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Date : 20130715

Dossier : T383‑13

Référence : 2013 CF 781

[traduction française certifiée, non révisée]

Toronto (Ontario), le 15 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

Entre :

 

BABAK (BOB) RAFIZADEH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

La Banque Toronto­Dominion

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande sollicitant le contrôle judiciaire de la décision du 20 février 2013 par laquelle un arbitre agissant en vertu des dispositions du Code canadien du travail, LRC 1985, ch. L‑2, a rejeté pour abus de procédure la plainte de congédiement injuste du demandeur. Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande avec dépens.

 

[2]               Le demandeur Babak (Bob) Rafizadeh était employé par la défenderesse, la Banque Toronto‑Dominion (la Banque TD), en qualité de spécialiste hypothécaire mobile principal à commission. Son travail consistait à communiquer avec des clients éventuels à la recherche d’une hypothèque. Des membres de sa famille, comme sa mère, lui recommandaient plusieurs personnes. La Banque TD attribuait des points aux personnes recommandées suivant un système de récompenses, leur permettant d’échanger des points contre des marchandises. Le demandeur obtenait de ces personnes des copies de documents tels que le contrat d’achat de la résidence, des renseignements concernant l’emploi et ainsi de suite et les présentait à une personne à la Banque TD qui les examinait et décidait si la personne pouvait obtenir une hypothèque.

 

[3]               Dans le cadre de ses fonctions, le demandeur a observé ce qu’il considérait être des irrégularités commises par d’autres personnes à la Banque dans le traitement de certaines demandes d’hypothèque. Il a pris des mesures pour [traduction] « dénoncer » la situation et présenter ses observations à ses supérieurs. Dans le cadre du traitement de ce que le demandeur estimait être ses rapports de dénonciation, les représentants de la Banque TD l’ont convoqué, l’ont accusé d’irrégularités et l’ont congédié. Il a déposé une plainte en vertu du Code canadien du travail.

 

[4]               Dans le cadre du recours intenté en vertu du Code canadien du travail, l’arbitre a prononcé une ordonnance exigeant que chaque partie produise des copies de certains documents. Le demandeur a produit, entre autres documents, des copies de ce qu’il alléguait être un échange de courriels entre lui-même et deux de ses supérieurs à la Banque TD, MM. Morrison et Nicholson. S’ils étaient authentiques, ces courriels pouvaient servir à étayer les allégations du demandeur quant au congédiement injuste.

 

[5]               Les parties se sont rencontrées afin de soumettre le litige à la médiation. L’arbitre a agi en qualité de médiateur. La médiation n’a pas réglé l’affaire.

 

[6]               Dans le cadre du recours, la Banque TD a contesté l’authenticité de certains courriels présentés par le demandeur. L’arbitre a choisi deux [traduction] « chaînes » de courriels à titre représentatif de ces courriels, l’une avec M. Morrison, l’autre avec M. Nicholson. L’arbitre a ensuite fixé une audience préliminaire au cours de laquelle l’authenticité de ces courriels serait examinée. Si la preuve révélait que les courriels n’étaient pas authentiques, le recours serait rejeté. Si les courriels se révélaient authentiques, l’affaire serait entendue au fond.

 

[7]               À l’audience, la Banque TD a fait entendre MM. Morrison et Nicholson. La Banque TD a soumis le rapport d’un expert judiciaire concernant les courriels dans lequel l’authenticité des courriels était mise en doute. La personne qui a rédigé le rapport, M. Arnet, a comparu comme témoin. Le demandeur M. Rafizadeh, qui a été représenté par un premier avocat et ensuite par un deuxième, se représentait lui-même à l’audience et a témoigné pour son propre compte. Il n’avait aucun autre témoin.

 

[8]               L’arbitre a conclu que les courriels étaient fabriqués et il a rejeté la plainte. Je reproduis des parties des motifs de la décision de l’arbitre, qui fait maintenant l’objet du présent contrôle judiciaire :

 

[traduction]

Page 12 :

 

Les faits pertinents sont énoncés dans l’avis de requête. J’énoncerai quelques-uns des faits les plus pertinents en l’espèce. Comme l’indique l’avis de requête, la banque a tenté d’obtenir la divulgation de certains documents. Dans la réponse présentée par l’avocat du plaignant, datée du 16 juillet 2012, certains documents étaient produits pour la première fois. La banque avait des réserves quant à leur authenticité. Une vérification a été effectuée et la banque a tiré la conclusion qu’il était possible de prouver qu’au moins deux courriels avaient été fabriqués.

 

La raison pour laquelle la banque était si certaine que ces courriels avaient été fabriqués, alors qu’elle ne l’était pas entièrement à propos d’autres courriels, était que ces courriels provenaient de Maurice (Jay) Nicholson ou lui étaient destinés (« M. Nicholson »). Monsieur Nicholson utilise la journalisation des courriels. Cela signifie que tous les courriels qu’il reçoit ou qu’il envoie sont immédiatement sauvegardés et conservés pour une période indéterminée.

 

Afin de simplifier l’instruction de la requête et de réduire le nombre de témoignages et d’éléments de preuve à présenter, j’ai déclaré avant la présentation de la preuve, que si la banque pouvait démontrer que le plaignant avait falsifié ces deux courriels et qu’il avait l’intention de s’appuyer sur ceux‑ci dans le cadre de la décision de l’affaire principale devant moi, que je rejetterais la plainte pour abus de procédure. À l’inverse, si je concluais que la banque avait tort et qu’elle ne pouvait pas prouver que les courriels étaient fabriqués, j’ai déclaré que je rejetterais la requête immédiatement et que j’entendrais la plainte du plaignant.

 

[...]

 

Page 13 :

 

Je suis très sensible à la situation du plaignant. Il lutte pour retourner à un emploi qu’il aimait. Il est d’avis que la banque a fabriqué toute la preuve contre lui, des motifs de son congédiement à l’invention d’une histoire selon laquelle les courriels ont été fabriqués. Il croit que tout ce qui lui est arrivé est parce qu’il est un « dénonciateur » et qu’il a porté à l’attention de la direction de la banque certaines pratiques irrégulières d’autres employés. En ce qui me concerne, la question de savoir si le plaignant est ou n’est pas un « dénonciateur » n’est d’aucune pertinence dans ma décision. Si l’on suppose qu’il est un dénonciateur, cela ne l’autoriserait pas à fabriquer des courriels, à les présenter comme éléments de preuve dans le cadre du présent recours pour ensuite se soustraire à quelque sanction que ce soit parce qu’il est un « dénonciateur », s’il était établi que les courriels étaient frauduleux.

 

Le plaignant n’est pas un avocat. Il n’a pas compris que si la banque me convainquait, selon la prépondérance des probabilités, que les courriels avaient été fabriqués, cela serait suffisant pour conclure qu’ils étaient fabriqués et rejeter la plainte. Il semblait croire que je devais « prendre connaissance d’office » (mon expression et non la sienne) de certaines des autres circonstances dans lesquelles il avait été déclaré que la banque avait fabriqué des éléments de preuve. En guise d’exemple, il a présenté une copie d’un rapport de Bloomberg News. Il ne comprenait pas qu’un article de journal à propos de cette situation ne prouvait rien.

 

[...]

 

Pages 14 et 15 :

 

Après avoir soupesé tous les éléments de preuve, je ne peux tirer, selon la prépondérance des probabilités, aucune autre conclusion que celle portant que les courriels ont été fabriqués. D’une part, j’ai entendu le témoignage du plaignant selon lequel il n’avait pas fabriqué les courriels. Il a déclaré clairement qui n’aurait pas su comment faire. Il a défendu sa réputation et sa moralité avec énergie se déclarant un homme de grands principes et professionnel. D’autre part, j’ai entendu 1) le témoignage du vérificateur interne qui a déclaré que les courriels n’existaient pas dans les inscriptions journalisées, 2) le témoignage de M. Nicholson selon lequel il n’avait ni envoyé ni reçu ces courriels, 3) le témoignage de M. Morrison selon lequel il n’avait ni envoyé ni reçu ces courriels. Bien que le plaignant ait contre‑interrogé ces trois personnes, elles n’ont pas dérogé de leur position sur cette question clé de la preuve. Les courriels auraient dû se trouver dans les inscriptions journalisées qui sont gardées perpétuellement. Ils ne l’étaient pas. Par conséquent, M. Nicholson n’avait ni envoyé ni reçu les courriels.

 

Selon la prépondérance de la preuve, je n’ai d’autre choix que de conclure que les courriels ont été fabriqués. Il se peut que si le plaignant avait été représenté par un avocat compétent (comme il l’aurait été s’il avait choisi Me Heeney ou Me Fox pour le représenter), il aurait peut-être pu être en mesure de présenter des éléments de preuve pour me convaincre du contraire. J’avais devant moi un plaignant non représenté qui, malgré mes tentatives de l’informer de façon équitable de la procédure à suivre, n’était pas en mesure de réunir des éléments de preuve convaincants. D’autre part, l’avocate de la banque a présenté les éléments de preuve nécessaires pour me convaincre que je pouvais uniquement conclure que les courriels étaient fabriqués. Le témoignage des trois témoins a établi les faits énoncés dans l’avis de requête. Je suis convaincu que les courriels ont été fabriqués.

 

Comme je l’ai indiqué dès le début de l’instruction de la requête, j’étais disposé à rejeter la plainte s’il était possible de prouver que le plaignant avait fabriqué les courriels. À mon avis, il n’y a pas de doute que j’ai la compétence de rejeter une plainte en présence d’une conclusion d’abus de procédure. Dans l’ensemble des circonstances de l’espèce, j’estime qu’il est approprié d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour mettre fin à une plainte en présence d’un tel abus de procédure. Après avoir tiré cette conclusion, je dois conclure que le plaignant a tenté de camoufler son méfait en fabriquant un courriel, espérant ainsi exonérer sa conduite. Agir ainsi entraîne de graves conséquences. Les arbitres ne devraient pas tolérer une telle conduite de la part d’une partie à l’instance et je ne le ferai pas. La plainte est rejetée.

 

[9]               Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de cette décision.

 

LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[10]           Le demandeur sollicite non seulement l’annulation de la décision faisant l’objet du présent contrôle et la poursuite de l’affaire devant un autre arbitre, mais il sollicite également une ordonnance pour la production de divers documents ainsi qu’un jugement déclarant que la Banque TD a fait preuve d’abus de procédure à divers égards. J’ai la compétence pour annuler la décision et pour exiger que l’affaire soit tranchée par un autre arbitre si je conclus qu’il est approprié de le faire. Je ne rendrai pas le jugement déclaratoire demandé. Je ne prononcerai aucune ordonnance enjoignant la production de documents si la plainte devait se poursuivre, ni sur la manière selon laquelle elle doit se poursuivre, le cas échéant. Il s’agit de questions relevant de l’arbitre.

 

[11]           Le demandeur continue à se représenter lui‑même dans la présente instance et il a déposé son propre affidavit à l’appui de la demande dont je suis saisi. Cet affidavit tente non seulement de fournir des renseignements et des pièces concernant ce qui s’est passé à l’audience, mais il est également accompagné d’une pièce représentant l’enregistrement d’une partie de la médiation qui a précédé l’audience devant l’arbitre. Cet enregistrement n’a pas été effectué avec le consentement du médiateur (l’arbitre) ni avec celui de la Banque TD, et je n’en tiendrai pas compte. Aucune transcription de l’audience elle-même (non la médiation) n’a été présentée en preuve.

 

[12]           La défenderesse la Banque TD a déposé l’affidavit de Me Catherine Peters, un des avocats qui l’a représentée dans le cadre du recours devant l’arbitre. Cet affidavit fournit certains antécédents et le contexte relativement à ce recours. Maître Peters a été « contre‑interrogée » par le demandeur qui lui a envoyé une lettre de deux pages contenant une liste de questions, à laquelle Me Peters a fourni des réponses tenant sur une page.

 

[13]           À l’audience tenue devant moi, le demandeur se représentait lui-même. Dans le cours de sa plaidoirie, il a tenté de compléter les faits en preuve et de présenter de nouveaux faits et documents. Je l’ai prévenu que ma tâche consistait à examiner l’affaire en fonction des éléments de preuve versés au dossier de la cour et qu’il ne pouvait pas présenter de nouveaux éléments de preuve ni s’appuyer sur ceux‑ci. Le demandeur a indiqué qu’il comprenait cela. Néanmoins, il a tenté à l’occasion d’introduire de nouveaux éléments de preuve dont je n’ai aucunement tenu compte.

 

Les questions en litige

[14]           Le demandeur a invoqué dans ses documents et dans le cadre de sa plaidoirie plusieurs questions qui, selon lui, sont celles sur lesquelles la Cour doit se prononcer dans le cadre du présent contrôle judiciaire. À plusieurs égards, ces questions sont confuses et floues. Je me suis efforcé de reformuler ces questions comme suit :

 

                              1.      L’arbitre a-t-il fait preuve de partialité?

 

                              2.      L’arbitre a-t-il permis la tenue d’une audience équitable?

 

                              3.      Était-il approprié que l’arbitre rende tout d’abord une décision quant à l’abus de procédure à l’égard de l’authenticité ou de la non‑authenticité des courriels échantillonnés?

 

                              4.      L’arbitre a-t-il bien tranché la question de l’authenticité des courriels compte tenu de la preuve dont il disposait?

 

PREMIÈRE QuestionL’arbitre a-t-il fait preuve de partialité?

[15]           Les parties ne contestent pas le critère juridique relatif à la partialité ou la crainte raisonnable de partialité. Il a été énoncé à de nombreuses reprises. Le demandeur a cité l’énoncé de ce critère, que j’accepte, présenté par le juge Rennie de la Cour dans Banque de Montréal c Payne, 2012 CF 431, aux paragraphes 51 et 52 :

 

51        Le critère servant à établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part du décideur a été réitéré par la CSC dans l’arrêt R. c S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 111 : pour conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, il faut qu’une personne sensée et bien renseignée, qui est au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et qui étudie la question de façon réaliste et pratique, conclue que la conduite du juge fait naître une crainte raisonnable de partialité. Il n’est pas nécessaire que le décideur se soit montré partial; il suffit qu’existe une crainte raisonnable de partialité pour conclure à la violation du principe de l’équité procédurale.

 

52        Afin de déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité, la Cour doit répondre à la question de savoir si une personne bien renseignée croirait que, selon toute vraisemblance, consciemment ou non, le décideur ne rendra pas de décision juste : voir les arrêts Committee for Justice & Liberty c Canada (Office national de l’énergie) (1976), [1978] 1 RCS 369; et R. c S. (R.D.), précités. Les arbitres sont présumés être impartiaux; par conséquent, toute conclusion quant à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité doit satisfaire à une norme rigoureuse : R. c S. (R.D.), ci‑dessus, au paragraphe 158.

 

[16]           Il incombe à la partie qui allègue la partialité de la prouver et le critère de preuve est élevé. Les motifs concernant la crainte de partialité doivent être sérieux et chaque affaire doit être tranchée selon les faits qui lui sont propres. Je cite les motifs du juge Perell dans Farah c Sauvageau Holdings Inc, 2011 ONSC 1819, aux paragraphes 89 et 90 :

 

[traduction]

89        Les motifs visant la crainte de partialité doivent être sérieux (Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, au paragraphe 76; Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), précité, à la page 395), mais chaque affaire doit être tranchée selon les faits qui lui sont propres et à la lumière de l’ensemble de l’instance (Bande indienne Wewaykum c. Canada, précité, au paragraphe 77; R. c. S. (R.D.), précité, aux paragraphes 136 à 141).

 

90        Il incombe à la partie qui allègue la partialité de la prouver et le critère de preuve est élevé (Ontario (Commissaire, Police provinciale) c. MacDonald, [2009] O.J. no 4834 (C.A.), au paragraphe 44; R. c. Jackpine (2004), 70 O.R. (3d) 97 (C.A.), au paragraphe 58).

 

[17]           En l’espèce, selon l’une des allégations de partialité soulevées par le demandeur, quelque 12 ans plus tôt, l’arbitre était un associé dans le cabinet d’avocats représentant la Banque TD dans la présente affaire. Le demandeur a tenté d’ajouter à cette allégation en alléguant que ce cabinet d’avocats avait depuis ce temps payé l’arbitre pour rendre des décisions ou agir dans le cadre de certaines affaires. Il n’y a absolument aucun élément de preuve concernant cette allégation supplémentaire.

 

[18]           Le fait qu’à un certain moment une personne exerçant une fonction juridictionnelle a pu avoir été, en qualité d’avocat, associée dans un cabinet représentant une partie comparaissant maintenant devant lui ne constitue pas en soi un élément suffisant pour soulever une crainte de partialité. Plus le temps écoulé entre la pratique du droit et l’exercice d’une fonction juridictionnelle est long, moins il est probable qu’il existera de véritables motifs relativement à une crainte raisonnable de partialité. Je reprends ce que la juge en chef du Canada a écrit dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, [2003] 2 RCS 259 au paragraphe 85 :

 

85        Selon nous, un seul facteur important se détache nettement des autres et doit éclairer la personne raisonnable dans son appréciation de l’incidence de la participation du juge Binnie sur son impartialité dans les pourvois. Il s’agit en l’occurrence de l’écoulement du temps. Dans la plupart des cas où l’on plaide l’inhabilité du décideur, on invoque des circonstances contemporaines au processus décisionnel ou survenues peu avant celui‑ci.

 

[19]           Ni le demandeur ni les deux avocats qui l’avaient représenté auparavant n’ont soulevé à ce moment-là une objection devant l’arbitre agissant dans cette affaire. Le demandeur soutient que l’arbitre aurait dû soulever son lien antérieur de sa propre initiative. Je ne suis pas d’accord. Une personne qui exerce une fonction juridictionnelle ne peut prévoir les craintes qu’une partie peut avoir, plus particulièrement des craintes qui sont peu, voire aucunement, pertinentes. L’arbitre n’a jamais caché ses antécédents de praticien. Il n’avait aucune obligation de tenter de prévoir les craintes qu’une partie pouvait avoir, plus particulièrement celles exprimées après le fait.

 

[20]           Le demandeur a formulé d’autres allégations de « partialité » fondées sur des conclusions tirées par l’arbitre en fonction de la preuve dont il disposait. Le demandeur soutient que ces conclusions sont déraisonnables et ne prennent pas en compte l’ensemble de la preuve et des inférences qui, à son avis, auraient dû être tirées de cette preuve. Il ne s’agit pas là d’une question de « partialité », mais plutôt d’une question liée au caractère raisonnable ou, dans certains cas, d’une question liée à la justesse d’une conclusion.

 

DEUXIÈME QuestionL’arbitre a-t-il permis la tenue d’une audience équitable?

[21]           Le demandeur a soutenu que l’arbitre avait, de façon inéquitable, accordé à la Banque TD du temps pour préparer sa preuve et que ce délai lui avait causé préjudice en ce que la Banque TD avait utilisé ce temps pour détruire ou cacher des éléments de preuve. Le demandeur a étayé son allégation uniquement au moyen d’inférences qu’il a invité la Cour à tirer de divers documents et du moment où ceux-ci ont été présentés. Je rejette ces inférences et je conclus qu’il n’existe aucune preuve véritable ou substantielle pour étayer ces allégations. Comme dans le cas des allégations de partialité, le fardeau qui incombe au demandeur de prouver ces allégations est lourd. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

 

[22]           Le demandeur allègue de plus qu’à l’audience devant l’arbitre, il a été empêché de présenter sa preuve pleinement ou de façon convenable. Il n’y a aucune transcription de l’audience et aucune preuve ne m’a été présentée pour étayer ces allégations. Je ne peux donc conclure qu’elles ont été prouvées.

 

TROISIÈME QuestionÉtait-il approprié que l’arbitre rende tout d’abord une décision quant à l’abus de procédure à l’égard de l’authenticité ou de la non‑authenticité des courriels échantillonnés?

 

[23]           L’arbitre a tenu une audience préliminaire qui, selon lui, trancherait l’affaire s’il était établi que les courriels n’étaient pas authentiques. Il existe de nombreux précédents démontrant qu’un arbitre peut procéder de cette façon. Je reproduis ici ce qui a été écrit dans Chmyg c CHC Helicopters International Inc, [2006] CLAD 351, au paragraphe 22 :

 

22        À la page 159 de la décision dans l’affaire Budget Car Rentals Toronto Ltd. et Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, local 175, 87 L.A.C. (4th), l’arbitre L.M. Davie énonce ce qui suit :

 

[TRADUCTION] La jurisprudence arbitrale indique qu’en vertu du pouvoir de contrôle de l’application des décisions, un arbitre a compétence pour rejeter une plainte lorsqu’une ordonnance n’est pas respectée. Une plainte peut donc être rejetée ou considérée comme non arbitrable en raison d’un « abus de procédure », lorsqu’une partie refuse de produire des documents ou des dossiers dont un arbitre a ordonné la production (affaire Association des employés de Thompson Products et Thompson Products Ltd. (1970), 22 L.A.C. 85 (Roberts); affaire National-Standard Co. of Canada Ltd. et T.C.A., loc. 1917 (1994), 39 L.A.C. (4th) 228 (Palmer)), ou qu’un plaignant refuse de participer à la procédure de grief ou d’arbitrage ou qu’il refuse de reconnaître la compétence de l’arbitre ou de la procédure d’arbitrage (affaire Beacon Hill Lodges Inc. et O.N.A. (1990), 15 L.A.C. (4th) 323 (Craven)).

 

Selon moi, un arbitre ne devrait pas rejeter un grief à la légère parce qu’il y a eu un abus de procédure et le rejet définitif fondé sur un prétendu abus de procédure ne devrait être décidé que dans les cas d’abus les plus manifestes. Toutefois, pour exercer le pouvoir de rejeter un grief en raison d’un abus, il faut également se rappeler que les procédures de grief et d’arbitrage ont été établies pour régler des litiges relatifs à l’emploi de façon relativement expéditive et abordable.

 

[...]

 

Le plaignant savait ce que l’on attendait de lui – d’abord, qu’il assiste à l’audience et ensuite, qu’il produise certains documents ainsi qu’une explication justifiant son absence à l’audience le 13 décembre 1999. Il connaissait aussi les conséquences découlant du non‑respect de ces attentes. Il a eu toutes les chances raisonnables de s’y conformer, mais il ne l’a pas fait. Ce refus constitue un abus de procédure qui ne doit pas être toléré en forçant l’employeur et l’Union à faire des efforts et à engager des dépenses supplémentaires afin de soumettre le grief déposé à l’arbitrage alors que le plaignant lui-même n’est pas intéressé à communiquer avec l’Union ou à coopérer dans le cadre de la procédure d’arbitrage établie dans la convention collective.

 

[24]           L’auteur de la décision cite également d’autres exemples.

 

[25]           La Cour et d’autres tribunaux comptent sur diverses procédures suivant lesquelles une affaire peut être tranchée de façon préliminaire avant une audience, y compris celles visant l’abus de procédure. De même, une commission ou un tribunal peut adopter des procédures semblables. La procédure adoptée en l’espèce n’était pas inéquitable ni ne constituait un déni de justice naturelle.

 

QUATRIÈME QuestionL’arbitre a-t-il bien tranché la question de l’authenticité des courriels compte tenu de la preuve dont il disposait?

 

[26]           À cet égard, l’arbitre doit se prononcer selon les faits. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Une cour de révision fera preuve d’une grande retenue judiciaire dans son examen de la question de savoir si elle doit modifier une décision à cet égard (Deschênes c Banque canadienne impériale de commerce, 2011 CAF 216, au paragraphe 40; Bitton c Banque HSBC Canada, 2006 CF 1347, aux paragraphes 28 à 30).

 

[27]           Le demandeur a passé en revue, devant la Cour, une grande partie de la preuve; il a également tenté de façon inappropriée de compléter cette preuve à l’audience et d’inviter la Cour à tirer des inférences à l’égard de ce qui [traduction] « a dû » se passer ou de ce qui a [traduction] « réellement » eu lieu.

 

[28]           Je conclus que les conclusions de l’arbitre se situent tout à fait dans les limites de la raisonnabilité telles qu’établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. Ses conclusions reposent sur plusieurs fondements solides, notamment le fait que les courriels de M. Nicholson étaient journalisés, de sorte que tous ses courriels étaient conservés et qu’il n’était pas possible de trouver les courriels suspects, ainsi que sur le témoignage incontesté de l’expert judiciaire. L’arbitre était tenu d’apprécier le témoignage du demandeur de même que ceux de MM. Morrison et Nicholson et, même si le demandeur a soutenu qu’il y avait des contradictions, les conclusions de l’arbitre étaient néanmoins raisonnables. L’existence de contradictions ne signifie pas que la preuve était frauduleuse ou que les témoins se sont parjurés, comme l’a prétendu le demandeur. Ce ne sont pas des motifs d’annulation d’une décision sur le fondement de l’alinéa 18.1(3)e) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F‑7.

 

CONCLUSIONS ET DÉPENS

[29]           En conclusion, je conclus qu’il n’y a aucun fondement justifiant l’annulation de la décision de l’arbitre.

 

[30]           Quant aux dépens, le demandeur a sollicité une somme de 6 500 $ qui, selon lui, couvrirait ses débours. L’avocat de la Banque TD a indiqué qu’un montant se situant entre 7 500 $ et 10 000 $ était habituel dans les affaires comme celle de l’espèce.

 

[31]           Les allégations de partialité non fondées à l’encontre de l’arbitre et l’emploi libéral de mots comme « fraude » et « parjure » de la part du demandeur me troublent grandement.

 

[32]           Il arrive souvent que dans les cas où une partie allègue la fraude ou le parjure ou la partialité et ne réussit pas à les prouver, les tribunaux adjugent des dépens importants à la partie adverse. Compte tenu du fait que le demandeur n’est pas un avocat et qu’il s’est représenté lui-même, je ferai preuve d’une certaine latitude à cet égard. J’adjugerai à la défenderesse des dépens selon la valeur supérieure des dépens habituellement adjugés, soit 10 000 $.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT,

LA COUR :

 

1.                  REJETTE la demande;

2.                  ADJUGE à la défenderesse des dépens fixés à 10 000 $ que le demandeur doit lui payer.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        T -383-13

 

Intitulé :                                      BABAK (BOB) RAFIZADEH c la Banque Toronto-Dominion

 

 

Lieu de l’audience :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            le juge HUGHES

 

Date des motifs :                     Le 15 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Babak Rafizadeh

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Frank Cesario

Pour La défenderesse

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Demandeur se représentant lui-même Stouffville (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour La défenderesse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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