Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130618

Dossier : T-1048-07

Référence : 2013CF677

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2013

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

 

ENTRE :

 

ELI LILLY CANADA INC.,

ELI LILLY AND COMPANY,

ELI LILLY AND COMPANY LIMITED

ET ELI LILLY SA

 

 

 

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

 

et

 

 

 

NOVOPHARM LIMITED

 

 

 

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Par la présente requête, la défenderesse/demanderesse reconventionnelle, soit Teva Canada Limited (Teva), souhaite modifier sa défense et demande reconventionnelle après l’instruction de la première phase de la présente action (l’action a fait l’objet d’une disjonction et Teva a eu gain de cause dans cette première phase), mais avant le commencement des interrogatoires préalables de la seconde phase.

 

[2]               Teva sollicite également une ordonnance fixant l’échéancier qui ferait en sorte que l’instruction de la seconde phase s’amorce environ 18 mois après la décision rendue sur sa requête.

 

[3]               Un des (nombreux) facteurs qui ajoutent à la complexité de la présente requête est le fait que Teva, au lieu de soumettre un acte de procédure modifié dans lequel les modifications sont soulignées conformément au paragraphe 79(1) des Règles, a présenté une [traduction] « nouvelle défense et demande reconventionnelle modifiée », dans laquelle certains éléments déjà invoqués sont entièrement reformulés et incorporés dans les nouveaux éléments soulevés, si bien qu’il est parfois difficile ou impossible de relever les ajouts, les suppressions et les modifications touchant les faits précis allégués et le vocabulaire utilisé. L’objectif déclaré de ces modifications ne facilite pas la tâche de relever les changements importants : Teva soutient que ses modifications [traduction] « retirent certaines demandes, précisent sa demande fondée sur l’article 8 et ajoutent une demande en vertu de la Loi sur les marques de commerce ». Comme nous le verrons ci-après, ces distinctions ne sont pas toujours claires et, dans de nombreux cas, de nouveaux paragraphes devant servir à préciser la demande fondée sur l’article 8 mêlent de manière inextricable les renseignements liés à la demande existante avec les allégations à l’appui des nouvelles demandes. De leur côté, les demanderesses/défenderesses reconventionnelles, soit Eli Lilly Canada Inc. (Lilly Canada), Eli Lilly and Company (Lilly US), Eli Lilly and Company Limited (Lilly UK) et Eli Lilly SA (Lilly SA) (ci-après conjointement appelées Lilly), soutiennent que Teva, en reformulant certaines allégations, retire de façon inadmissible certains aveux et que, au lieu de préciser la demande fondée sur l’article 8, les modifications de Teva visent de manière irrégulière à élargir sa demande et à rouvrir la phase de présentation de la preuve du premier procès. Dans la mesure où ces modifications portent sur la question du quantum, Lilly soutient qu’elles servent à revendiquer des pertes non admissibles et qu’elles ne font pas état de ces pertes de façon suffisamment précise.

 

[4]               Un autre facteur qui ajoute à la complexité de la présente requête est le fait que, même si l’ordonnance de disjonction prévoyait que toutes les questions de responsabilité découlant de la demande de Teva fondée sur l’article 8 seraient examinées et tranchées dans le cadre du premier procès et que seules les questions liées à l’évaluation quantitative de l’indemnisation resteraient à être tranchées lors du second procès ou du renvoi, le juge de première instance a choisi de reporter la décision concernant certaines questions de responsabilité au second procès. Ainsi, il y a lieu de se poser les questions suivantes : est-il pertinent de considérer certaines modifications proposées par Teva se rapportant aux questions de responsabilité plutôt qu’à celles de l’évaluation quantitative comme étant des modifications apportées après le procès mais avant le jugement, plutôt que des modifications apportées avant le procès, et dans quelle mesure une telle distinction devrait-elle affecter la décision de la Cour concernant la présente requête?

 

[5]               Comme je l’expliquerai de manière plus détaillée ci-après, je conclus que toutes les modifications se rapportant aux questions de responsabilité, y compris les nouvelles demandes en vertu de la Loi sur les marques de commerce, devraient être considérées comme étant des modifications apportées après le procès et devraient, dans les circonstances de l’espèce, être rejetées. De plus, étant donné que, dans bon nombre des modifications proposées, il est impossible pour la Cour de séparer les éléments qui abordent de façon inadmissible les questions de responsabilité et ceux qui abordent les questions de l’évaluation quantitative, et étant donné que les modifications qui pourraient être admises ne sont pas suffisamment précises, la Cour ne peut pas admettre l’acte de procédure proposé par Teva tel qu’il est rédigé présentement.

 

Historique procédural 

[6]               Teva a fait l’acquisition de Novopharm Limited et a fusionné avec cette dernière durant le déroulement des événements exposés ci-après; Teva a poursuivi, sous son propre nom, le litige initialement engagé par Novopharm Limited. Par souci de clarté, la Cour utilise seulement le nom de « Teva » dans la présente ordonnance, même lorsqu’elle fait renvoi aux mesures prises au nom de Novopharm Limited (sa désignation à l’époque) ou à l’encontre de cette dernière.

 

[7]               En réponse à un avis d’allégation de Teva en date du 5 août 2004, Lilly Canada a lancé une procédure d’interdiction en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Règlement AC) (DORS/93-133), afin d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Teva relativement à l’olanzapine, un médicament générique, avant l’expiration du brevet canadien n2 014 113 (le brevet 113) (dossier de la Cour no T-1734-04).

 

[8]               En avril 2005, Teva a retiré son avis d’allégation, si bien que Lilly a abandonné sa demande. Le 20 juillet 2005, Teva a signifié à Lilly Canada un deuxième avis d’allégation relativement au même médicament d’olanzapine. Lilly a répliqué en lançant de nouveau une procédure d’interdiction (dossier de la Cour no T-1532-05).

 

[9]               Dans le cadre d’une requête contestée visant l’adjudication des dépens liés à la première demande abandonnée (T-1734-04), Teva a reconnu que, du fait qu’elle avait retiré son premier avis d’allégation et en avait signifié un deuxième, elle avait renoncé à son droit de demander des dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement AC pour la période visée par la première procédure.

 

[10]           Le 5 juin 2007, la deuxième procédure d’interdiction (T-1532-05) a été rejetée à la suite d’une audience en bonne et due forme. Le lendemain, soit le 6 juin 2007, Teva a obtenu son avis de conformité pour l’olanzapine et s’est mise à commercialiser son produit.

 

[11]           Le même jour, Lilly a lancé la présente procédure, demandant une injonction et une déclaration selon laquelle la commercialisation de l’olanzapine par Teva constituait une contrefaçon du brevet 113. Lilly a également présenté une demande dans le cadre d’une nouvelle initiative de la Cour : elle souhaitait que son action soit assujettie à un processus de gestion de l’instance et que le procès s’amorce dans un délai de deux ans après le lancement de la procédure.

 

[12]           Teva a répliqué à l’action de Lilly en déposant une demande reconventionnelle visant à obtenir à la fois une déclaration de l’invalidité du brevet 113 et des dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement AC pour la période durant laquelle la procédure d’interdiction de Lilly Canada (T‑1532‑05) l’a empêchée de commercialiser son médicament d’olanzapine. Teva a également résisté aux efforts de Lilly en vue d’obtenir une date de procès anticipée.

 

[13]           En septembre 2007, Lilly a sollicité une ordonnance de disjonction qui aurait pour effet de séparer, d’une part, les questions de quantum liées à son action en contrefaçon de brevet et à la demande de Teva fondée sur l’article 8 et, d’autre part, les questions de responsabilité; les interrogatoires préalables pour les questions de quantum et le second procès n’auraient lieu qu’après la décision sur la responsabilité dans le cadre du premier procès. Teva s’est opposée à la requête de Lilly.

 

[14]           Par ordonnance datée du 25 septembre 2007, j’ai accueilli la requête de Lilly. Voici l’extrait pertinent du dispositif de l’ordonnance :

 

[traduction]

1.         Conformément à l’article 107 des Règles des Cours fédérales, la présente affaire sera instruite sans que les parties ne soient tenues de présenter des éléments de preuve au procès ou de tenir des interrogatoires préalables ou de produire des documents à l’égard de toute question de fait lorsque cet élément de preuve, cet interrogatoire préalable ou ce document se rapporte uniquement à ce qui suit :

 

(a)        le montant de la perte pour laquelle les demanderesses réclament une indemnisation dans le cadre de la présente action;

 

(b)        le montant des bénéfices de la défenderesse réclamé par les demanderesses;

 

(c)        le montant des dommages-intérêts réclamé par la défenderesse en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

2.         Une audience se tiendra en application des articles 107 et/ou 153 des Règles des Cours fédérales à la suite de l’instruction s’il s’avère que les questions en litige doivent être tranchées, afin de déterminer la procédure à adopter pour trancher ces questions, y compris la communication préalable et les interrogatoires préalables nécessaires. Le juge de première instance décidera la question de savoir si une telle audience procédera par la voie d’un autre procès ou d’un renvoi, ainsi que la procédure à appliquer à l’égard d’une telle instance.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[15]           La première phase du procès a eu lieu en novembre et décembre 2008, puis d’autres audiences ont eu lieu au printemps de 2009. Dans un jugement rendu le 5 octobre 2009, le juge de première instance a conclu que les revendications du brevet 113 étaient invalides et, par conséquent, a rejeté l’action de Lilly et a accueilli la demande reconventionnelle de Teva.

 

[16]           Le dispositif du jugement (Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Ltd., 2009 CF 1018) est le suivant :

 

          1.           Les revendications du brevet 113 en litige sont invalides;

          2.           L’action en contrefaçon de brevet de Lilly est rejetée;

          3.           Novopharm [Teva] a droit à l’indemnité prévue à l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), laquelle indemnité sera déterminée dans une instance distincte. Elle a également droit aux dépens.

 

 

[17]           La Cour ne s’est pas prononcée – ni dans les motifs de jugement, ni dans le dispositif du jugement – sur la période à l’égard de laquelle Teva pouvait demander une indemnisation de ses pertes; de même, la Cour n’a pas identifié les entités de Lilly qui étaient responsables à l’égard de Teva.

 

[18]           En décembre 2009, après une conférence préparatoire convoquée en vue de discuter des procédures à suivre lors de la deuxième phase du procès, le juge de première instance a précisé que ces questions de responsabilité seraient tranchées à l’audience sur les mesures de redressement, audience qu’il allait présider.

 

[19]           Le jugement en date du 5 octobre 2009 a été porté en appel. La Cour d’appel fédérale a conclu que le juge de première instance avait commis des erreurs relativement à certaines questions touchant la validité du brevet et a renvoyé l’affaire au juge de première instance. Teva a de nouveau eu gain de cause à la suite de la nouvelle audition des questions se rapportant à la validité du brevet et les appels subséquents de Lilly ont été rejetés.

 

[20]           La présente requête est la première étape de la deuxième phase du procès.

 

Les modifications proposées par Teva

[21]           Les allégations de fait exposées dans la défense et demande reconventionnelle initiale de Teva portaient principalement sur l’invalidité du brevet 113, en tant que réponse à l’action principale en contrefaçon de brevet. Les seules allégations se rapportant à la demande fondée sur l’article 8 faisaient partie intégrante des redressements réclamés dans la demande reconventionnelle et se résumaient à seulement deux paragraphes.

 

[22]           Teva propose de retirer la totalité de la défense originale en raison de son manque de pertinence relativement à la demande reconventionnelle, et de retirer une demande de restitution des bénéfices encaissés par Lilly durant la période où Teva a été empêchée d’obtenir un avis de conformité. Lilly ne s’oppose pas à ces expurgations proposées.

 

[23]           Les nouveaux actes de procédure se rapportant à demande fondée sur l’article 8 auraient également pour effet :

 

        de retirer les précisions précédemment présentées concernant la période en cause et d’alléguer que si Lilly n’avait pas engagé la procédure d’interdiction, Teva aurait pris des mesures pour accélérer l’approbation de sa présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) et aurait été en mesure d’obtenir son avis de conformité avant la date certifiée par le ministre;

 

        d’ajouter des demandes d’indemnisation des pertes subies du fait que Lilly a inscrit d’autres brevets au registre relativement à l’olanzapine et a poursuivi des procédures en vertu du Règlement AC, y compris une procédure d’interdiction lancée et abandonnée avant le début de la période, ainsi qu’il a été allégué précédemment;

 

        d’ajouter des demandes d’indemnisation des pertes se rapportant à d’autres produits et à la perte de la [traduction] « valeur d’entreprise »;

 

        d’ajouter des allégations selon lesquelles Lilly US et Lilly UK avaient joué un rôle – c’est-à-dire avaient une responsabilité directe ou indirecte, avaient participé ou avaient donné des directives – dans l’inscription du brevet 113, la soumission de présentation de drogue nouvelle (PDN) et la poursuite des procédures d’interdiction, y compris celles se rapportant à un autre brevet.

 

[24]           Les actes de procédure de Teva ajouteraient également une nouvelle cause d’action fondée sur l’alinéa 7a) et l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce.

 

[25]           En ce qui concerne la demande en vertu de la Loi sur les marques de commerce, Teva soutient que, à compter de juin 2007 (soit après que Teva a obtenu son avis de conformité), Lilly a affirmé aux responsables des formulaires provinciaux, aux distributeurs et aux pharmacies que le brevet 113 était valide et que l’olanzapine générique de Teva enfreignait ce brevet et serait retiré du marché malgré l’obtention d’un avis de conformité. Teva allègue que ces affirmations étaient fausses et trompeuses et tendaient à discréditer les marchandises et les services de Teva (en contravention de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce) et que, étant donné que ces affirmations avaient été faites en employant la marque de commerce déposée « Novopharm » de Teva, cela constituait une utilisation non autorisée de la marque de commerce susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce (en contravention de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce). Par conséquent, Teva réclame des dommages-intérêts pour les pertes de ventes, de bénéfices et de valeur de l’entreprise.

 

[26]           À ce point de l’analyse, il semblerait que les modifications contestées proposées par Teva peuvent être réparties dans des catégories distinctes qu’il serait relativement facile d’examiner : les modifications ayant trait aux questions de responsabilité et de quantum découlant de la demande fondée sur l’article 8, et les modifications ajoutant une cause d’action en vertu de la Loi sur les marques de commerce, fondée sur les faits survenus après la période prévue à l’article 8.

 

[27]           La démarcation s’embrouille et la tâche de relever les modifications qui pourraient être admissibles est rendue plus difficile en raison de la manière dont Teva fournit des précisions et réclame des dommages-intérêts relativement à la demande fondée sur l’article 8 et aux demandes en vertu de la Loi sur les marques de commerce. Le paragraphe 65 de l’acte de procédure proposé révèle le but ultime des modifications, soit de lier en une seule perte continue et indemnisable toutes les pertes subies par Teva relativement au marché de l’olanzapine :

 

[traduction]

65.       Les défenderesses savaient et étaient conscientes, ou à tout le moins auraient dû savoir, que leur conduite entraînerait des pertes et des préjudices pour Teva bien après la date de l’ordonnance rejetant leur demande en vertu du Règlement. Il serait injuste et inéquitable de permettre aux défenderesses d’éviter d’avoir à indemniser Teva pour l’ensemble de ces pertes et préjudices. Le jumelage des demandes de Teva en vertu de l’article 8 du Règlement et de l’alinéa 7a) de la LMC (tel que nous le proposons ci-après) permettrait à Teva de récupérer toutes les pertes qu’elle a subies jusqu’à présent, telles qu’elles sont décrites dans les présentes.

 

 

[28]           La demande de dommages-intérêts de Teva fait également ressortir des ententes conclues par Lilly avec des organismes et ministères provinciaux de la Colombie-Britannique, du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Ontario qui, d’après les allégations, ont entravé ou réduit de manière importante l’aptitude de Teva de vendre ses produits dans ces provinces après l’obtention de l’avis de conformité. Dans l’acte de procédure proposé, les seules dates fournies relativement à la négociation de ces ententes avaient trait à l’Ontario : la première entente a été conclue en décembre 2006, puis modifiée en mai 2007 (soit durant la période visée par la demande fondée sur l’article 8). Toutefois, d’après les allégations concernant les autres provinces, il semble que ces ententes sont survenues après l’obtention par Teva de son avis de conformité, si bien qu’elles ne sont pas incluses dans la période en cause pour la demande fondée sur l’article 8, bien que les allégations soient indéfinies. Selon l’acte de procédure proposé, les pertes subies par Teva à cause de ces ententes sont indemnisables à la fois dans le cadre de sa demande fondée sur l’article 8 et de sa demande en vertu de la Loi sur les marques de commerce. D’après l’acte de procédure, Lilly a pu réussir à négocier ces ententes seulement parce que Teva était exclue du marché durant la procédure d’interdiction. Quant à la question de savoir pourquoi ces pertes sont indemnisables dans le cadre de la demande en vertu de la Loi sur les marques de commerce, l’acte de procédure est ambigu; toutefois, Teva explique dans la documentation liée à sa requête que les ententes découlaient des déclarations fausses et trompeuses de Lilly selon lesquelles les produits de Teva enfreignaient son brevet. Pour sa part, Lilly soutient que la demande de Teva visant l’indemnisation de ses pertes causées par les ententes n’est qu’une demande déguisée fondée sur le délit de complot. Elle fait valoir que la Cour n’a pas compétence pour instruire une telle demande. Lilly soutient également que, en ce qui concerne l’entente avec la Colombie-Britannique, cette demande est irrecevable en raison des principes de la préclusion pour même question en litige, car Teva a déjà lancé une action contre la Colombie-Britannique relativement à l’entente avec cette province; cette action, fondée sur le délit de complot et désignant Lilly Canada à titre de cocomploteuse, a en fin de compte été rejetée sur consentement des parties, comme si elle avait fait l’objet d’une instruction approfondie.

 

L’effet de l’ordonnance de disjonction, du premier procès et du jugement

[29]           Les Règles des Cours fédérales prévoient la possibilité de modifier un acte de procédure en tout temps, même pendant ou après une audience, jusqu’au moment où le jugement est rendu. Toutefois, le paragraphe 75(2) impose des conditions précises régissant les modifications soumises durant ou après une audience :

 

75. (2) L’autorisation visée au paragraphe (1) ne peut être accordée pendant ou après une audience que si, selon le cas :

*       a) l’objet de la modification est de faire concorder le document avec les questions en litige à l’audience;

*       b) une nouvelle audience est ordonnée;

*       c) les autres parties se voient accorder l’occasion de prendre les mesures préparatoires nécessaires pour donner suite aux prétentions nouvelles ou révisées.

75.  (2) No amendment shall be allowed under subsection (1) during or after a hearing unless

*       (a) the purpose is to make the document accord with the issues at the hearing;

*       (b) a new hearing is ordered; or

*       (c) the other parties are given an opportunity for any preparation necessary to meet any new or amended allegations.

*        

 

[30]           De plus, la jurisprudence de la Cour a constamment reconnu que le moment choisi par une partie pour présenter une demande de modification revêt une importance cruciale. Dans Canderel Ltd. c Canada, [1994] 1 CF 3, la Cour d’appel fédérale a émis une réserve en précisant « que plus tardive est la demande, plus difficile il sera pour le requérant de surmonter le double obstacle que représentent pour lui l’injustice causée à la partie adverse et les intérêts de la justice ». La Cour a également statué que des modifications proposées à la fin ou vers la fin d’un procès qui varient sensiblement le fondement factuel sur lequel les parties sont allées de l’avant ou ont préparé leur cause et qui obligent les parties à revoir leur cause entraînent des inconvénients qui ne pourront être réparés par l’adjudication de dépens : voir Valentino Gennarini SRL c Andromeda Navigation Inc., 2003 CFPI 567, au paragraphe 33 :

 

[33]      Finalement, et contrairement à ce qu’affirme la défenderesse, la modification proposée retarderait inévitablement l’issue du procès, étant donné qu’une réponse modifiée devrait probablement être déposée par la demanderesse et que de nouveaux interrogatoires préalables devraient avoir lieu en conséquence de la défense modifiée. Dans l’affaire Bande de Montana c. Canada, [2002] A.C.F. n° 774 (QL) (C.F. 1re inst.), la Cour a jugé qu’une modification qui varie sensiblement le fondement factuel de la réclamation, apportée à la veille d’un long procès et obligeant les parties à revoir leurs opinions juridiques, leurs actes de procédure, leurs interrogatoires préalables et leurs documents produits, devrait être refusée parce qu’elle cause des inconvénients qui ne pourront être réparés par l’adjudication de dépens.

 

 

[31]           Dans Canderel, précitée, en évaluant le préjudice causé à la partie adverse et les intérêts de la justice, la Cour d’appel a reconnu que la Cour et les parties sont en droit de s’attendre à ce qu’un procès aboutisse – il s’agit d’un facteur qui doit être soupesé :

 

12        Pour ce qui est des intérêts de la justice, on peut dire que les tribunaux et les parties sont en droit de s’attendre à ce qu’un procès aboutisse, et les retards et la tension et les inquiétudes que suscite chez toutes les parties concernées une modification tardive soulevant une nouvelle question, peuvent fort bien être considérés comme un obstacle aux fins de la justice.16 À notre sens, ces principes ont été le mieux résumés par lord Griffiths, s’exprimant pour la majorité, dans l’arrêt Ketteman v. Hansel Properties Ltd :17

 

[traduction] Il ne s’agissait pas d’une affaire dans laquelle on avait demandé de faire une modification au cours des plaidoiries finales et la Cour n’étudiait pas la nature particulière d’une défense fondée sur la prescription. En outre, quelle que puisse avoir été la règle de conduite il y a cent ans, il n’est pas d’usage aujourd’hui d’autoriser invariablement qu’une défense entièrement différente de celle qui a été plaidée soit opposée au moyen de modifications au terme du procès, même à la condition qu’il y ait ajournement et que le défendeur paie tous les frais faits inutilement. Il existe une claire distinction entre les modifications ayant pour but de rendre plus claires les questions en litige, et celles qui permettent de soulever une défense différente pour la première fois.

     Il appartient au juge de première instance de décider s’il y a lieu d’autoriser une modification, et il doit se laisser guider dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, par sa perception de la justice. De nombreux et divers facteurs influeront sur l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Je ne crois pas possible ni sage de tenter de les énumérer tous. Mais la justice ne peut toujours se mesurer en fonction d’une somme d’argent, et à mon sens un juge est en droit de mettre dans la balance la tension que le procès impose aux plaideurs, particulièrement s’il s’agit de particuliers plutôt que de sociétés commerciales, l’inquiétude de faire face à de nouvelles questions litigieuses, les vains espoirs soulevés, et l’attente légitime que le procès règlera les questions dans un sens ou dans l’autre. De plus, autoriser une modification avant le début du procès est tout à fait différent de l’autoriser à la fin, pour donner à un défendeur qui ne semble pas avoir gain de cause la possibilité de reprendre la lutte avec une défense entièrement nouvelle.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[32]           Il va sans dire que l’avertissement de la Chambre des lords, telle qu’il a été confirmé par la Cour d’appel fédérale, s’applique d’autant plus une fois que les parties ont déclaré avoir clos leur preuve et que le procès est terminé.

 

[33]           Relativement à la présente requête, Teva prétend qu’il n’y a pas lieu d’appliquer à ses modifications la même rigueur qui est appliquée aux modifications proposées durant ou après un procès, car l’effet net du jugement rendu au premier procès est de reporter, sans égard à l’ordonnance de disjonction, la totalité de sa demande fondée sur l’article 8 à la deuxième phase de la présente procédure, qui s’est à peine mise en marche.

 

[34]           La position de Teva confond, d’une part, la décision du juge de première instance de reporter à la deuxième phase du procès la détermination de certaines questions de responsabilité et, d’autre part, une décision qui aurait pour effet de modifier l’ordonnance de disjonction et de reporter le procès sur ces questions de responsabilité à la deuxième phase.

 

[35]           Il ne fait aucun doute que l’ordonnance de disjonction prévoyait que les parties iraient de l’avant avec les interrogatoires préalables et la première phase du procès relativement à toutes les questions soulevées dans la procédure, à l’exception des questions se rapportant uniquement au quantum. Il ne fait aucun doute que la question de savoir lesquelles des entités de Lilly devaient être considérées comme étant une « première personne » et être responsables des pertes de Teva visées à l’article 8, ainsi que la question d’établir les dates de début et de fin des pertes en vertu de l’article 8, devaient être instruites lors de la première phase. À la page 6 de l’ordonnance de disjonction, je précise que les questions touchant l’identité de la « première personne » et le début de la période pour laquelle des dommages-intérêts pourraient être réclamés sont des questions qui pourraient restreindre la portée du second procès si elles étaient tranchées à la phase de détermination de la responsabilité. Dans son ordonnance en date de décembre 2009, le juge de première instance a lui-même reconnu que les dates de début et de fin des pertes de Teva, de même que d’autres questions [traduction] « directement liées à l’indemnisation en vertu de l’article 8 », auraient pu être tranchées dans le cadre de son jugement visant la première phase du procès. En fait, les parties ont agi conformément à l’ordonnance de disjonction : elles ont mené les interrogatoires préalables et présenté des éléments de preuve et des observations relativement à ces questions au procès. De plus, et ainsi qu’il est signalé dans l’ordonnance de disjonction, Lilly avait soutenu à un moment donné qu’il fallait reporter l’ensemble de la demande de Teva fondée sur l’article 8 au second procès, une suggestion à laquelle Teva s’est précisément opposée et que j’ai rejetée en raison de l’opposition de Teva.

 

[36]           Dans son ordonnance en date du 16 décembre 2009, le juge de première instance a fait renvoi à l’ordonnance de disjonction et a clairement conclu que, en décidant de reporter sa détermination de certaines questions de responsabilité, il se conformait à l’ordonnance de disjonction, au lieu de s’en écarter. Selon son interprétation, l’ordonnance de disjonction précisait les catégories de preuve que les parties n’étaient pas tenues de présenter au premier procès – et non les questions que devaient trancher le juge :

 

[traduction]

Je souscris à l’observation de Lilly selon laquelle certaines questions se rapportant aux mesures de redressement auraient pu être tranchées durant la phase du procès consacrée à l’appréciation de la responsabilité (p. ex., les dates de début et de fin des pertes que Novopharm aurait subies). Toutefois, je n’étais pas tenu de trancher ces questions. J’ai conclu qu’il serait préférable de trancher la question de la période des prétendues pertes, ainsi que d’autres questions directement liées à l’indemnisation en vertu de l’article 8, lors de l’audience sur les mesures de redressement, et j’ai pris une ordonnance à cet effet. Contrairement à l’observation de Lilly, l’ordonnance de disjonction ne précisait pas les questions qu’il fallait trancher à l’étape de l’appréciation de la responsabilité; elle indiquait les catégories de la preuve qu’il ne fallait pas présenter.

 

[37]           Il s’ensuit nécessairement que, même si le juge de première instance n’était pas tenu en vertu de l’ordonnance de disjonction de trancher toutes les questions de responsabilité dans le cadre du premier procès, les parties étaient néanmoins tenues de présenter tous leurs éléments de preuve au premier procès, de façon à ce que le juge puisse trancher ces questions, s’il l’estimait pertinent. En aucun temps durant ou après le premier procès les parties n’ont demandé, ou le juge n’a suggéré, qu’il fallait modifier l’ordonnance de disjonction de façon à exempter les parties d’avoir à présenter leur cause pour ce qui est des questions de responsabilité en vertu de l’article 8 au premier procès. C’est une chose que le juge de première instance se prévale de la marge de manœuvre conférée par une ordonnance de disjonction pour ce qui est de reporter sa décision sur certaines questions; toutefois, c’est une toute autre chose d’interpréter l’utilisation de cette marge de manœuvre comme étant une ordonnance modifiant une ordonnance prise précédemment, alors que les parties n’avaient pas demandé une telle modification, que les parties n’avaient pas eu l’occasion de présenter des observations sur une telle modification, et qu’aucune justification pour la modification n’a été fournie.

 

[38]           Teva affirme que la décision du juge de première instance de reporter sa détermination des questions de responsabilité laisse entendre et exige quasiment que la phase de présentation de la preuve liée à ces questions devrait demeurer ouverte parce que les parties doivent aborder les questions qui peuvent survenir entre les deux procès, parce que les questions de responsabilité et de quantum sont imbriquées, et parce que des éléments de mise en contexte peuvent manquer pour finaliser la phase de l’appréciation de la responsabilité. Par conséquent, selon Teva, si la Cour était tenue d’extraire les nouveaux éléments de preuve admissibles de la preuve [traduction] « figée » présentée lors de la première phase, une telle exigence serait injuste, compliquerait inutilement les interrogatoires préalables et la tenue du second procès, et serait irréalisable. Teva fait renvoi à d’autres affaires où la Cour s’est penchée sur la possibilité ou la nécessité de modifier une ordonnance de disjonction pour permettre aux parties de présenter des éléments de preuve liés aux questions de responsabilité durant la phase de l’évaluation quantitative :  Jag Flocomponents N.A. c Archmetal Industries Corp., 2010 CF 627, confirmée par 2011 CAF 235 et Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Ltée, 2012 CF 113.

 

[39]           Cette jurisprudence n’est d’aucun secours pour Teva. Dans Eurocopter, la Cour a reconnu dans son analyse que, lorsque la détermination de certaines questions est reportée pendant plusieurs années après la tenue du procès où la preuve a été présentée, il peut s’avérer nécessaire de permettre aux parties de présenter de nouveaux éléments de preuve ou même d’ordonner la tenue d’un nouveau procès si le juge de première instance n’est plus en fonction. Cette analyse n’établit pas une présomption selon laquelle il y a lieu de permettre la présentation de nouveaux éléments de preuve ou d’ordonner la tenue d’un nouveau procès chaque fois que la détermination de questions est reportée ou qu’il y a un délai important entre la clôture du procès et la détermination reportée. Au contraire, Eurocopter confirme implicitement qu’il faut considérer la présentation de la preuve lors du premier procès comme étant close et qu’elle ne peut être rouverte que si les circonstances propres à l’affaire l’exigent. Dans Jag Flocomponents, la Cour a conclu que les dommages-intérêts constituaient un élément essentiel de la décision à rendre sur la demande dont elle était saisie, et a clairement conclu qu’elle devait examiner la preuve présentée à la phase des dommages-intérêts pour rendre une décision finale concernant la responsabilité. Par conséquent, ce précédent établit lui aussi que la phase de présentation de la preuve d’un procès ayant fait l’objet d’une disjonction doit être considérée comme étant close pour ce qui est des questions de responsabilité, même si la détermination est reportée, à moins qu’elle n’ait été expressément laissée ouverte.

 

[40]           L’argument de Teva relativement à la présente requête ne fait que présumer, sans le démontrer, qu’il y a en l’espèce une confusion ou un chevauchement entre les questions de responsabilité et celles de l’évaluation quantitative, ou que des événements survenus au cours de la période entre les deux procès sont, dans les circonstances de l’espèce, importants pour rendre une décision sur les questions de responsabilité qu’il reste à trancher. Toutefois, il est clair que ce n’est pas le cas. Les questions de responsabilité qu’il reste à trancher ont trait uniquement au début de la période prévue à l’article 8 et à l’identité de la « première personne ». Comme l’ordonnance de disjonction le prévoit et le confirme, elles se distinguent très nettement des questions de l’évaluation quantitative. De plus, aucun événement survenu après que Teva a obtenu son avis de conformité ne peut avoir une incidence sur la détermination de ces questions. En outre, rien ne permet de conclure que le juge de première instance a décidé de reporter la détermination des questions de responsabilité à cause de l’absence ou de l’insuffisance de la preuve sur ces questions, ou parce qu’il s’attendait à ce que de nouveaux éléments de preuve soient présentés au second procès qui pourraient avoir une incidence sur la détermination à laquelle il aurait pu être arrivé à la lumière de la preuve présentée par les parties au premier procès, comme ce fut le cas dans Jag Flocomponents.

 

[41]           À l’appui de sa position, Teva fait valoir que les parties ont consacré très peu de temps au procès à la présentation d’éléments de preuve ou d’observations touchant les questions de responsabilité liées à la demande fondée sur l’article 8. Toutefois, cela démontre uniquement que les questions abordées dans l’acte de procédure et la preuve que Teva a choisi de recueillir et de présenter au procès étaient très focalisées et d’une portée très restreinte. Cela ne démontre ni ne suggère que les parties ou le juge de première instance avaient l’intention de reporter la présentation de la preuve sur ces questions très précises à une seconde phase d’interrogatoires préalables et d’instruction.

 

[42]           Teva s’appuie aussi sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale concernant la requête en réexamen du jugement par lequel la CAF avait accueilli l’appel de Lilly (2010 CAF 219), ainsi que sur la décision de la Cour fédérale concernant la requête de Teva en vue d’obtenir une injonction Mareva à la suite du jugement en date de 2009 (2010 CF 241). Selon Teva, dans ces deux jugements, l’ordonnance en date du 16 décembre 2009 du juge de première instance a été interprétée comme prévoyant que la totalité de la demande fondée sur l’article 8 doit être abordée lors de la deuxième phase de la présente procédure. Je ne suis pas d’accord. Ces deux jugements ne font que renvoyer à la décision du juge de première instance en date de décembre 2009 et signaler que, comme il est clairement affirmé dans la décision, la détermination des questions de responsabilité a été reportée à la deuxième phase. Ces jugements ne prétendent pas interpréter la décision du juge de première instance à la lumière de l’ordonnance de disjonction; ils prétendent encore moins décider si l’intention déclarée du juge de première instance de trancher les questions lors du second procès sous-entendait l’intention de rouvrir la présentation de la preuve liée à ces questions. L’intention ultime du juge de première instance ne revêt aucune importance dans l’une ou l’autre des décisions sur lesquelles Teva souhaite s’appuyer, et il est inapproprié d’analyser la formulation d’un jugement rendu par un tribunal en vue de relever un sens autre que le sens voulu.

 

[43]           Aucune des circonstances exposées ci-dessus ne peut mener à une conclusion autre que la suivante : le procès sur toutes les questions de responsabilité est achevé, y compris les questions se rapportant à l’identité de la « première personne » et à la période pour laquelle les pertes de Teva sont indemnisables, et seule la détermination du juge de première instance fondée sur la preuve qui lui a été présentée lors de la première phase du procès a été reportée à la deuxième phase du procès. Par conséquent, les modifications proposées par Teva ayant trait aux questions de responsabilité doivent être considérées comme étant des modifications proposées après une audience, mais avant le prononcé du jugement.

 

Modifications se rapportant aux questions de responsabilité

[44]           Ainsi que je l’ai conclu ci-dessus, les modifications proposées par Teva se rapportant au début de la période visée à l’article 8 et à l’identité de la « première personne » constituent des modifications proposées après l’audience. Les modifications qui présentent une nouvelle cause d’action en vertu de la Loi sur les marques de commerce constituent elles aussi des modifications après l’audience, étant donné qu’elles présentent manifestement de nouvelles questions de responsabilité, et étant donné que l’ordonnance de disjonction exigeait que les parties présentent la totalité de leur preuve lors du premier procès, exception faite de la preuve se rapportant uniquement aux questions liées à l’évaluation quantitative.

 

[45]           Comme le démontre clairement la jurisprudence exposée précédemment dans les présents motifs, les modifications ayant pour effet de modifier les questions en litige et d’exiger la réouverture des interrogatoires préalables après que les parties ont préparé leurs preuves respectives en vue du procès ou, comme c’est le cas en l’espèce, après que les parties ont présenté leur preuve au procès, sont intrinsèquement injustes et causent le genre de préjudices qui ne peuvent être réparés par l’adjudication de dépens. Manifestement, les modifications de Teva relèvent de cette catégorie.

 

[46]           Il ne peut aucunement être prétendu que les modifications proposées n’entraînent pas un changement radical de la cause présentée au procès ou qu’elles n’exigeraient pas une quantité importante d’interrogatoires préalables et de nouveaux éléments de preuve. Teva a initialement soutenu que la période visée à l’article 8 avait débuté le 9 février 2006. Au procès, elle a seulement invoqué la date d’approbation du 3 mars 2006, ainsi que l’a attesté le ministre. Teva n’a présenté aucun autre élément de preuve pour suggérer une date de début plus hâtive. Elle souhaite maintenant faire valoir qu’elle aurait pu obtenir une approbation accélérée de sa PADN (la date plus hâtive étant inconnue) et obtenir des dommages-intérêts en vertu de l’article 8 en raison d’autres procédures d’interdiction engagées antérieurement. Teva a initialement soutenu que les entités de Lilly constituaient une entreprise commune, se fondant expressément sur les faits allégués par Lilly pour appuyer son action en contrefaçon de brevet. Teva n’a présenté aucune nouvelle preuve à l’audience et a soutenu, se fondant sur cinq pages tirées de la transcription du témoignage de Lilly, que Lilly US contrôlait Lilly Canada en ce qui a trait aux produits de l’olanzapine et aux litiges. Teva souhaite maintenant modifier ces allégations pour faire valoir que Lilly UK contrôlait également ces facettes de l’administration de Lilly Canada et que Lilly US et Lilly UK contrôlaient les présentations réglementaires de Lilly Canada et ont pris délibérément des mesures pour retarder la procédure. En ce qui concerne la demande en vertu de la Loi sur les marques de commerce , elle avance une cause d’action entièrement nouvelle, fondée sur des faits entièrement nouveaux auxquels Teva n’avait auparavant fait aucune allusion. Aucune de ces allégations n’a été abordée dans un interrogatoire préalable, un élément de preuve ou une observation lors de la première phase du procès.

 

[47]           Teva n’a pas tenté de démontrer ou de faire valoir que ces modifications proposées ne changeraient pas profondément les questions à trancher ou qu’elles n’obligeraient pas Lilly à changer la position qu’elle a pu adopter dans le litige jusqu’à présent ou dans le cadre du premier procès. L’argument de Teva selon lequel les modifications ne causeront pas de préjudice à Lilly qui ne puisse être réparé par l’adjudication de dépens repose entièrement sur la prémisse que les quelques jours consacrés par les parties à la présentation de leurs arguments et de leurs observations sur ces questions au procès revêtent une importance mineure et peuvent être tout simplement ignorés  et écartés au profit de nouveaux interrogatoires préalables et de nouveaux éléments de preuve qui seraient maintenant autorisés dans le cadre de la deuxième phase. Cela fait fi du préjudice et de la perturbation causés par la frustration de l’attente légitime que peut avoir une partie que le litige aura une fin et que la présentation de la preuve, une fois close, ne sera pas réouverte à moins qu’il n’y ait de motifs sérieux de le faire. Prétendre qu’il faudrait appliquer ce principe avec moins de vigueur parce que le premier procès s’est déroulé sans heurt et rapidement, c’est ouvrir la porte à des abus de la procédure de la Cour : les parties pourraient avancer une cause peu élaborée et « jetable », qu’elles pourraient ensuite ignorer avec impunité lorsqu’elles décideront de présenter leur véritable cause.

 

[48]           Teva ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer que les modifications proposées ne causeront pas de préjudice à Lilly qui ne puisse être réparé par l’adjudication de dépens.

 

[49]           Dans Canderel, la Cour d’appel fédérale a reconnu que les tribunaux sont eux aussi en droit de s’attendre à ce qu’un procès aboutisse, si bien que les modifications qui auraient pour effet de retarder, d’ajourner ou de rouvrir un procès sans justification vont à l’encontre des intérêts de la justice. Il incombait à Teva de démontrer que, dans les circonstances de l’espèce, les modifications proposées seraient néanmoins dans l’intérêt de la justice. Le seul argument de Teva à cet effet repose sur une hypothèse non démontrée et inexacte, à savoir qu’il n’était pas possible, de toute manière, de rendre une décision sur les questions de responsabilité qu’il restait à trancher sans les nouveaux éléments de preuve présentés au second procès et qu’il y aurait de la confusion et du chevauchement entre les éléments de preuve présentés sur ces questions au premier procès et les éléments de preuve présentés au second procès. Une telle hypothèse, comme je l’ai signalé ci‑dessus, n’est pas justifiée dans les circonstances de l’espèce.

 

[50]           Teva prétend que de récentes décisions portant sur des demandes fondées sur l’article 8 ont clarifié le droit et qu’il est important, pour permettre au juge de première instance d’appliquer ces précédents à la lumière du contexte intégral, de lui présenter un dossier plus complet. Toutefois, Teva a choisi, en 2007, de plaider les questions de responsabilité liées à sa demande fondée sur l’article 8 dans le cadre de la première phase, en sachant que la jurisprudence sur l’interprétation appropriée de cet article était embryonnaire. Elle a choisi les faits sur la base desquels elle voulait procéder à l’instruction. La clarification du droit n’est pas une excuse permettant à une partie de modifier rétroactivement le fondement factuel de sa cause pour adapter les faits au droit.

 

[51]           Teva n’a pas tenté de justifier de quelque autre manière en quoi l’autorisation des modifications à cette étape de la procédure peut être dans l’intérêt de la justice. D’après le dossier qui m’est soumis, il semble que Teva était au courant de tous les faits se rapportant aux nouvelles allégations de responsabilité, y compris ceux se rapportant à la demande en vertu de la Loi sur les marques de commerce, dès l’été de 2007 et, de toute manière, bien avant le premier procès. Teva n’a pas tenté de fournir une explication ou un motif permettant de justifier pourquoi c’est seulement après le procès qu’elle a soulevé ces questions.

 

[52]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que les modifications proposées par Teva ayant trait aux questions de responsabilité ne devraient pas être admises, car elles ne sont pas dans l’intérêt de la justice et Teva n’a pas démontré qu’elles ne causeraient pas un préjudice à Lilly qui ne puisse être réparé par l’adjudication de dépens.

 

[53]           Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner ou de trancher l’argument de Lilly selon lequel les modifications proposées ne révèlent aucune cause d’action valable. Toutefois, je formule les observations suivantes concernant la demande en vertu de la Loi sur les marques de commerce, sans évidemment décider si les allégations révèlent une violation de la Loi sur les marques de commerce : les modifications proposées ne comportent pas de précisions au sujet des préjudices ou des pertes causées à Teva par les prétendues assertions inexactes de Lilly et l’utilisation de la marque de commerce de Teva. L’acte de procédure, tel qu’il est formulé, attribue clairement les préjudices, la perte de ventes et la perte de la valeur de l’entreprise survenus après juin 2007 aux ententes conclues entre Lilly et les provinces; toutefois, il ne renferme pas de faits essentiels qui permettent de conclure qu’il y a un lien causal entre la conclusion de ces ententes, d’une part, et les prétendues assertions inexactes et l’utilisation abusive de la marque de commerce, d’autre part. Faute d’un lien causal discernable entre les prétendues violations de la Loi sur les marques de commerce et la conclusion de ces ententes, les modifications proposées semblent être une demande à peine voilée d’indemnisation des pertes causées par ces ententes, fondée sur le délit de complot. Il est clair que la Cour n’a pas compétence pour instruire ou trancher une demande fondée sur le délit de complot de la common law. Si je n’avais pas conclu, sur la base d’autres motifs, que les modifications proposées par Teva touchant les questions de responsabilité n’étaient pas admissibles, je n’aurais pas autorisé la présentation de ces modifications telles qu’elles sont présentement formulées.

 

Modifications se rapportant aux questions de quantum

[54]           En plus des modifications proposées en vue d’ajouter la demande en vertu de la Loi sur les marques de commerce, de soumettre une date de début plus hâtive pour la période d’indemnisation visée à l’article 8 et d’augmenter les motifs d’attribuer la responsabilité relative à l’indemnisation en vertu de l’article 8 à des entités autres que Lilly Canada, l’acte de procédure modifié proposé élargit considérablement les allégations touchant les préjudices subis par Teva. Étant donné que les interrogatoires préalables n’ont pas encore commencé relativement aux questions de l’évaluation quantitative, Lilly ne subira aucun préjudice si des modifications sont apportées aux chefs de réclamation. Par conséquent, il y a lieu d’autoriser les modifications se rapportant au quantum, pourvu qu’elles soient raisonnablement défendables et ne soient pas par ailleurs irrégulières.

 

[55]           Certaines des nouvelles prétentions et allégations, de prime abord, ont trait aux pertes subies avant et après les dates initialement avancées par Teva comme étant les dates de début et de fin de la période visée à l’article 8. Étant donné que Teva ne sera pas autorisée à avancer de nouvelles dates de début et de fin pour la période visée à l’article 8 et que, par conséquent, elle ne pourra pas présenter d’éléments de preuve pour établir une nouvelle période en cause, il est évident que Teva n’aura pas gain de cause relativement à toute demande d’indemnisation des pertes subies avant le 9 février 2006 ou après le 6 juin 2007. Toute modification se rapportant aux pertes prétendument subies avant ou après ces dates est vouée à l’échec et doit donc être rejetée. Cela englobe les allégations touchant : l’inscription de brevets autres que le brevet 113 et le lancement de procédures d’interdiction liées à ces brevets qui, de prime abord, datent d’avant le 9 février 2006; les dépenses engagées pour défendre les appels contre les procédures d’interdiction qui ont mené à la présente demande, qui, de prime abord, ont été interjetés après le 6 juin 2007; les pertes découlant prétendument des assertions inexactes et de l’utilisation non autorisée des marques de commerce de Teva, qui d’après l’acte de procédure se sont produites après le 7 juin 2007; et toutes les pertes découlant des prétendues ententes entre Lilly et les provinces, étant donné qu’il n’a pas été avancé que l’entente a été conclue avant le 6 juin 2007.

 

[56]           Cela étant dit, même si Teva ne peut pas présenter de façon indépendante une demande d’indemnisation des pertes découlant des ententes entre Lilly et les provinces, je n’exclus pas la possibilité que l’existence de ces ententes et leur effet sur la perte de marché de Teva puissent s’avérer pertinents pour l’examen de la demande de Teva fondée sur l’article 8. Il en est ainsi parce que, pour évaluer les ventes qu’aurait obtenues un médicament générique lors de la période pertinente visée à l’article 8, on utilise souvent les parts de marché et les ventes réellement obtenues lors de la période subséquente pour estimer ce qui se serait produit durant la période visée à l’article 8. Lilly a reconnu pouvoir prétendre que, si Teva avait pu obtenir un avis de conformité en mars 2006, Lilly aurait conclu les mêmes ententes avec les provinces à une date antérieure, si bien que les parts du marché de Teva auraient été les mêmes. Il semble également que l’entente avec l’Ontario était en place avant juin 2007 et aurait pu avoir une incidence sur les ventes de Teva durant la période en cause. Ainsi, l’argument de Teva selon lequel c’est grâce à son exclusion du marché que Lilly a pu conclure les ententes avec les provinces, si bien qu’il ne faut pas tenir compte de ces ententes pour réduire l’indemnisation de Teva en vertu de l’article 8, pourrait être pertinent lors de l’évaluation quantitative de la demande de Teva fondée sur l’article 8, conformément à l’acte de procédure original. Lilly ne le conteste pas sérieusement. Toutefois, je signale qu’il est peut-être trop tôt pour Teva de présenter son argument selon lequel son indemnisation en vertu de l’article 8 ne peut être réduite en tenant compte de ces ententes et qu’il serait peut-être plus approprié de soumettre cet argument dans une éventuelle réplique. En fait, seule l’entente avec l’Ontario était en vigueur durant la période en cause et Lilly n’a pas encore prétendu qu’elle aurait conclu des ententes avec les autres provinces plus tôt si Teva avait obtenu son avis de conformité dès que l’approbation était possible. À moins que Lilly ne présente officiellement ces faits dans une défense reconventionnelle modifiée, l’existence d’ententes avec les provinces autres que l’Ontario conclues après le 7 juin 2007 serait dépourvue de pertinence.

 

[57]           Teva soutient qu’elle ne demande pas d’indemnisation pour les pertes subies en raison des précédentes procédures d’interdiction, mais qu’elle fait état de ces procédures pour établir le contexte de sa demande d’indemnisation pour les pertes subies durant la période en cause. Le même argument s’applique probablement aux allégations de Teva concernant la prétendue conduite [traduction] « anti-générique » de Lilly en général et concernant la cannibalisation de son marché de l’olanzapine au profit [traduction] « d’autres » produits de Lilly, tels que les comprimés dispersibles Zyprexa Zydis. Toutefois, Teva n’a pas précisé en quoi des gestes et des événements survenus avant et après la période en cause visée à l’article 8 sont pertinents pour l’évaluation des pertes de Teva. Par contre, il est clair que les allégations ayant trait aux [traduction] « gestes préjudiciables, illégaux et/ou anti-génériques » avant, pendant et après la période en cause visaient à établir le caractère intentionnel des gestes reprochés en vertu de la Loi sur les marques de commerce, ainsi qu’à appuyer la prétention voulant que le jumelage des demandes de Teva en vertu de l’article 8 et de la Loi sur les marques de commerce lui donne droit à une indemnisation pour [traduction] « l’ensemble de ses pertes jusqu’à présent ». Il est également clair que ces allégations visaient à appuyer une nouvelle demande de dommages-intérêts punitifs, majorés ou exemplaires. D’après l’interprétation de l’article 8 par la Cour d’appel fédérale dans Merck Frosst Canada Ltd. et al. c. Apotex Inc. 2009 CAF 187, il est clair que l’indemnisation est l’unique but des mesures réparatoires prévues à l’article 8. Les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, de par leur nature, visent à punir ou à décourager la conduite d’un défendeur dans les situations où l’indemnisation du demandeur ne suffit pas pour atteindre ces objectifs. Ainsi, il n’est pas possible de demander des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires dans le cadre d’une action en vertu de l’article 8; de tels dommages-intérêts ne pourraient être réclamés que dans le cadre de la demande de Teva en vertu de la Loi sur les marques de commerce. Étant donné que j’ai conclu que Teva ne peut modifier son acte de procédure de façon à ajouter une cause d’action en vertu de la Loi sur les marques de commerce ou à obtenir une indemnisation liée aux ententes de Lilly avec les provinces, et étant donné que les modifications proposées visent explicitement à rassembler la totalité des pertes et réclamations associées à la demande fondée sur l’article 8 et aux nouvelles demandes en une seule perte globale, les modifications, telles qu’elles sont présentement proposées, visent à appuyer une cause d’action qui ne peut être accueillie. Par conséquent, les modifications proposées ayant trait à la prétendue conduite [traduction] « anti-générique » de Lilly ne révèlent pas de cause d’action valable.

 

[58]           Il est possible que certaines des nouvelles allégations, si on leur retirait les éléments qui ne conviennent pas à une demande fondée sur l’article 8, puissent être pertinentes et admissibles. Toutefois, dans leur formulation actuelle, il n’est pas possible de comprendre quels sont parmi les nombreux faits avancés ceux qui pourraient s’appliquer à l’appréciation de la demande de Teva fondée sur l’article 8, ou comment ces faits pourraient se rapporter légitimement à l’évaluation du quantum. Dans la présente requête, Teva n’a pas tenté de distinguer dans ses modifications proposées celles qui se rapportent uniquement à la demande fondée sur l’article 8 et celles qui ont trait à sa demande en vertu de la Loi sur les marques de commerce ou qui lient ces deux demandes. Les modifications apportées sans objectif discernable sont de nature à gêner, à compromettre et à retarder le déroulement d’une instance et ne doivent pas être admises.

 

[59]           Dans le nouvel acte de procédure proposé, Teva demande l’indemnisation des pertes subies durant la période visée à l’article 8 relativement à d’autres produits et à sa part de marché globale – pertes qui, selon la jurisprudence, peuvent être indemnisées dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 8 (Teva Canada Limited c. Janssen Ortho Inc., 2010 CF 329). L’objection de Lilly à ces modifications proposées, à laquelle je souscris, repose sur l’absence de précisions sur les autres produits visés par la demande d’indemnisation ou sur les clients avec lesquels Teva a eu de la difficulté à négocier parce qu’elle ne pouvait pas leur proposer de l’olanzapine. Faute de telles précisions, la défense de Lilly ne peut être qu’une dénégation très vague. À cette étape de la procédure, où les seules questions devant être abordées dans les interrogatoires préalables et examinées au procès sont les questions liées à l’évaluation quantitative des dommages-intérêts, et où tous les faits pertinents, au vu du dossier, relèvent de la connaissance particulière de Teva, il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’admettre des modifications servant uniquement à présenter de vagues chefs de réclamation. Cela n’aurait pour effet qu’entraîner la présentation d’une requête pour précisions et, faute de telles précisions, il n’est pas possible de définir la portée et l’objet des interrogatoires préalables, donnant lieu vraisemblablement à des interrogatoires préalables prolongés et peu efficaces. Dans son acte de procédure original, Teva avait déjà formulé une demande d’indemnisation très générale visant sa [traduction] « perte (y compris la perte de ventes et de parts de marché [...]) ». Il ne serait d’aucune utilité d’autoriser Teva à modifier cet acte de procédure de façon à préciser que cette perte globale englobe les pertes se rapportant à d’autres produits, à moins que les modifications ne fournissent des précisions sur ces autres produits et sur les faits essentiels établissant les pertes de ventes ou de parts de marché durant la période en cause qui sont attribuables au fait que Teva ne pouvait pas commercialiser l’olanzapine pendant cette période.

 

[60]           Teva souhaite également ajouter des allégations selon lesquelles ses pertes indemnisables comprennent la perte de valeur de l’ensemble de son entreprise et la privation de la possibilité d’investir et de réinvestir les recettes de ses ventes et de sa part de marché perdues. Dans Sanofi‑Aventis Canada inc. c. Teva Canada limitée, 2012 CF 552, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si une demande d’indemnisation visant la perte de valeur de l’entreprise, fondée sur l’actualisation de la valeur générée par la vente du médicament générique à la fin de la période visée à l’article 8, était une demande d’indemnisation des pertes subies durant la période ou une réclamation visant de futurs profits, qui ne sont pas indemnisables en vertu de l’article 8. À la lumière des faits qui lui ont été soumis, la Cour a statué que la prétendue perte de valeur de l’entreprise était en fait une réclamation visant de futurs profits. Dans l’acte de procédure proposé, Teva utilise l’expression [traduction] « perte de valeur de l’entreprise » au lieu de [traduction] « perte de valeur commerciale » et affirme que cette perte [traduction] « a été réalisée durant la période »; toutefois, elle ne fournit pas de faits essentiels sur la façon de calculer cette perte et les circonstances dans lesquelles la perte aurait été [traduction] « réalisée ». L’insuffisance de ces arguments est évidente lorsqu’on lit les observations sur de tels arguments dans Sanofi-Aventis, précitée, au paragraphe 248 :

 

[248]      Je suis consciente que, en l’espèce, Teva a soutenu avoir subi un préjudice en raison de [traduction] « [l]a réduction de la valeur globale de l’entreprise attribuable au fait que le ramipril générique de Teva a été tenu à l’écart du marché » (septième défense et demande reconventionnelle modifiée, au paragraphe 76h1)(ix)). Sanofi n’a pas demandé que cette déclaration soit radiée, bien qu’elle ait demandé, avec succès, la radiation d’autres paragraphes faisant référence à de futurs profits (voir Sanofi 2010, précité). Le fait que Sanofi n’a pas demandé la radiation du paragraphe 76h1)(ix) ne signifie pas que ce paragraphe dans les actes de procédure et les éléments de preuve qui s’y rapportent deviennent pertinents dans le cadre de la demande relative à l’article 8. Le problème avec cet argument de Teva est qu’il fait fi de la réalité que Sanofi ne pouvait pas savoir de quelle manière Teva prévoyait [traduction] « prouver » la perte de valeur de l’entreprise. Il est tout à fait possible que, si Sanofi avait compris la portée de cette déclaration, elle aurait demandé sa radiation. Avant que Sanofi (et la Cour) ait la chance d’examiner la preuve à l’appui de cette réclamation, celle‑ci était susceptible de nombreuses interprétations. C’est seulement après avoir pris connaissance du rapport d’expert de Mme Loomer à la lumière de l’ensemble de la preuve qu’il était possible de comprendre pleinement le sens de cette demande.

[Non souligné dans l’original.]

 

[61]           Je suis consciente que Teva n’est pas tenue d’invoquer la preuve au moyen de laquelle elle prouvera les allégations formulées; toutefois, elle est tenue de faire valoir les faits essentiels qu’elle prévoit prouver. À la lumière des conclusions de la Cour dans Sanofi-Aventis, à moins que Teva ne fasse valoir les faits essentiels sur lesquels sera fondé le calcul de la perte de valeur de l’entreprise, la seule interprétation raisonnable de l’acte de procédure est qu’il allègue de manière inadmissible une perte basée sur l’actualisation de la part de marché et des recettes futures, en date de la fin de la période en cause. Il convient également de signaler que, étant donné que l’acte de procédure avait pour objectif de rassembler en une seule perte indivisible et indemnisable toutes les pertes subies durant et après la période en cause, il est tout à fait justifié d’inférer que la prétendue perte de valeur de l’entreprise englobe la perte de futurs profits. Dans les circonstances, l’acte de procédure proposé doit, de prime abord, fournir des précisions et ne devrait pas être admis à moins qu’il ne contienne de telles précisions.

 

[62]           Enfin, les modifications proposées réitèrent la demande de Teva visant l’indemnisation des  frais engagés en réponse à la procédure d’interdiction qui a mené à la présente demande fondée sur l’article 8, dans la mesure où l’adjudication des dépens dans cette procédure ne couvrait pas une partie de ces frais. Lilly n’avait pas précédemment demandé la radiation de cette demande, mais s’oppose maintenant à son inclusion dans l’acte de procédure modifié. Lilly soutient que la Cour a déjà attribué les dépens dans cette procédure et qu’elle aurait pu les attribuer sur une base avocat‑client, mais n’a pas choisi cette option. Lilly soutient que la tentative de réclamer des dépens non attribués est en fait une tentative de contourner l’ordonnance finale d’adjudication des dépens et est irrecevable en raison des principes de la préclusion pour même question en litige, de la chose jugée et de l’abus de procédure. Sur ce point, Lilly se fonde sur une décision non publiée d’une de mes collègues dans l’affaire Eli Lilly Canada Inc. c. Teva Canada Limited (30 août 2010, dossier de la Cour no T-607-10, rendue par la protonotaire Milczynski). Bien que le raisonnement de ma collègue dans cette affaire soit convaincant, il semble reposer sur les faits propres à l’affaire dont elle était saisie, notamment le fait que les parties avaient convenu de s’entendre sur [traduction] « tous les dépens de la présente affaire ». Il est toujours délicat de se fonder sur des ordonnances rendues oralement à titre de décisions faisant autorité sur des questions de droit, car ces types d’ordonnances visent seulement à aviser rapidement les parties des motifs de la décision rendue et reposent souvent dans une large mesure sur les circonstances propres à l’affaire, que les parties connaissent bien et qui, par conséquent, ne sont pas exposées de manière détaillée.

 

[63]           À la lumière du dossier dont je suis saisie, et bien que Lilly ait soutenu de manière persuasive que ces pertes ne devraient pas être recouvrables par voie de droit, je ne suis pas convaincue que la question soit tout à fait réglée et qu’il faille exclure l’allégation existante de l’acte de procédure modifié – dans la mesure, évidemment, où elle se limite aux frais engagés relativement à la procédure d’interdiction dans le dossier no T-1532-05 durant la période en cause, ce qui exclut dans la présente affaire les appels.

 

Conclusion

[64]           À cette étape de la procédure, Teva ne peut pas modifier son acte de procédure pour rouvrir, de quelque manière que ce soit, la phase du procès déjà tenue sur les questions de responsabilité, y compris pour avancer de nouvelles causes d’action. Elle peut modifier l’acte de procédure pour y ajouter des précisions concernant les pertes qu’elle allègue avoir subies en raison de la procédure d’interdiction dans le dossier no T-1532-05, mais seulement pour la période du 9 février 2006 au 6 juin 2007, conformément à son argumentation initiale, et seulement si Teva fournit des précisions sur ces pertes et suffisamment d’éléments essentiels pour appuyer la conclusion que les pertes ont été subies durant la période en cause et sont attribuables à la procédure d’interdiction. Si Teva prévoit avancer des faits qui pourraient s’avérer importants pour l’évaluation quantitative de ces pertes, elle devrait fournir suffisamment de précisions en ce qui a trait à la relation causale entre ces faits et les montants réclamés. Dans sa formulation actuelle, l’acte de procédure modifié que Teva propose ne répond pas à ces exigences et ne peut être déposé.

 

[65]           Dans sa requête, Teva demandait également à la Cour d’établir un calendrier expéditif encadrant les mesures à prendre dans la présente affaire, y compris l’établissement des dates du procès. En raison de la requête de Teva et de la présente décision sur cette requête, il n’est pas possible de déterminer la portée des actes de procédure ou celle des interrogatoires préalables et de la communication préalable des documents, si bien que la Cour n’est pas en mesure d’établir le calendrier demandé.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La requête de Teva est rejetée et l’autorisation de présenter une nouvelle demande est accordée.

 

2.                  Teva pourra signifier à Lilly une nouvelle défense et demande reconventionnelle modifiée qui est conforme aux présents motifs, et Lilly disposera de 14 jours à compter de la signification de l’acte de procédure proposé pour indiquer si elle consent aux modifications. À la suite du consentement de Lilly, l’acte de procédure modifié proposé pourra être signifié et déposé sans une nouvelle ordonnance de la Cour. Si Lilly s’oppose aux modifications proposées, elle devra, dans le même délai, aviser Teva et la Cour des motifs de son opposition et inclure dans son envoi à la Cour une copie de l’acte de procédure modifié proposé.

 

3.                  Les avocats des deux parties fourniront à la Cour, au plus tard le 26 juin 2013, leurs dates de disponibilité pour participer à une conférence téléphonique de gestion d’instance après le 15 juillet 2013, en vue de fixer un calendrier pour les prochaines mesures à prendre dans le cadre de la présente procédure.

 

4.                  Les dépens de la présente requête seront payables par Teva à Lilly.

 

« Mireille Tabib »

Protonotaire

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1048-07

 

 

INTITULÉ :                                      ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, ELI LILLY AND COMPANY LIMITED ET ELI LILLY SA c NOVOPHARM LIMITED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 janvier 2013 et le 5 février 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 18 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Creber

John Norman

Alex Gloor

 

POUR LES DEMANDERESSES

(DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES)

 

Andrew Skodyn

Neil Fineberg

POUR LA DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

(DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES)

Heenan Blaikie

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.