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Date : 20130515

Dossier : IMM-5166-12

Référence : 2013 CF 510

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Calgary (Alberta), le 15 mai 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

Entre :

 

RICARDO ANTONIO COREAS CONTRERAS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accepté que le demandeur, M. Coreas Contreras, était personnellement exposé à un risque sa vie en El Salvador et que, s’il y retournait, il était probable que des membres d’un gang arriveraient à le retrouver. La commissaire a cependant conclu que les risques auxquels M. Coreas était exposé étaient les mêmes pour tous les propriétaires de petites entreprises en El Salvador. Par conséquent, elle a conclu qu’il n’était pas une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR].

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la commissaire a commis une erreur et que l’affaire doit être renvoyée à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision.

 

LE CONTEXTE :

 

[3]               M. Coreas a fait le récit d’un historique de demandes d’extorsion, de menaces et de violence de la part du gang Mara 18, qui ont débuté en mars 2000 et qui se sont poursuivies jusqu’en 2011. Il a demandé l’aide des policiers et on lui a dit de déménager. Il l’a fait plusieurs fois, mais les demandes ont continué. À divers moments au cours des 11 années suivantes, il a payé l’extorsion, jusqu’à ce que les montants demandés deviennent trop importants pour qu’il puisse les payer, et alors il arrêtait. Les menaces et la violence recommençaient alors. Son fils a été menacé à l’école. Son magasin et la maison de ses parents ont été vandalisés et ses parents ont été agressés. Son père a subi une crise cardiaque dont il est mort.

 

[4]               Le demandeur s’est caché dans une autre ville, Santa Marta. Le 15 janvier 2011, le gang l’a retrouvé. Des membres du gang se sont présentés à sa maison et l’ont battu devant sa famille. Des voisins ont entendu les enfants crier et se sont présentés à la maison avec des roches et des bâtons pour aider, effrayant les membres du gang. M. Coreas a été transporté à l’hôpital où il a été soigné pour des blessures à l’arme blanche à la jambe et à l’estomac. À ce moment, il a réalisé qu’il devait quitter le pays.

 

[5]               M. Coreas a quitté El Salvador en mars 2011. Il a passé plusieurs mois aux États-Unis, puis il a traversé au Canada pour y demander l’asile, parce que sa sœur habite à Red Deer (Alberta).

 

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE :

 

[6]               La demande d’asile du demandeur a été abandonnée à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR), parce que le demandeur a reconnu qu’il n’existait aucun lien avec un motif prévu à la Convention. Le demandeur a poursuivi sa demande fondée sur le fait qu’il est une personne à protéger. Il a été conclu que le témoignage de M. Coreas était crédible et cohérent par rapport au document sur la situation du pays. La commissaire a exprimé de la sympathie pour la situation horrible que M. Coreas avait vécue. Compte tenu des faits présentés, que la commissaire a acceptés, il était impossible pour le demandeur de se prévaloir de la protection de l’État ou de trouver une possibilité de refuge intérieur.

 

[7]               La commissaire a conclu que la jurisprudence de la Cour fédérale établissait qu’un risque personnalisé auquel était aussi exposé un large sous-groupe de la population ne satisfaisait pas aux critères de l’article 97. À son avis, l’une des questions importantes était la raison initiale pour laquelle M. Coreas avait été ciblé. Il n’avait pas été ciblé pour des raisons personnelles au départ, mais simplement parce qu’il était une personne qui possédait une petite entreprise. Sa situation faisait partie d’une « pratique générale de violence, d’intimidation et d’extorsion qui a cours au Salvador ».

 

[8]               La commissaire a tenu compte des documents sur la situation du pays, qui montraient que le défaut de se conformer aux demandes du gang pouvait avoir des conséquences allant jusqu’au risque d’être assassiné. Cependant, cette situation n’était pas unique à M. Coreas. La commissaire a mentionné que beaucoup des décisions de la Cour fédérale traitant du risque généralisé comportaient des situations dans lesquelles les conséquences pour le demandeur comprenaient des menaces de mort.

 

[9]               La commissaire a déclaré qu’elle n’avait pas compétence pour prendre des mesures spéciales au sujet des difficultés auxquelles le demandeur était exposé dans son pays d’origine. Pour obtenir la protection prévue à l’article 97, la commissaire a conclu que le demandeur devait être exposé à un risque personnalisé qui n’est pas généralisé.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE :

 

[10]           La seule question à trancher à mon avis est celle de savoir si la commissaire a rendu une décision raisonnable fondée sur une appréciation raisonnable de la preuve. Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle la commissaire devait interpréter la loi, mais plutôt une affaire dans laquelle elle devait appliquer aux faits en l’espèce la loi de la façon dont elle a été interprétée par la Cour. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui est assujetti à la norme de la décision raisonnable : Diabate c Canada (MCI), 2013 CF 129 (la juge Gleason), aux paragraphes 9 à 17.

 

[11]           Le demandeur a soulevé une autre question. Il soutient que la commissaire a commis une erreur en n’appliquant pas l’interprétation de l’article 97 établie par le juge Campbell dans l’affaire Muñoz c Canada (MCI), 2012 CF 716, aux paragraphes 8 à 10.

 

[12]           Je note que les motifs du juge Campbell dans l’affaire Muñoz ont été rendus environ cinq semaines après la décision de la Commission à l’espèce. De plus, au moment où j’écris la présente décision, les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance dans l’affaire Muñoz n’ont pas encore été publiés sur le site Web de la Cour fédérale. Par conséquent, on ne peut pas reprocher à la commissaire de ne pas avoir inclus ces motifs dans son appréciation de la jurisprudence et son analyse.

 

 

ANALYSE :

 

[13]           Les éléments d’une demande présentée en application de l’article 97 ont été établis par le juge Zinn dans la décision Corrado Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1210, aux paragraphes 25 et 26 :

[25]      Aux termes du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi, a qualité de personne à protéger « la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité […], exposée […] à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités [si] elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas ».

 

[26]      Il ressort clairement d’une analyse minutieuse de cette disposition que, pour que la qualité de personne à protéger soit reconnue à un demandeur d’asile, il faut conclure :

a.         que le demandeur d’asile est au Canada;

b.         qu’il serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont il a la nationalité, exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités;

c.         qu’il y serait exposé en tout lieu de ce pays;

d.         que « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne […] sont généralement » pas exposées à ce risque personnel.

 

Ces quatre conditions doivent être remplies pour que la personne soit une personne à protéger au sens de la Loi. Seules les personnes à protéger sont autorisées à demeurer au Canada. 

 

 

[14]           Le juge Zinn a ensuite expliqué, au paragraphe 27 et 28, qu’il était essentiel de tirer une conclusion de risque personnalisé avant de déterminer s’il s’agissait d’un risque auquel d’autres personnes au pays étaient généralement exposées et que le risque devait correspondre à l’alinéa 97(1)b)(ii) : une menace sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Ce n’est qu’après avoir conclu qu’il existe un tel risque personnalisé pour le demandeur — par ce que s’il n’y a aucun risque, l’affaire est close — que le décideur peut ensuite examiner s’il s’agit d’un risque auquel la population générale est exposée.

 

[15]           La juge Gleason a adopté une approche différente dans la décision Portillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 678, au paragraphe 36, dans laquelle elle a conclu qu’un risque n’est plus généralisé si une personne est exposée à une menace personnalisée à sa vie ou à un risque personnalisé de traitements ou peines cruels et inusités. Elle a ensuite examiné la jurisprudence de la Cour. Dans d’autres décisions, on a décrit la jurisprudence comme étant divisée au sujet de l’interprétation appropriée qui doit être donnée à la notion de « risque généralisé » : Roberts c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 298, au paragraphe 13; Olvera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2012 CF 1048, au paragraphe 37; Malvaez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1476, aux paragraphes 13 à 16.

 

[16]           À mon avis, la prétendue division au sein de la Cour est plus apparente que réelle. Chaque décision est un cas d’espèce. Dans les décisions qui ont été rendues en faveur du demandeur, les antécédents d’abus étaient aggravés, persistants et distincts de ceux vécus par d’autres personnes qui pouvaient faire partie du groupe auquel le demandeur appartient. Lorsque la demande a été rejetée, la preuve ne permettait pas d’établir que le demandeur serait exposé à un risque prospectif dans une mesure plus importante qu’un autre membre du même groupe de comparaison dans le pays d’origine du demandeur. Voir par exemple Perlaza Montano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 207, au paragraphe 10, et les décisions qui y sont citées.

 

 

[17]           Je note que dans l’affaire Muñoz, précitée, le juge Campbell a conclu que, comme question de droit, la SPR doit définir les caractéristiques et la taille de la population en fonction de laquelle l’expérience du demandeur est comparée. Au paragraphe 8, il a conclu qu’il n’était pas suffisant de déclarer que le sous-groupe est composé d’[traduction] « autres commerçants qui sont visés de la même façon » et que la SPR doit déterminer qui sont les membres du groupe qui sont exposés au même risque que le demandeur et doit déterminer la taille de ce groupe. Cela transfère le fardeau de la preuve du demandeur à la SPR et dépasse ce que les Cours ont jusqu’à maintenant exigé dans l’application de l’article 97. Voir par exemple Cano Ponce c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 181.

 

[18]           En l’espèce, la SPR a conclu que le demandeur était exposé à une menace à sa vie ou à une peine ou des traitements cruels et inusités personnalisés s’il retournait dans son pays. La commissaire a accepté que les Mara 18 avaient retracé M. Coreas pendant plus de dix ans et l’avaient suivi d’un quartier à l’autre, qu’ils « doivent entretenir la peur et veiller au respect de leurs demandes afin de perpétuer leur pouvoir » (paragraphe 9 de la décision) et que « Si vous retournez dans votre pays, il est possible que les membres du gang vous retrouvent de nouveau un jour et qu’ils recommencent à vous extorquer de l’argent » (paragraphe 10). Une conclusion raisonnable compte tenu de la preuve que la commissaire avait acceptée aurait été que le demandeur était exposé à un risque personnalisé prospectif.

 

[19]           L’erreur de la commissaire a été de combiner le risque actuel avec la raison initiale de ce risque. Dans ses motifs de décision, la commissaire a déclaré que « La raison initiale de la prise pour cible constitue une question essentielle dans le cadre de cette analyse » (paragraphe 15). Cependant, le fait que le risque découlait initialement d’une activité criminelle qui aurait pu menacer n’importe quel propriétaire de petite entreprise n’était pas pertinent quant à la situation personnalisée qui s’était éventuellement développée et qui était le fondement de la demande en application de l’article 97 : Camargo Vivero c Canada (MCI), 2012 CF 138, au paragraphe 11. L’article 97 ne doit pas être interprété d’une manière qui le vide de son sens. La question n’est pas de savoir ce qui a initialement créé le risque, mais plutôt de savoir s’il s’agit d’un risque auquel le demandeur est personnellement exposé et auquel d’autres personnes ne sont pas généralement exposées dans le pays : Vaquerano Lovato c Canada (MCI), 2012 CF 143, aux paragraphes 13 et 14.

 

[20]           La question que la Cour doit alors trancher est celle de savoir si la décision de la commissaire mérite la retenue. Je suis d’accord avec le demandeur que les motifs de la commissaire montrent qu’elle s’est indûment attardée à l’origine du risque auquel le demandeur était exposé à titre de propriétaire d’une petite entreprise et qu’elle n’a pas correctement examiné si ce risque avait évolué au cours des années parce que M. Coreas avait défié les demandes des Mara 18. Compte tenu des conclusions de la commissaire, je ne crois pas qu’il était possible et acceptable de conclure que M. Coreas n’est pas une personne à protéger.

 

[21]           Aucune question n’est proposée aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen conformément aux présents motifs. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5166-12

 

INTITULÉ :                                      RICARDO ANTONIO COREAS CONTRERAS

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 13 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 15 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brjorn Harsanyi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rick Garvin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BJORN HARSANYI

Stewart Sharma Harsanyi

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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