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     T-1567-94

DEVANT:      LE JUGE DENAULT

         DANS UNE CAUSE en vertu des paragraphes 88(2) et 240(2) de la Loi sur l'accise, L.R.C. 1985, c. E-14
         -et-
         DANS UNE CAUSE relative à un véhicule automobile de marque Ford Tempo de l'année 1986, portant le numéro de série 2FABP22R96B264778 et immatriculé au Québec sous le numéro TGB 656

ENTRE:      LUCIA DUCHESNE,

     Demanderesse

         -et-

         SA MAJESTÉ LA REINE,

     Défenderesse

     MOTIFS D'ORDONNANCE et ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT:

     La demanderesse, qui ignorait que des cigarettes de contrebande se trouvaient dans son véhicule lorsqu'il a été saisi par la GRC, a déposé, pour ravoir son véhicule, l'équivalant de la valeur intégrale du véhicule - 1,500$ - qu'elle tente maintenant de récupérer. La défenderesse s'y oppose vu qu'elle a déjà déposé une Dénonciation visant à faire déclarer définitive la confiscation de la somme qui tient lieu du véhicule.

     En l'espèce, le tribunal est amené à décider si, à l'encontre d'une action in rem, la demanderesse peut invoquer sa bonne foi vu que c'est à son insu que des cigarettes et du tabac non empaquetés et estampillés selon la Loi sur l'accise, L.R.C. 1985, ch.E-14 (la Loi) ont été placés à bord de son véhicule.

     Il importe de résumer les faits, qui sont d'ailleurs admis. À Sept-Îles le 15 septembre 1993, des policiers interceptent une Ford Tempo 1986 appartenant à la demanderesse; ce véhicule contient, entre autres, 101 cartons de cigarettes portant l'inscription "Pour vente à l'extérieur du Canada seulement". La demanderesse ignore que du tabac illégal a été placé à bord de son véhicule par André Desrosiers. Les cigarettes et le tabac sont confisqués au profit de Sa Majesté en vertu du paragraphe 240(2)1 de la Loi et le véhicule est saisi comme confisqué en vertu du paragraphe 88(2) de la Loi. Une accusation de possession de tabac illégal, portée contre la demanderesse, fut plus tard retirée2. Le 20 septembre 1993, la demanderesse récupère son véhicule contre le dépôt de 1,500$ représentant la valeur intégrale de celui-ci, comme le permet le paragraphe 112(2) de la Loi.

     Le 13 octobre 1993, invoquant l'article 164 de la Loi, la demanderesse dépose une requête en Cour supérieure, district de Mingan, visant à faire déclarer son intérêt dans le montant de 1,500$. Le juge de la Cour supérieure, constatant que "...l'article 164 n'est pas accessible à la [demanderesse], qui conduisait son véhicule au moment où celui-ci fut intercepté le 15 septembre 1993, puisque c'est elle qui était en possession de son véhicule lorsqu'il a été saisi"3, conclut "qu'elle ne peut donc réclamer une ordonnance déclarant son intérêt dans le véhicule" et accueille la demande d'amendement "... de transformer sa requête présentée en vertu de l'article 164 de la Loi sur l'accise en avis écrit de revendication donné selon les dispositions de l'article 117(1) de la dite Loi".

     Le Ministre du Revenu national, Douanes et accise, a accepté de considérer la requête présentée devant la Cour supérieure comme un avis écrit que la demanderesse revendiquait le véhicule selon l'article 117 de la Loi, et le 4 juillet 1994, une Dénonciation faite en vertu de l'article 116 de la Loi a été déposée devant la Cour fédérale par le sous-procureur général du Canada, pour le compte de Sa Majesté la Reine. Les avis et affichages prévus à l'article 116 de la Loi et à la Règle 602 des Règles de la Cour fédérale ont été respectés.

     La demanderesse prétend avoir droit au remboursement du montant de 1,500$ parce que, dit-elle, elle ignorait tout de ces activités illégales et que de toute façon, elle a été libérée de l'accusation de possession de tabac illégal portée contre elle.

     Selon la défenderesse, la procédure à l'origine de la présente action, la Dénonciation, vise à faire déclarer définitive la confiscation du montant de 1,500$ qui tient lieu du véhicule; il s'agit donc d'une action in rem, dirigée à l'encontre d'un objet saisi comme confisqué, lequel est réputé déclaré confisqué aux termes du paragraphe 117(1) de la Loi. Elle plaide donc que le droit à la revendication est mal fondé. Elle plaide aussi que la demanderesse ne peut invoquer l'ignorance des faits et, par voie de conséquence, faire une défense de bonne foi puisque seules des personnes autres que la personne accusée d'une infraction qui a eu pour résultat cette saisie, ou que la personne en la possession de qui ce véhicule a été saisi, peuvent réclamer un intérêt dans la chose saisie en vertu de l'article 164 de la Loi. La défenderesse plaide donc en l'occurrence que le tribunal n'a pas la compétence de se prononcer sur une telle question.

     Il importe de rappeler brièvement le déroulement des procédures. Le 4 juillet 1994, une Dénonciation a été déposée au greffe de la cour par le sous-procureur général du Canada en vue de faire déclarer définitive la confiscation du véhicule et, par conséquent, la confiscation de la somme de 1,500$ qui tient lieu du véhicule. Le 5 août suivant, la demanderesse dépose une Déclaration dans laquelle elle admet les paragraphes de la Dénonciation et revendique le montant de 1,500$ versé pour reprendre le véhicule Ford Tempo. Cette action intentée par la demanderesse est donc, de toute évidence, partie d'une action in rem visant la confiscation définitive du véhicule.

     La jurisprudence a déjà fixé les règles d'interprétation des articles visant la confiscation des véhicules utilisés pour le trafic illégal de cigarettes, tabac et spiritueux. Dans The King v. Krakowec et al, [1932] 1 D.L.R. 316, la Cour suprême du Canada a énoncé ceci, au sujet d'un véhicule saisi en vertu de la Loi sur l'accise:

     It is sufficient to say that in the provision respecting forfeiture, the object in view is the connection between the vehicles and the spirits unlawfully manufactured or imported. The point is that the vehicles "have been used or are being used for the purpose of removing the same;" and it is immaterial to whom the vehicles belong. In the words of Sedgwick, J., in "Frederick Gerring, Jr. v. The Queen (1896), 27 S.C.R. 271, at p. 285, "In the enforcement of fiscal law, of statutes passed for the protection of the revenue or of public property, such provisions are as necessary as they are universal, and neither ignorance of law, nor, as a general rule, ignorance of fact, will prevent a forfeiture when the proceeding is against the thing offending, whether it be the smuggled goods or the purloined fish, or the vehicle or vessel, the instrument or abettor of the offence".
     That the proceeding is, under the Excise Act, "a proceeding against the thing," that is the nature of a proceeding in rem, is apparent throughout the Act (Ss. 79,83,121,124,125,131,etc.), but is nowhere more evident than in s. 125 [maintenant 117(1)], under which "All vehicles, vessels, goods and other things seized as forfeited... shall be deemed and taken to be condemned, and may be dealt with accordingly, unless the person from whom they were seized, or the owner thereof... gives notice... that he claims or intends to claim the same."
     (Je souligne)

     La Cour de l'échiquier du Canada est allée plus loin en limitant le pouvoir discrétionnaire du juge en pareil cas. Dans Mayberry and His Majesty the King, [1950] Ex.C.R. 402, la cour a décidé ceci:

     The facts of the matter in my opinion are those stated by the claimant, but unfortunately that finding does not entitle him to the relief which he now claims. This matter is in the nature of a proceeding in rem and, if it be established - as I think has been done in the instant case - that the vehicle "had been or was being used for the purpose of transporting spirits unlawfully manufactured" the court is vested with no discretion in the matter, but must declare the vehicle condemned as forfeited, and that is so even when the owner had no knowledge that such spirits were carried in his vehicle. The only exception to that statement is the partial relief afforded under the provisions of section 169(A) [maintenant 164(1)], which section is not available to the claimant herein, inasmuch as the vehicle was seized in his possession.
     (Je souligne)

     Plusieurs décisions récentes de cette cour ont appliqué ces critères et rejeté de semblables demandes4.

     En somme, la loi accorde des recours différents aux personnes qui désirent récupérer un véhicule qui a servi à la commission d'une infraction, selon leur statut.

     Bref, si des tiers peuvent réclamer un intérêt dans la chose saisie en autant qu'ils rencontrent les conditions du paragraphe 164(2) de la Loi, il n'en va pas ainsi de la personne en la possession de qui le véhicule a été saisi: elle ne peut, aux termes du paragraphe 164(1), réclamer son titre de propriétaire du véhicule. Si cette personne veut ainsi revendiquer son bien saisi, c'est en suivant les dispositions des paragraphes 116(2) et (3) et 117 qu'elle peut y parvenir. En l'occurrence, la demanderesse devait, entre autres formalités, signer un cautionnement pour le double de la valeur du bien saisi en cas de déclaration de confiscation (paragraphe 117(2)) avant même que le tribunal juge de son droit à la revendication. La demanderesse n'a pas suivi les dispositions impératives de l'article 117 de la Loi, et la décision de la Cour supérieure de transformer sa requête sous l'article 164 en avis sous l'article 117 n'a pas eu pour effet de combler ses obligations notamment concernant le dépôt d'un cautionnement pour le double de la valeur du véhicule saisi comme confisqué.

     L'action de la demanderesse ne peut être accueillie.

     Pour ces motifs, la Cour:

-      DÉCLARE CONFISQUÉE la somme de 1,500$ versée à la Gendarmerie royale du Canada à titre de dépôt représentant la valeur intégrale du véhicule Ford Tempo de l'année 1986 portant le numéro de série 2FABP22R96B264778;

-      REJETTE l'action de la demanderesse avec dépens.

OTTAWA, le 3 octobre 1996

J.C.F.C.


     ANNEXE

88.      (1) ...

     (2) Tous les chevaux, véhicules, vaisseaux et autres dispositifs qui, en contravention avec la présente loi ou les règlements, sont ou ont été utilisés au transport ou sur ou dans lesquels sont trouvés des marchandises sujettes à l'accise ou des matières ou appareils employés ou à employer, en contravention avec la présente loi ou les règlements, à la production de quelque article sujet à l'accise, doivent être également saisis, avec ces marchandises, matières ou appareils, comme confisqués par tout préposé et peuvent être traités de la même manière. S.R., ch. E-12, art.86.

112.      (1) ...

     (2) Toutefois, le ministre peut autoriser le receveur ou le fonctionnaire supérieur à restituer au réclamant l'article saisi, pourvu que le réclamant dépose entre les mains du receveur ou du fonctionnaire supérieur la somme d'argent qui représente la valeur intégrale de l'article, ou donne, à la satisfaction du receveur ou du fonctionnaire supérieur, un cautionnement garantissant que la valeur de l'article saisi et tous les frais seront payés au profit de Sa Majesté si cet article est déclaré confisqué. S.R., ch.E-12, art.110.

116.      (1) Aussitôt qu'une dénonciation a été déposée auprès d'un tribunal pour demander la confiscation de marchandises ou d'objets saisis en vertu de la présente loi, avis doit en être affiché dans le bureau du registraire, du greffier ou du protonotaire du tribunal, et dans le bureau du receveur ou du préposé en chef de la division d'accise dans laquelle les marchandises ou les objets ont été saisis.

     (2) Si le propriétaire des marchandises ou objets ou la personne qui prétend y avoir droit les revendique et donne une garantie, et observe toutes les autres formalités de la présente loi à cet égard, le tribunal, à sa prochaine séance après que l'avis a été affiché pendant un mois, peut entendre et juger toute revendication qui a été régulièrement faite et présentée dans l'intervalle, et libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige; autrement, après l'expiration du mois, ils sont censés confisqués et peuvent être vendus sans déclaration formelle de confiscation.

     (3) Nulle revendication de la part d'une personne qui a donné avis de son intention de revendiquer n'est admise avant que l'avis ait été affiché, à moins qu'elle ne soit faite dans la semaine qui suit la date de l'affichage de l'avis; nulle revendication n'est admise à moins qu'avis n'en ait été donné par écrit au receveur ou au fonctionnaire supérieur dans le délai d'un mois à compter de la date de la saisie. S.R., ch.E-12, art.114.

117.      (1) Les véhicules, vaisseaux, marchandises et autres objets saisis comme confisqués en vertu de la présente loi ou de toute autre loi relative à l'accise, au commerce ou à la navigation, sont réputés déclarés confisqués, et il en est disposé en conséquence, à moins que la personne entre les mains de qui ils ont été saisis, ou leur propriétaire, ne donne, dans un mois à compter du jour de la saisie, avis par écrit au préposé saisissant ou au receveur dans la division d'accise où ces marchandises ont été saisies, qu'elle les revendique ou se propose de les revendiquer.

     (2) Le receveur à l'endroit où les marchandises saisies sont déposées et gardées, ou un fonctionnaire supérieur, peut ordonner de les restituer au propriétaire, pourvu que celui-ci signe un cautionnement, avec deux cautions solvables, préalablement accepté par le receveur ou le fonctionnaire supérieur, pour le double de leur valeur en cas de déclaration de confiscation.

     (3) Si les marchandises saisies sont déclarées confisquées, la valeur en est immédiatement payée au receveur, et le cautionnement annulé; autrement, la clause pénale du cautionnement est appliquée et la somme recouvrée.

     (4) Ce cautionnement est reçu au nom du receveur au bénéfice de Sa Majesté, et remis au receveur, et conservé par lui. S.R., ch.E-12, art.115.

164.      (1) Lorsque des chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres accessoires ont été saisis comme confisqués sous l'autorité de la présente loi, quiconque - autre que la personne accusée d'une infraction qui a eu pour résultat cette saisie, ou que la personne en la possession de qui ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres accessoires ont été saisis - réclame, à l'égard de ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres accessoires, un intérêt à titre de propriétaire, créancier hypothécaire, détenteur de gage ou détenteur d'un intérêt similaire, peut, dans un délai de trente jours à compter de cette saisie, s'adresser à un juge d'une cour supérieure ou à un juge de la Cour fédérale afin de faire rendre une ordonnance déclarant son intérêt.

     (2) Si, après la notification au ministre que le juge peut exiger, il est démontré, à la satisfaction de ce juge, que le réclamant:

     a) d'une part, est innocent de toute complicité dans l'infraction qui a eu pour résultat cette saisie, ou de toute collusion avec le contrevenant en l'espèce;
     b) d'autre part, a pris toutes les mesures voulues à l'égard de la personne qui a reçu permission d'obtenir la possession de ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres accessoires, afin de s'assurer que vraisemblablement ils ne seraient pas employés contrairement à la présente loi, ou, si le réclamant est un créancier hypothécaire ou détenteur de gage, qu'il a, avant de devenir semblable créancier hypothécaire ou détenteur de gage, pris ces mesures à l'égard du débiteur hypothécaire ou donneur de gage,

le réclamant a droit à une ordonnance déclarant que son intérêt n'est pas affecté par cette saisie. S.R., ch.E-12, art. 164; S.R., ch.10(2e suppl.), art.64.

240.      (1) Sauf les cas particuliers prévus par la présente loi, quiconque vend ou offre en vente, ou, n'étant pas fabricant de tabac ou de cigares muni de licence, a en sa possession du tabac ou des cigares fabriqués de tout genre qui ne sont pas empaquetés ni estampillés conformément à la présente loi commet un acte criminel et encourt une amende de deux à trois fois le montant des droits d'accise imposés sur le tabac ou les cigares.

     (2) Tout le tabac ou tous les cigares ainsi trouvés, qui ne sont pas empaquetés et estampillés conformément à la présente loi, sont confisqués au profit de Sa Majesté et saisis par un préposé, et il en est disposé en conséquence.

__________________

     1      Les articles pertinents de la Loi sont reproduits en annexe.

     2      Selon la pièce 8 déposée avec les Admissions, il appert qu'André Desrosiers, aussi inculpé en rapport avec cette affaire, a plaidé coupable et a été condamné entre autres à payer 5,164.88$. La cour a aussi ordonné la confiscation des cartouches et paquets de cigarettes saisis.

     3      Pièce 15, déposée avec les Admissions, pages 4 et 5.

     4      Dans une cause relative à une automobile de marque Toyota, Cour fédérale No T-129-90, juge Pinard, 16 novembre 1990; Lacourse c. La Reine , Cour fédérale No T-2602-91, juge Pinard, 1er juin 1993; Becta Transport Ltée c. La Reine, Cour fédérale No T-757-91, Juge Pinard, 13 mars 1995.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE LA COUR: T-1567-94

INTITULÉ: Loi sur l'Accise c. Véhicule Ford Tempo 1986

LIEU DE L'AUDIENCE: Sept-Iles (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE: 19-septembre-1996

MOTIFS D'ORDONNANCE et ORDONNANCE:Denault, j

EN DATE DU: 3 octobre 1996

COMPARUTIONS:

Me Robert Lemieux POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Rosemarie Millar POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Robert Lemieux POUR LA PARTIE DEMANDERESSE Sept-Iles (Québec)

M. George Thomson POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE Sous-Procureur général du Canada

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