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Date : 20130801

Dossier : IMM-6624-12

Référence : 2013 CF 841

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er août 2013

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

JEGATHEESWARAN GANESHAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Contexte

 

[1]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka, d’origine ethnique tamoule. Il faisait partie des 76 membres d’équipage et passagers du Ocean Lady qui sont arrivés au Canada en 2009. Il a demandé l’asile au Canada au motif qu’il pourrait être persécuté par l’armée sri‑lankaise (l’ASL), et d’autres groupes paramilitaire en raison de : a) ses liens présumés avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET); b) son voyage au Canada à bord du Ocean Lady.

 

[2]               Dans une décision, datée du 30 mai 2012, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile sollicitée sur le fondement de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le demandeur sollicite l’annulation de cette décision.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, selon moi, rien dans la décision ne justifie l’intervention de la Cour.

 

II.        Décision de la Commission

 

[4]               Le point déterminant de la décision de la Commission était son opinion sur la situation des Tamouls au Sri Lanka, maintenant que la guerre est terminée depuis plus de trois ans. La Commission a reconnu l’existence de « difficultés continues qui se présentent au Sri Lanka » en ce qui concerne les Tamouls perçus comme ayant des liens avec les TLET. Toutefois, la Commission a conclu ce qui suit :

[…] la situation a changé au Sri Lanka et […] les Tamouls ne sont plus visés uniquement en raison de leur origine ethnique.

 

[5]               En ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle il serait persécuté parce qu’il serait perçu comme ayant des liens avec les TLET, la Commission a accepté le récit de sa détention par l’ASL en 1999. Néanmoins, la Commission a tiré un certain nombre de conclusions importantes contre le demandeur, sur la base de : a) son manque de crédibilité dans certaines parties de son récit; b) la preuve documentaire. En résumé, la Commission a tiré les conclusions importantes suivantes :

 

                     La Commission n’a pas cru les allégations du demandeur relatives à ses interactions ultérieures avec l’ASL ou avec d’autres forces militaires ou gouvernementales;

 

                     La Commission a conclu que l’incident de 1999, qu’elle a jugé digne de foi, ne constituait pas un fondement objectif pour sa crainte de l’ASL;

 

                     La capacité du demandeur de « mener une vie bien remplie et se déplacer sans contraintes […] et ce, sans que le gouvernement sri‑lankais intervienne pendant la guerre » démontrait que le demandeur d’asile n’était pas une personne recherchée au Sri Lanka;

 

                     Au‑delà de son identité d’homme tamoul et du fait que de 2006 à 2008, le demandeur a transporté des marchandises, rien n’établissait que le demandeur serait perçu par les autorités du Sri Lanka comme étant associé aux TLET.

 

 

[6]               La Commission a aussi rejeté l’allégation du demandeur selon laquelle il serait devenu un réfugié sur place en raison de son voyage à bord du Ocean Lady. À ce sujet, la Commission a tiré les conclusions suivantes :

 

                     Les autorités sri‑lankaises n’ont pas été informées de l’identité du demandeur d’asile et du moyen de transport par lequel il est arrivé au Canada; il serait traité comme n’importe quel autre demandeur d’asile débouté;

 

                     Quoi qu’il en soit, les autorités du Sri Lanka ne percevaient pas tous les passagers du Ocean Lady comme des personnes ayant des liens avec les TLET.

 

[7]               La Commission a conclu que la preuve ne permettait pas de penser que les autorités percevraient le demandeur comme un membre ou un partisan des TLET, simplement parce qu’il était passager du Ocean Lady.

 

III.       Questions en litige

 

[8]               Le demandeur soulève les quatre questions suivantes :

 

1.                  La Commission a‑t‑elle tiré une conclusion déraisonnable relativement à un incident qui aurait eu lieu en 2009?

 

2.                  La Commission a‑t‑elle déraisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas un profil qui l’exposerait à un risque?

 

3.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a effectué une analyse très sélective de la preuve documentaire pour conclure qu’il y avait eu des changements durables au Sri Lanka pour les Tamouls comme le demandeur?

 

4.                  La Commission a‑t‑elle omis d’étayer clairement sa conclusion qu’il n’y avait pas de fondement à la demande d’asile sur place du demandeur?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[9]               La norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la crédibilité, à l’appréciation du risque par la Commission, et à une demande présentée sur place, est la décision raisonnable (voir, par exemple, PM c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 77, [2013] ACF no 136).

 

[10]           Lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit décider « si la décision [appartient] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », et si la décision est justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 (Dunsmuir)).

 

V.        Conclusion relative à la crédibilité

 

[11]           En premier lieu, le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas de crainte subjective du Parti démocratique populaire de l’Eelam (le PDPE) :

 

                     Lorsqu’elle a conclu que l’incident relatif à la visite du PDPE à sa résidence n’était pas crédible;

 

                     Lorsqu’elle a omis de faire le lien entre « le cœur » de ses allégations et la preuve documentaire objective sur la situation dans le pays;

 

                     Lorsqu’elle a décrit de façon incorrecte la preuve qu’il a présentée relativement à l’incident de 2009;

 

                     Lorsqu’elle s’est fondée sur des incohérences entre les notes d’entrevues de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) pour tirer des conclusions relativement à la crédibilité. Elles sont comme les notes prises au point d’entrée, elles ne doivent pas être examinées à la loupe pour tirer des conclusions quant à la crédibilité (Cetinkaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 8, [2012] ACF no 13 (Cetinkaya), au paragraphe 51).

 

[12]           Selon moi, prise dans son ensemble, la décision n’est pas déraisonnable. En particulier, il était loisible à la Commission de tirer une inférence défavorable à partir des incohérences contenues dans la preuve présentée par le demandeur; la Commission a pris en compte les déclarations faites au point d’entrée (en l’espèce par des agents de l’ASFC), le récit du demandeur dans son FRP, les modifications à ce récit, et son témoignage ultérieur (Zeferino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 456, [2011] ACF no 644, aux paragraphes 30 à 32).

 

[13]           La Commission a raisonnablement tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité en raison des incohérences dans la preuve présentée par le demandeur quant à l’identité des hommes, la raison de leur visite, et la pression exercée par la police relativement à l’accident de la route. Toutes ces contradictions étaient présentes dans le dossier, et elles ont été exposées au demandeur à l’audience. Il était loisible à la Commission de conclure que les explications du demandeur n’étaient pas raisonnables. Le demandeur n’était pas simplement en train d’expliquer plus en détail ses déclarations antérieures, il les contredisait.

 

[14]           Comme le juge Russell l’a souligné au paragraphe 51 de la décision Cetinkaya, précitée, la Commission commet une erreur lorsqu’elle met en doute la crédibilité du demandeur « simplement parce que les renseignements qu’il a fournis lors de l’entrevue au point d’entrée ne sont pas détaillés ». Toutefois, en l’espèce, le problème n’était pas que les notes de l’entrevue effectuée par l’ASFC n’étaient pas détaillées, le problème était plutôt qu’il y avait des contradictions non expliquées dans les divers documents présentés par le demandeur.

 

[15]           En outre, le raisonnement de la Commission ne fait pas état d’un examen à la loupe du témoignage du demandeur. L’incident de mai 2009 était un aspect important de la demande du demandeur, laquelle, selon le récit initial du demandeur dans son FRP, était la raison pour laquelle il avait quitté le Sri Lanka. En résumé, la Commission a raisonnablement conclu que la preuve présentée par le demandeur relativement à l’incident du 21 mai 2009 n’était pas crédible, et que, par conséquent, le demandeur n’avait pas de crainte subjective du PDPE.

 

VI.       Profil du demandeur

 

[16]           La deuxième source de préoccupation du demandeur était la conclusion de la Commission selon laquelle il ne serait pas exposé à un risque en raison de son profil. À cet égard, le demandeur avance un certain nombre d’arguments que voici :

 

                     La Commission a commis une erreur lorsqu’elle a omis de conclure qu’il serait perçu comme étant associé aux TLET;

 

                     La Commission a omis d’apprécier le risque auquel le demandeur était exposé en raison de son emploi dans des organisations telles que le Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets, le Projet de reconstruction d’habitations à la suite d’un tsunami, et Aide à l’enfance;

 

                     La Commission a mal interprété le critère du risque personnalisé lorsqu’elle a conclu que le risque auquel le demandeur était exposé de la part des groupes paramilitaires était un risque généralisé.

 

[17]           Selon moi, les conclusions de la Commission quant au risque auquel serait exposé le demandeur en cas de retour au Sri Lanka sont raisonnables.

 

[18]           Premièrement, la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque en raison du fait qu’il serait perçu comme étant associé aux TLET. La Commission a tiré cette conclusion à partir d’un certain nombre d’observations fondées sur la preuve fournie par le demandeur quant à ses expériences, lesquelles sont toutes étayées par la preuve, ainsi :

 

                     À la suite de sa détention en 1999, le demandeur a été libéré par un juge qui a retiré toutes les accusations et a dit au demandeur qu’il n’aurait pas de casier judiciaire permanent. Il était loisible à la Commission de tirer l’inférence que si le gouvernement du Sri Lanka croyait que le demandeur avait des liens avec les TLET, il n’aurait pas été remis en liberté à ce moment‑là. La Commission a aussi raisonnablement estimé que cette détention était le seul contact notable du demandeur avec l’ASL.

 

                     Le demandeur voyageait fréquemment pour son emploi et bien qu’il ait souvent été arrêté, et qu’il ait déclaré avoir été harcelé, il n’a jamais été détenu. Le demandeur a été autorisé à continuer sa route, même s’il se déplaçait dans des territoires contrôlés par l’ASL et des territoires contrôlés par les TLET.

 

                     La Commission a aussi raisonnablement estimé que l’emploi du demandeur était directement lié au gouvernement du Sri Lanka. Le demandeur a présenté des preuves desquelles il ressortait que trois organisations pour lesquelles il avait travaillé étaient des organisations semi‑gouvernementales. Un projet, entre autres, avait été mis en place et financé en partie par le gouvernement.

 

                     En outre, la Commission a raisonnablement pris en compte la preuve fournie par le demandeur sur sa famille, laquelle vit au Sri Lanka et semble n’être exposée à aucun risque.

 

                     Enfin, il était loisible à la Commission de tenir compte du voyage du demandeur lorsqu’il a quitté le Sri Lanka. Le demandeur n’a pas eu de problème à traverser les points de contrôles gouvernementaux, muni de son propre passeport et d’une lettre que le gouvernement lui avait délivrée, ainsi que d’une copie de sa carte d’identité des Nations Unies.

 

[19]           Le demandeur soulève la question de savoir si la Commission a qualifié avec raison l’incident de 1999 comme étant de la persécution ou des poursuites judiciaires. Selon moi, cette conclusion, même si elle est erronée, n’est pas importante eu égard à la décision générale de la Commission. La Commission a reconnu que le critère applicable à une demande d’asile est prospectif et elle a apprécié le risque auquel serait exposé le demandeur sur ce fondement tout en tenant compte des facteurs énoncés ci‑dessus, lesquels pouvaient fort bien être pris en compte par la Commission.

 

[20]           En résumé, la Commission a raisonnablement conclu, sur la foi des expériences vécues par le demandeur avant son départ de ce pays, que celui‑ci ne serait pas perçu comme étant associé aux TLET à son retour au Sri Lanka.

 

[21]           Deuxièmement, la Commission n’a pas omis de tenir compte d’un risque auquel le demandeur serait exposé en raison de son emploi précédent. Contrairement aux observations du demandeur, la Commission a pris en compte tous ses antécédents d’emploi, y compris son emploi au Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets. Je reconnais que les lignes directrices du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés mentionnent que la Société civile et les défenseurs des droits de la personne ont un profil qui peut les exposer à des risques au Sri Lanka. Toutefois, pour établir qu’il est exposé à un risque, le demandeur doit relier sa preuve documentaire à sa situation personnelle; il a omis de le faire. En l’espèce, tous les éléments de preuve relatifs à l’emploi du demandeur auprès des Nations Unies établissent que le demandeur croyait que son poste lui procurerait une certaine sécurité. Le demandeur a expliqué que lorsqu’il avait peur, il se cachait dans les bureaux des Nations Unies, qu’il a utilisé sa carte d’identité des Nations Unies pour voyager lorsqu’il a quitté le pays, et il a déclaré que les fonctionnaires laissaient tranquilles les personnes qui portaient des chemises à l’effigie des Nations Unies. En outre, selon le demandeur, il n’a eu aucun problème pendant qu’il travaillait pour les Nations Unies. De plus, le demandeur n’était pas un « défenseur » des droits de la personne; il travaillait comme assistant technique, il faisait du nivellement et préparait le budget pour un projet de drainage. L’appréciation faite par la Commission de l’emploi du demandeur au sein du Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets ne contient pas d’erreur susceptible de contrôle.

 

[22]           Troisièmement, il était loisible à la Commission de conclure, sur la foi de la preuve, que le demandeur ne serait exposé qu’à un risque généralisé de la part des organisations paramilitaires. La Commission a rejeté avec raison le témoignage du demandeur relativement au PDPE. En outre, il était loisible à la Commission de conclure que le témoignage du demandeur relativement au groupe Karuna n’était pas crédible, étant donné que le demandeur avait soulevé cette crainte pour la première fois à l’audience. Enfin, lorsque la commissaire a posé des questions au demandeur sur les activités du groupe Karuna et du PDPE, celui‑ci a répondu dans son témoignage qu’il avait seulement peur des activités générales des groupes paramilitaires. En conséquence, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas personnellement pris pour cible par quelque organisation paramilitaire que ce soit appartenait aux issues possibles acceptables.

 

[23]           En conclusion, la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque en raison de son association présumée avec les TLET, de son emploi précédent au sein des Nations Unies, ou des activités des groupes paramilitaires.

 

VII.     Changements durables dans les circonstances

 

[24]           Dans sa décision, la Commission a apprécié l’identité du demandeur et son profil en tant que Tamoul originaire du nord du Sri Lanka. La Commission a conclu que les changements dans la situation du pays étaient « importants et durables ». Le demandeur est en désaccord, et il allègue que la preuve documentaire établit que les hommes tamouls ne sont pas en sécurité au Sri Lanka. Le demandeur allègue que la Commission s’est sélectivement fondée sur des documents relatifs à la situation dans le pays pour conclure qu’en tant que Tamoul, le demandeur ne serait plus exposé à de la persécution au Sri Lanka.

 

[25]           Lorsqu’il a avancé ses arguments sur cet aspect, le demandeur était essentiellement en désaccord avec le poids que la Commission avait accordé à divers documents dont elle disposait. En outre, la plupart de ces arguments étaient inextricablement liés à sa croyance que la Commission avait commis une erreur lorsqu’elle a tiré ses conclusions sur la crédibilité et l’association présumée avec les TLET. Il est important de souligner que l’analyse faite par la Commission de la question des changements durables reposait sur la conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas perçu comme étant associé aux TLET. Comme je l’ai déjà conclu ci‑dessus, cette conclusion était raisonnable. Ainsi, à cette étape de l’analyse, la Commission appréciait les risques pour un homme tamoul qui n’avait aucun lien présumé avec les TLET.

 

[26]           L’analyse de la Commission de la situation à laquelle sont soumis actuellement les hommes tamouls au Sri Lanka commence par une référence au plus récent des documents de lignes directrices du HCNUR relatives à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka (les lignes directrices du HCNUR). Comme le HCNUR l’a conclu :

[traduction]

Il n’est désormais plus nécessaire de prévoir des mécanismes de protection collectifs ou de présumer de l’admissibilité des Sri Lankais d’origine tamoule en provenance du nord du pays.

 

 

Il était tout à fait raisonnable que la Commission accorde un poids considérable à ce document.

 

[27]           Je reconnais, comme la Commission l’a fait, que la situation des Tamouls n’est pas toujours parfaite. Par exemple, un Tamoul est souvent arrêté aux points de contrôle pendant longtemps. Cela n’équivaut pas à de la persécution. Le défaut de la Commission de s’attarder sur les aspects individuels et anecdotiques de la preuve de la persécution alléguée ne s’élève pas non plus au niveau d’une erreur susceptible de contrôle.

 

[28]           Le demandeur s’est montré très critique du fait que la Commission s’est fondée sur un document précis. Dans son analyse, la Commission s’est référée aux conclusions d’une délégation chargée d’enquêter composée de l’ASFC, du Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté, et de l’Agence des services frontaliers du Royaume‑Uni. Le voyage d’enquête a eu lieu en mars 2011, et il était organisé par les bureaux de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) basés au Sri Lanka. Les fonctionnaires ont beaucoup voyagé et ils ont interviewé des rapatriés volontaires et des rapatriés non volontaires, ainsi que d'anciens combattants des TLET. Dans le rapport qui s’en est suivi – « Rapport d’enquête dans la région (Trincomalee et Batticaloa), le haut‑commissariat du Canada – Canada, Colombo, du 28 au 31 mars 2011 » (le rapport d’enquête) – les fonctionnaires ont fait l’observation suivante : [traduction] « Un aspect clé commun à toutes les personnes interviewées était qu’elles ont toutes dit qu’elles ne craignaient plus pour leur sécurité personnelle ». Les fonctionnaires ont aussi rapporté que les personnes interviewées avaient des préoccupations relatives à des questions financières, et non pas à leur sécurité ou à leur sûreté personnelle.

 

[29]           Selon le demandeur, le rapport de la délégation doit être rejeté parce que tout le voyage a été contrôlé, planifié, et géré par l’intermédiaire du gouvernement du Sri Lanka. Je ne souscris pas à cette prétention. Il est évident que la délégation a eu des interactions avec le gouvernement du Sri Lanka, et qu’il peut y avoir eu un certain contrôle dans l’accès aux personnes interviewées. Toutefois, je ne peux pas croire que le rapport ne soit pas fiable. Les fonctionnaires représentaient trois pays hautement respectés. Si ces fonctionnaires avaient eu le sentiment « qu’on leur en avait mis plein les yeux » pour qu’ils puissent donner une idée favorable du Sri Lanka, je suis convaincue qu’ils auraient fait état de leurs réserves dans le rapport d’enquête. Selon moi, lorsqu’elle a accordé du poids au rapport d’enquête et qu’elle a décidé qu’il était [traduction] « pertinent quant à la situation du demandeur », la Commission a agi de façon raisonnable. En outre, les conclusions du rapport d’enquête sont cohérentes avec les conclusions énoncées dans les lignes directrices du HCNUR et elles étayent celles‑ci

 

[30]           Pris ensemble, les lignes directrices du HCNUR et le rapport d’enquête étayent solidement la conclusion de la Commission selon laquelle les hommes tamouls ayant le profil du demandeur « aurai[en]t peu de difficultés s’il[s] devai[en]t retourner au Sri Lanka ». Autrement dit, la conclusion de la Commission appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

VIII.    Demande d’asile sur place et motifs mixtes

 

[31]           Dans les observations écrites qu’il a présentées relativement à sa demande d’asile sur place, le demandeur s’est concentré sur la conclusion de la Commission selon laquelle le fait qu’il fut passager du Ocean Lady ne serait pas connue des autorités du Sri Lanka. La prépondérance des observations écrites sur ce point a trait à la question de savoir si le demandeur serait perçu comme ayant des liens avec les TLET en raison de son arrestation en 1999. Dans ses plaidoiries, le demandeur a expliqué plus en détail son argument sur cette question. Il a notamment souligné que l’analyse faite par la Commission de sa demande d’asile sur place était viciée parce que la Commission a omis d’analyser les « motifs mixtes ». L’expression « motifs mixtes » fait référence aux motifs possibles des autorités du Sri Lanka lorsque celles-ci persécutent le demandeur, et cette expression semble avoir été adoptée par le demandeur en se fondant sur d’autres décisions de la Cour (voir par exemple, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B377, 2013 CF 320, (B377)).

 

[32]           Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur n’avait pas explicitement formulé l’argument selon lequel la Commission avait omis de prendre en compte la possibilité que les autorités du Sri Lanka avaient eu des motifs mixtes; cet argument a été soulevé seulement à l’audience. L’argument n’avait pas non plus été soulevé à la Commission. Sur ce seul fondement, je ne suis pas prête à analyser un tel argument. Toutefois, même si je devais admettre cet argument supplémentaire, je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur.

 

[33]           Si je comprends bien, le demandeur allègue qu’il risquerait d’être persécuté à la fois en raison de son origine ethnique tamoule, et en raison de ses opinions politiques présumées en tant que passager du Ocean Lady. Son argument serait que, en tant que passager tamoul du Ocean Lady, il serait perçu comme une personne ayant des liens avec les TLET, ce qui ferait de lui un membre d’un « groupe social », et aussi, une personne ayant des « opinions politiques » au sens de la Convention.

 

[34]           Selon le demandeur, la grande médiatisation du Ocean Lady et du Sun Sea a augmenté les risques qu’il soit persécuté à son retour. La Commission s’est penchée sur cet argument, et elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que malgré l’intérêt médiatique, le nom de ce demandeur précis n’aurait pas été porté à l’attention des autorités du Sri Lanka. Lorsqu’elle est arrivée à cette conclusion, la Commission a attentivement pris en compte et soupesé tous les éléments de preuve dont elle disposait. En dépit de cette conclusion, la Commission a analysé ce qui se passerait si le demandeur était identifié comme étant un passager du Ocean Lady. En réponse à cette question, la Commission a conclu que, en tant que personne non perçue comme ayant des liens avec les TLET, le demandeur ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution.

 

[35]           Un autre problème relatif à l’argument du demandeur est que le risque allégué des « motifs mixtes » est conjectural. La Commission ne disposait d’aucune preuve établissant qu’il y a eu quelque cas que ce soit où un demandeur d’asile tamoul débouté qui était arrivé dans un autre pays par bateau, avait été persécuté à son retour au Sri Lanka. Par ailleurs, la Commission avait des preuves de rapatriés tamouls – même s’ils n’étaient pas à bord du Ocean Lady – qui ont été interrogés, mais pas détenus. Comme la Commission l’a reconnu, la situation est différente pour les personnes qui sont, ou sont perçues comme étant, des TLET ou des partisans des TLET. La Commission a traité cet aspect de la demande du demandeur. Lorsqu’elle a conclu, avec raison selon moi, que le demandeur n’était ni un membre des TLET ni un partisan des TLET, la Commission s’est penchée sur la possibilité que, juste en raison de son voyage à bord du Ocean Lady, le demandeur soit perçu comme un TLET. La dernière question consiste à savoir si la preuve établit, selon la prépondérance des probabilités, qu’un Tamoul voyageant à bord du Ocean Lady risquerait d’être persécuté parce qu’il pourrait avoir des renseignements sur les membres des TLET, qui étaient indubitablement les organisateurs du voyage du Ocean Lady. Rien dans la preuve soumise à la Commission n’étaye la position selon laquelle l’interrogatoire d’un Tamoul à son retour au Sri Lanka peut être assimilé à de la persécution.

 

IX.       Question certifiée

 

[36]           Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A011, 2013 CF 580, le juge Harrington a certifié la question suivante :

Lors du contrôle d’une décision par laquelle un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié définit la notion d’« appartenance à un groupe social » employée dans la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et visée à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Cour doit-elle appliquer la norme de la décision correcte ou la norme de la raisonnabilité?

 

[37]           Le demandeur me demande de certifier la même question en l’espèce.

 

[38]           La décision de certifier une question ne doit pas être prise à la légère. Lorsque le législateur a adopté l’article 74 de la LIPR, il a envoyé un signal clair que, à la Cour fédérale, le contrôle judiciaire de toute décision rendue en vertu de la LIPR doit être effectué de façon rapide et finale. Ce n’est que lorsque le juge chargé du contrôle décide que l’affaire soulève « une question grave de portée générale » que ce juge devrait ouvrir la voie à un appel. Aux paragraphes 9 et 10 de l’arrêt Xiong Lin Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CAF 168, [2013] ACF no 764, la Cour d’appel fédérale a résumé les exigences relatives à la certification de la manière suivante :

Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel et ii) transcender les intérêts des parties au litige et aborder des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, 176 N.R. 4, 51 A.C.W.S. (3d) 910 (C.A.F.), au paragraphe 4; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, [2004] A.C.F. no 368 (C.A.), aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).

 

Dans l’arrêt Varela, la Cour a statué qu’il est erroné de tenir le raisonnement que toutes les questions qui peuvent être soulevées en appel peuvent être certifiées parce que l’on peut examiner tous les points soulevés dans l’appel dès lors qu’une question a été certifiée. L’obligation imposée par la loi énoncée à l’alinéa 74d) de la Loi est une condition préalable à l’existence d’un droit d’appel. Si la question ne satisfait pas au critère de la certification, la condition préalable n’est pas remplie, et l’appel doit être rejeté.

 

[39]           Selon moi, la question proposée n’est ni déterminante ni pertinente quant à la décision qui m’est soumise. La question de savoir ce qui constitue une « appartenance à un groupe social » n’a été soulevée ni devant la Commission ni devant la Cour. De plus, la conclusion générale de la Commission établit que cette dernière a pris en compte l’aspect sur place de la demande d’asile du demandeur présentée sur le fondement des articles 96 et 97. Ainsi, la question proposée n’est pas déterminante de la décision de la Commission et elle ne serait pas déterminante de ma décision en contrôle judiciaire.

 

[40]           Le simple fait qu’un demandeur à la Cour était un passager du Ocean Lady ou du Sun Sea ne signifie pas qu’une question certifiée au regard d’un ensemble de faits devrait automatiquement être certifiée dans tous les autres cas semblables. La question proposée ne se pose pas au regard des faits de la présente espèce, et, par conséquent, elle ne sera pas certifiée.

 

X.        Conclusion

 

[41]           En bref, toutes les allégations du demandeur ont été traitées, tous les éléments de preuve ont été pris en compte et soupesés, et la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision ne sera pas infirmée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-6624-12

 

INTITULÉ :                                            JEGATHEESWARAN GANESHAN

c

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   LE 10 JUILLET 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                 LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                           LE 1er AOÛT 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Blanshay

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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