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Date : 20130711


Dossier :

IMM-8552-12

 

Référence : 2013 CF 777

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

BISWAJIT BANIK

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC­ 2001, c 27 (La Loi), qui vise la décision datée du 25 juin 2012 (la décision) par laquelle un agent des visas (l’agent d’immigration) du Consulat général du Canada à Sydney, en Australie, a refusé de délivrer un visa de résident permanent au Canada au demandeur parce que l’état de santé de son fils risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada, ce qui rend le demandeur interdit de territoire au Canada.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de 43 ans du Bangladesh. L’épouse et le fils du demandeur sont aussi des citoyens du Bangladesh. Le demandeur et son épouse ont suivi une formation dans le domaine de la santé au Bangladesh. Ils étudient en Australie depuis 2007, où ils vivent en vertu de visas d’étudiant. En février 2007, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), demande sur laquelle son épouse et son fils figuraient en tant que personnes à charge. Le fils du demandeur, Arkojeet, a 9 ans et souffre du trouble du spectre autistique (TSA).

[3]               Après avoir demandé la résidence permanente, le demandeur a reçu de l’agent d’immigration une lettre datée du 12 avril 2011, dans laquelle celui‑ci disait craindre que l’état de santé d’Arkojeet n’entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada (dossier du demandeur, page 30). Selon la lettre, il est probable qu’Arkojeet serait désigné comme un élève à besoins aigus, et que son éducation spéciale pourrait coûter de 12 000 à 27 000 $ par année. Les soins de répit pour ses parents représenteraient de 2 000 à 4 000 $ par année. Arkojeet devrait également subir une évaluation psychologique, qui pourrait coûter de 2 500 $ à 3 000 $. L’agent d’immigration a affirmé que, avant qu’une décision finale ne soit rendue, le demandeur pouvait fournir des renseignements supplémentaires, y compris des renseignements sur l’utilisation par celui‑ci des services sociaux du Canada pendant les cinq prochaines années et un plan individualisé pour que cette utilisation n’entraîne pas un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada. Selon la lettre, le demandeur devait avoir un plan raisonnable et réaliste, ainsi que les ressources financières et la volonté voulues pour le mettre à exécution.

[4]               En réponse à la lettre, le demandeur a présenté un dossier le 16 juillet 2011 faisant état de ses ressources financières et énonçant un plan de traitement pour Arkojeet pour les cinq premières années de résidence de la famille au Canada (dossier du demandeur, page 35). Le demandeur a inclus un tableau faisant état des coûts prévus en fonction des préoccupations énoncées par l’agent d’immigration et des éléments d’actif de la famille.

[5]               Dans le plan, le demandeur a inscrit que son épouse et lui avaient une formation médicale et que son épouse avait reçu une formation spéciale pour traiter avec les enfants présentant des retards de développement. Le demandeur a 262 423 $ en fonds disponibles, consistant en un don de 154 969 $ de ses parents, sous la forme de dépôts fixes et de certificats d’épargne dans différentes institutions financières au Bangladesh. Les traitements et les services dont a besoin Arkojeet coûteraient de 72 500 à 158 000 $, mais, même en retenant le coût projeté maximal, le demandeur estime qu’il sera en mesure d’assumer les dépenses. La famille pourra aussi compter sur le soutien financier des parents du demandeur, si nécessaire. La belle‑sœur du demandeur vit à Ottawa et apporterait toute aide financière ou autre dont pourrait avoir besoin le demandeur, étant donné que la famille a l’intention de s’établir à Ottawa.

[6]               Le demandeur a également demandé que soient prises en compte des considérations humanitaires (CH). Il a souligné qu’il était en attente d’une décision depuis janvier 2007 et que les programmes d’éducation spécialisée dont Arkojeet a besoin ne sont pas disponibles au Bangladesh. Le demandeur a soutenu qu’Arkojeet obtient de bons résultats dans son école en Australie et a fourni copie de ses rapports périodiques. Arkojeet fréquente une école spéciale en Australie et n’a jamais eu recours dans ce pays à des services financés par les deniers publics. Le demandeur et son épouse sont tous les deux très instruits et pourraient apporter des contributions précieuses à la société canadienne. De plus, le demandeur bénéficie d’un soutien considérable de la part de sa famille.

[7]               Dans une lettre datée du 25 juin 2012, l’agent d’immigration a conclu qu’Arkojeet est interdit de territoire au Canada parce que son état de santé risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada et a rejeté la demande.

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[8]               La décision visée par le contrôle dans la présente demande consiste en la lettre d’exclusion datée du 25 juin 2012 et les notes du Système mondial de gestion des cas de l’agent (les notes).

[9]               Dans les notes datées du 25 juin 2012, l’agent d’immigration a souligné que les observations du demandeur dans son plan de soins pour Arkojeet ont été envoyées à un médecin agréé (le médecin agréé) aux Services de gestion de la santé outremer de Singapour pour examen. Le médecin agréé a conclu que les observations du demandeur ne modifiaient en rien la conclusion initiale d’interdiction de territoire en raison d’un fardeau excessif pour les services sociaux.

[10]           Le demandeur a fourni des copies de communications entre lui et une école à Ottawa, mais la représentante de l’école a signalé que, sans évaluation, elle ne pouvait pas établir en quoi consisterait le meilleur placement pour Arkojeet. L’agent d’immigration a souligné que le demandeur n’avait fourni aucune information sur le coût ou la disponibilité d’un enseignement privé pour Arkojeet si celui‑ci n’était pas accepté dans une des écoles publiques offrant une éducation spécialisée.

[11]           Le demandeur a affirmé qu’il lui serait peut‑être possible de cotiser à une assurance‑maladie privée pour 120 $ par mois, mais il n’a pas fourni de documents émanant de professionnels de la santé, de sorte que l’agent d’immigration n’a pas pu établir quels traitements le régime d’assurance couvrirait. Le demandeur n’a pas non plus fourni de précisions concernant le coût des autres thérapies.

[12]           Le demandeur a affirmé que pendant l’an 2 de son plan quinquennal, il avait l’intention de travailler à temps partiel pour prendre soin de son fils pendant que sa femme suivrait une formation universitaire en sciences infirmières ou physiothérapie. Il a souligné qu’il dépendra alors financièrement de sa famille pendant sa période initiale d’établissement au Canada.

[13]           Le demandeur a déclaré que la famille avait l’intention de s’établir à Ottawa, où vit la sœur de son épouse. Il a fourni une lettre d’assurance de l’intéressée, qui a affirmé qu’elle offrirait à la famille le logement et une aide financière. Cependant, le demandeur a envoyé des demandes de renseignements à l’Université de Régina, l’Université McGill et l’Université McMaster, qui sont toutes à l’extérieur de la région d’Ottawa. Le demandeur n’a pas tenu compte des coûts supplémentaires si l’un des parents devait vivre ailleurs qu’à Ottawa.

[14]           L’agent d’immigration a conclu que les observations du demandeur ne changeaient pas la décision selon laquelle Arkojeet risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Pour cette raison, le demandeur est toujours interdit de territoire.  

QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans sa demande :

a.       Les motifs fournis dans la procédure d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires devraient‑ils inclure les motifs du médecin agréé?

b.      Le médecin agréé et l’agent d’immigration ont‑ils commis une erreur en ne fournissant pas des motifs suffisants?

c.       Le médecin agréé et l’agent d’immigration ont‑ils commis une erreur en ne menant pas d’appréciation individualisée?

 

NORME DE CONTRÔLE

[16]           La Cour suprême du Canada a statué dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

[17]           La première question en litige a été abordée par la Cour d’appel fédérale dans Sapru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 35 [Sapru]. Pour la Cour d’appel, les obligations du médecin agréé représentent des questions de droit et concernent aussi des questions d’équité procédurale (Sapru, aux paragraphes 24 à 27). Pour cette raison, la question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[18]           Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable à une décision relative à l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires est la raisonnabilité (Sapru). Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour Suprême du Canada a statué au paragraphe 14 que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Plutôt, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». Par conséquent, toute question susceptible d’être soulevée quant au caractère suffisant des motifs devra être considérée dans le contexte de la raisonnabilité de la décision.

[19]           Dans l’examen d’une décision selon la raisonnabilité, l’analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision n’est pas raisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[20]           La Cour suprême du Canada a souligné dans Hilewitz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 557 [Hilewitz] que l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires doit être examinée de manière individualisée. Le juge Luc Martineau a récemment conclu dans Sökmen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 47, au paragraphe 3, que la question de savoir si l’appréciation d’un agent était individualisée est une question qui doit être évaluée selon la norme de la décision correcte.

 

[21]           Dans Syndicat canadien de la fonction publique c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a statué au paragraphe 100 « [qu’] il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale. » De plus, la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 53, a soutenu que « la question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ». La norme de contrôle applicable à la question en litige dans la présente demande est la norme de la décision correcte.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[22]           Les dispositions législatives suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

 

[…]

 

Motifs sanitaires

 

38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

 

[…]

 

Inadmissibilité familiale

 

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

 

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

 

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[…]

 

Health grounds

 

38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

(a) is likely to be a danger to public health;

(b) is likely to be a danger to public safety; or

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.

 

[…]

 

Inadmissible family member

 

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

 

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

 

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

[23]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑27, s’appliquent en l’espèce :

Définitions

 

1. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la Loi et au présent règlement.

 

[…]

 

« fardeau excessif » Se dit :

 

a) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses pour les services de santé et pour les services sociaux sur une période de cinq années consécutives suivant la plus récente visite médicale exigée en application du paragraphe 16(2) de la Loi ou, s’il y a lieu de croire que des dépenses importantes devront probablement être faites après cette période, sur une période d’au plus dix années consécutives;

 

b) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé qui viendrait allonger les listes d’attente actuelles et qui augmenterait le taux de mortalité et de morbidité au Canada vu l’impossibilité d’offrir en temps voulu ces services aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents.

« services de santé » Les services de santé dont la majeure partie sont financés par l’État, notamment les services des généralistes, des spécialistes, des infirmiers, des chiropraticiens et des physiothérapeutes, les services de laboratoire, la fourniture de médicaments et la prestation de soins hospitaliers.

Definitions

 

1. (1) The definitions in this subsection apply in the Act and in these Regulations.

 

[…]

 

“excessive demand” means

 

(a) a demand on health services or social services for which the anticipated costs would likely exceed average Canadian per capita health services and social services costs over a period of five consecutive years immediately following the most recent medical examination required under paragraph 16(2)(b) of the Act, unless there is evidence that significant costs are likely to be incurred beyond that period, in which case the period is no more than 10 consecutive years; or

 

 

(b) a demand on health services or social services that would add to existing waiting lists and would increase the rate of mortality and morbidity in Canada as a result of an inability to provide timely services to Canadian citizens or permanent residents.

“health services”

“health services” means any health services for which the majority of the funds are contributed by governments, including the services of family physicians, medical specialists, nurses, chiropractors and physiotherapists, laboratory services and the supply of pharmaceutical or hospital care.

ARGUMENTS

Le demandeur

            Questions préliminaires

 

[24]           À titre préliminaire, le demandeur soulève la question de savoir si les motifs fournis sous le régime de l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés,  DORS/93‑22 (les Règles) devraient inclure le raisonnement du médecin agréé. Le demandeur soutient que les motifs du médecin agréé sont essentiels quand il s’agit d’évaluer si une décision d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires est raisonnable. Cela permettrait aussi d’économiser les ressources judiciaires parce que, si des motifs exhaustifs étaient fournis, les procédures judiciaires pourraient ne pas être nécessaires.

[25]           Dans Sapru, précité, la Cour d’appel fédérale a souligné l’importance du raisonnement d’un médecin agréé au paragraphe 41 :

Il ressort de cet examen du rôle respectif des agents d’immigration et des médecins qu’en raison de l’obligation faite à l’agent d’immigration de s’assurer que l’avis du médecin est raisonnable, ce dernier doit soumettre à l’agent d’immigration des renseignements suffisants susceptibles de le convaincre que l’avis médical est raisonnable.

 

 

 

[26]           Le demandeur soutient qu’il aurait dû avoir accès à l’opinion du médecin agréé et que cette question va plus loin que le simple caractère adéquat des motifs. Le défendeur a produit les notes du médecin agréé dans le cadre de l’affidavit de Stephanie Dodds, mais le demandeur soutient que l’article 9 prévoit que les motifs de l’agent d’immigration et du médecin agréé doivent être divulgués et qu’il est inacceptable d’attendre que l’autorisation soit accordée pour produire les motifs du médecin agréé.

La raisonnabilité de la décision

            Le caractère adéquat des motifs

 

[27]           Le demandeur soutient que les motifs fournis doivent permettre à la cour de révision de s’assurer qu’une décision est raisonnable. La Cour d’appel fédérale a affirmé, aux paragraphes 42 et 43 de l’arrêt Sapru, que cela s’applique au médecin agréé :

[…] le médecin peut fournir des motifs suffisants dans un rapport qu’il soumet à l’agent d’immigration. Il pourrait aussi fournir verbalement des motifs suffisants si l’agent d’immigration consigne ses paroles dans les notes du STIDI, ou par une combinaison de communications verbales et écrites en consignant l’avis donné verbalement dans les notes du STIDI. Ainsi, le médecin pourrait transmettre à l’agent d’immigration des notes dans lesquelles il examine et apprécie l’ensemble des renseignements pertinents, ou encore l’agent d’immigration pourrait consigner dans les notes du STIDI les observations et conclusions pertinentes faites par le médecin au cours de leurs échanges, conformément à la collaboration entre eux qu’envisage le Bulletin opérationnel 063. Dans chaque cas, l’agent d’immigration peut demander des éclaircissements au médecin et consigner la réponse du médecin dans les notes du STIDI. Les motifs du médecin peuvent être communiqués à l’agent d’immigration par une combinaison de ces moyens ou par d’autres moyens.

 

Ce qui importe, c’est qu’au moment où il se prononce sur l’interdiction de territoire, l’agent d’immigration doit disposer de suffisamment d’éléments d’information du médecin pour pouvoir être convaincu que l’avis du médecin est raisonnable.

 

 

[28]           Le demandeur soutient que rien dans la décision n’indique que le médecin agréé a fourni une explication à l’agent d’immigration relativement aux raisons pour lesquelles, après avoir reçu la réponse à la lettre d’équité procédurale, son opinion n’a pas changé. L’agent d’immigration s’est contenté de résumer les observations du demandeur pour ensuite conclure que [traduction] « après avoir évalué minutieusement tous les documents fournis, l’appréciation de l’état de santé du membre de la famille du DP n’a pas changé, et celle‑ci est désormais finale [] ».

[29]           Le demandeur soutient que, selon ce qui précède, l’on ne peut pas établir qui, de l’agent d’immigration ou du médecin agréé, est arrivé à la conclusion que l’état de santé d’Arkojeet pourrait entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. La décision dans Sapru indique clairement qu’il incombe à l’agent d’immigration d’examiner la raisonnabilité de l’opinion du médecin agréé, et non pas la raisonnabilité de la réponse du demandeur. Rien dans le dossier n’indique en quoi consistait le raisonnement du médecin agréé ni en quoi l’analyse menée par celui‑ci a contribué à la conclusion finale.

[30]           Le demandeur souligne qu’il est impossible d’évaluer si le médecin agréé a procédé à la réévaluation nécessaire. Si l’agent d’immigration et le médecin agréé s’étaient acquittés de leur responsabilité respective, la décision aurait dû contenir une explication quant à la raison pour laquelle l’opinion du médecin agréé n’a pas changé après la réception des documents produits par le demandeur. Faute d’une telle explication, le demandeur soutient que l’appréciation et les motifs fournis ne sont pas suffisants.

[31]           La Cour suprême du Canada a statué dans Hilewitz, précité, au paragraphe 55, que les médecins agréés doivent nécessairement tenir compte de critères médicaux et non médicaux. Pour cette raison, il incombe au médecin d’évaluer la raisonnabilité du plan de traitement du demandeur et la capacité et la volonté de celui‑ci de réduire le fardeau pour les services sociaux. Rien n’indique que le médecin agréé a tenu compte de quelque facteur non médical que ce soit, comme la situation financière du demandeur. Les motifs indiquent seulement que les éléments de preuve n’ont pas changé l’opinion du médecin agréé concernant [traduction] « l’« état de santé » d’Arkojeet. »

[32]           Le demandeur soutient que, si le médecin agréé avait, comme il se devait, tenu compte de tous les facteurs médicaux et non médicaux, cette appréciation aurait figuré dans les motifs de la décision. Plus particulièrement, les observations du demandeur font état de l’absence de programmes d’enseignement pour Arkojeet au Bangladesh et des progrès considérables que celui‑ci a réalisés dans son école spéciale en Australie. Rien ne permet de savoir si ces éléments ont été pris en considération dans l’opinion du médecin agréé. Le demandeur soutient que les motifs fournis ne sont pas transparents et sont totalement déraisonnables.

Le rôle de l’agent d’immigration et du médecin agréé

[33]           Le demandeur soutient que l’article 20 du Règlement et que les articles 29 à 34 de la Loi définissent clairement les rôles du médecin agréé et de l’agent d’immigration – le médecin agréé doit déterminer si le demandeur ou ses personnes à charge ont un ou des problèmes de santé qui sont susceptibles d’entraîner un fardeau excessif, et l’agent d’immigration doit apprécier si la conclusion du médecin agréé est raisonnable (Sapru, au paragraphe 36).

[34]           En l’espèce, le médecin agréé a laissé à l’agent d’immigration le soin d’évaluer la capacité financière et la volonté du demandeur. Dans Hilewitz, au paragraphe 68, la Cour suprême du Canada a critiqué le médecin agréé pour avoir agi ainsi. Pour cette raison, le demandeur soutient que le médecin agréé ne s’est pas acquitté de sa responsabilité prévue par la Loi et que, par conséquent, l’agent d’immigration a rendu une décision déraisonnable.

Appréciation individualisée

[35]           Dans Hilewitz, la Cour suprême a statué que les agents doivent procéder à « une appréciation individualisée »; il ne suffit pas de simplement énoncer les services auxquels une personne en particulier peut avoir accès. Ils doivent évaluer le coût des services dont la personne aura probablement besoin :

56   Cela exige, me semble‑t‑il, des appréciations individualisées. Il est impossible, par exemple, de déterminer la « nature », la « gravité » ou la « durée probable » d’une maladie sans le faire à l’égard d’une personne donnée. Si le médecin agréé s’interroge sur les services susceptibles d’être requis en se fondant uniquement sur la classification de la maladie ou de l’invalidité, et non sur la façon précise dont elle se manifeste, l’appréciation devient générique plutôt qu’individuelle. L’évaluation des coûts est alors faite en fonction de la déficience plutôt qu’en fonction de l’individu. Toutes les personnes atteintes d’une déficience donnée sont alors automatiquement exclues, même celles dont l’admission n’entraînerait pas, ou ne risquerait pas d’entraîner, un fardeau excessif pour les fonds publics.

 

 

[36]           Il est clairement indiqué au paragraphe 58 d’Hilewitz que « [C]e critère correspond à une probabilité raisonnable, non à une faible possibilité. »

 

[37]           Conformément au paragraphe 55 de la décision Hilewitz, le demandeur soutient que le médecin agréé devait 1) évaluer les coûts, 2) déterminer si les coûts estimés sont raisonnables, 3) évaluer « la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services concernés. » Le demandeur soutient que le médecin agréé s’est contenté de dire que le demandeur avait [traduction] « fourni des estimations des coûts de l’éducation d’Arkojeet » et que cet élément ne répondait pas à la norme établie dans Hilewitz. Qui plus est, les coûts estimés mentionnés par le médecin agréé étaient les montants maximums figurant dans la lettre d’équité procédurale.

 

[38]           Le demandeur soutient que l’agent d’immigration a commis les mêmes erreurs que celles analysées dans Hilewitz. Selon les notes de l’agent d’immigration, le demandeur et son épouse [traduction] « seraient admissibles à des services de répit » et les services en question [traduction] « coûtent habituellement de 2 000 à 4 000 $ par année ». En réponse à cette affirmation, le demandeur a fourni un plan et des documents financiers pour montrer sa capacité d’absorber le fardeau excessif, si nécessaire. La décision ne contient aucune analyse des raisons pour lesquelles l’agent d’immigration et le médecin agréé croyaient que le demandeur et son épouse se prévaudraient de tels services, étant donné qu’ils ne l’ont pas fait par le passé. Le demandeur soutient que cela montre qu’ils ont fait appel à une méthodologie générique, comme il est mentionné au paragraphe 56 de Hilewitz.

 

[39]           De plus, le coût maximal des programmes d’éducation spécialisée pour Arkojeet a été évalué à 27 000 $ par année. En réponse, le demandeur a confirmé sa volonté de payer ce montant et a fait la preuve de sa capacité financière de ce faire. Le demandeur est un citoyen du Bangladesh, qui connaît peu le système scolaire canadien, mais il a clairement communiqué son intention de couvrir les coûts de l’instruction publique. L’Ottawa‑Carleton District School Board a envoyé au demandeur la réponse suivante par courriel : « [traduction] « Vous avez indiqué que votre fils ne sera pas admissible à une aide gouvernementale et que vous devrez payer son éducation. Est‑ce inclus dans l’information que vous avez reçue de Citoyenneté et Immigration Canada? Pourriez‑vous nous envoyer copie de l’information que vous avez reçue à ce sujet ». Le demandeur soutient que cet élément indique clairement qu’il n’était pas question que le gouvernement assume les coûts de l’éducation d’Arkojeet et qu’il ignorait totalement qu’il ne pouvait pas défrayer les coûts de l’instruction publique.

 

[40]           De plus, la famille a payé l’instruction dispensée par une école privée à Arkojeet en Australie au cours des dernières années. Compte tenu de cet élément, il était raisonnable que le demandeur croie que son affirmation selon laquelle il avait la volonté et les moyens de payer pour l’instruction d’Arkojeet, à hauteur du montant le plus élevé énoncé par l’agent, avec les éléments de preuve relatifs à ses ressources financières, suffirait à atténuer cette préoccupation.

 

[41]           Les motifs n’indiquent pas que l’agent d’immigration avait des préoccupations au sujet de la volonté ou de la capacité du demandeur d’assumer les coûts énoncés. L’intention du demandeur de payer 27 000 $ par année pour l’éducation d’Arkojeet a été clairement énoncée, qu’il s’agisse de l’école privée ou de l’école publique.

 

[42]           Le demandeur soutient que ses circonstances particulières et ses intentions n’ont pas été reconnues et évaluées. L’agent d’immigration a même noté que le demandeur [traduction] « avait déployé de grands efforts de recherche concernant les possibilités s’offrant à lui et les programmes de soins pour son fils. » Le demandeur affirme que le défaut de l’agent d’immigration d’évaluer ses circonstances personnelles constitue une erreur.

 

Le défendeur

            La raisonnabilité de la décision

                        Le caractère adéquat des motifs

 

[43]           Le défendeur affirme que l’arrêt Sapru n’étaye pas l’argument du demandeur voulant que dans chaque cas, l’agent d’immigration doit inclure les motifs détaillés du médecin agréé (particulièrement lorsque la position du médecin agréé n’a pas changé). Selon l’arrêt Sapru, l’immigrant prospectif doit recevoir une « lettre d’équité » qui énonce toutes les préoccupations pertinentes et offre une possibilité véritable de répondre de façon significative à toutes les préoccupations du gouvernement.

 

[44]           Le médecin agréé doit fournir à l’agent d’immigration suffisamment d’information pour que celui-ci soit convaincu que son opinion est raisonnable. Le défendeur soutient que cette condition a été remplie en l’espèce. Comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans Sapru, lorsqu’il s’agit du caractère adéquat des motifs, il n’est pas question du demandeur :

54     Pour conclure sur ce point, rappelons que lorsqu’on examine la question de savoir si les motifs d’un médecin sont suffisants ou non, on ne cherche pas tant à savoir si les appelants ont reçu des motifs suffisants que si l’insuffisance des motifs a empêché l’agent d’immigration de juger si l’avis du médecin était raisonnable.

 

 

[45]           Selon le dossier, le médecin agréé a examiné tous les documents produits par le demandeur. L’agent d’immigration savait donc que la décision du médecin agréé reposait sur l’examen de tous les éléments de preuve produits par le demandeur.

 

[46]           Le fondement de la décision de l’agent d’immigration reprend la justification décrite par le médecin agréé. Les deux décisions portent sur l’insuffisance des éléments de preuve produits par le demandeur et les lacunes dans le plan proposé. Le demandeur a même reconnu que son plan présentait des lacunes en ce qui concerne les coûts de l’éducation spécialisée pour son fils. Il a affirmé dans sa lettre d’accompagnement qu’il croyait que le montant exact ne pourrait être établi qu’une fois que la famille aurait le statut d’immigrant reçu et qu’une évaluation psychologique aurait été faite. Le défendeur soutient qu’il est déraisonnable que le demandeur conteste l’appréciation médicale et reconnaisse ensuite qu’il n’a pas fourni à l’agent d’immigration et au médecin agréé l’information que ceux‑ci avaient demandée pour avoir un motif raisonnable lui permettant d’éviter une conclusion d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires.

 

[47]           La jurisprudence de la Cour fédérale a confirmé que lorsqu’un immigrant prospectif soutient que l’état de santé déclaré ne créera pas un « fardeau excessif » parce qu’il a établi un plan pour atténuer la demande probable en services sociaux, ledit plan doit être « complet », c’est-à-dire exhaustif, élaboré et certain (Chauhdry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 22 [Chauhdry], au paragraphe 49; Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 398, aux paragraphes 16 et 18; Rounta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 384, au paragraphe 15).

 

[48]           Plus particulièrement, dans l’arrêt Sapru, la Cour d’appel fédérale a statué que « [L]orsqu’un demandeur soumet un plan de gestion de son état de santé, le médecin doit tenir compte notamment de la faisabilité du plan et de la disponibilité des services et en informer l’agent d’immigration. » L’agent d’immigration, en l’espèce, a reconnu la sincérité du demandeur dans l’établissement d’un plan qu’il croyait être suffisant, mais le fait que le demandeur n’a pas mené de recherches utiles sur la disponibilité et le coût d’une éducation spécialisée dans un établissement privé a simplement laissé l’agent d’immigration et le médecin agréé sans suffisamment d’éléments de preuve pour approuver le plan de façon raisonnable. Le défendeur soutient que le plan du demandeur était incomplet et que, par conséquent, il existait des motifs raisonnables pour le rejeter.

 

[49]           Le demandeur a simplement accepté les estimations de coût réalisées par le médecin agréé et affirmé qu’il avait les moyens d’assumer tout service nécessaire de ses propres deniers. Il a toutefois négligé de faire des recherches sur les services qui sont disponibles pour son fils dans la région d’Ottawa. Il incombe à l’immigrant éventuel de mener des recherches sur les options qui s’offrent à lui et de soumettre un plan détaillé et réaliste (Chauhdry, au paragraphe 50). L’agent d’immigration doit rendre une décision fondée sur l’information fournie par le demandeur.

 

[50]           Au lieu de reconnaître qu’il n’avait pas compris le fonctionnement du système scolaire canadien, le demandeur renvoie à un courriel reçu du conseil scolaire d’Ottawa‑Carlton pour montrer qu’il s’attendait à payer pour l’éducation spécialisée de son fils dans un établissement privé. Il s’agit du genre d’éléments de preuve [traduction] « indirects » auxquels le médecin agréé a fait allusion, et ce n’était pas le genre d’information que devait produire le demandeur.

 

[51]           Le demandeur a reconnu qu’il avait commis une erreur en ne fournissant pas d’information sur les établissements privés au Canada qui offrent une éducation spécialisée. Un « plan raisonnable et réaliste » doit reposer sur des renseignements justes, mais, malgré cette erreur de taille, le demandeur soutient que son plan est relativement « raisonnable et réaliste » et que « les moyens financiers et l’intention de mettre ce plan en œuvre » auraient dû satisfaire l’agent.

 

[52]           Le demandeur essaie d’invoquer la jurisprudence faisant autorité sur l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires, mais les précédents en question n’aident pas sa cause parce que son plan de traitements est dénué de toute information répondant directement aux préoccupations de l’agent d’immigration et du médecin agréé. Les lacunes relevées dans le plan de traitements limitent la capacité de l’agent d’immigration et du médecin agréé d’apprécier les facteurs non médicaux, comme les moyens financiers et l’intention de mettre en œuvre le plan du demandeur.

 

[53]           Le défendeur soutient que rien n’indique que les arrêts Hilewitz et Sapru n’ont pas été suivis  uniquement parce que l’agent d’immigration n’a pas inclus dans les motifs ou les notes la réponse du médecin agréé aux documents d’équité fournis par le demandeur. Le demandeur affirme que sa réponse n’a pas été envoyée au médecin agréé, tandis que les notes indiquent clairement qu’elle l’a été. En l’espèce, l’agent d’immigration et le médecin agréé ont [traduction] « travaillé de concert pour évaluer l’admissibilité pour des motifs sanitaires ».

 

[54]           Qui plus est, le défendeur soutient que le médecin agréé a bien compris l’étendue de ses responsabilités. Le médecin a rendu la conclusion préliminaire d’interdiction de territoire, ce qui a amené l’agent d’immigration à envoyer la lettre d’équité procédurale. Le médecin agréé a ensuite tenu compte des observations du demandeur, rendu une décision finale et envoyé celle‑ci à l’agent d’immigration pour fins d’examen.

 

[55]           Le demandeur soutient que le médecin agréé n’a pas apprécié comme il se devait la « capacité ou [l’]intention d’annuler le fardeau excessif » du demandeur, mais c’était parce que le demandeur n’avait pas fourni au médecin agréé tous les renseignements pertinents dont il avait besoin. Par conséquent, toute appréciation aurait été inutile parce qu’elle aurait reposé sur des renseignements incomplets (Sapru, paragraphe 36).

 

[56]           Subsidiairement, si la Cour juge qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, le défendeur soutient que ce type d’erreur n’oblige pas nécessairement à un nouvel examen de la décision. Selon la jurisprudence dominante de la Cour, un manquement à la justice naturelle n’est important que s’il est essentiel à la demande d’asile. Récemment, la Cour a statué dans Phillip c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 242, au paragraphe 29 :

29     Pour arriver à cette conclusion, la juge Mactavish s’est appuyée sur la jurisprudence établissant que seuls les manquements à la justice naturelle qui ont une incidence sur l’issue de l’affaire justifient l’annulation d’une décision (voir, par exemple, Mughal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1557, [2006] ACF no 1952, aux paragraphes 39 à 41; Fontenelle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1432, [2006] ACF no 1796, au paragraphe 15; Yassine c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 27 Imm L.R. (2d) 135, [1994] ACF no 949, au paragraphe 11 (CAF); Mobile Oil Canada Ltd et al c Office Canada─Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202; [1994 A.C.S. no 4, au paragraphe 53).

 

 

[57]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas subi de préjudice en raison du manquement à l’équité procédurale qui, soutient‑il, s’est produit pendant l’appréciation de sa demande. Même si l’agent d’immigration et le médecin agréé s’étaient acquitté de leur mission à la perfection, cela n’aurait pas remédié à la lacune fondamentale dans les observations du demandeur – c’est‑à‑dire qu’il n’a pas fourni l’information voulue en ce qui concerne l’éducation d’Arkojeet au Canada. La décision finale aurait été la même; la demande aurait été rejetée.

 

Appréciation individualisée

[58]           Contrairement aux arguments du demandeur, le défendeur soutient que l’agent d’immigration et le médecin agréé ont bel et bien fait des appréciations individualisées au sujet des services qui seraient probablement nécessaires, et des coûts qui s’y rattachent. L’agent d’immigration et le médecin agréé ont souligné le contenu d’un rapport établi par un spécialiste, qui énonçait exactement en quoi consistaient les problèmes d’Arkojeet, ainsi que les éléments de preuve du demandeur concernant les besoins de son fils. L’agent d’immigration et le médecin agréé ont souligné les services et les besoins représentant une possibilité raisonnable, et non pas une faible possibilité, pour le fils du demandeur, conformément à Hilewitz.

 

La réplique du demandeur

[59]           Le demandeur soutient que les notes du médecin agréé, jointes à l’affidavit de Stephanie Dodds, ne répondent pas aux préoccupations du demandeur. Les notes ne sont qu’une énumération des observations du demandeur, et le médecin agréé s’est borné à faire des commentaires sur l’erreur commise par le demandeur en s’adressant au conseil scolaire public. Il incombait à l’agent d’immigration d’évaluer la raisonnabilité des conclusions du médecin agréé. Pour ce faire, l’agent d’immigration aurait dû recevoir le raisonnement du médecin agréé, et non pas une simple déclaration selon laquelle la position initiale restait la même étant donné que le demandeur n’avait pas mentionné la bonne école.

 

[60]           Le demandeur continue de soutenir que le médecin agréé devait fournir des « motifs suffisants » à l’agent d’immigration (Sapru, aux paragraphes 42 et 54), et l’agent d’immigration devait évaluer la raisonnabilité des motifs en question. Au sujet des notes du médecin agréé, le demandeur est particulièrement préoccupé par la conclusion voulant que [traduction] « [quant à] "la volonté et l’intention" du demandeur, je laisse à l’agent des visas le soin de l’évaluer ». Le médecin agréé doit évaluer les facteurs médicaux et non médicaux; en n’examinant pas toutes les observations produites, le médecin agréé, en l’espèce, ne s’est pas acquitté de cette obligation.

 

Équité procédurale

[61]           Le demandeur était clairement convaincu qu’il lui faudrait payer le montant figurant dans la lettre d’équité procédurale et a fourni des éléments de preuve selon lesquelles il en était capable. Le demandeur continue de soutenir que, en n’examinant pas tous les éléments de preuve produits, l’agent n’a pas fait une appréciation individualisée.

 

[62]           Le défendeur déplore que le demandeur n’a pas fait une recherche sur les écoles privées au Canada pour Arkojeet et renvoie au [traduction] « fardeau » incombant au demandeur. Même si le demandeur a contacté le conseil scolaire public, il croyait clairement que son fils [traduction] « ne serait pas admissible à une aide gouvernementale ». Le demandeur soutient qu’il s’agissait d’une erreur légitime. L’agent d’immigration et le médecin agréé étaient au courant de l’erreur depuis plus d’un an avant de refuser la demande, et le demandeur soutient que l’équité commande qu’ils auraient dû accorder plus d’attention à son plan et le détromper.

 

ANALYSE

[63]           À mon avis, après avoir suivi l’évolution des observations des parties, le fondement de la plainte du demandeur tient au fait que l’agent d’immigration, en l’espèce, a rendu une décision déraisonnable en se fondant sur l’opinion du médecin agréé, qui ne s’est pas acquitté de son obligation d’évaluer le fardeau excessif. Le demandeur soutient maintenant qu’il était évident qu’il n’avait pas compris qu’il lui fallait fournir de l’information et un plan réaliste sur l’éducation et les services offerts dans le secteur privé pour Arkojeet, de sorte qu’il était inéquitable sur le plan de la procédure de ne pas lui avoir fait savoir qu’il devait produire de tels renseignements et de ne pas lui avoir donné l’occasion de produire d’autres observations à cet égard.

 

[64]           En l’espèce, le demandeur soutient que le médecin agréé a fourni une opinion qui n’aborde pas les circonstances particulières du demandeur et, plus particulièrement, a laissé à l’agent d’immigration les considérations relatives aux moyens financiers. Autrement dit, le demandeur soutient que le médecin agréé ne s’est pas acquitté de son obligation d’évaluer le fardeau excessif en fonction des circonstances particulières de l’espèce, de sorte que, en se fondant sur l’opinion du médecin agréé, l’agent d’immigration a rendu une décision déraisonnable.

 

[65]           Je conviens que le médecin agréé était tenu de faire une appréciation individualisée qui tienne compte de facteurs médicaux et non médicaux, « comme la disponibilité, la rareté ou le coût des services financés par l’État, ainsi que la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services concernés. » Voir Hilewitz, précité, aux paragraphes 43 et 44.

 

[66]           Comme le montre le dossier que j’ai devant moi, le médecin agréé a tiré une conclusion préliminaire d’interdiction de territoire, et le demandeur a eu la possibilité de produire un plan individualisé détaillé [traduction] « ainsi que les moyens financiers et l’intention de mettre en œuvre le plan ». Comme le souligne le demandeur dans son affidavit qu’il a déposé avec la demande, il n’avait pas compris qu’il aurait dû aborder la question des coûts de l’école privée :

[traduction]

Si nous avions su que nous ne devions payer que pour l’école privée, nous aurions avec plaisir mené des recherches sur les écoles privées et couvert les coûts en question.

 

À mon avis, le demandeur reconnaît clairement que le plan soumis comportait des lacunes à l’égard de cet aspect très important.

 

[67]           Le plan produit par le demandeur ne fournissait pas d’information sur l’enseignement privé qu’Arkojeet pourrait devoir suivre au Canada. Cette information était nécessaire pour répondre directement aux préoccupations du médecin agréé et, en son absence, le médecin agréé n’a pas pu évaluer les facteurs non médicaux comme la capacité financière du demandeur de mettre en œuvre le plan, facteurs que, selon la jurisprudence, le médecin agréé devait évaluer. Lorsque le médecin agréé a examiné les documents produits par le demandeur, il a signalé que le demandeur n’avait pas répondu à ses préoccupations.

 

[68]           Le demandeur prétend que le médecin agréé a expressément laissé à l’agent d’immigration l’appréciation de la capacité financière et de l’intention. Cependant, le médecin agréé n’avait simplement pas toute l’information requise pour faire une telle appréciation et ce, parce que le demandeur avait omis de fournir des renseignements pertinents sur la disponibilité d’un enseignement spécialisé privé pour Arkojeet dans la région d’Ottawa et les coûts d’un tel enseignement. Le demandeur n’a fourni aucune information ou aucun élément de preuve sur les écoles privées que pourrait fréquenter Arkojeet dans la région d’Ottawa, le programme d’études offert, tout programme susceptible de répondre à ses besoins ou le coût de l’inscription et des services connexes. Sans cette information, le médecin agréé n’a pas pu évaluer la capacité de payer du demandeur ainsi que la faisabilité globale du plan. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable que le médecin agréé indique que son opinion initiale n’a pas changé ou que l’agent d’immigration se fonde sur cette évaluation inchangée.

 

[69]           Il incombait au demandeur d’établir un plan raisonnable et réaliste que l’agent d’immigration et le médecin agréé, dans leur rôle respectif, pourraient évaluer. Comme le médecin agréé l’a souligné dans son évaluation :

[traduction]

Dans l’information produite par le demandeur concernant le fardeau pour les services sociaux et de santé au Canada, le demandeur n’a pas abordé directement la question des coûts, comme il le devait, ni « la capacité et l’intention » de payer pour les services.

 

Remarque : Le demandeur a contacté des responsables du système scolaire public à Ottawa pour obtenir des conseils sur les ressources eu égard aux besoins particuliers de son fils autistique et présentant des problèmes de santé mentale et a fourni des estimations de coûts pour l’éducation spécialisée d’Arkojeet. Cependant, il n’y a aucune mention de l’école privée qu’il pourrait fréquenter ni du coût annuel des programmes qui, souvent, comprennent de la physiothérapie et de l’ergothérapie.

 

Pour pouvoir établir si le demandeur a un plan réaliste, il faut de l’information spécifique concernant les personnes ou organismes qui fourniront les services, de préférence avec des lettres d’intention, ainsi que les coûts annuels supplémentaires [...].

 

 

[70]           Le demandeur soutient que son erreur aurait dû sauter aux yeux de l’agent d’immigration et du médecin agréé, et que ceux‑ci auraient dû l’informer des lacunes dans son plan et lui donner l’occasion de présenter d’autres observations à cet égard. Comme le souligne le défendeur, rien n’oblige un agent d’immigration à dire au demandeur comment améliorer sa demande après que celui‑ci a reçu une lettre d’équité procédurale. Voir Ikede c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1354, au paragraphe 23.

 

[71]           Comme le souligne l’affidavit que le demandeur a produit avec sa demande, le demandeur savait pertinemment que les coûts de l’éducation [traduction] « préoccupaient vivement l’agent », mais, ne sachant pas que la famille [traduction] « ne pouvait pas payer pour l’instruction donnée par le conseil scolaire Ottawa‑Carleton », il n’avait pas fait de recherche ni produit d’observations sur [traduction] « les options relatives à l’école privée » et les coûts s’y rapportant.

 

[72]           Pourtant, la lettre d’équité procédurale demandait clairement au demandeur de décrire [traduction] « les services sociaux nécessaires au Canada pour la période indiquée plus haut » et de fournir [traduction] « un plan individualisé pour faire en sorte qu’aucun fardeau excessif ne pèse sur les services sociaux du Canada pour toute la période indiquée plus haut, et votre Déclaration de capacité et d’intention signée. »

 

[73]           Par conséquent, je ne crois pas que la lettre d’équité ait induit le demandeur en erreur en quelque façon que ce soit quant à l’information à produire. Le demandeur reconnaît maintenant que son défaut de mener des recherches sur l’école privée et les coûts s’y rapportant était une erreur de sa part étant donné qu’il n’avait pas compris que sa famille ne pouvait pas payer l’enseignement fourni par le conseil scolaire d’Ottawa‑Carleton. Je reconnais que le demandeur a fait de son mieux pour aborder les préoccupations soulevées dans la lettre d’équité procédurale, mais il était représenté par un conseiller en immigration, et toute erreur commise par lui ou par son conseiller ne peut pas maintenant être écartée.

 

[74]           En dernière analyse, cette affaire concerne l’incapacité du demandeur de fournir suffisamment d’information quant à une préoccupation essentielle de l’agent d’immigration et du médecin agréé. Comme le juge Roger Hughes l’a signalé dans Sharma, précité, au paragraphe 18 : « Il incombe aux demandeurs d’établir la recevabilité de leur demande, notamment en présentant les éléments nécessaires pour mettre au point un plan viable. L’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans l’examen de la demande au vu des renseignements dont il disposait. »

 

[75]           Comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans Sapru, précité, au paragraphe 32

Je répondrais donc comme suit à la première question certifiée :

Le médecin agréé n’est pas tenu de rechercher activement des renseignements à propos de la capacité et de l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif pour les services sociaux dès le début de l’examen. Il suffit qu’il leur transmette une lettre d’équité qui expose clairement toutes les préoccupations pertinentes et qui leur accorde une véritable possibilité de répondre utilement à toutes ces préoccupations

 

 

J’estime que la lettre d’équité procédurale, en l’espèce, énonce clairement toutes les préoccupations pertinentes et a donné au demandeur une possibilité véritable de répondre à celles-ci. Dans son affidavit, le demandeur souligne clairement qu’il a compris que les coûts de l’enseignement [traduction] « préoccupaient vivement l’agent » et qu’il n’a pas répondu clairement à cette préoccupation à cause de sa méconnaissance de l’éducation publique dispensée par le conseil scolaire d’Ottawa‑Carleton. Même si je suis très sensible à la situation et que je déplore la possibilité perdue que représente la présente affaire, je ne peux pas, à la lumière de la jurisprudence, rendre l’agent d’immigration et le médecin agréé responsables de l’erreur que le demandeur reconnaît avoir commise, que ce soit en concluant qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale ou une erreur déraisonnable.

 

[76]           Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et la Cour en convient aussi.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

                                      i.                              La demande est rejetée.

                                    ii.                              Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-8552-12

 

INTITULÉ :

BISWAJIT BANIK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 4 JUIN 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 11 juillet 2013

COMPARUTIONS :

Erin Roth

Pour le demandeur

 

Michael Butterfield

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group

(Ormston, Bellissimo, Rotenberg)

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

 

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