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Date : 20130723

Dossier : T-789-12

Référence : 2013 CF 801

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 23 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

CONTINENTAL TEVES AG & CO. OHG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

CONSEIL CANADIEN DES INGÉNIEURS

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie de l’appel de la décision, en date du 23 janvier 2012, répertoriée sous la référence 2012 COMC 18, par laquelle une agente d’audience de la Commission des oppositions des marques de commerce (l’agente d’audience ou la membre) a rejeté la demande d’enregistrement no 1361599 de la marque de commerce ENGINEERING EXCELLENCE IS OUR HERITAGE portant sur des « patins de frein pour les véhicules terrestres; disques de freins pour les véhicules terrestres ». Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’appel doit être rejeté.

 

 

LA DEMANDE

[2]               Le 29 août 2007, une société située aux États‑Unis d’Amérique, Continental Teves Inc., a produit auprès du Bureau des marques de commerce canadien une demande en vue de faire enregistrer les mots ENGINEERING EXCELLENCE IS OUR HERITAGE pour les employer comme marque de commerce au Canada en liaison avec des marchandises décrites comme étant « patins de frein pour les véhicules terrestres; disques de freins pour les véhicules terrestres ».

 

[3]               La demande était fondée sur l’emploi de la marque au Canada par cette société depuis au moins le 31 janvier 2007. La société en question revendiquait comme date de priorité le 1er mars 2007 sur la base d’une demande déposée aux États‑Unis d’Amérique par cette même société.

 

[4]               La demande avait été cédée par la société américaine à la demanderesse dans le présent appel, Continental Teves AG & Co. oHG, dans un document signé par la société américaine le 9 février 2009, et par la demanderesse, le 8 août 2008. Le document de cession stipulait qu’il était rétroactif au 1er mars 2007, c’est‑à‑dire à la date du dépôt de la demande américaine, d’où la date de priorité canadienne.

 

L’OPPOSITION

[5]               Le Conseil canadien des ingénieurs défendeur (le CCI ou l’opposant) a produit une déclaration d’opposition à l’enregistrement de la présente marque de commerce le 30 mai 2008. Il invoquait plusieurs moyens, dont certains ont été abandonnés dans une lettre datée du 11 mai 2012 de ses avocats. Les principaux motifs sur lesquels la membre s’est fondée pour rendre la décision frappée d’appel et que notre Cour est appelée à examiner sont ceux que l’on trouve aux alinéas 10c) et 10f) de la déclaration d’opposition, dont voici le texte :

               [traduction

 

10. c) [...] En particulier, la marque en cause n’est pas enregistrable, car, comme le prévoit l’alinéa 12(1)b), elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer,  ou des personnes qui les produisent. Sans restreindre le caractère général de ce qui précède, étant donné que la marque en cause comprend le mot « engineering », qui est réglementé au Canada, il s’ensuit que :

 

i.     si des ingénieurs canadiens participent à la production des marchandises, la marque en cause donne une description claire de la nature et de la qualité des marchandises ainsi que des personnes qui les produisent;

 

ii.   si la production des marchandises ne fait pas appel à la participation d’ingénieurs canadiens, la marque en cause donne une description fausse et trompeuse des caractéristiques et de la qualité des marchandises ainsi que des personnes qui les produisent;

 

[…]

 

f)     L’Opposant fonde son opposition sur le motif prévu à l’al. 38(2)d), à savoir que la marque de commerce n’est pas distinctive. La marque de commerce n’est pas distinctive au sens de l’art. 2 de la Loi, parce qu’elle ne permet pas de distinguer les marchandises de la Requérante de celles de tiers, y compris de celles d’autres ingénieurs qui sont autorisés à exercer l’ingénierie au Canada. De plus, tout emploi de la marque par la Requérante serait trompeur, en ce que cet emploi donnerait à penser que les marchandises de la Requérante sont fournies, vendues, louées ou autorisées par l’Opposant ou les membres qui la constituent, ou que la Requérante est associée à l’Opposant ou autorisée par celui-ci ou ses membres constituants énumérés précédemment au paragraphe 3.

 

[6]               L’opposant a déposé en preuve trois affidavits souscrits par John Kizas, gestionnaire, Développement stratégique du CCI. Le premier a été souscrit le 13 mars 2009, le deuxième était un affidavit souscrit en réponse le 8 octobre 2009 et, le troisième, un affidavit supplémentaire souscrit le 8 octobre 2009. M. Kizas a notamment attesté l’emploi du mot ENGINEERING au Canada et a cité divers textes législatifs concernant l’emploi de ce mot. L’opposant a également produit l’affidavit de D. Jill Roberts, aide-huissière dans un bureau d’huissiers à Ottawa. Mme Roberts a annexé des copies de documents provenant de sources publiques, y compris des bibliothèques et Internet, portant sur l’emploi de mots comme ENGINEERING.

 

[7]               La demanderesse a déposé l’affidavit de Joanne P. Gort, collaboratrice du cabinet des avocats représentant le demandeur dans la présente instance. Elle a joint à son affidavit des copies de pages de divers dictionnaires définissant des mots comme ENGINEERING ainsi que diverses adresses de sites Internet où l’on pouvait trouver ces mots.

 

[8]               Aucun des auteurs des affidavits déposés à l’appui de l’opposition n’a été contre-interrogé.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

[9]               La décision à l’examen est longue : la Commission y examine en détail une grande partie de la preuve et des arguments présentés par les parties. Comme je vais citer des passages de cette décision plus loin dans les présents motifs, je ne vais pas en reproduire le texte intégral. On peut le trouver sur le Web à l’adresse suivante : cipo.ic.gc.ca – Décisions de la COMC, référence 2012 COMC 18, en date de 2012‑01‑23.

 

[10]           L’agente d’audience a rejeté la demande. Elle a conclu, au paragraphe 44, que l’on ne pouvait conclure que la marque donnait une description claire des personnes employées à la production des marchandises, à savoir des patins et des disques de frein. L’agente a conclu, aux paragraphes 45 à 50 de sa décision, que la marque donnait une description fausse et trompeuse des personnes qui produisaient les marchandises. Au paragraphe 53, l’agente d’audience a conclu qu’à la date pertinente, c’est‑à‑dire la date du dépôt de l’opposition, le 30 mai 2008, la marque n’était pas adaptée à distinguer, ni de distinguait véritablement les marchandises de la demanderesse de celles d’autrui au sens de l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce. Elle a estimé qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si les mots de la marque étaient couramment employés par autrui.

 

[11]           En bref, l’agente a estimé que la marque n’était pas enregistrable parce qu’elle donnait une description fausse et trompeuse des marchandises et ne distinguait pas les marchandises de la demanderesse de celles de tiers.

 

NOUVEAUX ÉLÉMENTS DE PREUVE EN APPEL

[12]           Les dispositions quelque peu inhabituelles du paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce prévoient que, dans le cas d’un appel comme celui‑ci, chacune des parties peut présenter d’autres éléments de preuve que ceux produits dans le cadre de la procédure d’opposition.

 

[13]           Dans le cas qui nous occupe, le CCI défendeur a déposé l’affidavit souscrit par Mme Jennifer Allen, employée du cabinet de son avocat, auquel était jointe une lettre qui indiquait simplement que le défendeur n’invoquerait pas certains des motifs énoncés dans la déclaration d’opposition. L’agente d’audience n’a pas examiné ces autres motifs (paragraphe 55 de la décision) et ces motifs n’ont pas été plaidés devant la Cour.

 

[14]           La demanderesse, Continental Teves AG & Co. oHG, a déposé l’affidavit souscrit par M. Thomas Eller, son premier vice‑président, directeur des ventes et des comptes‑clés, en vue d’incorporer par renvoi une pièce dans laquelle était relaté l’historique de cette entreprise. Il est notamment écrit ceci dans l’affidavit :

 

                     cette entreprise est un « leader mondial » en matière de conception et de fabrication de freins, de patins de frein et de disques de frein pour véhicules terrestres et elle possède plus d’une centaine d’années d’expertise générale en ingénierie automobile (paragraphe 2);

 

                     cette entreprise est bien connue pour le rôle qu’elle joue dans le domaine de l’ingénierie et a reçu des récompenses pour l’excellence de son ingénierie (paragraphe 3);

 

                     cette entreprise emploie plus de 1 000 ingénieurs en Allemagne et plus de 2 000 ingénieurs dans ses divers établissements un peu partout dans le monde.

 

[15]           Cet affidavit ne précise toutefois pas que si les activités en question ont été exercées au Canada et combien d’ingénieurs sont, le cas échéant, employés au Canada. Aucun des exemples précis qui ont été fournis dans les pièces en question ne se rapporte au Canada. J’en déduis – et l’avocat du demandeur a admis qu’il conviendrait de tirer cette conclusion – que si des activités dignes de ce nom ont eu lieu au Canada, M. Eller l’aurait précisé. M. Eller n’a pas été contre‑interrogé au sujet de son affidavit.

 

NORME DE CONTRÔLE

[16]           Il est bien établi en droit – et accepté par les parties – que, compte tenu du fait qu’il s’agit d’un appel et non d’un contrôle judiciaire, mais bien d’un appel dans le cadre duquel de nouveaux éléments de preuve peuvent être présentés – et l’ont effectivement été en l’espèce –, je dois examiner la décision de l’agente d’audience en fonction de la norme de la décision raisonnable en ce qui concerne la preuve dont disposait la Commission, et en fonction de la norme de la décision correcte à l’égard des questions de droit. Lorsque les nouveaux éléments de preuve auraient probablement pu avoir une incidence sur la décision de l’agente d’audience, je dois reprendre l’examen de l’affaire depuis le début. Je répète ce que j’ai récemment écrit au paragraphe 18 de la décision Cheah c McDonald’s Corporation, 2013 CF 774 :

 

[18]           La norme de contrôle applicable à l’égard de la décision d’un commissaire dans une instance en matière d’opposition est bien établie. Je souscris aux motifs exposés par le juge Phelan de la Cour dans la décision San Miguel Brewing International Limited c Molson Canada 2005, 2013 CF 156, aux paragraphes 22 à 24 :

 

22     La norme de contrôle est influencée par le type de preuve nouvelle (s’il y en a) qui est apportée en appel conformément au paragraphe 56(5) de la Loi. En l’absence d’une preuve nouvelle, la norme de contrôle est la décision raisonnable (Groupe Procycle Inc c Chrysler Group LLC, 2010 CF 918, 377 FTR 17).

 

23     Cependant, si l’on apporte une preuve nouvelle, et si cette preuve est importante, la norme de contrôle applicable devient celle de la décision correcte. Le simple fait de répéter ou de compléter des éléments déjà mis en preuve n’est généralement pas suffisant pour changer la norme de contrôle (Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707, au paragraphe 27, 276 FTR 40).

 

24     Comme l’ont résumé K. Gill et R. S. Jolliffe dans Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e éd., feuilles mobiles, (Toronto : Thomson Carswell, 2002), à 6-48 [Fox] : [traduction] « Le simple fait de déposer de nouveaux éléments en appel n’abaisse pas forcément la norme d’appel au niveau de celle de la décision correcte. Il faut prendre en considération la qualité de ces éléments. La question concerne la mesure dans laquelle les éléments additionnels ont une force plus probante que celle des éléments dont disposait la Commission. »

 

     Et, d’ajouter Fox : [traduction] « Si les nouveaux éléments ont peu de poids et ne consistent qu’en une simple répétition de la preuve déjà présentée, sans accroître la force probante de celle-ci, la norme de contrôle sera celle de savoir si la décision du registraire était manifestement erronée. Dans de tels cas, la présence d’une preuve nouvelle n’aura pas d’incidence sur la norme de contrôle que la Cour appliquera en appel. »

 

     Je conviens que ces deux énoncés reflètent l’état du droit au Canada.

 

QUESTIONS EN LITIGE DANS LE PRÉSENT APPEL

[17]           Compte tenu des éléments de preuve supplémentaires qui ont été présentés et de la norme de contrôle à appliquer, les questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :

 

                                                            1.      L’agente d’audience a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la marque ne donnait pas une description claire de la marque au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce?

 

                                                            2.      L’agente d’audience a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la marque donnait une description fausse et trompeuse au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce?

 

                                                            3.      L’agente d’audience a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la marque n’était pas distinctive des marchandises de la demanderesse en raison de la définition du mot « distinctive » à l’article 2 et de l’alinéa 38(2)d) de la Loi sur les marques de commerce?

 

FARDEAU DE LA PREUVE

[18]           Pour examiner les questions qui précèdent, il convient de tenir compte de deux fardeaux de preuve distincts. L’agente d’audience les a correctement énoncées au paragraphe 8 de sa décision : la demanderesse doit s’acquitter du fardeau initial de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi sur les marques de commerce; quant à l’opposant, il doit s’acquitter du fardeau initial de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués au soutien de chacun des motifs d’opposition :

 

[8]               C’est à la Requérante qu’incombe le fardeau ultime d’établir, suivant la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Toutefois, l’Opposant doit s’acquitter du fardeau initial de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués au soutien de chacun des motifs d’opposition [voir John Labatt Limitée c. Les Compagnies Molson Limitée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.); Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. 2002 FCA 29 (CanLII), (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)]. L’imposition d’un fardeau de preuve à la partie requérante signifie que s’il est impossible de parvenir à une conclusion décisive une fois l’ensemble de la preuve produite, la question doit être tranchée à l’encontre de la requérante [voir la décision John Labatt, précitée].

 

Le résumé de la preuve des parties

 

La preuve de l’Opposant

 

Les affidavits de M. Kizas

 

DATE PERTINENTE

[19]           La jurisprudence a créé une sorte de dédale en ce qui concerne les dates à retenir pour examiner les divers motifs d’enregistrabilité d’une marque. Dans le cas qui nous occupe, l’agente d’audience a correctement fixé et appliqué les dates à appliquer :

 

                     pour examiner la question de savoir si la marque « donnait une description claire » ou une « description fausse et trompeuse » des marchandises, compte tenu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, la date pertinente est celle de la production de la demande, c’est‑à‑dire, le 29 août 2007 (paragraphe 33);

 

                     en ce qui concerne la question de savoir si la marque est distinctive, la date pertinente est la date de production de la déclaration d’opposition, soit en l’espèce le 30 mai 2008 (paragraphe 52).

 

[20]           Ces conclusions ne sont pas contestées par les parties.

 

 

ÉLÉMENTS DE PREUVE DONT NOUS DISPOSONS ET ÉLÉMENTS DE PREUVE DONT NOUS NE DISPOSONS PAS

 

[21]           Grâce au témoignage donné par M. Kizas à l’appui de la déclaration d’opposition, que la membre a en grande partie passé en revue, on peut constater que chacune des provinces canadiennes et chacun des territoires canadiens réglementent la profession d’ingénieur. Il existe des dispositions qui contrôlent et restreignent l’emploi de mots tel que « professional engineer » [ingénieur professionnel], « P. Eng. » [ing.], « engineer » [ingénieur] et « engineering » [ingénierie]. Une personne ne peut employer ses appellations pour se désigner ou pour désigner son entreprise que si elle est dûment autorisée par les autorités compétentes. Dans de nombreux cas, une société ou une entreprise ne peut incorporer ses termes dans sa raison sociale ou son appellation commerciale que si elle y est dûment autorisée.

 

[22]           L’agente d’audience a refusé, à juste titre, de tenir compte du témoignage de M. Kizas lorsqu’il s’aventurait à donner son avis, étant donné qu’il ne possédait pas les titres et qualités nécessaires dans les domaines dans lesquels il exprimait ses opinions, comme l’intérêt public et l’ordre public.

 

[23]           M. Kizas a déclaré que ni la requérante initiale ni la demanderesse actuelle (la cessionnaire) n’étaient titulaires d’un permis ou d’un agrément leur permettant d’offrir des services d’ingénierie dans quelque province ou territoire que ce soit au Canada.

 

[24]           L’affidavit souscrit par Mme Roberts dans le cadre de l’opposition contenait le résultat de recherches effectuées sur Internet et dans des bibliothèques concernant des situations dans lesquelles l’expression ENGINEERING EXCELLENCE ou d’autres formulations semblables pouvaient figurer. Mme Roberts a également fait observer que ses recherches sur Internet lui avaient permis de constater que la demanderesse n’avait aucun établissement commercial au Canada.

 

[25]           L’affidavit de Mme Gort contenait le résultat des recherches qu’elle avait effectuées sur Internet sur les mots « engineer » et « engineering ». Elle a également fourni un relevé de 53 enregistrements de marque commerce canadienne contenant les mots « engineer », « engineers », « engineered » et « engineering ».

 

[26]           Quant aux enregistrements de marque de commerce, M. Kizas a déposé un affidavit en contre‑preuve. J’abonde dans le sens de la membre, lorsqu’elle écrit, aux paragraphes 21 et 22 de ces motifs à ce sujet :

[21]      Il soutient quil a examiné les 53 enregistrements de marques de commerce joints comme pièce N à laffidavit de Mme Gort, et souligne que lOpposant, depuis quelque temps, a pour politique de contester les marques de commerce qui sont composées du terme « engineering » ou qui incluent ce terme, afin de protéger lintégrité du titre des ingénieurs au Canada et de protéger le public [paragraphes 4 à 7 de son affidavit].

 

[22]           M. Kizas précise que parmi les 53 enregistrements de marques de commerce trouvés par Mme Gort, dix marques de commerce ont été déposées avec le consentement de lOpposant; deux ont été déposés par des éditeurs de magazines ou de revues destinés aux ingénieurs; quatre ont été déposées avant que lOpposant ne commence à contester les demandes problématiques; deux comprennent le terme « engineering » inscrit dans une taille de police si petite que le fait quelles incluent ce mot na pas été constaté au moment de contester les demandes; les 35 autres enregistrements comprennent le mot « engineered » et non « engineering » ni « engineer » [paragraphes 8 à 14 de son affidavit]. Cependant, appliquant à la présente affaire les observations formulées par Mme Bradbury, membre de la Commission, dans la décision Comsol, précitée, au paragraphe 21, je signale quaucune preuve nindique que les membres du public canadien connaissent la logique de lOpposant à l’égard de ce que cette dernière considère être un emploi acceptable ou inacceptable du mot « engineering » par les parties qui ne sont pas agréées pour exercer lingénierie au Canada.

 

[27]           L’affidavit souscrit par Mme Allen dans le présent appel n’est pas pertinent, sauf quant à la suppression de certaines questions.

 

[28]           L’affidavit que M. Eller a déposé dans le présent appel établit que la demanderesse actuelle (par opposition à la requérante originale) emploie de nombreux ingénieurs, mais vraisemblablement aucun au Canada, et qu’elle conçoit et fabrique des pièces de frein depuis longtemps, apparemment ailleurs qu’au Canada.

 

[29]           Les éléments de preuve que nous n’avons pas sont tout aussi importants que ceux que nous avons. Premièrement, la demanderesse ne nous a soumis aucun élément de preuve au sujet de son emploi de la marque de commerce au Canada. Elle a déposé en preuve une déclaration d’un de ses dirigeants qui ne s’appliquerait pas exclusivement au Canada. Cette déclaration comporte un logo illisible qui, suivant l’avocat, renfermerait les mots « Engineering Excellence is our Heritage » suivis des initiales « TM ». Ce document porte sur l’emploi de cette expression à des fins descriptives et non en tant que marque ce commerce (annexe CC de l’affidavit de M. Roberts). Il était parfaitement loisible à la demanderesse de démontrer à l’agente d’audience ou à la Cour la manière dont elle employait effectivement la marque.

 

[30]           Quant à l’emploi des mots « engineering », « engineer » et « engineered » proposé par Mmes Roberts et Gort, nous ne disposons d’aucun élément de preuve quant à l’emploi concret qu’en ont fait les personnes qui les auraient employés. Nous ne disposons que de copies d’inscriptions énigmatiques tirées d’Internet. On ne nous a soumis aucun élément de preuve démontrant l’emploi qui a effectivement été fait des marques de commerce enregistrées. Nous ne disposons d’aucun élément de preuve quant au « consentement » à l’emploi de ces mêmes marques de commerce par le défendeur.

 

[31]           Mais surtout, nous ne disposons d’aucun élément de preuve sur ce que les membres du public canadien pensent effectivement lorsqu’ils sont confrontés à l’emploi de mots comme « engineering », qu’il s’agisse de marchandises, de services ou d’autres éléments. La Cour suprême du Canada a, à raison à mon avis, décrit le recours à des sondages dans l’arrêt Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, [2011] 2 RCS 387, étant donné qu’il échappe à tout contrôle, mais il existe bien d’autres façons que de mener de coûteux sondages pour informer la Cour de la réaction effective du public.

 

[32]           En l’espèce, l’agente d’audience et la Cour en sont réduites à s’en remettre à des fragments provenant de sources comme Internet pour décider si la marque en litige est « distinctive », ou si elle « donne une description claire » ou « une description fausse et trompeuse » et à composer avec les arguments que les avocats des parties font valoir pour tenter d’infléchir le décideur dans un sens ou dans l’autre.

 

[33]           À cet égard, à moins que les nouveaux éléments de preuve déposés dans le présent appel n’exigent une autre attitude, la Cour doit respecter la décision de l’agente d’audience, dont l’expertise réside dans le fait qu’elle est appelée à décider si une marque donne une description « claire » ou une description « fausse et trompeuse » des marchandises ou si elle est « distinctive ». Si la loi a été correctement appliquée, la Cour doit alors se demander si la décision de l’agente d’audience appartient aux issues possibles acceptables.

 

EN QUOI CONSISTE LA MARQUE EN LITIGE?

[34]           La marque dont l’enregistrement est demandé est l’expression ENGINEERING EXCELLENCE IS OUR HERITAGE. Ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Masterpiece, précité, ces mots peuvent être libellés de diverses façons et être accompagnés de tout autre élément. Je reprends ce que le juge Rothstein a écrit au nom de la Cour au paragraphe 55 :

 

55       En l’espèce, l’enregistrement d’Alavida (LMC 684,557) mentionne la marque de commerce que cette entreprise souhaitait faire enregistrer en produisant sa demande, à savoir les mots « Masterpiece Living ». Cette marque de commerce n’étant décrite que sous forme de mots, Alavida avait donc le droit d’employer les mots « Masterpiece Living » dans la taille, le style de lettres, la couleur ou le motif de son choix. La Cour fédérale a conclu ce qui suit dans Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 :

 

                    Rien n’empêche l’appelante de changer la couleur de ses enseignes ou le style de lettres de « Mr. Submarine », ou d’adopter un système téléphonique et de livraison tel que celui suivi par l’intimée ou tout autre système convenable pour la vente de ses sandwiches. Si elle devait effectuer un de ces changements, son droit exclusif à l’emploi de « Mr. Submarine » s’appliquerait tout comme il s’applique à son emploi dans l’entreprise qu’elle exploite actuellement. La question de savoir si les marques de commerce ou les noms commerciaux de l’intimée créent de la confusion avec la marque enregistrée de l’appelante doit donc être examinée en tenant compte non seulement de l’entreprise actuelle que l’appelante exploite dans la région des opérations de l’intimée, mais aussi de la possibilité de confusion si l’appelante devait exercer ses activités dans cette région de toute manière qui lui est permise en utilisant sa marque de commerce en liaison avec les sandwiches vendus ou les services exécutés dans l’exercice de son entreprise. [Je souligne; p. 102-103.]

[35]           Dans l’arrêt Masterpiece, le juge Rothstein a ensuite examiné la question de la confusion, en expliquant que la Cour devait se placer dans la situation de la personne moyenne qui est susceptible d’être un consommateur des marchandises ou des services en question. Il y a lieu de tenir compte des caractéristiques qui définissent la marque applicable. Ce sont ces caractéristiques et non la marque dans son ensemble dont il convient de tenir compte. Voici ce que le juge écrit au paragraphe 61 :

61     Dans un cas comme celui qui nous occupe, il est possible de comparer les marques de commerce ou le nom commercial pertinents en n’examinant que les caractéristiques qui les définissent. Seuls ces éléments permettront aux consommateurs de faire la distinction entre les deux marques de commerce ou entre la marque de commerce et le nom commercial. En l’espèce, comme la marque de commerce projetée d’Alavida n’est constituée que des mots « Masterpiece Living », la différence ou la similitude entre cette marque et, d’une part, chacune des marques de commerce de Masterpiece Inc. et, d’autre part, le nom commercial de cette dernière, s’apprécie uniquement en fonction de ces mots. Selon moi, la marque « Masterpiece Living » d’Alavida se rapproche le plus de la marque « Masterpiece the Art of Living » de Masterpiece Inc. J’estime que la comparaison de ces deux marques est déterminante. Or, s’il est peu probable que ces marques créent de la confusion, il ne sera pas nécessaire d’étudier les autres marques de Masterpiece Inc. ainsi que le nom commercial de celle-ci, qui s’apparentent moins à la marque de commerce d’Alavida. À l’inverse, s’il est conclu qu’elles créent probablement de la confusion, il ne sera pas nécessaire de se demander si la marque d’Alavida ressemble à ces autres marques de Masterpiece Inc. ou au nom commercial de celle‑ci, bien qu’il puisse s’agir de facteurs pertinents faisant partie des circonstances de l’espèce à prendre en compte dans l’examen de la question de savoir s’il y a probabilité de confusion avec la marque de commerce « Masterpiece the Art of Living ».

 

[36]           Même si le juge Rothstein examinait la question de la confusion dans l’arrêt Masterpiece, la façon dont il convient d’aborder d’autres questions, comme celle de savoir si la marque « donne une description claire » ou « une description fausse et trompeuse, ainsi que la question du caractère distinctif doivent être abordées de la même manière. En quoi, selon le consommateur moyen, consisteraient les caractéristiques propres à la marque lorsqu’il la verrait?

 

[37]           C’est la démarche qu’a suivie le juge O’Reilly de la Cour dans la décision Conseil canadien des ingénieurs c John Brooks Co, (2004), 35 CPR (4th) 507. Le juge écrit, au paragraphe 21 :

21        Lorsqu’une partie d’une marque de commerce proposée est contestable, il convient de se demander s’il demeure possible d’enregistrer la totalité de la marque. Dans la présente affaire, étant donné que JBCL ne peut enregistrer les mots « Spray Engineering » , peut-elle enregistrer « Brooks Brooks Spray Engineering » ? La réponse dépend de la question de savoir si la partie contestable de la marque de commerce proposée constitue un élément important de l’ensemble et fait de celui-ci une marque qui donne une description fausse et trompeuse. Les parties ne s’entendaient pas sur la question de savoir si la partie contestable de la marque de commerce doit constituer l’élément dominant de celle-ci ou simplement l’une des caractéristiques dominantes. D’après la jurisprudence, le critère applicable est la question de savoir si les mots donnant une description fausse et trompeuse [traduction] « dominent la marque de commerce visée par la demande au point ... de faire obstacle à l’enregistrement de celle-ci ... » : Chocosuisse Union des Fabricants - Suisses de Chocolate c. Hiram Walker & Sons Ltd., (1983), 77 C.P.R. (2d) 246 (C.O.M.C.), citant Lake Ontario Cement Ltd. c. Registrar of Trade Marks (1976), 31 C.P.R. (2d) 103.

 

[38]           L’agente d’audience a suivi cette démarche dans le cas qui nous occupe, comme on peut le constater à la lecture de ses motifs aux paragraphes 45 et 46 :

 

[45]           Pour décider si une marque de commerce donne une description fausse et trompeuse, « le critère applicable est la question de savoir si les mots donnant une description fausse et trompeuse [TRADUCTION] “ dominent la marque de commerce visée par la demande au point […] de faire obstacle à l’enregistrement de celle-ci … ” » [décision Brooks, précitée, à la page 514].

 

[46]           Je suis d’avis que le mot « ENGINEERING » domine ainsi la Marque. Le mot « EXCELLENCE » a une connotation élogieuse et est un terme principalement descriptif. Les mots « IS OUR HERITAGE » sont secondaires et font directement référence à la première partie de la Marque. Le message dominant demeure celui transmis par « ENGINEERING » ou « ENGINEERING EXCELLENCE ».

 

[39]           Je souscris aux conclusions tirées par l’agente d’audience à cet égard.

 

ALINÉA 12(1)b) – « DESCRIPTION CLAIRE » OU « DESCRIPTION FAUSSE ET TROMPEUSE »

[40]           L’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce interdit d’enregistrer une marque qui « donne une description claire » ou « donne une description fausse et trompeuse » des marchandises ou des services en question ou des conditions de leur production ou des personnes qui les produisent ou de leur lieu d’origine :

 

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

[. . .]

 

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

 

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

 

. . .

 

 

 

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

 

 

[41]           Quant à savoir si la marque « donne une description claire », je reprends à mon compte les propos tenus par le juge Strayer (alors juge de notre Cour) dans le jugement General Foods Inc c Tradition Fine Foods Ltd, (1996), 35 CPR (3d) 564, à la page 566 :

[traduction]

Pour qu’elle soit considérée comme non enregistrable selon l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, pour les raisons retenues par la Commission des oppositions, il est nécessaire que la marque de commerce « donne une description claire [...] de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer [...] » Une description « claire », il faut plus qu’une « simple implication ou suggestion » de la nature des marchandises (Thomas J. Lipton, Ltd. c. Salada Foods Ltd. (no 3) (1979), 45 C.P.R. (2d) 157 (C.F. 1re inst.), à la p. 160. Il faut que la signification de la marque de commerce soit [traduction] « facile à comprendre, évidente ou claire [...] » (Drackett Co. of Canada Ltd. c. American Home Products Corp. (1968), 55 C.P.R. 29, à la p. 34, [1968] 2 R. C. de l’Éch. 89, 38 Fox Pat. C. 1 (Cour de l’Éch.).

 

 

[42]           Quant à la question de savoir si une marque « donne une description fausse et trompeuse », je souscris à ce que feu le juge Cattanach, de la présente Cour, écrivait dans la décision Promotions Atlantiques Inc c Registraire des marques de commerce, (1984), 2 CPR (3d) 183, aux pages 186 et 187, alors qu’il examinait le libellé de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce et le comparaît avec celui de l’alinéa 26(1)c) de la loi précédente, la Loi sur la concurrence déloyale :

 

En vertu de l’alinéa 26(1)c) de la Loi sur la concurrence déloyale, l’enregistrement était à priori refusé aux mots servant de marque qui « étaient clairement descriptifs ou trompeurs quant à la nature ou la qualité des marchandises ». L’adverbe « clairement » s’appliquait également au qualificatif « trompeurs ».

 

À l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce le terme « clairement » appliqué à « trompeurs » a été remplacé par l’expression « description fausse et trompeuse ».

 

Le changement était voulu.

 

Plusieurs termes peuvent être « clairement trompeurs » quant aux marchandises en liaison avec lesquelles ils sont employés, sans constituer pour autant une « description fausse et trompeuse ».

 

Selon moi, le critère que l’on doit appliquer pour déterminer si une marque de commerce dans son entier constitue une description fausse et trompeuse consiste à savoir si le public canadien serait induit en erreur sur l’origine du produit associée à la marque de commerce et croirait que ce produit provient de l’endroit désigné par le nom géographique utilisé.

 

La question de savoir si une marque de commerce constitue une description fausse et trompeuse est autant une question de fait que celle de savoir si une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque.

 

[43]           Le dernier paragraphe de cet extrait est particulièrement important. Chaque cas est un cas d’espèce. Ceux qui possèdent de l’expérience dans le domaine des marques de commerce peuvent constater les apparentes contradictions que l’on relève dans les décisions dans lesquelles, par exemple, le mot « Tavern » pour de la bière a été jugé enregistrable, mais l’expression « Java Café » pour du café ne l’a pas été.

 

[44]           Dans le cas qui nous occupe, la question à laquelle nous devons répondre est celle de savoir si la marque, c’est‑à‑dire l’expression ENGINEERING EXCELLENCE IS OUR HERITAGE, dans laquelle les mots clés sont ENGINEERING ou ENGINEERING EXCELLENCE, donne « une description claire » ou « une description fausse et trompeuse » des marchandises, en l’occurrence, des « patins de frein pour les véhicules terrestres; disques de freins pour les véhicules terrestres ».

 

[45]           L’agente d’audience a estimé que la marque ne donnait pas une « description claire » des marchandises en question. Voici ce qu’elle écrit aux paragraphes 43 et 44 de ses motifs :

 

[43]           Ainsi que l’a souligné l’Opposant en audience, la Marque s’apparente davantage à un slogan. M’appuyant sur les définitions de dictionnaire du terme « ENGINEERING » fournies tant par la Requérante (dans l’affidavit de Mme Gort) que par l’Opposant (dans l’affidavit de M. Kizas), j’estime raisonnable de conclure que le terme « engineering », dans le contexte de la phrase « ENGINEERING EXCELLENCE IS OUR HERITAGE », peut avoir l’une ou l’autre des fonctions suivantes :

 

 

                                                            1.      nom qui désigne soit [traduction] « l’application de la science à la conception, à la construction et à l’utilisation de machines, de constructions, etc. », soit [traduction] « le travail exécuté par un ingénieur », et qui est employé avec le nom « EXCELLENCE » pour communiquer une seule idée, celle de l’« EXCELLENCE IN ENGINEERING » [l’excellence en ingénierie];

 

 

2.     verbe qui communique, d’une manière figurée, l’idée de « DESIGNING/or CREATING EXCELLENCE » [« conception ou création de l’excellence »].

 

 

[44]           Comme l’a établi l’Opposant, la Requérante n’est pas agréée ni enregistrée pour offrir des services d’ingénierie dans une des provinces ou dans un des territoires du Canada. De la même manière, elle n’emploie aucun ingénieur agréé au Canada  [paragraphes 51 et 2 du premier et du troisième affidavit de M. Kizas, respectivement]. Pour ces raisons, on ne peut conclure que la Marque donne une description claire des personnes employées à la production des Marchandises. Par conséquent, il s’agit maintenant de savoir si la Marque donne une description fausse et trompeuse, c’est-à-dire si elle induit le public en erreur. Autrement dit, sous l’angle de la première impression, le public serait-il porté à croire, à tort, que les Marchandises ont été conçues, développées et mises à l’essai par des ingénieurs exerçant dans le domaine de l’ingénierie automobile?

 

 

[46]           L’agente a toutefois conclu que la marque donnait « une description fausse et trompeuse » des marchandises en question. Aux paragraphes 45 à 49 de ses motifs, elle écrit ce qui suit :

 

[45]           Pour décider si une marque de commerce donne une description fausse et trompeuse, « le critère applicable est la question de savoir si les mots donnant une description fausse et trompeuse [TRADUCTION] “ dominent la marque de commerce visée par la demande au point […] de faire obstacle à l’enregistrement de celle-ci … ” » [décision Brooks, précitée, à la page 514].

 

 

[46]           Je suis d’avis que le mot « ENGINEERING » domine ainsi la Marque. Le mot « EXCELLENCE » a une connotation élogieuse et est un terme principalement descriptif. Les mots « IS OUR HERITAGE » sont secondaires et font directement référence à la première partie de la Marque. Le message dominant demeure celui transmis par « ENGINEERING » ou « ENGINEERING EXCELLENCE ».

 

 

[47]           Bien que le terme ENGINEERING puisse désigner davantage que les simples compétences des ingénieurs, je suis d’avis que, compte tenu la nature même des Marchandises, le Canadien moyen risque tout autant, si ce n’est davantage, de croire que les Marchandises ont été produites avec le concours d’ingénieurs, que de ne pas avoir cette impression.

 

 

[48]           Ma conclusion est renforcée par le fait que les pièces X et Y de l’affidavit de Mme Roberts, dont il a été question ci-dessus, montrent que la phrase « ENGINEERING EXCELLENCE » est employée par diverses entités (ce qui, comme je l’ai dit, n’est pas contesté par la Requérante), et que les contextes dans lesquels ces entités l’emploient semblent tous se rapporter à la profession d’ingénieur, à l’exercice de l’ingénierie ou à l’éducation et à la formation des ingénieurs au Canada ou à l’étranger.

 

 

[49]           Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la Requérante ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’à la date de production de demande, la Marque ne donnait pas une description fausse et trompeuse des personnes employées dans la production des Marchandises.

 

[47]           Dans le présent appel, la Cour dispose d’éléments de preuve supplémentaires en l’affidavit souscrit par M. Eller. Il est déclaré dans l’affidavit déclare que la demanderesse emploie en fait un nombre important d’ingénieurs pour produire les marchandises en question, et ce, depuis des décennies. M. Eller estime que l’ingénierie de la demanderesse est en fait excellente. L’affidavit n’établit toutefois aucun lien entre ces activités ou celles de ces ingénieurs et le Canada.

 

[48]           Compte tenu de l’affidavit souscrit par M. Eller, on peut aisément conclure que l’expression « Engineering excellence is our heritage » donne une description claire de la façon dont les marchandises sont conçues et produites par la demanderesse, sauf si l’on adopte le point de vue selon lequel le mot « engineering » [ingénierie] évoque, dans l’esprit du public canadien, les services professionnels offerts par les ingénieurs qui détiennent un permis d’une ou de plusieurs provinces ou territoires canadiens pour offrir ces services.

 

[49]           Au paragraphe 44 de ses motifs, l’agente d’audience songeait de toute évidence au témoignage de M. Kizas suivant lequel les lois et les règlements des provinces et territoires canadiens régissant et restreignant l’emploi de termes comme « engineering » [ingénierie] se limitent aux personnes offrant de tels services. Dans des décisions comme Brooks, précitée, la Cour a reconnu qu’il fallait tenir compte du fait que des mots comme « engineering » [ingénierie] peuvent être réglementés. Le juge O’Reilly écrit, aux paragraphes 19 et 20 :

 

19           JBCL soutient qu’elle emploie le mot « engineering » uniquement dans le sens habituel du terme, soit l’utilisation de compétences dans un domaine d’activité précis. Elle ne l’emploie pas au sens professionnel. Cependant, étant donné que l’emploi du mot « engineering » est réglementé par la loi, l’argument de JBCL n’est pas convaincant. La situation exposée en l’espèce est différente de celle d’autres emplois enregistrés du mot « engineering » que JBCL a mentionnés (p. ex. « document engineering », « engineering sunglasses » et « body engineering »). Dans ces cas, il y a peu de chances que les consommateurs seraient incités à tort à croire que des ingénieurs sont associés à l’entreprise. Même si le « spray engineering » (technique de pulvérisation) n’est peut-être pas une spécialité reconnue dans l’exercice de la profession d’ingénieur, ces mots renvoient à une gamme de services techniques sophistiqués qui sont liés au traitement et à la distribution de fluides, soit des types de services que des ingénieurs pourraient offrir.

 

20           À mon avis, le fait que l’emploi du mot « engineering » soit réglementé a des incidences en l’espèce. La plupart des gens présumeraient que les entreprises utilisant ce mot dans leur nom offrent des services d’ingénierie et ont des ingénieurs à leur emploi, à moins que le contraire ne ressorte clairement du contexte. La Commission elle-même en est arrivée à une conclusion similaire lorsqu’elle a refusé d’enregistrer la marque de commerce proposée de JBCL, « Spray Engineering », au motif que le client moyen de celle-ci présumerait que des ingénieurs participent à l’ensemble ou à la plupart des activités de l’entreprise : Conseil canadien des ingénieurs c. John Brooks Co., [2001] C.O.M.C. no 218.

 

 

[50]           Dans la décision Conseil des ingénieurs du Canada c. The Engineered Wood Association, (2000), 7 CPR (4th) 239, le juge O’Keefe de la présente Cour a déclaré que la question de savoir si une personne détenait un permis d’ingénieur canadien n’était pas pertinente. Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 57 et 58 :

57       Je note qu’en l’espèce le terme contesté ENGINEERED est un verbe (au participe passé) et fait référence à un processus qui a été utilisé sur un article (le bois). Il ne représente pas le nom « engineer » (ingénieur) - c’est un verbe et un participe passé du verbe, rien de moins. Par conséquent, je suis d’avis que la prétention de l’appelant selon laquelle la marque projetée donne une description fausse et trompeuse des personnes qui produisent les marchandises et les services n’est pas fondée. La marque de commerce projetée n’est pas THE WOOD ENGINEER’S ASSOCIATION.

58       Je crois également qu’aucun des arguments soulevés par l’appelant concernant la perception que le public a du mot « ENGINEER » ou des interdictions contre l’emploi du terme ou du titre « ENGINEER » , à moins que cette perception soit en fait celle d’un ingénieur professionnel inscrit, n’a de fondement compte tenu des circonstances décrites ci-dessus.

 

[51]           Plus récemment, dans la décision Conseil des ingénieurs canadiens c Kelly Properties LLC, 2012 CF 1344, le juge O’Keefe a estimé que la marque KELLY ENGINEERING RESOURCES portant sur des services de recrutement de personnel n’était pas enregistrable parce qu’elle supposait que les services rendus étaient offerts par des ingénieurs canadiens détenteurs de permis. Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 149, 153, 156 et 157 :

 

149     Envisagée en liaison avec les services énumérés, la marque de commerce laisse entendre que la défenderesse a le droit de fournir des services de placement dans le domaine de l’ingénierie, à des ingénieurs et à des entreprises cherchant à engager de tels professionnels. Cependant, comme l’indique la politique de l’APEGGA et l’affidavit de M. Neth, les entreprises de placement et de ressources humaines offrant des services comparables à ceux de la défenderesse doivent détenir un permis d’exercice en Alberta. La défenderesse ne détient pas ce permis, ce qui tend à indiquer que la marque de commerce donne une description fausse et trompeuse des services fournis sous ce nom. C’est aussi ce que confirme la preuve selon laquelle cette marque sert à annoncer des emplois de concepteurs, de dessinateurs et de techniciens qualifiés. Comme le souligne M. Neth, seuls les ingénieurs autorisés ont le droit de pratiquer l’ingénierie au Canada, et ce type d’annonces amène les consommateurs à croire erronément que les concepteurs, les dessinateurs et les techniciens placés par la défenderesse possèdent les compétences nécessaires pour pratiquer l’ingénierie.

 

[. . .]

 

153     Pour toutes ces raisons, et en gardant à l’esprit que la finalité de cette partie de l’alinéa 12(1)b) est d’empêcher que les consommateurs soient induits en erreur, je conclus que la marque de commerce donne une description fausse et trompeuse de la nature et de la qualité des services énumérés. Son adoption est donc interdite aux termes de l’alinéa 12(1)b) de la Loi.

 

[. . .]

 

156     Je renvoie également à la raison d’être de la politique de l’APEGGA, telle qu’expliquée par M. Neth. Cette politique entend protéger les consommateurs étrangers à la pratique de l’ingénierie. Le risque qu’un consommateur désireux d’engager un ingénieur qualifié, comme l’annonce la défenderesse, embauche, à cause de sa marque de commerce, un ingénieur qui peut être qualifié dans un autre pays, mais n’est pas autorisé à pratiquer l’ingénierie au Canada, me semble particulièrement indésirable. Cela contrevient aux objectifs déclarés de plusieurs lois canadiennes se rapportant à l’ingénierie. Par exemple, l’alinéa 5c) de la Engineering Profession Act, RSNS 1989, c 148 (incluse dans l’affidavit de M. Kizas) déclare précisément :

 

[traduction] Les objectifs de l’association sont les suivants : […] garantir au public la compétence des ingénieurs dans la pratique de l’ingénierie […]

 

157     Permettre l’adoption de la demande de marque de commerce risque à mon sens d’ouvrir la porte aux abus, ce qui nuirait à l’intérêt du public que la réglementation canadienne de la profession d’ingénieur a pour vocation de protéger. Il est alors d’autant plus important qu’une marque de commerce employée dans un domaine lié à l’ingénierie ne donne pas une description fausse et trompeuse, ou qu’elle ne soit pas de nature à tromper le public d’une manière finalement contraire à l’ordre public. Par conséquent, la marque de commerce n’est pas enregistrable en vertu du paragraphe 14(1) de la Loi.

 

 

[52]           Vu l’ensemble de la preuve dont je dispose, et qui n’a pas été modifiée par le témoignage de M. Eller, je conclus, à l’instar de l’agente d’audience, que :

 

[…] le Canadien moyen risque tout autant, si ce n’est davantage, de croire que les Marchandises ont été produites avec le concours d’ingénieurs, que de ne pas avoir cette impression (au paragraphe 47)

 

et

 

[…] les contextes dans lesquels ces entités emploient [ENGINEERING EXCELLENCE] semblent tous se rapporter à la profession d’ingénieur, à l’exercice de l’ingénierie ou à l’éducation et à la formation des ingénieurs au Canada ou à l’étranger (non souligné dans l’original – au paragraphe 48)

 

 

 

[53]           L’agente d’audience n’a pas limité ses conclusions aux ingénieurs détenteurs d’un permis d’exercice d’un ou de plusieurs territoires ou provinces du Canada. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, elle a eu raison de ne pas limiter de la sorte ses conclusions. Bien que nul ne puisse exercer la profession d’ingénieur au Canada sans détenir un permis approprié, rien ne permet de penser en l’espèce que l’acheteur moyen de pièces de frein au Canada croirait, en voyant la marque, que les produits en question sont conçus ou fabriqués par des ingénieurs canadiens détenteurs d’un permis.

 

[54]           Compte tenu du témoignage de M. Eller, je conclus que l’expression « Engineering excellence is our heritage » donne une description claire des personnes employées à la production des marchandises, en l’occurrence des freins et des patins et des disques de frein. Cette expression ne donne pas une « description fausse et trompeuse ». J’arrive donc au même résultat que l’agente d’audience, soit que la marque n’est pas enregistrable compte tenu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, mais pour des raisons opposées.

 

ARTICLE 2 – « DISTINCTIVE »

[55]           L’article 2 de la Loi sur les marques de commerce définit comme suit le mot « distinctive » :

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

“ distinctive”, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

 

 

[56]           L’alinéa 38(2)d) de la Loi prévoit que l’on peut s’opposer à l’enregistrement d’une marque de commerce au motif qu’elle n’est pas distinctive.

 

[57]           Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a déclaré, le caractère distinctif est l’essence même d’une marque de commerce; il permet aux consommateurs de savoir d’où proviennent les marchandises (Mattel Inc c 3894207 Canada Inc, [2006] 1 RCS 772, au paragraphe 75; Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc, [2005] 3 RCS 302, au paragraphe 39).

 

[58]           Comme je l’ai déjà expliqué, il incombe à la demanderesse de démontrer que la marque est distinctive en ce qui concerne les marchandises en question. Le CCI opposant nous a soumis des éléments de preuve démontrant que l’expression « engineering excellence » était employée au Canada et ailleurs dans divers contextes se rapportant notamment à des réalisations dans le domaine de l’éducation, la conception de produits et ainsi de suite.

 

[59]           L’agente d’audience a eu raison de conclure, aux paragraphes 52 et 53 de ses motifs, que la demanderesse n’avait pas démontré que la marque n’était pas adaptée à distinguer les marchandises et qu’elle ne distinguait pas véritablement les marchandises de la demanderesse.

 

OBSERVATIONS AU SUJET DE LA PROTECTION DE TERMES COMME « ENGINEERING »

 

 

[60]           Je suis conscient du fait que le CCI défendeur a tâché de protéger jalousement une forme d’exclusivité pour ce qui est de mots tels que « engineer » et « engineering ». Ainsi que M. Kizas l’a expliqué dans son affidavit, l’ensemble des provinces et des territoires canadiens ont adopté des lois portant sur l’emploi de tels mots, en particulier dans le contexte de services rendus par des ingénieurs professionnels. Certaines des décisions mentionnées dans les présents motifs illustrent les efforts déployés par le défendeur pour protéger activement ces mots.

 

[61]           La présente décision est fondée sur les éléments de preuve versés au dossier ainsi que sur les questions soumises à la Cour. Au départ, le CCI a adopté le point de vue que la marque dont on demandait l’enregistrement contrevenait aux dispositions du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, qui prévoit que nul ne peut adopter une marque composée d’éléments, ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec une marque adoptée et employée par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services. Cette question semblait au départ être en jeu devant la Commission des oppositions, mais celle-ci ne l’a pas abordée dans sa décision. La question a été soulevée dans un avis de demande modifiée déposé par la demanderesse devant la Cour. L’affidavit de Mme Allen qui a été déposé devant la Cour est accompagné d’une lettre des avocats du CCI dans laquelle il est précisé que ce moyen ne serait pas invoqué en appel.

 

[62]           À l’audience que j’ai présidée, les avocats de chacune des parties ont reconnu que le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi n’était pas en litige. Par conséquent, je n’aborde pas cette question dans ma décision.

 

CONCLUSION ET DÉPENS

[63]           Par conséquent, à l’instar de l’agente d’audience, j’arrive à la conclusion que la marque n’est pas enregistrable. Je suis d’accord avec l’agente pour dire qu’il n’a pas été démontré que la marque était distinctive et que l’enregistrement de la marque est interdit par l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, et ce, non pas parce que la marque « donne une description fausse et trompeuse », mais parce qu’elle « donne une description claire ».

 

[64]           L’appel sera par conséquent rejeté. Les parties ont convenu qu’il n’y aurait pas d’adjudication de dépens.

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS,

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

 

1.                  l’appel est rejeté;

 

2.                  aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-789-12

 

INTITULÉ :                                      CONTINENTAL TEVES AG & CO. OHG c CONSEIL CANADIEN DES INGÉNIEURS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark Evans

Geneviève Prévost

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John Macera

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Macera et Jarzyna, LLP

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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