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Date : 20130722

Dossier : IMM-6959-12

Référence : 2013 CF 805

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2013

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

MAUTHARAN PARARASASINGAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Contexte

 

[1]               Le demandeur, un citoyen du Sri Lanka d’ethnicité tamoule, était propriétaire d’une petite entreprise sur une petite île au nord du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada en 2010 en passant par les États-Unis. Il a demandé asile au Canada au motif qu’il serait victime de persécution de la part d’un groupe paramilitaire, le Parti démocratique populaire de l’Eelam (PDPE), qui l’aurait menacé et extorqué.

[2]               Dans une décision datée du 6 juin 2012, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile du demandeur présentée sur le fondement de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La Commission n’a pas cru que le PDPE avait extorqué de l’argent au demandeur ou que celui-ci était soupçonné d’être un partisan des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Quoi qu’il en soit, la Commission a conclu que le risque auquel s’exposait le demandeur n’avait aucun lien avec un motif prévu par la Convention et était un risque généralisé.

 

[3]               Le demandeur veut faire annuler cette décision.

 

II.        Les questions en litige

 

[4]               Le présent contrôle judiciaire porte sur deux questions :

 

1.                  La conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité est-elle raisonnable?

 

2.                  L’analyse de la Commission sur l’existence d’un lien et sur le risque généralisé est‑elle raisonnable?

 

III.       La norme de contrôle

 

[5]               La décision de la Commission – tant sur la question de la crédibilité que sur celle du lien et du risque généralisé – est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le tribunal appelé à contrôler une décision suivant la norme du caractère raisonnable doit déterminer si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Le caractère raisonnable tient aussi « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité » du processus décisionnel (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

IV.       La conclusion au sujet de la crédibilité

 

[6]               La Commission a fait état de quatre motifs l’ayant amenée à conclure que le récit du demandeur relatif aux actes d’extorsion n’était pas crédible :

 

1.                  Les visites du PDPE telles que le demandeur les a décrites ne concordent pas avec la preuve documentaire que celui-ci a présentée. Si les membres du PDPE voulaient que le demandeur leur donne de l’argent, ils seraient parvenus à leurs fins, ou alors ils auraient menacé le demandeur et fait de lui un exemple. Ils ne lui auraient pas rendu visite autant de fois sans le menacer de conséquences plus graves. Autrement dit, il ne s’agissait pas de la façon de faire « habituelle » du PDPE.

 

2.                  Le simple fait qu’un matelot de la marine accompagnait les membres du PDPE n’a pas convaincu la Commission que les actes d’extorsion ont été commis avec l’approbation du gouvernement. D’ailleurs, si le gouvernement était effectivement impliqué, il était invraisemblable qu’il n’ait pas réussi à extorquer de l’argent au demandeur.

 

3.                  Le demandeur n’a pas mentionné les actes d’extorsion dans sa demande d’asile.

4.                  Dans la lettre du père du demandeur, déposée sous serment, il n’est pas non plus question d’extorsion.

 

[7]               Le demandeur conteste chacune des quatre conclusions.

 

[8]               Je suis d’avis que la Commission a exprimé clairement ses conclusions relatives à la crédibilité et qu’elles étaient raisonnablement étayées par la preuve devant elle.

 

[9]               Premièrement, la Commission était fondée à conclure que le récit du demandeur n’était pas plausible. La Commission peut tirer des conclusions concernant la vraisemblance du récit d’un demandeur pourvu qu’elles soient raisonnables et clairement énoncées (Moualek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 539, au paragraphe 1, [2009] ACF no 631; Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (CAF)). Ces conclusions peuvent se fonder sur le bon sens et la logique au regard de l’ensemble de la cause du demandeur.

 

[10]           En l’espèce, la Commission a analysé les faits relatés par le demandeur concernant la persécution que lui aurait fait subir le PDPE et n’a pas trouvé son récit plausible. La Commission a conclu qu’il était peu probable que le PDPE n’ait pas réussi à extorquer de l’argent au demandeur ou à lui causer quelque autre tort étant donné le nombre de fois que ses membres lui ont rendu visite. La Commission s’est appuyée sur un document de la CISR présenté par le demandeur lui-même, document dont je reproduis un bref passage ci‑dessous : (DCT, à la page 557):

[traduction] […] le PDPE extorque de l’argent aux propriétaires d’entreprise en particulier ainsi qu’aux camionneurs et aux pêcheurs; l’argent extorqué s’apparente à un « paiement de protection » […] L’extorsion débute de façon polie; l’extorqueur affirme que l’argent servira à des fins caritatives ou qu’il s’agit d’une « contribution au parti », bien que tous ceux qui participent à la transaction savent pertinemment que ce n’est pas vrai. Habituellement, personne ne se présente muni d’une arme et ne fait des menaces à la victime. Si la victime refuse catégoriquement de payer, elle recevra une autre visite et elle se fera menacer en termes voilés (par exemple, le fait de mentionner l’endroit où ses enfants vont à l’école […]). Si la victime s’entête à refuser, elle devra en subir les conséquences et sera battue ou tuée. Le PDPE fera servir d’exemple une personne qui ne paye pas.

 

[Renvois omis.]

 

[11]           À mon sens, la Commission s’est raisonnablement fondée sur ce document et en a cité un extrait pour démontrer que le récit du demandeur ne concordait pas avec les pratiques usuelles du PDPE. Je reconnais que la Commission ne cite pas fidèlement la preuve documentaire lorsqu’elle indique qu’[traduction] « [h]abituellement la personne est armée », mais cette erreur commise par inadvertance n’a pas d’incidence sur son raisonnement. La Commission s’est appuyée sur ce document particulier pour démontrer que le récit du demandeur selon lequel il n’avait pas payé le PDPE et n’avait subi aucun préjudice, hormis la perte de certaines marchandises de son magasin, après près de huit visites du PDPE, ne concordait pas avec la preuve documentaire.

[12]           De plus, la Commission n’a pas présumé de façon déraisonnable que le PDPE agit selon un modus operandi particulier. La Commission s’est plutôt fondée sur la preuve documentaire pour appuyer la conclusion qu’il n’était pas plausible que le demandeur n’ait subi aucun préjudice après avoir reçu autant de visites du PDPE et refuser de lui verser de l’argent. La Commission n’a ni attribué de méthode particulière au PDPE ni présumé que le PDPE agit toujours exactement de la même façon.

 

[13]           Deuxièmement, la Commission était fondée à conclure que dans le cas particulier du demandeur, il n’était pas vraisemblable que les membres du PDPE soient accompagnés de représentants de l’État. Étant donné les réserves qu’avait déjà la Commission au sujet du récit du demandeur, elle pouvait à bon droit ne pas tirer l’inférence souhaitée de la description qu’a faite le demandeur du matelot de la marine. Même si certains documents présentés par le demandeur indiquent que les membres du PDPE agissent parfois avec l’aide de représentants de l’État ou qu’ils manœuvrent en toute impunité, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de prouver la complicité de l’État en l’espèce.

 

[14]           Troisièmement, la Commission pouvait à bon escient tenir compte du fait que dans son formulaire de demande et au point d’entrée le demandeur avait omis de parler de l’extorsion dont il avait été victime. Le demandeur a déclaré au point d’entrée que l’armée et la marine s’étaient emparées de ses légumes et qu’il avait été battu pour avoir vendu des journaux du PDPE. Il n’a pas été question de menaces d’extorsion. Il y a une différence considérable entre s’emparer de quelques légumes et exiger de l’argent d’un commerçant.

 

[15]           La Commission peut à bon droit tirer une inférence défavorable des différences entre les déclarations d’un demandeur au point d’entrée et son formulaire des renseignements personnels (FRP) ou son témoignage subséquent (Zeferino c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 456, aux paragraphes 30 à 32, [2011] ACF no 644). Dans la présente espèce, le demandeur a omis d’indiquer l’événement crucial pour sa demande, celui qui l’a fait fuir le pays. La Commission était fondée à rejeter comme étant déraisonnable l’explication que le demandeur tentait de présenter, compte tenu du l’importance de celle‑ci pour prouver son allégation.

 

[16]           Quatrièmement, l’analyse par la Commission de la lettre du père du demandeur est raisonnable. Cette lettre, déposée sous serment, ne mentionne que des dangers d’ordre général décrits en termes très vagues. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en s’appuyant sur ce que le document ne disait pas (Bagri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 168 FTR 283, au paragraphe 11, [1999] ACF no 784). Dans les circonstances particulières de l’espèce, où l’extorsion est le risque en cause, on pourrait s’attendre à ce que le père en fasse mention dans sa lettre. Or, il n’y est aucunement question d’extorsion, alors que, comme je l’ai déjà noté, c’était un élément crucial pour la demande d’asile du demandeur. Compte tenu des autres problèmes que présentait le témoignage du demandeur, la Commission était fondée à tirer une inférence défavorable de cette omission. Contrairement à ce que fait valoir le demandeur, il y a des situations où un décideur peut prendre en compte ce qui n’a pas été dit dans un document; il s’agit en l’espèce de l’un de ces cas.

 

[17]           En résumé, chacune des conclusions de la Commission peut être étayée par la preuve, même si un autre commissaire ou juge de notre Cour aurait pu en tirer des conclusions différentes.

[18]           Sur la question de la crédibilité, je conclus que la décision de la Commission doit être considérée comme un tout. En l’espèce, la Commission a relevé quatre problèmes qui, pris dans leur ensemble, l’ont amenée à conclure qu’elle ne croyait pas le récit du demandeur relatif aux actes d’extorsion commis par le PDPE. Il ne suffit pas que le demandeur relève les points faibles de chacune des conclusions ou qu’il établisse qu’il était possible d’en tirer d’autres. Le tribunal chargé du contrôle doit plutôt considérer la décision dans son ensemble. Chacune des quatre conclusions, en soi, aurait pu être insuffisante pour servir de fondement à une conclusion générale d’absence de crédibilité, mais en les considérant ensemble, la Commission était tout à fait fondée à conclure que le récit du demandeur n’était pas crédible.

 

V.        Lien et risque généralisé

 

[19]           Le demandeur avance que la Commission a commis une erreur en concluant que dans la situation du demandeur il n’y a pas de lien avec un motif prévu par la Convention et qu’il ne s’expose qu’à un risque généralisé. Le demandeur invoque la reconnaissance par la Commission du fait que le demandeur est un Tamoul ainsi que la preuve documentaire qui décrit la persécution dont l’ethnie tamoule fait l’objet. Sur cette question, l’argument du demandeur est imbriqué dans les conclusions que la Commission a tirées sur la crédibilité. Le demandeur admet que si la Cour confirme les conclusions de la Commission sur sa crédibilité, ses arguments relatifs au lien et au risque généralisé s’en trouvent affaiblis.

 

[20]           Vu le témoignage du demandeur et la preuve documentaire, l’analyse de la Commission sur la question du lien est raisonnable. Dans son témoignage, le demandeur a lui-même reconnu qu’il était ciblé parce qu’il avait de l’argent et que d’autres personnes qui pêchaient ou exploitaient une ferme à grande échelle étaient elles aussi ciblées à des fins d’extorsion. La Commission a raisonnablement rejeté la preuve documentaire du demandeur puisqu’elle portait sur un autre groupe que le PDPE. Enfin, la Commission s’est fondée sur sa propre preuve documentaire, qui corrobore les affirmations du demandeur selon lesquelles le PDPE cible des particuliers pour leur extorquer de l’argent. La Commission a relevé ce qui suit dans la preuve documentaire : [traduction] « Ces groupes visent toute personne qui a de l’argent ».

 

[21]           Je reconnais que certains éléments de la preuve documentaire laissent entendre qu’il est possible que le PDPE extorque de l’argent aux Tamouls. Cependant, en l’espèce, le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que l’extorsion dont il a été victime était attribuable à son ethnicité tamoule. Étant donné le témoignage du demandeur selon lequel il était ciblé parce qu’il a de l’argent, la Commission était fondée à conclure à l’absence de lien avec un motif prévu à la Convention.

 

[22]           Je suis également d’avis que la Commission a raisonnablement conclu que le risque d’extorsion décrit par le demandeur est un risque généralisé, c’est-à-dire un risque qui ne vise pas le demandeur en particulier. Dans son témoignage, le demandeur a dit qu’il était ciblé parce qu’il a de l’argent, comme le sont d’autres personnes qui pêchent ou exploitent une ferme. Selon la preuve documentaire sur laquelle s’est appuyée la Commission et invoquée par le demandeur lui-même, le PDPE extorque généralement de l’argent à des propriétaires d’entreprise de même qu’à des camionneurs et des pêcheurs. Au vu du témoignage du demandeur et du point de vue de la Commission, il appartenait aux issues possibles acceptables de conclure que le risque d’être victime d’un tel crime est répandu et donc généralisé, même si le demandeur lui-même était personnellement ciblé (voir, par exemple, la décision Paz Guiffaro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 182, au paragraphe 32, [2011] ACF no 222).

 

VI.       Conclusion

 

[23]           Je suis d’avis que la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur n’est pas exposé à un risque, tant au sens de l’article 96 que de l’article 97 de la LIPR. En résumé, la décision de la Commission était raisonnable et ne sera pas infirmée. Aucune des parties n’a présenté de question à certifier.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6959-12

 

INTITULÉ :                                      MAUTHARAN PARARASASINGAM c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 10 JUILLET 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE SNIDER

 

DATE DU JUGEMENT :               LE 22 JUILLET 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman, Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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