interdire et mettre un terme à la discrimination raciale dont les Roms font l’objet en Hongrie. De plus, il n’existe pas données statistiques disponibles au sujet de la race et l’ethnicité, ce qui nuit à l’examen de la discrimination pour ces motifs et à la lutte contre celle‑ci (document du Centre européen de défense des droits des Roms, de Chance for Children Foundation et du Comité Helsinki hongrois, présenté à la 98e session du Comité des Nations unis pour analyse).

 

[56]           En ce qui a trait à la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs d’asile n’avaient pas pris toutes les mesures raisonnables pour solliciter la protection, le paragraphe suivant, rédigé par le juge Zinn dans la décision Majoros, précitée, s’applique à la présente situation :

[20]           Comme je l’ai dit ci-dessus, la Commission a omis de se poser la question suivante : la protection de l’État aurait-elle été plus facile à obtenir si les demandeurs avaient tenté de faire un suivi, par exemple auprès de l’Ombudsman des minorités? Auraient-ils été plus en sécurité ou mieux protégés? Une fois encore, au lieu de considérer que les interactions entre les demandeurs et la police avaient une valeur probante relativement à la question de droit – l’État offretil une protection? –, la Commission s’est fondée sur les efforts déployés par les demandeurs en vue d’obtenir l’aide de la police (efforts inadéquats, à son avis) pour conclure que les demandes d’asile ne pouvaient être accueillies. Je le répète : il s’agissait d’une erreur.

 

[57]           De la même façon en l’espèce, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État, en partie parce qu’ils ne l’avaient pas sollicité. Cependant, la preuve révèle que les demandeurs avaient signalé un indice à la police, qui, en réponse à des questions que les demandeurs leur avaient posées pour faire un suivi, lui avait mentionné qu’elle allait fermer le dossier parce qu’elle n’avait pas été capable de déterminer l’identité des assaillants. Cela n’appuie pas la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait pas suffisamment de preuve pour donner à penser que la police ne déployait pas des efforts sérieux et véritables pour faire enquête sur les allégations et pour arrêter les agresseurs. De plus, dans les cas où la protection ne peut raisonnablement être assurée, il n’est pas nécessaire de la rechercher (Ward, précité).

 

[58]           Quant à la proposition selon laquelle les demandeurs n’avaient pas tenté d’acheminer leurs plaintes à une autorité supérieure, il convient de souligner que les rapports concernant la situation dans le pays décrivent l’Association des agents de police roms, un organisme auquel la SPR a renvoyé dans ce contexte, comme étant un organisme visant surtout à aider les policiers qui en sont membres. Dans la même veine, comme l’a mentionné la SPR, l’Autorité pour l’égalité de traitement est surtout préoccupée par la discrimination dans les relations de droit public et de droit privé. La SPR a aussi mentionné l’existence du commissaire parlementaire aux droits des minorités nationales et ethniques, auquel il est possible de s’adresser pour obtenir une indemnisation. Cependant, comme il a été énoncé dans la décision Majoros, précitée, il est difficile de voir en quoi la protection de l’État aurait été plus efficace ou plus accessible s’ils avaient transmis leurs plaintes à ces organismes. Les demandeurs ont bel et bien mentionné qu’ils avaient déposé plus de 20 plaintes au GMR relativement à la discrimination dont étaient victimes leurs enfants à l’école. Cette démarche s’était avérée inefficace et elle n’avait pas eu pour effet de rendre davantage disponible la protection de l’État.

 

[59]           En ce qui concerne la CIPP, la SPR a déclaré que cet organisme avait été créé en vue d’examiner, de manière indépendante, les plaintes relativement aux mesures policières qui contreviennent aux droits fondamentaux et pour formuler des recommandations au chef de la police nationale. Cependant, comme l’a reconnu la SPR, il existe des critiques selon lesquelles la police avait seulement effectué le suivi d’une petite partie des plaintes qui avait été adressée. De plus, les rapports sur les pays mentionnent que les pouvoirs de la CIPP en matière d’enquête sont « insuffisants » et que ceux‑ci sont généralement circonscris à la plainte et au dossier sur le cas que lui a transmis la police, ce qui fait en sorte qu’il est difficile pour la CIPP de reconstituer les faits (Comité Helsinki hongrois. 21 September 2009. Krisztina Fodor Lukacs, Andras Kadar et Judit Kovac Zsolt Kortvelyesi. GusztaNagy. Evaluating a Year and a HalfThe Most Important Problems Emerged in the Practice of the Independent Police Complaints Board of Hungary).

 

[60]           En résumé, la SPR a commis une erreur dans son analyse concernant la protection de l’État, et ce, en mettant presque exclusivement l’accent sur les efforts déployés par le gouvernement hongrois en vue de lutter contre la persécution dont font l’objet les Roms, tout en effectuant aucune analyse, ou si peu, quant à l’efficacité concrète de ces mesures. La SPR a aussi mis l’accent sur la prétendue omission des demandeurs de se réclamer de la protection auprès d’organismes subsidiaires, sans examiner ce que « le recours à la police aurait donné dans les faits du point de vue de la vraie question de la protection de l’État », comme c’était le cas dans la décision Majoros, précitée, au paragraphe 21. Par conséquent, compte tenu de la preuve dont je dispose, la décision de la SPR est déraisonnable et elle doit être annulée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de la SPR est annulée et que l’affaire est renvoyé à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvelle décision. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée en vue d’être certifiée et la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


ANNEXE

 

La disposition suivante de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, est pertinente en l’espèce :

18.1 [...]

 

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas:

 

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

 

 

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

 

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

 

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

18.1 [...]

 

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

 

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

 

 

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

 

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

 

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

 

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

 

Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 sont pertinentes en l’espèce :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5804-12

 

INTITULÉ :                                      CSABA BERI et AL

                                                            c

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 9 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mieszko Wlodarczyk

 

POUR LES DEMANDEURS

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rochon Genova LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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