Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130729

Dossier : IMM-10063-12

Référence : 2013 CF 830

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

KENGESWARAN THANAPALASINGAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision par laquelle un commissaire [le commissaire] de la Section de la protection des réfugiés [la Section] a rejeté la revendication du statut de réfugié et la demande de protection présentées par le demandeur, un passager du MV Sun Sea. L’objet principal du présent contrôle judiciaire est la revendication du statut de réfugié sur place.

 

II.        CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un Tamoul de 30 ans originaire du district de Jaffna, au Sri Lanka. Le demandeur fait état dans son récit de problèmes incessants causés par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les FLET] depuis le milieu des années 1980 – principalement des tentatives menées pour le recruter d’une manière ou d’une autre.

 

[3]               Fuyant sa région dans un bateau de pêche en avril 2009, le demandeur a été arrêté par la Marine et placé dans un camp pour personnes déplacées [IDP]. Il a soutenu qu’il avait dû verser un pot-de-vin et avait subi des mauvais traitements aux mains des autorités, et que cela l’avait conduit à s’enfuir du camp. Après que des membres du groupe Karuna l’eurent interrogé deux fois, le demandeur s’est enfui en Thaïlande, d’où il s’est finalement embarqué sur le MV Sun Sea à destination du Canada.

 

[4]               La commissaire a conclu que divers problèmes minaient la crédibilité du demandeur, mais aucun d’eux n’étant mis en cause dans le présent contrôle judiciaire, il ne sera pas nécessaire d’examiner davantage la question.

Le commissaire a conclu que le demandeur était bien du Sri Lanka et qu’il était arrivé à bord du MV Sun Sea. La question était de savoir si un retour au Sri Lanka allait exposer le demandeur à un risque, eu égard à son profil, et notamment au voyage effectué sur le MV Sun Sea.

 

[5]               Le commissaire a conclu que la preuve était insuffisante d’un lien avec l’un ou l’autre des motifs énoncés dans la Convention. Selon le commissaire, en outre, le cas du demandeur ne correspondait pas à celui des groupes de personnes mentionnées par le HCR comme courant un risque au Sri Lanka. Le commissaire a plus particulièrement conclu qu’on n’avait établi l’existence d’aucune relation entre le demandeur et les TLET, et qu’il n’y avait aucune preuve convaincante du fait qu’on considérait le demandeur être un sympathisant des TLET au Sri Lanka. Le commissaire a aussi conclu selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne serait pas perçu comme étant un partisan des TLET s’il devait retourner aujourd’hui au Sri Lanka.

 

[6]               Le commissaire a ensuite examiné en détail les changements survenus dans la situation régnant au Sri Lanka. Tout en reconnaissant que ces changements s’accompagnaient de certaines difficultés, le commissaire a conclu que les Tamouls n’étaient pas pris pour cibles dans ce pays pour des motifs liés à la seule origine ethnique.

 

[7]               Quant à la revendication du statut de réfugié sur place, le commissaire, après avoir analysé la preuve contradictoire concernant l’aide apportée par la GRC aux autorités sri‑lankaises, a préféré la déclaration faite par un agent de la GRC aux articles de journaux.

 

[8]               La principale conclusion tirée par le commissaire a été que le gouvernement sri-lankais ne percevrait pas le demandeur comme étant un membre ou un partisan des TLET au seul motif qu’il avait voyagé à bord du MV Sun Sea. Le fondement de cette conclusion était la reconnaissance du fait, par le gouvernement sri-lankais, que tous les passagers du MV Sun Sea n’avaient pas des liens avec les TLET.

 

[9]               Le commissaire a finalement conclu la décision en déclarant en résumé que, selon la prépondérance des probabilités, il n’y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur serait personnellement exposé à de la persécution, à une menace à sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture par les autorités au Sri Lanka. La revendication du statut de réfugié sur place a par conséquent été rejetée.

 

[10]           Le demandeur fait valoir que le commissaire 1) s’est penché sur la mauvaise question et a fait abstraction de la preuve, et 2) n’a pas appliqué le bon critère juridique. Ces questions sont étroitement liées.

 

III.       ANALYSE

A.        Norme de contrôle

[11]           La question de savoir si on s’est penché sur la mauvaise question, ou encore si on a appliqué le mauvais critère, est une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c B377, 2013 CF 320, 2013 CarswellNat 1338).

Quant au caractère suffisant ou non de la preuve pour étayer la décision, cette question appelle la norme de la décision raisonnable (SK c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 78, 2013 CarswellNat 207).

 

B.        Question pertinente

[12]           Le demandeur soutient que le commissaire s’est penché sur la mauvaise question en examinant si tous les passagers du MV Sun Sea allaient être perçus comme étant des partisans des TLET, plutôt que s’il courait lui‑même le risque d’être soupçonné être un tel partisan.

 

[13]           Sois dit en tout respect, c’est là qualifier injustement la démarche du commissaire. Pour analyser la situation personnelle du demandeur, le commissaire devait examiner de manière plus générale si tous les passagers du MV Sun Sea étaient soupçonnés par les autorités du Sri Lanka avoir des liens avec les TLET. Le commissaire a relevé que la preuve était contradictoire sur ce point, mais il a jugé que les déclarations et événements les plus récents établissaient de manière convaincante que les autorités ne mettaient pas tous les passagers sur le même pied.

 

[14]           Après avoir conclu qu’on ne s’était pas fait une idée générale quant à l’appartenance des passagers aux TLET, le commissaire s’est ensuite tourné vers la situation particulière du demandeur.

 

[15]           Le commissaire a pris en compte dans son examen le profil précédemment décrit du demandeur, à l’égard duquel il avait conclu qu’avant le voyage à bord du MV Sun Sea, le demandeur n’était pas considéré être un partisan des TLET au Sri Lanka.

 

[16]           On ne peut ni ne doit séparer les conclusions tirées par le commissaire sur le profil du demandeur aux fins de la revendication sur place, de ses conclusions sur ce profil avant le départ du Sri Lanka.

 

C.        Norme juridique

[17]           Le demandeur met en cause le fait que le commissaire n’ait pas mentionné une déclaration du Haut-commissariat du Sri Lanka selon laquelle la plupart des passagers du MV Sun Sea étaient des inconditionnels des TLET.

Il est de droit constant que la SPR n’a pas à faire état de chaque élément de preuve. En l’occurrence, la déclaration a été formulée avant que le MV Sun Sea n’arrive au Canada. Le commissaire, d’ailleurs, l’a en fait mentionnée. L’interprétation impartiale de la décision révèle que le commissaire a pris en compte des déclarations et actions plus récentes des autorités sri‑lankaises. Le commissaire n’a fait abstraction d’aucun élément de preuve, et sa décision reposait sur un fondement raisonnable.

 

[18]           Quant à la question de la norme juridique appliquée, le demandeur affirme que le commissaire a imposé une exigence en recourant à l’expression « would » dans la version anglaise de la décision. Les paragraphes contestés sont les suivants :

113 J’ai examiné comment le voyage du demandeur d’asile à bord du navire à moteur Sun Sea serait perçu par les autorités sri-lankaises si ce fait était porté à leur attention dans l’avenir, et je conclus, selon la prépondérance des probabilités que le gouvernement du Sri Lanka ne percevrait pas le demandeur d’asile comme étant un membre ou un partisan des TLET au seul motif qu’il a voyagé à bord du navire à moteur Sun Sea.

 

114 Étant donné que, avant son départ du Sri Lanka, le gouvernement de ce pays ne soupçonnait pas que le demandeur d’asile avait des liens avec les TLET et compte tenu du fait que le gouvernement sri-lankais et un expert du domaine du terrorisme ont reconnu que les personnes ayant voyagé à bord du navire à moteur Sun Sea n’ont pas toutes des liens avec le TLET, même s’il est possible que le demandeur d’asile soit interrogé à propos de son voyage à bord du navire à moteur Sun Sea, il ne sera pas exposé à un risque accru simplement en raison de ce voyage. Par conséquent, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que le gouvernement du Sri Lanka présume automatiquement que le demandeur d’asile a des liens avec les TLET au moment de son retour dans le pays.

 

[…]

 

116 Je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur d’asile serait exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté ou qu’il serait personnellement exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture (article 97) par les autorités au Sri Lanka.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]           J’estime sans fondement aucun l’argument du demandeur. Il convient d’examiner dans leur contexte les expressions utilisées – le mot « would » dénote la certitude dans certains contextes et la vraisemblance dans d’autres. Le commissaire évoquait en l’espèce la vraisemblance raisonnable, et non la certitude absolue.

 

[20]           Le commissaire n’est pas allé plus loin que de dire, en tirant sa conclusion, qu’il n’y avait pas selon la prépondérance des probabilités de possibilité sérieuse de risque. Selon le cadre analytique applicable, un commissaire doit aller d’une conclusion de fait tirée selon la prépondérance des probabilités à une autre, et ainsi de suite, avant qu’il soit satisfait, en fonction de la norme civile courante, au critère final de la possibilité de risque.

 

[21]           J’estime qu’il n’y a rien d’erroné dans l’approche ni dans l’analyse du commissaire, non plus que dans son application du critère juridique.

 

IV.       CONCLUSION

[22]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

                                                            IMM-10063-12

 

 

 

INTITULÉ :

KENGESWARAN THANAPALASINGAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            Le 27 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            Le 29 juillet 2013

COMPARUTIONS 

Ronald Poulton

 

                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

Marina Stefanovic

 

                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Poulton Law Office

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.