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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130801

Dossier : IMM-4498-12

Référence : 2013 CF 843

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er août 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

MARIA ANGELICA GIL AGUILAR

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) visant à soumettre au contrôle judiciaire la décision, datée du 16 avril 2012, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de l’article 96 de la Loi ni celle de personne à protéger selon la définition qu’en donne le paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[2]               La demanderesse demande que la décision de la Commission soit annulée et que la demande soit renvoyée à la Commission afin qu’un tribunal différemment constitué statue à un nouveau sur celle‑ci.

 

Contexte

 

[3]               La demanderesse est citoyenne de la Colombie. En février 2006, les Forces armées révolutionnaires de la Colombie (les FARC) ont tenté de recruter la demanderesse dans son quartier à Bogota, afin qu’elle commette diverses infractions criminelles. Elle a refusé, et ses parents l’ont envoyée vivre avec sa tante dans la banlieue. Après que sa tante et son oncle se furent enfuis de la Colombie, elle a déménagé pour vivre avec une autre tante. Après que cette autre tante se fut aussi enfuie du pays, elle est retournée vivre avec ses parents en octobre 2007, et elle espérait que son quartier serait sécuritaire.

 

[4]               En décembre 2007, la demanderesse a encore une fois été abordée par les membres des FARC. Ils l’ont agressée et ont menacé de la tuer elle et sa famille. Ils lui ont dit que les FARC n’oublient jamais et ne pardonnent jamais. La demanderesse a immédiatement pris des mesures afin de quitter le pays et de se rendre aux États‑Unis, munie d’un visa d’étudiant. Elle est arrivée aux États‑Unis en février 2008, sa tante et son oncle ont consulté des avocats qui leur ont dit que la demanderesse ne pouvait pas y présenter de demande d’asile. Elle a fini par suivre leurs conseils, et elle a quitté les États‑Unis afin de soumettre une demande d’asile au Canada. Elle a demandé l’asile à la frontière le 21 janvier 2009.

 

[5]               Depuis lors, elle a appris que son père avait été agressé et battu à Cali, et que les agresseurs ont dit à son père que l’agression était due au fait que la demanderesse n’avait pas adhéré aux FARC.

 

Décision de la Commission

 

[6]               La décision de la Commission, datée du 16 avril 2012, commence par un résumé des allégations décrites ci‑dessus. La Commission a accepté l’identité de la demanderesse, mais a rejeté sa demande en raison de quatre motifs distincts : l’absence de lien, le risque généralisé, la protection offerte par l’État et la possibilité de refuge intérieur (la PRI).

 

[7]               La Commission a conclu que les FARC poursuivaient une fin politique, mais que celui-ci était secondaire à leur fin criminelle. En l’espèce, les FARC tentaient de recruter la demanderesse pour des fins criminelles. La demanderesse a rejeté ces tentatives parce qu’elle désapprouvait les activités criminelles des FARC, et non pas en raison de leur idéologie politique. Se fondant sur le Cartable national de documentation (le CND), la Commission a conclu que les FARC étaient avant tout une organisation criminelle. La Commission a décidé que la demanderesse était victime de criminalité et qu’elle n’était pas poursuivie pour des opinions politiques.

 

[8]               La Commission a rejeté les observations de la conseil de la demanderesse selon lesquelles cette dernière appartenait à un groupe social : les jeunes colombiens, originaires de familles pauvres, qui bien connus dans leur collectivité. Se fondant sur la preuve relative à la situation dans le pays, la Commission a conclu que les FARC recrutaient en grande partie des jeunes. En raison d’un manque de preuves corroborantes, la Commission a rejeté l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était bien connue dans sa collectivité.

 

[9]               La Commission a décidé que le profil de la demanderesse correspondait à l’un des grands sous‑groupes au sein desquels les FARC recrutaient généralement : les enfants, les adolescents et les jeunes. La preuve n’établissait pas que les FARC poursuivaient la demanderesse pour quelque autre raison que ce soit sinon le fait qu’elle était une jeune femme qui pouvait être alléchée par des offres d’argent.

 

[10]           La Commission a admis le témoignage de la demanderesse selon lequel ses parents avaient été pris pour cible par les FARC, et elle s’est référée à la preuve sur la situation dans le pays, de laquelle il ressortait qu’il était courant que les entreprises soient extorquées par les FARC, et que ces derniers fassent des demandes d’extorsion aux membres de la famille, par vengeance, lorsqu’ils ne leur obéissaient pas.

 

[11]           La Commission a relevé que ni la crainte d’actes criminels ni une vengeance personnelle ne constituent un lien avec l’un des motifs de la Convention, et la Commission a rejeté la demande fondée sur l’article 96 de la Loi.

 

[12]           Ensuite, la Commission a évalué le risque généralisé au regard du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi. La Commission a souligné que lorsque la population générale est exposée à un risque d’être victime d’actes criminels, le fait que certaines personnes sont davantage exposées à ce risque ne signifie pas nécessairement que la demanderesse est visée par l’article 97, même si elle est victime directe d’actes criminels.

 

[13]           La Commission a accepté que la demanderesse avait été abordée par les FARC, et que ces derniers sous leur forme actuelle, qui est essentiellement une organisation criminelle, recrutent encore activement des mineurs. La demanderesse a été une victime de tentative de recrutement, mais il s’agit d’un crime auquel sont généralement exposés beaucoup d’autres jeunes colombiens.

 

[14]           La Commission a décidé que la crainte de la demanderesse était une crainte généralisée. Le risque de recrutement par les FARC est un risque généralisé pour beaucoup de jeunes citoyens de la Colombie.

 

[15]           La Commission a ensuite analysé les motifs subsidiaires de la protection de l’État et de la PRI. Pour ce qui est du premier motif, la Commission a conclu que la Colombie était une démocratie constitutionnelle multipartite dans laquelle la population civile pouvait avoir recours aux forces de sécurité pour sa protection. La Commission a fait mention du conflit armé qui dure depuis 45 ans entre le gouvernement et les FARC, et des violations des droits de la personne commises par les deux parties qui en ont résulté. La Commission a fait mention des progrès réalisés dans la lutte contre les groupes de guérillas. Les enlèvements et les massacres ont en effet diminué. Les FARC ont essuyé de nombreux revers et ils ont été repoussés loin des centres urbains et de beaucoup de régions dans lesquelles leur présence était très forte. Le nombre de meurtres commis par des groupes illégaux a chuté de 2,2 % de 2008 à 2009. La présence des FARC se ressent principalement au sud‑est de la Colombie.

 

[16]           La Commission a décrit les entités créées pour protéger les victimes de la criminalité des FARC telles que, le ministère de la Défense nationale, le Fonds national de défense des libertés individuelles et d’autres. La Commission a indiqué qu’elle a pris en compte un rapport du Conseil canadien pour les réfugiés (le CCR), lequel décrivait comment la démobilisation des groupes paramilitaires a mené à l’apparition de groupes armés dans les régions urbaines, et à l’assassinat de personnes déplacées à l’interne. À Bogota, la sécurité s’est améliorée, mais le niveau d’homicides et d’actes criminels y est toujours élevé. Des récits indiquent également que la ville a été rendue sécuritaire pour y vivre.

 

[17]           La Commission a conclu que bien qu’il y ait des incohérences dans les éléments de preuve sur la situation dans le pays, l’État de la Colombie offre une protection adéquate aux victimes d’actes criminels. La Commission a aussi relevé que la demanderesse n’avait jamais sollicité la protection de l’État. La demanderesse n’a pas renversé la présomption de l’existence de la protection de l’État.

 

[18]           La Commission s’est ensuite penchée sur la question de la PRI. On a demandé à la demanderesse si, pour éviter les FARC, elle pouvait aller vivre à Cali ou à Cartagena. Elle a répondu qu’elle ne serait pas en sécurité à Cali parce que son père y avait été agressé, et qu’il n’était pas difficile de retrouver les gens en Colombie. La Commission a conclu qu’une PRI était offerte dans l’une des deux villes, étant donné que les FARC ne la considéraient pas comme une cible ayant une grande valeur. Bien que la demanderesse fût mineure lorsqu’elle a été abordée par les FARC, elle avait 20 ans au moment de la décision de la Commission. La protection de l’État lui serait offerte à Cali ou à Cartagena, et il ne serait pas déraisonnable que la demanderesse y déménage.

 

Questions en litige

 

[19]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

1.                     Les conclusions de la Commission relatives au lien et au risque généralisé étaient‑elles déraisonnables en ce sens qu’elles ont été tirées sans égard à la preuve dont elle disposait?

2.                     L’analyse de la Commission et sa conclusion relatives à la protection de l’État étaient‑elles déraisonnables?

3.                     L’analyse de la Commission et sa conclusion relatives à la PRI étaient‑elles déraisonnables?

 

[20]           Je reformulerais les questions de la façon suivante :

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande de la demanderesse?

 

Observations écrites de la demanderesse

 

[21]           La demanderesse allègue que la première erreur commise par la Commission était d’avoir conclu qu’il n’y avait pas de preuve de la participation de la demanderesse à l’activisme communautaire. Toutefois, la Commission n’a pas tiré de conclusion défavorable contre la demanderesse, et il lui était donc loisible de demander des preuves corroborant le témoignage assermenté de la demanderesse. Étant donné qu’elle n’a pas pris en compte le travail communautaire de la demanderesse, la Commission n’a pas adéquatement apprécié les raisons de la tentative de recrutement par les FARC.

 

[22]           La demanderesse allègue que la Commission a omis de faire mention des lignes directrices du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) ou de les analyser. Il ressort de ces lignes directrices que les enfants qui font l’objet de recrutement par les groupes armés peuvent constituer un groupe social. L’omission de tenir compte d’un tel argument constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[23]           La demanderesse allègue que la conclusion de la Commission quant au risque généralisé était fondée sur le CND, mais que la Commission n’a pas donné de référence précise. Cette conclusion va à l’encontre de la plupart des éléments de preuve contenus dans ce cartable. La Commission a omis de mener une enquête personnalisée adéquate de la situation de la demanderesse, étant donné qu’elle était spécifiquement prise pour cible par les FARC.

 

[24]           La demanderesse allègue que l’analyse de la Commission relative à la protection de l’État contenait la même erreur de méconnaissance du risque particulièrement élevé des enfants faisant l’objet de recrutement. Les membres d’un groupe peuvent avoir des motifs de craindre la persécution même si l’État est capable de protéger les citoyens en général. La Commission n’a pas pris en compte le rapport du CCR, lequel a conclu en substance que, en Colombie, la protection de offerte aux personnes menacées n’était pas adéquate. Il était loisible à la Commission d’apprécier la preuve, mais non pas de mal énoncer la conclusion du rapport.

 

[25]           L’analyse de la Commission relative à la PRI contenait les mêmes erreurs et elle ne tenait pas compte du fait que le père de la demanderesse avait été agressé à Cali par les membres des FARC, ce qui constituait une tentative avortée de PRI. La Commission s’est fondée sur un rapport de 2009 pour tirer la conclusion que le soutien des FARC s’était estompé dans les villes, sans tenir compte du rapport du CCR de 2011, lequel indique que les guérillas continuent d’opérer avec succès dans les villes.

 

Observations écrites du défendeur

 

[26]           Selon le défendeur, la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas de lien. Les FARC sont une organisation criminelle et ils ont tenté de recruter la demanderesse à des fins criminelles. Les FARC prennent pour cible des personnes vulnérables, mais être une victime d’actes criminels ne constitue pas un lien avec l’un des motifs de la Convention. La Commission a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas un profil présentant un intérêt particulier pour les FARC. Les lignes directrices du HCNUR relatives à l’admissibilité ne s’appliquaient pas, vu qu’il n’y avait pas de preuve que le recrutement avait quelque lien que ce soit avec le fait que la demanderesse était une enfant. La demanderesse n’est plus une mineure, ainsi, la Commission a adéquatement apprécié le risque auquel elle était exposée comme étant celui d’une adulte.

 

[27]           En ce qui concerne le risque généralisé, la Commission a raisonnablement conclu que le risque auquel était exposée la demanderesse n’était pas plus élevé que le risque auquel était exposée la population en général, et les autres jeunes en particulier. Le risque de recrutement par les FARC est un risque généralisé pour les jeunes en Colombie et le risque d’être victime d’actes criminels est un risque généralisé ressenti par la population en général.

 

[28]           Le défendeur allègue que la protection offerte par l’État était raisonnable, étant donné que la Commission a reconnu l’existence du conflit, et la présence des groupes de guérillas, mais qu’elle a relevé les progrès faits par la Colombie. Les FARC sont une organisation soumise à une grande pression et la sécurité nationale de la Colombie n’est plus menacée.

 

[29]           La Commission n’a pas mal énoncé le rapport du CCR, et l’argument de la demanderesse équivaut simplement à une plainte sur la façon dont la Commission a apprécié la preuve. La Commission a reconnu qu’il y avait des incohérences dans les sources documentaires relatives à la situation dans le pays, mais elle a conclu que la protection de l’État était adéquate. Il était loisible à la Commission de préférer certains éléments de preuve à d’autres. La Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse avait omis de solliciter la protection de l’État. La Commission a adéquatement relevé que la demanderesse était une mineure lorsqu’elle a été abordée par les FARC, mais que ce n’était plus le cas.

 

[30]           Lorsqu’elle a envisagé la PRI, la Commission a tenu compte du fait que le père de la demanderesse avait été agressé à Cali. La Commission a conclu que la demanderesse ne serait pas une cible de grande valeur pour les FARC.

 

Observations écrites supplémentaires de la demanderesse

 

[31]           La demanderesse allègue que, bien que les victimes d’actes criminels puissent fréquemment ne pas être en mesure d’établir l’existence d’un lien avec l’un des motifs de la Convention, la Commission avait néanmoins l’obligation de prendre en compte le profil de la demanderesse, et elle a commis une erreur lorsqu’elle a demandé des preuves corroborantes. Bien que la demanderesse ne soit plus une enfant, la Commission avait l’obligation de prendre en considération son appartenance à un groupe social, sur la base d’un statut historique inaliénable, en tant qu’ancienne enfant prise pour cible de recrutement par les FARC.

 

[32]           La demanderesse allègue que le défendeur a mal énoncé le droit relatif au risque personnalisé par opposition au risque généralisé. Une personne qui est prise personnellement et particulièrement pour cible est une personne à protéger au sens de l’article 97.

 

 

Analyse et décision

 

[33]           Première question

      Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[34]           Il est établi dans la jurisprudence que les conclusions relatives à la crédibilité, décrites comme l’« essentiel de la compétence de la Commission » sont essentiellement de pures conclusions de fait qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] ACF no 162, au paragraphe 7; Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 46; Demirtas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 584, [2011] ACF no 786, au paragraphe 23). De façon semblable, l’appréciation et l’interprétation de la preuve sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38).

 

[35]           Lorsqu’elle contrôle la décision rendue par la Commission en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la Commission est arrivée à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables au vu de la preuve qui lui est soumise (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, ainsi que l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Khosa, précité, la cour de révision ne peut substituer à la solution retenue l’issue qui serait à son avis préférable, et il n’entre pas dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (au paragraphe 59).

 

[36]           Deuxième question

            La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande de la demanderesse?

            En ce qui a trait au premier argument de la demanderesse selon lequel les enfants faisant l’objet d’un recrutement échoué constituent un groupe, la définition de réfugié est prospective et, par conséquent, la demanderesse ne peut plus être protégée sur le fondement de son appartenance à un groupe auquel elle n’appartient plus.

 

[37]           Aussi, je ne vois pas en quoi importe l’appréciation défavorable quant à la preuve des activités communautaires de la demanderesse, étant donné que la Commission a en fin de compte cru les allégations de la demanderesse selon lesquelles les FARC avaient tenté de la recruter.

 

[38]           En ce qui a trait au risque généralisé au sens de l’article 97 de la Loi, je souscris à l’approche décrite par la juge Mary Gleason dans Portillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 678, [2012] ACF no 670. Après avoir analysé la jurisprudence récente à ce sujet, la juge Gleason a décrit la méthode qu’il convient d’adopter pour analyser le risque généralisé, aux paragraphes 40 et 41 :

40     À mon avis, le point de départ essentiel de l’analyse relative à l’article 97 de la LIPR consiste à définir correctement la nature du risque auquel le demandeur est exposé. Pour ce faire, il faut déterminer si le demandeur est exposé à un risque persistant ou à venir (c.‑à‑d. s’il continue à être exposé à un « risque personnalisé »), quel est le risque en question et s’il consiste à être exposé à des traitements ou à des peines cruels et inusités et, enfin, le fondement de ce risque. Fréquemment, dans plusieurs décisions récentes dans lesquelles notre Cour a interprété l’article 97 de la LIPR, ainsi que le juge Zinn le fait observer dans le jugement Guerrero, aux paragraphes 27 et 28, « […] trop de décideurs omettent totalement d’énoncer [le] risque » auquel le demandeur est exposé ou « […] restent […] souvent vagues à cet égard ». Dans bon nombre des affaires dans lesquelles elle a annulé la décision de la Commission, notre Cour a estimé que la façon dont celle‑ci avait qualifié la nature du risque auquel était exposé le demandeur d’asile était déraisonnable et que la Commission avait commis une erreur en confondant un risque plus élevé lié à une raison très personnelle avec un risque général de criminalité auquel l’ensemble ou une bonne partie de la population était exposé dans un pays déterminé.

 

41     L’étape suivante à franchir dans le cadre de l’analyse prévue à l’article 97 de la LIPR, une fois que le risque a été correctement qualifié, consiste à comparer le risque qui a été correctement décrit et auquel le demandeur d’asile est exposé, avec celui auquel est exposée une partie importante de la population de son pays pour déterminer si ces risques sont similaires de par leur nature et leur gravité. Si le risque qu’il court est différent, le demandeur d’asile a alors le droit de se réclamer de la protection de l’article 97 de la LIPR. Plusieurs des décisions récentes de notre Cour – s’inscrivant dans le premier courant jurisprudentiel susmentionné – ont retenu cette approche.

 

 

[39]           En l’espèce, la Commission a adéquatement décrit le risque allégué par la demanderesse lorsqu’elle a souligné que, selon le témoignage de la demanderesse, elle craignait de subir un préjudice de la part des FARC, parce qu’elle n’avait pas accédé à leur demande de joindre leur groupe (au paragraphe 23 des motifs de la Commission). Bien que parfois la Commission décrive le risque de façon plus générique comme étant un risque d’être victime d’actes criminels, la première étape dans l’approche de la juge Gleason est satisfaite.

 

[40]           Toutefois, la Commission n’a pas adéquatement comparé ce risque avec celui auquel est exposée la population en général. La Commission a décrit le recrutement par les FARC, ou les tentatives de recrutement, comme étant un acte criminel généralisé en Colombie et un risque auquel sont exposés beaucoup de jeunes colombiens (au paragraphe 26). Pourtant, il ne s’agit pas du même risque, en « nature et [en] gravité », pour utiliser l’expression de la juge Gleason, que le risque de représailles pour avoir refusé le recrutement. La Commission n’a jamais examiné la question de savoir si le risque de représailles était généralisé en Colombie. Cela constitue une erreur.

 

[41]           De plus, bien que le fait d’être personnellement pris pour cible n’est pas nécessairement déterminant quant à l’existence d’un risque personnalisé (comme cela ressort des paragraphes 25 à 39 de la décision De Munguia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 912, [2012] ACF no 986), dans son analyse du risque généralisé, la Commission n’a fait aucune mention du fait que la demanderesse a allégué que son père avait été agressé par les FARC comme mesure de représailles parce qu’elle avait rejeté leur offre de recrutement. Cela placerait la décision de la Commission dans la catégorie des cas décrits par la juge Gleason au paragraphe 39 de la décision Portillo, précitée, dans lesquels le fait d’être personnellement pris pour cible n’a pas été pris en compte dans l’analyse du risque.

 

[42]           Bien que la conclusion de la Commission relative à l’article 97 soit déraisonnable, je dois aussi prendre en compte l’analyse de la Commission relative à la protection de l’État et à l’existence d’une PRI.

 

[43]           La demanderesse allègue que la Commission a mal énoncé le contenu du rapport du CCR, lequel a conclu que la protection de l’État en Colombie n’était pas adéquate. Bien que la demanderesse puisse être en désaccord avec la conclusion de la Commission, cette dernière a relevé beaucoup des conclusions défavorables figurant dans le rapport du CCR, y compris les meurtres des personnes déplacées à l’interne à Bogota, la présence de « nouveaux paramilitaires » dans les régions urbaines et la possibilité pour les groupes de guérillas de poursuivre les victimes dans plusieurs régions du pays.

 

[44]           Le rôle de la cour de révision n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve. Il ressort clairement de l’analyse de la Commission relative au rapport du CCR qu’elle a examiné cet élément de preuve avec soin. Par conséquent, rien ne permet à la Cour de renverser la conclusion relative à la protection de l’État.

 

[45]           En ce qui concerne la PRI, la demanderesse allègue que la Commission a omis de prendre en compte le fait que son père avait été agressé à Cali, après que ses parents eurent tenté de s’y réfugier. Je partage cet avis. Bien que la Commission ait fait part de cette observation (au paragraphe 52), elle n’a pas analysé cet élément de preuve alors qu’il s’agit d’un exercice pertinent pour déterminer s’il existe une PRI.

 

[46]           Cela étant dit, une conclusion relative à la protection de l’État est déterminante quant à l’examen d’une demande. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[47]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont souhaité me proposer de question grave de portée générale pour que je la certifie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-4498-12

 

INTITULÉ :                                            MARIA ANGELICA GIL AGUILAR

                                                                  c

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 12 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge O’Keefe

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 1er août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Laoura Christodoulides

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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