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Date : 20130729


 

Dossier :

IMM-5636-12

 

Référence : 2013 CF 828

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

ARMAGHAN ESHRAGHIAN

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le présent contrôle judiciaire porte sur le niveau d’études de la demanderesse relativement à sa demande de résidence permanente au titre de la « catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) ».

 

[2]               Dans la présente instance, la Cour devait aussi se pencher sur la tentative du défendeur d’introduire en preuve un affidavit souscrit par une agente de citoyenneté – Mme Lacasse – qui n’était pas l’agent ayant rejeté la demande.

 

II.        LE CONTEXTE

[3]               La demanderesse a un diplôme en médecine d’une université iranienne, après y avoir étudié pendant sept ans. Le diplôme en médecine est le premier diplôme obtenu par la demanderesse.

 

[4]               L’agent de citoyenneté (l’agent) a accordé à la demanderesse 20 points sur une possibilité de 25 pour la partie de sa demande liée aux études. Il manquait en tout 2 points à la demanderesse pour obtenir les 67 points requis pour répondre aux conditions de cette catégorie de résidents permanents.

 

[5]               Parmi la preuve présentée par la demanderesse au sujet de son niveau d’études, on relève une déclaration produite par le dirigeant de l’Université Hormogozan de sciences médicales, portant que le doctorat en médecine en Iran est au moins l’équivalent d’un diplôme de deuxième cycle [traduction] « selon le système d’éducation de [l’Iran] ».

 

[6]               Si l’agent avait accepté cette déclaration, la demanderesse se serait vu accorder 25 points, soit 3 de plus que le nombre dont elle avait besoin pour que sa demande soit accueillie.

 

[7]               Voici la conclusion de l’agent en ce qui concerne cet élément de preuve :

[traduction]

Cette déclaration ne prouve pas que le diplôme a été décerné par une école de cycles supérieurs et elle ne permet pas de conclure à l’existence d’une équivalence avec un diplôme d’études du deuxième cycle. Une déclaration portant équivalence qui n’est pas accompagnée d’une preuve satisfaisante à l’appui ne modifie pas les points accordés.

 

[8]               La demanderesse soulève deux questions en litige dans le présent contrôle judiciaire :

(1)        le manquement à l’équité procédurale, en ce sens qu’elle n’a pas eu la possibilité de présenter des observations au sujet de la contestation de la déclaration relative à l’équivalence;

(2)        la raisonnabilité de la décision, en ce sens qu’on ne lui a pas accordé le bon nombre de points pour ses études.

 

III.       ANALYSE

[9]               Il n’est pas contesté que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne la question du manquement à l’équité procédurale est la décision correcte et que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne la décision sur le fond est celle de la raisonnabilité.

 

[10]           La demanderesse se fonde sur la décision rendue par le juge Mosley dans l’affaire Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501, au paragraphe 24, pour affirmer que, puisque l’agent s’est fondé sur « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis » pour justifier son rejet de la preuve relative à l’équivalence, cela lui donnait donc le droit à une audience pour présenter des observations au sujet des préoccupations soulevées

Il ressort clairement […] que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans [John c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CarswellNat 1466 (CF 1e inst)] et [Cornea c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CarswellNat 2433], deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

 

[Souligné par la demanderesse]

 

[11]           Le défendeur soutient que l’insuffisance de la preuve était en cause : il n’y avait pas de preuve suffisante à l’appui de la déclaration concernant l’équivalence et que, par conséquent, aucune question d’équité procédurale n’est en cause.

 

[12]           La demanderesse se fonde aussi sur la théorie de l’attente légitime, qui découle du guide opérationnel de traitement des demandes à l’étranger OP‑6. Ce guide exige que les agents examinent les programmes d’études et qu’ils accordent les points en fonction des normes existantes dans le pays où les études sont faites.

 

[13]           La décision de l’agent ne contrevenait pas à l’exigence d’examiner les études dans le contexte du pays en question. Par conséquent, l’attente légitime n’est pas en cause dans la présente affaire.

 

[14]           L’agent s’opposait à la preuve relative à l’équivalence parce qu’elle n’était pas accompagnée d’une preuve à l’appui. Effectivement, la déclaration faite par le dirigeant de l’Université quant à l’équivalence n’était pas satisfaisante. L’agent ne dit pas en quoi celle‑ci était insatisfaisante, ni quelle autre preuve aurait pu répondre aux exigences.

 

[15]           En somme, la demanderesse a fourni la preuve mentionnée dans le guide opérationnel OP‑6. L’agent cherchait à imposer d’autres exigences en matière de preuve que celles prescrites dans le guide opérationnel OP‑6.

 

[16]           Si l’agent jugeait que la déclaration concernant l’équivalence n’était pas crédible, la demanderesse avait le droit d’en être avisée ainsi que celui d’avoir la possibilité de présenter des observations en réponse à l’égard des préoccupations soulevées. Si l’agent exerçait un pouvoir discrétionnaire d’exiger une preuve supplémentaire à celle prévue dans le guide opérationnel OP‑6 en ce qui a trait à l’équivalence, la demanderesse avait, là aussi, le droit d’en être avisée ainsi que la possibilité d’être entendue.

 

[17]           Dans tous les cas, les règles de base en matière d’équité exigeaient que la demanderesse ait la possibilité de présenter des observations concernant les préoccupations de l’agent à propos de la lettre relative à l’équivalence. Le défendeur n’a pas réussi à expliquer en quoi l’équité n’imposait pas un tel résultat.

 

[18]           En ce qui a trait à la raisonnabilité de la décision, l’agent n’a fourni aucun motif à l’appui de sa conclusion selon laquelle la lettre d’équivalence n’était pas adéquate. Il n’y a aucune explication au sujet de ce que l’agent considérait comme une preuve à l’appui. L’avocat du défendeur a laissé entendre qu’une preuve provenant de quelque organisme accrédité était nécessaire. Si c’est ce que l’agent demandait, cela n’est pas évident à la lecture de la décision.

 

[19]           Il était déraisonnable de rejeter la déclaration du dirigeant de l’Université concernant l’équivalence et d’imposer quelque autre exigence en matière de preuve, sans fournir certains motifs, et ce, pour l’une ou l’autre de ces mesures.

 

[20]           Enfin, j’aborde la question de la preuve par affidavit – plus particulièrement, l’affidavit de Mme Lacasse.

 

[21]           La demanderesse a fourni, à l’appui de son argument relatif à l’équité procédurale, un affidavit de son frère qui visait à démontrer que si on lui avait donné la possibilité d’être entendue, elle aurait présenté une preuve à l’appui de la déclaration d’équivalence. Une preuve à cette fin est légitime, bien qu’elle ne soit pas nécessairement utile en l’espèce. Il s’agissait d’un élément de preuve se rapportant à l’équité procédurale.

 

[22]           Le défendeur a répliqué en déposant l’affidavit de Mme Lacasse. Bien que cet affidavit visait à répondre aux questions soulevées en matière d’équité procédurale, il ne s’agissait que d’un prétexte par lequel Mme Lacasse a tenté « d’étayer » la décision de l’agent.

 

[23]           Mme Lacasse est une agente d’immigration de niveau plus élevé que l’agent ayant tranché la demande. Mme Lacasse n’a pas eu son mot à dire quant à la demande et ses commentaires dans leur ensemble étaient fondés sur son examen du dossier et sur son expérience avec ce type de situations concernant l’Iran.

 

[24]           Dans son affidavit, Mme Lacasse apporte des détails aux motifs qui ont été fournis, elle statue à nouveau sur l’affaire (en parvenant au même résultat) et elle fait directement des commentaires sur le bien‑fondé de la décision. Les extraits suivants sont représentatifs de la nature des commentaires faits par Mme Lacasse :

[traduction]

Je suis convaincue, en me fondant sur les documents et sur les renseignements fournis dans la demande, que le diplôme en médecine de la demanderesse équivaut à un diplôme universitaire de premier cycle.

 

Balqees Mihirig, l’avocat du défendeur, m’informe que la demanderesse prétend que son diplôme en médecine devrait être considéré comme étant l’équivalent d’un diplôme de deuxième cycle. La prétention de la demanderesse selon laquelle son diplôme en médecine devrait être considéré comme étant au moins l’équivalent d’un diplôme de deuxième cycle n’est pas étayée par la preuve qui figurait au dossier lors de l’examen. Rien ne démontre qu’un diplôme de premier cycle était un préalable à l’admission au sein du programme. Rien ne démontre que le diplôme de la demanderesse avait été accordé par une faculté des cycles supérieurs. Rien ne démontre que la demanderesse a suivi des cours de cycle supérieur ou qu’elle s’est spécialisée après avoir reçu son diplôme en médecine.

 

À l’appui de sa prétention, la demanderesse a fourni une traduction de la déclaration du directeur de la gestion des études et des cycles supérieurs de l’Université Hormozgan, déclaration portant qu’un diplôme en médecine est « considéré comme étant au moins égal à un diplôme de deuxième cycle ».

 

Selon ma connaissance des niveaux d’études en Iran et mon expérience en tant qu’agente des visas, une déclaration d’équivalence qui n’est pas accompagnée d’une preuve à l’appui satisfaisante ne constitue pas une preuve suffisante de l’obtention d’un diplôme de deuxième cycle. La déclaration ne contient aucun élément permettant d’étayer sa conclusion selon laquelle un diplôme en médecine équivaut à un diplôme de deuxième cycle (affidavit de Mme Lacasse, aux paragraphes 6 à 9).

 

[25]           L’affidavit est une arme à double tranchant. Bien qu’il vise à répondre à un manquement à l’équité procédurale, suggestion pour le moins inexacte, il fait aussi ressortir ce qui est incorrect avec la décision. Il démontre, quelque peu à petite échelle, ce que l’agent aurait dû faire.

 

[26]           Il n’était pas approprié pour le défendeur d’introduire cet élément en preuve. La jurisprudence de la Cour est remplie de décisions dans lesquelles la Cour reproche aux parties d’avoir tenté de bonifier le « dossier ». Le commentaire suivant formulé par le juge Zinn dans la décision Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 135, 175 ACWS (3d) 846, n’est qu’un exemple de ce type de situation :

18    Comme je l’ai déjà souligné, le défendeur a déposé en preuve un affidavit souscrit le 15 décembre 2008 par l’agent des visas dont la décision fait l’objet du présent contrôle. Je souscris aux observations formulées par le juge Gauthier dans Jesuorobo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1680, au paragraphe 12, selon lesquelles le défendeur ne peut se fonder sur de nouveaux éléments de preuve provenant de l’agent des visas pour changer, expliquer ou compléter la lettre de refus et les notes consignées dans le STIDI. Il s’agit d’une tentative de la part de l’agent de s’en tirer alors que ses notes du STIDI comportent peut‑être des lacunes ou sont peut‑être trop sommaires. […]

 

[27]           Il s’agit d’un cas où le défendeur et son avocat savaient ou aurait dû savoir que les affidavits comme celui‑ci sont non seulement inadmissibles, mais aussi qu’ils minent le processus même de contrôle judiciaire. Il s’agissait d’une tentative de convaincre la Cour du bien-fondé de la décision.

 

[28]           Non seulement l’affidavit n’est pas admis en preuve, mais il s’agit aussi du type de cas justifiant l’adjudication de dépens. La jurisprudence confirme que des dépens peuvent être adjugés dans des situations où il y a des raisons spéciales de ce faire. Ces raisons spéciales comprendraient notamment des situations où une partie a agi de manière inéquitable, oppressive ou inappropriée, ou qu’elle a fait preuve de mauvaise foi.

 

[29]           Le comportement du défendeur en l’espèce était tellement inadéquat et malhonnête que des dépens de 1 000 $ seront accordés. La demanderesse en demandait davantage, mais le montant de 1 000 $ reflète mieux les coûts liés à cette question. Espérons que le recours à de telles tactiques ne se répète plus.

 

IV.       CONCLUSION

[30]           Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée immédiatement à un autre agent pour nouvelle décision.

 

[31]           Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire doit être renvoyée immédiatement à un autre agent pour nouvelle décision. Le défendeur paiera sur-le-champ la somme de 1 000$, à titre de dépens.

 

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :

                                                            IMM-5636-12

 

 

 

INTITULÉ :

ARMAGHAN ESHRAGHIAN

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 4 JUILLET 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 29 JUILLET 2013

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery

 

                                           pour la demanderesse

 

Balquees Mihirig

 

                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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