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Federal Court

 

Cour fédérale

                                                                                                                           

 


Date : 20130729

Dossier : IMM-6506-12

Référence : 2013 CF 824

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2013

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE STRICKLAND

 

 

ENTRE :

 

SULTANA NARNIGER BEGUM MOHAMMAD RUSLAAN HOSSAIN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) visant la décision rendue par un agent d’immigration (l’agent) le 6 juin 2012. Celui‑ci a refusé la demande de résidence permanente des demandeurs, qui était fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

 

Contexte

[2]               Les demandeurs sont citoyens du Bangladesh. La demanderesse principale a 56 ans, le demandeur mineur est son fils de 15 ans. Ils sont entrés au Canada en 1999 alors que le demandeur mineur avait un an et ils y sont demeurés depuis.

 

[3]               Les demandeurs ont demandé l’asile l’année de leur arrivée. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse principale a affirmé craindre la violence conjugale que son époux lui avait fait subir au Bangladesh. La Section du statut de réfugié (SSR) a examiné la demande d’asile et l’a rejetée en 2000.

 

[4]               En décembre 2004, les demandeurs ont sollicité l’examen de leur demande de résidence permanent pour des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. La demande était fondée sur la crainte de la demanderesse principale d’être victime d’actes de violence commis par son mari si elle devait retourner au Bangladesh, l’établissement au Canada des demandeurs, les difficultés que subirait le fils s’ils étaient obligés de retourner au Bangladesh et l’intérêt supérieur du demandeur mineur. Dans une décision datée du 6 juin 2012, l’agent a rejeté la demande. C’est cette décision (la décision) qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

La décision à l’étude

[5]               L’agent a conclu que les facteurs à prendre en considération dans la demande CH des demandeurs étaient les difficultés découlant du risque de préjudice à leur retour au Bangladesh, les liens familiaux ou personnels qui, s’ils étaient rompus, causeraient des difficultés, l’intérêt supérieur de l’enfant, le degré d’établissement au Canada et les liens ou la résidence dans tout autre pays.

 

[6]               L’agent a pris connaissance de la demande d’asile présentée par les demandeurs en 1999 ainsi que de leur demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui avait été rejetée en juillet 2004. Il a pris note que la SSR n’avait pas jugé crédible les allégations de la demanderesse principale concernant son époux violent parce que ses plaintes à la police manquaient de détails et avaient été formulées à plusieurs années d’intervalle. Elle avait également été jugée non crédible parce qu’elle était bien éduquée et aurait dû connaître l’existence de groupes d’aide aux femmes ou de textes législatifs édictés dans le but de protéger les femmes. L’agent a mentionné avoir de sérieux doutes quant à la crédibilité de la demanderesse principale parce que la SSR avait conclu qu’elle aurait pu demander de l’aide au Bangladesh, mais n’avait pas sollicité cette aide. En outre, bien qu’elle ait eu la possibilité de quitter son mari, elle a choisi de ne pas le faire, ce qui démontre une absence de crainte subjective de sa part. L’agent a également fait remarquer que la demanderesse principale invoquait le même risque à l’appui de sa demande CH.

 

[7]               L’agent a examiné la preuve produite par la demanderesse principale à l’appui de sa crainte de violence conjugale, mais lui a accordé peu d’importance et a estimé que les demandeurs n’avaient pas répondu aux doutes soulevés quant à leur crédibilité. L’agent a admis des renseignements sur la situation du pays soumis par la demanderesse au sujet du traitement des femmes au Bangladesh et a remarqué que cette preuve indiquait que, dans une large mesure, la violence faite aux femmes dépendait de la richesse ou de la pauvreté de la femme concernée. Il a observé que la demanderesse principale était bien éduquée et se décrivait dans son FRP comme étant [traduction] « née et [ayant été] élevée dans une famille respectable ». Par conséquent, il a estimé raisonnable de présumer que la demanderesse provenait d’une famille riche au Bangladesh et ne se trouvait pas dans une situation semblable à celle des femmes pauvres et vulnérables dont il était question dans la plupart des documents fournis par la demanderesse principale.

 

[8]               L’agent a cité des passages des renseignements sur la situation du pays et, tout en relevant certains éléments préoccupants, a conclu que, selon la documentation, le Bangladesh faisait des [traduction] « efforts sérieux » pour défendre les droits des femmes. En fin de compte, l’agent a conclu que la preuve ne montrait pas que les demandeurs seraient exposés à un risque ou subiraient un préjudice en raison de l’époux de la demanderesse principale ou, si cela s’avérait, qu’il n’existait aucune protection contre ce risque ou ce préjudice. S’ils devaient retourner au Bangladesh, les demandeurs ne seraient pas exposés, de par ce risque ou ce préjudice, à des difficultés pouvant être qualifiées d’inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[9]               Quant à l’établissement au Canada, l’agent a fait remarquer que la demanderesse principale travaillait au Canada sans permis de travail valide. Étant donné que son revenu déclaré pour les années 2008 à 2011 se situait entre 16 200 $ et 18 600 $, il était raisonnable de présumer que son revenu se situait sous le seuil de la pauvreté et, par conséquent, qu’il n’était pas une preuve d’établissement au Canada.

 

[10]           L’agent a également pris en considération les activités communautaires des demandeurs, leur famille et leurs amis au Canada. Il a fait observer que la demanderesse principale n’avait pas divulgué l’identité de son cousin au Canada ni produit de lettre de soutien de ce cousin. Bien que les demandeurs aient présenté des lettres de soutien attestant de leur bonne moralité à l’appui de leur demande de résidence permanente, l’agent a souligné que la citoyenneté ou le statut d’immigrant des auteurs de ces lettres étaient incertains. Il a affirmé que si les auteurs de ces lettres se trouvaient, sur le plan de l’immigration, dans la même situation que les demandeurs, cela pourrait avoir une incidence sur la nature favorable de leur appui.

 

[11]           L’agent a estimé que la preuve ne permettait pas de conclure que les demandeurs s’étaient établis au Canada au point où la rupture de leurs liens avec le pays causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[12]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a reconnu l’engagement du demandeur mineur à l’école. Il a pris note que celui‑ci ne parlait pas le bengali, mais a estimé [traduction] « qu’il est raisonnable de présumer qu’il connaît les rudiments de la langue, étant donné son engagement et celui de sa mère auprès de la communauté bengalaise au Canada ». L’agent a mentionné le cousin non identifié de la mère du demandeur mineur ainsi que les lettres d’appui fournies par ses amis proches et d’autres personnes de la communauté. Il  a affirmé qu’aucun élément de preuve ne laissait croire que le demandeur mineur n’était pas demeuré en communication avec son père ou son frère aîné au Bangladesh, que ceux-ci pouvaient représenter une menace pour lui ou que sa famille élargie serait incapable de le soutenir durant sa réintégration.

 

[13]           L’agent a fait référence à un rapport sur la situation du pays pour conclure que les circonstances propres à la demanderesse principale ne laissaient pas entendre que son fils ne pourrait pas avoir accès à des écoles et à des soins de santé, entre autres nécessités, s’il devait retourner au Bangladesh.

 

[14]           L’agent a terminé en soulignant que le processus des demandes CH n’avait pas pour but d’éliminer toutes les difficultés, mais visait plutôt à offrir un recours contre les difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Les demandeurs n’ont pas convaincu l’agent que leur situation méritait une exemption pour considérations d’ordre humanitaire.

 

Questions

[15]           Les demandeurs soutiennent que la présente demande de contrôle judiciaire repose sur cinq questions, que je résume ainsi :

1.         Quelle est la norme de contrôle?

2.         L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant?

3.         L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation des difficultés auxquelles les demandeurs auraient à faire face s’ils étaient renvoyés au Bangladesh?

4.         L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de l’établissement des demandeurs?

5.         L’agent a-t-il manqué aux principes d’équité en s’appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques sans donner la chance aux demandeurs d’y répondre?

 

[16]           Hormis la question de la norme de contrôle, qui doit être examinée dans toute demande de contrôle judiciaire, j’estime que les questions peuvent être énoncées plus simplement de la façon suivante :

1.         L’agent a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale?

2.         La décision de l’agent était-elle raisonnable?

 

La norme de contrôle

[17]           Il n’est pas nécessaire dans tous les cas de procéder à une analyse de la norme de contrôle.  En fait,  lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont est saisie la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir], paragraphe 57).

 

[18]           Il a été établi que la norme de contrôle applicable aux décisions visant des demandes CH est la décision raisonnable (Rodriguez Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481, paragraphe 31; Rehmat Din c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 356, paragraphe 5; Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, paragraphe 18). Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, mais également à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, paragraphe 47).

 

[19]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est la décision correcte (Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 [Khosa], paragraphe 43; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, paragraphe 22; Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 836 [Liu], paragraphe 11). La cour de révision n’acquiesce pas au raisonnement du décideur pour ce qui est de ces questions (Dunsmuir, précité, paragraphe 50). La Cour doit déterminer si le processus suivi par le décideur satisfait au degré d’équité requis dans toutes les circonstances. Elle peut s’abstenir d’accorder réparation si l’erreur procédurale est un vice de forme et n’entraîne aucun dommage important (Khosa, précité, paragraphe 43; Pla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 560, paragraphe 16; Hidalgo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1334, paragraphe 11).

 

[20]           La jurisprudence a établi que le fait pour un agent de s’appuyer sur des éléments de preuve extrinsèques tirés d’Internet sans les divulguer au demandeur ni lui donner la chance d’y répondre constitue un manquement à l’équité procédurale et est assujetti à la norme de contrôle de la décision correcte (Arteaga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 778 [Arteaga], paragraphe 19; Kambo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 872, paragraphe 24).

 

Positions des parties

[21]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve. Le dossier contient une lettre du demandeur mineur adressée à l’agent, dans laquelle il est écrit : [traduction] « Je ne connais personne de ma famille au Bangladesh. » Pourtant, dans sa décision, l’agent affirme qu’aucun renseignement ne laisse croire [traduction] « que le demandeur mineur n’est pas demeuré en communication » avec sa famille au Bangladesh et que son père, son frère, ses grands-parents, ses tantes et ses oncles au Bangladesh doivent être considérés comme faisant partie intégrante de son éducation. En outre, l’agent aurait commis une erreur en ne tenant pas compte des répercussions qu’aurait le renvoi sur l’enfant et en se demandant seulement si celui‑ci aurait accès aux services de base au Bangladesh, sans prendre en considération son intérêt supérieur.

 

[22]           L’agent aurait également commis une erreur dans son évaluation des difficultés auxquelles les demandeurs auraient à faire face s’ils étaient renvoyés au Bangladesh. L’agent a conclu que la demanderesse principale provenait d’une famille riche au Bangladesh et que, par conséquent, elle n’était pas l’une des femmes pauvres et vulnérables décrites dans les documents d’information produits par l’avocat. Pourtant, l’agent a conclu que la demanderesse principale était une femme pauvre au Canada. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit d’une erreur que de conclure que leur famille les soutiendrait s’ils étaient au Bangladesh tout en observant qu’elle ne les soutient pas au Canada. De plus, aucune preuve n’étaierait l’hypothèse de l’agent selon laquelle la demanderesse provient d’une famille riche et qu’elle pourrait à nouveau bénéficier de cette richesse à son retour au Bangladesh.

 

[23]           Les demandeurs prétendent aussi que l’agent a commis une erreur en prenant en considération leur situation familiale telle qu’elle était il y a 13 ans. L’agent aurait dû prendre en considération la situation actuelle de la demanderesse.

 

[24]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a aussi commis une erreur dans son évaluation de leur établissement au Canada. Il aurait commis une erreur en mettant en doute le statut des personnes ayant écrit les lettres d’appui aux demandeurs. Il n’y avait aucune raison de se demander si les auteurs des lettres étaient des résidents permanents ou des citoyens canadiens. En outre, leur statut n’aurait dû avoir aucune incidence sur la valeur accordée aux lettres. Les demandeurs soutiennent également qu’il était déraisonnable pour l’agent de conclure que, parce que leur revenu se situait sous le seuil de la pauvreté, ils n’étaient pas établis au Canada. L’agent aurait également dû considérer comme un facteur positif le fait que la demanderesse principale est une mère célibataire qui travaille fort, qui n’a jamais reçu d’aide sociale et qui paye ses impôts tous les ans.

 

[25]           En ce qui concerne l’équité procédurale, les demandeurs soutiennent que l’agent a pris en considération des éléments de preuve extrinsèques et s’est appuyé sur ceux-ci sans en aviser les demandeurs ou leur donner la chance d’y répondre. En particulier, l’agent aurait tenu compte de documents concernant l’université de la demanderesse principale, son ancien employeur, la situation antérieure du pays et le dépôt de Premiers rapports d’information, sans communiquer aucun de ces documents aux demandeurs. L’agent aurait par conséquent manqué aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

 

[26]           Le défendeur soutient que les demandeurs essaient tout simplement de faire réexaminer la preuve par la Cour. L’agent aurait fourni des motifs convaincants et détaillés à l’appui de sa décision et n’aurait commis aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[27]           En ce qui a trait à l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, le défendeur soutient que l’agent a tenu compte de la documentation importante produite à l’appui de la demande des demandeurs et a en particulier fait référence aux observations du demandeur mineur. En outre, l’agent a conclu qu’il aurait une famille pour soutenir sa réintégration au Bangladesh et rien ne permettait de conclure que la famille ne donnerait pas cet appui. De plus, bien que le demandeur mineur précise dans sa lettre qu’il ne connaît personne de sa famille, cela ne signifie pas qu’il n’est pas en communication avec elle par téléphone ou par courrier. Ainsi, la décision de l’agent était raisonnable compte tenu de la preuve très mince quant aux répercussions qu’aurait sur le demandeur mineur son retour au Bangladesh. L’intérêt supérieur de l’enfant ne l’emporte pas sur tous les autres facteurs pris en considération dans le cadre d’une demande CH et la valeur attribuée à chacun des facteurs ne peut être réexaminée par la Cour.

 

[28]           Le défendeur soutient que l’évaluation par l’agent des difficultés était également raisonnable. L’agent a conclu que les demandeurs n’auraient pas à faire face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils étaient renvoyés au Bangladesh, en particulier parce qu’ils y ont de la famille qui pourrait aider à leur réintégration. L’agent a également dûment pris en considération la situation des demandeurs au Bangladesh avant leur arrivée au Canada, ainsi que la situation des demandeurs au Canada. Le défendeur fait valoir que l’agent n’a pas tiré de conclusions contradictoires.

 

[29]           L’agent n’aurait pas non plus commis d’erreur dans ses conclusions quant à l’établissement des demandeurs au Canada. Il était loisible à l’agent d’accorder peu de valeur aux lettres produites à l’appui de la demande CH des demandeurs. Ces lettres ne montraient d’ailleurs pas que le renvoi des demandeurs causerait un préjudice inhabituel, injustifié ou excessif. Il ne suffit pas d’établir que les demandeurs s’intégreraient avec succès à la société canadienne. L’agent a pris en considération les facteurs favorables et les facteurs défavorables concernant l’établissement au Canada et a tiré la conclusion raisonnable que leur renvoi ne causerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[30]           Pour ce qui est du prétendu manquement à l’équité procédurale, le défendeur soutient qu’aucun des éléments de preuve mentionnés par les demandeurs n’était une preuve extrinsèque.

 

Analyse

Équité procédurale

[31]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a manqué à l’équité procédurale en s’appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques, soit des éléments de preuve concernant l’université de la demanderesse principale, son ancien employeur, la situation au Bangladesh vers l’année 2000 et le dépôt de Premiers rapports d’information. Les demandeurs soutiennent que l’agent s’est fondé sur ces renseignements dans son évaluation des difficultés.

 

[32]           Dans la décision Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 20, au paragraphe 17, le juge Mosley a fait référence aux arrêts Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.F.) et Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.F.) et a déclaré, au sujet du recours aux éléments de preuve extrinsèques, que « (l)a question est de savoir si des faits concrets, essentiels ou potentiellement cruciaux pour la décision ont été utilisés à l’appui d’une décision, sans que la partie visée ait eu la possibilité de répondre à ces faits ou de les commenter ».

 

[33]           En l’espèce, les éléments de preuve qui seraient, selon les demandeurs, extrinsèques sont mentionnés dans la partie de la décision traitant des risques et des conditions défavorables dans le pays. Il est surtout question dans cette partie de la décision des difficultés liées à l’allégation de la demanderesse principale selon laquelle elle pourrait être exposée à des risques ou subir un préjudice en raison d’actes de violence conjugale si elle devait retourner au Bangladesh. À ce sujet, l’agent a admis les renseignements fournis par la demanderesse principale concernant le traitement des femmes au Bangladesh, mais a fait observer que, dans une large mesure, la violence contre les femmes dépend de la richesse ou de la pauvreté de la femme concernée.

 

[34]           L’agent a ensuite fait remarquer qu’il était précisé dans la demande de la demanderesse principale qu’elle avait fréquenté l’Université de Rajshahi de 1974 à 1980, puis en 1986 et 1987, et y avait obtenu un baccalauréat ès arts et une maîtrise en géographie et en enseignement. L’agent a inclus des extraits du site Web de l’université et a souligné que, selon un autre site Web, l’université se classait parmi les cent meilleures universités de l’Inde, du Pakistan, du Sri Lanka et du Bangladesh.

 

[35]           L’agent poursuit :

[traduction] La DP a suivi des cours à l’université et a obtenu deux maîtrises à un moment de l’histoire du Bangladesh où le pays était aux prises avec des turbulences et une pauvreté considérables en raison de la famine qui a commencé en 1974 et des inondations de 1998, selon une évaluation d’avril 2000 faite par le Home Office du Royaume-Uni. La DP occupait un poste rémunéré de professeur à l’Oxford International School (OIS) à Dhaka. Il s’agit d’une école de langue anglaise mixte, qui suit « le programme académique de l’Université de Cambridge » au Royaume-Uni. Il est indiqué dans le FRP de la DP, qu’elle a signé en mars 1999, qu’elle résidait à Dhaka avant sa venue au Canada et qu’elle « était née et avait été élevée dans une famille respectable ». Elle y mentionnait la situation difficile des femmes au Bangladesh et disait vouloir utiliser son éducation pour « aider cette partie affligée de la société ». Je remarque qu’elle ne faisait pas allusion à elle-même dans cette observation. Les renseignements dont je dispose indiquent qu’il est raisonnable de présumer que la DP provient d’une famille riche au Bangladesh et aucun document n’a été produit par la DP ou son avocat permettant de réfuter cette présomption. La DP précise que ses parents ainsi que ses frères et sœurs demeurent encore au Bangladesh. Par conséquent, j’estime que la DP ne se trouve pas dans une situation semblable à celle des femmes pauvres et vulnérables dont il est question dans la plupart des documents à l’appui produits par la demanderesse et son avocat.

 

[36]           Comme l’a affirmé la juge Gagné dans la décision Arteaga, précitée, selon la règle générale ressortant de la jurisprudence au sujet de l’utilisation de renseignements obtenus unilatéralement d’Internet par un décideur, lorsque les renseignements utilisés comportent de l’information inédite et importante que le demandeur ne pouvait pas raisonnablement prévoir, l’équité exige que le demandeur ait la chance de mettre en doute sa pertinence ou sa validité (paragraphe 24).

 

[37]            En l’espèce, l’agent a tiré de sites Web des renseignements au sujet de l’université de la demanderesse principale, de son classement et de l’école où elle a enseigné. Je ne peux être d’accord avec le défendeur et conclure que ces renseignements ne constituent pas des éléments de preuve extrinsèque uniquement parce qu’ils sont affichés publiquement sur Internet. La preuve extrinsèques, dans le cadre d’une décision visant une demande CH, est une preuve qui ne fait partie ni des observations du demandeur ni du dossier d’immigration du défendeur concernant le demandeur ou du dossier communiqué du tribunal, qui inclut les cartables nationaux de documentation (CND) disponibles en ligne, dont il sera plus tard question.

 

[38]           L’Internet donne accès instantanément à une vaste quantité de renseignements sur n’importe quel sujet. Certains sont exacts, d’autres non. À mon avis, même si les renseignements n’étaient pas considérés comme étant extrinsèques parce qu’ils se trouvent sur Internet, il faudrait aussi qu’il y ait un lien évident avec eux, et avec l’utilisation que l’agent entend en faire, au point où le demandeur pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient consultés et utilisés dans le contexte de la décision précise que l’agent doit prendre. Ce n’est pas le cas dans la présente affaire.

 

[39]           Pour ce qui est de la mention par l’agent d’une évaluation effectuée en 2000 par le Home Office du Royaume-Uni, Citoyenneté et Immigration Canada précise sur son site Web les renseignements qu’il possède à l’égard de la situation d’un pays. Les CND sont censés être une compilation des documents accessibles au public qui font rapport de la situation dans le pays et sont censés être régulièrement révisés et mis à jour afin de refléter les changements dans la situation du pays. Le site Web précise également qu’il incombe aux personnes participant aux procédures de protection des réfugiés de réviser les documents contenus dans le CND de leur pays d’origine étant donné que la Section de la protection des réfugiés (SPR) peut les prendre en considération dans sa décision. En outre, il est mentionné que la SPR peut se servir d’autres documents, comme les rapports produits par la Direction des recherches de la CISR, des articles des médias, etc., et que des copies de tout document supplémentaire que la SPR juge utile seront envoyées aux parties avant l’audience.

 

[40]           Par conséquent, les rapports sur la situation du pays figurant dans les CND sont accessibles au public et le demandeur sait que l’agent consultera ces rapports pour prendre sa décision. Cependant, en l’espèce, il n’est pas clair qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs sachent que l’agent effectuerait des recherche sur la situation au Bangladesh il y a douze ans ou dans quel but ces renseignements étaient obtenus. De toute façon, il s’agissait d’une preuve extrinsèque, car elle ne faisait pas partie du CND le plus récent et n’avait pas été communiquée aux demandeurs. Dans le cas où l’agent d’immigration s’appuie sur un document tiré d’un site Web non courant, c’est‑à‑dire un site qui n’est pas régulièrement mentionné dans les CND, il existe une obligation de divulguer les éléments de preuve inédits et importants qui ont une incidence sur la décision (Radji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 835, paragraphe 15).

 

[41]           Puisque j’ai conclu que les renseignements en question étaient extrinsèques, la question devient la suivante : l’agent s’est-il appuyé sur ces renseignements afin de prendre sa décision, sans donner à la demanderesse la chance d’y répondre?

 

[42]           Dans le cas présent, l’agent a conclu des renseignements sur la situation du pays soumis par les demandeurs que la violence envers les femmes au Bangladesh dépendait dans une large mesure de la richesse ou de la pauvreté de la femme concernée, les femmes riches étant apparemment moins susceptibles d’être visées. Des éléments de preuve démontrant la richesse de la demanderesse principale étayeraient la conclusion de l’agent selon laquelle elle serait peu susceptible d’être victime d’un préjudice à cet égard.

 

[43]           L’agent a examiné le site Web de l’université qu’a fréquentée la demanderesse principale, un autre site Web concernant le classement de l’université, un site sur la situation au Bangladesh à l’époque où la demanderesse y était étudiante ainsi que le site Web de l’école où elle enseignait au Bangladesh afin de conclure que la demanderesse ne risquait pas de subir des difficultés liées à la violence conjugale étant donné qu’elle devait provenir d’une famille riche. Cette conclusion était fondée sur le fait que la demanderesse a fréquenté une bonne université et a pu le faire à une époque où le Bangladesh souffrait des effets d’une famine et d’inondations. L’agent s’est clairement appuyés sur cette preuve extrinsèque parce qu’il y a fait référence, ainsi qu’à des passages du FRP de la demanderesse, lorsqu’il a affirmé ceci : [traduction] « Les renseignements dont je dispose indiquent qu’il est raisonnable de présumer que la DP provient d’une famille riche au Bangladesh et aucun document n’a été produit par la DP ou son avocat permettant de réfuter cette présomption. »

 

[44]           Non seulement l’agent s’est appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques afin de présumer de la richesse de la famille de la demanderesse principale, mais encore il a affirmé que celle‑ci n’avait pas fourni de preuve réfutant cette présomption. À mon sens, il s’agit d’un manquement à l’équité procédurale que d’obtenir et d’utiliser une preuve extrinsèque afin d’étayer une inférence qui n’a pas été communiquée aux demandeurs et d’ensuite leur reprocher de ne pas y avoir répondu. Il était déraisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse principale prévoit que la richesse présumée de sa famille il y a douze ans servirait de fondement à la conclusion de l’agent selon laquelle elle ne risquait pas personnellement de subir des difficultés liées à la violence conjugale si elle devait retourner au Bangladesh. Cela est d’autant plus vrai que l’agent a également remarqué dans la partie de la décision sur l’établissement au Canada que le revenu déclaré de la demanderesse de 2008 à 2011 se situait entre 16 200 $ et 18 600 $ et que [traduction] « en tant que travailleuse sans autre soutien perceptible, il est raisonnable de présumer que le revenu de la DP se situe sous le seuil de la pauvreté et qu’il ne représente donc pas nécessairement une preuve d’établissement au Canada ».

 

[45]           Il faut également observer que l’interprétation faite par l’agent de la situation du pays en fonction des documents soumis par la demanderesse est douteuse. Par exemple, il est écrit dans l’article de 2005 intitulé Violence against women: a statistical overview, challenges and gaps in data collection and methodology and approaches for overcoming them, rédigé par la Bangladesh National Women Lawyers Association : [traduction] « Des femmes de toutes les classes économiques sont susceptibles d’être la cible de mauvais traitements et de violence infligés par l’époux, la belle-famille ou d’autres membres de la famille. » En outre, il est mentionné dans les Réponses aux demandes d’information BGD101506.E datées du 1er août 2006 que [traduction] « la violence conjugale affecterait des femmes de diverses catégories de revenu au Bangladesh ».  L’agent a également cité les Country Reports on Human Rights Practices du Département d’État américain sur la situation au Bangladesh, datant de 2010, où il est indiqué : [traduction] « Il n’existe aucun groupe de soutien adéquat pour les victimes de violence conjugale. »

 

[46]           L’agent a déclaré que les renseignements et les éléments de preuve produits par les demandeurs de même que les documents disponibles publiquement ne permettaient pas de conclure que les demandeurs seraient directement exposés à des difficultés personnelles liées à un risque ou à un préjudice du fait de l’époux de la demanderesse principale. L’agent aurait dû présenter la preuve extrinsèque ayant servi à tirer une conclusion qui pourrait avoir eu une incidence sur l’issue de la demande CH aux demandeurs pour obtenir leur réponse. Par conséquent, j’estime qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale et, pour ce motif, la décision est annulée.

 

[47]           Étant donné que la question de l’équité procédurale est déterminante en l’espèce, il n’est pas nécessaire que je pousse l’analyse plus avant. Cependant, parce que je suis d’avis que la décision de l’agent selon laquelle le demandeur mineur ne subirait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était renvoyé au Bangladesh était déraisonnable, je vais également dire quelques mots à ce sujet.

 

Intérêt supérieur de l’enfant

[48]           Le juge Décary de la Cour d’appel fédérale a écrit que « […] le concept de “difficultés injustifiées” n’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’évaluer les difficultés auxquelles s’exposent les enfants innocents. Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés » (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, paragraphe 9).

 

[49]           Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75, la Cour suprême du Canada a énoncé ce qui suit au sujet de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant :

[75]      […] pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt.  Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants.  Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

 

[50]           Dans la décision Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, aux paragraphes 9 à 12, le juge Campbell a élaboré sur l’expression « réceptif, attentif et sensible » de la Cour suprême :

[9]        Être réceptif signifie être au fait de la situation. Lorsque, dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il est écrit qu’un enfant sera directement touché par la décision, l’agent des visas doit montrer qu’il est au courant de l’intérêt supérieur de l’enfant en indiquant les manières dont cet intérêt entre en jeu […]

 

[…]

 

[11]      […] pour être attentif à l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent des visas doit montrer qu’il comprend bien le point de vue de chacun des participants dans un ensemble donné de circonstances, y compris le point de vue de l’enfant s’il est raisonnablement possible de le connaître.

 

[12]      […] Pour montrer qu’il est sensible à l’intérêt de l’enfant, l’agent doit pouvoir exposer clairement les épreuves qui résulteront pour l’enfant d’une décision défavorable, puis dire ensuite si, compte tenu également des autres facteurs, les épreuves en question justifient une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

 

[51]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve au dossier. Je suis d’accord avec eux et j’estime que l’agent a minimisé l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[52]           Je reconnais que les décideurs sont présumés avoir pris en considération toute la preuve dont ils disposent. Par conséquent, ils ne sont pas tenus de mentionner expressément chaque élément de preuve au dossier. L’omission d’analyser la preuve qui contredit la décision du tribunal est déraisonnable seulement quand les éléments de preuve qui ne sont pas mentionnés sont essentiels et contredisent la conclusion du tribunal et que la cour chargée du contrôle de la décision conclut que cette omission montre la réticence du tribunal à prendre en considération les éléments dont il disposait (Herrera Andrade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1490, paragraphe 9). Cependant, « plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait] ” » (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 425 (QL) (1re inst.), paragraphe 17).

 

[53]           Le dossier certifié du tribunal contient une lettre du demandeur mineur dont disposait l’agent. Il y est notamment écrit :

[traduction] […]     Je veux rester au Canada parce que je comprends l’anglais très bien, mais je ne sais ni parler ni écrire la langue du Bangladesh. Je veux voir mes amis et ma famille tout le temps et je veux avoir un bel avenir au Canada. Je ne connais personne de ma famille au Bangladesh.

 

[54]           La conclusion de l’agent selon laquelle les demandeurs ne seraient pas exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives à leur retour au Bangladesh repose en grande partie sur la conclusion selon laquelle ils recevraient le soutien de leur famille au Bangladesh. Il semble que cette dernière conclusion ait été faite sans égard au témoignage du demandeur mineur présenté à l’agent.

 

[55]           Aux pages 10 et 11 de la décision, l’agent a écrit ceci :

[traduction]

Je remarque que les observations précisent que le fils de la DP parle l’anglais et le français, mais ne parle pas le bengali comme sa mère; toutefois, il est raisonnable de présumer qu’il connaît les rudiments de la langue, étant donné l’engagement de sa mère auprès de la communauté bengalaise au Canada.

 

[…]

 

Aucun renseignement n’a été fourni montrant que l’enfant n’est pas demeuré en communication avec son père ou son frère au Bangladesh ou étayant l’allégation selon laquelle ils poseraient un risque pour l’enfant. Je remarque également qu’aucun des documents fourni n’indique que la famille de la DP au Bangladesh, y compris les grands-parents, tantes et oncles de l’enfant et leur famille ne pourraient lui offrir de soutien dans sa réintégration à la société du Bangladesh. 

 

[56]           À la page 15 :

[traduction]

Le père de l’enfant, son seul frère, ses grands‑parents et tous ses oncles et tantes vivent au Bangladesh et doivent être considérés comme faisant partie intégrante de l’éducation de l’enfant.

 

[57]           L’agent affirme qu’aucune preuve ne montre que le demandeur mineur n’est pas demeuré en communication avec son père ou son frère aîné au Bangladesh. Pourtant, le demandeur mineur a écrit à l’agent pour dire : [traduction] « Je ne connais personne de ma famille au Bangladesh. » Bien que l’agent mentionne dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant que le père et le frère du demandeur mineur vivent au Bangladesh et doivent être considérés comme faisant partie intégrante de son éducation, le demandeur mineur ne s’est pas trouvé au Bangladesh depuis qu’il avait un an. En fait, dans la partie de la décision sur les risques et les conditions défavorables dans le pays, l’agent a déclaré que la demanderesse principale n’avait pas fourni de renseignements montrant que son mari ou son fils aîné habitaient encore au Bangladesh. 

 

[58]           En outre, l’agent a présumé que l’enfant connaissait les rudiments de la langue bengalaise, alors que l’enfant a clairement affirmé qu’il ne parlait ni n’écrivait cette langue.

 

[59]           Il faut en conclure que l’agent n’a pas pris dûment en considération la lettre du demandeur mineur et a mal interprété l’engagement et le soutien que pourraient lui fournir sa famille étendue au Bangladesh.

 

[60]           Le défendeur établit une distinction entre la décision Kolosovs, précitée, et la présente demande. Je conviens que les faits dans cette affaire ne sont pas les mêmes que ceux à l’origine de la présente demande. Cependant, le principe général de Kolosovs demeure. La Cour doit examiner si l’agent s’est montré « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant. Je ne suis pas convaincue que l’agent l’a été en l’espèce.

 

[61]           Sauf mentionner que le demandeur mineur a 15 ans, est en neuvième année et a son nom inscrit au tableau d’honneur de son école et prendre connaissance des lettres d’appui à l’enfant de ses amis proches et d’autres personnes de la communauté, l’agent n’a pas fait état de la façon dont l’intérêt supérieur du demandeur mineur serait affecté par son retour au Bangladesh.

 

[62]           En outre, l’agent affirme : [traduction] « Comme je l’ai indiqué précédemment, les conditions de la DP ne permettent pas de penser que son fils se trouverait dans une situation telle qu’il serait incapable d’avoir accès à des écoles ou à des soins de santé, entre autres nécessités, s’il devait retourner au Bangladesh. » Il s’agit sans doute d’une référence à la présomption de l’agent, en partie fondée sur la preuve extrinsèque, selon laquelle la demanderesse principale provient d’une famille riche. Il ne tient pas compte du fait que, au Canada, la demanderesse principale a déclaré un revenu sous le seuil de la pauvreté. L’agent semble présumer que la famille de la demanderesse principale est demeurée riche et les soutiendra, elle et son fils. Bien que cela puisse être le cas, je ne peux convenir qu’il s’agit de présomptions bien fondées compte tenu de la preuve.

 

[63]           L’agent a également affirmé ceci : [traduction] « La documentation dont je dispose ne me permet pas de conclure que l’enfant ne disposera pas au Bangladesh des services de base, comme une éducation et des soins de santé. » Le critère, bien entendu, n’est pas de savoir si l’enfant disposera des services de base au Bangladesh, mais plutôt de savoir quel est l’intérêt supérieur de l’enfant. L’analyse de l’agent était insatisfaisante étant donné que le demandeur mineur se trouve au Canada depuis qu’il a un an et a affirmé ne pas connaître sa famille au Bangladesh ou parler la langue du pays.

 

Conclusion

[64]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision est renvoyée à un autre agent de Citoyenneté et Immigration Canada pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question grave de portée générale n’a été soumise en vue de sa certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision soit renvoyée à un autre agent de Citoyenneté et Immigration Canada afin qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question grave de portée générale n’a été soumise en vue de sa certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6506-12

 

INTITULÉ :                                      SULTANA NARNIGER BEGUM ET AL c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 29 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tamara Morgenthau

 

POUR LES DEMANDEURS

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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