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Date : 20130729

Dossier : IMM-7176-12

Référence : 2013 CF 827

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2013

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

NOUH HUSSEIN ABDALLA HAMAD,

 MUNIRA SALEH MAHMOUD, ET ABDALLA, AHMAD, ASIA ET ABDERRAHMAN HAMAD,

REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE,

NOUH HUSSEIN ABDALLA HAMAD

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur principal, M. Nouh Hussein Abdalla Hamad, est un citoyen et un résident de la Libye. Il a un frère fortuné au Canada, lequel est disposé à subvenir aux besoins du demandeur principal et de sa famille pendant que le demandeur principal termine un programme de deux ans en administration des affaires au Collège des arts appliqués et de technologie George Brown, à Toronto. En 2011, le demandeur principal a fait une demande de visa de résident temporaire. Sa femme et ses enfants ont présenté séparément des visas temporaires pour leur permettre d’accompagner le demandeur principal. Les demandes ont d’abord été rejetées par des décisions datées du 14 juin 2011; ces décisions ont été annulées par le juge Zinn et l’affaire a été renvoyée pour nouvel examen (voir Hamad et autres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 336, 8 Imm LR (4th) 169).

 

[2]               Pour les besoins du nouvel examen, le demandeur principal a été interrogé par la première secrétaire (l’agente) de l’ambassade du Canada en Égypte. Dans une décision datée du 9 août 2012, l’agente a refusé la demande. La lettre de refus mettait en évidence les motifs généraux suivants :

 

a)      Le demandeur principal n’avait pas convaincu l’agente qu’il quitterait le Canada à la fin de la période autorisée pour son séjour;

 

b)      Les études envisagées par le demandeur principal n’étaient [traduction] « pas raisonnables, compte tenu d’un ou de plusieurs des facteurs suivants : vos compétences, vos études antérieures, votre emploi, votre degré d’établissement, les autres possibilités en matière d’éducation au Canada, vos aptitudes linguistiques ou vos perspectives d’avenir et plans futurs ».

 

[3]               Les motifs de la décision de l’agente comprennent les entrées faites dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC). Les notes du SMGC, qui ont été prises à la même époque que l’examen du dossier et l’entrevue du demandeur, mettent en évidence plusieurs sujets de préoccupations pour l’agente :

 

                     le demandeur n’a fait aucune recherche relativement à d’autres écoles au Canada ou ailleurs;

 

                     le demandeur ne savait pas vraiment quels cours il allait suivre;

 

                     le demandeur a affirmé que le fait d’améliorer son instruction l’aiderait dans l’avenir en Lybie, mais il n’a pas été en mesure d’expliquer comment;

 

                     le demandeur n’a pas pu fournir une explication logique pour avoir attendu neuf ans avant de poursuivre ses études.

 

[4]               En fin de compte, l’agente a conclu qu’il n’était pas raisonnable pour un homme dans la position du demandeur principal de se déraciner avec sa famille pour poursuivre un programme de deux ans en administration des affaires dans un collège canadien. L’agente n’a pas expressément déclaré qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur principal avait répondu honnêtement à toutes les questions qu’on lui avait posées, il ressort clairement de sa décision qu’elle ne croyait pas le demandeur principal lorsqu’il affirmait qu’il allait au Canada pour suivre les cours du programme d’administration des affaires au Collège George Brown. En résumé, il est évident que l’agente a conclu que les demandeurs n’étaient pas de bonne foi – que le permis d’études était pour eux un stratagème pour s’installer en permanence au Canada.

 

[5]               La décision de l’agente de refuser le visa d’étudiant est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir, par exemple, Gu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 522, [2010] ACF no 624, au paragraphe 14). Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, la Cour doit trancher la question de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » ainsi que celle de savoir si la décision affiche « [s]a justification [ainsi que] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 (Dunsmuir)).

 

[6]               La décision pose, selon moi, un certain nombre de problèmes qui, par addition, m’amènent à conclure que la décision manque de justification, de transparence et d’intelligibilité.

 

[7]               Un problème clé que soulève la décision de l’agente est que ses notes consignées au SMGC en rapport avec l’entrevue diffèrent sous quelques aspects importants de la version donnée par le demandeur de son entrevue. Je suis consciente du fait que les notes ont été prises à la même époque que l’entrevue et que l’affidavit du demandeur a été souscrit quelque temps plus tard. Cependant, en l’absence d’un affidavit de l’agente expliquant ce qui s’est dit lors de l’entrevue, je ne suis pas en mesure de réconcilier les deux versions. Les différences sont surtout pertinentes en ce qui a trait aux intentions du demandeur quant à son retour en Lybie. Sur cette question cruciale, l’affidavit renvoie une réponse plus complète qui, si l’agente en avait tenu compte, aurait pu conduire à une autre conclusion.

 

[8]               Une deuxième préoccupation soulevée par la décision concerne la déclaration suivante de l’agente :

[traduction]

 

Le demandeur principal affirme avoir beaucoup de temps libre en Lybie, il ne s’est pourtant pas [donné la peine] d’améliorer son anglais ni ses connaissances, en Lybie, dans les cinq dernières années […]

 

[9]               Le problème avec ce commentaire, c’est qu’il n’est pas exact. Comme il le déclare dans son affidavit, le demandeur principal a suivi un cours d’anglais en mars 2012. L’agente, semble‑t‑il, ne lui a jamais demandé s’il avait entrepris un perfectionnement sur le plan des études. Il n’y a aucun endroit non plus dans le formulaire de demande où on peut inscrire des renseignements au sujet d’une scolarisation additionnelle. Je suis consciente que c’est sur le demandeur que repose le fardeau de la preuve et que l’agent n’est pas tenu de lui fournir un « résultat intermédiaire ». Toutefois, en l’espèce, la conclusion importante de l’agente était fondée sur la conjecture, plutôt que sur la preuve dont elle disposait.

 

[10]           Même si l’omission de l’agente de s’enquérir au sujet des cours additionnels n’était pas une erreur, il y a lieu de s’interroger quant à savoir si l’agente a tenu compte du fait que, durant une bonne partie de la période en question, la Lybie était aux prises avec une grave instabilité. On pourrait penser, comme le dicte le bon sens, que l’agente aurait considéré que de suivre des cours durant cette période était problématique.

 

[11]           Bien que les motifs ne le démontrent pas clairement (ce qui soulève un problème avec l’intelligibilité des motifs), l’agente, pour rendre sa décision, semble s’être grandement appuyée sur le fait que le programme d’études envisagé n’était pas quelque chose de normal pour un homme ayant une famille. Il se peut que ce soit vrai. Néanmoins, ce qui apparaît comme n’ayant pas été pris en compte par l’agente, c’est le contexte inhabituel de la présente demande, dans lequel le frère aîné du demandeur principal – une personne bien établie au Canada – offrait de faire venir son frère et sa famille au Canada pour qu’il ait l’occasion d’entreprendre des études. Absolument rien dans le dossier n’indique que le frère se sert de cela comme d’un moyen détourné d’obtenir la résidence permanente au Canada pour le demandeur principal et sa famille. L’intention qui a été clairement exprimée était que le demandeur principal étudie au Canada et retourne en Libye avec des compétences nouvellement acquises sur les plans de la langue et des affaires. Cette méprise quant à l’ensemble de la preuve dont l’agente disposait a mené à des conclusions non étayées. Par exemple, elle n’a pas tenu compte du fait que le programme d’études avait été arrêté par le frère du demandeur principal, ce qui expliquait pourquoi le demandeur principal n’était pas en mesure d’énumérer en détail les cours spécifiques qu’il suivrait.

 

[12]           En somme, je conclus que la décision n’a pas la justification, la transparence ni l’intelligibilité requises pour qu’une décision soit raisonnable.

 

[13]           Je souligne qu’un autre agent de réexamen pour toujours en venir à la même conclusion; le rôle de la Cour n’est pas de décider si le visa d’étudiant devrait être accordé. Toutefois, les demandeurs ont le droit d’avoir une décision intelligible qui reflète la totalité de la preuve dont dispose l’agent.

 

[14]           Aucune des parties n’a proposé de question en vue de la certification.

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agente est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision, les demandeurs ayant la possibilité de faire des observations additionnelles si tel est leur choix;

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7176-12

 

INTITULÉ :                                      NOUH HUSSEIN ABDALLA HAMAD et autres c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 24 JUILLET 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 29 JUILLET 2013

 

COMPARUTOINS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman, Nazami & Associates Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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