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Date : 20130808

Dossier : IMM-7044-12

Référence : 2013 CF 849

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 août 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

MAHDI ANSARI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               En vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue, le 25 mai 2012, par un agent des visas (l’agent) de l’ambassade du Canada à Ankara, en Turquie. L’agent a décidé, par application des paragraphes 87.3(2) et (3) de la Loi, que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences pour l’octroi du statut de résident permanent au Canada à titre de travailleur qualifié (fédéral).

 

[2]               M. Ansari, un citoyen de l’Iran, a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF), sous le code 0213 (gestionnaire des systèmes informatiques) de la Classification nationale des professions (la CNP).

 

[3]               L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas fourni [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve » qu’il [traduction] « avait exercé les fonctions décrites dans l’énoncé principal de la profession telles qu’elles sont énumérées dans la description des professions de la CNP, ni [qu’il] avait exercé toutes les fonctions essentielles ainsi qu’une partie appréciable des fonctions principales énumérées dans les descriptions des fonctions de la CNP ». Les notes du Système mondial de gestion de cas (le SMGC) constituent une partie des motifs et fournissent un éclairage sur les raisons pour lesquelles l’agent est arrivé à une telle conclusion :

[traduction]

Le sujet a fourni une lettre d’Iran Poust Co Ltd, laquelle décrivait les fonctions et les responsabilités du demandeur. Il conviendrait de relever que la lettre paraphrasait les fonctions principales telles qu’elles sont énoncées dans la description de la CNP, sur son site Internet. Il conviendrait aussi de souligner que le sujet ne semble pas avoir exercé certaines des fonctions principales correspondant au code 0123 [sic] de la CNP. – Je ne suis pas convaincu que le sujet a exercé les fonctions de l’énoncé principal ou certaines des fonctions principales énoncées dans le code 0213 de la CNP.

 

[4]               Dans la lettre de rejet, l’agent a réitéré ce qui précède et il a ajouté que les fonctions principales décrites dans la lettre d’emploi fournie sont [traduction] « reprises presque à l’identique de la description des fonctions de la CNP, ce qui affaiblit la crédibilité d’ensemble de la lettre d’emploi. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que vous êtes un gestionnaire des systèmes informatiques, au sens du code 0213 de la CNP ».

 

Questions en litige

 

[5]              Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale et il se fonde sur plusieurs décisions établissant que, lorsqu’il y a des doutes relatifs à la crédibilité ou à l’authenticité des documents présentés, il y a une obligation d’informer le demandeur de tels doutes, et de lui donner l’occasion d’y répondre : Liao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1926, aux paragraphes 15 à 17; Talpur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 25, [2012] ACF no 22 (Talpur), au paragraphe 21; Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501 (Hassani).

 

[6]               Selon le demandeur, une réserve de l’agent relative à la paraphrase de la description des professions de la CNP est une question de crédibilité qui entraîne une telle obligation. Le demandeur a relevé la jurisprudence de la Cour, y compris les décisions suivantes : Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 571, [2011] ACF no 714 (Patel), aux paragraphes 26 et 27; Farooq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 164, [2013] ACF no 162; Madadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 716, [2013] ACF no798 (Madadi).

 

[7]               Le demandeur soutient aussi que l’agent a conclu de façon déraisonnable que le demandeur n’avait pas exercé certaines des fonctions principales du code 0213 de la CNP, étant donné que la jurisprudence a établi qu’il suffisait que le demandeur démontre qu’il a exercé au moins une des fonctions principales (Tabanag c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1293, [2011] ACF no 1575). La lettre de l’employeur du demandeur énonçait deux des fonctions, et la demande TQF énumérait deux autres fonctions. Le demandeur allègue en outre que l’agent a omis de prendre en compte la preuve pertinente en la matière, y compris le curriculum vitae du demandeur et l’annexe 3, laquelle comprenait une liste de ses fonctions actuelles.

 

[8]               Le défendeur est d’avis qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. L’agent a suivi la procédure, et il n’avait pas l’obligation d’informer le demandeur de ses réserves relatives à la similitude entre les fonctions soumises et le libellé du code 0213 de la CNP.

 

[9]               Le défendeur renvoie à la jurisprudence selon laquelle un agent n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité de répondre à ses réserves lorsque celles‑ci découlent directement des exigences de la Loi ou d’un règlement connexe, le défendeur se fonde sur les décisions suivantes : Kamchibekov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1411, [2011] ACF no 1782 (Kamchibekov), au paragraphe 26; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 442, [2010] ACF no 587 (Kaur), au paragraphe 9; Hassani, précitée.

 

[10]           Le défendeur avance que l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas exercé un nombre important des fonctions, que la lettre d’emploi, l’annexe 3 et la demande étaient toutes des paraphrases ou des copies de la CNP et décrivaient seulement deux fonctions, et que la lettre d’emploi ne décrivait ni la nature de l’entreprise ni l’énoncé principal ni les fonctions principales, exigences auxquelles le demandeur doit satisfaire.

 

[11]           Le défendeur avance aussi que les agents des visas n’ont pas l’obligation de mentionner chacun des éléments de preuve dont ils disposaient, puisqu’il existe une présomption selon laquelle ces éléments de preuve ont été pris en compte : Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA) (QL); Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16. L’affidavit de l’agent, auquel le demandeur s’oppose, confirme simplement que l’agent a bien tenu compte de tous les documents, affirmation qui est autrement présumée.

 

Norme de contrôle

[12]           Le demandeur et le défendeur sont d’accord sur les normes de contrôle applicables. Si une question d’équité procédurale est soulevée, elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434, au paragraphe 43. La décision de l’agent en ce qui a trait à l’admissibilité du demandeur au statut de résident permanent à titre de membre de la catégorie des TQF nécessite que l’agent apprécie la demande et qu’il exerce son pouvoir discrétionnaire et, par conséquent, elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[13]           La question principale consiste à savoir si l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale, en ne donnant pas au demandeur l’occasion de répondre à ses réserves relatives à la lettre d’emploi, laquelle était une copie des fonctions énoncées dans la CNP, ce qui a conduit l’agent à faire remarquer que cela [traduction] « affaiblit la crédibilité d’ensemble de la lettre d’emploi ».

 

[14]           Dans le cas où la réserve porte réellement sur la crédibilité, la jurisprudence a établi qu’une obligation d’équité procédurale pouvait naître (Hassani). Toutefois, si la réserve a trait au caractère suffisant de la preuve, étant donné que le demandeur a indubitablement l’obligation de présenter une demande complète, accompagnée de documents qui l’appuient, une telle obligation n’est pas soulevée. La distinction entre les réserves relatives au caractère suffisant de la preuve et celles qui concernent la crédibilité n’est pas une tâche aisée, étant donné que les deux questions peuvent être liées.

 

[15]           Dans la décision Kamchibekov, la demanderesse avait copié ses fonctions directement de la description de la CNP. Le juge Pinard a décidé que la décision de l’agent était raisonnable et que l’agent n’avait pas l’obligation d’informer la demanderesse de ses réserves relatives à la reproduction des fonctions énumérées. De plus, comme dans la présente espèce, l’agent n’était pas non plus convaincu que la demanderesse avait exercé les fonctions décrites dans l’énoncé principal. Le juge Pinard a relevé ce qui suit :

 

[15]           Selon le Bulletin opérationnel 120 – 15 juin 2009, Demandes de travailleurs qualifiés (fédéral) – Procédures aux bureaux des visas, les descriptions de tâches qui reproduisent littéralement la formulation de la CNP doivent être considérées comme intéressées. Les agents des visas à qui l’on soumet de tels documents ont le droit de se demander si ceux-ci décrivent avec exactitude l’expérience du demandeur. Quand un document ne comporte pas assez de précisions pour permettre sa vérification ni une description crédible, on considérera que le demandeur n’a pas produit assez de preuves pour établir son admissibilité : l’agent des visas doit rendre une décision définitive et, si les éléments de preuve sont insuffisants, c’est une décision défavorable au sujet de l’admissibilité qu’il convient de rendre.

 

[16]           L’agent était donc habilité à accorder moins de poids à la description que le demandeur avait faite de son expérience professionnelle, car il s’agissait d’une réplique presque exacte des fonctions énoncées dans la CNP. Le demandeur est néanmoins d’avis que le fait que l’agent n’ait pas pris en considération les autres éléments de preuve documentaires qu’il a fournis constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[…]

 

[20]           Puisque la demande du demandeur était une quasi-copie des fonctions énoncées dans la CNP, tout comme l’était sa lettre de références, l’agent n’a pas pu évaluer convenablement si le demandeur possédait l’expérience professionnelle requise à titre de directeur de la restauration et des services alimentaires, et il a donc déclaré que le demandeur n’était pas admissible, conformément aux lignes directrices (Bulletin opérationnel 120, précité).

 

 

[…]

 

[27]            En l’espèce, l’agent n’avait pas à tenir une entrevue ou à aviser le demandeur de ses doutes au sujet de la reproduction des fonctions énumérées dans la CNP, comme dans Kaur. Comme l’a indiqué la juge Danièle Tremblay-Lamer, au paragraphe 14 :

 

[…] La demanderesse a semblé avoir copié la description de ses propres tâches de la Classification nationale des professions, ce qui ne l’a pas aidée. Ainsi, il était loisible à l’agent des visas, compte tenu du peu d’éléments de preuve dont il était saisi, de conclure que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle avait une expérience professionnelle suffisante à l’égard de la profession déclarée et de rejeter sa demande pour ce motif.

 

 

[28]           L’agent n’a donc pas manqué à son obligation d’équité procédurale.

 

 

[16]           Dans la décision Obeta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1542, [2012] ACF no 1624 (Obeta), le juge Boivin a confirmé la décision d’un agent de ne pas délivrer de visa en raison de l’absence de crédibilité de la lettre d’emploi. En plus du fait que la lettre d’emploi était une copie des fonctions de la CNP, il y avait d’autres doutes relatifs à l’authenticité de la lettre et à la vraisemblance quant au fait que le demandeur avait été embauché comme gestionnaire de projets de construction sans aucune formation ou expérience antérieure.

 

[17]           Dans la décision Hassani, laquelle a été citée par plusieurs décisions ultérieures à l’appui de la proposition selon laquelle les doutes relatifs à la crédibilité devraient amener l’agent à informer le demandeur de ceux‑ci, le juge Boivin a noté que, dans les faits, il ne s’agit pas d’une obligation absolue. Comme le juge Boivin l’a souligné, dans la décision Hassani, le juge Mosley a déclaré ce qui suit :

[24]      […] Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée. [Non souligné dans l’original.]

 

[18]           Dans la décision Obeta, le juge Boivin a mis l’accent sur le fait qu’il incombe au demandeur de présenter une demande pertinente, convaincante et sans ambiguïté, ainsi qu’il l’a expliqué au paragraphe 25 :

[25]           Comme il est expliqué précédemment, l’obligation de fournir des renseignements suffisants incombe au demandeur et, lorsque les préoccupations de l’agent découlent directement des exigences de la Loi ou de son règlement d’application, l’agent n’est nullement tenu de faire part de ses doutes ou de ses préoccupations au demandeur (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 442, au paragraphe 11, [2010] ACF no 587 (QL) [Kaur]; décision Hassani, précitée, au paragraphe 24). En outre, contrairement à ce qu’avance le demandeur, l’agent n’a aucune obligation absolue de cette nature lorsque la demande est à première vue dénuée de crédibilité. En ce qui concerne le caractère suffisant des renseignements, ce n’est pas simplement parce que la demande est « complète » que l’obligation sera transférée à l’agent. Le demandeur a l’obligation de présenter une demande qui non seulement est « complète », mais aussi pertinente, convaincante et sans ambiguïté (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2012 CF 526, [2012] ACF no 548; décision Kamchibekov, précitée, au paragraphe 26). Malgré la distinction que tente d’établir le demandeur entre le caractère suffisant et l’authenticité des renseignements, il n’en demeure pas moins qu’une demande complète est, en réalité, insuffisante si les renseignements qu’elle renferme sont dénués de pertinence, non probants ou ambigus.

 

 

[19]           La jurisprudence permet aussi d’étayer la position selon laquelle, lorsque des doutes portant sur la crédibilité sont soulevés, il pourrait y avoir – et il y a souvent – une obligation d’informer le demandeur de ces doutes de façon à ce que le demandeur soit en mesure de fournir une explication ou d’autres documents.

 

[20]           Dans la décision Talpur, le juge de Montigny a analysé la jurisprudence et, se fondant sur la décision Hassani, a conclu que les questions d’équité procédurale seront soulevées lorsque les réserves de l’agent des visas se rapportent à la crédibilité de la preuve :

21        Il est désormais bien établi que l’obligation d’équité dont bénéficient les demandeurs de visa, bien qu’elle se situe à l’extrémité inférieure du registre (Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 41; Trivedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, au paragraphe 39), impose aux agents des visas de communiquer leurs réserves aux demandeurs, de manière à ce qu’ils aient l’occasion de les dissiper. Il en sera notamment ainsi lorsque ces réserves se rapportent non pas tant à des exigences légales qu’à l’authenticité ou à la crédibilité de la preuve fournie par le demandeur. Après s’être livré à un examen approfondi de la jurisprudence sur cette question, le juge Mosley a pu concilier ainsi les décisions apparemment contradictoires la Cour :

Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

 

Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501, au paragraphe 24.

 

 

[21]           Dans la décision Talpur, on a conclu qu’il n’y avait eu aucun manquement à l’équité procédurale, parce que l’agent avait demandé au demandeur de lui fournir plus de renseignements ou des documents à l’appui de sa demande, avant de prendre une décision définitive relativement à la demande.

 

[22]           La décision Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 571, [2011] ACF no 714, est invoquée de façon extensive à l’appui de la proposition selon laquelle, lorsqu’on copie les fonctions décrites dans la CNP, un doute relatif à la crédibilité est soulevé, ce qui conduit à l’obligation de faire part de ce doute au demandeur. Toutefois, il est clair que le juge O’Keefe a conclu, après avoir mené une appréciation complète des faits de l’affaire, y compris le fait que les fonctions de la CNP avaient été copiées, que les motifs n’étaient pas adéquats, et que l’agent avait considéré que la lettre était frauduleuse. La question centrale, telle que l’a énoncée le juge O’Keefe, est la même que la question à laquelle nous sommes exposés dans la présente affaire :

[20]           La question centrale qui se pose en l’espèce est de savoir si l’agente a rejeté la demande parce qu’elle avait des préoccupations au sujet de la crédibilité de la lettre concernant l’expérience professionnelle ou parce qu’elle a conclu que le demandeur principal n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve sur son expérience de travail.

 

[21]           Il appert de la jurisprudence que l’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des réserves qu’il a au sujet de la demande lorsque ces réserves découlent directement des exigences de la législation ou des règlements (voir Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, aux paragraphes 23 et 24).

 

[22]           Cependant, l’agent des visas est tenu d’informer le demandeur de ses réserves concernant la véracité des documents et devra faire des recherches plus approfondies (voir la décision Hassani, précitée, au paragraphe 24).

 

[23]           Il appartient toujours au demandeur principal d’établir le bien-fondé de tous les aspects de sa demande auprès de l’agent des visas. L’agent n’est pas tenu de demander des renseignements supplémentaires lorsque la preuve du demandeur principal est insuffisante (voir Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 172 FTR 262, [1999] ACF no 1198 (CF 1re inst.) (QL), au paragraphe 6). 

 

[24]           Il appert clairement de l’article 75 du Règlement que l’étranger est un travailleur qualifié uniquement s’il peut prouver qu’il a accumulé au moins une année d’expérience à temps plein au cours de laquelle il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi dans la description de la CNP et une partie appréciable des fonctions principales de cette même profession.

 

[25]           En conséquence, si l’agente des visas avait craint uniquement que la lettre concernant l’expérience professionnelle ne constitue pas une preuve suffisante du fait que le demandeur principal respectait les exigences de l’article 75 du Règlement, elle n’aurait pas été tenue de le convoquer à une entrevue.

 

[26]           Cependant, l’agente souligne que, selon elle, les fonctions énoncées dans la lettre d’emploi ont été copiées directement de la description de la CNP et que les fonctions mentionnées dans la lettre concernant l’expérience professionnelle sont identiques à celles qui figurent dans la lettre d’emploi. Je conviens avec le demandeur principal que l’agente n’a pas donné suffisamment d’explications permettant de comprendre pourquoi cet aspect était problématique. À mon avis, ces préoccupations donnent à entendre que l’agente croyait que la lettre concernant l’expérience professionnelle était frauduleuse.

 

[27]           En conséquence, étant donné qu’elle estimait que la lettre était frauduleuse, l’agente aurait dû convoquer le demandeur principal à une entrevue, eu égard à la jurisprudence susmentionnée. En omettant de le faire, l’agente a privé le demandeur principal du droit à l’équité procédurale et la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[23]            Dans la récente décision Hamza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 264, [2013] ACF no 284, le demandeur s’est vu refuser le statut de résident permanent à titre de membre de la catégorie des TQF, parce qu’il avait, entre autres, copié les fonctions de la CNP. La juge Bédard a examiné en profondeur la jurisprudence applicable et a fait un résumé des principes pertinents quant à la question : il incombe au demandeur de démontrer qu’il satisfait aux exigences du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés en présentant des éléments de preuve suffisants à l’appui de sa demande; l’obligation d’équité procédurale à laquelle sont astreints les agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du registre; l’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des lacunes de sa demande ou des documents à l’appui; l’agent des visas n’a aucune obligation de donner au demandeur l’occasion de dissiper ses doutes, lorsque les documents à l’appui sont incomplets, imprécis ou insuffisants pour le convaincre que le demandeur répond aux critères.

 

[24]           La juge Bédard a aussi relevé, comme cela avait été décidé dans Hassani, qu’un agent peut avoir l’obligation de fournir au demandeur l’occasion de répondre à ses réserves lorsqu’elles sont liées à la crédibilité, la véracité ou l’authenticité des documents plutôt qu’au caractère suffisant de la preuve.

 

[25]           La juge Bédard a noté qu’il est nécessaire de déterminer, en premier lieu, si les réserves de l’agent sont liées à la crédibilité ou au caractère suffisant de la preuve. Elle a aussi souligné que chaque cas doit être tranché en fonction des faits qui lui sont propres :

[41]          Dans Kamchibekov, précitée, le juge Pinard a conclu que l’agent des visas n’était pas tenu d’inviter le demandeur à dissiper les doutes qu’il avait parce que la lettre d’emploi reflétait les fonctions énoncées dans la CNP. Le juge Pinard estimait que les éléments de preuve fournis par le demandeur étaient ambigus et insuffisants. Il faut garder à l’esprit que chaque cas est tributaire des faits. Dans Kamchibekov, le demandeur avait présenté une demande dans la catégorie d’emploi « directeurs / directrices de la restauration et des services alimentaires ». La description de la CNP correspondant à ce poste énumérait des fonctions très générales qui étaient reprises dans la lettre d’emploi. En outre, la lettre de l’agent ne renfermait aucune indication voulant que ses préoccupations soient liées à la véracité de la lettre; la décision expliquait simplement que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants de son expérience professionnelle. En l’espèce, l’agente n’a pas estimé satisfaisante la lettre d’emploi parce qu’il s’agissait, à ses yeux, d’une lettre intéressée et les fonctions qui y étaient décrites reprenaient la description de la CNP.

 

 

[26]           Dans la décision Ghannadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 515, [2013] ACF no 550, le juge Phelan a conclu que la décision de l’agent était déraisonnable, parce que celui‑ci avait rejeté une demande TQF au motif que la lettre d’emploi était étroitement parallèle aux fonctions décrites dans la CNP. Le juge Phelan a souligné la distinction entre la crédibilité et le caractère suffisant, et il a conclu que, si la réserve portait en réalité sur la crédibilité, il y aurait eu manquement à l’obligation d’équité procédurale, mais si la réserve avait trait au caractère suffisant de la preuve, la décision n’était pas raisonnable :

[9]              Premièrement, l’on constate, après examen impartial de la lettre de l’employeur, qu’il ne s’agit pas du genre de reprise servile de descriptions de la CNP justifiant d’attribuer un poids moindre à cet élément de preuve. La lettre n’énumère pas toutes les fonctions figurant dans la description de la CNP, et elle distingue entre les fonctions accomplies à l’égard de deux projets importants, lesquelles ne sont pas les mêmes dans les deux projets. L’analyse de l’agent était injuste et déraisonnable.

 

[10]           Deuxièmement, comme la juge Heneghan l’a indiqué dans Siddiqui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (26 janvier  2011), Toronto IMM-2327-10 (CF), l’emploi dans des lettres de recommandation de formulations analogues à celles de descriptions de tâches de la CNP [traduction] « ne justifie pas en soi d’écarter ces lettres ».

 

[…]

 

[15]           Pour ce qui est du manquement à l’équité procédurale, l’agent a employé le mot [traduction] « crédibilité » pour discréditer la lettre de l’employeur. Si l’agent a conclu, comme cela semble être le cas, que la lettre était fausse ou trompeuse, le demandeur aurait dû avoir l’occasion de dissiper cette impression (Ma c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 1042, 84 Imm LR (3d) 280, et Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501). Si l’agent a voulu dire par là qu’il a accordé moins de poids à la lettre, cette conclusion que la preuve était insuffisante était mal fondée.

 

 

[27]           Dans la récente décision Madadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 716, [2013] ACF no 798, le juge Zinn a examiné une lettre de refus et des notes du SMGC formulées de façon très semblable à celles de la présente espèce et il a conclu qu’une obligation d’équité procédurale était requise. La décision du juge Zinn était aussi fondée sur la conclusion que le demandeur avait par ailleurs fourni des éléments de preuve suffisants pour établir qu’il satisfaisait aux exigences :

[6]              La jurisprudence de la Cour en matière d’équité procédurale dans ce domaine est claire : lorsqu’un demandeur fournit des preuves suffisantes pour établir qu’il satisfait aux exigences de la Loi ou du Règlement, le cas échéant, et que l’agent met en doute « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis » et qu’il souhaite rejeter la demande en fonction de ces doutes, l’obligation d’équité est invoquée : Perez Enriquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1091, au paragraphe 26. Voir aussi, entre autres, Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 571; Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264; Farooq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 164; Ghannadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 515.

 

 

[28]           Dans la présente espèce, le demandeur ne conteste pas que la lettre d’emploi contient des fonctions énoncées de façon similaire à celles de la CNP, mais il soutient que sa demande était complète et qu’il avait satisfait aux exigences relatives à l’admissibilité. Le demandeur avance que, comme le juge O’Keefe l’a relevé au paragraphe 29 de la décision Kumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1072, [2010] ACF no 1335, « […] lorsqu’une demande satisfait à première vue à toutes les exigences applicables, un agent d’immigration est tenu d’informer le demandeur de toute autre question ou préoccupation avant de la rejeter ».

 

[29]           Le demandeur avance que la question est simple et la jurisprudence claire; l’agent a indiqué que sa réserve était liée à la crédibilité de la lettre d’emploi et, par conséquent, il était tenu à une obligation d’équité procédurale.

 

[30]           La jurisprudence a établi que chaque cas doit être apprécié pour déterminer si la réserve est en fait liée à la crédibilité. Dans plusieurs décisions citées, malgré le fait que les fonctions avaient été copiées ou paraphrasées de la CNP, il y avait d’autres facteurs confirmant que les réserves de l’agent étaient liées à l’authenticité ou à la véracité des documents, ou à la crédibilité de l’auteur du document. Le simple fait d’utiliser le terme crédibilité n’est pas déterminant de la question de savoir si la réserve a trait à la crédibilité, bien que l’utilisation de ce terme ne puisse pas être écartée.

 

[31]           Je souscris au commentaire du juge Phelan selon lequel on ne peut guère se surprendre que les lettres des employeurs ressemblent étroitement à la CNP. J’admets que, dans beaucoup de cas, le demandeur n’a ni d’autres mots ni de mots mieux choisis pour décrire ses fonctions et que le fait d’utiliser d’autres descriptions entraîne pour lui le risque de ne pas satisfaire aux critères de la CNP. Par ailleurs, un demandeur devrait être en mesure de décrire les fonctions qu’il a exercées dans le contexte de son emploi ou de l’entreprise dans laquelle il était engagé et relier ces fonctions à celles de la CNP.

 

[32]           En l’espèce, l’agent a indiqué que le fait de copier les fonctions de la CNP affaiblissait la crédibilité de la lettre. Dans un cas comme celui de la présente espèce, lorsque toutes les références aux fonctions et à l’expérience du demandeur (la lettre d’emploi, l’annexe 3 et le CV) copient ou paraphrasent la CNP, les doutes de l’agent sont justifiés, et, bien que celui‑ci puisse dire qu’il s’agit de doutes relatifs à la crédibilité, l’agent n’est pas, en conséquence, en mesure d’apprécier si le demandeur satisfait aux exigences en raison de l’insuffisance de la preuve. Il est clair que les deux questions sont reliées : si les critères sont copiés, l’agent ne peut pas être sûr que le demandeur a effectivement l’expérience requise, étant donné qu’il ne peut pas formuler, dans ses propres mots, son expérience, ses fonctions ou ses responsabilités, et qu’il ne peut pas les relier à l’emploi qu’il a effectivement exercé.

 

[33]           La jurisprudence citée à la fois par le demandeur et par le défendeur à l’appui de leur position respective est cohérente en ce sens qu’elle oriente vers la nécessité de déterminer si les réserves tiennent à la crédibilité ou bien au caractère suffisant, avant de trancher la question de savoir si une obligation d’équité procédurale existe.

 

[34]           Si une réserve relative au fait de copier ou de paraphraser la CNP est qualifiée comme étant liée à la crédibilité, sans examen de la question de savoir s’il s’agit en fait d’une réserve portant sur la crédibilité, alors les demandeurs qui copient les fonctions de la CNP peuvent s’attendre à ce qu’on leur donne une occasion de fournir d’autres renseignements ou de répondre aux réserves de l’agent. Cela entraînera des retards dans le traitement des demandes TQF, et ce n’est pas compatible avec les directives données aux demandeurs, selon lesquelles ils doivent fournir tous les documents pertinents avec leur demande, et celles données aux agents des visas de traiter les demandes telles qu’elles leurs sont soumises.

 

[35]           Comme la juge Snider l’a souligné au paragraphe 8 de la décision Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 786, [2009] ACF no 910, un tel processus équivaudrait à exiger de la part de l’agent de donner préavis d’une décision défavorable :

[8]        S’agissant de la question du manquement aux principes d’équité procédurale, je souligne qu’il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve adéquats et suffisants pour appuyer sa demande. Un agent des visas n’est nullement tenu de clarifier une demande incomplète (voir, par exemple, Fernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 994 (QL); Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 F.T.R. 316 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 4). L’imposition d’une telle exigence équivaudrait à exiger de la part de l’agent des visas de donner préavis d’une décision défavorable, une obligation que le juge Rothstein (tel était alors son titre) a expressément rejetée dans Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 940 (QL).

 

 

[36]           Selon les faits de la présente espèce, bien que l’agent des visas ait indiqué que le fait de copier affaiblissait la crédibilité de la lettre, ses conclusions principales portaient sur le caractère suffisant de la preuve. Il n’y avait pas d’autres doutes relevés orientant vers la crédibilité. Comme dans les décisions Kamchibekov et Obeta, la description faite par le demandeur de ses fonctions était une reproduction de la description de la CNP, l’agent avait le droit d’accorder moins de poids à la preuve et, par conséquent, le demandeur n’avait pas satisfait à l’obligation de fournir suffisamment de renseignements.

 

[37]           Pour les motifs énoncés ci‑dessus, je conclus qu’il n’y avait pas de manquement à l’équité procédurale et que la décision de l’agent était raisonnable.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-7044-12

 

INTITULÉ :                                            MAHDI ANSARI

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 10 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  La juge Kane

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 8 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Rachel Hepburn Craig

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldwan & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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