Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130709

Dossier : T-828-09

Référence : 2013 CF 764

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 9 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

IMAD HERMIZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit de l’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance du 19 mars 2013 par laquelle le protonotaire Aalto a statué, après instruction d’une action simplifiée, que le demandeur avait le droit de recouvrer de la défenderesse des dommages‑intérêts généraux de 20 000 $ et les dépens. Pour les motifs que je vais exposer, j’ai conclu que l’appel devait être accueilli et l’action, rejetée.

 

[2]               Après avoir été emprisonné pour homicide involontaire coupable, le demandeur, M. Hermiz, a été mis en liberté conditionnelle de jour. Il s’est alors trouvé un emploi. Il a été allégué qu’à cette époque, un ou des individus s’étaient rendus chez l’épouse d’un homme qui avait été incarcéré dans la même aire (rangée) de prison que le demandeur; cet homme se trouvait toujours en prison. On aurait demandé à l’épouse de passer clandestinement un paquet contenant de la drogue lorsqu’elle irait faire rendre visite à son mari. Elle a refusé de le faire et a rapporté l’incident à son époux, qui l’a lui‑même signalé à un agent de renseignements de la prison. Cet agent a informé de l’incident l’agent de libération conditionnelle (l’agent du Service correctionnel du Canada ou SCC) qui supervisait la libération conditionnelle du demandeur. L’agent du SCC a communiqué par téléphone avec l’épouse, qui a donné des faits une version différente, et dit que l’incident avait eu lieu plusieurs mois plus tôt. De concert avec son supérieur, l’agent a révoqué la libération conditionnelle de jour du demandeur. Ce dernier est retourné en prison et a perdu son emploi. Deux mois plus tard, la Commission des libérations conditionnelles du Canada a procédé à l’examen du dossier et rétabli la libération conditionnelle de jour.

 

[3]               Dans la décision dont appel, répertoriée sous 2013 CF 288, le protonotaire a conclu que les agents du Service correctionnel du Canada (CSC) chargés de l’affaire avaient cru de bonne foi servir l’intérêt supérieur de la société et qu’il n’y avait pas eu de leur part faute dans l’exercice d’une charge. Il a néanmoins conclu que le demandeur avait droit à des dommages‑intérêts – qu’il a fixés à 20 000 $ − pour détention arbitraire et, en tout état de cause, pour négligence dans l’enquête. Le présent appel vise la responsabilité, mais pas le montant des dommages‑intérêts si la responsabilité devait être confirmée.   

 

[4]               Au paragraphe 8 de son mémoire, l’avocat du demandeur (l’intimé) a souscrit à l’exposé des faits formulé, comme suit, aux paragraphes 4 à 16 du mémoire déposé par la défenderesse (l’appelante) dans le présent appel, sans toutefois qu’en puisse être élargie la portée :

[traduction]

 

4.         Le 7 mars 2007, M. Hermiz a été déclaré coupable d’homicide involontaire coupable pour avoir poignardé un individu dans un hôtel lors d’une fête. Alors qu’il était détenu dans un établissement provincial, il a été inculpé ou déclaré coupable pour des infractions liées à la drogue.

 

5.         Le 7 octobre 2007, on a transféré M. Hermiz à l’Établissement Fenbrook à sécurité moyenne (EFM). Le 20 décembre 2007, on a envoyé M. Hermiz dans un secteur résidentiel (une rangée) devant compter un maximum de 9 détenus; un des autres détenus était Jason Bolan.

 

6.         Le 20 mai 2008, M. Hermiz a été placé en libération conditionnelle, connue sous le nom de « libération conditionnelle de jour », à l’établissement résidentiel communautaire (ERC) Saint‑Léonard –Peel, à Toronto, sous la surveillance d’un agent de libération conditionnelle dans la collectivité, Hamza Al-Baghdadi (l’ALC Al-Baghdadi).

 

7.         Le 19 juin 2008, Jason Bolan a rencontré Holly Goldthorp, agente de renseignements de sécurité (l’ARS Goldthorp) à l’EFM, pour discuter avec elle de la  visite à l’établissement le 22 juin 2008 de son épouse. M. Bolan a déclaré qu’on l’avait poignardé la veille parce qu’il avait refusé d’aider à faire entrer de la drogue à l’EFM.

 

8.         M. Bolan a dit à l’ARS Goldthorp qu’Imad Hermiz s’était présenté à la maison de son épouse, muni d’un paquet qu’il souhaitait lui faire livrer à l’EFM. Mme Bolan a décrit l’individu venu chez elle, et M. Bolan a reconnu d’après la description faite qu’il s’agissait de M. Hermiz. M. Bolan a aussi mentionné que M. Hermiz avait été proche de ceux qui venaient tout juste de l’agresser, en lien avec le même complot pour faire entrer de la drogue en prison.   

 

9.         Après examen des allégations, l’ARS Goldthorp a conclu que M. Bolan et M. Hermiz avaient tous deux vécu dans la même rangée pendant six mois, juste avant la mise en libération conditionnelle de M. Hermiz. Elle n’a rien trouvé qui aurait pu expliquer une arrière‑pensée, et a pu observer que M. Bolan semblait véritablement inquiet pour la sécurité de son épouse. Selon elle, il mettait grandement sa vie en danger en dénonçant un autre délinquant. 

 

10.       L’ARS Goldthorp a téléphoné à l’ALC Al‑Baghdadi le même jour pour lui transmettre l’information concernant M. Hermiz. Elle lui a également fait parvenir peu après un rapport sur l’information qu’elle avait pu recueillir.

 

11.       L’ALC Al‑Baghdadi a téléphoné à Mme Bolan pour discuter avec elle des allégations portées. Celle‑ci semblait nerveuse, incommodée et peu encline à coopérer à l’enquête menée sur l’incident. Elle a déclaré qu’il faisait nuit et que les trois personnes venues chez elle portaient de lourds manteaux. La visite avait eu lieu trois mois plus tôt, a‑t‑elle ajouté, en contradiction de ce qu’avait déclaré son époux. L’ALC Al‑Baghdadi a jugé Mme Bolan imprécise dans ses propos et estimé que son comportement évoquait celui d’un témoin qui se rétracte de peur de représailles.

 

12.       L’ALC Al‑Baghdadi a tenu une conférence de cas avec un supérieur, le surveillant de liberté conditionnelle Phil Schiller (le SLC Schiller), pour établir si l’on pouvait conclure de cette information à l’existence d’un risque accru pour la collectivité. On a délivré, après examen du profil du demandeur et de l’information reçue, un mandat d’arrestation et de suspension de la libération conditionnelle.      

 

13.       Le 23 juin 2008, l’ALC Al‑Baghdadi a fait passer une entrevue postsuspension à M. Hermiz. Il a conclu que celui‑ci n’était pas crédible. En outre, M. Hermiz a lui-même admis qu’il consommait de la drogue à l’EFM.   

 

14.       Plus tard le même jour, l’ALC Al‑Baghdadi et le SLC Schiller ont tenu une deuxième conférence de cas pour examiner s’il convenait d’annuler la suspension de la libération conditionnelle de jour de M. Hermiz. Ils ont décidé d’attendre que soient recueillis davantage de renseignements, ce qui pouvait nécessiter de procéder à une deuxième entrevue postsuspension. Aucun renseignement nouveau n’a été obtenu et, le 4 juillet 2008, on a délivré un mandat en vue du transfèrement de M. Hermiz à l’unité de détention temporaire du pénitencier de Kingston.

 

15.       L’ALC Al‑Baghdadi a demandé à l’agente de libération conditionnelle en établissement Jennifer Leplant de s’entretenir avec M. Hermiz, à l’unité de détention temporaire du pénitencier de Kingston, au sujet de sa suspension. Lors de l’entretien, M. Hermiz a nié avoir consommé de la drogue à l’EFM, contrairement à ce qu’il avait déclaré à l’ALC Al‑Baghdadi.

 

16.       Le 11 juillet 2008, on a rédigé à l’intention de la CLCC (Commission des libérations conditionnelles du Canada) une  recommandation de révocation de la libération conditionnelle de jour. La recommandation a été assortie d’un addenda le 15 juillet 2008. Le 9 septembre 2008, la CLCC a annulé la suspension de la libération conditionnelle de jour de M. Hermiz.

 

 

[5]               Personne ne conteste véritablement les conclusions de fait tirées par le protonotaire. Au vu des faits convenus exposés ci‑dessus, des conclusions tirées par le protonotaire et du dossier de la présente affaire, les faits essentiels sont les suivants :

 

         On a fait sortir M. Hermiz (le demandeur) d’une prison fédérale, alors qu’il y purgeait sa peine, pour le placer en libération conditionnelle de jour dans une maison de transition.

 

         M. Hermiz s’est trouvé un emploi de manœuvre dans une entreprise de raccords en laiton.

 

         Un individu qui avait été emprisonné dans la même rangée que M. Hermiz, M. Bolan, était à ce moment‑là toujours en prison, et il y a été poignardé.

 

         Le lendemain de l’agression à l’arme blanche, une agente de renseignements de sécurité a interrogé M. Bolan. Celui‑ci a dit à l’agente qu’il craignait pour la sécurité de son épouse, qui lui avait récemment dit au téléphone que certains individus s’étaient présentés chez elle pour lui demander de passer clandestinement de la drogue en prison lorsqu’elle irait le visiter. L’épouse a dit qu’elle avait refusé. M. Bolan croyait qu’il y avait un lien entre l’agression à l’arme blanche et la visite faite chez son épouse. M. Bolan a également dit à l’agente que, d’après la description que lui en avait donnée son épouse, l’un des visiteurs devait être M. Hermiz.

 

         L’agente de renseignements de sécurité a rapporté cette conversation à l’agent de libération conditionnelle chargé de superviser la libération conditionnelle de M. Hermiz.

 

         L’agent de libération conditionnelle a téléphoné à l’épouse de M. Bolan pour l’interroger sur la visite. L’épouse semblait peu encline à parler; elle a déclaré que l’incident était survenu trois mois plus tôt, en hiver, que les visiteurs portaient des manteaux et qu’elle n’était en mesure d’identifier nul d’entre eux.   

 

         L’agent de libération conditionnelle a conclu que l’épouse tentait de rétracter le récit fait plus tôt à son époux, alors que cette première version des faits était la bonne.

 

         L’agent de libération conditionnelle a rencontré son supérieur, et tous deux ont discuté de la situation. Ils ont convenu qu’il y avait lieu de révoquer la libération conditionnelle de jour de M. Hermiz, ce qui fut fait.

 

         L’agent de libération conditionnelle a rencontré M. Hermiz trois jours après son retour en prison. M. Hermiz a nié être jamais allé visiter l’épouse de M. Bolan et lui avoir jamais demandé de passer de la drogue. Il a toutefois admis avoir consommé de la drogue en prison.

 

         M. Hermiz est resté en prison, mais il a institué des recours pour faire rétablir sa libération conditionnelle de jour.

 

         Les recours ont porté fruit et la Commission des libérations conditionnelles du Canada a rétabli trois mois plus tard la libération conditionnelle de jour de M. Hermiz. La Commission a conclu comme suit :

                                    [traduction]

La Commission a donc décidé, en l’absence de renseignements convaincants et dignes de foi touchant les allégations ayant abouti à votre suspension, que la menace de récidive n’est pas devenue excessive et que le risque que vous représentez dans la collectivité reste contrôlable. À ce titre, la suspension de votre semi-liberté est annulée.

 

         M. Hermiz a trouvé auprès d’une autre société un emploi dont il s’acquitte de manière satisfaisante.

 

         M. Hermiz a intenté la présente action en dommages‑intérêts en faisant valoir trois motifs : la faute dans l’exercice d’une charge, la détention arbitraire et la négligence dans l’enquête.

 

         Le protonotaire a rejeté la prétention de faute dans l’exercice d’une charge, mais il a reconnu la responsabilité engagée pour la détention arbitraire. Il a accordé à ce titre des dommages‑intérêts de 6 000 $ et, pour la négligence dans l’enquête, des dommages‑intérêts de 14 000 $.

 

CONCLUSIONS DE FAIT DU PROTONOTAIRE

[6]               Le protonotaire a conclu (au paragraphe 65 de ses motifs) qu’en l’occurrence, l’incident ayant abouti à la suspension de la liberté conditionnelle reposait sur une allégation non corroborée, fondée sur des éléments de ouï‑dire nullement prouvés.

 

[7]               Le protonotaire a ensuite exposé (aux paragraphes 66 et 67) les lacunes ayant entaché les enquêtes des agents de libération conditionnelle :

 

[66] Les agents de libération conditionnelle étaient en présence d’une situation où M. Hermiz était visé par des allégations d’actes répréhensibles. Ils n’ont pas vraiment cherché à confirmer l’exactitude de ces allégations, ni songé, en particulier, à examiner le registre de la maison où résidait M. Hermiz, ou à consulter le personnel pour s’enquérir de sa conduite.  La vérification du registre les aurait peut-être aidés à établir la véracité des dénégations de M. Hermiz.  Aucune mesure n’a été prise pour confirmer l’histoire de M. Bolan avant d’ordonner la suspension.

 

[67] Les agents de libération conditionnelle disposaient de plusieurs options.  Ils auraient pu assigner M. Hermiz à résidence pour une courte période pendant le déroulement des enquêtes.  Ils pouvaient aussi, en vertu de l’alinéa 135(3)b) de la LSCMLC, annuler la suspension dans les 30 jours puisqu’ils n’avaient obtenu aucun élément de preuve concret impliquant M. Hermiz dans l’incident survenu chez Mme Bolan.

 

[8]               Le protonotaire a fait état d’autres lacunes qui avaient entaché, selon lui, les enquêtes (au paragraphe 78) :

 

[78]  Dans les circonstances, elle aurait pu, comme l’a fait valoir M. Hermiz, prendre des mesures additionnelles raisonnables pour s’assurer que les renseignements étaient exacts. Elle aurait pu, par exemple :

 

 

a.         téléphoner à Mme Bolan afin de déterminer si sa version des faits concordait avec celle de son époux;

 

b.         vérifier le registre téléphonique pour savoir à quelle date M. Bolan avait parlé à son épouse;

 

c.         vérifier si le signalement des individus qui s’étaient prétendument rendus chez Mme Bolan correspondait à celui de M. Hermiz;

 

d.         vérifier si l’un des détenus présentait une blessure compatible avec le récit de M. Bolan.  La preuve présentée au procès ne permet pas d’identifier un tel détenu (voir l’onglet 37 du recueil conjoint de documents);

 

e.         relever les incohérences concernant le lieu et la date de l’agression à l’arme blanche dans le récit de M. Bolan.

 

 

[9]               Il a aussi conclu (au paragraphe 88 de ses motifs) que les agents avaient fait preuve d’excès de zèle, mais non pas d’indifférence irresponsable ou d’aveuglement volontaire :

 

[88]   Compte tenu de la preuve, j’estime que les agents de SCC ont fait preuve d’excès de zèle en réagissant au récit de M. Bolan d’une manière qui a causé un préjudice à M. Hermiz.  Comme nous l’avons mentionné précédemment, ces agents auraient pu et auraient dû prendre des mesures additionnelles pour confirmer la véracité des allégations portées contre M. Hermiz.  Cependant, ils n’avaient pas réellement l’intention de lui nuire, mais savaient que leur décision lui occasionnerait un préjudice.  D’après mon évaluation de leur comportement et de la preuve, ils n’ont pas fait montre d’indifférence irresponsable ou d’aveuglement volontaire quant à la situation de M. Hermiz.  Ils croyaient honnêtement agir dans le meilleur intérêt de la société et pour la protection du public.

 

[10]           Il a réitéré sa conclusion d’excès de zèle au paragraphe 99:

 

[99]   La question se pose donc de savoir si les agents de SCC ont exercé leur pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances.  Comme je l’ai déjà indiqué, mon évaluation de la preuve et du comportement des témoins m’amène à conclure qu’ils ont fait preuve d’excès de zèle en tenant pour avéré le récit non corroboré de M. Bolan sans chercher raisonnablement à s’informer et à déterminer le rôle de M. Hermiz dans l’incident.  Rien n’indiquait que M. Hermiz se soit rendu chez Mme Bolan, la preuve semblait d’ailleurs l’exonérer si cette visite a bien eu lieu trois mois avant que M. Bolan ait été poignardé.

 

[11]           Il a poursuivi sur ce thème aux paragraphes 106 et 107 :

 

[106]  Comme je l’ai conclu, et comme le faisait observer la CLCC, la preuve sur laquelle les agents de libération conditionnelle se sont fondés n’était ni fiable ni convaincante.  La décision de la CLCC est donc admissible et devrait recevoir un certain poids, bien qu’en définitive elle ne soit pas déterminante au regard des questions qui nous occupent.

 

[107]  D’autres mesures auraient pu et auraient dû être prises avant de suspendre précipitamment la semi-liberté.  Les agents de libération conditionnelle avaient un rapport assez direct avec M. Hermiz.  Ils n’ont pas fait les démarches qui étaient aisément à leur portée, et ont donc fait preuve de négligence dans l’exercice de leurs fonctions.  La malveillance n’est pas requise pour établir ce délit; le fait que les agents de libération conditionnelle croyaient agir pour la protection de la société n’excuse pas leur négligence.  Les diverses mesures qui auraient pu être prises ont été évoquées plus haut.  Qu’il suffise de dire que la conduite de ces agents ne satisfait pas à la norme de la raisonnabilité eu égard à l’ensemble de la preuve.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[12]           Seule la Couronne a interjeté appel de la décision du protonotaire. En plus de faire valoir de manière générale que le protonotaire a commis des erreurs de fait et de droit, la Couronne allègue plus particulièrement qu’il a commis des erreurs : 

 

         en concluant que l’emprisonnement n’était pas justifié;

 

         en concluant que le Canada avait une obligation de diligence envers le demandeur;   

 

         dans son choix et son application de la norme de diligence.

 

[13]           La Couronne a soutenu à l’audience que la question essentielle à trancher était de savoir si les enquêtes menées par les agents de libération conditionnelle avant de révoquer la libération conditionnelle de jour de M. Hermiz satisfaisaient ou non à la norme pertinente.

 

RÔLE DE LA COUR LORSQU’IL EST INTERJETÉ APPEL DE LA DÉCISION RENDUE PAR UN PROTONOTAIRE APRÈS UN PROCÈS

 

 

[14]           Il convient de se rappeler que le protonotaire a passé en revue la preuve constituée des affidavits de M. Hermiz, des deux agents de libération conditionnelle et des agents de renseignements de sécurité, de même que de nombreux autres documents produits avec le consentement des parties. Le protonotaire a contre‑interrogé en cour chaque souscripteur d’un affidavit.

 

[15]           Il ne s’agit pas de l’appel d’une décision tranchant une requête. Il ne s’agit pas non plus d’un contrôle judiciaire. Le juge Mandamin a correctement indiqué la norme de contrôle applicable à la décision rendue par un protonotaire dans le cadre d’une action, dans la décision McMaster c Canada, 2009 CF 937 (aux paragraphes 20 et 21) :

[traduction]

[20]     La décision rendue par le protonotaire en l’espèce touche le fond de l’action. Il s’agit en termes simples d’un jugement rendu après le procès, même s’il s’agissait d’un procès simplifié. La décision est assujettie à ce titre à la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33.

 

[21]     S’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada dans Housen, les juges Iacobucci et Major ont déclaré, concernant l’appel des conclusions d’un juge de première instance, que la norme de contrôle applicable à une question de droit est celle de la décision correcte ». Quant aux questions de fait, « […] si la question en litige en appel soulève l’interprétation de l’ensemble de la preuve par le juge de première instance, cette interprétation ne doit pas être infirmée en l’absence d’erreur manifeste et dominante » (Housen, au paragraphe 36). Les juges ont finalement statué que, lorsque l’objet du contrôle était l’application aux faits du critère juridique, la norme de contrôle plus rigoureuse s’imposait. Ainsi, une question mixte de fait et de droit ne devrait être infirmée que s’il y a erreur manifeste et dominante.

 

[16]           Aucun fait important n’est en litige. La question à trancher est de savoir si, au vu des faits de l’espèce, l’enquête menée, ou omise, par les agents de libération conditionnelle engage ou non la responsabilité de la Couronne. Le protonotaire a conclu que cette responsabilité était engagée. C’est là une question de droit qui appelle la norme de contrôle de la décision correcte.

 

NORME DE DILIGENCE

[17]           Que la question en jeu soit la détention arbitraire – auquel cas la question fondamentale est celle de la justification −, ou la négligence dans l’enquête, ce qu’il faut établir c’est si les agents de libération conditionnelle ont bien respecté la norme de diligence applicable dans l’exercice de leurs fonctions.

 

[18]           Le protonotaire a procédé à l’examen approfondi d’un certain nombre de décisions faisant état de l’existence d’une obligation de diligence des agents de la force publique, comme les policiers, envers les personnes sous enquête. L’arrêt clé en la matière est Hill c Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, [2007] 3 RCS 129, où la Cour suprême a conclu que, compte tenu du témoignage d’expert au procès, si les enquêtes des policiers n’avaient pas été parfaites, elles n’avaient pas enfreint la norme à laquelle il leur fallait satisfaire à l’époque.

 

[19]           Dans l’arrêt Syl Apps Secure Treatment Centre c BD, [2007] 3 RCS 83, la Cour suprême, qui statuait sur un appel faisant suite à une requête en radiation, s’est penchée sur l’équilibre à établir entre ce que la loi pouvait imposer à une société d’aide à l’enfance comme obligation de diligence envers un enfant et l’obligation de diligence envers la famille d’un enfant, et elle a conclu que cette dernière obligation n’existait pas.

 

[20]           La Cour d’appel de l’Ontario a, pour sa part, statué dans l’arrêt River Valley Poultry Farms Ltd c Canada (Attorney General) (2009), 95 OR (3d) 1, après examen de la loi pertinente, qu’aucune obligation de diligence n’incombait à l’Agence canadienne d’inspection des aliments envers un aviculteur dont le troupeau de volaille avait dû être éliminé.

 

[21]           Dans la décision Turner c Halifax (Regional Municipality) (2009), 274 NSR (2d) 304, le juge de première instance a statué, sur requête en jugement sommaire, qu’une demande fondée sur la négligence présentée contre la Couronne en raison des actions d’un agent de libération conditionnelle n’avait pas véritablement de chances de réussir. Cette décision reposait sur deux motifs : premièrement, l’agent de libération conditionnelle n’était assujetti à aucune obligation de diligence; deuxièmement, en tout état de cause, la preuve ne démontrait pas qu’il y avait eu violation de pareille obligation.

 

[22]           La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a refusé, dans l’arrêt Turner (2009), 283 NSR (2d) 239, de se prononcer sur l’existence d’une obligation de négligence, et a confirmé la décision du juge de première instance selon laquelle rien dans la preuve ne permettait d’invoquer une telle obligation.

 

[23]           Dans la décision Tsoutsoulas c Canada (Attorney General), [2006] OTC 256, le juge Wright de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a statué que Service correctionnel du Canada n’avait aucune obligation de diligence envers une personne blessée par une autre en libération conditionnelle et que, quoi qu’il en soit, les agents de libération conditionnelle concernés avaient agi de manière raisonnable.

 

[24]           Je suis du même avis que le protonotaire lorsqu’il conclut, sur le fondement en particulier de l’arrêt Hill de la Cour suprême, précité, que les agents de libération conditionnelle avaient une obligation de diligence envers le libéré conditionnel, M. Hermiz, dans la présente affaire.

 

[25]           Il faut ensuite se demander si les agents de libération conditionnelle, dans l’exercice de leurs fonctions, ont fait preuve de négligence à l’endroit du demandeur. Je relève que dans l’affaire Hill, précitée, la cour de première instance a retenu le témoignage d’un expert quant aux normes qu’on s’attendait devoir être respectées par un policier qui faisait enquête. Aucune pareille preuve n’a été présentée en l’espèce.

 

[26]           Dans Syl Apps et dans River Valley, la Cour est arrivée à sa décision après examen de la jurisprudence pertinente. Dans Turner, la Cour s’est fondée sur un exposé conjoint des faits. Dans Tsoutsoulas, enfin, la Cour a simplement conclu qu’il n’y avait pas eu négligence.

 

[27]           En l’espèce, la Cour doit chercher à savoir si les agents de libération conditionnelle ont fait preuve d’ « excès de zèle » en révoquant la libération conditionnelle de jour du demandeur sur la foi d’éléments de preuve contradictoires, soit le récit fait au demandeur par son épouse, manifestement du ouï‑dire, et le récit fait à l’agent de libération conditionnelle, que ce dernier n’a pas cru. La décision de révoquer la libération conditionnelle de jour a été prise par un agent principal de libération conditionnelle, de concert avec l’agent de libération conditionnelle, sans qu’on ne se soit d’abord entretenu avec le demandeur. L’entretien s’est en fait déroulé trois jours plus tard. Les agents n’ont pas alors changé leur décision en ce qui concerne la révocation. C’est trois mois plus tard que la Commission des libérations conditionnelles a infirmé cette décision.

 

[28]           Il convient d’examiner la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la LSCMLC) en sa teneur au moment pertinent, soit en juin 2008. L’objet du système correctionnel est énoncé à l’article 3 :

 

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

 

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

 

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

 

[29]           En vertu de l’alinéa 4a) de la LSCMLC, la protection de la société est le critère prépondérant à appliquer; l’alinéa 4d) impose le recours aux mesures les moins restrictives possible, l’alinéa 4e) prévoit que le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf ceux dont la suppression est nécessaire, et  l’alinéa 4g) prévoit que les décisions prises doivent être claires et équitables.

4. Le Service est guidé, dans l’exécution du mandat visé à l’article 3, par les principes suivants :

 

a) l’exécution de la peine tient compte de toute information pertinente dont le Service dispose, notamment les motifs et recommandations donnés par le juge qui l’a prononcée, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine ou fournis par les victimes, les délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, ainsi que les directives ou observations de la Commission des libérations conditionnelles du Canada en ce qui touche la libération;

[…]

 

d) le délinquant continue à jouir des droits reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou la restriction légitime est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;

 

e) il facilite la participation du public aux questions relatives à ses activités;

[…]

 

g) ses directives d’orientation générale, programmes et pratiques respectent les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu’entre les sexes, et tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux autochtones, aux personnes nécessitant des soins de santé mentale et à d’autres groupes;

4. The principles that guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are as follows:

 

(a) the sentence is carried out having regard to all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, the nature and gravity of the offence, the degree of responsibility of the offender, information from the trial or sentencing process, the release policies of and comments from the Parole Board of Canada and information obtained from victims, offenders and other components of the criminal justice system;

 

 

 

 

(d) offenders retain the rights of all members of society except those that are, as a consequence of the sentence, lawfully and necessarily removed or restricted;

 

 

(e) the Service facilitates the involvement of members of the public in matters relating to the operations of the Service;

 (g) correctional policies, programs and practices respect gender, ethnic, cultural and linguistic differences and are responsive to the special needs of women, aboriginal peoples, persons requiring mental health care and other groups;

 

[30]           Selon le paragraphe 24(1), le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise soient à jour, exacts et complets :

 

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

 

 

24. (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

[31]           Comme l’a déclaré le juge Mosley dans la décision Tehrankari c Canada (Procureur général), 2012 CF 332, l’expression « veiller, dans la mesure du possible », au paragraphe 24, ne s’entend pas d’une enquête exhaustive.

 

[32]           Une opposition existe donc entre ce qu’expriment les articles 3 et 4 de la LSCMLC, c’est‑à‑dire entre une obligation envers la société et une obligation envers le délinquant. L’alinéa 4a) ne laisse toutefois aucun doute : l’obligation envers la société est prépondérante.

 

[33]           L’article 135 de la LSCMLC renferme des dispositions sur le mode de  supervision de la libération conditionnelle et  sur l’examen d’une suspension. Je reproduis certaines parties de cet article :

 

135 (1) En cas d’inobservation des conditions de la libération conditionnelle ou d’office ou lorsqu’il est convaincu qu’il est raisonnable et nécessaire de prendre cette mesure pour empêcher la violation de ces conditions ou pour protéger la société, un membre de la Commission ou la personne que le président ou le commissaire désigne nommément ou par indication de son poste peut, par mandat:

 

 

a) suspendre la libération conditionnelle ou d’office;

[…]

 

(3) Sous réserve du paragraphe (3,1), la personne qui a signé le mandat visé au paragraphe (1), ou toute autre personne désignée aux termes de ce paragraphe, doit, dès que le délinquant mentionné dans le mandat est réincarcéré, examiner son dossier et:

 

a) dans le cas d’un délinquant qui purge une peine d’emprisonnement de moins de deux ans, dans les quatorze jours qui suivent si la Commission ne décide pas d’un délai plus court, annuler la suspension ou renvoyer le dossier devant la Commission, le renvoi étant accompagné d’une évaluation du cas;

 

b) dans les autres cas, dans les trente jours qui suivent, si la Commission ne décide pas d’un délai plus court, annuler la suspension ou renvoyer le dossier devant la Commission, le renvoi étant accompagné d’une évaluation du cas et, s’il y a lieu, d’une liste des conditions qui, à son avis, permettraient au délinquant de bénéficier de nouveau de la libération conditionnelle ou d’office.

[…]

 

(4) Une fois saisie du dossier d’un délinquant qui purge une peine de moins de deux ans, la Commission examine le cas et, dans le délai réglementaire, soit annule la suspension, soit révoque la libération ou y met fin.

 

(5) Une fois saisie du dossier du délinquant qui purge une peine de deux ans ou plus, la Commission examine le dossier et, au cours de la période prévue par règlement, sauf si, à la demande du délinquant, elle lui accorde un ajournement ou un membre de la Commission ou la personne que le président désigne nommément ou par indication de son poste reporte l’examen:

 

a) si elle est convaincue qu’une récidive de la part du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge présentera un risque inacceptable pour la société:

 

(i) elle met fin à la libération lorsque le risque dépend de facteurs qui sont indépendants de la volonté du délinquant,

 

 

(ii) elle la révoque dans le cas contraire;

 

b) si elle n’a pas cette conviction, elle annule la suspension;

 

c) si le délinquant n’est plus admissible à la libération conditionnelle ou n’a plus droit à la libération d’office, elle annule la suspension ou révoque la libération ou y met fin.

135 (1) A member of the Board or a person, designated by name or by position, by the Chairperson of the Board or by the Commissioner, when an offender breaches a condition of parole or statutory release or when the member or person is satisfied that it is necessary and reasonable to suspend the parole or statutory release in order to prevent a breach of any condition thereof or to protect society, may, by warrant:

 

(a) suspend the parole or statutory release;

 

(3) Subject to subsection (3.1), the person who signs a warrant under subsection (1) or any other person designated under that subsection shall, immediately after the recommitment of the offender, review the offender’s case and

 

 

 

(a) where the offender is serving a sentence of less than two years, cancel the suspension or refer the case to the Board together with an assessment of the case, within fourteen days after the recommitment or such shorter period as the Board directs; or

 

 

 

(b) in any other case, within thirty days after the recommitment or such shorter period as the Board directs, cancel the suspension or refer the case to the Board together with an assessment of the case stating the conditions, if any, under which the offender could in that person’s opinion reasonably be returned to parole or statutory release.

 

 

 

(4) The Board shall, on the referral to it of the case of an offender serving a sentence of less than two years, review the case and, within the period prescribed by the regulations, either cancel the suspension or terminate or revoke the parole.

 

(5) The Board shall, on the referral to it of the case of an offender who is serving a sentence of two years or more, review the case and — within the period prescribed by the regulations unless, at the offender’s request, the review is adjourned by the Board or is postponed by a member of the Board or by a person designated by the Chairperson by name or position —

 

(a) if the Board is satisfied that the offender will, by reoffending before the expiration of their sentence according to law, present an undue risk to society,

 

(i) terminate the parole or statutory release if the undue risk is due to circumstances beyond the offender’s control, and

 

(ii) revoke it in any other case;

 

 

(b) if the Board is not satisfied as in paragraph (a), cancel the suspension; and

 

(c) if the offender is no longer eligible for parole or entitled to be released on statutory release, cancel the suspension or terminate or revoke the parole or statutory release.

 

[34]           L’agent de libération conditionnelle dispose d’un pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 137(1) (« peut »), en matière de révocation d’une libération conditionnelle. Il doit examiner le cas (dans les 30 jours), et la Commission doit également le faire (dans les 90 jours). On a procédé à ces examens en l’espèce.

 

[35]           On prévoit aux articles 7 à 12 de la Directive du commissaire 715-3, en vigueur au moment pertinent, la procédure que doit suivre un agent de libération conditionnelle pour modifier les conditions d’une libération conditionnelle (par exemple en la révoquant); il faut notamment tenir une conférence de cas avec un supérieur et informer le délinquant. Il n’est toutefois pas nécessaire d’informer le délinquant avant la révocation de la libération conditionnelle :

 

7. Les renseignements à recueillir auprès des tiers importants le seront normalement dans le cadre d’une entrevue en personne.

 

8. L’agent de libération conditionnelle, l’agent correctionnel II/intervenant de première ligne peut, en consultation avec le gestionnaire, Évaluation et interventions/gestionnaire correctionnel : a. mettre à jour ou confirmer le contenu d’une Évaluation communautaire antérieure normalement en communiquant par téléphone, ou b. demander ou effectuer une nouvelle Évaluation communautaire.

 

9. Dans le cadre du processus de collecte de renseignements, la décision de faire une vérification auprès du Centre d’information de la police canadienne (CIPC) devrait être prise au cas par cas. S’il le juge nécessaire, l’agent de libération conditionnelle obtiendra le consentement de la source de soutien communautaire en utilisant le formulaire de Consentement - Demande de vérification du dossier au CIPC (CSC/SCC 1279-01).

 

10. Le tiers sera informé du but de la vérification auprès du CIPC et du fait que sa participation est volontaire. Cependant, un refus pourrait nuire à la capacité de l’agent de libération conditionnelle de déterminer si le tiers constitue un soutien adéquat pour le délinquant.

 

11. Une fois rempli, le formulaire de Consentement - Demande de vérification du dossier au CIPC (CSC/SCC 1279-01) sera acheminé à l’agent du renseignement de sécurité et/ou à la police pour vérifier si le tiers est connu de la police et/ou s’il a un casier judiciaire.

 

12. L’existence d’un casier judiciaire en tant que telle n’élimine pas la personne comme source potentielle de soutien. Des facteurs additionnels doivent être pris en considération comme la nature, le nombre et le caractère récent des condamnations, ainsi que leur degré de pertinence par rapport à la réinsertion sociale du délinquant.

 

[36]           Il faut tenir compte du fait que, lorsqu’existe une certaine opposition dans la LSCMLC entre des obligations envers la société et le délinquant, l’obligation envers la société est prépondérante. La LSCMLC et la directive du commissaire prévoient certaines procédures à suivre lorsqu’une libération conditionnelle est révoquée. Ces procédures ont été respectées en l’espèce.

 

[37]           L’agent de libération conditionnelle devait prendre en compte l’information transmise par l’agente de renseignements de sécurité. Dans son rapport, cette agente a classifié comme étant de « fiabilité apparente » l’information communiquée par M. Boland sur la visite reçue par son épouse, en conformité avec l’article 20, reproduit ci‑après, de la Directive du commissaire 568‑2 :

 

20.  Les normes relatives à la fiabilité et les codes à utiliser dans le Rapport sur les renseignements de sécurité sont indiqués ci-après.

 

a.  Fiabilité inconnue  F/I ou F/I/C

 

 

L’agent de renseignements de sécurité est incapable, pour le moment, de déterminer la fiabilité du renseignement.

 

b.  Fiabilité douteuse  F/D ou F/D/C

 

Le renseignement semble douteux pour le moment, mais il pourrait tout de même être valable; il n’a pas été contredit hors de tout doute, n’est pas entièrement illogique en soi ou n’est pas en entièrement illogique en soi ou n’est pas en contradiction totale avec l’ensemble des renseignements recueillis sur le même sujet.

 

c.  Fiabilité apparente  F/A ou F/A/C

 

Le renseignement semble vraiment exact, mais il n’a pas été confirmé; il est assez en accord avec l’ensemble des renseignements recueillis, est logique en soi et va dans le sens des autres données recueillies sur le même sujet.

 

 

 

d.  Fiabilité totale  F/T OU F/T/C

 

Le renseignement est appuyé ou confirmé par au moins une source indépendante; il est logique en soi et est en accord avec d’autres renseignements recueillis et corroborés sur le même sujet.

20.  The reliability standards and the codes to be used on the Security Intelligence Reports are as follows:

 

 

a.  Unknown Reliability U/R or U/R/C

 

The Security Intelligence Officer is, at this time, unable to assess the reliability of the information received.

 

b.  Doubtful Reliability D/R or D/R/C

 

Refers to information which is believed unlikely at the time, although the element of possibility is not excluded; the information has not been definitely contradicted nor is it totally illogical within itself or in total disagreement with the general body of intelligence on the same subject.

 

 

c.  Believed Reliable B/R or B/R/C

 

Refers to information which gives every indication of being accurate, but which has not been confirmed; the information agrees somewhat with the general body of intelligence, is reasonable and consistent with other information on the same subject.

 

d.  Completely Reliable C/R or C/R/C

 

Refers to information which is substantiated or confirmed by one or more independent sources; the information is logical and consistent with other corroborated information on the same subject.

 

 

 

 

[38]           L’agent de libération conditionnelle a bien communiqué avec l’épouse de M. Bolan; il a jugé qu’elle était évasive dans son récit, et qu’elle avait tenté de rétracter la version des faits donnée plus tôt à son époux.  

 

[39]           On n’a pas interrogé M. Hermiz à ce moment‑là. Aucune directive d’orientation ne prévoyait l’obligation de l’interroger avant que sa libération conditionnelle ne soit révoquée. Lorsque M. Hermiz a été rencontré, trois jours après la révocation, ce dernier a admis que la drogue faisait partie de la culture en prison, et qu’il partageait cette culture, tout en niant toutefois avoir fait une visite à l’épouse de M. Bolan. Il a suggéré qu’on consulte le registre de la maison de transition pour vérifier l’exactitude de ses dires. L’agent n’a pas cru M. Hermiz, ni n’a jugé le registre digne de foi.

 

[40]           La conduite de l’agent de libération conditionnelle satisfaisait‑elle à la norme de diligence? Il appartient au demandeur d’établir que les actes de l’agent se situaient en deçà des attentes. Aucune preuve d’expert n’a été présentée sur ce point. Il n’y a non plus aucune jurisprudence, si ce n’est la décision de première instance dans l’affaire Turner, précitée, et la Cour avait alors conclu qu’il n’existait aucune obligation de diligence, et encore moins de preuve établissant le manque de diligence. 

 

[41]           En l’espèce, les agents de libération conditionnelle ont suivi la procédure prescrite. La Commission a procédé dans les 90 jours à l’examen de leur décision. La Commission a infirmé la décision des agents, mais elle n’a pas dit que le degré de diligence dont avaient fait preuve les officiers était inapproprié.

 

[42]           Je conclus que le demandeur n’a pas démontré que les actes de l’agent de libération conditionnelle ne respectaient pas la norme de diligence requise. Les actions fondées tant sur la détention arbitraire que sur la négligence doivent par conséquent être rejetées.   

 

[43]           Je tire une conclusion additionnelle quant au lien de causalité avec des dommages. Il incombe au demandeur de prouver que les actes de l’agent de libération conditionnelle ont causé les dommages dont il requiert l’indemnisation. Le demandeur travaillait au moment où sa libération conditionnelle a été révoquée, mais aucune preuve ne permet de savoir ce qu’a fait son employeur. L’employeur l’a‑t‑il congédié, suspendu, temporairement ou pas, ou pris une quelconque autre mesure? Aucune preuve ne montre ce qui est réellement survenu. Nous savons toutefois qu’un nouvel employeur a embauché M. Hermiz une fois sa libération conditionnelle rétablie. On peut tirer comme inférence que M. Hermiz aurait continué de travailler pour son premier employeur, mais il ne s’agit bien là que d’une inférence. Le demandeur aurait dû produire une preuve quant au lien de causalité. Or, il ne l’a pas fait. 

 

[44]           Quant à la détention arbitraire, M. Hermiz a été emprisonné pendant trois jours (au cours d’un week‑end) avant qu’il ne soit interrogé et que la décision de révoquer la libération conditionnelle de jour n’ait été confirmée. Le demandeur n’a présenté aucun fondement justifiant l’octroi de dommages-intérêts : sa demande à cet égard repose sur des conjectures.

 

[45]           Par conséquent, je vais accueillir l’appel, annuler la décision du protonotaire et rejeter l’action.

 

[46]           M. Hermiz a demandé qu’on lui adjuge des dépens de 10 000 $ s’il devait avoir gain de cause. La Couronne a demandé le même montant. J’estime ce montant excessif dans les circonstances, et j’attribuerai 1 000 $ à titre de dépens à la Couronne.


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS,

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  il est fait droit au présent appel;

 

2.                  la décision du 19 mars 2013 du protonotaire est annulée;

 

3.                  l’action est rejetée;

 

4.                  la défenderesse a droit aux dépens, fixés à 1 000 $.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 

 


 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-828-09

 

INTITULÉ :                                      IMAD HERMIZ c SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 27 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT:                                    LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 9 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS

 

John L. Hill

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Shain Widdifield

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

John L. Hill

Avocat

Cobourg (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.