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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20130731

Dossier : IMM-5152-12

Référence : 2013 CF 839

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

CEREN YILDIZ

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue de solliciter le contrôle judiciaire d’une décision, datée du 4 mai 2012, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n'avait ni la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger, au sens de l'article 96 et du paragraphe 97(1), respectivement, de la Loi.

 

[2]               La demanderesse souhaite que la décision de la Commission soit infirmée et que la demande soit renvoyée à la Commission afin qu’une formation différemment constituée procède à un nouvel examen.

 

Contexte

 

[3]               La demanderesse est une citoyenne de la Turquie. Elle est kurde alévie. Ses parents ont souffert de la persécution exercée par l’État turc contre les Kurdes et les Alévis et ils ont dû, à plusieurs reprises, déménager dans une autre ville en Turquie. Le père de la demanderesse a été torturé par l’armée turque.

 

[4]               À l’âge adulte, la demanderesse est devenue membre active d’une association culturelle alévie. Elle a été arrêtée à quatre reprises en Turquie, la première fois en 2007, en raison de ses activités politiques et culturelles. Elle a été battue et a reçu des menaces au cours de certaines de ces arrestations.

 

[5]               Après le quatrième incident, la demanderesse a décidé de quitter le pays parce qu’elle avait peur de ce qui se passerait si elle y demeurait. Elle est arrivée au Canada, munie d’un visa d’étudiante, le 6 septembre 2009, et elle a demandé l’asile le 10 septembre 2009.

 

[6]               La Commission a entendu la demande d’asile le 24 novembre 2011 et le 14 mars 2012.

 

Décision de la Commission

 

[7]               La décision rendue par la Commission le 4 mai 2012 commence par un résumé des allégations de la demanderesse précédemment mentionnées. La Commission a mentionné qu’elle avait accueilli une demande voulant que la demanderesse soit désignée personne vulnérable et que des mesures d’accommodement comme l’inversement de l’ordre des interrogatoires, la présence d’une commissaire et d’une interprète soient prises. Dans ses motifs, la Commission invoque les directives du président sur la persécution fondée sur le sexe.

 

[8]               La Commission a fait état de doutes quant à la crédibilité, à commencer par la preuve psychologique de la demanderesse. Celle-ci avait consulté un psychologue en Turquie, mais elle avait été incapable de fournir une preuve documentaire. Elle a produit un rapport psychologique émanant d’un médecin torontois, mais la Commission a souligné qu’il s’agissait d’une seule et même visite effectuée dans le but exprès d’obtenir un rapport pour les besoins de la demande d’asile. La Commission a souligné que le rapport n’établissait pas de façon satisfaisante que l’état de la demanderesse était la conséquence des faits allégués dans sa demande. La Commission n’a accordé aucune importance au rapport, car un témoignage d’opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais et la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible.

 

[9]               La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’était pas confrontée en Turquie aux problèmes dont elle avait fait mention et ne risquait pas de subir des sévices de la part des autorités turques. Les motifs décrivent tour à tour, de façon détaillée, chacune des préoccupations de la Commission quant à la crédibilité.

 

[10]           La demanderesse a prétendu qu’elle et deux de ses cousins ont été détenus en juin 2007. Dans son témoignage, la demanderesse a déclaré que l’un des cousins vivait à Ankara, mais dans le récit figurant dans son Formulaire de renseignements personnels (PIF), elle a déclaré qu’ils vivaient tous les deux à Istanbul. La Commission a rejeté la déclaration de la demanderesse selon laquelle le cousin était allé vivre à Ankara, car elle n’expliquait pas la contradiction. La Commission a rejeté l’explication selon laquelle la demanderesse disait que la maison de la mère du cousin était à Istanbul.

 

[11]           La Commission a conclu que la demanderesse a prétendu pour la première fois à l’audience que son cousin avait été arrêté en raison des activités auxquelles elle se livrait. Aucune mention n’a été faite de cet événement dans le FRP ni dans les modifications qui y ont été apportées au début de l’audience. Cette allégation constitue une partie importante de l’allégation de persécution exercée par l’État turc.

 

[12]           La Commission a accordé peu de poids à deux reçus démontrant  que la demanderesse était membre d’associations alévies en Turquie en raison des réponses contradictoires données par la demanderesse à des questions portant sur la question de savoir qui avait payé les cotisations et à quel moment. La Commission a également conclu que la lettre manuscrite émanant du cousin de la demanderesse dans laquelle il y avait confirmation du paiement des cotisations ne comportait aucun élément de sécurité et qu’elle n’avait aucun moyen d’évaluer ses origines.

 

[13]           La Commission a souligné la contradiction entre la lettre de la demanderesse indiquant  qu’elle était membre du comité jeunesse d’une association culturelle et son témoignage indiquant qu’elle n’avait jamais entendu parler d’un quelconque comité.

 

[14]           La Commission a mis en doute l’authenticité de la lettre datée du 26 décembre 2012 émanant d’une association alévie en Turquie. La demanderesse n’a pas pu produire l’original et n’a soumis qu’une traduction en anglais. Le fait que la traduction figurait sur du papier à en-tête officiel donnait à penser que du papier à en-tête vierge avait été fourni. La lettre traduite ne faisait mention que de deux des quatre prétendues détentions.

 

[15]           La Commission a fait remarquer que les dates concernant les arrestations de la demanderesse divergeaient. L’arrestation de mars 1999 n’a été mentionnée que dans le dossier de l’interrogatoire. Ni le FRP ni le témoignage de vive voix ne faisaient mention de l’arrestation de juillet 2008. La demanderesse a expliqué cette divergence en affirmant qu’elle faisait référence à l’arrestation de mars 2008, mais la Commission a rejeté cette explication parce que le dossier de l’interrogatoire avait été écrit de la propre main de la demanderesse et qu’elle avait été aidée par un ami.

 

[16]           La Commission a souligné que la demanderesse prétendait que autorités turques étaient toujours à sa recherche et que cette allégation ne figurait pas dans le FRP. Bien que la demanderesse n’eût pris connaissance de cette allégation qu’après avoir soumis son FRP, celle-ci ne figurait pas non plus dans les modifications au FRP au début de l’audience.

 

[17]           La Commission a souligné les déclarations contradictoires faites par la demanderesse quant aux contacts avec sa famille en Turquie. La demanderesse a déclaré qu’elle ne parlait pas aux membres de sa famille au téléphone parce qu’elle craignait que la ligne soit sous écoute électronique, mais elle a plus tard déclaré qu’elle leur avait parlé au téléphone pour leur dire qu’elle souhaitait obtenir une copie du rapport du psychologue turque. Elle a tenté de clarifier cette affirmation en disant qu’elle parlait à sa famille tous les deux ou trois mois, mais ceci n’explique pas la contradiction avec sa déclaration explicite selon laquelle elle ne parlait jamais à sa famille au téléphone.

 

[18]           La Commission a décrit le témoignage contradictoire rendu par la demanderesse sur la question de savoir si elle était allée à l’hôpital après avoir été battue au cours d’une arrestation. La demanderesse a d’abord affirmé qu’elle n’était pas allée à l’hôpital, mais elle a par la suite affirmé que les autorités turques l’avaient amenée chez un médecin. La Commission a consulté l’enregistrement audio et celui-ci indiquait que la demanderesse avait clairement affirmé qu’elle n’était pas allée à l’hôpital.

 

[19]           La Commission a relevé des contradictions entre le témoignage de la demanderesse et celui du témoin qu’elle a présenté. Selon le dossier de l’interrogatoire, il s’agit d’un cousin, mais selon le témoignage de la demanderesse, il s’agit d’un ami de son père. La demanderesse a déclaré qu’elle l’avait rencontré le lendemain de son arrivée au Canada, mais le témoin a affirmé qu’il l’avait connue alors qu’elle était très jeune et qu’il était allé l’accueillir à l’aéroport à son arrivée.

 

[20]           La Commission a conclu qu’une lettre, datée du 2 juillet 2011, émanant de la famille de la demanderesse ne comportait aucun élément de sécurité et qu’elle n’avait aucun moyen d’évaluer ses origines.

 

[21]           La Commission a souligné qu’il y avait contradiction entre la prétention de la demanderesse selon laquelle elle avait quitté la Turquie légalement et son allégation selon laquelle les autorités turques la surveillaient. Si elle celles-ci la surveillaient, il n’est pas logique qu’elle ait pu quitter la Turquie légalement.

 

[22]           La Commission a conclu que le témoignage contradictoire de la demanderesse avait jeté le doute sur l’ensemble de sa preuve et a conclu que la demanderesse, de façon générale, n’était pas crédible. La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi le bien-fondé de sa demande avec des éléments de preuve crédibles et dignes de foi.

 

[23]           Néanmoins, la Commission a ensuite examiné la revendication de la demanderesse fondée sur sa qualité d'Alévie en Turquie et, parallèlement sur sa qualité de Kurde.

 

[24]           La Commission a examiné la preuve de l’existence de discrimination envers les Alévis en Turquie et elle a relevé des éléments positifs et des éléments négatifs dans le traitement auquel ils sont soumis par l’État. La Commission a une fois de plus insisté sur les éléments de preuve contradictoires concernant l’appartenance de la demanderesse à des organismes alévis. Elle se demande notamment pourquoi la demanderesse n’a participé à aucune activité de l’association alévie qui existait déjà à Toronto avant de participer à la fondation d’une nouvelle association. La Commission a conclu qu’il n’y avait aucune preuve convaincante que la pratique par la demanderesse de sa religion au Canada lui causerait des problèmes si elle retournait en Turquie.

 

[25]           La Commission a fait remarquer que la demanderesse ne parlait pas la langue kurde et qu’elle n’a soumis aucun élément de preuve démontrant que toutes les personnes vivant dans la région dont ses grands-parents sont originaires étaient Kurdes. La Commission a accepté que la demanderesse fût Kurde et que les Kurdes, en Turquie, étaient victimes de discrimination et de harcèlement, mais elle a conclu que, dans le cas de l’appelante, cette discrimination ne constituait pas de la persécution.

 

Questions en litige

 

[26]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

            1.         La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse en ne lui donnant pas l’occasion de dissiper ses doutes?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’a produit aucune preuve crédible et digne de foi à l’appui de sa demande?

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en n’effectuant pas une analyse distincte fondée sur l’article 97 quant au risque auquel la demanderesse était exposée?

 

[27]           La Cour reformule les questions en litige de la façon suivante

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a-t-elle manqué à l'équité procédurale?

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[28]           La demanderesse prétend que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est la décision correcte et que la norme de la raisonnabilité s’applique aux autres questions en litige.

 

[29]           La demanderesse prétend que, compte tenu de ce qui est en jeu dans une décision relative à l’octroi de l’asile, les protections en matière de procédure doivent être appliquées rigoureusement. La Commission a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant sur les doutes qu’elle avait quant à l’authenticité de trois lettres sans n’avoir jamais soulevé cette question à l’audience et sans avoir donné à la demanderesse l’occasion de dissiper ses doutes. La demanderesse prétend que la Commission ne lui a également jamais fait part de ses préoccupations au sujet des contradictions dans les dates auxquelles les arrestations ont eu lieu. Il s'agissait d'un manquement à l'obligation d'équité.

 

[30]           La demanderesse conteste l'examen de la preuve effectué par la Commission. Celle-ci a omis de présumer que le témoignage de la demanderesse était véridique, elle s’est livrée à un examen microscopique, elle n’a pas expliqué de façon claire ses conclusions quant à la crédibilité et elle a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant sur le défaut de la demanderesse de présenter de la documentation.

 

[31]           La Commission devait analyser les explications de la demanderesse quant à ses doutes et expliquer pourquoi elle estimait que ces explications étaient déraisonnables. Il convient de faire preuve d’une retenue moins grande à l’égard des conclusions de la Commission quant à la vraisemblance qu’à l’égard des autres conclusions de fait.

 

[32]           La demanderesse réfute plusieurs des doutes de la Commission relativement à la crédibilité. L’arrestation du cousin a été confirmée par une lettre envoyée à la Commission. La demanderesse n’a appris que les autorités étaient à sa recherche qu’après la rédaction de son récit dans le FRP. Il était déraisonnable de douter de l’authenticité de la lettre émanant de ses parents étant donné qu’elle était manuscrite, signée et datée, et la Commission n’a pas mentionné quels éléments de sécurité pourrait comporter une lettre personnelle. On se procure de tels documents dans le but précis de dissiper les doutes quant à la crédibilité. Il n’y a eu aucun témoignage contradictoire concernant les reçus de cotisation, car l’association ne se préoccupait tout simplement pas du paiement des cotisations par les membres actifs. Les doutes de la Commission quant à l’authenticité de la lettre du cousin confirmant le paiement de la cotisation n’avaient également aucun fondement. La lettre traduite portait un en-tête traduit et non pas un en-tête original. Il était raisonnable que la lettre ne fasse mention que de deux des quatre arrestations et il ne s’agit pas d’une contradiction.

 

[33]           La demanderesse prétend qu’il n’y a aucune mention du mois de mars 1999, ni dans le dossier de l’interrogatoire ni dans le FRP. Le seul mois dont il est fait mention est mars 1995, qui est le mois au cours duquel le massacre de Gazi a eu lieu et qui a été commémoré par l’événement de mars 2008. Tous les événements relatés dans le FRP et le témoignage sont mentionnés dans le dossier de l’interrogatoire, à l’exception du mois de juillet 2009. Selon la demanderesse il s’agissait plutôt de juillet 2008. Le dossier de l’interrogatoire ne devrait être utilisé que pour les questions d’exclusion et d’interdiction de territoire et non pas pour les questions de fond et les questions de crédibilité étant donné que les demandeurs ne sont pas représentés par un avocat et que ces procédures ne sont pas enregistrées.

 

[34]           La demanderesse prétend que la contradiction concernant l’hôpital est tout simplement due à la différence entre ce qu’elle a fait après avoir été libérée par les autorités et le traitement que celles‑ci lui ont infligé pendant sa détention, au cours de laquelle elle est notamment allée chez le médecin.

 

[35]           La demanderesse prétend que la Commission a fait une analyse microscopique de ses déclarations concernant l’endroit où vit son cousin. La demanderesse a expliqué que, dans sa culture, quand on parle de la maison de sa mère, on parle de sa propre maison.

 

[36]           La demanderesse conteste la conclusion de la Commission quant à la vraisemblance voulant qu’une personne qui avait des problèmes avec les autorités turques pouvait quitter le pays légalement. La Commission renvoie à des documents mentionnant qu’une personne sera arrêtée si elle est recherchée ou si elle est accusée d’avoir commis un crime, mais les arrestations de la demanderesse étaient illégales et extrajudiciaires. La Commission ne renvoie à aucun élément de preuve à l’appui de sa conclusion selon laquelle une victime de détention illégale serait incapable de quitter la Turquie. La Commission a rejeté de façon déraisonnable l’explication donnée par la demanderesse relativement à la question du comité jeunesse, à savoir qu’il ne s’agit pas d’un comité particulier, mais plutôt d’une façon de faire une distinction entre les jeunes et les autres membres du groupe.

 

[37]           Les conclusions de la Commission sur les conditions existant dans le pays étaient fondées sur les conclusions défavorables quant à la crédibilité qui ont déjà été mentionnées, à savoir que la demanderesse n’avait pas le profile d’une Kurde ou d’une Alévie active sur le plan politique qui  serait exposée à des risques. La Commission n’a pas tenu compte d’éléments de preuve sur les conditions dans le pays démontrant que les personnes qui participent à des manifestations sont persécutées.

 

[38]           Enfin, la demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en n’effectuant pas une analyse distincte fondée sur l’article 97 de la Loi. Les personnes qui se trouvent une situation semblable à celle de la demanderesse sont exposées à des risques importants, mais la Commission n’a aucunement tenu compte de cet élément.

 

 

 

Observations écrites du défendeur

 

[39]           Le défendeur prétend qu’il n’y a eu aucun manquement à l’obligation d’équité, car les motifs écrits de la Commission sont remplis d’exemples démontrant qu’on a dit à la demanderesse qu’il y avait des contradictions. Les problèmes que comportait la lettre émanant de l’association alévie étaient manifestes et n’avaient donc pas à être soulevés par la Commission. La Commission avait le droit de constater la fiabilité des autres lettres sans d’abord informer la demanderesse. La mention de mars 1999 plutôt que de mars 1995 dans les motifs de la Commission n’est qu’une erreur d’écriture.

 

[40]           Le défendeur prétend qu’il était raisonnable de la part de la Commission de blâmer la demanderesse pour les contradictions, même si des éléments preuve étayent son témoignage; cela ne règle pas le problème des contradictions. La Commission n’a pas omis de tenir compte des éléments de preuve qui ont été produits comme les reçus ou les lettres. Le défendeur prétend que la Commission peut se fier au dossier de l’interrogatoire, particulièrement dans le contexte où il existe d’autres motifs de douter de la crédibilité. Le témoignage concernant la visite à l’hôpital était bel et bien contradictoire.

 

[41]           Le défendeur prétend que la Commission a écrit six pages lorsqu’elle a examiné la demande de la demanderesse fondée sur l’article 97.

 

Analyse et décision

 

[42]           Première question

      Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise posée à la Cour a été tranchée par la jurisprudence, la cour qui effectue le contrôle peut adopter cette norme de contrôle (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[43]           Il est de jurisprudence constante que les conclusions relatives à la crédibilité, qui constituent « l’essentiel de la compétence de la Commission », sont essentiellement de pures conclusions de fait qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] ACF no 162, au paragraphe 7; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 46; et Demirtas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 584, [2011] ACF no 786, au paragraphe 23). De même, l’appréciation de la preuve et l’interprétation et l’évaluation de la preuve sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38).

 

[44]           Pour contrôler la décision de la Commission en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la Commission est arrivée à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables, compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été soumis (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59). Comme l’a décrété la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, précité, il n’appartient pas à une cour de révision de substituer la solution qu’elle juge elle-même appropriée à celle qui a été retenue, pas plus qu’il ne lui appartient d’évaluer de nouveau la preuve (au paragraphe 59).

 

[45]           Il est bien établi qu'en ce qui concerne l'équité procédurale, aucune déférence n'est de mise à l'égard du tribunal administratif (arrêt Khosa, précité, au paragraphe 43).

 

[46]           Deuxième question

            La Commission a-t-elle manqué à l'équité procédurale?

            La demanderesse prétend que la Commission a manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de justifier l’authenticité de nombreux documents soumis dans le cadre de sa preuve.

 

[47]           Le juge Leonard Mandamin a examiné une question semblable dans Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1368, aux paragraphes 33 à 37, [2011] ACF no 1671 :

33        L'erreur de traduction saute aux yeux. La traduction en anglais du compte rendu de la séance que la demanderesse a eue le 8 août 2008 avec la psychologue est d’une longueur d’une page environ et se termine au beau milieu d’une phrase. L’original – en espagnol - s’étend sur deux pages et demie.

 

34        La SPR n'a pas tenu compte de la survenance de l'enlèvement - l'élément fondamental de la demande de la demanderesse - à cause d'une traduction incomplète et elle a relevé une incohérence inexistante, étant donné que la version espagnole du rapport correspond au témoignage de la demanderesse. De plus, la SPR reconnaît ne pas avoir soumis la contradiction à l’attention de la demanderesse.

 

35        Je conclus qu'on n'a pas donné à la demanderesse la possibilité d'expliquer cette contradiction évidente.

 

36        Dans la décision Muthusamy c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] ACF no 1333, au paragraphe 4, le juge Cullen écrit :

 

Qui plus est, la Commission a tiré une conclusion défavorable du défaut de traduction appropriée des documents d’identification du requérant. Au cours de l’audience, elle n’a pas porté cette question à l’attention du requérant. Selon un principe de justice naturelle bien établi, on doit savoir à quoi on s’attend. Si la Commission devait s’appuyer sur les documents d’identifications traduits, mais se préoccupait de l’exactitude de la traduction et de leur authenticité, elle était tenue d’éveiller l’attention du requérant sur cela. Ne pas le faire et fonder alors sa décision sur une question à laquelle le requérant n’a pas répondu est une violation de la justice naturelle.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

37        Dans la décision Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 937, au paragraphe 18, le juge Mosley conclut lui aussi que la SPR aurait dû prévenir le demandeur des doutes qu'elle avait au sujet de la fiabilité de sa preuve documentaire, laquelle était importante pour sa demande.

 

 

[48]           Le défendeur tente de faire une distinction d’avec cette jurisprudence au motif que les problèmes avec les lettres étaient manifestes, mais le premier paragraphe de l’extrait précité révèle que l’obligation de la Commission de faire part de cette préoccupation au demandeur s’applique également aux lacunes manifestes.

 

[49]           Par ailleurs, la tentative du défendeur de faire une distinction d’avec la décision Santos, précitée, au motif qu’elle avait trait à des préoccupations au sujet de l’absence d’éléments de sécurité dans une lettre adressée par une banque n’est pas convaincante étant donné que la Commission, dans cette affaire, était préoccupée par l’absence d’éléments de sécurité,  tout comme dans la décision faisant l’objet du contrôle (voir Santos, précitée, au paragraphe 12).

 

[50]           Dans ses motifs, la Commission met en doute trois documents :

  • Une lettre émanant du cousin de la demanderesse confirmant que celle-ci a payé les cotisations (au paragraphe 25);
  • La traduction en anglais d’une lettre émanant d’une association alévie en Turquie (au paragraphe 28);  
  • Une lettre émanant de la famille de la demanderesse faisant état que les autorités turques étaient à sa recherche (au paragraphe 45).

 

[51]           Un examen de la transcription indique que la Commission n’a jamais soulevé la question de l’authenticité de ces documents. Tel que décrit dans Garcia, précitée, il s’agit d’un manquement à l’obligation d’équité parce que la demanderesse n’était pas au courant de la preuve qu’elle devait réfuter. Compte tenu des deux audiences qui ont été accordées à la demanderesse et de l’interrogatoire détaillé, la Commission a eu amplement l’occasion de poser des questions sur les origines ou l’authenticité de ces documents, mais elle a décidé de ne pas le faire.

 

[52]           Le défendeur n’a pas prétendu que la Commission serait parvenue à la même conclusion s’il n’y avait pas eu ces manquements et je ne suis pas convaincu que c’est le cas. La Commission a rejeté la crédibilité de la demanderesse, ce qu’elle n’aurait peut-être pas fait si elle avait estimé que les trois documents corroborant les allégations de la demanderesse étaient dignes de foi.

 

[53]           Étant donné ma conclusion sur la deuxième question en litige, il ne sera pas nécessaire que je traite de la troisième question en litige. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

[54]           Aucune des deux parties n'a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale en vue de sa certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5152-12

 

INTITULÉ :                                      CEREN YILDIZ

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE.

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 31 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Radin

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Radin

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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