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Date : 20130729

 

Dossier :

IMM-12714-12

 

Référence : 2013 CF 826

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

ROLANDS GRINBERGS

 

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

partie défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Monsieur Grinbergs est citoyen de la Lettonie. Aujourd’hui âgé de 46 ans, il est né d’un père d’origine lettone et d’une mère d’origine russe. Il allègue avoir été victime de trois agressions par des néo-nazis pour avoir pris publiquement la parole devant des individus d’origine russe, à Riga, dans le but de dénoncer la discrimination et la tension qui régnaient entre les membres de différentes origines ethniques en Lettonie. Ces incidents auraient eu lieu le 9 mai 2009, le 16 mars 2010 et le 9 mai 2010. Monsieur Grinbergs dit avoir tenté de faire appel aux policiers à la suite de chacun de ces incidents, mais ceux-ci auraient refusé de l’aider.

 

[2]               Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, rendue le 8 novembre 2012, dans le dossier de la SPR : MB0-04031, selon laquelle la demande d’asile du demandeur a été rejetée au motif qu’il n’a ni le statut de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, ni la qualité de personne à protéger.

 

[3]               La documentation médicale retrouvée dans le dossier du tribunal indique qu’il a été examiné le 16 mars 2010. Le diagnostic élargi dans l’extrait du carnet de maladie du patient indique que monsieur Grinbergs a souffert d’une contusion cérébrale, d’une fracture de nez ainsi que des contusions au visage suite à une agression.

 

[4]               Il a également été hospitalisé du 9 au 12 mai 2010. L’extrait du carnet de maladie du patient indique que monsieur Grinbergs a été diagnostiqué avec une contusion cérébrale, une fracture des cotes 6 et 7 droites, ainsi que des hématomes au visage et sur le corps. Le patient a été transporté par ambulance après avoir été battu à Riga - cette information a été transmise à la police.

 

[5]               Monsieur Grinbergs a également reçu, environ une fois par mois, des menaces par téléphone ainsi que par messages texte.

 

[6]               Craignant pour sa vie et désirant fuir la persécution des nationalistes et des skinheads néo-nazis, M. Grinbergs a quitté la Lettonie le 15 juin 2010 pour venir au Canada. Il a demandé l’asile dès son arrivée.

 

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

 

[7]               La SPR a conclu que le demandeur n’avait ni le statut de réfugié au sens de la Convention, ni la qualité de personne à protéger. La question déterminante était celle de la crédibilité des allégations du demandeur.

 

[8]               Le tribunal a noté plusieurs divergences dans le témoignage du demandeur. Il a conclu que le demandeur n’avait pas démontré les éléments constitutifs de sa demande selon la prépondérance des probabilités, et qu’il ne s’était donc pas déchargé de son fardeau d’établir qu’un retour en Lettonie l’exposerait à une possibilité sérieuse de persécution ou une probabilité d’être exposé à une menace à sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à la torture.

 

[9]               Le tribunal a notamment souligné que la preuve documentaire dont il disposait ne faisait état d’aucune agression physique et répétée à l’encontre de gens qui, à l’instar du demandeur, pourraient être perçus comme des membres de la minorité russe en Lettonie. Il n’a pas donné foi aux explications offertes par le demandeur à cet égard, soit que les agressions dont il a été victime n’y sont tout simplement pas rapportées. En outre, le tribunal a souligné le caractère démocratique de la Lettonie et l’existence d’organisations de protection des droits de la personne.

 

[10]           Le tribunal a également rejeté les explications offertes par le demandeur à l’égard du refus des policiers d’enregistrer sa plainte et des menaces d’emprisonnement qu’ils auraient proférées à son endroit s’il insistait de déposer sa plainte. Selon le demandeur, ces agissements s’expliquent par le fait que les policiers ne veulent pas s’occuper d’arrêter les néo-nazis ou nationalistes en Lettonie. Le tribunal a accordé une plus grande valeur probante à la preuve documentaire. Les renseignements qui s’y trouvent contredisent la position du demandeur, selon qui le portrait de la situation en Lettonie, qui est brossé dans ces documents, n’est pas fidèle à la réalité. Selon le tribunal, le fait que le demandeur ne possédait aucun document à l’appui de ses démarches auprès des policiers et qu’il n’avait pas non plus contesté leur refus d’enquêter minaient sa crédibilité.

 

[11]           Finalement, le tribunal a conclu que la tenue annuelle du défilé traditionnel des membres de la légion lettonne des Waffen SS à Riga ne démontre pas que le gouvernement letton encourage la discrimination des minorités. Le tribunal a constaté que la parade avait en fait été interdite par la mairie de Riga en 2010. Toutefois, cette décision a été infirmée par un tribunal sur le fondement du droit de réunion.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[12]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur de droit en omettant d’expliquer pourquoi elle accordait une plus grande valeur probante à la preuve documentaire. Il demande essentiellement à la Cour d’établir (1) si le tribunal a fondé sa décision sur des éléments non pertinents et non déterminants, et (2) si la décision du tribunal est suffisamment motivée, notamment à savoir si les motifs de la décision permettent de comprendre pourquoi le tribunal a préféré la preuve documentaire à la preuve testimoniale.

 

[13]           Le défendeur soutient pour sa part que le demandeur ne soulève aucun motif sérieux susceptible de permettre à la Cour d’accueillir sa demande de contrôle judiciaire.

 

L’ANALYSE

 

[14]           À la lumière du paragraphe 47 de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la question que doit maintenant se poser cette Cour est celle de savoir si la décision est déraisonnable :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[15]           Il existe des circonstances pour lesquelles la Cour pourrait préférer la description de la situation d’un pays à celui du témoignage de l’appelant, et ce, même si l’appelant bénéficie d’une présomption de véracité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, [1979] ACF no 248 (QL)). Dans l’arrêt Zhou c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 49 ACWS (3d) 558, [1994] ACF no 1087 (QL), M. le juge Linden, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, souligne que :

Nous ne sommes pas persuadés que la section du statut a commis une erreur justifiant notre intervention. Les documents sur lesquels s'est appuyée la Commission ont été régulièrement produits en preuve. La Commission a le droit de s'appuyer sur la preuve documentaire de préférence au témoignage du demandeur de statut. La Commission n'a aucune obligation générale de préciser expressément les éléments de preuve documentaire sur lesquels elle pourrait se fonder. Les autres points soulevés sont aussi sans bien-fondé. L'appel sera rejeté.

 

[16]           La SPR est arrivée à la conclusion que puisque l’histoire de M. Grinbergs était incohérente avec les conditions du pays, elle ne doit pas être retenue. Toutefois, cette décision n’a pas porté sur la cause des blessures qui ont été documentées indépendamment. Il est clair que monsieur Grinbergs avait été sévèrement battu à deux différentes reprises. À la lumière de ces observations, il incombe à la SPR de fournir une meilleure explication pour laquelle elle ne l’avait pas cru. Comme l’a déclaré madame la juge Tremblay-Lamer dans Agranovsky c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 68 ACWS (3d) 713, [1996] ACF no 923 (QL), au paragraphe 12 :

De même, il est établi que la Commission doit prendre pour avéré le témoignage du requérant. En choisissant de croire la preuve documentaire au lieu du témoignage oral du requérant, la Commission se devait de donner des motifs pour ce choix. Ce principe est clair de l'affaire Okyere-Akosah c. M.E.I. dans laquelle la Cour d'appel fédérale a statué à la p. 389 :

 

Since there is a presumption as to the truth of the appellant's testimony [...], the Board was bound to state in clear and unmistakable terms why it preferred the documentary evidence over the appellant's testimonial evidence.

 

Le juge Cullen réitérait ce principe dans l'affaire Sidhu c. M.E.I. :

 

...where a refugee Board rejects a claim on the ground that the claimant is not credible, it must state the ground clearly, and it must give reasons for the credibility finding and why it prefers the documentary evidence over the claimant's viva voce evidence.

 

[Notes de bas de page omises]

 

[17]           On pourrait possiblement considérer ce passage trop général, mais il est certainement à propos lorsque l’on tient compte des rapports médicaux.

 

[18]           Un des motifs d’examen en vertu de l’article 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales porte sur le fait que la décision a été rendue sans tenir compte des éléments dont le tribunal dispose. Il se peut qu’il ait d’autres explications pour les blessures de M. Grinbergs, par contre il est déraisonnable de les ignorer compte tenu des circonstances en l’espèce

ORDONNANCE

POUR CES MOTIFS;

LA COUR ORDONNE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         La décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, dossier de la SPR : MB0-04031, est annulée.

3.         L’affaire est renvoyée à la SPR pour faire l’objet d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

4.         Cette affaire ne soulève aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

                                                           

DOSSIER :

IMM-12714-12

 

INTITULÉ :

ROLANDS GRINBERGS c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 24 juillet 2013

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

                                                            LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 29 JUILLET 2013

COMPARUTIONS :

Me Cécilia Ageorges

Pour la partie demanderesse

 

Me Margarita Tzavelakos

Pour la partie défenderesse

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sabine Venturelli

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour lA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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