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Date : 20130712

Dossier : T-1247-11

Référence : 2013 CF 718

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

HOFFMAN-LA ROCHE LIMITED

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

APOTEX INC.

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

défendeurs

 

 

et

 

 

 

 

F. HOFFMAN-LA ROCHE AG

 

 

 

 

défenderesse/ brevetée

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT PUBLICS

(Motifs du jugement et jugement confidentiels prononcés le 27 juin 2013)


 

TABLE DES MATIÈRES                                                                                                  PAR.

 

INTRODUCTION.............................................................................................................. 4

 

LES PARTIES.................................................................................................................. 12

 

LE BREVET 721, DANS SES GRANDES LIGNES..................................................... 19

 

LA PREUVE..................................................................................................................... 26

 

LES QUESTIONS EN LITIGE....................................................................................... 28

 

L’AVIS D’ALLÉGATION.............................................................................................. 44

 

LE FARDEAU DE PREUVE.......................................................................................... 57

 

LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART...................................................................... 65

 

LE BREVET 721, DANS SES DÉTAILS....................................................................... 71

 

INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS........................................................... 90

 

L’INVENTION ................................................................................................................ 99

 

S’AGIT-IL D’UN BREVET DE SÉLECTION?........................................................... 133

 

ANTÉRIORITÉ.............................................................................................................. 179

 

ÉVIDENCE.................................................................................................................... 243

 

REVENDICATIONS D’UNE PORTÉE PLUS LARGE QUE L’INVENTION RÉALISÉE OU DIVULGUÉE            355

 

CONTREFAÇON........................................................................................................... 365

 

CONCLUSIONS ET DÉPENS...................................................................................... 400

 


 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, et ses modifications [le Règlement AC], visant à interdire au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité pour ses comprimés de chlorhydrate de valganciclovir de 450 mg (le produit d’Apotex) avant le 26 juillet 2015, date d’expiration du brevet canadien no 2,154,721 (le brevet 721).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que les allégations d’invalidité ainsi que l’allégation de non-contrefaçon visant la revendication numéro 4 sont justifiées.

 

[3]               La demande est rejetée avec dépens en faveur d’Apotex.

 

INTRODUCTION

[4]               Dans les années 1990, le ganciclovir était considéré comme le principal médicament à utiliser pour le traitement des infections causées par certains herpèsvirus, et en particulier les infections causées par le cytomégalovirus [le CMV]. Les parties et les experts ont décrit le ganciclovir comme un nucléoside antiviral, c’est-à-dire un composé qui perturbe la synthèse de l’ADN, par exemple dans les cellules infectées par un virus. La perturbation de la réplication virale provoque la mort de la cellule infectée. Un nucléoside est un composé formé par l’association d’une base à un sucre. L’un des désavantages du ganciclovir était le caractère limité de sa biodisponibilité orale. Le ganciclovir était plus efficace en administration intraveineuse [IV], mais ce mode d’administration présentait d’autres désavantages, dont ceux d’être peu commode pour les patients et d’introduire un risque d’infection, en particulier chez les patients immunodéprimés. Il était donc souhaitable d’améliorer la biodisponibilité du ganciclovir en administration orale.

 

[5]               L’acyclovir et le penciclovir sont deux autres nucléosides antiviraux qui étaient efficaces contre des souches d’herpèsvirus. Cependant, ces deux substances présentaient également le désavantage d’être associées à une faible absorption intestinale (passage de l’intestin grêle à la circulation sanguine) en administration orale. Ainsi, ces médicaments étaient aussi généralement administrés par voie IV (directement dans le sang). Plusieurs groupes de recherche œuvraient à améliorer la biodisponibilité orale de ces composés dans les années 1980 et 1990. Comme l’ont expliqué les experts, l’une des approches possibles pour améliorer la biodisponibilité d’un médicament comme le ganciclovir était de lier la molécule à un autre composé, un « groupement temporaire » (souvent un acide aminé), pour créer un promédicament. Un promédicament est un composé qui présente une meilleure absorption et qui est métabolisé en la forme active du médicament après l’absorption (le valganciclovir est un promédicament formé par l’association moléculaire du ganciclovir à l’acide aminé mono-L-valine).

 

[6]               L’idée qui sous-tend la mise au point d’un promédicament est que le groupement temporaire permettra au médicament actif d’atteindre le site d’action de façon plus efficace. Les promédicaments sont conçus de façon à ce que le groupement temporaire (en l’occurrence, l’ester d’acide aminé) soit hydrolysé, c’est-à-dire clivé ou séparé du médicament actif, à un moment précis après son absorption dans l’organisme.

 

[7]               Monsieur McGuigan, expert pour Apotex, a souligné, au paragraphe 54 de son affidavit, que l’on savait bien, en 1994, que les promédicaments étaient souvent utilisés lorsque la biodisponibilité d’un médicament était sous-optimale. Il a décrit les promédicaments comme des dérivés moléculaires d’un médicament qui doivent subir une transformation structurale in vivo (dans l’organisme) pour produire la forme active du médicament. Une fois le médicament activé, il peut exercer son effet pharmacologique. Les promédicaments sont souvent associés à une meilleure pénétration tissulaire, car la liposolubilité ou l’hydrosolubilité du médicament est altérée. Les promédicaments peuvent également utiliser les divers mécanismes de transport actifs de l’organisme, et en particulier lorsqu’ils ressemblent à un métabolite naturel, comme dans le cas des esters d’acides aminés. Le promédicament est mieux absorbé et entraîne, après sa biotransformation, une plus grande exposition au médicament actif que si l’on avait simplement administré le médicament parent.

 

[8]               Monsieur McGuigan a également précisé que la plupart des promédicaments sont des esters (au paragraphe 55). Un ester est un composé qui est produit après la réaction d’un acide (présentant un groupe fonctionnel -COOH) avec un composé présentant un groupement hydroxyle (-OH).

 

[9]               Monsieur McGuigan a indiqué que, pour être considéré comme adéquat, un promédicament nucléosidique devrait présenter une meilleure biodisponibilité (en tenant pour acquis que l’amélioration voulue est une plus grande biodisponibilité orale) et devrait : être suffisamment soluble pour être dissous dans l’estomac; être suffisamment stable pour résister à l’environnement acide de l’estomac; pouvoir traverser la paroi intestinale; pouvoir atteindre la circulation sanguine; et pouvoir libérer l’agent actif. De plus, un promédicament acceptable devrait pouvoir être utilisé en tant que produit pharmaceutique.

 

[10]           Le titulaire du brevet concernant le valganciclovir est la société Roche. On trouvera ci-après une description plus détaillée du valganciclovir, dont les inventeurs affirment qu’il possède les caractéristiques voulues.

 

[11]           Dans le jugement GlaxoSmithKline Inc c Pharmascience Inc, 2011 CF 239, [2011] ACF 287, le juge Hughes explique la nomenclature associée aux instances relatives à un avis de conformité et les exigences de l’avis d’allégation de la façon suivante :

[38] Le Règlement AC désigne deux groupes de personnes, une « première personne », communément appelée le « fabricant de la marque », qui est la personne titulaire de brevet ou d’une licence en vertu d’un brevet et qui a reçu l’autorisation de vendre au Canada un médicament qui se rapporte de quelque façon à ce brevet (paragraphe 4(1)). Une « seconde personne », communément appelée un « fabricant de génériques » est une société pharmaceutique qui désire se prévaloir d’une grande partie des renseignements présentés par la première personne afin d’obtenir elle-même l’autorisation de vendre le médicament. La seconde personne doit aviser la première personne en fournissant des détails de sa demande visant à obtenir l’autorisation et déclarer qu’il n’y aura pas contrefaçon du brevet ou que celui-ci est invalide ou que la deuxième personne attendra l’expiration du brevet. Cet avis prend la forme d’un « avis d’allégation ».

 

[39] En vertu du sous-alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement AC, cet avis d’allégation doit contenir « un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation ».

 

 

LES PARTIES

[12]           La société Roche demanderesse est une « première personne » au sens du Règlement AC. Elle a déposé le brevet 721 en conformité avec ce règlement. Elle a également obtenu un avis de conformité par lequel le ministre de la Santé l’autorise à vendre du chlorhydrate de valganciclovir, ce qu’elle fait sous la marque de commerce Valcyte.

 

[13]           La société Roche demanderesse affirme être propriétaire du brevet 721, ce qui n’est pas contesté en l’espèce.

 

[14]           La société Apotex défenderesse est une « seconde personne » au sens du Règlement AC. Elle souhaite vendre une version générique du valganciclovir de Roche. Il lui faut pour cela obtenir du ministre de la Santé un avis de conformité. Le 14 juin 2011, elle a, conformément au Règlement AC, signifié à Apotex un avis d’allégation.

 

[15]           Apotex soutient, dans l’avis d’allégation, qu’il n’y aurait pas contrefaçon des revendications 4 à 8 et 10 du brevet 721, et que le brevet est invalide pour cause d’antériorité, d’évidence et de portée excessive et parce que les revendications ont une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée. Apotex soutient par ailleurs qu’elle n’a, dans l’élaboration, la fabrication, l’emploi ou la vente de son produit d’Apotex, aucunement contrefait une revendication valide.

 

[16]           Le ministre de la Santé, défendeur, à qui incombent diverses responsabilités aux termes du Règlement AC, dont la délivrance d’un avis de conformité à une « seconde personne » comme Apotex, n’a pas activement participé dans la présente instance.

 

[17]           La société Apotex défenderesse soutient que la société Roche demanderesse n’a pas respecté sa part du marché sur lequel repose le brevet 721. Voici en quels termes, dans le jugement Apotex Inc c H Lundbeck A/S, 2013 CF 192, [2013] ACF 274, le juge Harrington décrit en quoi consiste ce marché :

[7] Un brevet est un marché conclu entre l’inventeur et l’État. En échange du monopole qu’il se voit accorder, l’inventeur doit divulguer l’invention de manière adéquate et complète de telle sorte que d’autres puissent reproduire le produit ou le procédé en cause sans difficulté indue lorsque le monopole prend fin. La Loi sur les brevets exige que le demandeur fournisse un mémoire descriptif qui divulgue la nature de l’invention et la manière de la reproduire. Le mémoire descriptif se termine par une revendication ou une série de revendications à l’égard desquelles un monopole est demandé. D’après Apotex, le mémoire descriptif présente des vices fatals.

 

[18]           Apotex formule en l’espèce la même allégation.

 

LE BREVET 721, DANS SES GRANDES LIGNES

[19]           Le brevet d’invention canadien no 2,154,721 (le brevet 721) a fait l’objet d’une demande réputée avoir été déposée auprès du Bureau canadien des brevets le 26 juillet 1995. Il est donc régi par les dispositions de la « nouvelle » Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, qui s’applique aux demandes de brevet présentées après le 1er octobre 1989.

 

[20]           La demande a été déposée conformément aux dispositions du Traité de coopération en matière de brevets (le PCT) et son auteur revendique la priorité à l’égard d’une première demande soumise au bureau américain des brevets le 28 juillet 1994. C’est en fonction de cette date que seront tranchées les questions touchant l’évidence et l’antériorité.

 

[21]           La date de publication, c’est-à-dire la date à laquelle le public était admis à consulter le brevet, est le 29 janvier 1996. C’est la date que nous retiendrons pour interpréter les revendications.

 

[22]           Selon le brevet 721, les inventeurs sont John J. Nestor, Scott W. Womble et Hans Maag, lesquels sont tous des États-Unis d’Amérique. Aucun des inventeurs n’a témoigné en l’espèce.

 

[23]           Le brevet 721 a été délivré à F Hoffman-LaRoche AG, CH.

 

[24]           À moins d’une déclaration d’invalidité, le brevet 721 expirera dans 20 ans à partir de la date du dépôt de la demande au Canada, le 26 juillet 2015.

 

[25]           Le brevet 721 comporte 17 revendications, dont 14 sont en cause en l’espèce. L’interprétation de ces revendications et l’idée originale du brevet sont examinées ci-dessous.

 

LA PREUVE

[26]           En l’espèce, les preuves ont été fournies sous forme d’affidavits et de transcriptions du contre-interrogatoire d’experts ainsi que de pièces produites par ceux-ci. Tous les experts ont été contre-interrogés. Les parties ont également produit à titre de preuve les affidavits de parajuristes prenant acte de certains documents et attestant les faits et certaines des communications intervenues entre les parties.

 

[27]           La preuve versée au dossier comprend les éléments suivants :

Pour la demanderesse (Roche)

i)          Ronald Sawchuk

Monsieur Sawchuk est professeur émérite de pharmaceutique et Morse Alumni Distinguished Teaching Professor, et directeur du laboratoire de bioanalyse et de pharmacocinétique à l’Université du Minnesota. Les demanderesses ont fait appel à M. Sawchuk en raison de sa grande expérience dans les domaines de la recherche pharmaceutique, de la pharmacocinétique et du développement de médicaments. Monsieur Sawchuk a été invité à passer en revue l’avis d’allégation d’Apotex et à formuler une opinion au sujet du contenu du brevet 721 et de la validité dudit brevet.

 

ii)         Youla S. Tsantrizos

Madame Tsantrizos est professeure de chimie à la Faculté des sciences de l’Université McGill et membre associée du Département de biochimie de la Faculté de médecine de la même université. Madame Tsantrizos a passé 10 ans au service de chimie médicinale de la société pharmaceutique Boehringer Ingelheim, où elle a siégé à des comités de prédéveloppement et de développement, qui déterminaient le parcours des composés à l’étude tout au long du processus de découverte et de développement préclinique et clinique. La demanderesse a fait appel à Mme Tsantrizos en raison de son expertise concernant les produits pharmaceutiques utilisés pour traiter les infections virales chez l’humain.

 

Madame Tsantrizos a été invitée à commenter les revendications du brevet 721 et à expliquer l’objet dont il est question, et à passer en revue les allégations de l’AA et à se prononcer sur celles-ci, notamment en ce qui concerne l’antériorité, l’évidence, la portée de l’invention et l’absence de contrefaçon.

 

iii)        Jeffrey Manthorpe

 

Monsieur Manthorpe est professeur de chimie à l’Université de Carleton. Ses domaines de recherche sont notamment la chimie synthétique, et en particulier la chimie organique synthétique, de même que l’élaboration de nouvelles techniques de chimie synthétique et leur application à des molécules présentant un intérêt sur le plan biologique. Monsieur Manthorpe a été invité à élaborer et à réaliser l’expérience visant à déterminer si le procédé de cristallisation d’Apotex produit une matière amorphe ou cristalline.

 

iv)        Ilia Korobkov

Monsieur Korobkov est un scientifique spécialisé dans la diffraction des rayons X, cristallographe, et superviseur au laboratoire de rayons X de la Faculté des sciences de l’Université d’Ottawa. Ses travaux portent essentiellement sur la diffraction des rayons X sur monocristal, mais il a également effectué des analyses à l’aide d’autres techniques, comme la diffraction de rayons X sur poudre et la fluorescence. Monsieur Korobkov a été invité par la demanderesse à analyser l’expérience de M. Manthorpe et à indiquer si, à son avis, certains échantillons étaient cristallins ou amorphes.

 

v)         Richard Killworth

Maître Killworth est associé au cabinet Dinsmore & Shohl LLP à Dayton, en Ohio (É.‑U.). Maître Killworth a été appelé comme témoin expert par la demanderesse en sa qualité d’avocat spécialisé en matière de brevets américains et en raison de sa connaissance approfondie du droit américain dans le domaine des brevets ainsi que des pratiques, des exigences et des procédures de l’United States Patent Office [l’USPTO].

 

vi)        Erin McIntomny

Madame McIntomny est technicienne juridique au cabinet d’avocats de la demanderesse, Gowling Lafleur Henderson LLP. Elle a été invitée à attester la véracité de divers faits d’ordre procédural concernant les requêtes et les ordonnances, et concernant les échanges de lettres et de courriels entre Apotex et Roche.

 

Pour la défenderesse (Apotex)

i)          Chris McGuigan

Monsieur McGuigan est professeur de chimie médicinale et pro-vice-recteur adjoint (Recherche) à la Cardiff School of Pharmacy & Pharmaceutical Sciences de l’Université de Cardiff. Monsieur McGuigan possède une vaste expérience de la recherche et du développement de nouveaux médicaments, en particulier pour le traitement des maladies virales et rétrovirales, des maladies associées à un virus et de l’arthrose. Monsieur McGuigan a été invité à expliquer l’état de la technique en ce qui concerne le traitement pharmacologique des infections à herpèsvirus, y compris les infections à cytomégalovirus [CMV], du point de vue d’un chimiste médicinal ordinaire.

 

Monsieur McGuigan a été invité à commenter le brevet 721, notamment en ce qui concerne sa portée, les allégations d’invalidité, l’idée originale et des questions connexes.

 

Monsieur McGuigan a également été invité à commenter diverses déclarations formulées dans les affidavits de M. Ronald Sawchuk et de Mme Youla Tsantrizos.

 

ii)         George G. Zhanel

Monsieur Zhanel est professeur de microbiologie médicinale/maladies infectieuses à la Faculté de médecine de l’Université du Manitoba et coordonnateur du programme de résistance aux antimicrobiens au Département de médecine (Section de la lutte contre les infections) et au Département de microbiologie clinique du Centre des sciences de la santé de Winnipeg, au Manitoba. Monsieur Zhanel est également directeur de recherche à la Canadian Antimicrobial Resistance Alliance [la CARA] à Winnipeg, au Manitoba.

 

Monsieur Zhanel a été invité par Apotex à préciser ce qu’un pharmacologue versé dans l’art aurait su, en date du 28 juillet 1994, au sujet de l’acyclovir et du ganciclovir et au sujet de leur utilisation pour le traitement des infections à herpèsvirus.

 

Monsieur Zhanel a également été invité à commenter le brevet 721, en se penchant notamment sur sa portée, sur les allégations d’invalidité, sur l’idée originale et sur des questions connexes, et à aborder diverses questions du point de vue d’un pharmacologue versé dans l’art.

 

Monsieur Zhanel a également été invité à commenter les opinions formulées par M. Ronald Sawchuk et Mme Youla Tsantrizos dans leur affidavit.

 

iii)        Monsieur Siddegowda

Monsieur Siddegowda détient un doctorat en chimie organique de l’Université de Mysore. Depuis avril 2010, M. Siddegowda est chef d’équipe, Assurance de la qualité et affaires réglementaires, pour Apotex Pharmachem India Private Limited [l’APIPL], à Bangalore, en Inde. Auparavant, M. Siddegowda était chef de groupe II, Développement des procédés de R ET D, chez APIPL, et gestionnaire adjoint de 2004 à 2009. Monsieur Siddegowda a été invité par Apotex à expliquer la terminologie utilisée dans la fiche maîtresse de médicament [la FMM] du valganciclovir, de même que certains énoncés et passages y figurant.

 

iv)        Robert K. Boeckman, Jr

Monsieur Boeckman est professeur de chimie Marshall D Gates Jr et chaire du Département de chimie à l’Université de Rochester. Monsieur Boeckman s’intéresse activement à la recherche dans le domaine de la chimie synthétique appliquée à la chimie médicinale, et est également spécialiste de la cristallographie aux rayons X.

 

Monsieur Boeckman a été invité à présenter son opinion sur ce que le brevet EP 329 enseignait et divulguait à un spécialiste de la chimie synthétique en date du 28 juillet 1994.

 

Monsieur Boeckman a également été invité à commenter le brevet 721, en se penchant notamment sur sa portée, sur les allégations d’invalidité, sur l’idée originale, sur la cristallinité et sur diverses questions connexes, et à aborder diverses questions du point de vue d’un spécialiste de la chimie synthétique.

 

Monsieur Boeckman a également été invité à passer en revue et à commenter les affidavits de Mme Tsantrizos et de M. Manthorpe.

 

v)         Jonathan Steed

Monsieur Steed est professeur de chimie à l’Université de Durham. Il possède une vaste expertise dans les domaines de la cristallographie, de la cristallisation, de la chimie de l’état solide, de la chimie de coordination et des interactions intermoléculaires survenant dans les solides. Monsieur Steed a mis sur pied et dirigé le premier centre de cristallographie aux rayons X du Royaume-Uni à utiliser un nouveau type de détecteur de surface. Apotex a fait appel à M. Steed en raison de son expérience dans le domaine de la structure et du comportement à l’état solide des solides organiques et moléculaires, et en raison de son expérience des méthodes et des techniques utilisées pour étudier et caractériser ces solides. Monsieur Steed a également été invité à commenter le brevet 721 et à répondre à diverses questions du point de vue d’un spécialiste de la chimie de l’état solide, notamment à discuter de la portée, des allégations d’invalidité, de l’idée originale et des allégations de contrefaçon, et plus particulièrement de la question de savoir si le produit était cristallin.

 

Monsieur Steed a également été invité à passer en revue et à commenter les affidavits de Mme Tsantrizos et de MM. Manthorpe et Korobkov.

 

vi)        Richard Christian Moreton

Monsieur Moreton est un scientifique spécialisé dans la formulation de produits pharmaceutiques et vice-président de FinnBrit Consulting, une société offrant des services de consultation pharmaceutique. Monsieur Moreton compte plus de 30 années d’expérience dans l’industrie pharmaceutique. Tout au long de sa carrière, il a travaillé dans les domaines de la formulation, de la préformulation, du développement et de la mise à l’échelle de formulations, du développement et de l’optimisation de médicaments, y compris l’étude et la conception de stratégies relatives aux promédicaments, et du transfert technique de produits en vue d’une fabrication commerciale. Monsieur Moreton a également une expérience dans le domaine des médicaments antiviraux, y compris en matière de promédicaments antiviraux.

 

Monsieur Moreton a été invité à passer en revue le brevet 721 et à répondre à diverses questions du point de vue d’un formulateur de produits pharmaceutiques, et à discuter notamment de la portée, des allégations d’invalidité, de l’idée originale et des allégations de contrefaçon, et plus particulièrement de la question de savoir si le produit était cristallin.

 

Monsieur Moreton a également été invité à passer en revue et à commenter les affidavits de Mme Tsantrizos et de M. Sawchuk.

 

vii)       Duane Terrill

Duane Terrill travaille depuis longtemps chez Apotex et est actuellement directeur adjoint des affaires réglementaires. De 2005 à 2012, M. Terrill était gestionnaire du service des affaires réglementaires d’Apotex, qui gère toutes les interactions d’Apotex avec Santé Canada concernant la présentation de demandes pour la promotion et la vente de nouveaux médicaments et concernant les obligations de la société en matière de conformité.

 

Monsieur Terrill a été invité par Apotex à commenter les exigences de Santé Canada pour l’approbation réglementaire de nouveaux médicaments au Canada et à fournir des précisions sur la procédure suivie par Apotex pour obtenir l’autorisation de vendre des comprimés d’Apo-Valganciclovir. Il a également été invité à commenter le contenu des comprimés.

 

viii)      Lisa Ebdon

Madame Ebdon est technicienne juridique au cabinet d’avocats de la défenderesse, Goodmans LLP. Elle a été invitée à attester la véracité de divers faits concernant les documents transmis par Apotex à la demanderesse, et plus particulièrement concernant les documents relatifs aux présentations de drogues déposés par Apotex.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[28]           La principale question qui se pose en l’espèce est celle de savoir s’il y a lieu de rendre une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex, avant l’expiration du brevet 721, un avis de conformité au titre de son valganciclovir générique. Il s’agit pour cela de décider si les allégations d’invalidité et de non-contrefaçon du brevet 721 avancées par Apotex sont justifiées.

 

[29]           Selon Apotex, le brevet 721 est invalide pour cause d’antériorité, d’évidence et de portée excessive (insuffisance des revendications ou revendications d’une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée).

 

[30]           Subsidiairement, Apotex prétend que si le brevet est valide, elle ne le contrefait pas, car son produit n’est pas cristallin (il est amorphe). Ce point de vue découle de la prétention d’Apotex selon laquelle l’invention du brevet 721 concerne la cristallinité du produit.

 

[31]           Entre la demanderesse et la défenderesse, le principal point de désaccord (dont dépendent un grand nombre de questions en litige) concerne la signification du brevet, c’est-à-dire en quoi consiste l’invention ou quelle est l’étape inventive.

 

[32]           La société Roche demanderesse soutient que l’invention du brevet 721 démontre que l’ester mono-L-valinate de ganciclovir (désigné par l’appellation « L-valganciclovir » ou simplement « valganciclovir ») présente une biodisponibilité étonnamment meilleure que celle des autres esters connus du ganciclovir, et plus particulièrement que celle de l’ester bis-valinate. Il s’agit non seulement d’une amélioration par rapport à l’antériorité la plus rapprochée (c.-à-d. le diester du brevet EP 329), mais également par rapport aux autres esters connus du ganciclovir et par rapport au ganciclovir lui-même. Roche souligne que la biodisponibilité de l’invention fait l’objet d’une comparaison directe avec l’invention du brevet EP 329, avec d’autres esters et avec le ganciclovir dans le brevet 721.

 

[33]           La demanderesse déclare également que le brevet 721 est probablement, vraisemblablement ou définitivement un brevet de sélection parmi les membres du genre décrits dans le brevet EP 329.

 

[34]           La demanderesse soutient que les allégations d’invalidité dues à l’antériorité et à l’évidence ne sont pas justifiées. La demanderesse fait valoir que la défenderesse, Apotex, n’a fourni aucun élément de preuve quant au fait de savoir s’il était évident que le L-valganciclovir aurait une meilleure biodisponibilité que les autres esters connus du ganciclovir et, en particulier, que le bis-valinate et le dipropanoate.

 

[35]           En ce qui concerne la portée excessive, Roche argue que le brevet 721 enseigne et revendique à la fois le valganciclovir amorphe et le valganciclovir cristallin (et que la cristallinité ne constitue qu’un avantage supplémentaire).

 

[36]           En ce qui concerne la contrefaçon, Roche prétend que la preuve est suffisante pour établir que le produit d’Apotex ne se limite pas au valganciclovir amorphe (c.-à-d. non cristallin). Par conséquent, Roche affirme qu’Apotex contrefait toutes les revendications.

 

[37]           La société Apotex défenderesse soutient que la thèse de la demanderesse est fondée sur une interprétation erronée du brevet 721. Selon Apotex, le brevet 721 ne revendique ni n’indique que l’invention [traduction] « démontre que le mono-L-valinate de ganciclovir […] présente une biodisponibilité étonnamment meilleure que celle des autres esters connus du ganciclovir, et plus particulièrement que celle du bis-valinate », comme l’indiquait Roche dans son mémoire. Apotex fait valoir qu’aucun témoin n’a déclaré qu’il s’agissait de l’idée originale de l’une ou l’autre des revendications du brevet 721.

 

[38]           Selon Apotex, l’invention concerne le valganciclovir, un promédicament du ganciclovir, ainsi que ses sels pharmaceutiquement acceptables, les méthodes et les produits intermédiaires utilisés pour préparer ces composés, et les compositions de ces composés utilisées pour traiter les maladies virales chez l’humain. Selon Apotex, l’invention concerne le composé cristallin, et le brevet établit une distinction entre l’invention et les connaissances antérieures en décrivant ses composés comme cristallins, ce qui représente, selon le brevet, un [traduction] « avantage décisif » pour ce qui concerne la caractérisation et la transformation.

 

[39]           S’agissant de l’antériorité, Apotex affirme que le brevet EP 329 divulgue l’objet des revendications du brevet 721, y compris le valganciclovir, comme un médicament visant à traiter les infections à herpèsvirus qui présente une meilleure biodisponibilité orale que le ganciclovir.

 

[40]           S’agissant de l’évidence, et dans la mesure où le brevet EP 329 ne mentionnait pas explicitement le valganciclovir cristallin, Apotex affirme que cet élément était évident à la lumière de la technique.

 

[41]           S’agissant de la portée excessive, Apotex prétend que la plupart des revendications du brevet 721 concernaient l’ensemble des formes solides du chlorhydrate de valganciclovir et qu’elles n’étaient donc pas limitées à la forme cristalline (ce qui, selon Apotex, constitue l’idée originale). Dans ses observations écrites, Apotex soutient également que d’autres revendications ont une portée excessive, car on revendique l’utilisation du valganciclovir pour traiter toutes les maladies virales plutôt que les maladies contre lesquelles le ganciclovir s’est révélé efficace.

 

[42]            Apotex déclare également qu’elle ne contrefera aucune revendication du brevet 721, car les revendications sont toutes invalides.

 

[43]           Dans le cas contraire, Apotex soutient qu’elle ne contrefait pas les revendications 4 à 8 et 10 du brevet 721. Tous les détails concernant la préparation et l’analyse de l’Apo-Valganciclovir figurent dans la présentation abrégée de drogue nouvelle [la PADN] et dans la fiche maîtresse de médicament [la FMM] de son fournisseur. Selon ces documents, le valganciclovir produit par Apotex n’est jamais cristallin et contient un mélange des formes (R) et (S) du composé. Apotex souligne qu’elle a transmis toutes ces précisions à la demanderesse.

 

L’AVIS D’ALLÉGATION

[44]           Roche demanderesse affirme, à titre préliminaire, que la défenderesse soulève devant la Cour des questions qui ne figuraient pas dans son avis d’allégation.

 

[45]           Selon la demanderesse, la défenderesse doit s’en tenir aux faits et arguments de droit exposés dans son avis d’allégation, faisant valoir qu’on ne saurait admettre de nouvelles allégations d’invalidité et de non-contrefaçon. La demanderesse souligne par ailleurs que l’avis d’allégation ni n’affirme ni ne le laisse entendre que les avantages dont il est fait état dans le brevet 721, ou les renseignements qu’il contient, ne seraient pas exacts.

 

[46]           Plus précisément, la demanderesse affirme que, dans son avis d’allégation, Apotex indique que la question à laquelle il convient de répondre est celle de savoir si [traduction] « l’élaboration du monoester au lieu du diester aurait été évidente » alors qu’elle a, par la suite, [traduction] « changé les termes du débat » et transformé la question, pourtant essentielle en ce qui concerne l’allégation d’évidence, en celle de savoir si, par rapport au ganciclovir, le monoester était effectivement évident.

 

[47]           Selon Roche, l’avis d’allégation est insuffisant car il ne comporte aucune allégation concernant la question de savoir si, au cours du processus de fabrication, le fournisseur d’Apotex élabore du valganciclovir cristallin.

 

[48]           Roche fait également valoir que dans la mesure où la défenderesse ne formule aucune allégation fondée sur l’article 53 de la Loi sur les brevets, ses témoins ne sauraient mettre en doute la véracité de ce qui est énoncé dans le brevet, notamment en ce qui concerne les exemples 9 et 10.

 

Jurisprudence / Principes concernant l’avis de conformité

[49]           Dans le jugement GlaxoSmithKline Inc c Pharmascience Inc, 2011 CF 239, [2011] ACF 287, le juge Hughes résume les exigences prévues au sous-alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement AC, l’avis d’allégation devant notamment contenir « un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation ». Au paragraphe 40 de cette décision, il se prononce en ces termes :

[40]      Je dirai, sans exprimer d’opinion sur la question de savoir s’ils sont justes ou erronés du point de vue de l’« équité », que certains principes, notamment les suivants, ont été dégagés de l’interprétation judiciaire des avis d’allégation

 

i.          L’avis d’allégation ne peut plus être modifié une fois qu’une instance a commencé, sauf que certaines allégations faites peuvent être omises ou ne plus être invoquées (par exemple, Hoffmann-La Roche Ltd c. Canada (Ministre de la santé et du bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3rd) (CAF); Bayer A/G c. Novopharm Ltd. (2006), 46 C.P.R. (4th) 46, aux paragraphes 72 à 84 (CF)).

 

ii.         L’avis d’allégation doit être suffisant pour que la « première personne » soit pleinement informée des motifs soulevés relativement à l’invalidité ou à la non-contrefaçon (Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc. (2005), 38 C.P.R. (4th) 1, aux paragraphes 19 à 21 (CAF))

 

iii.                Dans une instance instituée devant la Cour, une seconde personne ne peut présenter une preuve et une argumentation visant une question qui déborde le cadre de l’avis d’allégation (par exemple, Ratiopharm Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2007), 58 C.P.R. (4th) 97, au paragraphe 25 (C.A.F.)).

 

iv.                Au cours de l’instance, la seconde personne ne peut pas changer de motifs ou soulever un nouveau motif qui n’a pas été soulevé dans son avis d’allégation (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2006), 54 C.P.R. (4th) 279, aux paragraphes 70 et 71 (CF)).

 

Conclusion concernant l’avis d’allégation

[50]           Après examen de ces principes, j’estime que l’avis d’allégation n’avait rien d’insuffisant.

 

[51]           Dans l’avis d’allégation en question, les allégations d’invalidité et de non-contrefaçon sont exposées de manière suffisamment complète pour que Roche puisse en prendre pleinement connaissance, et y répondre. Apotex n’a invoqué aucun nouveau motif, ni soulevé aucun nouvel argument ou produit d’éléments de preuve qui se rapportait à autre chose que l’avis d’allégation, ou ne répondant pas aux arguments avancés par la demanderesse. Ajoutons que, ainsi que l’a souligné Apotex, si ce n’est l’ordonnance de production que nous verrons plus loin, la demanderesse n’a présenté aucune requête visant à résoudre les objections que pouvait lui inspirer l’avis d’allégation.

 

[52]           Apotex a signifié l’avis d’allégation, dans lequel elle alléguait que le brevet 721 et chacune des revendications pertinentes étaient invalides et qu’il n’y aurait pas de contrefaçon si Apotex produisait, fabriquait, utilisait ou vendait son produit Apo-Valganciclovir. Apotex a souligné que les détails relatifs à son valganciclovir et à sa formulation seraient fournis lorsqu’une ordonnance de confidentialité serait prononcée. Roche demanderesse a obtenu une ordonnance de la Cour enjoignant à Apotex de produire les parties de la PADN et de la FMM qui fournissent des précisions sur la forme à l’état solide du valganciclovir d’Apotex à chacune des étapes de sa fabrication et de sa formulation en comprimés.

 

[53]           L’avis d’allégation d’Apotex donnait un avis suffisant du fait que son allégation de non-contrefaçon n’était pas limitée au fait que le chlorhydrate de valganciclovir d’Apotex ne serait pas cristallin lorsqu’il serait vendu. L’avis d’allégation d’Apotex précise qu’Apotex ne contrefera pas le brevet 721 lorsqu’elle « produira » ou « utilisera » son produit. Roche demanderesse savait comment obtenir des renseignements sur les procédés employés par Apotex, mais elle a choisi de maintenir sa demande visant à obtenir une ordonnance de production. De plus, les experts de Roche se sont demandé si le produit d’Apotex serait sous forme cristalline à une quelconque étape de sa transformation, de sa manipulation ou de son entreposage.

 

[54]           S’agissant de l’affirmation de Roche selon laquelle Apotex a changé la question clé sur l’évidence, c’est-à-dire posant initialement la question de savoir si [traduction] « la production du monoester plutôt que du diester aurait été évidente » pour ensuite la modifier en celle de savoir si [traduction] « la production du monoester plutôt que du ganciclovir aurait été évidente », je considère que la citation est prise hors contexte, soit sans la phrase complète et sans la partie de l’avis d’allégation dans laquelle elle figure.

 

[55]           Cette question concerne l’idée originale du brevet 721, un point essentiel de désaccord entre les parties. Les parties se sont, au cours des débats, exprimées de manière exhaustive à cet égard.

 

[56]           En ce qui concerne le fait qu’aucune allégation n’aurait été formulée au titre de l’article 53 de la Loi sur les brevets, je conviens avec Apotex que les arguments qu’elle a présentés concernant les renseignements fournis dans les exemples 9 et 10 répondent aux éléments de preuve versés au dossier par la demanderesse.

 

LE FARDEAU DE PREUVE

[57]           La jurisprudence étant abondante sur le fardeau de preuve en ce qui a trait aux allégations, il n’y a aucun désaccord sur ce point.

 

[58]           Lorsqu’est mise en cause la validité d’un brevet, le brevet est présumé valide. Dans les cas, cependant, où un fabricant de produits génériques (une seconde personne) ‑ en l’occurrence Apotex ‑, formule des allégations d’invalidité et produit des éléments de preuve susceptibles d’établir l’invalidité du brevet, on dit que le fabricant de produits génériques « fait jouer » ses prétentions. Il appartient alors au fabricant de médicaments d’origine ou à la demanderesse (première personne) ‑ en l’occurrence Roche ‑, d’établir selon la prépondérance des probabilités que les allégations d’invalidité ne sont pas justifiées : voir Lundbeck Canada Inc c Ratiopharm Inc, 2009 CF 1102, [2009] ACF 1466; Laboratoires Abbott c Canada (ministre de la Santé), 2007 CAF 153, 59 C.P.R. (4th) 30, aux paragraphes 9 et 10; Pfizer c Canada (ministre de la Santé), 2007 CAF 209, 60 C.P.R. (4th) 81, au paragraphe 109 (CAF); Pfizer c Canada (ministre de la Santé), 2012 CF 767, au paragraphe 42, confirmé quant à l’issue par 2012 CAF 308; Pfizer Canada Inc c Pharmascience Inc, 2013 CF 120, [2013] ACF 111, aux paragraphes 24 à 27.

 

[59]           Si le fabricant de produits génériques (la seconde personne) ne produit aucun élément de preuve relativement à un motif d’invalidité qu’il allègue, la présomption n’est pas réfutée.

 

[60]           C’est également sur le fabricant de médicaments d’origine (la première personne), en l’occurrence Roche, que pèse le fardeau de preuve concernant les allégations de non-contrefaçon. Le fabricant de produits génériques, en l’occurrence Apotex, invoque dans son avis d’allégation la non-contrefaçon de revendications précises. Ses affirmations sont présumées vraies. C’est alors au fabricant de médicaments d’origine ‑ Roche, qu’il appartient de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de non-contrefaçon ne sont pas justifiées. La demanderesse ne saurait invoquer la simple possibilité d’une contrefaçon : voir Novopharm Limited c Pfizer Canada Inc, 2005 CAF 270, 42 CPR (4th) 97, aux paragraphes 19, 20 et 24.

 

[61]           Dans le jugement Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2007 CF 26, 59 CPR (4th) 183 (conf. par 2007 CAF 195, autorisation d’appel refusée [2007] CSCR no 371), le juge O’Reilly a précisé, aux paragraphes 9 et 12, la démarche à suivre en ce qui concerne le fardeau de la preuve :

9.         À mon avis, la charge qui repose sur un défendeur d’après le Règlement est une « obligation de présentation de preuve » – une obligation de produire simplement une preuve d’invalidité. Après que le défendeur s’est acquitté de cette obligation, la présomption de validité du brevet devient caduque et la Cour doit alors dire si le demandeur a apporté la preuve qu’il devait apporter. Je crois que c’est de cela qu’il s’agit dans les précédents où la Cour a dit que le défendeur doit faire jouer ses prétentions. Le défendeur doit produire une preuve propre à donner un semblant de réalité à ses allégations d’invalidité.

 

[…]

 

12.       Pour résumer, Pfizer a l’obligation légale d’établir, suivant la prépondérance de la preuve, que les allégations d’invalidité faites par Apotex sont injustifiées. Apotex assume simplement l’obligation de faire jouer ses prétentions et de produire une preuve qui suffise à donner un semblant de réalité à ses allégations d’invalidité. Si Apotex s’acquitte de cette obligation, alors la présomption de validité du brevet de Pfizer sera réfutée. Je devrai alors dire si Pfizer a prouvé que les allégations d’invalidité faites par Apotex sont injustifiées. Si Apotex ne s’acquitte pas de son obligation de présentation de preuve, alors Pfizer pourra simplement invoquer la présomption de validité pour obtenir l’ordonnance d’interdiction qu’elle sollicite.

 

[62]           Ainsi que nous l’avons souligné ci-dessus, dans le jugement GlaxoSmithKline Inc c Pharmascience, 2011 CF 239, [2011] ACF 287, le juge Hughes a résumé les exigences du sous-alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement AC en ce qui concerne le contenu de l’avis d’allégation, observant en outre ce qui suit au paragraphe 41 :

[41]      Dans les instances judiciaires, la première personne est tenue d’établir, conformément au paragraphe 6(2) du Règlement AC, « qu’aucune des allégations n’est fondée ». Ainsi, l’objet de l’instance consiste à examiner les allégations, à analyser la preuve, à appliquer la loi et à déterminer si l’allégation faite dans l’avis d’allégation est fondée. Une telle décision, par exemple sur la question de savoir si une allégation d’invalidité est fondée, n’empêche pas cette question d’être débattue dans une action ordinaire concernant le brevet; en d’autres termes, il n’y a pas chose jugée (Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2006), 46 C.P.R. (4th) 401 (C.A.F.), au paragraphe 7). 

 

[63]           En l’espèce, Apotex a formulé des allégations dans son avis d’allégation et produit des éléments de preuve quant à l’invalidité du brevet pour cause d’antériorité, d’évidence et de portée excessive, éléments qui suffisent à faire jouer ses prétentions. C’est par conséquent à la société Roche demanderesse qu’il appartient d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations en cause ne sont pas justifiées.

 

[64]           Apotex allègue par ailleurs qu’elle ne contrefera ni les revendications 4 à 8 ni la revendication 10. Ainsi que nous l’avons souligné au paragraphe 60, il est de jurisprudence constante que lorsqu’un fabricant de produits génériques allègue l’absence de contrefaçon, les affirmations qu’il formule à cet égard dans son avis d’allégation sont tenues pour avérées. Il incombe donc à la société Roche demanderesse de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de non-contrefaçon ne sont pas justifiées; elle ne peut pas se contenter d’invoquer la possibilité d’une contrefaçon.

 

LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

[65]           La personne versée dans l’art (ou personne moyennement versée dans l’art) sert de référence lorsqu’il s’agit d’interpréter le brevet et d’apprécier les diverses questions qui se posent. Voici les précisions qu’a données le juge Hughes dans le jugement Pfizer Canada Inc c Pharmascience Inc, 2013 CF 120, [2013] ACF 111 :

28        La personne versée dans l’art, décrite aussi parfois comme la personne moyennement versée dans l’art, est fictive; elle peut désigner plusieurs individus, du point de vue desquels un brevet doit être interprété et l’art antérieur envisagé. Cette personne imaginaire peut jouer un rôle pertinent quant à d’autres questions touchant les brevets soumis à l’examen de la Cour.

 

[66]           Dans le jugement Apotex Inc c Sanofi-Aventis, 2011 CF 1486, [2011] ACF 1813, le juge Boivin a fait les observations suivantes :

[64]      Pour savoir ce qu’est l’hypothétique personne moyennement versée dans l’art, la Cour doit définir la personne ou le groupe de personnes auxquelles s’adresse le brevet 777. Cette personne n’est évidemment pas une personne réelle. Ainsi que l’expliquait le juge Hughes dans la décision Merck & Co c Pharmascience Inc, 2010 CF 510, 85 CPR (4th) 179, au paragraphe 42 : « Elle doit être dépourvue d’imagination, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit lente d’esprit ou ait obtenu son diplôme (le cas échéant) de justesse. Elle n’est pas non plus la médaille d’or de la promotion. Cette personne est la personne moyenne du groupe. Tout comme la « personne raisonnable » est censée être raisonnable, la personne moyennement versée dans l’art est censée posséder des compétences moyennes dans l’art ».

 

[65] La Cour suprême du Canada a considéré une telle personne dans l’arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 74, où le juge Binnie, s’exprimant pour la Cour, écrivait que la personne moyennement versée dans l’art s’entend de l’hypothétique « travailleur moyen » qui est raisonnablement diligent pour rester au fait des progrès accomplis dans le domaine auquel se rapporte le brevet.

 

 

[67]           À mon avis, on peut difficilement dire de la personne moyennement versée dans l’art qu’elle est quelqu’un de normal dont les compétences sont moyennes étant donné l’expertise, l’expérience et le niveau d’études des chercheurs qui effectuent ces travaux; même si, aux yeux de leurs collègues, ces personnes se situent dans la moyenne, elles sont loin d’être normales. En l’espèce, ces experts hautement qualifiés étaient en désaccord sur la plupart des points, mais généralement d’accord sur ce qu’est la personne moyennement versée dans l’art.

 

[68]           Les experts des deux parties se sont exprimés sur les compétences qu’aurait la personne versée dans l’art, expliquant pourquoi ces compétences et cette expérience seraient nécessaires. On ne relève, entre ces experts, aucune différence sensible d’avis quant aux qualités et à l’étendue des connaissances qu’aurait, au milieu des années 1990, possédées la personne versée dans l’art appelée à s’intéresser au brevet 721.

 

[69]           Ce sujet collectif ou cette équipe de personnes aurait une expertise dans les domaines de la chimie médicinale, de la chimie de l’état solide, de la chimie synthétique, de la formulation de compositions pharmaceutiques, de la pharmacologie et de la pharmacocinétique, qui correspondrait à celle d’un titulaire de maîtrise ou de doctorat.

 

[70]           Un chimiste médicinal serait nécessaire en raison de son expérience de la découverte et de la conception de médicaments, et en raison de sa compréhension de la synthèse organique, dont la chiralité et le stéréoisomérisme ainsi que la pharmacocinétique, y compris la conception de promédicaments. Un spécialiste de la chimie de l’état solide serait nécessaire pour les aspects du brevet 721 qui concernent l’état solide du mono-L-valinate de ganciclovir, y compris sa nature cristalline et ses propriétés. Un chimiste de synthèse serait nécessaire pour les aspects du brevet 721 qui concernent les procédés. Un formulateur de compositions pharmaceutiques serait nécessaire pour la préparation des formulations du brevet. Enfin, un pharmacologue serait nécessaire pour les aspects du brevet qui concernent la pharmacocinétique.

 

LE BREVET 721, DANS SES DÉTAILS

[71]           Le brevet 721 ne semble avoir aucun autre titre que « dérivé du 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxypropane-1,3-diol ».

 

[72]           L’invention est décrite de façon générale, à partir de la page 1, comme un nouveau médicament antiviral :

[traduction]
La présente invention concerne un nouveau médicament antiviral, plus particulièrement un ester d’un acide aminé et d’un dérivé de purine, et encore plus particulièrement un ester formé entre le ganciclovir et la L-valine, de même que ses sels pharmaceutiquement acceptables. L’invention concerne également les composés intermédiaires, les méthodes de synthèse utilisées pour produire le médicament antiviral, les compositions pharmaceutiques pour ce faire et leur utilisation dans le traitement de maladies virales et de maladies semblables.

Plus particulièrement, l’invention concerne l’ester L-monovalinate dérivé du 2-(2-amino-1, 6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl) méthoxypropane-1,3-diol et ses sels pharmaceutiquement acceptables.

 

[73]           L’art antérieur est décrit aux pages 1 à 8. Le brevet fait référence à divers autres brevets, demandes de brevet et articles scientifiques, notamment les suivants :

[traduction]

 

Le brevet américain no 4 355 032, publié en 1982, qui divulgue le ganciclovir et précise que la molécule est hautement efficace contre la famille des herpèsvirus (p. ex. herpès simplex et cytomégalovirus), mais que son taux d’absorption est relativement faible en administration orale. Le ganciclovir est le plus souvent administré par voie intraveineuse, ce qui présente certains désavantages. Par conséquent, il était hautement souhaitable d’améliorer le profil d’absorption oral du ganciclovir.

 

Le brevet européen no 375 329 (EP 329), publié en 1990, qui divulgue des promédicaments décrits comme ayant une biodisponibilité avantageuse en administration orale, ce qui permet au composé parent d’être présent à des concentrations élevées dans l’organisme. Les exemples fournis sont tous des diesters, à l’exception de l’exemple 6b), qui divulgue l’ester bis(L-alininate) de ganciclovir dans un sirop contenant 90 % du diester et 19 % du monoester. Les diesters décrits ne sont pas cristallins et sont difficiles à utiliser pour la fabrication de formes pharmaceutiques destinées à une administration orale.

 

Le brevet EP 329 divulgue des esters d’acide aminé des composés désignés par la formule indiquée et leurs sels pharmaceutiquement acceptables. Les acides aminés préférentiels donnés en exemple comprennent notamment des acides aliphatiques, qui contiennent par exemple jusqu’à six atomes de carbone, comme la glycine, l’alanine, la valine et l’isoleucine. Les esters d’acide aminé comprennent à la fois des monoesters et des diesters. Cependant, ce brevet et le brevet américain no 5 043 339 (le ganciclovir) ne divulguent pas la préparation de monoesters, et encore moins des données laissant entendre que de tels composés seraient utiles.

 

L’article de Martin et autres (1982), J Pharm Sci 76(2), qui divulgue les esters monoacylate et diacylate de ganciclovir et indique que la biodisponibilité de l’ester dipropanoate est environ 43 % supérieure à celle du ganciclovir.

 

Les auteurs font également référence à diverses demandes de brevet et à une série d’articles scientifiques portant sur l’acyclovir, qui est également utilisé dans le traitement des infections à herpèsvirus, aux pages 1 à 8.

 

Le brevet britannique (BP) no 1 523 865, publié en 1978, qui décrit des dérivés comprenant notamment l’acyclovir, dont l’activité s’est révélée bonne contre le virus herpès simplex et qui sont hautement efficaces en administration topique ou parentérale, mais dont l’absorption n’est que modérée en administration orale.

 

L’article de Maudgal et autres, Arch Ophthalmal, 102 (1984), qui divulgue des esters de l’acyclovir et les avantages de l’ester de glycine utilisé dans des gouttes ophtalmiques.

 

L’article de Colla et autres, J Med Chem 98 (1983), qui divulgue des dérivés esters hydrosolubles de l’acyclovir, de même que leurs sels, comme promédicaments de l’acyclovir. Les auteurs laissent entendre que ces esters d’acyclovir seraient plus pratiques dans un contexte clinique que le composé parent (acyclovir) en administration topique sous forme de gouttes ophtalmiques et dans le traitement des infections à herpèsvirus réagissant bien à l’acyclovir intraveineux.

 

La demande de brevet européen no 308 065, publiée en 1989, qui divulgue les esters formés entre l’acyclovir et la valine et entre l’acyclovir et l’isoleucine, préférentiellement sous la forme L, et qui indique que l’absorption intestinale de ces substances après une administration par voie orale est beaucoup plus importante que celle d’autres esters et de l’acyclovir.

 

L’article de Beauchamp et autres, Antiviral Chemistry and Chemotherapy 3 (1992), qui divulgue 18 esters d’acide aminé de l’acyclovir et leur efficacité en tant que promédicaments. Les esters de L-acide aminé étaient plus efficaces en tant que promédicaments que les isomères D- ou D, L- correspondants, ce qui donne à penser qu’un transporteur stéréosélectif est en cause. Selon les auteurs, le L-valylate d’acyclovir était le promédicament qui présentait la meilleure disponibilité parmi les esters à l’étude.

 

[74]           Le brevet indique que le ganciclovir est actuellement le principal médicament utilisé pour le traitement de l’infection à cytomégalovirus. Le brevet précise également que la biodisponibilité du ganciclovir est limitée et que le médicament doit être administré quotidiennement par perfusion intraveineuse lente. Cela démontre qu’il existe un « besoin urgent » de mettre au point une forme pharmaceutique orale ayant une meilleure biodisponibilité.

 

[75]           L’invention et la promesse du brevet 721 sont décrites de la façon suivante à la page 9 du mémoire descriptif :

[traduction]
La présente invention fournit un promédicament stable du ganciclovir présentant une meilleure absorption par voie orale et une faible toxicité. De telles caractéristiques sont particulièrement utiles pour la suppression des infections herpétiques chez les patients immunodéprimés lorsque la voie orale constitue le mode d’administration préférentiel. De plus, les propriétés pharmacologiques des ingrédients actifs font en sorte que ces ingrédients peuvent être mieux caractérisés et transformés. Étonnamment, on a découvert que l’ester L-monovalinate de ganciclovir, de même que ses sels pharmaceutiquement acceptables, présente ces caractéristiques voulues.

 

[76]           Le composé est décrit de façon plus détaillée aux pages 9 à 11, et les définitions des termes sont fournies aux pages 9 à 19.

 

[77]           Les procédés utilisés pour préparer le composé sont décrits aux pages 20 à 22 du brevet et plus loin dans le brevet. Les utilisations du composé sont quant à elles décrites aux pages 22 à 24.

 

[78]           À la page 24, il est précisé que l’utilité du ganciclovir comme antiviral a été établie par la mesure de la concentration sanguine du ganciclovir chez des animaux de laboratoire (rats et singes) après l’administration du promédicament par voie orale. Les concentrations ont été déterminées à l’aide des méthodes décrites dans les exemples 9 et 10 (qui sont mentionnés plus loin dans le brevet, aux pages 51 à 55).

 

[79]           Les modes d’administration du composé sont mentionnés à la page 24; on indique qu’il s’agit de méthodes usuelles et acceptables connues dans l’art, tout en précisant que les compositions pharmaceutiques destinées à une administration par voie orale sont préférentielles.

 

[80]           Les acides, composés et compositions préférentiels sont décrits aux pages 24 à 28. Les composés les plus préférentiels sont décrits à la page 27, où l’on indique également que ces composés peuvent être préparés sous forme cristalline et qu’ils peuvent donc être utilisés facilement pour produire des formulations orales stables. Les formulations destinées à une administration par voie orale ou par voie intraveineuse sont préférentielles. Les formulations orales présentent l’avantage d’être associées à une biodisponibilité élevée. Dans le cas des formulations intraveineuses, l’avantage consiste en le fait que le promédicament de l’invention peut être préparé à un pH plus acceptable sur le plan physiologique (4-6), contrairement aux formulations à base de ganciclovir destinées à une administration intraveineuse, pour lesquelles il faut utiliser un pH de 11, ce qui provoque une irritation.

 

[81]           Aux pages 31 à 39 du brevet, on trouve une description des étapes de la préparation du mono-L-valinate de ganciclovir.

 

[82]           À la page 39, dans une rubrique distincte, intitulée [traduction] « Fabrication du L-valinate de 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxy-3-hydroxypropane-1-yle cristallin (c.-à-d. du valganciclovir) », on peut lire ce qui suit :

[traduction]

Le composé de l’invention peut être et a été produit sous une forme cristalline. Il s’agit d’un avantage décisif par rapport aux composés divulgués dans l’art antérieur, qui ont tous été décrits comme étant non cristallins. L’avantage réside dans le fait qu’il est plus facile de produire des formulations pharmaceutiques à l’aide de matières cristallines. Les matières cristallines peuvent être transformées avec efficacité, et la caractérisation de telles matières est susceptible d’être plus reproductible que dans le cas des matières non cristallines; il est par ailleurs beaucoup plus facile de déterminer la qualité des matières cristallines de l’invention que celle de matières non cristallines.

 

[83]           Des exemples sont fournis aux pages 40 à 57. Aucun des exemples, à l’exception de l’exemple 9 et de l’exemple 10, ne traite de l’utilité, et aucun des exemples ne présente une conclusion ou une conclusion sommaire.

 

[84]           Les exemples 9 et 10, lesquels sont mentionnés pour la première fois à la page 24, sont décrits de façon plus détaillée aux pages 51 à 55.

 

[85]           L’exemple 9 indique qu’il a été utilisé pour déterminer l’absorption orale (la biodisponibilité orale) du composé de la formule I (l’ester L-monovalinate de ganciclovir), d’autres esters formés entre des acides aminés et le ganciclovir, d’autres esters du ganciclovir et d’éthers examinés à des fins de comparaison. L’exemple fournit des résultats sur la biodisponibilité du ganciclovir, d’autres esters du ganciclovir, de l’invention du brevet EP 329 et de l’ester G-L-valinate de l’invention, de même que du chlorhydrate de G-L-valinate de l’invention. L’exemple indique que la biodisponibilité orale du ganciclovir est de 7,9 %, que celle de l’ester G-bis(L-valinate) de ganciclovir (brevet EP 329) est de 52 %, et que celle de l’ester d’acide aminé de la présente invention (chlorhydrate de G-L-valinate) était de 98 %.

 

[86]           L’exemple 10 a été utilisé pour déterminer la biodisponibilité orale du valganciclovir chez le singe. L’exemple indique que la biodisponibilité orale de l’invention, le mono-L-valinate/valganciclovir, était de 35,7 %, tandis que celle du bis-L-valinate (brevet EP 329) était de 23,5 % et celle du ganciclovir était de 9,9 %.

 

[87]           Le brevet 721 se termine avec 17 revendications.

 

[88]           La revendication 1 concerne le composé général. Les revendications 2 et 3 visent le composé et ses diastéréoisomères ainsi que ses sels. La revendication 4 vise la forme cristalline du composé. Les revendications 5 à 8 concernent des sels et des diastéréoisomères précis. Les revendications 9 et 10 visent les compositions pharmaceutiques. La revendication 11 concerne les intermédiaires, et la revendication 15 porte sur l’utilisation de ces intermédiaires dans la fabrication des composés visés par les revendications 1 à 8. Les revendications 12 et 13 portent sur les procédés et ne concernent pas la question en litige. Les revendications 14, 16 et 17 concernent les utilisations des composés revendiqués.

 

[89]           Les revendications du brevet 721 se lisent comme suit :

[traduction]

1.         Le composé L-valinate de 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxy-3-hydroxypropane-1-yle ou un sel pharmaceutiquement acceptable dudit composé, sous forme d’un diastéréoisomère (R)- ou (S)-, ou encore sous forme d’un mélange de ces deux diastéréoisomères.

 

2.         Le composé de la revendication 1, comprenant ledit mélange contenant des quantités égales du diastéréoisomère (R)- et du diastéréoisomère (S)-.

 

3.         Le composé de la revendication 1, dont le sel pharmaceutiquement acceptable est un chlorhydrate ou un acétate.

 

4.         Un compose visé par la revendication 1 sous forme cristalline.

 

5.         Le composé de la revendication 1 qui est le L-valinate de (R)-2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxy-3-hydroxypropane-1-yle et ses sels pharmaceutiquement acceptables.

 

6.         Le composé de la revendication 1 qui est le L-valinate de (S)-2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxy-3-hydroxypropane-1-yle et ses sels pharmaceutiquement acceptables.

 

7.         Un composé visé par la revendication 5 ou 6, dont le sel est un chlorhydrate.

 

8.         Un composé visé par la revendication 5 ou 6, dont le sel est un acétate.

 

9.         Une composition pharmaceutique contenant un composé visé par l’une ou l’autre des revendications 1 à 8, de même qu’un excipient ou un véhicule pharmaceutiquement acceptable.

 

10.       La composition pharmaceutique visée par la revendication 9, en vue d’une administration par voie intraveineuse.

 

11.       Un composé de la formule suivante :

où :

P1 est un atome d’hydrogène ou un groupe protégeant la fonction hydroxy, et P2 est un groupe protégeant la fonction amine.

 

12.       Un procédé permettant de préparer le composé L-valinate de 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxy-3-hydroxypropane-1-yle ou encore des diastéréoisomères ou un sel pharmaceutiquement acceptable dudit composé, qui comprend les étapes suivantes :

 

a)         le retrait du groupe protégeant la fonction amine et/ou la fonction hydroxy d’un composé de la formule suivante :

 

 

où :

P1 est un atome d’hydrogène ou un groupe protégeant la fonction hydroxy, P2 est un groupe protégeant la fonction amine et P3 est un atome d’hydrogène ou P2;

pour obtenir le composé L-valinate de 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxy-3-hydroxypropane-1-yle ou un sel pharmaceutiquement acceptable;

 

b)         la conversion du composé L-valinate de 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxy-3-hydroxypropane-1-yle en un sel pharmaceutiquement acceptable; ou

 

c)         l’estérification du 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxypropane-1,3-diol (ganciclovir) ou d’un sel dudit composé avec un dérivé activé de la L-valine; ou

 

d)         la condensation d’une guanine facultativement substituée de la formule suivante :

 

 

facultativement sous une forme persilylée,

où :

            P3 est un atome d’hydrogène ou un groupe protégeant la fonction amine, avec un glycérol substitué en position 2 de la formule suivante :

 

                                   

où :

            Y1 et Y2 sont indépendamment un groupe halogéno, un groupe acyloxy de faible masse moléculaire, un groupe alkyloxy de faible masse moléculaire ou un groupe aryl(alkyloxy de faible masse moléculaire) et où Z est un groupe sortant choisi parmi un groupe acyloxy de faible masse moléculaire, un groupe méthoxy, un groupe isopropyloxy, un groupe benzyloxy, un groupe halogéno, un groupe mésyloxy ou un groupe tosyloxy;

facultativement en présence d’un catalyseur de type acide de Lewis, pour obtenir le composé L-valinate de 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxy-3-hydroxypropane-1-yle; ou

 

e)         l’hydrolyse partielle du diester bis(L-valinate) de 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxypropane-1,3-diyle ou d’un sel dudit composé pour obtenir le monoester L-valinate de 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxy-3-hydroxypropane-1-yle ou un sel pharmaceutiquement acceptable; ou

 

f)         une séparation diastéreoisomérique du L-valinate de 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxy-3-hydroxypropane-1-yle en ses diastéréoisomères (R) et (S).

 

13.       Le procédé de la revendication 12, au cours duquel l’élimination des groupes protégeant les fonctions amine et hydroxy se déroule dans des conditions acides.

 

14.       Un composé revendiqué dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 8 comme un agent thérapeutiquement actif pour le traitement de maladies virales.

 

15.       L’utilisation d’un composé revendiqué à la revendication 11 pour la préparation d’un composé revendiqué dans les revendications 1 à 8.

 

16.       L’utilisation d’un composé revendiqué dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 8 pour la préparation d’une composition pharmaceutique.

 

17.       L’utilisation d’un composé revendiqué dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 8 pour la préparation d’une composition pharmaceutique en vue du traitement de maladies virales.

 

INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS

Jurisprudence / Principes applicables à l’interprétation des brevets

[90]           Dans le jugement Apotex Inc c Sanofi-Aventis, 2011 CF 1486, [2011] ACF 1813, le juge Boivin fait les observations suivantes :

[59] La Cour observe que l’interprétation de revendications est une question de droit et doit se faire selon une approche téléologique, « pour assurer le respect de l’équité et la prévisibilité et pour cerner les limites du monopole » (Dimplex North America Ltd c CFM Corp, 2006 CF 586, 54 CPR (4th) 435, au paragraphe 49, conf. par 2007 CAF 278, 60 CPR (4th) 277). Dans cet exercice, la Cour doit lire les revendications du brevet avec « un esprit désireux de comprendre » (arrêt Whirlpool, précité).

 

[91]           Dans le jugement Pfizer Canada Inc et Warner Lambert Company LLC c Pharmascience Inc et le ministre de la Santé, 2013 CF 120, [2013] ACF 111, le juge Hughes a passé en revue la jurisprudence applicable et a offert un résumé utile des principes régissant l’interprétation de revendications :

[64]      Les cours de justice ont formulé de nombreuses directives sur l’interprétation d’une revendication. Pour résumer :

 

         il faut d’abord interpréter la revendication avant d’envisager les questions de validité et de contrefaçon;

 

         sur le plan du droit, seule la Cour peut se charger de l’interprétation;

 

         la Cour doit interpréter la revendication du point de vue de la personne versée dans l’art à qui le brevet est destiné;

 

         la Cour peut se faire aider par des experts pour élucider le sens de phrases ou de mots particuliers, ou s’informer de l’état de la technique à la date à laquelle la revendication a été publiée;

 

         la Cour doit lire la revendication dans le contexte général du brevet, ce qui inclut la description et les autres revendications;

 

         la Cour doit éviter de faire siennes les prétentions trop avantageuses de la description;

 

         la Cour ne doit pas limiter la revendication aux exemples spécifiques cités dans le brevet;

 

         la Cour doit s’efforcer d’interpréter la revendication d’une manière qui donne corps à l’intention de l’inventeur;

 

         la Cour doit s’efforcer d’appuyer une invention méritoire.

 

[92]           Le juge Hughes fait remonter l’état actuel du droit sur la question à l’arrêt Free World Trust c Électro-Santé Inc, [2000] 2 RCS 1024 [Free World Trust], dans lequel le juge Binnie précise que les tribunaux canadiens préfèrent le « principe de revendication périphérique » ‑ démarche selon laquelle la portée juridique du monopole que confère le brevet est définie par les revendications. C’est en ces termes qu’au paragraphe 68 de l’arrêt, le juge Binnie se prononce sur la question :

L’autre école de pensée, qui appuie ce qu’on appelle parfois le « principe de revendication périphérique », met l’accent sur la teneur des revendications en tenant pour acquis qu’elle définit non pas l’idée technique sous-jacente, mais bien la portée juridique du monopole accordé par l’État. Pour des raisons d’équité et de prévisibilité, les tribunaux canadiens ont traditionnellement privilégié la seconde école de pensée.

 

[93]           Selon le juge Binnie, pour favoriser la recherche, contribuer à une plus grande certitude et rendre compte, de manière générale, de la contrepartie sur laquelle repose l’octroi du brevet, il convient de retenir une interprétation téléologique et éclairée. Il affirme ce qui suit, au paragraphe 50 :

Je ne prétends pas que la démarche à deux volets mène nécessairement à un résultat différent par rapport à la démarche à un seul volet, ni qu’elle a donné lieu à des abus. Je crois cependant qu’il faut désormais reconnaître que plus grand est le pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal de rechercher « l’esprit de l’invention » au-delà du libellé des revendications, moins les revendications peuvent jouer leur rôle d’information du public et plus l’incertitude et l’imprévisibilité qui en résultent malheureusement sont grandes. L’« interprétation téléologique » supprime le premier volet correspondant à une interprétation purement textuelle, mais elle resserre l’interprétation de ce qui constitue l’« essentiel » ou la « substance » de l’invention, et ce, afin qu’un traitement équitable soit accordé à la fois au breveté et au public. À mon sens, la Cour d’appel fédérale a eu raison de la privilégier dans l’arrêt O’Hara.

 

L’interprétation du brevet 721

[94]           S’agissant des revendications, je me suis efforcée d’interpréter celles qui étaient en litige de façon éclairée et téléologique, du point de vue de la personne versée dans l’art, en tenant compte du brevet dans son ensemble et en m’appuyant sur le témoignage des experts.

 

[95]           Comme je l’ai mentionné précédemment, la « personne versée dans l’art » est un sujet collectif ou une équipe de personnes ayant une expertise dans les domaines de la chimie médicinale, de la chimie de l’état solide, de la chimie synthétique, de la formulation de compositions pharmaceutiques, de la pharmacologie et de la pharmacocinétique, qui correspondrait à celle d’un titulaire de maîtrise ou de doctorat.

 

[96]           Les experts des deux parties ont exprimé des opinions semblables en ce qui concerne la façon d’interpréter le brevet.

 

[97]           J’interpréterais les revendications de la façon suivante :

La revendication 1 du brevet porte sur le composé L-valinate de 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxy-3-hydroxypropane-1-yle, désigné par l’appellation valganciclovir, ou ses sels pharmaceutiquement acceptables, sous la forme du diastéréoisomère (R) ou du diastéréoisomère (S) séparément, ou dans un mélange de ces deux diastéréoisomères. La revendication ne donne aucune précision sur la forme du composé à l’état solide (cristalline ou non cristalline) et vise par conséquent les deux formes. La revendication ne donne également aucune précision sur la voie d’administration. Pour simplifier, la revendication 1 concerne un mélange des diastéréoisomères (R) et (S) du L-valganciclovir, de même que les sels pharmaceutiquement acceptables de ces composés.

 

La revendication 2 porte sur les composés de la revendication 1 (valganciclovir) dans un mélange contenant des proportions égales des deux diastéréoisomères [c.-à-d. 50 % du (R) mono-L-valinate de ganciclovir et 50 % du (S) mono-L-valinate de ganciclovir].

 

La revendication 3 porte sur les composés de la revendication 1 (valganciclovir), mais ne vise que les sels chlorhydrate ou acétate du mono-L-valinate de ganciclovir.

 

La revendication 4 porte sur les composés de la revendication 1 (valganciclovir) lorsque ceux-ci sont sous forme cristalline.

 

Les revendications 5 et 6 portent sur les deux diastéréoisomères séparément. La revendication 5 porte sur le composé de la revendication 1 (valganciclovir), mais ne vise que le diastéréoisomère (R). La revendication 6 porte sur le composé de la revendication 1 (valganciclovir), mais ne vise que le diastéréoisomère (S).

 

La revendication 7 porte sur les composés des revendications 5 et 6, mais limite les composés au sel chlorhydrate.

 

La revendication 8 porte sur les composés des revendications 5 et 6, mais limite les composés au sel acétate.

 

La revendication 9 porte sur une composition pharmaceutique (c.-à-d. un mélange d’ingrédients actifs et d’ingrédients inactifs formant un médicament destiné à être administré à un patient) pouvant contenir l’un ou l’autre des composés visés par l’une ou l’autre des revendications 1 à 8.

 

La revendication 10 porte sur une composition pharmaceutique visée par la revendication 9, destinée à une administration par voie intraveineuse.

 

La revendication 11 porte sur un intermédiaire de la formule présentée dans ladite revendication.

 

Les revendications 12 et 13 portent sur les procédés utilisés pour fabriquer les composés visés par les revendications 1 à 8 (c.-à-d. l’ester L-valinate de ganciclovir).

 

La revendication 14 porte sur les composés des revendications 1 à 8 utilisés en tant qu’ingrédients thérapeutiquement actifs pour le traitement de maladies virales.

 

La revendication 15 concerne l’utilisation des composés de la revendication 11 dans la préparation des composés visés par les revendications 1 à 8.

 

La revendication 16 porte sur l’utilisation d’un composé visé par les revendications 1 à 8 pour la préparation d’une composition pharmaceutique.

 

La revendication 17 porte sur l’utilisation d’un composé visé par les revendications 1 à 8 pour la préparation d’une composition pharmaceutique destinée au traitement de maladies virales.

 

[98]           Il y a plusieurs revendications dépendantes, comme les revendications 2 à 8, et elles dépendent toutes de la revendication 1.

 

L’INVENTION

[99]           L’invention, ou l’idée originale, constitue un important point de discorde entre les parties. Il est essentiel d’identifier l’idée originale pour être en mesure d’évaluer les allégations; il convient donc de le faire dès le début.

 

[100]       La société Roche demanderesse avance que l’invention démontre que le valganciclovir présente étonnamment une meilleure biodisponibilité que celle des autres esters connus du ganciclovir, et surtout que celle du bis-valinate (c.-à-d. le brevet 329).

 

[101]       Roche affirme que l’amélioration concerne non seulement l’antériorité la plus rapprochée (le diester, c.-à-d. le brevet EP 329), mais également les autres esters connus du ganciclovir et le ganciclovir lui-même, dont les biodisponibilités sont comparées directement avec celles du L-valganciclovir dans le brevet (les comparaisons sont effectuées dans les exemples 9 et 10, lesquels sont mentionnés pour la première fois à la page 24 du brevet).

 

[102]       Apotex allègue que l’idée originale décrite par Roche ne peut être étayée, car le brevet 721 n’indique pas que le valganciclovir constitue une amélioration par rapport à l’ester bis-valinate, mais plutôt qu’il s’agit d’une amélioration par rapport au ganciclovir. Apotex soutient également que la personne versée dans l’art ne considérerait pas que les exemples 9 et 10 divulguent l’invention.

 

[103]       De plus, le brevet n’indique pas que le diester L-valinate présentait une quelconque lacune sur le plan de la biodisponibilité en administration orale, et rien dans le brevet n’indique que celui-ci visait à combler une telle lacune.

 

[104]       Selon Apotex, l’invention décrite dans le brevet 721 est le valganciclovir cristallin, ainsi que ses sels, qui a l’avantage d’être un promédicament stable et faiblement toxique du ganciclovir, dont les propriétés pharmacologiques sont telles qu’elles en permettent une meilleure caractérisation et une meilleure transformation pharmaceutique, et dont l’administration par voie orale est associée à une biodisponibilité supérieure à celle du ganciclovir.

 

Témoignage des experts

[105]       Les experts se sont penchés sur la question de savoir si le brevet 721 revendique que l’ester mono-L-valinate de ganciclovir (c.-à-d. le valganciclovir) est meilleur que le diester (brevet EP 329) et que les autres esters du ganciclovir ou s’il revendique que l’ester mono-L-valinate de ganciclovir (valganciclovir) est meilleur que le ganciclovir. Les experts ne sont pas d’accord sur ce qui constitue l’idée originale.

 

[106]       Monsieur Sawchuk a indiqué au paragraphe 66 de son affidavit que la personne versée dans l’art comprendrait que l’invention du brevet 721 est l’ester L-monovalinate de 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxypropane-1,3-diol et ses sels pharmaceutiquement acceptables (c.-à-d. le valganciclovir), et présente les avantages suivants : une meilleure absorption orale que les composés de l’art antérieur, entraînant des concentrations supérieures de ganciclovir dans l’organisme; un faible profil de toxicité; et une meilleure stabilité (ce qui peut englober la stabilité in vivo et la stabilité à des fins de transformation pharmaceutique).

 

[107]       Madame Tsantrizos a indiqué au paragraphe 39 de son affidavit que la personne versée dans l’art comprendrait que le brevet 721 concerne le monoester L-valinate de ganciclovir, un promédicament du ganciclovir présentant les avantages suivants : a) stabilité, b) absorption orale améliorée, c) faible toxicité.

 

[108]       Madame Tsantrizos indique également que le fait d’avoir fabriqué du L-valganciclovir constitue une activité inventive clé du brevet 721. À son avis, bien qu’un chimiste puisse préférer un composé amorphe ou un composé cristallin (selon l’application envisagée), cela ne change rien au fait que c’est le composé lui-même qui constitue la première activité inventive, en l’occurrence le L-valganciclovir.

 

[109]       Monsieur McGuigan résume son opinion ainsi, au paragraphe 31 de son affidavit : [traduction] « L’idée originale/l’activité inventive des revendications du brevet 721 valganciclovir et ses sels et qu’ils peuvent [sic] préparés sous forme de cristaux. » Je constate qu’il manque un verbe.

 

[110]       Monsieur McGuigan présente son opinion sur l’activité inventive de diverses façons.

 

[111]       Au paragraphe 299, il indique ce qui suit : [traduction] « L’idée originale/l’activité inventive de chaque revendication est évidente à la lecture des revendications elles-mêmes : elle concerne les composés revendiqués dans les revendications. De plus, la personne versée dans l’art comprendrait à la lecture du brevet 721 que l’aspect de l’invention qui la distingue de l’art antérieur, et qui constitue donc l’idée originale/l’activité inventive, est la nature cristalline des composés. »

 

[112]       Monsieur McGuigan souligne également que le brevet 721 établit une distinction entre l’invention et les esters préparés dans le cadre du brevet EP 329, en faisant valoir qu’ils étaient de nature non cristalline et, par conséquent, difficiles à utiliser pour la fabrication de formes pharmaceutiques destinées à une administration par voie orale. Il fait également remarquer que le brevet 721 indique que la nature cristalline des composés procure un avantage décisif par rapport aux composés de l’art antérieur, lesquels étaient décrits comme étant non cristallins. Il conclut en indiquant que l’idée originale du brevet 721 est ce qui distingue l’invention de l’art antérieur, c’est-à-dire les composés précisément mentionnés dans les revendications et préparés sous forme cristalline.

 

[113]       Monsieur McGuigan a indiqué qu’un chimiste médicinal ne comprendrait pas que la biodisponibilité améliorée du composé par rapport au ganciclovir faisait partie de l’idée originale, car le brevet 721 n’est pas limité à une administration par voie orale et la biodisponibilité n’est pas pertinente pour de nombreuses voies d’administration.

 

[114]       Je ferais remarquer que j’ai de la difficulté à concilier l’affirmation de M. McGuigan portant que le caractère cristallin du produit facilite l’utilisation du ganciclovir pour préparer des formes pharmaceutiques orales, et qu’il s’agit par conséquent de l’idée originale, avec son opinion selon laquelle la biodisponibilité orale ne fait pas partie de l’activité inventive parce que le brevet n’est pas limité à une administration par voie orale. Si la cristallinité permet d’améliorer les formes pharmaceutiques orales, alors elle ne procurerait un avantage que pour cette voie d’administration et non pour d’autres, comme les voies intraveineuse ou parentérale.

 

[115]       L’objectif était d’améliorer la biodisponibilité du ganciclovir en vue d’une administration par voie orale. Tous les experts s’entendent pour dire qu’il s’agit d’une difficulté dans le cas du ganciclovir et de l’acyclovir.

 

[116]       Monsieur Zhanel résume son opinion au paragraphe 34 de son affidavit où il indique que l’activité inventive concerne le valganciclovir et ses sels pharmaceutiquement acceptables sous forme cristalline.

 

[117]       Monsieur Zhanel indique ce qui suit au paragraphe 177 de son affidavit : [traduction] « Le pharmacologue versé dans l’art considérerait que l’activité inventive/l’idée originale des revendications du brevet 721 est le valganciclovir, de même que ses sels pharmaceutiquement acceptables, qui (contrairement aux composés de l’art antérieur) sont sous forme cristalline. Le pharmacologue versé dans l’art comprendrait que l’idée originale concerne la forme cristalline parce qu’il s’agit de la seule qualité décrite dans le brevet 721 dont on dit qu’elle confère un "avantage décisif" par rapport aux composés de l’art antérieur. »

 

[118]       Il indique également que la biodisponibilité accrue ne constitue pas un aspect de l’idée originale, car les revendications ne se limitent pas à une formulation destinée à une administration par voie orale et la biodisponibilité du composé n’est meilleure que lorsque celui-ci est administré par voie orale.

 

[119]       Messieurs Boeckman, Steed et Moreton partagent tous le point de vue selon lequel l’avantage est la cristallinité, pour des raisons semblables à celles données par MM. McGuigan et Zhanel.

 

[120]       Monsieur Moreton a souligné, en commentant l’affidavit de M. Sawchuk, que le brevet n’indique pas que l’idée originale est [traduction] « une meilleure absorption par voie orale et une plus grande concentration de ganciclovir dans l’organisme par rapport à l’art antérieur » (paragraphe 111). Il avance que l’idée originale ne concerne pas la biodisponibilité et ajoute que, si la biodisponibilité était l’idée originale, il serait clair qu’il s’agirait d’une amélioration par rapport à la biodisponibilité du ganciclovir et non par rapport à celle des composés de l’art antérieur.

 

[121]       Il a exprimé l’opinion selon laquelle il ne faudrait pas considérer que les exemples 9 et 10 divulguent l’avantage par rapport aux composés de l’art antérieur, et selon laquelle un formulateur s’attendrait à ce que l’idée originale soit clairement énoncée, c’est-à-dire à ce qu’il ne faille pas recourir à un raisonnement déductif pour déterminer quelle est l’idée originale (paragraphe 112).

 

[122]       Je ferais remarquer que j’ai une fois de plus de la difficulté à concilier l’opinion selon laquelle la biodisponibilité orale ne fait pas partie de l’idée originale, parce que l’administration par voie orale ne constitue pas le seul mode d’administration, avec les connaissances générales courantes, selon lesquelles il était nécessaire d’améliorer la biodisponibilité du ganciclovir en administration orale. De plus, la nécessité d’améliorer la biodisponibilité du ganciclovir était le facteur qui avait motivé la plupart des travaux antérieurs, y compris ceux considérés par les experts d’Apotex comme les plus prometteurs, notamment ceux sur l’acyclovir. Bien que M. Moreton ait indiqué que, à son avis, l’idée originale était la cristallinité, il a précisé que si l’idée originale était la biodisponibilité, ce serait par rapport au ganciclovir.

 

Idée originale

[123]       Après avoir passé en revue le brevet et les opinions exprimées par les experts, j’estime que le brevet 721 n’affirme pas que l’intention est une amélioration par rapport au diester (brevet EP 329) et à d’autres composés de l’art antérieur, mais seulement par rapport au ganciclovir.

 

[124]       Le brevet n’affirme pas que l’invention constitue une amélioration par rapport au diester (brevet EP 329) et à d’autres composés de l’art intérieur, mais seulement qu’il s’agit d’une amélioration par rapport au ganciclovir. Il n’y a aucune mention expresse d’une amélioration de la biodisponibilité par rapport au brevet 329. Les problèmes que l’on cherchait à résoudre avec l’invention concernaient essentiellement la biodisponibilité orale du ganciclovir. La divulgation n’indique aucun problème lié au brevet EP 329 donnant à penser qu’une amélioration serait nécessaire et que la présente invention représenterait cette amélioration.

 

[125]       La seule mention d’une amélioration par rapport au brevet EP 329 et à l’art antérieur, y compris par rapport au ganciclovir, se trouve dans les exemples 9 et 10. Cependant, bien que l’on présente également dans ces exemples les résultats d’analyses menées avec d’autres esters, la comparaison concerne essentiellement le ganciclovir.

 

[126]       Ce n’est que par une interprétation très créative qu’une personne dans l’art comprendrait que l’invention de l’ester mono-L-valinate de ganciclovir (c.-à-d. le valganciclovir) représente une amélioration par rapport au diester (brevet EP 329), par rapport au ganciclovir et rapport à d’autres esters.

 

[127]       Le brevet mentionne l’art antérieur, notamment le brevet EP 329, reconnu comme étant l’antériorité la plus rapprochée et dans lequel on indique que le produit présente une biodisponibilité [traduction] « avantageuse ». Dans le brevet 721, on indique que la biodisponibilité du produit est [traduction] « améliorée ». Il n’y a aucune mention de ce par rapport à quoi le produit du brevet 721 est meilleur. Roche a fait valoir que la personne versée dans l’art pourrait déduire que le brevet 721 constitue une amélioration par rapport aux caractéristiques « avantageuses » mentionnées dans le brevet EP 329 et que les exemples, de même que les déductions pouvant être faites à partir des données, appuient une telle interprétation. Cependant, il ne s’agit pas d’une amélioration énoncée clairement, et tous les exemples font état d’une comparaison par rapport au ganciclovir.

 

Ce n’est pas la cristallinité

[128]       Je ne partage pas l’avis selon lequel l’idée originale est le composé sous forme cristalline. Les experts d’Apotex ont émis cette opinion, mais je ne puis conclure, compte tenu du témoignage des experts et de la façon dont ils ont décrit l’avantage associé à la cristallinité, que le produit cristallin peut exister et peut présenter les principaux avantages du composé sans d’abord avoir été fabriqué.

 

[129]       Bien que la cristallinité soit décrite plus clairement comme un avantage, et bien qu’elle pallie une lacune mise en évidence dans l’art antérieur pour une administration par voie orale, il faudrait l’interpréter comme un avantage additionnel plutôt que comme un avantage unique ou indépendant. La cristallinité n’est pas l’idée originale : il s’agit d’une façon de réaliser l’invention.

 

[130]       Le brevet décrit comment faire l’ester mono-L-valinate, présente diverses étapes et décrit d’autres méthodes de préparation. Le brevet indique ensuite comment préparer l’invention sous forme cristalline, dans une section distincte et après un certain nombre de pages décrivant les étapes nécessaires à la fabrication du mono-L-valinate et décrivant d’autres méthodes. Les sections précédentes de la divulgation portent sur l’invention, amorphe ou non.

 

[131]        Apotex fait valoir que Mme Tsantrizos avait convenu lors de son contre-interrogatoire que le brevet ne décrit pas le valganciclovir amorphe. Il ne s’agit pas là d’une représentation fidèle de son témoignage. Madame Tsantrizos avait indiqué qu’il n’était pas nécessaire de décrire le valganciclovir amorphe. À son avis, le brevet visait les deux formes, et l’activité inventive était le composé qui pouvait alors être préparé sous forme cristalline.

 

[132]       En conséquence, j’en conclus que l’idée originale du brevet 721 est l’invention du valganciclovir, un promédicament stable présentant une faible toxicité et une meilleure biodisponibilité en administration orale que le ganciclovir.

 

S’AGIT-IL D’UN BREVET DE SÉLECTION?

[133]       Pour reprendre l’expression employée par la juge Layden-Stevenson dans Eli Lilly Canada c Novapharm, 2010 CAF 197, [2010] ACF 951, la Cour, appelée à se prononcer sur les allégations formulées à l’encontre d’un brevet doit (par. 28), « connaître la nature du brevet ». En l’espèce, la société Roche demanderesse a fait valoir que le brevet 721 pourrait être un brevet de sélection.

 

[134]       Bien qu’il ne me soit pas en l’espèce nécessaire de dire si le brevet 721 est ou non un brevet de sélection, étant donné que son utilité n’est pas contestée, je tiendrai compte dans mon analyse, notamment en ce qui concerne l’antériorité et l’évidence, de la possibilité qu’il puisse s’agir d’un brevet de sélection.

 

[135]       Les affirmations de la demanderesse et de la défenderesse ainsi que le libellé des revendications mêmes ne permettent pas de déterminer s’il s’agit d’un brevet de sélection. Pendant sa plaidoirie, la société Roche demanderesse a d’abord avancé que le brevet 721 était probablement ou vraisemblablement un brevet de sélection, pour ensuite affirmer qu’il s’agissait clairement d’un brevet de sélection. Roche a fait valoir que le brevet EP 329 divulguait une classe qui englobait le valganciclovir (c.-à-d. qu’il divulguait à la fois le monoester et le diester) et que le produit visé par le brevet 721 opérait une sélection au sein de cette classe.

 

[136]       Roche a indiqué dans ses observations écrites que le brevet EP 329 présente une importante classe de composés qui englobe des monoesters et des diesters d’acide aminé de différents nucléosides ainsi que leurs dérivés, et qu’elle comprendrait au moins 500 000 composés. Roche maintient que le brevet EP 329 ne divulgue expressément que des diesters et non des monoesters, [traduction] « bien que ceux-ci soient compris dans la classe divulguée ». De plus, Roche a renvoyé à l’arrêt Apotex c Sanofi-Synthelabo, 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265 [Sanofi], de la Cour suprême du Canada concernant les exigences en matière de divulgation qui s’appliquent aux brevets de sélection.

 

[137]       La société Apotex défenderesse a mentionné divers brevets de genre et de sélection dans son avis d’allégation pour établir les critères de l’antériorité, et a laissé entendre que le brevet 721 pouvait être caractérisé ainsi. Selon Apotex, la demanderesse cherche à caractériser rétroactivement le brevet 721 comme un brevet de sélection, ce qu’il n’est pas, du moins en ce qui concerne la biodisponibilité orale. Apotex maintient que le brevet 721 ne définit pas clairement l’avantage sur le plan de la biodisponibilité que Roche présente comme étant la base de la sélection, et qu’il n’indique pas qu’un nombre important d’autres esters du ganciclovir ne présenteraient pas aussi une biodisponibilité orale comparable à celle du valganciclovir.

 

[138]       Selon Apotex, le brevet 721 ne satisfait pas aux critères d’un brevet de sélection, car il ne divulguait pas les avantages particuliers du composé choisi.

 

[139]       De plus, Apotex allègue que, peu importe que le brevet 721 soit ou non un brevet de sélection, les avantages revendiqués découlent d’une comparaison avec le ganciclovir et non avec le brevet EP 329. Aucun avantage ni aucune amélioration autre que la cristallinité n’a été divulgué par rapport au brevet EP 329.

 

[140]       Un brevet de sélection est comme tout brevet; les mêmes principes s’appliquent. Cela dit, ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, l’analyse de la question de l’antériorité et de l’évidence tiendra compte de la possibilité qu’il puisse s’agir d’un brevet de sélection.

 

[141]       La société Roche demanderesse entendait établir une analogie entre le brevet 721 et le brevet en cause dans l’arrêt Sanofi, mais de telles analogies ne se justifient peut-être pas.

 

[142]       Je me suis donc demandé si le brevet 721 est une sélection issue du brevet EP 329.

 

Jurisprudence / Principes applicables aux brevets de sélection

[143]       La Cour suprême du Canada a, dans l’arrêt Sanofi, eu l’occasion de se pencher sur la question des brevets de sélection, et les principes dégagés dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs affaires récentes.

 

[144]       Dans l’arrêt Sanofi, le juge Rothstein a repris les conditions auxquelles doit répondre un brevet de sélection, conditions exposées par le juge Maugham dans l’arrêt In re I G Farbenindustrie AG’s Patents (1930), 47 RPC 289 (Ch. D.) [Farbenindustrie], qui constituaient, à son avis, un utile point de départ de l’analyse.

1.         L’utilisation des éléments sélectionnés permet d’obtenir un avantage important ou d’éviter un inconvénient important.

 

2.         Tous les éléments sélectionnés (« à quelques exceptions près ») présentent cet avantage.

 

3.         La sélection vise une qualité particulière propre aux composés en cause. Une recherche plus poussée révélant qu’un petit nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage ne permettrait pas d’invalider le brevet de sélection. Toutefois, si la recherche démontrait qu’un grand nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage, la qualité du composé revendiqué dans le brevet de sélection ne serait pas particulière.

 

[145]       Dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Limited, 2010 CAF 197, [2010] ACF 951, la juge Layden-Stevenson a estimé que le fait qu’un brevet ne réponde pas aux conditions applicables aux brevets de sélection ne constitue pas un motif distinct de contestation de la validité d’un brevet, mais guide l’analyse des autres motifs d’invalidité :

[27]      À mon avis, la contestation d’une conclusion suivant laquelle les conditions de validité d’un brevet de sélection n’ont pas été remplies ne constitue pas un motif distinct de contestation de la validité d’un brevet. Les conditions de validité d’un brevet de sélection servent plutôt à définir le brevet et, par conséquent, à guider l’analyse des motifs de validité prévus dans la Loi – nouveauté, évidence, suffisance et utilité. Bref, un brevet de sélection peut être contesté pour les motifs prévus dans la Loi. J’en arrive à cette conclusion pour diverses raisons.

 

[28]      Tel qu’il a été souligné dans Sanofi, les conditions énoncées dans I.G. Farbenindustrie décrivent les brevets de sélection (paragraphe 9). En d’autres termes, les conditions s’apparentent à une définition. Le juge Rothstein a conclu que l’arrêt I.G. Farbenindustrie offrait un bon point de départ pour l’analyse requise (paragraphe 11). Il va de soi qu’avant d’entreprendre une analyse des critères de la nouveauté, de l’évidence, de la suffisance et de l’utilité, il faudrait connaître la nature du brevet que l’on doit examiner.

 

[146]       Au paragraphe 33, la juge Layden-Stevenson rappelle ce qui suit : « Un brevet de sélection n’est pas différent de tout autre brevet. Sa validité peut être contestée suivant les motifs prévus par la Loi. »

 

[147]       Bien qu’en l’espèce, l’utilité du brevet ne soit pas contestée, les principes retenus par la juge Layden-Stevenson sur ce point sont utiles lorsqu’il s’agit de dire si le brevet 721 est un brevet de sélection :

[78]      Dans le cas des brevets de sélection, le caractère inventif réside dans la fabrication du composé sélectionné, en combinaison avec l’avantage ou les avantages qu’il procure par rapport au brevet de genre. Le brevet de sélection doit offrir plus que le brevet de genre, en ce sens qu’il doit procurer un avantage ou éviter un désavantage. Le mémoire descriptif doit définir clairement l’avantage ou la nature de la caractéristique que possède le composé sélectionné (Sanofi, paragraphe 114). En d’autres termes, le brevet de sélection doit promettre un avantage, si bien que, si tel n’est pas le cas, le titulaire du brevet ne sera pas en mesure d’invoquer l’avantage à l’appui de la validité du brevet.

 

[79]      Par ailleurs, il n’y a aucune exigence quant au nombre d’avantages requis. Un seul avantage peut être suffisant, ou un nombre quelconque d’avantages apparemment moins importants (lorsqu’on les considère individuellement) peut être suffisant si on les considère cumulativement, pourvu que, dans l’un et l’autre des cas, l’avantage soit substantiel. Il est également important de comprendre qu’il existe une distinction entre l’avantage promis et les données sur lesquelles il est fondé. Par exemple, dans Ranbaxy, la divulgation comportait des données laissant prévoir une activité dix fois supérieure pour le composé sélectionné dans un essai particulier. Même si le juge de première instance dans cette affaire a conclu que les données constituaient une promesse d’activité dix fois supérieure, notre Cour s’est dite en désaccord et elle a statué que la personne versée dans l’art ne considérerait pas ces données comme une promesse, mais plutôt comme un élément étayant une promesse d’accroissement de l’activité en général (paragraphes 52 à 55).

 

[80]      La promesse du brevet doit être définie. Tout comme dans le cas des revendications, l’interprétation de la promesse du brevet est une question de droit. De façon générale, il s’agit d’une analyse qui exige l’aide de témoins experts : Apotex Inc. c. Bristol‑Myers Squibb Co., 2007 CAF 379, au paragraphe 27. Il en va ainsi parce que la promesse doit être bien définie, dans le contexte du brevet dans son ensemble, du point de vue de la personne versée dans l’art, par rapport à l’état d’avancement de la science et aux données disponibles au moment du dépôt du brevet.

 

[148]       La juge Layden-Stevenson s’est également penchée sur la question de savoir comment, en ce qui concerne un brevet de sélection, devraient être analysées les questions de l’antériorité et de l’évidence compte tenu des principes dégagés dans l’arrêt Sanofi. Ces principes seront examinés plus loin dans le contexte des allégations d’antériorité et d’évidence.

 

[149]       La question de savoir si un brevet doit être considéré comme un brevet d’origine, correspondant à quelque chose de nouveau, ou comme un brevet de sélection a été examinée dans l’arrêt Lundbeck c Canada, 2010 CAF 320, [2010] ACF 1504 [Lundbeck]. Dans cette affaire, les revendications du brevet concernaient un composé, en l’occurrence l’escitalopram, sélectionné parmi les membres du citalopram, composé breveté. Le juge de première instance a estimé qu’il ne s’agissait pas d’un brevet de sélection, mais d’un brevet ordinaire portant sur un composé original, l’utilité de l’escitalopram n’était pas censée être supérieure à celle du citalopram et ne procurait aucun avantage spécial.

 

[150]       Après avoir fait référence aux principes dégagés dans les arrêts Sanofi et Farbenindustrie, la Cour d’appel a fait les observations suivantes au paragraphe 61 de son arrêt :

[61]      Il appert de ce qui précède qu’un brevet de sélection doit être précédé d’un brevet antérieur – appelé brevet de genre ou brevet d’origine – qui, selon les remarques que le juge Maugham a formulées dans la décision Farbenindustrie, décrit en termes généraux et revendique des composés à partir desquels une sélection est faite. Le fait que la sélection soit effectuée à partir de composés qui sont décrits en termes généraux et revendiqués dans un brevet antérieur ne signifie pas nécessairement que le composé sélectionné est antériorisé (Sanofi, paragraphe 19). Tant et aussi longtemps que le composé sélectionné est nouveau – c’est-à-dire qu’il n’a pas été réalisé auparavant – et qu’il présente un avantage spécial qui lui est propre et qui n’était pas précédemment connu, l’obtention d’un brevet demeure possible (Sanofi, paragraphes 10 et 31). Cependant, aucune conclusion définitive ne peut être tirée en l’absence d’une analyse complète (Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, paragraphes 27 à 33 [Eli Lilly]). À cet égard, il convient de répéter que le brevet de sélection ne diffère pas en soi de tout autre brevet (Sanofi, paragraphe 9).

 

[151]       La Cour précise ensuite qu’il faut d’abord se demander si le brevet de genre décrit en termes généraux et revendique des composés à partir desquels l’escitalopram a été sélectionné. Cette analyse doit être effectuée du point de vue de la personne versée dans l’art, conformément à la manière dont une telle personne aurait interprété les revendications à l’époque. Au paragraphe 69, la Cour précise ce qui suit :

Par définition, un brevet de sélection porte sur un composé faisant partie de ceux qui ont été revendiqués et décrits en termes généraux dans un brevet antérieur. Le juge de première instance a plutôt conclu que l’escitalopram n’était pas visé par cette description, parce qu’il ne figurait pas parmi les composés précédemment décrits et revendiqués.

 

[152]       Bien que le brevet ait revendiqué un résultat surprenant, la Cour a estimé que la surprise doit être liée à un avantage que présente le nouveau composé par rapport à un composé précédemment breveté. L’inventeur ne peut se contenter de revendiquer un résultat surprenant et qualifier son invention de brevet de sélection. Dans l’affaire Lundbeck, le brevet n’affirmait ni ne promettait que l’escitalopram était supérieur au citalopram. La Cour d’appel, reconnaissant que le brevet ne revendiquait expressément aucun avantage spécial, a estimé qu’il s’agissait donc d’un brevet ordinaire portant sur un composé original et que sa validité devait être évaluée en conséquence.

 

[153]       Dans le jugement Pfizer c Pharmascience, 2013 CF 120, [2013] ACF 111, le juge Hughes a récemment eu l’occasion de résumer la jurisprudence sur les revendications pharmaceutiques et, en ce qui concerne la question de l’utilité et de la divulgation, s’est exprimé en ces termes aux paragraphes 103 et 104 :

[103]    La loi indique clairement que lorsque l’invention concerne un nouveau composé, tel qu’une substance pharmaceutique, le mémoire descriptif doit en préciser l’utilité pour être conforme à la définition du mot « invention » prévue à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Cela ne signifie pas toutefois que l’utilité doit être nécessairement incluse dans la revendication : celle-ci peut porter simplement sur le composé lui-même. Toutefois, si l’invention consiste en une nouvelle utilisation d’un composé connu, celle-ci doit être mentionnée dans la revendication (Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, [2001] 1 CF 495 (CAF), au paragraphe 81; conf. par [2002] 4 RCS 153).

 

[104]    Lorsque l’invention repose sur le choix, parmi un groupe de composés connus, de certains d’entre eux parce qu’ils sont d’une utilité exceptionnelle aux fins de l’objectif établi, la revendication doit explicitement s’y rapporter, et tous les composés en question doivent présenter ces caractéristiques exceptionnelles (Re I.G. Farbenindustrie, ci-après).

 

[154]       Le juge Hughes a par ailleurs précisé que les trois conditions auxquelles, selon l’arrêt Farbenindustrie (aux pages 322 à 323), le brevet de sélection doit répondre, conditions reprises par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi, traduisent l’actuelle doctrine canadienne en matière de brevets de sélection.

 

[155]       Selon la jurisprudence, un brevet de sélection doit, pour être valide, présenter un avantage substantiel et le breveté doit « définir clairement la nature de la caractéristique du composé sélectionné pour lequel le breveté revendique un monopole » (Farbenindustrie, à la page 323).

 

[156]       Dansle jugement GlaxoSmithKline Inc c Pharmascience, 2008 CF 593, [2008] ACF 742, le juge Barnes était appelé à dire si le brevet du valacyclovir (brevet canadien 083) était un brevet de sélection valide tiré du brevet de genre 493. Le fabricant de produits génériques alléguait l’invalidité du brevet, invoquant pour cela plusieurs motifs, dont le fait que le brevet ne renfermait ni ne divulguait de sélection valide du brevet de genre. (Notons que le valacyclovir constitue également un traitement contre les infections à herpèsvirus et nous aurons, plus loin, l’occasion de revenir sur le valacyclovir.)

 

[157]       Le juge Barnes a estimé que le brevet n’était ni antériorisé ni évident, concluant en revanche qu’il devait être rejeté pour absence d’utilité.

 

[158]       Bien que l’absence d’utilité n’ait pas été alléguée en l’espèce, et bien qu’une allégation d’invalidité relative à un brevet de sélection ne constitue pas un motif de contestation indépendant, les propos du juge Barnes sont instructifs compte tenu des similitudes avec la présente affaire :

66        Dans un brevet de sélection pharmaceutique, l’invention consiste en la découverte d’un avantage surprenant ou inattendu d’un composé par rapport au genre duquel il fait partie. L’utilité d’une telle sélection ne réside pas dans le fait que le composé peut traiter une certaine affection chez l’humain, mais plutôt dans le fait que son efficacité est étonnamment meilleure que celle des composés monopolisés par le genre visé par le brevet. Voilà la promesse inventive qui est faite et la promesse inventive qui doit être établie.

 

67        Dans le cas présent, le brevet 493 de GSK revendiquait un monopole sur plusieurs milliers d’esters de l’acyclovir pour le traitement d’infections virales précises. En d’autres termes, GSK a tenté de viser des milliers d’esters de l’acyclovir, y compris le valacyclovir, en tant que promédicaments efficaces et utiles. Pour revendiquer un monopole supplémentaire par rapport au valacyclovir, GSK devait établir que le valacyclovir présentait une utilité surprenante et inattendue par rapport aux composés du genre visé par le brevet 493. Il ne suffit pas que GSK établisse que le valacyclovir est utile en tant que promédicament parce qu’il est plus efficace que l’acyclovir. Cette revendication avait déjà été exposée dans le brevet 493

 

68        Dans ce cas-ci, GSK a simplement choisi un composé potentiellement prometteur parmi les nombreux composés revendiqués par le brevet 493 et en a comparé la biodisponibilité orale chez le rat à celle de deux autres esters de l’acyclovir déjà donnés en exemple dans le brevet 493. À partir de cette analyse, GSK a obtenu des données qui, au mieux, permettaient de classer de façon qualitative les composés à l’étude en vue d’une utilisation chez l’humain et qui indiquaient que le valacyclovir était supérieur aux deux autres composés. Aucune preuve ne permet d’établir ou de corroborer une prédiction voulant que le valacyclovir présente une meilleure biodisponibilité orale que les autres composés du genre visé par le brevet 493. Selon GSK, cela était suffisant pour étayer une sélection inventive. Comme je l’ai mentionné précédemment, je ne suis pas d’accord.

 

69        J’en conclus donc que le brevet 083 est invalide, car GSK n’a pas su établir qu’il y avait sélection inventive en ne réussissant pas à prouver que le valacyclovir présente un avantage ou une utilité spéciale par rapport au genre de composé duquel il fait partie. Par conséquent, le brevet 083 échoue en raison d’un manque d’utilité.

 

Application au brevet 721

[159]       Compte tenu de ce qui précède, peut-on dire que le brevet 721 est effectivement un brevet de sélection, c’est-à-dire qu’il constitue une sélection tirée de la classe de composés sur lesquels porte le brevet EP 329? Quels sont les avantages particuliers qu’il possède et revendique par rapport au brevet EP 329? Ainsi que nous l’avons vu dans l’arrêt Lundbeck, il ne suffit pas de revendiquer un résultat surprenant.

 

[160]       Les considérations à prendre en compte afin de décider si le brevet 721 est un brevet de sélection tiré du brevet EP 329 tiennent à la divulgation de la promesse du brevet et à l’exposé de l’idée originale qu’il renferme. Comme nous l’avons vu plus haut, la demanderesse et la défenderesse sont en désaccord quant à l’idée originale.

 

[161]       Les revendications du brevet ne font état d’aucun avantage particulier (cela n’étant pas nécessaire) et ne le présentent pas en tant que brevet de sélection.

 

[162]       Le mémoire descriptif du brevet doit être examiné avec attention afin de déterminer en quoi consiste l’invention, quels en sont les avantages et s’il s’agit d’une sélection ou d’un dérivé tiré d’une classe de composés.

 

[163]       On peut lire ce qui suit au premier paragraphe du mémoire descriptif du brevet 721 : [traduction] « La présente invention concerne un nouveau médicament antiviral, plus particulièrement un ester d’un acide aminé et d’un dérivé de purine, et encore plus particulièrement un ester formé entre le ganciclovir et la L-valine, de même que ses sels pharmaceutiquement acceptables. […] Plus particulièrement, l’invention concerne l’ester L-monovalinate dérivé du 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxypropane-1,3-diol et ses sels pharmaceutiquement acceptables. »

 

[164]       Les inventeurs revendiquent donc l’invention d’un composé nouveau, dérivé à partir du composé formé par « l’ester L-monovalinate dérivé du 2-(2-amino-1,6-dihydro-6-oxo-purin-9-yl)méthoxypropane-1,3-diol et ses sels pharmaceutiquement acceptables », c’est-à-dire le ganciclovir.

 

[165]       Dans l’arrêt Lundbeck, le juge de première instance a rejeté, au paragraphe 73, l’argument de la société Genpharm selon lequel le brevet 452 constitue un brevet de sélection malgré le fait qu’il ait été formulé ainsi :

À cet égard, Genpharm souligne le texte suivant qui figure sous la rubrique « Summary of invention » (résumé de l’invention) : [traduction] « […] il a été démontré à notre surprise que la quasi-totalité [de l’activité] résidait dans [l’escitalopram] ». Le juge de première instance a qualifié ces mots d’« exagération », après avoir souligné qu’il n’y avait aucune promesse que l’escitalopram était meilleur que le citalopram (Motifs, paragraphe 59).

 

[166]       Comme je l’ai indiqué ci-dessus, la Cour d’appel a souligné le fait que la surprise doit concerner un avantage par rapport à un composé précédemment breveté. Dans cette affaire, il n’y avait aucun avantage particulier qui avait été expressément revendiqué dans le brevet.

 

[167]       En l’espèce, Roche a affirmé tout au long de la présente instance que le brevet 721 démontre des avantages particuliers par rapport au diester. Comme je l’ai indiqué précédemment, j’en suis arrivée à la conclusion que l’idée originale était le valganciclovir, un promédicament stable présentant une faible toxicité et une meilleure biodisponibilité que le ganciclovir. Contrairement à la thèse de Roche, les inventeurs du brevet 721 n’affirment pas de façon explicite que le monoester de ganciclovir constitue une amélioration par rapport au diester de ganciclovir (c.-à-d. le brevet EP 329). Roche se fonde sur une interprétation du brevet qui demande que l’on effectue une extrapolation à partir des exemples 9 et 10 pour décrire les améliorations de l’invention par rapport au brevet EP 329 dit de genre, c’est-à-dire que le monoester de ganciclovir constitue une amélioration par rapport au diester, par rapport au ganciclovir et par rapport à d’autres esters. Bien que des résultats s’appliquant à d’autres esters, comme le brevet EP 329, soient présentés dans les exemples, les comparaisons sont effectuées par rapport au ganciclovir.

 

[168]       Les inventeurs du brevet 721 affirment que la présente invention constitue une amélioration. Cependant, cette amélioration est plus clairement décrite par rapport au composé parent, le ganciclovir, et non par rapport au brevet EP 329, qui décrit le diester.

 

[169]       Selon le brevet 721, l’invention se rapporte non pas à des avantages particuliers d’un composé sélectionné à partir d’une classe antérieure, mais plutôt à une formulation d’un nouveau promédicament qui constitue une amélioration par rapport au ganciclovir inventé antérieurement (le brevet américain 4,355,032, décrit à la page 1 du brevet 721). Après avoir décrit le ganciclovir du brevet 032, tout en mentionnant les problèmes associés à ce médicament, les inventeurs concluent, à la ligne 6 de la page 2 du brevet, qu’il était hautement désirable d’améliorer le profil d’absorption orale du ganciclovir. Aucun problème n’a été mentionné en ce qui concerne le brevet EP 329 que le brevet 721 (le brevet dit de sélection) chercherait à surmonter et à résoudre.

 

[170]       Pendant sa plaidoirie, Roche a affirmé que l’antériorité la plus rapprochée de ce qui constituerait un brevet de « genre » serait en l’espèce le brevet EP 329. Le brevet 721 indique que la demande de brevet EP 329 divulgue [traduction] « des promédicaments de la formule suivante… », ainsi que « des esters d’acide aminé des composés de la formule… » dans son mémoire descriptif (pages 3 et 4 du brevet). Les inventeurs donnent ensuite des exemples des acides aminés préférentiels et précisent ce qui suit : [traduction] « Les esters d’acide aminé comprennent à la fois des monoesters et des diesters. Cependant, la présente demande de brevet, de même que la demande de brevet européen no 375,329 et le brevet américain no 5,043,339, ne divulguent pas la préparation de monoesters, et divulguent encore moins des données laissant croire que de tels composés seraient utiles. » Roche souligne que la préparation des monoacides aminés n’était pas divulguée dans le brevet EP 329 et que les avantages étaient inconnus.

 

[171]       Dans le cas qui nous occupe, le brevet 721 n’indique pas que le brevet EP 329 divulgue une classe de composés à partir desquels le composé du brevet 721 a été sélectionné. Il semble plutôt que les inventeurs du brevet 721 revendiquent qu’il s’agit d’une amélioration par rapport au composé parent, le ganciclovir. Le brevet EP 329 constituait lui aussi une amélioration par rapport au composé parent, le ganciclovir.

 

[172]       Les inventeurs du brevet 721 indiquent dans le mémoire descriptif du brevet que le principal médicament était le ganciclovir; cependant, il était nécessaire de mettre au point une forme pharmaceutique orale présentant une meilleure biodisponibilité en raison de la biodisponibilité limitée du ganciclovir en administration orale.

 

[173]       Les inventeurs du brevet 721 ne revendiquent pas une sélection tirée d’un groupe connu de composés, mais revendiquent plutôt la création d’un nouveau composé qui constitue une amélioration par rapport au composé existant, à savoir le ganciclovir. Les avantages particuliers exposés par Roche lors de sa plaidoirie ne sont pas les avantages particuliers qui sont revendiqués dans le brevet 721.

 

[174]       Bien que les avantages particuliers du brevet 721 puissent dans les faits être importants, les avantages de cette invention par rapport au brevet EP 329, dit de genre, ne sont pas suffisamment décrits pour qu’il soit possible d’affirmer que le brevet 721 est un brevet de sélection. La biodisponibilité améliorée par rapport au ganciclovir et au brevet EP 329 n’est quantifiée que dans les exemples 9 et 10. Bien que les données ne fassent qu’appuyer la promesse du brevet et qu’elles ne constituent pas la promesse du brevet (voir Eli Lilly, précité, au paragraphe 147), la biodisponibilité améliorée, la stabilité et la toxicité ne sont pas décrites comme des avantages importants par rapport au brevet EP 329.

 

[175]       Je ferais remarquer une fois de plus que l’exactitude des données présentées dans les exemples 9 et 10 était contestée, et que les éléments de preuve présentés dans la déclaration fournie conformément aux directives du lord Malcolm indiquaient que les résultats étaient exagérés et fournissaient une justification pour expliquer cette exagération. La biodisponibilité était effectivement améliorée par rapport au ganciclovir et aux autres esters, mais l’ampleur de la biodisponibilité est contestée.

 

[176]       À mon avis, si le brevet 721 devait être un brevet de sélection, ce serait plus vraisemblablement par rapport au brevet américain 032, portant sur le ganciclovir, dans lequel on avait mentionné des problèmes sur le plan de la biodisponibilité que les brevets EP 329 et 721 cherchaient à résoudre. Les revendications du brevet 721 portent sur le composé dérivé à partir du ganciclovir.

 

[177]       J’en conclus que le brevet 721 est un brevet ordinaire, c’est-à-dire qu’il concerne un composé nouveau.

 

[178]       Cependant, si j’ai tort et que le brevet 721 est effectivement un brevet de sélection par rapport au brevet EP 329, je parviendrais au même résultat pour ce qui concerne l’antériorité et l’évidence, comme je l’explique ci-dessous.

 

Antériorité

[179]       Selon le premier motif d’invalidité allégué par Apotex, le brevet 721 est antériorisé par le brevet EP 329.

 

[180]       Bien que la demanderesse et la défenderesse conviennent toutes deux qu’en matière d’antériorité, le critère applicable est celui que la Cour suprême du Canada a bien détaillé dans l’arrêt Sanofi – il s’agit d’une démarche à deux volets qui porte sur la divulgation et le caractère réalisable ‑, elles proposent une application différente de ce critère et sont en désaccord sur la question de savoir dans quelle mesure le premier volet du critère, celui de la divulgation, a évolué.

 

[181]       La société Roche demanderesse convient que pour que l’on puisse invoquer une antériorité à l’encontre d’une revendication contenue dans un brevet, celle-ci doit divulguer et permettre la réalisation de l’objet même de l’invention revendiquée.

 

[182]       Selon Roche, on entend par divulgation antérieure le fait que l’antériorité doit divulguer un objet dont la réalisation entraînerait nécessairement la contrefaçon du brevet. En d’autres termes, l’antériorité doit décrire un résultat qui découle inévitablement des revendications. Si d’autres résultats ne découlant pas des revendications peuvent se produire, il n’y a pas antériorité. Selon Roche, la divulgation doit, de manière spécifique et non équivoque, divulguer chaque élément de l’invention revendiquée. En d’autres termes, s’il existait d’autres possibilités n’emportant aucune contrefaçon du brevet, on ne saurait, selon Roche, dire que l’invention a été divulguée.

 

[183]       Roche fait valoir que le brevet 721 était vraisemblablement une sélection tirée du brevet EP 329, invoquant à cet égard un passage du paragraphe 31 de l’arrêt Sanofi qui concerne l’analyse à laquelle il convient de soumettre une allégation d’antériorité :

Le composé réalisé pour les besoins du brevet de sélection n’a été que valablement prédit lors de l’obtention du brevet de genre. Il n’avait pas été réalisé et ses avantages particuliers n’étaient pas connus. C’est pourquoi on ne saurait refuser un brevet à celui qui, le premier, réalise le composé et découvre ses avantages particuliers.

 

[184]       Roche souligne que personne ne conteste que l’estermono-L-valinate n’est pas tiré du brevet EP 329. Le composé sur lequel porte le brevet 721 est différent de celui sur lequel porte le brevet EP 329 étant donné que le brevet 721 ne revendique que l’estermono-L-valinate.

 

[185]       Roche affirme que quelqu’un pourrait réaliser les enseignements du brevet EP 329 sans contrefaire le brevet 721. Selon M. Sawchuk, expert pour le compte de Roche, plusieurs millions de composés sont divulgués par le brevet. Lors de son contre-interrogatoire, M. Boeckman, expert pour le compte d’Apotex, a précisé qu’environ 500 000 d’entre eux ne seraient pas du valganciclovir.

 

[186]       Roche fait valoir que rien, dans le brevet EP 329, ne permet de conclure que le brevet 721 présente des avantages particuliers et que ce dernier n’a donc pas été antériorisé et il n’y a pas lieu d’aborder la question du caractère réalisable. Rappelons que, selon Roche, la biodisponibilité du composé que vise le brevet 721 est supérieure à celle du ganciclovir, des composés revendiqués dans le brevet EP 329 et d’autres esters, et elle fait par conséquent valoir que le brevet EP 329 ne constitue pas une antériorité, étant donné qu’il ne divulgue pas, de manière précise, le monoester et qu’il ne le réalise pas et qu’il ne décrit pas la biodisponibilité orale du valganciclovir par rapport à d’autres esters.

 

[187]       Apotex reconnaît qu’avant l’arrêt Sanofi, le droit applicable imposait un critère très strict et exigeait que la divulgation offre une description exacte. Selon l’ancien critère, si la pièce d’art antérieur ou les divulgations contenues dans le brevet de genre permettaient d’aboutir à un résultat autre que l’invention, il n’y avait pas antériorité.

 

[188]       Apotex prétend qu’en l’espèce la personne versée dans l’art serait, avec les connaissances générales habituelles, en mesure de prendre connaissance de la divulgation et de la mettre en œuvre au moyen d’expériences qui sont courantes, et d’aboutir facilement au valganciclovir et à ses sels chlorhydrates.

 

[189]       Selon Apotex, le critère à deux volets dégagé dans l’arrêt Sanofi est désormais moins exigeant en ce qui concerne la divulgation. La référence à l’antériorité n’a plus à être une description exacte. Si l’invention qui est divulguée peut être réalisée et que sa réalisation entraîne la contrefaçon du brevet, il y a antériorité.

 

[190]       Selon Apotex, le brevet EP 329 divulgue les composés, les compositions et les indications de ce qui est actuellement revendiqué par le brevet 721, et si le caractère réalisable de ces composés était exigé, des moyens ordinaires suffiraient à réaliser l’invention et à contrefaire le brevet EP 329.

 

[191]       Apotex a renvoyé à diverses références et divulgations formulées dans le brevet EP 329, y compris le fait que les esters d’acide aminé formés entre la cystosine et le ganciclovir sont préférentiels en raison de leur biodisponibilité améliorée, que les acides aminés comprennent la valine, et que les L-acides aminés, y compris les monoesters et les diesters, sont les plus préférentiels. De plus, le brevet EP 329 divulguait que les composés présentaient une biodisponibilité avantageuse en administration orale. Selon Apotex, la personne versée dans l’art comprendrait que l’ester mono-L-valinate de ganciclovir était divulgué parmi les composés préférentiels du brevet EP 329 pour améliorer la biodisponibilité par rapport au ganciclovir.

 

[192]       Apotex maintient également que l’idée originale du brevet 721 est le valganciclovir cristallin, et soutient que, même si le brevet EP 329 décrit les composés comme étant non cristallins, la personne versée dans l’art aurait voulu produire du valganciclovir cristallin et aurait cherché à le faire dans le cadre d’une étape de purification normale, de façon à améliorer les priorités physicochimiques du produit pharmaceutique.

 

[193]       Apotex est en désaccord avec Roche selon qui le brevet 721 est un brevet de sélection, étant donné que ce brevet ne divulgue pas ni ne précise clairement un avantage déjà reconnu dans la classe de composés précédemment divulguée (c’est-à-dire par le brevet EP 329). Quoi qu’il en soit, Apotex fait valoir qu’un brevet de sélection doit être analysé comme tout autre brevet et doit divulguer entièrement quelque chose de nouveau.

 

[194]       Les deux parties ont souligné les témoignages des experts sur la question de la divulgation et, en ce qui concerne Apotex, sur la question du caractère réalisable.

 

La jurisprudence / Principes généraux

[195]       Dans le jugement Laboratoires Abbott c Canada (ministre de la Santé), 2008 CF 1359, [2009] 4 RCF 401, conf. par 2009 CAF 94, 73 CPR (4th) 444, le juge Hughes établit, au paragraphe 59, une distinction entre l’antériorité et l’évidence :

[…] En bref, l’antériorité et l’évidence sont toutes deux des questions de fait; l’antériorité peut être prise en considération à l’égard des deux, mais les critères doivent être appliqués de manière différente. Pour ce qui est de l’antériorité, c’est un document unique - ou, dans le cas des brevets datant d’après octobre 1989, une divulgation unique - qui doit être pris en considération, car il serait examiné par une personne versée dans l’art à la date pertinente afin de déterminer si l’invention revendiquée aurait été divulguée et réalisée aux yeux de cette personne là, à ce moment-là. Si oui, l’invention revendiquée est antériorisée. Pour ce qui est de l’évidence, s’il y a des différences entre ce qui a été divulgué, restait-il de la place pour qu’une personne réalise une contribution inventive? Si ce qui n’a pas été divulgué était une chose qu’une personne versée dans l’art, à la date pertinente, aurait censément réalisée sans exercer une ingéniosité inventive, cela signifie donc que l’invention revendiquée est évidente.

 

 

[196]       S’agissant de l’antériorité, le juge Hughes a précisé ce qui suit au paragraphe 76 : « Il faut garder clairement à l’esprit l’invention revendiquée car c’est sur l’invention, telle que revendiquée, que doit porter l’examen de l’antériorité. »

 

[197]       Comme je l’ai indiqué précédemment dans les présents motifs, l’idée originale est le valganciclovir, un promédicament stable présentant une faible toxicité et une biodisponibilité améliorée par rapport au ganciclovir.

 

[198]       La demanderesse a rappelé le droit applicable avant l’arrêt Sanofi, tel qu’il avait été exposé par la Cour suprême du Canada dans son arrêt Free World Trust c Électro Santé Inc, [2000] 2 RCS 1024, 2000 CSC 66, au paragraphe 26, laquelle avait appliqué le critère de l’antériorité décrit dans Beloit Canada Ltée c Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (CAF), à la page 297 :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

 

[199]       Avant que ne soit rendu l’arrêt Sanofi, le droit applicable imposait, en matière d’antériorité, un critère très strict qui exigeait qu’une description exacte de l’invention figure dans la pièce d’art antérieur.

 

[200]       En l’espèce, la demanderesse estime que le premier volet du critère applicable en matière d’antériorité, tel que détaillé par l’arrêt Sanofi, n’est pas sensiblement différent et qu’il exige toujours que la publication antérieure entraîne nécessairement, de la part d’une personne versée dans l’art, une contrefaçon.

 

[201]       Malgré la jurisprudence abondante dans laquelle le critère dégagé dans l’arrêt Sanofi, en matière d’antériorité, a été appliqué, il est utile de se reporter aux termes dans lesquels le juge Rothstein s’est exprimé dans l’arrêt Sanofi, ainsi qu’à la jurisprudence qui a suivi cet arrêt.

 

[202]       Pour écarter le critère strict qui exigeait que l’invention précise ait déjà été réalisée et divulguée, le juge Rothstein a cité un arrêt britannique de 2005, dans lequel lord Hoffman a dégagé le critère à deux volets (aux paragraphes 25 et 26) :

[25]      Lord Hoffmann explique que suivant l’exigence de la divulgation antérieure, le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (par. 22)

 

[traduction] Si je puis me permettre de résumer ce qui découle de ces deux énoncés fort connus [tirés de General Tire et de Hills c. Evans], l’objet de l’antériorité alléguée doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait le brevet. […] Il s’ensuit que, peu importe que cela aurait sauté ou non aux yeux de quiconque au moment considéré, lorsque ce qui est décrit dans la divulgation antérieure est réalisable et une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet, la condition de la divulgation antérieure est remplie.

 

En ce qui concerne la divulgation, la personne versée dans l’art [traduction] « est censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description [dans le brevet antérieur] a voulu dire » (par. 32). À cette étape, les essais successifs sont exclus. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur.

 

[26]      Lorsque l’exigence de la divulgation est remplie, le second élément établissant l’antériorité est le « caractère réalisable », à savoir la possibilité qu’une personne versée dans l’art ait pu réaliser l’invention (par. 26). Lord Hoffmann conclut que le volet de critère de l’antériorité correspondant au caractère réalisable équivaut au critère du caractère suffisant suivant les dispositions législatives pertinentes du Royaume-Uni (notre Cour n’a pas à statuer en l’espèce sur l’incidence du caractère réalisable de l’invention sur le caractère suffisant du mémoire descriptif du brevet pour les besoins de l’alinéa 34(1)b) de la Loi sur les brevets du Canada, dans sa version antérieure au 1er octobre 1989, devenu l’actuel alinéa 27(3)b), et mon analyse du caractère réalisable ne vaut que pour le critère de l’antériorité. La question de savoir si, au Canada, le caractère réalisable de l’invention et le caractère suffisant du mémoire descriptif se confondent l’un et l’autre devra être tranchée une autre fois.)

 

 

[203]       La Cour souligne en outre, au paragraphe 29, que bien qu’il se soit agi d’un brevet de sélection, son analyse de l’antériorité et de l’évidence s’applique, sous réserve de la Loi sur les brevets, aux brevets en général.

 

[204]       Dans le jugement Laboratoires Abbott c Canada (ministre de la Santé), 2008 CF 1359, [2009] 4 RCF 401, au paragraphe 75, conf. par 2009 CAF 94, 73 CPR (4th) 444, le juge Hughes a résumé le critère établi aux paragraphes 30 à 32 de l’arrêt Sanofi, réitérant les deux exigences distinctes conditionnant l’antériorité : la divulgation antérieure et le caractère réalisable.

 

[205]       Il s’est exprimé en ces termes :

[67]      La divulgation antérieure signifie que le brevet antérieur (publication, utilisation ou autre divulgation) doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (la revendication en litige). La personne versée dans l’art qui examine la divulgation est censée tenter de comprendre ce que signifiait le brevet antérieur (ou l’autre divulgation). Les essais successifs sont exclus; l’antériorité doit être simplement lue à des fins de compréhension.

 

[68]      La seconde condition est celle du caractère réalisable : la personne versée dans l’art aurait pu réaliser ce qui a été divulgué. À ce stade, on suppose que cette personne est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention. …

 

[206]       Le juge Hughes a également rappelé la liste non exhaustive de facteurs qui, selon l’arrêt Sanofi, doivent être pris en compte lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le caractère réalisable. Par exemple, le brevet doit fournir suffisamment de renseignements pour permettre de réaliser l’invention sans trop de difficultés; si la réalisation exige une étape inventive, on considérera que le premier brevet était dénué de caractère réalisable; la nécessité d’essais ordinaires est admise, de tels essais n’étant pas considérés comme des difficultés excessives, mais des essais longs ou compliqués ne seraient pas considérés comme des essais ordinaires.

 

[207]       Étant donné que Roche fait essentiellement valoir que le premier volet du critère de l’antériorité n’est pas sensiblement différent de celui qui s’appliquait avant l’arrêt Sanofi, il est utile de se pencher sur l’évolution du nouveau critère, tel que le juge Hughes l’a décrite lorsqu’il a examiné ses applications pratiques :

[69]      À cette analyse de la Cour suprême il convient d’ajouter les commentaires du juge Floyd, de la English Chancery Court, Patents Division, dans une affaire tranchée récemment, le 30 juin 2008 : Actavis UK Limited c. Janssen Pharmaceutica N.V., [2008] EWHC 1422 (Pat), et où il a appliqué le droit établi dans Synthon, précité. Le juge Floyd prenait en considération l’argument suivant : il faut que l’antériorité divulgue une chose qui, si elle est mise à exécution, [traduction] « aboutira inévitablement » à ce qui est revendiqué dans le brevet en litige et, s’il subsiste un doute quelconque, il ne peut donc pas y avoir d’antériorité. Le juge Floyd a rejeté cet argument. La Cour, a-t-il déclaré, est tenue de prendre en considération la preuve selon la norme civile habituelle de la [traduction] « prépondérance des probabilités » et non selon une [traduction] « norme quasi criminelle ». Voici ce qu’il écrit, au paragraphe 85 de sa décision :

 

[traduction]

85. Cette conclusion est-elle suffisante pour obtenir un résultat inévitable? La loi exige que cette caractéristique de la revendication soit le résultat inévitable de l’exécution de l’enseignement antérieur. Est-ce à dire que s’il y a une autre possibilité, même assez éloignée, que l’on arrive à un autre résultat, il me faudrait conclure que le résultat n’est pas inévitable? Où ai-je à établir ce qui, selon la prépondérance des probabilités, se produirait en réalité? Selon moi, c’est cette dernière approche qui est la bonne. Le critère du résultat inévitable n’oblige pas à prouver des faits particuliers d’après une norme quasi criminelle. Il peut être impossible d’établir les faits techniques pertinents en fonction de cette norme-là. Mais c’est tout autre chose s’il ressort de la preuve que, parfois, il s’ensuivra un certain résultat et, parfois, un autre, suivant les conditions que l’on utilise. Mais rien de cela n’est suggéré en l’espèce. Il est simplement question de ce qui se produit en réalité.

            [Non souligné dans l’original.]

 

[208]       Le juge Hughes a également souligné que dans l’arrêt F H c McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 RCS 41, la Cour suprême du Canada a insisté, en matière civile, qu’une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités.

 

[209]       En conclusion, le juge Hughes a bien résumé le droit qui régit l’antériorité, résumé qui sera repris dans plusieurs décisions (voir Lundbeck Canada Inc c Canada (ministre de la Santé), 2009 CF 146, aux paragraphes 44 et 46; Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Limited, 2009 CF 301, au paragraphe 67; Schering-Plough Canada Inc c Pharmascience Inc, 2009 CF 1128, au paragraphe 87; AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2010 CF 714, au paragraphe 122; Merck & Co c Canada (ministre de la Santé), 2010 CF 1042, au paragraphe 24) :

[75]      Pour résumer les exigences juridiques en matière d’antériorité, dans le contexte des circonstances de l’espèce :

 

1.         Pour qu’il y ait antériorité, il doit y avoir à la fois divulgation et caractère réalisable de l’invention revendiquée.

 

2.         Il n’est pas obligatoire que la divulgation soit une « description exacte » de l’invention revendiquée. La divulgation doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.

 

3.         Si la divulgation est suffisante, ce qui est divulgué doit permettre à une personne versée dans l’art de l’exécuter. Il est possible de procéder à une certaine quantité d’essais successifs du type de ceux auxquels on s’attendrait habituellement.

 

4.         La divulgation, lorsqu’elle est exécutée, peut l’être sans qu’une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe.

 

5.         Si l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité.

 

6.         La Cour est tenue de se prononcer sur la divulgation et la réalisation en se fondant sur la norme de preuve habituelle de la prépondérance des probabilités, et non sur une norme plus stricte, comme une norme quasi-criminelle.

 

7.         Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée.

[Non souligné dans l’original.]

 

[210]       En l’espèce, la société Roche demanderesse estime qu’un mot a été omis par inadvertance dans le paragraphe 7 ci-dessus, le paragraphe devant plutôt dire : « Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait nécessairement la revendication, alors cette dernière est antériorisée. »

 

[211]       Je ne suis pas d’accord pour dire que le mot « nécessairement » a été omis par inadvertance et qu’il conviendrait de l’ajouter à l’énoncé de ce principe. Ainsi que l’a rappelé le juge Hughes, en matière civile, la norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités. La norme définie par les mots « contrefaisait nécessairement » n’est peut-être pas différente de celle découlant du mot « contrefaisait » étant donné qu’en matière civile la norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités. Il est clair qu’au paragraphe 7 ci-dessus, le juge Hughes considère que si la personne exécutant la divulgation antérieure, qui ne constitue pas forcément une description exacte, contrefaisait, selon la prépondérance des probabilités, la revendication, celle-ci est alors antériorisée.

 

[212]       De nombreuses décisions ont cité les principes dégagés par le juge Hughes, et rappelé que le premier volet du critère de l’antériorité exige que la réalisation de la divulgation « contrefasse nécessairement » ou « aboutisse inévitablement » à une contrefaçon, mais, pour décider si la revendication avait été effectivement divulguée dans l’art antérieur, ont néanmoins appliqué la norme de la prépondérance des probabilités.

 

Le témoignage des experts

[213]       Les experts des société Roche et Apotex ont fourni des éléments de preuve permettant de déterminer si les documents de l’art antérieur, et en particulier le brevet EP 329, divulguaient l’invention du brevet 721. Des experts d’Apotex ont également fourni des éléments de preuve permettant de déterminer si la divulgation satisfait au critère du caractère réalisable.

 

[214]       En ce qui concerne la divulgation, Mme Tsantrizos a indiqué ce qui suit dans son affidavit : [traduction] « [É]tant donné que ni le monoester formé entre la L-valine et le ganciclovir ni le sel de ce composé sous forme de chlorhydrate ne sont mentionnés ou réalisés dans les exemples de la demande de brevet 329, on ne saurait affirmer qu’ils sont divulgués dans la demande de brevet 329. » (paragraphe 42)

 

[215]       Elle ajoute que le brevet EP 329 [traduction] « ne décrit pas le monoester L-valinate de ganciclovir et n’indique pas que ce monoester est un promédicament stable du ganciclovir présentant une meilleure absorption par voie orale et une faible toxicité. En fait, la demande de brevet 329 ne décrit aucun monoester; elle ne fait que mentionner que de tels composés peuvent être fabriqués » [souligné dans l’original]. Madame Tsantrizos indique ensuite que quiconque lirait la demande de brevet 329 [traduction] « comprendrait que, même si la formule générale divulguée dans la demande de brevet 329 englobe à la fois les monoesters et les diesters, la demande de brevet 329 ne fournit aucune indication selon laquelle un monoester serait préférentiel par rapport à un diester. En fait, comme l’accent n’est mis que sur les diesters dans les exemples, la personne moyennement versée dans l’art qui lirait la demande de brevet 329 comprendrait que les diesters sont préférentiels par rapport aux monoesters » (paragraphes 44 et 45).

 

[216]       Madame Tsantrizos a ensuite abordé les six exemples du brevet EP 329 et a indiqué que deux exemples concernaient le bis-valinate, que les autres exemples concernaient d’autres esters qui étaient également des diesters, et qu’il n’y avait aucun exemple qui concernait expressément la fabrication d’un monoester. Elle a ensuite reconnu, cependant, que l’exemple 6b du brevet EP 329 indique que le monoester L-alaninate de ganciclovir est difficile à préparer et qu’il n’est obtenu que comme constituant mineur (10 %) dans un mélange contenant le produit principal, le diester L-alaninate de ganciclovir (paragraphes 49 et 50).

 

[217]       Madame Tsantrizos constate également que le brevet EP 329 ne fournit aucune donnée biologique pour étayer l’affirmation selon laquelle la biodisponibilité est améliorée.

 

[218]       Monsieur Sawchuk a également indiqué que l’ensemble des exemples concernait des diesters d’acide aminé du ganciclovir et qu’aucun monoester d’acide aminé n’avait fait l’objet d’une analyse ou n’avait même été produit, sauf en tant que sous-produit dans un exemple. En ce qui concerne les déclarations des inventeurs selon lesquelles les composés préférentiels sont des monoesters et des diesters, il indique ce qui suit dans une note de bas de page au paragraphe 76 de son affidavit : [traduction] « Ces exemples ne comprennent que des diesters. » [Souligné dans l’original.] Il indique pour conclure que les composés préférentiels étaient des esters bis-L-acide aminé. Il indique également ce qui suit, au paragraphe 78 : [traduction] « [U]ne personne versée dans l’art pouvait créer plusieurs millions de composés à partir de cette divulgation. La personne versée dans l’art ne serait toutefois pas incitée à essayer des monoesters, à la lumière de ce que les inventeurs ont présenté dans leurs exemples comme étant les composés les plus préférentiels, lesquels sont tous des diesters. » [Souligné dans l’original.]

 

[219]        Monsieur McGuigan a exprimé l’opinion contraire suivante selon laquelle [traduction] « […] le brevet EP 329 divulgue le monoester L-valinate de ganciclovir, parmi d’autres composés, comme un promédicament préférentiel qui améliorera la biodisponibilité orale du ganciclovir » (paragraphe 169).

 

[220]       Contrairement aux experts de Roche, M. McGuigan ne s’est pas concentré sur les exemples, mais plutôt sur le mémoire descriptif, dans lequel il est question de l’invention, de sa formule, de ses utilisations et de ses composés. Monsieur McGuigan a également indiqué que les revendications du brevet EP 329 définissent les composés comme englobant les monoesters et les diesters, et que les inventeurs affirment ce qui suit à la ligne 11 de la page 3 : [traduction] « Les esters d’acide aminé de la formule (I) et leurs sels définis ci-dessus, ci-après désignés les composés selon l’invention, sont particulièrement utiles pour le traitement et la prophylaxie des infections virales, en particulier des infections à herpèsvirus […], et encore plus particulièrement des infections à cytomégalovirus, chez l’humain et d’autres animaux. »

 

[221]       En réponse à ce que les inventeurs revendiquent dans le brevet 721 (par rapport à ce qui est divulgué dans le brevet EP 329), M. McGuigan affirme ce qui suit dans son affidavit :

[traduction]
[…] un chimiste médicinal ne serait pas d’accord sur cette caractérisation du brevet EP 329. Il s’avère plutôt, comme indiqué précédemment, que le brevet EP 329 identifie effectivement le monoester et la façon de le fabriquer (ce qui, de toute façon, ne serait pas difficile pour un chimiste médicinal), et qu’il affirme que l’ensemble de ses composés présente une biodisponibilité avantageuse en administration orale, ce qui se traduit par de fortes concentrations du composé parent (notamment le ganciclovir) dans l’organisme (paragraphe 255).

 

[222]       Monsieur McGuigan a également exprimé l’opinion selon laquelle l’invention du brevet 721 était le valganciclovir cristallin.

 

[223]       En ce qui concerne les divulgations du brevet EP 329, il a indiqué ce qui suit :

[traduction]
Comme je l’ai nindiqué précédemment, la demande de brevet EP 329 a été publiée le 27 juin 1990 et divulgue, entre autres choses, le valganciclovir et ses sels, de même que le fait que ces composés présentent une puissante activité antivirale et sont particulièrement utiles pour le traitement et la prophylaxie des infections virales, en particulier des infections à herpèsvirus, comme les infections à virus herpès simplex, à VZV, à cytomégalovirus humain et à virus EB chez l’humain et d’autres animaux (page 3, lignes 11 à 20). Le brevet EP 329 divulgue également que le valganciclovir et ses sels [traduction] « présentent étonnamment une biodisponibilité avantageuse lorsqu’ils sont administrés par voie orale, ce qui se traduit par des concentrations exceptionnellement élevées de [ganciclovir] dans l’organisme. Il est ainsi possible d’administrer une quantité moindre du médicament et d’obtenir une concentration au moins équivalente du composé parent dans le plasma (paragraphe 305).

 

[224]       Monsieur McGuigan a fait également remarquer qu’un chimiste médicinal comprendrait que le valganciclovir et ses sels sont parmi les composés les plus préférentiels et que ces sels préférentiels comprendraient le chlorhydrate, comme indiqué aux lignes 8 à 10 à la page 3 du brevet EP 329.

 

[225]       Monsieur Boeckman affirme aussi que le brevet EP 329 divulgue à la fois des monoesters et des diesters, mais selon lui, les exemples du brevet EP 329 sont axés sur la préparation de diesters du ganciclovir (paragraphe 50). Il indique par ailleurs que le brevet EP 329 [traduction] « divulgue la formation et l’utilité possibles des monoesters, et [que] l’un des exemples mentionne un monoester du ganciclovir issu de l’alanine, qui est obtenu comme composant mineur dans un mélange avec l’ester apparenté bis-alaninate (exemple 6) ».

 

[226]       En ce qui concerne le caractère réalisable, M. McGuigan a reconnu que le brevet EP 329 ne décrit pas la préparation du monoester valganciclovir. Il indique que, compte tenu des connaissances générales courantes, cette description aurait été « simple et facile », ou de routine selon le stade de réalisation du critère d’antériorité.

 

[227]       Monsieur McGuigan a indiqué que [traduction] « […] le médicinal [sic] se serait fondé sur les connaissances générales courantes et aurait eu recours aux méthodes chimiques connues de protection/déprotection pour obtenir un monoester. En utilisant comme point de départ du ganciclovir dont la fonction amine serait protégée, il serait simple et facile d’obtenir le monoester L-valinate de ganciclovir dans un mélange de diastéréoisomères. Il serait ensuite possible, au besoin, de séparer ce mélange de façon à isoler chacun des diastéréoisomères » (paragraphe 309).

 

[228]       Monsieur Boeckman a également exprimé l’avis selon lequel un chimiste de synthèse aurait pu isoler tant le diester que le monoester à partir du mélange, et a affirmé que la formation du monoester ou du diester dépendrait de la stœchiométrie de la L-valine et qu’un chimiste de synthèse aurait su qu’il était également possible de modifier le procédé et la stœchiométrie de façon analogue afin d’obtenir le monoester du ganciclovir (paragraphe 52).

 

[229]       Résumant son opinion, M. Boeckman écrit ce qui suit au paragraphe 86 :

[traduction]

Comme je l’ai indiqué précédemment lorsque j’ai passé en revue le brevet EP 329, j’étais d’abord d’avis que le brevet décrivait la préparation et l’utilisation du diester et du monoester de ganciclovir, y compris des esters dérivés de la valine et du chlorhydrate de ce composé, et qu’un chimiste de synthèse aurait été capable de fabriquer le diester et le monoester de ganciclovir sans difficulté excessive, en utilisant uniquement des techniques courantes en chimie.

 

Analyse : A-t-il été satisfait au critère de l’antériorité?

[230]       En l’espèce, la question qui se pose est celle de savoir si le document de l’art antérieur, le brevet EP 329, lequel ne constitue toutefois pas une description exacte de l’invention, aurait été suffisant pour permettre à la personne versée dans l’art, qui voudrait le comprendre, de comprendre ce qui était inventé, sans recourir à des essais successifs. Une telle divulgation aurait-elle permis à la personne versée dans l’art d’effectuer ce qui était divulgué, en se fondant sur ses connaissances générales courantes, et de réaliser l’invention, c’est-à-dire le valganciclovir, en recourant à certains essais successifs courants ou à certaines expériences courantes? Cette réalisation contreferait-elle les revendications du brevet 721 selon la prépondérance des probabilités?

 

[231]       Comme on peut s’y attendre, les témoignages des experts varient. Cependant, les experts s’entendent tous pour dire que le brevet EP 329 divulgue à la fois le monoester et le diester, bien que le monoester n’ait pas été réalisé. Tous les exemples, à l’exception de l’exemple 6b, concernent des diesters, tandis que l’exemple 6b concerne le monoester L-alaninate de ganciclovir (et non l’ester mono-L-valinate), qui n’est présent qu’à raison de 10 % dans un mélange avec le diester L-alaninate de ganciclovir. Il est par conséquent juste d’affirmer que le brevet EP 329 ne réalise que des diesters.

 

[232]       Comme il est mentionné ci-dessus, selon M. Sawchuk, une personne versée dans l’art pourrait créer plusieurs millions de composés en se fondant sur la divulgation du brevet EP 329. Lors de son contre-interrogatoire, M. Boeckman a reconnu que le brevet EP 329 divulguait au moins 500 000 composés qui n’étaient pas le valganciclovir.

 

[233]       En revanche, Apotex renvoie à des références précises dans la divulgation des composés et éléments préférentiels qui, s’ils étaient choisis et préparés, mèneraient à la réalisation de l’invention. Selon la prépondérance des probabilités, et d’après les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art, cette divulgation serait-elle suffisante pour permettre à une personne versée dans l’art de comprendre en quoi consiste l’invention?

 

[234]       En appliquant le critère de l’arrêt Sanofi et les principes énoncés par le juge Hughes dans le jugement Abbott, je conclus que le brevet EP 329 divulgue effectivement l’invention revendiquée dans le brevet 721, à savoir le mono-L-valinate de ganciclovir (le valganciclovir). Le brevet EP 329 divulgue à la fois le monoester et le diester, mais la forme préférentielle et les exemples ne concernent que les diesters. Selon la prépondérance des probabilités, la personne versée dans l’art comprendrait à la lecture du brevet EP 329 que le brevet décrit à la fois les monoesters et les diesters, et que la biodisponibilité améliorée par rapport au ganciclovir concerne ces deux types d’esters.

 

[235]       À la lecture d’une telle divulgation, la personne versée dans l’art utiliserait des techniques de chimie courante, comme l’ont souligné les experts d’Apotex. Aucune autre activité inventive ne serait nécessaire, car tous les composés sont divulgués, l’ester préférentiel ‑ le L-valinate ‑ est indiqué, et les avantages d’une biodisponibilité améliorée sont promis.

 

[236]       Roche n’a pas abordé la question du caractère réalisable, car elle était d’avis qu’il n’avait aucune divulgation dans le brevet EP 329 et que le brevet 721 était vraisemblablement un brevet de sélection.

 

Antériorité dans le cas d’un brevet de sélection

[237]       Ainsi que nous l’avons vu, le brevet visé dans l’arrêt Sanofi était un brevet de sélection, mais la Cour suprême du Canada a précisé que le critère détaillé de l’antériorité (ou de l’évidence) s’applique aux brevets en général. Dans Eli Lilly Canada c Novopharm, 2010 CAF 197, [2010] ACF 951 [Eli Lilly], la juge Layden-Stevenson a confirmé qu’un brevet de sélection n’est pas différent de tout autre brevet (paragraphe 33).

 

[238]       Malgré ma conclusion selon laquelle le brevet 721 n’est pas un brevet de sélection tiré du brevet de genre EP 329, il importe de répondre à la question de savoir si le critère de l’antériorité s’appliquerait différemment s’il s’agissait d’un brevet de sélection.

 

[239]       Rappelons que dans l’arrêt Sanofi, le juge Rothstein a dit, au sujet du volet divulgation du critère que « [l]orsque la lecture du brevet de genre ne permet pas de connaître les avantages particuliers de l’invention visée par le brevet de sélection, celui-ci n’est pas antériorisé par le brevet de genre » (paragraphe 32).

 

[240]       En l’espèce, la demanderesse soutient que le brevet 721 est un brevet de sélection, faisant valoir que si les monoesters et les diesters étaient effectivement divulgués dans le brevet EP 329, seuls les diesters ont été réalisés, précisant que la plus grande biodisponibilité de l’invention divulguée dans le brevet 721, par rapport au brevet EP 329 et au ganciclovir, n’a pas été divulguée. Ces avantages n’ont pu être découverts qu’après la réalisation de l’invention; c’est dire que le brevet 721 n’est pas antériorisé par le brevet EP 329.

 

[241]       Si le brevet 721 était un brevet de sélection tiré du brevet de genre EP 329, et si les avantages qu’il comportait par rapport au brevet EP 329 avaient été exposés dans le brevet 721, l’argument concernant l’antériorité irait vraisemblablement dans le même sens que les arrêts Sanofi et Eli Lilly. Cependant, l’invention revendiquée par le brevet 721 est, en l’espèce, une meilleure biodisponibilité par rapport au ganciclovir. S’il s’agissait d’un brevet de sélection, cette invention serait effectivement antériorisée par le brevet EP 329 qui divulguait les composés et les mêmes avantages.

 

Conclusion concernant l’antériorité

[242]       J’estime que l’invention du brevet 721 était divulguée et rendue réalisable par le brevet EP 329. La personne versée dans l’art aurait compris l’invention et aurait pu la réaliser sans de longs efforts et sans activité inventive supplémentaire, ce qui l’aurait menée, selon la prépondérance des probabilités, à contrefaire le brevet.

 

L’ÉVIDENCE

[243]       Selon le second motif d’invalidité invoqué par Apotex, le brevet 721 est évident compte tenu du brevet EP 329 et des 24 autres publications dont il est fait état dans l’avis d’allégation, y compris en son annexe B, portant sur la question de savoir si la réalisation du monoester au lieu du biseter aurait été évidente.

 

[244]       Les thèses des parties sont, pour l’essentiel, les suivantes. Selon la société Roche demanderesse, rien dans l’art antérieur n’indiquait que ce que tentaient les inventeurs était réalisable étant donné que le brevet antérieur s’intéressait essentiellement aux diesters, écartant plutôt le monoester. L’invention du brevet 721 n’allait donc pas de soi et il n’était pas évident qu’elle donnerait une biodisponibilité améliorée. Selon Roche, les experts d’Apotex n’ont tenu aucun compte de l’antériorité la plus rapprochée, soit le brevet EP 329, et n’ont pas abordé la question de savoir si le monoester donnerait de meilleurs résultats que le diester. Roche fait également valoir que les améliorations apportées à l’invention n’ont été découvertes qu’après que le composé eût été fabriqué et mis à l’essai, citant pour cela les exemples 9 et 10 dans lesquels figurent des renseignements sur la biodisponibilité orale du ganciclovir, le brevet EP 329, d’autres esters du ganciclovir et l’invention. En juillet 1994, la personne versée dans l’art n’ayant pas accès au brevet 721, n’aurait pas su que le L-valganciclovir (un monoester) avait une meilleure biodisponibilité orale que le biester du ganciclovir.

 

[245]       Apotex fait valoir que la personne versée dans l’art reconnaîtrait le besoin d’améliorer la biodisponibilité orale et chercherait dans les travaux menés sur le sujet des améliorations touchant la biodisponibilité de l’acyclovir, un autre médicament largement utilisé pour le traitement de l’herpès. Apotex souligne qu’en 1994, de tels travaux de recherche l’auraient emporté sur tous les autres travaux visant à améliorer la biodisponibilité orale du composé tout en en maintenant la stabilité et la faible toxicité. Selon Apotex, la création de l’ester L-valinate d’acyclovir, le valaciclovir, aurait clairement été la voie à suivre et aurait suscité la motivation de faire de même avec le ganciclovir, pour produire du valganciclovir. De plus, la personne versée dans l’art aurait suivi des étapes ordinaires pour cristalliser le valganciclovir. En bref, Apotex allègue que l’invention était évidente.

 

[246]       Apotex maintient que l’idée originale du brevet 721 est la cristallinité. Selon Apotex, s’il ne s’agit pas de la cristallinité, alors l’idée originale des revendications est que le valganciclovir présente une meilleure biodisponibilité orale que le diester ou qu’un autre ester. Apotex soutient que les revendications demeureraient évidentes.

 

[247]       Les parties s’entendent sur le droit applicable en matière d’évidence, mais leur opinion diverge quant à son application, plus particulièrement en ce qui concerne les paramètres de l’essai « allant de soi ». Comme je l’ai déjà indiqué, les parties se trouvent aussi en désaccord sur ce qui constitue l’idée originale.

 

[248]       Les experts d’Apotex, hautement qualifiés et réputés, ne sont pas du même avis que les experts hautement qualifiés et réputés de Roche; les experts d’Apotex ont également commenté des aspects précis des témoignages livrés par les experts de Roche. Tous les experts ont fait l’objet d’un contre-interrogatoire rigoureux. J’ai méticuleusement examiné les nombreux témoignages des experts.

 

[249]       Ce faisant, j’ai constaté que le témoignage des experts varie à certains égards d’une question à l’autre. Par exemple, les experts d’Apotex maintiennent que la biodisponibilité orale ne peut être l’activité inventive, car l’administration orale n’est qu’une méthode d’administration et que la stabilité et la toxicité ne peuvent être considérées comme étant des avantages. Or, lorsqu’il est question des travaux de recherche sur l’acyclovir, aussi utilisé pour traiter l’herpès, que les experts décrivent comme étant la voie à suivre évidente pour améliorer le ganciclovir, ces mêmes propriétés sont considérées comme désirables et nécessaires, et escomptées après l’addition du monoester.

 

[250]       Apotex affirme que le seul avantage du brevet 721 par rapport à l’art antérieur est la nature cristalline du composé, laquelle selon Apotex constitue l’activité inventive. Cependant, Apotex fait également valoir que la personne versée dans l’art reconnaîtrait la nécessité d’améliorer la biodisponibilité orale du ganciclovir. Le témoignage des experts d’Apotex en ce qui concerne l’évidence porte expressément sur l’addition du monoester pour améliorer la biodisponibilité et pour améliorer ou maintenir la stabilité et la faible toxicité. La forme cristalline est également décrite comme étant voulue et courante, mais, du point de vue de l’évidence, elle semble être décrite comme un avantage additionnel plutôt que comme un avantage principal, car le composé doit d’abord être fabriqué.

 

Jurisprudence / Principes généraux

[251]       Dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a fixé le droit applicable en matière d’évidence. Concernant la question de l’évidence, le juge Rothstein s’est exprimé en ces termes :

67        Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

 

[traduction]

Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing

 

(1)a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

 

b) déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

 

i. Dans quels cas la notion d’« essai allant de soi » est-elle pertinente?

 

68        Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué. Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation. Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables.

 

ii. « Essai allant de soi » : éléments à considérer

 

69        Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci-après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

 

1. Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2. Quels efforts - leur nature et leur ampleur - sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3. L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

 

[252]       Le juge Rothstein précise par ailleurs que d’autres facteurs peuvent être pertinents, notamment l’historique de l’invention, la rapidité et la facilité avec laquelle l’inventeur l’a réalisée compte tenu de l’art antérieur et des connaissances générales courantes, ainsi que de l’expertise particulière des inventeurs comparée aux connaissances d’une personne versée dans l’art (paragraphes 70 et 71).

 

[253]       Pour écarter en l’espèce toute idée que la Cour serait disposée à appliquer le critère de quelque chose « valant d’être tenté », je rappelle l’arrêt Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2009 CAF 8, [2009] ACF no 66, dans lequel la Cour d’appel fédérale a statué que le critère applicable n’est pas celui de la possibilité ou de l’hypothèse, mais le critère de l’« essai allant plus ou moins de soi ». Aux paragraphes 28 à 30 de l’arrêt, le juge Noël se prononce en ses termes :

28        J’en déduis que le critère qu’adopte la Cour suprême n’est pas celui qu’on exprime par la formule approximative « quelque chose valant d’être tenté ». Après avoir noté l’argumentation d’Apotex faisant valoir que le critère de quelque chose « valant d’être tenté » devrait être accepté (au paragraphe 55), le juge Rothstein n’utilise plus jamais par la suite l’expression « valant d’être tenté » et l’erreur qu’il identifie dans la question dont il est saisi est le défaut d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi » (au paragraphe 82).

 

29        Le critère reconnu est celui de l’« essai allant de soi », où l’expression « allant de soi » signifie « très clair ». Suivant ce critère, une invention n’est pas rendue évidente par le fait que l’état de la technique aurait éveillé la personne versée dans l’art à la possibilité que quelque chose valait d’être tenté. L’invention doit aller plus ou moins de soi. La question à trancher dans le présent appel est de savoir si le juge de la Cour fédérale a ou n’a pas appliqué ce critère.

 

30        Je suis d’avis qu’il ne l’a pas fait. Le juge de la Cour fédérale n’emploie pas l’expression d’« essai allant de soi », mais ses motifs indiquent qu’il a mené son analyse en suivant la ligne de démarcation tracée dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo. En particulier, il a rejeté l’allégation d’évidence de l’invention sur la foi de simples possibilités ou hypothèses et cherché la preuve que l’invention allait plus ou moins de soi.

 

[254]       La société Apotex défenderesse fait valoir que le jugement AstraZeneca Canada Inc c Teva Canada Ltd, 2013 CF 246, [2013] ACF 242, rendu récemment par le juge Near correspond à une application moderne du critère de l’« essai allant de soi » manifestant la souplesse que visait le critère tel que reformulé dans l’arrêt Sanofi. Je fais cependant observer que dans son application du critère, le juge Near a évalué les quatre critères dégagés dans l’arrêt Sanofi pour décider si l’invention constituait effectivement un « essai allant de soi ».

 

[255]       Voici ce qu’avait à dire le juge Near aux paragraphes 36 et 37 :

[36]      Cependant, les parties ne s’entendent pas sur les éléments constitutifs de ce critère. AstraZeneca insiste sur les résultats des expériences, et affirme qu’il doit être évident que les expériences produiront des résultats positifs avant même qu’elles ne soient tentées. Teva défend une position moins rigoureuse et prétend qu’un brevet est évident s’il allait plus ou moins de soi, pour citer Sanofi, de « tenter d’arriver à l’invention » ou, pour reprendre les termes employés par la défenderesse, de mener des expériences courantes ayant une chance raisonnable de succès.

 

[37]      J’estime que l’interprétation de Teva s’accorde davantage avec les faits en présence. Le juge lord Lewison a récemment fait remarquer que dans de nombreuses affaires intéressant le critère de l’invention « allant de soi », c’est l’idée même de l’essai qui constitue l’étape inventive (Medimmune Ltd v Novartis Pharmaceuticals UK Ltd & Ors [2012] EWCA Civ 1234 [Medimmune], au paragraphe 184, cité avec approbation dans Pfizer Canada Inc c Pharmascience Inc, 2013 CF 120, [2013] ACF no 111, au paragraphe 189). L’argument d’AstraZeneca aurait pu être davantage convaincant si l’invention consistait à essayer d’obtenir une formulation de quétiapine à libération prolongée. Cependant, comme il a déjà été établi, le concept inventif concerne en l’espèce le produit final – une formulation physique de quétiapine à libération prolongée. Le juge lord Lewison a confirmé que [traduction] « l’évidence évoque une chose susceptible de traverser immédiatement l’esprit de la personne versée dans l’art désireuse d’accomplir la fin recherchée » (Medimmune, précité, au paragraphe 184, souligné par le juge lord Lewison). J’estime qu’il est tout à fait conforme au droit canadien issu de l’arrêt Sanofi que d’avancer qu’un brevet peut être jugé évident s’il va plus ou moins de soi de tenter de parvenir à l’invention (Sanofi, précité, au paragraphe 66). Bien entendu, la jurisprudence a pris garde à ne pas élargir cette notion et a donc limité le champ d’application de cette catégorie en énonçant les facteurs non exhaustifs liés au critère de l’invention « allant de soi », sur lequel je me pencherai à présent. À mon avis, la motivation est le facteur déterminant en l’espèce.

 

[256]       Apotex affirme en l’espèce qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver au valganciclovir.

 

[257]       Selon Roche, la seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas. Le chercheur spécialisé doit, avant même de procéder à des expériences, savoir qu’en ce qui concerne l’objet revendiqué dans le brevet (en l’occurrence le valganciclovir) les « essais seront fructueux » afin de pouvoir résoudre le problème que prétend résoudre l’invention revendiquée. Selon Roche, le critère de l’« essai allant plus ou moins de soi », ou de l’essai évident s’entend de quelque chose qui est « très clair » : Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2009 CAF 8, [2009] ACF no 66, au paragraphe 29.

 

Application en l’espèce du critère dégagé dans l’arrêt Sanofi

[258]       Le critère à quatre volets dégagé dans l’arrêt Sanofi, y compris le critère de l’« essai allant de soi » et les facteurs pertinents, ont été pris en compte et appliqués de la manière exposée ci-dessous aux preuves produites en l’espèce.

 

La « personne versée dans l’art »

[259]       Comme nous l’avons vu plus haut, la personne versée dans l’art à qui, au milieu des années 1990, le brevet 721 était destiné est un sujet collectif ou une équipe de personnes possédant une expertise dans les domaines de la chimie médicinale, de la chimie de l’état solide, de la chimie synthétique, de la formulation de compositions pharmaceutiques, de la pharmacologie et de la pharmacocinétique correspondant à celle d’un titulaire de maîtrise ou de doctorat.

 

Les connaissances générales courantes

[260]       Les connaissances générales courantes en l’espèce correspondent aux connaissances de la personne versée dans l’art à la date pertinente – soit le 27 juillet 1994. Ces connaissances engloberaient à la fois des connaissances ayant fait l’objet d’une publication et d’autres. Cet état des connaissances comprendrait les brevets, les demandes de brevet et les publications énumérés à la page 1 du brevet 721. La personne versée dans l’art aurait également connaissance d’autres publications et de travaux de recherche concernant le ganciclovir et l’acyclovir.

 

[261]       Le brevet fait référence à divers autres brevets, demandes de brevet et articles scientifiques portant sur le ganciclovir :

[traductions]

Le brevet américain 4,355,032, publié en 1982, qui divulgue le ganciclovir et précise que la molécule est hautement efficace contre la famille des herpèsvirus (p. ex. herpès simplex et cytomégalovirus), mais que son taux d’absorption est relativement faible en administration orale.

 

Le brevet européen 375,329 (brevet EP 329), publié en 1990, qui divulgue des promédicaments décrits comme ayant une biodisponibilité avantageuse en administration orale, ce qui permet au composé parent d’être présent à des concentrations élevées dans l’organisme.

 

L’article de Jensen et autres, Acta Pharm Nord 3(4), publié en 1991, qui divulgue des diesters du ganciclovir utilisés comme promédicaments et décrits comme étant prometteurs pour améliorer les caractéristiques associées à l’administration du ganciclovir, par exemple pour une administration parentérale (ce qui signifie par une voie autre qu’orale).

 

L’article de Martin et autres (1987) J Pharm Sci 76(2), qui divulgue les esters monoacylate et diacylate de ganciclovir et indique que la biodisponibilité de l’ester dipropanoate est environ 42 % supérieure à celle du ganciclovir.

 

[262]       Il y a également plusieurs renvois à des demandes de brevet et à des travaux de recherche concernant l’acyclovir :

[traductions]

Le brevet britannique (BP) 1,523,865, publié en 1978, qui décrit des dérivés comprenant notamment l’acyclovir, dont l’activité s’est révélée bonne contre le virus herpès simplex et qui sont hautement efficaces en administration topique ou parentérale, mais dont l’absorption n’est que modérée en administration orale.

 

L’article de Maudgal et autres, Arch Ophthalmol (1984), qui divulgue la glycine et d’autres esters de l’acyclovir, de même que les avantages de l’ester de glycine contre divers types d’herpèsvirus.

 

L’article de Colla et autres, J Med Chem 98 (1983), qui divulgue des dérivés esters hydrosolubles de l’acyclovir, de même que leurs sels, comme promédicaments de l’acyclovir. Les auteurs laissent entendre que ces esters d’acyclovir seraient plus pratiques dans un contexte clinique que le composé parent (acyclovir) en administration topique sous forme de gouttes ophtalmiques et dans le traitement des infections à herpèsvirus réagissant bien à l’acyclovir intraveineux.

 

La demande de brevet européen 308,065, publiée en 1989, qui divulgue les esters formés entre l’acyclovir et la valine et entre l’acyclovir et l’isoleucine, préférentiellement sous la forme L, et qui indique que l’absorption intestinale de ces substances après une administration par voie orale est beaucoup plus importante que celle d’autres esters et de l’acyclovir.

 

L’article de Beauchamp et autres, Antiviral Chemistry and Chemotherapy 3 (1992), qui divulgue 18 esters d’acide aminé de l’acyclovir et leur efficacité en tant que promédicaments. Les esters de L-acide aminé étaient plus efficaces en tant que promédicaments que les isomères D- ou D, L- correspondants, ce qui donne à penser qu’un transporteur stéréosélectif est en cause. Selon les auteurs, le L-valylate d’acyclovir était le promédicament qui présentait la meilleure disponibilité parmi les esters à l’étude.

 

[263]       Vingt-cinq publications ont été citées dans l’avis d’allégation d’Apotex, dont plusieurs étaient citées dans la divulgation du brevet 721 comme il est indiqué ci-dessus, lesquelles seraient connues de la personne versée dans l’art ou que celle-ci pourrait consulter. Bien que le brevet ne fasse pas référence à la publication « Acyclovir Prodrugs : The Road to Valaciclovir », Beauchamp et Krenitsky, Drugs of the Future (1993), cette publication a été citée tant par les experts de Roche que ceux d’Apotex. Dans l’introduction, les auteurs soulignent qu’une forme de l’acyclovir présentant une meilleure biodisponibilité orale serait souhaitable. Ils indiquent ce qui suit : [traduction] « Étant donné que les travaux que nous avons menés dans nos laboratoires avec diverses formulations ne nous ont pas permis d’obtenir un composé présentant une meilleure biodisponibilité orale, la poursuite de cet objectif revient aux chimistes médicinaux. » Le rapport indique que le meilleur promédicament est l’ester de l’acide aminé ramifié L-valine, et présente les résultats des essais cliniques effectués. Les auteurs concluent que les nombreuses évaluations cliniques et toxicologiques de l’ester L-valinate d’acyclovir (valaciclovir) permettront de mieux vérifier la validité des résultats observés par les chercheurs.

 

[264]       Les experts d’Apotex soulignent qu’en 1994, la personne versée dans l’art aurait su que le valaciclovir, un promédicament de l’acyclovir, améliorait la biodisponibilité orale de l’acyclovir tout en en conservant la faible toxicité, et concentrerait ses efforts presque exclusivement sur cette molécule. Les experts de Roche font valoir qu’il y aurait toute une série d’approches, notamment la mise au point de promédicaments, pour améliorer la biodisponibilité orale.

 

[265]       J’en conclus que la personne versée dans l’art posséderait toutes les connaissances mentionnées précédemment, y compris en ce qui concerne le valaciclovir, étant donné que la publication de Beauchamp (1992) mentionnait que l’ester L-valylate était le meilleur promédicament de l’acyclovir sur le plan de la biodisponibilité orale et que cela était divulgué explicitement dans le brevet 721. La publication de Beauchamp et Krenitsky (1993) mentionne également que l’ester L-valylate était le meilleur promédicament de l’acyclovir et que d’autres évaluations cliniques étaient en cours. Selon l’état de la technique, l’on savait que le ganciclovir et l’acyclovir étaient des traitements efficaces contre les infections à herpèsvirus et que leur biodisponibilité était faible en administration orale, et l’on savait que des promédicaments du ganciclovir et de l’acyclovir présentaient une meilleure biodisponibilité que les composés parents tout en étant stables et faiblement toxiques.

 

Quelle est l’idée originale des revendications?

[266]       Comme nous l’avons déjà souligné dans les présents motifs, un des principaux points de désaccord entre les parties concerne l’idée originale et il a fallu, par conséquent, dans le contexte de l’interprétation des revendications, cerner cette idée originale. Les diverses considérations touchant l’idée originale sont exposées aux paragraphes 99 à 132.

 

[267]       Le désaccord des parties quant à l’idée originale a entraîné un « débat incident ». Comme l’a précisé la Cour dans le jugement AstraZeneca, lorsque l’idée originale est indissociable des revendications parce qu’elles consistent en une simple formule chimique, la Cour doit examiner le mémoire descriptif en entier pour déterminer la nature de l’idée originale.

 

[268]       Dans Pozzoli SPA v BMDO SA & Anor, [2007] EWCA Civ 588, le juge Lewison conseille de ne pas s’en tenir aux différends concernant l’idée originale, mais de se limiter aux différences entre ce qui est revendiqué et l’art antérieur.

 

[269]       Comme je l’ai exposé en détail aux paragraphes 99 à 132, j’estime que l’idée originale est le valganciclovir, un promédicament stable présentant une faible toxicité et une biodisponibilité orale améliorée par rapport au ganciclovir.

 

Quelles sont les différences entre « l’état de la technique » et l’idée originale?

[270]       Comme je l’ai mentionné précédemment, selon l’état de la technique, l’on savait que le ganciclovir et l’acyclovir étaient des traitements efficaces contre les infections à herpèsvirus et que leur biodisponibilité était faible en administration orale, et l’on savait que des promédicaments du ganciclovir et de l’acyclovir présentaient une meilleure biodisponibilité que les composés parents tout en étant stables et faiblement toxiques.

 

[271]       L’idée originale consistait en la formation d’un ester entre la mono-L-valine et le ganciclovir (c.-à-d. le valganciclovir), qui permettait d’améliorer la biodisponibilité du composé tout en demeurant stable et faiblement toxique.

 

Ces différences constituent-elles des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art ou exigent-elles plutôt un certain degré d’inventivité; autrement dit, aurait-il été évident d’ajouter la mono-L-valine pour former un ester?

 

[272]       Compte tenu de l’état de la technique, il appert que de nombreux composés possibles étaient en cours de développement et qu’il fallait recourir à une certaine forme d’expérimentation. Dans la présente affaire, il faut tenir compte de l’essai « allant de soi » de même que des facteurs qui servent de base à cet essai.

 

[273]       Comme l’indique la juge Snider dans Laboratoires Servier c Apotex Inc., 2008 CF 825, [2008] ACF No 1094 (conf. 2009 CAF 222), au paragraphe 254 :

[254] […] il est possible de réunir une mosaïque de réalisations antérieures afin de faire en sorte qu’une revendication soit évidente. On suppose que même des techniciens non inventifs versés dans l’art lisent différentes revues professionnelles, participent à différents congrès et appliquent les enseignements tirés d’une source à un autre contexte ou qu’ils combineraient même les sources. Toutefois, ce faisant, la partie faisant valoir l’évidence doit être en mesure de montrer non seulement l’existence de réalisations antérieures, mais aussi la manière dont la personne normalement versée dans l’art aurait été amenée à combiner les éléments pertinents provenant de la mosaïque des réalisations antérieures. […]

 

[274]       À ce stade-ci, la question qui se pose est celle de savoir s’il allait plus ou moins de soi que le composé résultant de l’ajout de la mono-L-valine au ganciclovir aurait présenté une meilleure biodisponibilité que le ganciclovir tout en demeurant stable et faiblement toxique.

 

Témoignage des experts au sujet de l’essai « allant de soi »

[275]       Avant d’examiner chacun des facteurs pour déterminer si l’invention allait de soi, j’ai pris en considération les opinions des experts sur la question de l’évidence. Comme dans le cas des autres questions, les experts se trouvent en désaccord. Les experts d’Apotex se concentrent sur les travaux de recherche de 1994 portant sur l’acyclovir et se concentrent beaucoup moins sur l’art antérieur. Ils sont d’avis que ces travaux de recherche auraient amené la personne versée dans l’art à suivre le modèle de l’acyclovir, ce qui l’aurait menée directement à l’invention du valganciclovir.

 

[276]       Les experts de Roche soulignent que l’art antérieur est diversifié et expriment l’opinion selon laquelle l’ajout de la mono-L-valine au ganciclovir n’aurait pas été une étape évidente étant donné que l’art antérieur ne pointait pas vers les monoesters, que l’acyclovir et le ganciclovir sont des composés distincts, quoique similaires à certains égards, et qu’il n’aurait pas été possible de prévoir que la biodisponibilité serait meilleure ou encore de s’y attendre sans effectuer des essais au préalable.

 

[277]       Pour résumer les différences entre les connaissances générales courantes et l’idée originale du brevet 721, M. Sawchuk a indiqué qu’on ignorait qu’une personne ait pu vouloir fabriquer le mono-L-valinate de ganciclovir et qu’on ignorait, si ce composé était fabriqué, qu’il aurait les avantages divulgués dans le brevet 721, à savoir qu’il serait associé à une meilleure absorption orale et à de plus grandes concentrations de ganciclovir dans l’organisme par rapport aux composés de l’art antérieur, que sa toxicité serait faible et que sa stabilité serait améliorée (paragraphe 67).

 

[278]       Monsieur Sawchuk fait également remarquer que la date de publication du brevet 721 constitue la première date à laquelle une personne versée dans l’art aurait eu accès publiquement à des renseignements sur la fabrication de l’ester mono-L-valinate de ganciclovir et à des données d’essai (paragraphe 68).

 

[279]       Selon M. Sawchuk, il y avait toujours de nombreuses options, mais la personne versée dans l’art aurait cherché à faire des disubstitutions plutôt que des monosubstitutions. Il a affirmé ce qui suit : [traduction] « Même si l’on consacrait ses efforts à la mise au point de promédicaments de type ester, il y aurait une multitude de voies à suivre. Quoi qu’il en soit, la quasi-totalité des types de promédicaments que la personne versée dans l’art aurait envisagés pour le ganciclovir l’aurait selon toute vraisemblance menée à choisir d’effectuer une disubstitution (et non une monosubstitution) au niveau du propanediol. En effet, même si la personne versée dans l’art se limitait aux esters de type L-valinate, elle conclurait que le bis-L-valinate est plus désirable comme promédicament du ganciclovir puisqu’il est plus lipophile que le monoester correspondant. » (paragraphe 73)

 

[280]       Monsieur Sawchuk a présenté un résumé de l’ensemble des références citées dans l’avis d’allégation d’Apotex et a souligné que les brevets GB 2,140,070, EP 0,099,493, US 4,556,659 et EP 0,186,297, ainsi que la publication d’E. J. Benjamin  et autres (1987), ne traitaient pas de l’ester mono-L-valinate de ganciclovir, et que certains de ces documents ne traitaient même pas du ganciclovir. Monsieur Sawchuk a commenté sur l’ensemble de l’art antérieur, et je résume ses observations sur les trois références de Beauchamp comme suit :

1.         Concernant la demande de brevet 329 déposée par Beauchamp (27 juin 1990), aucun ester de mono-acide aminé n’a été testé ni fabriqué (sauf « en tant que sous-produit dans un exemple »), et la personne versée dans l’art pourrait créer plusieurs millions de composés à partir de cette divulgation. La personne versée dans l’art ne serait toutefois pas incitée à essayer de créer des monoesters, car les inventeurs ont présenté dans leurs exemples ce qu’ils considèrent comme les composés les plus préférentiels, lesquels sont tous des diesters » (paragraphe 78) [souligné dans l’original].

 

2.         La publication de Beauchamp et autres (1992) ne mentionne pas le ganciclovir. De plus, le ganciclovir et l’acyclovir ont des propriétés physicochimiques et biologiques différentes, et l’on pourrait donc s’attendre à ce que les dérivés d’acide aminé de ces composés aient eux aussi des propriétés différentes. On ne sait pas trop pourquoi l’avis d’allégation indiquerait que l’article de Beauchamp de 1992 [traduction] « indiquerait à une personne versée dans l’art qu’un changement parallèle dans la structure du ganciclovir (la préparation d’un monoester) permettrait également d’améliorer la biodisponibilité ». Cette publication n’indiquerait rien à une personne versée dans l’art au sujet de l’absorption d’esters d’un acide aminé et du ganciclovir chez les rats ou chez quelque autre animal, y compris l’humain. On s’attendrait à ce que l’ester bis-L-valinate soit mieux absorbé que l’ester mono-L-valinate, qui est moins lipophile, c’est-à-dire à ce que la biodisponibilité du ganciclovir et l’aire sous la courbe soient plus importantes (paragraphe 85).

 

3.         La publication de Beauchamp et Krenitsky (1993) n’aurait pas amené une personne versée dans l’art à envisager la mise au point d’un ester mono-L-valylate de ganciclovir dans le but de s’en servir comme promédicament antiviral. Même si on se limitait, lors de l’élaboration d’un promédicament du ganciclovir, à des esters d’acide aminé et qu’on se concentrait plus précisément sur l’utilisation de la L-valine, on conclurait que l’ester bis-L-valinate serait un promédicament bien plus désirable, car il est plus lipophile que le monoester correspondant (paragraphe 90). Malgré le fait que la concentration sanguine d’acyclovir soit plus élevée après l’administration orale du promédicament de type monoester qu’après l’administration orale de l’acyclovir même, la biodisponibilité moyenne calculée du valaciclovir, soit environ 29 %, [traduction] « n’est pas très impressionnante et n’est pas beaucoup plus élevée que celle du composé parent, l’acyclovir, comme mentionné ci-dessus ». La personne versée dans l’art qui chercherait à mettre au point un promédicament du ganciclovir qui soit bien absorbé par voie orale et qui présente un bon profil de toxicité ne serait pas portée à suivre cette voie, c’est-à-dire la préparation d’un monoester d’un acide aminé et du ganciclovir. Elle envisagerait plutôt d’autres approches, notamment la préparation de diesters du ganciclovir (paragraphe 93).

 

[281]       Monsieur Sawchuk s’est également demandé si les différences entre les connaissances générales courantes et l’idée originale du brevet 721 exigeraient un certain degré d’inventivité. À son avis, il fallait fournir un effort pour parvenir au résultat, l’issue n’était pas prévisible, et rien n’aurait motivé la personne versée dans l’art à poursuivre la réalisation de cette invention.

 

[282]       Monsieur Sawchuk a admis qu’il y avait une certaine motivation à chercher des promédicaments en raison de la faible biodisponibilité du ganciclovir, mais il a indiqué que rien n’aurait amené la personne versée dans l’art à préférer une approche plutôt qu’une autre. Selon lui, il y aurait de nombreuses stratégies.

 

[283]       Monsieur Sawchuk a mis l’accent sur la lipophilie et a fait remarquer que [traduction] « […] si je m’étais demandé quel promédicament serait plus lipophile et, par conséquent, plus susceptible d’augmenter la concentration de ganciclovir dans la circulation générale de façon à en améliorer la biodisponibilité, j’aurais privilégié l’ester bis-L-valinate de ganciclovir plutôt que l’ester mono-L-valinate de ganciclovir » (paragraphe 134).

 

[284]       En ce qui concerne la question de savoir s’il allait plus ou moins de soi que l’invention serait fructueuse ou si cela était plus ou moins prévisible, M. Sawchuk fait remarquer que [traduction] « […] même si la personne versée dans l’art avait été tentée d’élaborer un promédicament en utilisant des esters, il aurait été impossible pour cette personne de prédire les propriétés de quelque composé que ce soit sans d’abord fabriquer le composé et l’analyser » (paragraphe 135).

 

[285]       Monsieur Sawchuk conclut en indiquant que, même si les publications avaient divulgué le fait que la mise au point d’un monoester était la voie à suivre, la personne versée dans l’art se serait attendue à ce que l’ester mono-L-valinate présente un certain avantage par rapport au ganciclovir, mais pas par rapport à l’ester bis-L-valinate de ganciclovir. Cependant, le monoester serait moins lipophile et donc moins désirable (paragraphe 136).

 

[286]       Monsieur Sawchuk a bien admis dans son contre-interrogatoire que les personnes versées dans l’art, en 1994, auraient considéré que les concentrations plasmatiques obtenues avec le valaciclovir étaient sensiblement supérieures à celles obtenues avec l’acyclovir.

 

[287]       S’agissant des efforts – leur nature et leur ampleur – requis pour réaliser l’invention, M. Sawchuk a souligné le fait que les activités de recherche et de développement ayant mené à la réalisation du brevet 721 avaient exigé du temps, des efforts et des ressources, et qu’il s’agissait d’un processus laborieux (paragraphe 141). Voici ce qu’il a dit à ce sujet : [traduction] « Premièrement, les inventeurs devaient déterminer quels dérivés considérer pour la mise au point d’un promédicament et comment les produire à des fins d’analyse. » (paragraphe 142); « […] [S]i les inventeurs ont décidé, pour quelque raison que ce soit, de concentrer leurs efforts sur la mise au point d’esters du ganciclovir comme promédicaments, ils devaient d’abord synthétiser une série de dérivés, qui pourraient englober ou non l’ester mono-L-valinate de ganciclovir selon les critères choisis pour l’élaboration d’une catégorie de promédicaments. Deuxièmement, les inventeurs devaient isoler les composés à l’essai et les purifier, en déterminer les propriétés physicochimiques et biologiques… » (paragraphes 148-149); troisièmement, « […] [L]es inventeurs devaient ensuite préparer des formulations pharmaceutiquement acceptables du promédicament. » (paragraphe 150); enfin, « [L]es inventeurs devaient administrer les composés à des animaux dans des études conçues pour déterminer la biodisponibilité du ganciclovir, de même que d’autres promédicaments candidats. Ce n’est qu’à ce moment-là, après de longs et d’imprévisibles travaux de recherche et de développement, que les inventeurs sont parvenus à réaliser l’invention. » (paragraphe 151)

 

[288]       Madame Tsantrizos a résumé son opinion au sujet de l’évidence au paragraphe 20b) de son affidavit, où elle indique ce qui suit : [traduction] « Apotex n’a pas eu recours à une approche scientifique valide pour déterminer s’il était évident que le L-valganciclovir aurait des avantages tels qu’une biodisponibilité améliorée. Quoi qu’il en soit, aucune des antériorités avancées par Apotex n’indique ni ne permet de croire qu’il faudrait fabriquer l’ester monosubstitué L-valganciclovir ou que ce composé présenterait des avantages par rapport au ganciclovir. Au contraire, les pièces d’art antérieur indiquent plutôt que les esters disubstitués du ganciclovir sont la piste préférentielle à explorer pour ce qui concerne les analogues du ganciclovir (si l’on envisage une estérification au niveau du groupement sucre du nucléoside pour fabriquer un promédicament). »

 

[289]       Madame Tsantrizos a également affirmé que rien n’aurait incité un chimiste médicinal versé dans l’art fabriquant des promédicaments antiviraux à fabriquer du L-valganciclovir (plutôt qu’une autre forme de ganciclovir) en s’attendant à ce que ce composé ait un meilleur profil de biodisponibilité que le ganciclovir. Elle partage l’avis de M. Sawchuk selon lequel rien n’aurait pu inciter quiconque à fabriquer le monoester L-valinate de ganciclovir (paragraphe 65) et que, compte tenu des connaissances qui prévalaient en 1994, la personne versée dans l’art qui aurait cherché à fabriquer un ester du ganciclovir aurait fabriqué un diester (paragraphe 66).

 

[290]       Madame Tsantrizos a également indiqué qu’il fallait fabriquer le L-valganciclovir et le soumettre à des analyses afin de découvrir les priorités voulues décrites dans le brevet 721. Sans la divulgation du brevet 721, rien n’aurait mené les inventeurs à fabriquer et à analyser le L-valganciclovir (paragraphes 67 et 79).

 

[291]       Après avoir passé en revue l’art antérieur, Mme Tsantrizos conclut que le chimiste médicinal versé dans l’art qui lirait le brevet EP 329 et l’article « Amino acid ester prodrugs of acyclovir » supposerait que Mme Beauchamp et ses collègues, qui savaient parfaitement que le ganciclovir était un médicament plus puissant que l’acyclovir et que les promédicaments de type L-valinate pourraient vraisemblablement améliorer la biodisponibilité orale, parviendraient à la conclusion qu’il ne valait pas la peine de fabriquer le monoester L-valinate de ganciclovir comme promédicament pour obtenir des avantages thérapeutiques par rapport au médicament parent ou au diester. Elle fait également valoir que, s’il avait été évident qu’il fallait fabriquer le monoester, il faudrait alors se demander pourquoi l’équipe de Mme Beauchamp n’avait pas fabriqué ou analysé ce composé (paragraphe 78).

 

[292]       Monsieur McGuigan a exprimé l’avis selon lequel un chimiste médicinal aurait préparé l’ester mono-L-valinate de ganciclovir, le valganciclovir, dans le cadre normal des travaux visant à obtenir de meilleurs résultats par rapport au ganciclovir. Il a souligné qu’une telle personne serait motivée à le faire et que cela aurait été évident. Il donne les précisions suivantes : [traduction] « Le chimiste médicinal saurait également comment synthétiser le valganciclovir. Il préparerait ce composé, suivrait les étapes nécessaires à la préparation de cristaux du composé, et préparerait des formulations du composé. Ce chimiste médicinal s’attendrait très fortement à ce que la formulation résultante fasse en sorte que du ganciclovir soit libéré dans l’organisme et agisse en tant qu’antiviral. » (paragraphe 317)

 

[293]       Selon M. McGuigan, même si les caractéristiques voulues du brevet 721 étaient celles énoncées par les experts de Roche (c.-à-d. une biodisponibilité améliorée par rapport aux diesters et aux autres esters), il n’y aurait toujours aucune différence entre l’état de la technique et l’activité inventive. Voici ce qu’il écrit, au paragraphe 318 de son affidavit :

[traduction]

Le chimiste médicinal se serait également attendu à ce que l’administration de l’ester mono-L-valinate de ganciclovir soit associée à une meilleure biodisponibilité qu’après l’administration de ganciclovir. De plus, il se serait également attendu à ce que le composé soit stable et faiblement toxique (ou au moins d’une toxicité semblable à celle du ganciclovir), tout particulièrement à la lumière du cas du valaciclovir. L’ester L-valinate d’acyclovir s’est révélé stable, et plus stable que des esters d’acide aminé plus simples [Beauchamp (1992)]. Par rapport à la toxicité du nucléoside libre, la toxicité du promédicament même serait négligeable, s’agissant d’un promédicament de type aminoester, facilement clivable, d’un nucléoside à chaîne ouverte. C’est ce que l’on avait observé dans le cas du valaciclovir.

 

[294]       Monsieur McGuigan a indiqué de façon générale que les travaux décrits dans le brevet 721 n’étaient pas difficiles ou inventifs.

 

[295]       En ce qui concerne l’acyclovir, M. McGuigan fait remarquer que ce composé est très semblable au ganciclovir sur le plan de la structure et des effets biologiques, et qu’un chimiste médicinal aurait su que l’approche consistant à fabriquer un promédicament de type L-valinate aurait permis d’améliorer l’hydrosolubilité de l’acyclovir et sa biodisponibilité, y compris chez l’humain. Par conséquent, le chimiste médicinal ne commencerait pas ses travaux en partant de zéro et envisagerait toutes les options qui lui permettraient d’améliorer la biodisponibilité orale. Il se reporterait à l’antériorité la plus rapprochée, nommément l’acyclovir et l’ester L-valinate d’acyclovir, soit le valaciclovir, étant donné que ce composé avait fait l’objet d’essais cliniques et avait présenté des résultats encourageants, à savoir une augmentation sensible de la biodisponibilité orale.

 

[296]       Monsieur McGuigan a admis qu’il n’était pas possible de prédire sans l’ombre d’un doute que l’on parviendrait au même résultat avec le ganciclovir, mais il souligne que la préparation d’esters de L-acide aminé du ganciclovir, et plus particulièrement d’un ester mono-L-valinate, serait fondée sur un raisonnement chimique valable et que l’on s’attendrait à ce que cela fonctionne. Il a mentionné à plusieurs reprises que les chimistes médicinaux établissent couramment des analogies, comme dans le cas de l’acyclovir/ganciclovir et du ganciclovir/valganciclovir.

 

[297]       Monsieur McGuigan s’est également opposé au témoignage de M. Sawchuk, et ce, à plusieurs égards. Voici ce qu’il a exprimé sur la question de savoir si l’élaboration d’un promédicament aurait mené à la sélection du diester :

[traduction]

Je ne suis pas d’accord pour dire qu’un chimiste médicinal aurait choisi le diester plutôt que le monoester dans le cas du valinate. Tout d’abord, le mono-L-valinate serait plus analogue au promédicament fructueux découlant de l’acyclovir, à savoir le valaciclovir, que le diester. Dans les deux cas, on ajoute un seul groupement ester; l’ajout d’un deuxième ester de L-valine formerait un composé dont la taille et la masse seraient beaucoup plus importantes que celles du monoester (paragraphe 348).

 

[298]       Il a également fait observer que M. Sawchuk a une vue simpliste de la lipophilie, propos qu’il clarifie ensuite en expliquant que la biodisponibilité dépend de divers facteurs et non seulement de la lipophilie. Selon les experts, le terme « lipophile » signifie « qui aime les graisses ». Ce terme désigne des molécules qui sont solubles dans les lipides et peu solubles dans l’eau. La lipophilie d’une molécule est normalement déterminée à partir de son coefficient de partage (P). Plus le coefficient de partage est élevé, plus la lipophilie l’est aussi. Les molécules (médicaments ou promédicaments) dont le logarithme du coefficient de partage (log P) est élevé pénètrent généralement facilement les membranes lipidiques et les traversent passivement, par diffusion, sans difficulté. Monsieur Sawchuk a indiqué qu’il y avait une corrélation entre le coefficient de partage d’une série de composés et la capacité de ces composés de traverser des membranes biologiques.

 

[299]       Monsieur McGuigan était généralement en désaccord avec M. Sawchuk et a indiqué que, bien que l’acyclovir et le ganciclovir soient deux composés distincts, ils sont si étroitement apparentés sur le plan chimique que toute analogie à l’égard de dérivés semblables est parfaitement valable et même pratique courante en chimie médicinale. Il fait notamment valoir que l’établissement d’analogies entre des composés présentant une structure semblable est le paradigme prédominant et la stratégie principale en chimie médicinale (paragraphe 358).

 

[300]       Monsieur Zhanel indique que le fait de qualifier le valganciclovir et ses sels de promédicament utile du ganciclovir ne constitue pas une activité inventive. Selon lui, bien que les « caractéristiques voulues » décrites dans le brevet ne constituent pas ce qu’il considérerait comme une idée originale, il n’y aurait aucune différence sur le plan de l’inventivité entre l’art antérieur et la réalisation du fait que le chlorhydrate de valganciclovir et ses sels posséderaient ces caractéristiques voulues. Il indique que le pharmacologue versé dans l’art s’attendrait à ce que le valganciclovir et ses sels soient stables et présentent le même profil de toxicité que le ganciclovir. Ce pharmacologue versé dans l’art fabriquerait les composés et les soumettrait à des analyses courantes pour vérifier ses attentes (paragraphe 181).

 

[301]       En ce qui concerne la comparaison entre l’acyclovir et le ganciclovir, il fait valoir qu’un pharmacologue versé dans l’art aurait su, en 1994, que le ganciclovir était couramment utilisé et qu’il était efficace en administration intraveineuse pour le traitement, la prévention et l’élimination des infections à herpèsvirus. Le ganciclovir présentait un avantage par rapport à l’acyclovir, car il était hautement actif contre le cytomégalovirus (CMV), à la fois in vitro et in vivo (paragraphe 182).

 

[302]       Monsieur Zhanel a indiqué que le pharmacologue versé dans l’art aurait su, en 1994, que les chercheurs de renommée internationale qui travaillaient sur l’acyclovir étaient confrontés au même problème que dans le cas du ganciclovir et qu’ils avaient résolu le problème associé à la biodisponibilité de l’acyclovir en fabriquant un promédicament de type ester, le L-valylate d’acyclovir (valaciclovir). Il a également ajouté que le pharmacologue versé dans l’art se tournerait vers l’ester L-valylate, car celui-ci est plus soluble dans l’eau, est stable in vitro et in vivo, et se convertit rapidement et presque complètement en le composé actif (paragraphe 187).

 

[303]       Monsieur Zhanel a également précisé que les tests concernant l’utilisation du valaciclovir contre les herpèsvirus visaient le [traduction] « même créneau commercial » que « […] le ganciclovir intraveineux et [que] cela aurait constitué une motivation à mettre au point rapidement un produit à base de ganciclovir qui présente une meilleure biodisponibilité sans être plus toxique » (paragraphe 190).

 

[304]       Monsieur Zhanel était d’accord avec M. McGuigan pour dire que les similitudes entre le ganciclovir et l’acyclovir, sur le plan de la structure chimique et des propriétés pharmacocinétiques, auraient mené le pharmacologue versé dans l’art à s’attendre aux mêmes résultats : étant donné que le corps humain transforme l’acyclovir et le ganciclovir de façon similaire, il s’ensuit que les dérivés d’acide aminé de ces composés (le valaciclovir et le valganciclovir) subiraient une transformation similaire (paragraphe 193).

 

[305]       Monsieur Boeckman fait valoir qu’un chimiste de synthèse serait fortement motivé à fabriquer du valganciclovir et son sel chlorhydrate, car il était notoire que le sel de la L-valine améliorait la biodisponibilité de l’acyclovir. Il fait également valoir que le brevet EP 329 englobe l’utilisation du composé dans une composition ou une formulation pharmaceutique en association avec des excipients adéquats pour traiter les infections à herpèsvirus. À la lumière de cette information, il a indiqué qu’il serait lui aussi parvenu au chlorhydrate de valganciclovir sous forme cristalline (paragraphe 106). Bien qu’aucun exemple du chlorhydrate de valganciclovir ou de la fabrication de la forme cristalline n’ait été divulgué, cela ne constituerait pas un obstacle pour un chimiste de synthèse, selon lui, et cela ne constituerait pas une activité inventive.

 

[306]       Comme les autres experts d’Apotex, M. Boeckman a admis que l’acyclovir était un composé « analogue » au ganciclovir. Il a mentionné l’influence des travaux antérieurs ayant porté sur l’acyclovir, qui ont mené au brevet EP 329 et aux esters d’acide aminé du ganciclovir en tant que promédicaments du ganciclovir, notamment les diesters et les monoesters, et en particulier l’ester valinate, et les sels chlorhydrates de ces composés.

 

[307]       Il a également mentionné que les travaux de recherche antérieurs menés sur l’acyclovir par la société Burroughs Wellcome [aujourd’hui GlaxoSmithKline (GSK)], dans le cadre desquels on avait préparé l’ester valinate d’acyclovir (valaciclovir), dont la biodisponibilité orale était sensiblement supérieure à celle de l’acyclovir, avaient incité le même chimiste à envisager une approche similaire pour améliorer la biodisponibilité du ganciclovir, ce qui a donné lieu au brevet EP 329. Ce brevet, les travaux de recherche plus récents sur le valaciclovir et les résultats encourageants obtenus dans le cadre de ces travaux auraient montré à la personne versée dans l’art que l’ester valinate serait vraisemblablement une solution viable pour accroître la biodisponibilité et l’absorption (paragraphe 110).

 

Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

[308]       En l’espèce, c’est ce volet de l’essai allant de soi qui est significatif parmi les divers facteurs.

 

[309]       Roche maintient qu’on ne peut dire d’une invention qu’elle « va de soi » que lorsqu’il est très clair et plus ou moins évident que l’essai en question serait la prochaine étape logique pour un chercheur versé dans l’art, mais non inventif. De plus, ce chercheur versé dans l’art devrait savoir avant d’effectuer quelque expérience que ce soit, ou prédire avec une certitude quasi absolue, que l’invention revendiquée « devrait être fructueuse ». La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas.

 

[310]       Roche fait valoir que les chercheurs pouvaient explorer d’innombrables pistes et que l’art antérieur ne pointait pas vers les monoesters. Roche prétend qu’il n’était pas généralement connu que les esters monosubstitués permettraient d’obtenir les caractéristiques voulues, c’est-à-dire une bonne stabilité, une biodisponibilité améliorée, une faible toxicité et un état cristallin. L’approche privilégiée était celle de la disubstitution. On a utilisé des métaphores pour souligner le fait que, en l’espèce, il n’y avait pas qu’une seule voie à emprunter, mais que la voie le plus préférentielle aurait vraisemblablement été celle des diesters.

 

[311]       Sans accès au brevet 721, il n’aurait pas été possible de déterminer que le L-valganciclovir (un monoester) serait associé à une meilleure biodisponibilité sans effectuer des travaux de recherche au préalable, et de tels travaux n’avaient pas été effectués avant 1994 dans le cas du ganciclovir. Si la personne versée dans l’art s’attendait à ce que l’ajout du monoester apporte certaines améliorations par rapport au ganciclovir, elle ne s’attendrait pas, en revanche, à ce qu’il y ait une amélioration de la biodisponibilité par rapport au brevet EP 329. De plus, le brevet EP 329 indiquait que la meilleure approche était celle des diesters.

 

[312]       S’agissant de l’importance qu’Apotex a donnée à l’acyclovir et au valaciclovir, Roche fait valoir qu’il ne serait pas possible de prédire que le monoester de ganciclovir serait préférable au diester de ganciclovir, et ce, même si l’on considérait l’acyclovir comme équivalent au ganciclovir.

 

[313]       Roche fait également valoir que, même si la biodisponibilité du valaciclovir était sensiblement supérieure à celle de l’acyclovir, cette amélioration était beaucoup moins importante que celle observée après l’ajout du diester au ganciclovir (brevet EP 329). Selon Roche, les articles scientifiques sur le sujet indiquaient que la biodisponibilité orale du valaciclovir était trois fois plus élevée que celle de l’acyclovir chez le rat, alors que dans le cas du bis-valinate de ganciclovir, la biodisponibilité chez le rat était six fois plus importante, comme le divulguent les exemples du brevet 721. Par conséquent, Roche avance que le monoester ne serait pas la voie à suivre, car la personne versée dans l’art conclurait que c’étaient les diesters qui permettaient d’obtenir l’amélioration la plus importante.

 

[314]       Comme je l’ai mentionné précédemment, la preuve au dossier indique que les résultats divulgués dans les exemples 9 et 10 du brevet 721 pourraient avoir été exagérés. La preuve corrobore bien le fait que la biodisponibilité du composé divulgué par le brevet 721 est supérieure à celle du ganciclovir, des diesters et des autres esters, mais l’ampleur de cette amélioration est en litige.

 

[315]       Roche fait également observer qu’il n’aurait pas été possible de prédire la biodisponibilité améliorée de l’invention du brevet 721 sans d’abord effectuer des travaux de recherche.

 

[316]       Selon Apotex, la personne versée dans l’art aurait pu réaliser l’invention sans esprit inventif ou sans effort ardu et prolongé. Il allait plus ou moins de soi que l’effort serait fructueux. Le fait qu’il puisse y avoir diverses approches ou [traduction] « de multiples voies à emprunter » pour parvenir au résultat voulu ne signifie pas que l’invention n’était pas évidente.

 

[317]       Apotex s’est appuyée sur Shire Biochem c Canada (ministre de la Santé), 2008 CF 538, [2008] ACF 690 [Shire Biochem], et a fait remarquer que l’état de la technique et les connaissances générales courantes aideraient la personne versée dans l’art dans l’éventualité où l’invention ne serait pas antériorisée.

 

[318]       Dans le jugement Shire Biochem, le juge Hughes traite de la différence entre les concepts de nouveauté et d’évidence lorsqu’il est question de la validité d’un brevet. Il a renvoyé à Rothmans, Benson et Hedges Inc c Imperial Tobacco Ltd, [1993] ACF no 135, 47 CPR (3d) 188 [Rothmans], qui indiquait le test applicable à l’époque, tel que décrit dans Beloit, et a ensuite souligné que l’antériorité devait ressortir d’un seul brevet, mais que le caractère évident devait être évalué à la lumière de l’état de la technique et des connaissances générales courantes à la date de l’invention. Au paragraphe 76, le juge Hughes cite le passage suivant des pages 197 à 199 de Rothmans :

L’antériorité doit donc ressortir d’un seul document qui permet déjà à la personne versée de connaître intégralement ce qui est revendiqué. Cependant, dans le cas du caractère évident, [traduction] « il faut examiner les inventions antérieures et prendre en considération leur effet cumulatif », on parle alors de la [traduction] « mosaïque d’extraits ».

 

Il s’agit d’une question de fait dans les deux cas.

 

[319]       Le juge Hughes a ensuite fait les remarques suivantes, au paragraphe 78, en ce qui concerne le brevet en cause dans cette affaire : « […] [S]i l’on trouve qu’il manque quelque chose lorsqu’on examine l’antériorité, ces lacunes sont facilement comblées quand il est question de l’évidence. »

 

[320]       Selon Apotex, la personne versée dans l’art saurait, au 28 juillet 1994, que la biodisponibilité orale du ganciclovir devrait être améliorée, et les travaux de recherche qu’elle mènerait la conduiraient aux références citées dans l’avis d’allégation et dans le brevet. Apotex fait valoir qu’il n’est pas nécessaire que la personne versée dans l’art « connaisse » les résultats de l’expérience avant de l’entreprendre : il suffit qu’elle ait des attentes raisonnables quant au succès de l’expérience.

 

[321]       En juillet 1994, la recherche (c.-à-d. Beauchamp et Krenitsky, The Road to Acyclovir) était axée sur le valaciclovir, et ces travaux auraient éclipsé tous les autres dans le domaine, rendant les autres antériorités, qu’Apotex a décrites comme étant des échecs, beaucoup moins pertinentes. Apotex a comparé les travaux de recherche portant sur le valaciclovir au « Saint Graal » en raison des essais cliniques qui étaient menés sur des sujets humains. Comme je l’ai souligné précédemment, tous les experts d’Apotex partageaient l’avis selon lequel le valaciclovir était la voie à suivre et, selon les propos de M. Zhanel, cette voie à suivre était aussi claire qu’un [traduction] « rayon laser ».

 

[322]       Les experts d’Apotex ont indiqué que l’acyclovir et le ganciclovir étaient très semblables sur le plan de la structure, de l’activité et de la biodisponibilité. Par conséquent, l’ajout d’un seul ester L-valinate à l’acyclovir pour en faire du valaciclovir était clairement la voie à suivre, et c’est ce qui a incité les chercheurs à ajouter un seul ester L-valinate au ganciclovir pour en faire du valganciclovir et améliorer ainsi la biodisponibilité du ganciclovir en administration orale.

 

[323]        Apotex et ses experts ont indiqué que la biodisponibilité orale du valaciclovir était sensiblement supérieure à celle de l’acyclovir et que, parmi les nombreux promédicaments étudiés, le valaciclovir était celui qui possédait la plus grande biodisponibilité tout en étant plus soluble dans l’eau, stable in vitro et in vivo, converti rapidement et presque complètement en le composé parent, et comparable à l’acyclovir sur le plan de l’innocuité.

 

[324]       Monsieur McGuigan a fait remarquer que le chimiste médicinal aurait su que le valaciclovir était l’ester formé entre l’acide aminé L-valine et l’acyclovir, et qu’il avait été démontré que le valaciclovir pouvait être administré par voie orale et qu’il présentait une meilleure biodisponibilité. La personne versée dans l’art aurait compris que le mécanisme de transport en cause augmentait de façon sélective l’absorption dans l’organisme des esters d’acide aminé de conformation « L », à savoir la conformation naturelle, et que l’ester L-valinate était le meilleur des promédicaments de l’acyclovir de type ester d’acide aminé. Selon lui, le chimiste médicinal préparerait l’ester L-valinate de ganciclovir en s’attendant à ce que ce médicament se comporte comme un promédicament chez l’humain et améliore la biodisponibilité orale du ganciclovir.

 

[325]       Monsieur McGuigan a fait remarquer que le valaciclovir était à l’époque le composé qui présentait la meilleure biodisponibilité, qu’il présentait également une plus grande solubilité dans l’eau, et que le promédicament était rapidement et complètement converti en le composé voulu sans effet toxique. Le valaciclovir avait également fait l’objet d’essais chez l’humain, et d’autres essais cliniques étaient en cours.

 

[326]       Selon Apotex, sachant que le promédicament était mieux absorbé, il aurait été évident de tenter d’effectuer une substitution à l’aide d’un monoester sur le ganciclovir, de façon à former du L-valganciclovir.

 

[327]       De plus, Apotex fait valoir que des expériences courantes en chimie auraient permis à la personne versée dans l’art de préparer du valganciclovir. Étant donné qu’elle considère que le caractère cristallin du composé constitue l’idée originale, Apotex fait également observer que la personne versée dans l’art aurait pris des mesures ordinaires pour cristalliser le valganciclovir et se serait attendue à ce que le procédé de cristallisation fonctionne.

 

[328]       Comme je l’ai déjà mentionné, Apotex fait valoir de façon subsidiaire que si l’idée originale des revendications consiste en le fait que le valganciclovir présente une meilleure biodisponibilité orale que le diester ou que les autres esters, les revendications sont alors évidentes.

 

[329]       La preuve présentée par les deux parties établit que, si le diester est plus lipophile que le valganciclovir dans ses formes neutres, il n’aurait en revanche pas nécessairement été mieux absorbé. Apotex maintient que la personne versée dans l’art aurait préféré le monoester pour améliorer la biodisponibilité du ganciclovir, car cette molécule serait plus semblable au valaciclovir que le diester.

 

[330]       En ce qui concerne la lipophilie, la preuve des experts indique qu’il ne s’agit que d’un facteur parmi plusieurs autres ayant une incidence sur la biodisponibilité. Les experts d’Apotex ont indiqué que la biodisponibilité ne dépendait pas de la lipophilie, mais plutôt de la stéréochimie.

 

[331]       Dans l’arrêt Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2009 CAF 8, [2009] ACF no 66, la Cour d’appel fédérale a indiqué clairement que l’expression « allant de soi » ne comprend pas une situation qui aurait éveillé la personne versée dans l’art à la possibilité que quelque chose valait d’être tenté. L’invention doit aller plus ou moins de soi.

 

[332]       Dans le jugement AstraZeneca, le juge Near (maintenant juge de la Cour d’appel fédérale) a exprimé le test de la façon suivante :

[41] La décision Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CAF 8, [2009] ACF no 66 [Pfizer c Apotex] invite la Cour à adopter la norme des « chances raisonnables de succès ». Au paragraphe 44, la Cour d’appel fédérale estime que les solutions « prévisibles », et donc évidentes, équivalent à des « solutions qui comportent [traduction] “des chances raisonnables de succès” » (Pfizer c Apotex, précité). La Cour a également souscrit à cette norme. Dans Pfizer Canada Inc c Ratiopharm Inc, 2010 CF 612, [2010] ACF no 748, par exemple, la Cour a décidé qu’il était évident ou manifeste que le médicament en cause avait une chance raisonnable de parvenir à la solution décrite dans le brevet, compte tenu de l’art antérieur (voir le paragraphe 171).

 

[333]       Les experts d’Apotex insistaient sur le fait que le valaciclovir traçait la voie vers l’ajout de l’ester mono-L-valinate au ganciclovir tel un « rayon laser ».

 

[334]       Les experts de Roche, pour leur part, ont fait remarquer que l’art antérieur est diversifié, dont l’acyclovir et le ganciclovir, de même que d’autres composés semblables.

 

[335]       Je ne suis pas d’accord avec Apotex pour dire que la personne versée dans l’art aurait mis de côté toutes les pièces d’art antérieur parce qu’elles se seraient révélées être des « échecs » et qu’elles n’auraient tenu compte que des travaux de recherche sur l’acyclovir et le valaciclovir menés en 1993. Les travaux de recherche antérieurs ne se sont pas tous révélés des échecs. Par exemple, le brevet EP 329 déposé l’année précédente, en 1992, n’était certainement pas un échec puisqu’on a réussi à améliorer la biodisponibilité orale du ganciclovir. Cependant, l’état de la technique en 1994 comprenait l’art antérieur jusqu’au brevet EP 329, de même que les travaux de recherche sur le valaciclovir. Le brevet EP 329 et le valaciclovir offraient un nombre limité de solutions prévisibles pour améliorer la biodisponibilité du ganciclovir.

 

[336]       Les travaux de recherche sur l’acyclovir étaient très pertinents et persuasifs. Bien qu’ils n’aient pas mené à la conclusion selon laquelle le valaciclovir présenterait une meilleure biodisponibilité par rapport aux autres esters du ganciclovir, y compris par rapport au brevet EP 329, ils indiquaient clairement que la biodisponibilité du valaciclovir était supérieure à celle de l’acyclovir. Ces travaux indiquaient également que d’autres essais cliniques devraient être menés pour confirmer les résultats encourageants obtenus à l’époque.

 

[337]       À la page 627 de la publication « Acyclovir Prodrugs; The Road to Valaciclovir », Beauchamp et Krenitsky, Drugs of the Future (1993), on peut lire ce qui suit :

[traduction]

Ces premières études montrent que le valaciclovir est bien absorbé lorsqu’il est administré par voie orale, qu’il est converti rapidement et de façon efficace en acyclovir, ce qui permet aux concentrations du médicament d’être sensiblement supérieures dans l’organisme qu’après l’administration par voie orale du composé parent.

 

[338]       On peut également lire ce qui suit dans le sommaire de la même publication :

[traduction]

Dans le cas des promédicaments de l’acyclovir, les propriétés physiques telles que l’hydrosolubilité ou la liposolubilité (log P) ne sont pas des déterminants majeurs du composé dont la biodisponibilité sera la meilleure. La relation structure-activité des esters d’acide aminé donne à penser qu’un mécanisme de transport stéréospécifique (L- vs D-) entre en jeu. Les acides aminés ramifiés courants, la L-valine et la L-isoleucine, sont favorisés par ce transporteur proposé.

Les évaluations cliniques et toxicologiques approfondies auxquelles est soumis l’ester L-valylate d’acyclovir (valaciclovir) permettront de mieux définir la validité de ces conclusions.

 

[339]       Ainsi, le test ne consiste pas à déterminer si l’art antérieur aurait éveillé la personne versée dans l’art à la possibilité que la réalisation de l’invention valait d’être tentée. Si cela était le cas, il ne ferait aucun doute que l’ajout du monoester valait d’être tenté.

 

[340]       Les résultats encourageants obtenus avec le valaciclovir auraient mené l’inventeur à tenter de faire de même avec le ganciclovir afin d’en améliorer la biodisponibilité tout en en conservant les autres avantages. Ces travaux de recherche auraient été combinés avec les connaissances associées au brevet EP 329, qui divulguait à la fois le monoester et le diester et qui, même si les exemples et les analyses ne portaient que sur les diesters, avait montré que la biodisponibilité était supérieure à celle du ganciclovir. Il y avait deux voies à suivre. Étant donné que, dans le cas du brevet EP 329, on avait suivi la voie des diesters et des monoesters et on avait revendiqué une biodisponibilité améliorée, et que, dans les travaux de recherche sur l’acyclovir, on avait suivi la voie du monoester et on avait obtenu des résultats très encourageants quant à la biodisponibilité accrue du composé résultant, il aurait été plus ou moins évident que l’ajout de la mono-L-valine au ganciclovir aurait également permis d’obtenir une biodisponibilité supérieure à celle du ganciclovir.

 

[341]       Étant donné les résultats encourageants obtenus avec le valaciclovir et l’engagement à réaliser d’autres essais cliniques, la décision d’adopter la même approche pour améliorer le ganciclovir et d’ajouter l’ester mono-L-valinate au ganciclovir pour obtenir une meilleure biodisponibilité, supérieure même à celle des diesters, bien qu’il ne s’agisse pas de l’idée originale, tout en conservant une bonne stabilité et une faible toxicité, était plus qu’une simple conjecture.

 

Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

[342]       Roche allègue qu’il fallait effectuer plus que des essais courants pour réaliser l’invention. Il fallait notamment fabriquer les composés et mener des essais in vivo sans s’attendre à ce que cela entraîne une meilleure biodisponibilité ou à ce que ces essais s’avèrent fructueux. L’examen de l’art antérieur et des travaux de recherche précédents révèle de nombreux exemples où l’on n’a pas obtenu d’amélioration.

 

[343]       Selon le témoignage de M. Sawchuk, les travaux de recherche et de développement ayant mené à la réalisation de l’invention nécessitaient du temps, des efforts et des ressources, et étaient laborieux. Il a fait remarquer que les inventeurs devaient d’abord déterminer quels dérivés considérer pour la mise au point d’un promédicament et qu’ils devaient ensuite déterminer comment les fabriquer à des fins d’analyse, ce qui aurait pu mener à la synthèse d’une série de dérivés qui auraient pu comprendre ou non l’ester mono-L-valinate de ganciclovir. Les inventeurs devaient ensuite isoler les composés à l’essai, les purifier et en déterminer les propriétés physicochimiques et biologiques. Les inventeurs devaient ensuite préparer des formulations pharmaceutiquement acceptables des promédicaments. La dernière étape consistait à administrer les composés à des animaux dans des études visant à déterminer la biodisponibilité du ganciclovir même, de même que d’autres promédicaments candidats.

 

[344]       Messieurs McGuigan et Zhanel ont exprimé l’opinion selon laquelle le chimiste médicinal et le pharmacologue versés dans l’art sauraient comment synthétiser le valganciclovir et comment vérifier leurs attentes au moyen d’expériences courantes. Selon eux, il serait également d’usage de préparer le produit sous forme cristalline.

 

[345]       S’agissant de la prétention de Roche selon laquelle l’art antérieur traçait la voie vers les diesters et non vers les monoesters, l’expert d’Apotex a fait valoir que même si la personne versée dans l’art avait l’intention de préparer le diester, du vaganciclovir serait également formé et isolé puis évalué en parallèle. Selon le témoignage de M. McGuigan, la synthèse des diesters produirait vraisemblablement un mélange du monoester et du diester. Il a indiqué que le chimiste médicinal versé dans l’art ne laisserait pas de côté le monoester, mais séparerait plutôt les deux composés pour ensuite poursuivre ses travaux de développement et ses analyses avec chacun des deux composés.

 

[346]       Apotex a également fait valoir qu’il fallait tirer une conclusion défavorable, car la société Roche demanderesse n’avait offert aucune preuve quant à l’historique de l’invention ou des efforts entrepris par les inventeurs.

 

[347]       Bien que je ne tire pas de conclusion défavorable, je ferais remarquer que ces renseignements auraient été utiles.

 

[348]       Je ferais également remarquer qu’il semble y avoir eu beaucoup de progrès en peu de temps quant à la résolution des problèmes de biodisponibilité orale. En 1992, le brevet EP 329 divulguait à la fois des monoesters et des diesters et indiquait que la biodisponibilité orale était améliorée, mais les analyses n’avaient été effectuées que sur les diesters et il était indiqué que les diesters étaient préférentiels. En 1993, les travaux de recherche menés sur le valaciclovir ont révélé que le monoester était prometteur; ces chercheurs indiquaient également les résultats des essais cliniques et envisageaient de réaliser d’autres essais. En 1994, le brevet 721 a été déposé. Si les analyses et la recherche avaient été longues et ardues, il aurait vraisemblablement fallu plus de temps pour découvrir les avantages divulgués dans le brevet 721 et pour déposer le brevet.

 

L’art antérieur fournit-il un motif de chercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

[349]       Selon Roche, après la publication du brevet EP 329, il n’y avait pas de motivation à explorer la fabrication d’autres esters du ganciclovir. Selon les experts de Roche, Mme Beauchamp, chef de file dans le domaine, avait illustré et préféré le bis-valinate comme l’un des meilleurs composés qui puisse améliorer la biodisponibilité orale du composé parent, et il n’y aurait par conséquent rien qui aurait incité d’autres personnes à chercher d’autres approches.

 

[350]       Le facteur de la motivation sert à déterminer s’il y avait de bonnes raisons, dans l’art antérieur, de chercher la solution au problème qui sous-tend le brevet 721 (c.-à-d. le valganciclovir, dont la biodisponibilité est supérieure à celle du ganciclovir). Compte tenu des travaux de recherche en cours sur les promédicaments en général, de la divulgation du brevet EP 329 et des travaux de recherche portant sur l’acyclovir, on ne peut affirmer qu’il n’y avait pas de motivation à continuer à améliorer la biodisponibilité du ganciclovir. Il semble que tous les experts étaient d’accord pour dire que la recherche d’un moyen d’améliorer la biodisponibilité était un objectif constant; des travaux de recherche étaient en cours en ce sens, et il y avait également une concurrence entre les concepteurs et les fabricants de médicaments. Comme je l’ai mentionné précédemment, les experts d’Apotex ont mis l’accent sur les améliorations par rapport au ganciclovir. Ils n’ont toutefois pas indiqué que ces améliorations concernaient les autres esters, y compris le diester (c.-à-d. le brevet EP 329). Cependant, je suis d’accord pour dire qu’il y avait une motivation pour améliorer le ganciclovir dans toute la mesure du possible, y compris par rapport au brevet EP 329, même si telle n’était pas l’intention (et même s’il ne s’agit pas de l’invention).

 

[351]       Monsieur Zhanel a également précisé que les tests concernant l’utilisation du valaciclovir contre les herpèsvirus visaient le [traduction]« même créneau commercial » que  « […] le ganciclovir intraveineux et [que] cela aurait constitué une motivation à mettre au point rapidement un produit à base de ganciclovir qui présente une meilleure biodisponibilité sans être plus toxique » (paragraphe 190).

 

[352]       La concurrence entre fabricants de médicaments est un facteur dont il faut tenir compte pour évaluer la motivation. Étant donné l’art antérieur, qui divulguait des travaux de recherche à la fois sur le ganciclovir et sur l’acyclovir, et vu le consensus selon lequel ces médicaments étaient les principaux médicaments utilisés pour traiter les infections à herpèsvirus, le ganciclovir étant plus efficace contre certaines souches du virus, les concurrents seraient fortement incités à améliorer le ganciclovir.

 

Conclusion au sujet de l’évidence

[353]       Le test en quatre parties utilisé pour déterminer si une invention est évidente et les facteurs à prendre en considération pour déterminer si l’invention « allait de soi » traçaient tous la voie dans la même direction. Tous les facteurs qui s’appliquent dans la présente affaire mènent à la conclusion selon laquelle l’invention allait de soi. Il y avait un motif clair de chercher à réaliser l’invention. Il y avait par ailleurs un nombre limité de solutions prévisibles à envisager. L’ajout de l’ester mono-L-valinate au ganciclovir afin d’en améliorer la biodisponibilité était plus qu’une simple conjecture; il allait de soi que cela serait fructueux à la lumière des travaux de recherche portant sur l’acyclovir et de l’art antérieur. Il faudrait réaliser des analyses et des travaux de recherche, mais ceux-ci ne seraient ni longs ni ardus pour la personne versée dans l’art qui serait au fait des connaissances générales courantes de l’époque.

 

[354]       En conséquence, je conclus que l’invention était évidente. La demanderesse n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités que les allégations ne sont pas justifiées.

 

REVENDICATIONS D’UNE PORTÉE PLUS LARGE QUE L’INVENTION RÉALISÉE OU DIVULGUÉE

[355]       Selon le troisième motif d’invalidité invoqué par Apotex, les revendications 1 à 3, 5 à 10, 14, 16 et 17 (dans la mesure où elles dépendent des revendications 1 à 3 ou 5 à 8) sont insuffisantes et ont une portée plus vaste que l’invention réalisée. Apotex soutient que ces revendications incluent les composés cristallins et non cristallins (amorphes) et qu’elles sont par conséquent invalides, car elles ne sont pas limitées à la caractéristique essentielle qu’est la cristallinité.

 

[356]       Apotex allègue également que la portée des revendications 14 et 17 est plus vaste que l’invention réalisée ou décrite, car la revendication concerne l’utilisation du composé pour traiter les maladies virales de façon générale. Selon la description et les connaissances générales, l’invention est utile contre les infections causées par le virus herpès simplex, et particulièrement contre les infections à cytomégalovirus. Les composés de l’invention ne sont pas efficaces contre les maladies virales de façon générale et, partant, les revendications 14 et 17 sont invalides puisque leur portée est plus vaste que l’invention réalisée.

 

[357]       Le dernier argument au sujet des revendications 14 et 17 n’a pas été abordé au cours de la plaidoirie. Je souligne toutefois que le mémoire descriptif du brevet indique que le terme [traduction] « maladie » doit être interprété comme signifiant les maladies pouvant être traitées par le ganciclovir, ce qui limiterait le traitement aux virus herpétiques.

 

[358]       En alléguant que la portée des revendications est excessive, Apotex continue d’affirmer que l’idée originale est la cristallinité et que le brevet ne prévoyait ni ne réalisait le valganciclovir sous une forme amorphe et que, par conséquent, la portée des revendications du brevet est plus vaste que l’invention réalisée.

 

[359]       Apotex fait état de la demande prioritaire, déposée aux États-Unis, laquelle est à l’origine du brevet 721 et a donné lieu à la délivrance du brevet américain no 6,083,953, et à son historique et précise que cette demande a été modifiée afin de limiter l’invention à la forme cristalline du composé en cause.

 

[360]       Roche a également produit des éléments de preuve au sujet du brevet américain. Bien que le brevet américain ait été modifié afin de ne viser que la forme cristalline, selon le témoignage de Me Killworth, avocat américain spécialiste en matière de brevets, cette décision correspondait, de la part de l’inventeur, à un choix ou compromis stratégique lui permettant d’obtenir un brevet américain. Selon lui, cette pratique est commune et les inventeurs avaient réservé le droit d’obtenir un nouveau brevet pour la forme non cristalline du composé. Selon Me Killworth, ce compromis ne doit pas être vu comme une reconnaissance que l’invention ne concerne que la forme cristalline.

 

[361]       Il est de droit constant que l’inventeur ne peut pas bénéficier d’un monopole d’une portée plus large que son invention, et qu’il ne peut pas revendiquer plus que l’invention décrite dans le mémoire descriptif (voir, par exemple, Pfizer Canada c Pharmascience, 2013 CF 120; Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2008 CF 142, aux paragraphes 180 à 182; et Biovail Pharmaceuticals Inc c Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 2005 CF 9, aux paragraphes 59 à 61).

 

[362]       Ainsi que nous l’avons vu plus haut, l’idée originale ne consiste pas en la cristallinité du composé. Les revendications, telles qu’interprétées, comprennent le valganciclovir, tant sous sa forme amorphe que sous sa forme cristalline. Le produit cristallin ne constitue qu’un des modes de préparation du composé. La cristallinité offre un avantage supplémentaire spécifiquement revendiqué dans la revendication 4.

 

[363]       Le brevet revendique et divulgue le valganciclovir, tant sous sa forme amorphe que sous sa forme cristalline, destiné au traitement des infections à herpèsvirus. Le brevet ne revendique que l’invention.

 

[364]       Je conclus que les allégations formulées par Apotex concernant la portée excessive du brevet, soit que les revendications 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 du brevet 721 ne sont pas valides parce que leur portée dépasse l’invention réalisée ou divulguée, ne sont pas justifiées.

 

CONTREFAÇON

[365]       Bien que j’aie conclu que les allégations d’antériorité et d’évidence sont justifiées, j’ai néanmoins examiné les allégations de non-contrefaçon.

 

[366]       Pour éviter le recours maladroit à des doubles négations, la question qui se pose est celle de savoir si Roche a établi qu’Apotex a contrefait le brevet en fabriquant son propre valganciclovir (le produit d’Apotex) uniquement sous forme amorphe, comme le prétend Apotex, (et non sous forme cristalline).

 

[367]       Les revendications du brevet 721 portent à la fois sur le valganciclovir amorphe et sur le valganciclovir cristallin. Nul ne conteste par conséquent qu’Apotex, en fabriquant son produit amorphe, contreferait toutes les revendications valides autres que la revendication 4.

 

[368]       S’agissant de la contrefaçon, et dans la mesure où les revendications du brevet seraient jugées valides, la seule question en litige concerne la production de valganciclovir sous forme cristalline (revendication 4).

 

Jurisprudence / principes applicables en matière de contrefaçon

[369]       La question du fardeau de preuve applicable a été examinée ci-dessus, aux paragraphes 57 à 64.

 

[370]       Les allégations de non-contrefaçon d’Apotex sont présumées vraies; Apotex a le droit de présumer que son valganciclovir ne sera pas cristallin et consistera en un mélange de formes (R) et (S) du valganciclovir. La société Roche demanderesse doit réfuter les allégations selon lesquelles la fabrication, l’utilisation ou la vente du produit d’Apotex ne contrefera pas les revendications du brevet 721. La possibilité d’une contrefaçon, soit que le produit d’Apotex puisse peut-être générer des cristaux, ne suffit pas pour réfuter la présomption (Novopharm Limited c Pfizer Canada Inc, 2005 CAF 270, 42 CPR (4th) 97, au paragraphe 24).

 

Les témoignages des experts

[371]       Roche s’appuie sur le témoignage de ses experts, dont celui de M. Manthorpe, qui a effectué les expériences visant à modéliser le processus utilisé par Apotex décrit dans la présentation abrégée de drogues nouvelles [PADN]. D.après le témoignage de M. Korobkov, cristallographe, qui a analysé les résultats, la substance produite était cristalline.

 

[372]       Madame Tsantrizos a exprimé l’opinion selon laquelle le processus décrit dans la PADN comprendrait la formation de valganciclovir cristallin dans le cadre du procédé de purification.

 

[373]       Madame Tsantrizos a indiqué qu’il serait difficile de concevoir que le produit d’Apotex ne soit qu’amorphe tout au long de sa fabrication. Elle a indiqué que, sans purification par cristallisation, il serait plus coûteux et plus difficile de fabriquer le produit en vrac de façon à répondre aux exigences élevées en matière de pureté. Elle a également indiqué qu’un produit sous forme cristalline est plus stable, et donc, plus désirable. [Caviardé]

 

[374]       [Caviardé]

 

[375]       [Caviardé]

 

[376]       [Caviardé]

 

[377]       [Caviardé]

 

[378]       Roche soutient que d’après l’analyse de tous les témoignages des experts, elle a réfuté la présomption de non-contrefaçon et a établi que le procédé d’Apotex mènerait à la formation d’un produit cristallin.

 

[379]       Apotex allègue que M. Manthorpe, qui a mis au point et réalisé les expériences pour le compte de Roche, a fait des erreurs et a sauté des étapes lorsqu’il a modélisé son procédé, et que l’obtention d’un produit cristallin aux termes de l’expérience découle du fait que M. Manthorpe a commencé avec un produit cristallin.

 

[380]       Apotex allègue que l’expérience de M. Manthorpe n’est pas fiable pour plusieurs raisons, notamment parce que M. Manthorpe a commencé à la neuvième étape du procédé et qu’il a utilisé un échantillon fourni par Roche, qui aurait pu être pur et cristallin. Apotex fait valoir que si le matériel avait été cristallin, cela aurait pu avoir favorisé la formation d’une substance cristalline.

 

[381]       Monsieur Steed a indiqué qu’il est notoire que la présence de matières cristallines dans un laboratoire complique la préparation de matières sous une autre forme. En conséquence, si le valganciclovir sous forme cristalline de Roche était présent dans le laboratoire de M. Manthorpe, il aurait été difficile d’éviter la distribution de particules, ce qui aurait affecté l’issue de ses expériences (paragraphe 189).

 

[382]       En d’autres termes, ces cristaux demeurent présents et peuvent affecter les expériences qui seraient menées subséquemment par un phénomène d’« ensemencement ». Il peut donc y avoir formation non intentionnelle de produits cristallins.

 

[383]       Monsieur Steed a indiqué que le chlorhydrate de valganciclovir amorphe n’était pas converti en chlorhydrate de valganciclovir cristallin au cours du procédé de fabrication. [Caviardé]

 

[384]       Selon M. Boeckman, les expériences menées par M. Manthorpe n’ont pas reproduit le procédé mis en œuvre par Apotex et, on ne peut, par conséquent, se fonder sur l’analyse à laquelle a procédé M. Korobkov pour dire si le procédé mis en œuvre par Apotex donne du valganciclovir cristallin. Selon lui, rien dans la documentation remise par Apotex ne porte à penser que le produit en question soit autre qu’amorphe. [Caviardé]

 

[385]       Monsieur Steed a également examiné la diffraction de rayons X sur poudres, et il a indiqué que le spectre de diffraction était anormal et n’indiquait pas la présence de cristaux (paragraphe 199).

 

[386]       Les experts d’Apotex étaient généralement très critiques à l’égard des expériences de M. Manthorpe, notamment en raison du fait qu’elles avaient été menées à petite échelle. Monsieur Steed a indiqué que le fait de mener le procédé à si petite échelle (par un facteur de 1 000) avait des conséquences importantes et avait une incidence sur la cristallisation (paragraphe 183). Monsieur Boeckman a indiqué que le procédé d’Apotex était réalisé à une échelle industrielle, tandis que le procédé de M. Manthorpe avait été réalisé à très petite échelle, à savoir à [traduction] « l’échelle d’une paillasse de laboratoire » (paragraphe 206). Il a expliqué comment ces différences pourraient avoir une incidence sur la cristallinité. Monsieur Manthorpe a admis lors de son contre-interrogatoire que son procédé avait été réalisé à une échelle 1 000 fois plus petite, mais il a souligné qu’il avait tenté de modéliser le système en utilisant les installations dont il disposait (paragraphe 160).

 

Insuffisances reprochées à l’avis d’allégation

[387]       Roche fait valoir, dans le contexte des allégations de non-contrefaçon, que la Cour devrait tirer une conclusion défavorable à l’égard d’Apotex en raison des insuffisances de l’avis d’allégation présenté par celle-ci, étant donné qu’elle n’a fourni aucun échantillon de son produit aux fins d’analyse. En outre, Roche affirme que le fait qu’Apotex n’ait pas fourni les échantillons demandés fait naître la présomption de la common law selon laquelle son produit contreferait la revendication 4.

 

[388]       Roche affirme également que le fait pour Apotex de ne pas avoir fourni les échantillons pourrait déplacer le fardeau de preuve de manière à ce qu’Apotex établisse l’absence de contrefaçon.

 

[389]       Précédemment dans les présents motifs, je me suis prononcée sur les observations formulées par Roche au sujet caractère insuffisant de l’avis d’allégation d’Apotex concernant la cristallinité de son produit, et j’ai conclu que l’avis d’allégation n’avait rien d’insuffisant.

 

[390]       J’ai également souligné le fait que Roche a obtenu une ordonnance enjoignant à Apotex de fournir tous les renseignements fournis dans sa PADN concernant le procédé utilisé pour préparer son chlorhydrate de valganciclovir et que ces renseignements ont été fournis.

 

[391]       Apotex n’a pas fourni d’échantillons à Roche (et n’était d’ailleurs pas tenue de le faire, étant donné que la PADN ne comportait pas d’échantillons). [Caviardé]

 

[392]       La question soulevée sur ce point par Roche a été examinée dans Pfizer Canada c Apotex Inc, 2003 CF 1428, [2004] ACF no 326, (2004) 31 CPR (4th) 214, conf. par 2004 38 CPR (4th) 400 (CAF). Après avoir examiné le fardeau de preuve ultime et le fardeau de présentation applicables ainsi que les exigences propres aux avis d’allégation, la juge Snider a souligné ce qui suit aux paragraphes 10 et 11 de son jugement :

[10]      Il est clair qu’il incombe à Apotex, en vertu du fardeau de présentation, de « soulever » la question de la non-contrefaçon en remettant un avis d’allégation et un énoncé détaillé à Pfizer et au ministre. La question de savoir si ces documents contiennent suffisamment de détails est examinée plus tard. Ce qu’il faut indiquer clairement pour l’instant, c’est que s’ils sont jugés suffisants, ces documents satisferont le fardeau de présentation qui incombe à un défendeur. Apotex a la possibilité, mais non l’obligation, de produire d’autres éléments de preuve au soutien de son énoncé détaillé. Ainsi, s’il est décidé que l’avis d’allégation et l’énoncé détaillé ne sont pas insuffisants, on peut dire qu’Apotex s’est acquittée du fardeau de présentation lui incombant. C’est logique étant donné que l’énoncé détaillé vise, de par sa nature même, à corroborer les allégations soulevées dans l’avis d’allégation. Par contre, le demandeur qui ne fournit pas des renseignements suffisants agit à ses propres risques car il pourrait s’acquitter du fardeau ultime en démontrant que l’avis d’allégation est insuffisant. (Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1995), 60 C.P.R. (3d) 129, p. 134; Cie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé), (2001), 15 C.P.R. (4th) 496, p. 504 (C.F. 1re inst.), conf. par, (2000) 20 C.P.R. (4th) 1, p. 10 (C.A.F.)).

 

[11]      Pfizer semble soutenir qu’une fois qu’elle eut avisé Apotex qu’elle était lésée par son omission de fournir des échantillons d’azithromycine en vrac et sous forme de comprimés, le fardeau de présentation d’Apotex devenait plus exigeant, c’est-à-dire qu’elle devait fournir les échantillons demandés sinon elle ne s’acquitterait pas du fardeau lui incombant. Je ne suis pas d’accord avec cette position. Selon moi, la décision du juge Strayer signifie que l’avis de demande est destiné à informer le défendeur des questions que le demandeur soulèvera et des motifs pour lesquels il croit qu’une ordonnance d’interdiction devrait être rendue. Je ne crois pas que les observations du juge Strayer autorisent un demandeur à élargir à sa guise le fardeau de présentation incombant au défendeur. De plus, il serait illogique de permettre à une partie d’indiquer ce par quoi elle est lésée, soulevant ainsi une question, et de décider ensuite qu’il incombe à l’autre partie de fournir des éléments de preuve au sujet de cette lésion. Si Pfizer croit que les échantillons sont nécessaires pour lui permettre de s’acquitter du fardeau ultime, elle doit en convaincre la Cour car elle a elle-même soulevé cette question.

 

[393]       Roche fait également valoir que la présomption de la common law devrait s’appliquer : lorsqu’une partie ne produit pas la preuve de faits qu’elle est la mieux à même d’établir, la Cour en inférera que les faits sont défavorables aux intérêts de cette partie. En l’espèce, Roche estime qu’Apotex n’a pas produit d’éléments suffisants pour établir que son principe actif n’était pas cristallin et qu’en conséquence je devrais en inférer qu’il était effectivement cristallin.

 

[394]       Dans le jugement Pfizer, précité, la juge Snider s’est également prononcée sur cette question, précisant que pour pouvoir invoquer une telle présomption, la demanderesse doit démontrer que les renseignements n’ont pas été produits en preuve par la défenderesse et que la demanderesse n’avait aucun autre moyen de les obtenir.

 

[395]       Dans des circonstances analogues, la juge Snider a ajouté ce qui suit au paragraphe 17 de son jugement :

[17]      Ce que Pfizer semble en réalité vouloir dire c’est qu’elle exige les échantillons pour établir de façon concluante s’ils contiennent du dihydrate. Il ne s’agit pas de l’information qui est demandée dans la présente instance. L’objet de la présente instance n’est pas de déterminer de façon concluante si le produit obtenu grâce aux essais cliniques d’Apotex contrefait le brevet 876 de Pfizer. Au contraire, il s’agit plutôt de déterminer si Apotex a raison, selon la prépondérance de la preuve, d’alléguer que son produit ne contrefera pas le brevet 876. Il ne s’agit pas d’une action en contrefaçon. À cause de l’objet de la présente instance et de la norme de preuve applicable, les échantillons, à la lumière des faits de la présente affaire, ne font pas partie des « renseignements demandés ». Vu la divulgation de la PADN, la décision quant à savoir, suivant la prépondérance de la preuve, si le produit d’Apotex contiendra du dihydrate n’échappe pas manifestement à la compétence de Pfizer. Pour ces motifs, Pfizer ne peut pas invoquer la présomption de common law.

 

[396]       Comme je l’ai souligné plus haut, il n’y a aucune insuffisance dans l’avis d’allégation. Roche avait demandé, et obtenu, une ordonnance exigeant la production de la PADN et d’autres renseignements. Roche a ensuite mené des expériences afin de modéliser le procédé employé par Apotex et tenté de démontrer que celle-ci avait abouti à un produit cristallin.

 

[397]       Il n’y a pas lieu de tirer de conclusions défavorables.

 

Conclusion concernant la non-contrefaçon

[398]       Le témoignage des experts de Roche ne m’a pas convaincue que le produit d’Apotex est cristallin. Les experts d’Apotex ont produit des éléments établissant que le produit n’est pas du chlorhydrate de valganciclovir cristallin, insistant sur les insuffisances des expériences menées pour le compte de Roche par M. Manthorpe. Roche n’a pas réfuté la présomption selon laquelle le produit d’Apotex soit, ainsi que le prétend Apotex, amorphe et non cristallin.

 

[399]       Dans l’éventualité où les revendications du brevet seraient jugées valides, je jugerais que l’allégation de non-contrefaçon de la revendication 4 est justifiée.

 

CONCLUSIONS ET DÉPENS

[400]       J’apprécie le concours que m’ont apporté les avocats des parties, le caractère approfondi et la clarté de leurs arguments en droit, les réponses qu’ils ont apportées aux questions soulevées, et l’organisation rigoureuse des éléments de preuve présentés sous forme de journaux et de recueils.

 

[401]       Je considère comme justifiées les allégations d’invalidité pour cause d’antériorité et d’évidence. Par contre, les allégations concernant la portée excessive des revendications ne le sont pas. S’agissant des allégations de non-contrefaçon de revendications valides, l’allégation de non-contrefaçon de la revendicatio 4 est justifiée. Les allégations de non-contrefaçon de toutes les autres revendications valides ne sont pas contestées.

 

[402]       En définitive, la demande d’interdiction est rejetée.

 

[403]       La société Apotex défenderesse a droit aux dépens taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B.

 


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.         REJETTE la demande présentée par la demanderesse sollicitant une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité à l’égard du produit d’Apotex (comprimés de chlorhydrate de valganciclovir de 450 mg administrés par voie orale) avant le 28 juillet 2014, date d’expiration du brevet canadien 721;

 

2.         ADJUGE les dépens afférents à la demande en faveur des défendeurs.  

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1247-11

 

INTITULÉ :                                      HOFFMAN-LA ROCHE LIMITED c

APOTEX INC ET AUTRES et

F. HOFFMAN-LA ROCHE AG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Les 26, 27, 28 mars et 2 et 3 avril 2013

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

  ET JUGEMENT :                          LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 12 juillet 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Creber

Jay Zakaib

Alexander Gloor

 

POUR LA DEMANDERESSE

(HOFFMAN-LA ROCHE LIMITED)

Andrew Brodkin

Richard Naiberg

Janine Roberts

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(APOTEX INC)

Néant

POUR LE DÉFENDEUR

(LE MINISTRE DE LA SANTÉ)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON SRL

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(HOFFMAN-LA ROCHE LIMITED)

GOODMANS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(APOTEX INC)

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

(LE MINISTRE DE LA SANTÉ)

 

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