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Date : 20130705

Dossier : T-1790-10

Référence : 2013 CF 757

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

Entre :

 

DEVERYN DONALD ALEXANDER ROSS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

 MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s'agit d'une requête en ordonnance présentée en application du paragraphe 318(4) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en ce qui a trait à une objection soulevée par les défendeurs quant à la divulgation de documents que le ministre possède en lien avec une demande de contrôle judiciaire.

 

[2]               L’affaire sous-jacente est une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F‑7, d’une décision par laquelle une demande de révision auprès du ministre, au sens de l’article 696.1 du Code Criminel, LRC 1985, ch C‑46 [le Code], avait été rejetée. Le demandeur avait présenté une demande au ministre pour faire réviser deux condamnations pour fraude qui avaient été rendues contre lui en lien avec un fonds d’investissement à Brandon (Manitoba). Les condamnations avaient été imposées après le procès, en 1995, et avaient été maintenues par la Cour d’appel du Manitoba. Le demandeur a déposé sa demande de contrôle judiciaire en 2004.

 

[3]               Conformément à l’article 696.2 du Code, le ministre possède les pouvoirs accordés à un commissaire au sens de la Loi sur les enquêtes, LRC 1985, ch I‑11, articles 4 et 5, pour examiner une demande de révision auprès du ministre. En application du paragraphe 696.2(3), il peut déléguer ces pouvoirs à un avocat, un juge à la retraite ou à une autre personne qualifiée. En l’espèce, le ministre a retenu les services de M. Alex Pringle, c.r., d’Edmonton (Alberta) pour que ce dernier effectue l’enquête. Pendant son enquête, M. Pringle a interrogé des témoins et a assemblé un important dossier de preuve documentaire au sujet de ce qui avait été une enquête et une poursuite en matière de fraude plutôt complexe.

 

[4]               Le 15 mai 2008, M. Pringle a fourni un document intitulé [traduction] « Rapport d’enquête » (le premier rapport d’enquête) à l’avocat du demandeur et au ministère de la Justice du Manitoba. Le demandeur et le ministère de la Justice du Manitoba ont présenté à M. Pringle de nombreuses observations écrites en réponse au premier rapport d’enquête. M. Pringle a ensuite fourni ses conclusions et recommandations finales au ministre le 22 juin 2009 dans un document intitulé [traduction] « Rapport d’enquête final ». Le rapport d’enquête final n’a pas été divulgué au demandeur sous quelque forme que ce soit avant le début de la présente procédure.

 

[5]               Le ministre a communiqué sa décision au demandeur au sujet de la demande de révision dans une lettre datée du 29 septembre 2010. Le ministre n’était pas convaincu qu’il y avait un fondement raisonnable pour conclure qu’il y avait eu erreur judiciaire et, exerçant son pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 696.3(3)b) du Code, il a rejeté la demande.

 

[6]               Dans son avis de demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre, le demandeur a demandé que le ministre lui fournisse une copie du rapport d’enquête final de M. Pringle, conformément à l’article 317 des Règles des Cours fédérales. L’avocat des défendeurs s’est opposé à la demande de divulgation parce que le document était protégé par le secret professionnel de l’avocat.

 

[7]               Lorsque la Cour a commencé l’audition de la demande le 15 avril 2013, le demandeur a réitéré sa demande de production du rapport d’enquête final de M. Pringle. La Cour a donné la directive aux défendeurs de déposer le rapport d’enquête final sous scellé avec des observations écrites à l’appui de l’argument selon lequel le rapport était protégé par le secret professionnel. Le demandeur a eu l’occasion de répondre par écrit et le ministre a eu un droit de réponse.

 

[8]               Après l’audience, les défendeurs ont choisi de divulguer une version caviardée du rapport d’enquête final. Ils ont divulgué 603 paragraphes du rapport, mais ont maintenu que le secret professionnel s’appliquait aux paragraphes 556, 567 et 606 à 613, parce que les paragraphes caviardés contenaient les conseils juridiques et les recommandations de M. Pringle au ministre en ce qui a trait à la décision à prendre quant à la demande de révision.

 

[9]               Les défendeurs se fondent sur la nature de la nomination de M. Pringle à titre d'avocat agissant comme délégué du ministre pour effectuer l'enquête. M. Pringle n'était pas qu'un simple enquêteur, selon les défendeurs. Ses tâches comprenaient l'enquête, mais aussi l'analyse juridique et l'application de principes juridiques gouvernant les condamnations injustifiées aux faits qu'il avait relevés dans son examen des documents et son interrogatoire sous serment de plusieurs personnes.

 

[10]           Le demandeur reconnaît que, dans son mémoire des faits et du droit pour la demande d'annulation de la décision du ministre, il a déclaré que le ministre pouvait se prévaloir du secret professionnel dans le rapport final pour des [traduction] « conseils juridiques fournis pour arriver au règlement de la demande même ». Il a aussi reconnu que le ministre peut faire valoir le secret professionnel au sujet des conseils donnés par son conseiller spécial sur des demandes de révision auprès du ministre. Le conseiller spécial supervise le processus d'examen des condamnations et révise les rapports d'enquête. Ce poste, pour lequel le conseiller spécial est nommé par décret, est indépendant de la fonction publique et du personnel du ministère de la Justice. Le conseiller spécial peut fournir des conseils et des recommandations au ministre qui diffèrent de ceux que fournirait un avocat enquêteur. De tels conseils et recommandations, le cas échéant, ne font pas l'objet de la présente requête.

 

[11]           Cependant, le demandeur soutient que le paragraphe 5(1) du Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), DORS/2002-416 [le Règlement] exige que le rapport d'enquête final soit divulgué au complet, sans caviardage.

 

[12]           Le paragraphe 5(1) est libellé comme suit :

 

 (1) Une fois l’enquête visée à l’alinéa 4(1)a) terminée, le ministre rédige un rapport d’enquête, dont il transmet copie au demandeur et, le cas échéant, à la personne qui présente la demande en son nom. Le ministre doit informer par écrit le demandeur que des renseignements additionnels peuvent lui être fournis à l’appui de la demande dans un délai d’un an à compter de la date d’envoi du rapport d’enquête.

 (1) After completing an investigation under paragraph 4(1)(a), the Minister shall prepare an investigation report and provide a copy of it to the applicant and to the person acting on the applicant’s behalf, if any. The Minister shall indicate in writing that the applicant may provide further information in support of the application within one year after the date on which the investigation report is sent.

 

[13]           Le demandeur soutient que les paragraphes divulgués du rapport d'enquête final sont truffés de conclusions mixtes de fait et de droit et que leur divulgation constitue une renonciation du ministre à toute revendication du secret professionnel pour des paragraphes dont le contenu est probablement sensiblement le même et qui visent les mêmes questions. Il fait valoir que la demande de contrôle judiciaire devant la Cour a procédé en fonction du fondement selon lequel le ministre avait appliqué un critère juridique incorrect pour en arriver à sa décision, parce qu'il avait reçu des conseils incorrects sur des principes juridiques et que sa décision devrait être annulée pour cette raison. Certaines déclarations dans le premier rapport d'enquête, qui appuieraient cet argument, n'apparaissent pas dans les paragraphes divulgués du rapport d'enquête final.

 

[14]           Le demandeur soutient qu'il a le droit de savoir si le ministre, en ne mentionnant que le premier rapport d'enquête dans sa décision-lettre, a négligé des passages et des conclusions essentiels du rapport d'enquête final de M. Pringle.

 

[15]           Les défendeurs sont d'avis que le rapport divulgué à l'avocat du demandeur en mai 2008 constitue le [traduction] « rapport d'enquête » préparé au sens du paragraphe 5(1) du Règlement. L'enquête était terminée à cette époque et l'invitation au demandeur et au ministère de la Justice du Manitoba à présenter des observations supplémentaires satisfaisait aux exigences en matière d'équité et aux exigences prévues par le Règlement. Le document qui fait l'objet de la présente requête (c'est-à-dire le « rapport d'enquête final ») était un document à l'intention du ministre qui comprenait le rapport d'enquête, les commentaires reçus en réponse et les conseils juridiques de M. Pringle.

 

[16]           Les défendeurs soutiennent qu'ils n'ont pas concédé que le paragraphe 5(1) du Règlement exigeait la divulgation du rapport d'enquête final et qu'ils n'ont pas renoncé au secret professionnel pour les parties qui étaient caviardées. Lorsqu'ils ont fourni le rapport caviardé, ils ont simplement répondu à la directive de la Cour de divulguer les parties de documents pour lesquelles ils faisaient pas valoir le secret professionnel.

 

[17]           Je suis d'accord avec les défendeurs que le rapport d'enquête mentionné au paragraphe 5(1) du Règlement dans le contexte en l'espèce est le rapport qui a été divulgué au demandeur en mai 2008. Cette conclusion est conforme au libellé du Règlement, qui exige qu'un tel rapport soit fourni au demandeur et que le ministre avise le demandeur qu'il a un an pour fournir des renseignements supplémentaires à l'appui de sa demande. Le Règlement n'exige pas que le rapport final comprenant les résultats de l'enquête (y compris les renseignements supplémentaires que le demandeur peut avoir fournis) et les recommandations de l'avocat enquêteur soient divulgués au demandeur avant que le ministre rende sa décision.

 

[18]           Cela ne signifie pas que l'équité procédurale n'exigerait pas la divulgation du rapport final s'il était suffisamment différent du rapport qui avait été fourni au demandeur pour examen. Cela semble être ce que la juge Gauthier avait en tête dans la décision Bilodeau c Canada (Ministre de la Justice), 2011 CF 886, lorsqu'elle a expliqué au paragraphe 110 que la divulgation d'un rapport final non caviardé peut être exigée dans l'intérêt de l'équité procédurale. Je n'ai pas à trancher cette question en l'espèce, parce que la question dont je suis saisi concerne la production au sens des articles 317 et 318 des Règles.

 

[19]           Les défendeurs ont dû produire le rapport d'enquête final lorsque le demandeur a demandé le rapport en application du paragraphe 317 des Règles pour la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre. L’article 317 vise à faire en sorte que la Cour qui examine une demande de contrôle judiciaire dispose du dossier dont était saisi l’office fédéral lorsqu’il a rendu sa décision (1185740 Ontario c. Canada (Ministre du Revenu national) (1999), 247 NR 287, 91 ACWS (3d) 922 (CAF)). L'article 318 des Règles établit la procédure pour trancher une objection à une requête présentée en application de l'article 317.

 

[20]           En divulguant le rapport lorsque la Cour leur en a donné la directive, en application de l'article 318 des Règles, les défendeurs n'ont pas renoncé à leur droit au secret professionnel en ce qui a trait à tout renseignement contenu dans le rapport. Les articles 317 et 318 des Règles sont des instruments législatifs subordonnés de nature générale. Ils ne peuvent pas être interprétés de façon à abroger le secret professionnel sans une expression claire de cette intention dans la loi habilitante : Pritchard c Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, aux paragraphes 32 à 35. Il n'y a aucune expression d'intention de ce genre dans la Loi sur les Cours fédérales.

 

[21]           J'ai lu les paragraphes caviardés et je suis convaincu qu'ils satisfont aux critères pour déterminer si l'on peut faire valoir un secret professionnel pour une communication, critère qui a été établi au paragraphe 15 de l'arrêt Pritchard : la communication a été établie entre un avocat, M. Pringle, et son client, le ministre, elle comprenait des avis juridiques de la part de M. Pringle, et son client et lui souhaitaient qu'elle reste confidentielle.

 

[22]           Comme le décrivait la lettre de nomination, on demandait à M. Pringle de [traduction] « […] fournir un avis juridique au ministre de la Justice sur le fondement de la demande ». M. Pringle lui-même semblait supposer que son avis final serait protégé par le secret professionnel, comme il l'a précisé dans ses communications à l'avocat du demandeur. De plus, dans le rapport d'enquête finale, il a noté qu'il avait été nommé par le ministre pour [traduction] « fournir un avis au sujet de la présente demande ».

 

[23]           Les défendeurs soutiennent que l'affaire en l'espèce est analogue aux décisions de la Cour fédérale dans Bilodeau, précité, et Slansky c Canada (Procureur général), 2011 CF 1467, dans laquelle il a été conclu qu'on peut faire valoir le secret professionnel dans le contexte d'enquêtes effectuées par des délégués du ministre.

 

[24]           Par conséquent, l'objection à la production des paragraphes 556, 567 et 606 à 613 du rapport d'enquête final en raison du secret professionnel est maintenue.

 

[25]           Le demandeur a demandé une occasion supplémentaire de présenter des observations à la Cour sur le fond de la demande de contrôle judiciaire, lorsqu'une décision serait rendue sur l'objection à la divulgation des renseignements pour lesquels on faisait valoir le secret professionnel. La Cour prévoira une date d'audience lorsque les avocats auront avisé le greffe de leur disponibilité et du temps requis pour présenter des observations orales supplémentaires.

 

.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

1.      l'objection à la demande de production des paragraphes caviardés du rapport d'enquête finale est maintenue;

2.      les dépens suivront l’issue de l’affaire.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1790-10

 

INTITULÉ :                                      DEVERYN DONALD ALEXANDER ROSS

 

                                                            ET

 

                                                            LE MINISTRE DE LA JUSTICE

                                                            ET

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Les 15 et 16 avril 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 juillet 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Philip Campbell

James Lockyer

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sean Gaudet

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PHILIP CAMPBELL

JAMES LOCKYER

Lockyer Posner Campbell

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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