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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 


Date : 20130715

Dossier : IMM-8311-12

Référence : 2013 CF 790

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

SUMAN RAJ SAPKOTA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 28 juin 2012, dans laquelle il a été établi qu’il était exclu du droit à l’asile au Canada parce qu’il avait participé au Népal, quand il appartenait au Service de police du Népal [le SPN], à des crimes contre l’humanité au sens de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut de réfugié [la Convention relative au statut de réfugié]. La SPR a tenu cinq (5) jours d’audience, et le dossier certifié du tribunal [le DCT] compte douze (12) volumes.

 

I.          Faits

[2]               Le demandeur a travaillé comme policier au sein du Service de police du Népal de 1991 jusqu’à son départ du Népal, en 2009. Après sa formation, il a été nommé sous‑inspecteur adjoint, puis a été promu au rang de sous‑inspecteur et enfin à celui d’inspecteur.

 

[3]               Au début de 1996, au moment où a commencé la révolution maoïste, il a été affecté à Chaurjari, dans le district de Rukum, une région troublée où les maoïstes ont lancé leur mouvement révolutionnaire. Il a passé six (6) mois dans cette région et était alors considéré comme [traduction] « l’officier responsable », ayant sous sa supervision une trentaine de policiers. Son groupe était responsable de six (6) comités de développement de village. À deux (2) reprises, les forces maoïstes ont lancé des attaques contre son groupe. Les maoïstes ont capturé et tué trois (3) policiers et ont revendiqué la responsabilité de ces meurtres.

 

[4]               Après sa première affectation dans le district de Rukum, le demandeur a été affecté dans de nombreuses autres régions où il y avait une forte présence maoïste. Il a passé dix (10) ans dans ces régions.

 

[5]               En 2006, il a commencé à recevoir des appels de menaces des maoïstes. Ceux‑ci ont menacé d’enlever son fils de sept ans. En avril 2007, le demandeur a placé son fils dans un pensionnat dans la région de Katmandou. En mai 2007, pendant qu’il circulait en vélomoteur, quatre (4) personnes se sont approchées de lui et lui ont dit de s’arrêter. Elles l’ont attaqué au couteau. Les agresseurs se sont enfuis tandis que des passants ont tenté de venir en aide au demandeur. Il a été transporté d’urgence à un hôpital régional, où il a passé près de deux (2) semaines.

 

[6]               Après avoir reçu son congé de l’hôpital, il s’est reposé à la maison, puis il a repris son travail de policier, mais il passait la majeure partie de son temps au poste à effectuer des tâches administratives. Il a commencé à se renseigner sur la possibilité de quitter le pays. Après avoir reçu un visa américain, il a entrepris des démarches pour son épouse et son fils. Le 18 février 2009, il a quitté Katmandou pour les États‑Unis. Il a passé quatorze (14) jours chez sa sœur aux États-Unis, puis il est allé dans un centre d’hébergement pour réfugiés à Buffalo. Il a pris rendez-vous à la frontière canadienne le 24 mars 2009, date à laquelle il a été autorisé à entrer au Canada. Il craint de retourner au Népal, car les maoïstes ou les membres d’autres groupes communistes affiliés aux maoïstes pourraient le torturer, l’enlever ou le tuer s’ils le retrouvaient.

 

II.        Décision visée par le contrôle

[7]               La SPR a d’abord examiné la demande d’asile du demandeur au regard de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

 

[8]               La SPR a ensuite examiné la question de l’exclusion en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut de réfugié et a retenu l’observation du ministre selon laquelle les crimes contre l’humanité en l’espèce sont des meurtres, des disparitions forcées, des actes de torture et d’autres actes inhumains causant de grandes souffrances ou de graves atteintes à l’intégrité physique.

 

[9]               Le commissaire a renvoyé à Ramirez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992) 89 DLR (4e) 173, 135 NR 390 (CAF) [Ramirez] relativement à l’affirmation voulant qu’un demandeur pourrait être considéré comme complice et susceptible d’exclusion s’il satisfait aux critères relatifs à la complicité.

 

[10]           Au sujet de la nature de l’organisation, le commissaire a estimé que le SPN assurait la sécurité interne et que les éléments de preuve documentaire établissaient que le SPN a commis de graves violations des droits de la personne comme des disparitions forcées, des actes de torture, des exécutions extrajudiciaires, des meurtres gratuits, des mauvais traitements en détention, des viols, etc. Le commissaire a reconnu que le SPN ne visait pas un objectif limité, répressif, mais qu’il avait commis des crimes contre l’humanité.

 

[11]           En examinant la méthode de recrutement du SPN, le commissaire a constaté que le demandeur s’était joint à l’organisation pour obtenir un emploi après ses études postsecondaires.

 

[12]           Le commissaire a ensuite évalué le poste/rang occupé par le demandeur dans l’organisation, dont la carrière a progressé de la façon suivante :

 

  • Le demandeur a au début recueilli des renseignements au sujet d’assemblées politiques.

 

  • Il a été promu et est devenu membre de la police militaire. Il a exercé ses fonctions dans des régions où les rebelles maoïstes étaient actifs pendant une période de dix (10) ans au cours de laquelle il a supervisé de vingt (20) à quarante (40) policiers, selon son lieu d’affectation.

 

  • À l’issue des dix (10) ans, en 2005, il a été affecté à la prison centrale de Katmandou, où sont incarcérés de 1 500 à 1 600 détenus. Son travail consistait à empêcher les évasions et à assurer le transport des détenus.

 

  • Il a été promu au poste d’inspecteur en 2007 et été transféré à la base principale de la police militaire à Naxal, où il relevait du surintendant et du surintendant adjoint de la police. La base comptait trois (3) inspecteurs, dont le demandeur, et quatre (4) divisions de 125 policiers relevant des inspecteurs. Le demandeur exerçait alors des fonctions de supervision, ce qui comprenait l’établissement des documents des transferts, des horaires de travail hebdomadaires et l’administration d’examens aux étudiants.

 

[13]           En ce qui concerne la connaissance, par le demandeur, des atrocités commises par l’organisation, le commissaire a souligné que le demandeur avait nié avoir eu connaissance de quelque acte que ce soit commis par le SPN. Plus particulièrement, le ministre a renvoyé à des éléments de preuve documentaire selon lesquels, après le 10 mars 2008, les Tibétains établis à Katmandou manifestaient contre la répression exercée par le gouvernement chinois au Tibet. Les autorités népalaises étaient hostiles aux manifestations et ont employé une force excessive, procédant à des arrestations arbitraires, à des agressions sexuelles sur des femmes au cours des arrestations, à des détentions arbitraires et préventives, à des passages à tabac, à des menaces illicites de déportation et à des restrictions indues à la liberté du mouvement. Le demandeur se rappelait des manifestations, mais a affirmé qu’il n’y était pas. Ses collègues y étaient, et il y serait allé si nécessaire. Pendant les manifestations, il avait ordonné aux policiers de ne pas toucher aux manifestants et ordonné que les policières s’occupent des manifestantes. Si un policier continuait d’avoir des comportements répréhensibles, le demandeur a affirmé que des mesures pouvaient être prises, y compris l’abolition des augmentations d’échelon des fautifs.

 

[14]           Le commissaire a examiné en détail les éléments de preuve documentaire sur la sécurité des Tibétains à Katmandou. La SPR a indiqué que les éléments de preuve en question établissaient que la police se comportait comme si elle était au‑dessus des lois et que la torture et les mauvais traitements en détention étaient généralisés. Les documents révèlent également que la police faisait couramment usage de torture pendant la détention. Le demandeur a répondu qu’il avait entendu des rumeurs de torture pendant des enquêtes relatives à des incidents de violence policière, mais qu’il n’en avait pas fait cas parce qu’il était accaparé par ses fonctions. Il a expliqué que les autres inspecteurs ne parlaient pas non plus de la question parce qu’ils n’étaient pas affectés au secteur des détenus. Il a précisé qu’il était formateur et qu’après le départ des stagiaires, ceux‑ci ne relevaient plus de lui. La documentation révèle aussi que les conditions de détention ne répondaient pas aux normes internationales.

 

[15]           Le commissaire a ensuite examiné les deux (2) fois où le demandeur est entré en contact avec des rebelles maoïstes pendant ses dix (10) ans d’affectation, précisant que la première fois, deux (2) policiers avaient été tués, et que la seconde, un (1) policier avait perdu la vie. Le demandeur a souligné qu’il n’était pas au courant des exactions commises par les forces de sécurité pendant ces dix (10) ans. Les éléments de preuve documentaire font état de cas de mauvais traitements pendant la détention par la police en 1996 et en 1997, qui n’ont pas fait l’objet d’enquêtes. Un incident en particulier, survenu en 1998, dans le cadre duquel la police avait tué et brulé neuf (9) villageois a été rapporté, et le demandeur a affirmé qu’il était arrivé dans un autre village de ce même district en 1999.

 

[16]           Étant donné le poste occupé par le demandeur, l’endroit où était située la base de la police militaire et les liens du demandeur avec les dirigeants de la base, le commissaire a conclu que le demandeur devait être au courant des crimes commis.

 

[17]           En ce qui concerne la période pendant laquelle le demandeur a fait partie de l’organisation, le commissaire a jugé que celui-ci avait exercé ses fonctions jusqu’au moment où il a décidé de quitter le Népal, soit pendant dix‑huit (18) ans environ.

 

[18]           Enfin, en ce qui concerne la possibilité de quitter l’organisation, le commissaire a indiqué que le demandeur avait quitté le Népal, non pas pour protester contre les agissements de la police, mais bien en raison des menaces qu’il allègue avoir reçues contre lui et contre sa famille.

 

[19]           Le commissaire a ensuite fait remarquer que le demandeur se montrait évasif et que l’avocat du demandeur a fait des commentaires à ce sujet.

 

[20]           Le commissaire a conclu qu’il existait des motifs sérieux de penser que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité commis par le SPN en vertu de son appartenance à celui-ci et était donc exclu au sens de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés.

 

III.       Observations du demandeur

[21]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il était exclu de la protection en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut de réfugié pour avoir été complice de crimes contre l’humanité.

 

[22]           En premier lieu, le demandeur soutient qu’il incombe au ministre de prouver sa participation à des crimes contre l’humanité. Il soutient qu’aucune preuve n’a été fournie au commissaire à l’exception de documents sur les conditions dans le pays qui généralisaient les agissements du SPN.

 

[23]           Le demandeur soutient qu’il s’était joint au SPN non pas par conviction politique, mais bien pour gagner sa vie. Il soutient aussi que depuis la fin de la monarchie au Népal et le processus de paix qui a suivi, en 2006, les forces de sécurité et la police n’ont pas été accusées de crimes contre l’humanité. Il prétend qu’il ne répond pas au critère, établi dans Ramirez, de la « participation consciente et personnelle » et que l’appartenance à une organisation qui commet à l’occasion des infractions internationales ne suffit pas normalement pour justifier l’exclusion de la protection des réfugiés. Le demandeur affirme qu’il ne devrait pas être exclu en fonction d’un seul incident de mauvais traitements infligés par des policiers.

 

[24]           En deuxième lieu, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur de droit en interprétant de manière erronée la notion de complicité dans le contexte de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés.

 

[25]           Il soutient que son rang d’inspecteur au sein du SPN représente un facteur important et que dans le cadre de ce poste, il ne prenait pas de décisions stratégiques. Il prétend qu’il était un agent subalterne et qu’en 2010, le SPN comptait quelque 11 234 inspecteurs. À ce titre, le demandeur soutient que l’élément moral requis dans le cadre du critère de la « participation consciente et personnelle » n’a pas été établi.

 

[26]           En troisième lieu, le demandeur soutient que la SPR a rendu une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a établi qu’il avait été complice de crimes commis par son gouvernement. Il soutient que la SPR a omis de souligner qu’il n’était qu’un salarié du SPN qui n’a commis aucun crime contre l’humanité et qui n’était pas au courant des actes commis. Pour qu’un demandeur soit exclu de la protection prévue pour les réfugiés, il doit exister des éléments de preuve établissant son appartenance à une organisation qui se consacre particulièrement à des crimes contre l’humanité ou établissant une participation consciente et personnelle aux crimes en question. Il n’en existe pas en l’espèce.

 

IV.       Observations du défendeur

[27]           En premier lieu, le défendeur soutient que le commissaire a appliqué la norme de preuve pertinente des « motifs sérieux de penser », laquelle nécessite davantage qu’un simple soupçon, mais est moins exigeante que la norme de preuve en matière civile de la prépondérance des probabilités. Il affirme que la norme de preuve a été appliquée de manière raisonnable pour établir la complicité du demandeur, selon les éléments de preuve documentaire relatifs aux exactions commises par le SPN et le degré de participation du demandeur au sein de l’organisation. À la lumière de la norme de preuve des « motifs sérieux de penser », ni le ministre ni la SPR n’étaient tenus de [traduction] « prouver de façon déterminante que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité commis par le Service de police du Népal ».

 

[28]           Le défendeur soutient que le commissaire a conclu de manière raisonnable que les violations des droits de la personne commises par le SPN n’étaient pas isolées. Il affirme que la définition des crimes contre l’humanité, énoncée au paragraphe 4(3) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24, comprend le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, l’emprisonnement, la torture, la violence sexuelle et la persécution. Le défendeur souligne que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1999, 2187 RTNU 90, entré en vigueur le 1er juillet 2002, définit aussi la disparition de personnes comme étant un crime contre l’humanité et que le Statut est sanctionné au Canada à titre de source de droit coutumier.

 

[29]           Le défendeur soutient que la Cour suprême du Canada a établi dans Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 119, 197 CCC (3e) 233 [Mugesera], qu’un acte criminel équivaut à un crime contre l’humanité lorsque quatre (4) conditions sont remplies.

 

[30]           La première condition, selon laquelle un acte prohibé énuméré a été commis, est établie dans les documents justificatifs indiquant que le SPN s’était livré à des exécutions extrajudiciaires, des meurtres gratuits, des mauvais traitements en détention et des viols.

 

[31]           La deuxième condition, selon laquelle l’acte a été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, est aussi établie par les éléments de preuve documentaire, qui indiquent que les attaques étaient [traduction] « généralisées » et que, certaines années, le SPN avait été responsable du [traduction] « plus grand nombre de disparitions au monde ».

 

[32]           La troisième condition prévoit que l’acte doit être dirigé contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes. Selon les éléments de preuve, le SPN ciblait les insurgés maoïstes, les manifestants, les villageois et les adolescents, ce qui établit que les crimes ont été commis contre une population civile.

 

[33]           Le défendeur soutient que le commissaire a examiné toute la preuve et conclu que, ce qui représente la quatrième condition, le demandeur savait que ses actes étaient au cœur de l’attaque. Enfin, comme des éléments de preuve étayent chacune des conditions, le commissaire avait des motifs raisonnables pour établir que le SPN avait commis des crimes contre l’humanité pendant la période au cours de laquelle le demandeur faisait partie de l’organisation.

 

[34]           De plus, le défendeur soutient que la SPR a appliqué de façon raisonnable le critère applicable à la complicité. La prémisse pour la complicité à l’égard de crimes internationaux est la « participation personnelle et consciente » ou une « intention commune »; il n’est donc pas nécessaire d’y prendre une part active.

 

[35]           En fonction des facteurs énoncés dans Ramirez, précité, le défendeur soutient que, en ce qui concerne la nature de l’organisation, le SPN n’était pas une organisation poursuivant des « fins brutales », mais elle s’est livrée à des crimes contre l’humanité, et qu’il était raisonnablement loisible au commissaire de tirer cette conclusion à la lumière des éléments de preuve. Au sujet de la méthode de recrutement de l’organisation, le défendeur souligne que le demandeur s’était joint au SPN de son propre gré et qu’il n’y avait pas été contraint par quelque motif, économique ou autre. Il affirme que le fait que le demandeur a suivi une formation en vue de l’exercice de fonctions de commandement et a été promu deux fois étaye la conclusion voulant que le poste/rang occupé était plus important que le rôle d’agent subalterne qu’il a prétendu assumer. Le demandeur a été affecté dans diverses régions où les rebelles maoïstes étaient actifs et avait sous sa responsabilité de vingt (20) à quarante (40) policiers en tout temps. De plus, selon la jurisprudence dont disposait la SPR, de simples agents œuvrant au sein de forces de sécurité ou services policiers ont été reconnus complices de crimes contre l’humanité.

 

[36]           Le défendeur soutient que le demandeur était au courant des atrocités puisque la SPR a énoncé dans sa décision les éléments de preuve selon lesquels les exactions commises par le SPN étaient généralisées et que les incidents en cause se sont produits dans les régions où le demandeur avait été affecté. En tant que juge des faits, il était loisible à la SPR de conclure que le demandeur devait savoir que des crimes étaient commis. Le défendeur cite la conclusion du commissaire concernant le nombre d’années passées par le demandeur au sein de l’organisation et le fait que celui‑ci n’avait cherché à quitter celle-ci que lorsqu’il aurait reçu des menaces contre des membres de sa famille et lui-même.

 

[37]           Le défendeur cite Mugesera, précité, à l’appui de l’affirmation selon laquelle lorsqu’une personne sait que son organisation commet des crimes contre l’humanité et ne fait rien pour empêcher lesdits crimes (si elle en a le pouvoir), ou qu’elle ne quitte pas l’organisation à la première occasion, mais qu’elle lui apporte un soutien actif, elle et l’organisation auront une intention commune, et elle sera considérée comme complice. Le défendeur soutient qu’après avoir évalué les facteurs énoncés dans Ramirez, précitée, le commissaire a conclu de manière raisonnable que le demandeur était complice des crimes contre l’humanité commis par le SPN.

 

V.        Réponse du demandeur

[38]           Le demandeur soutient que le défendeur n’a pas pu démontrer que le SPN avait commis des crimes contre l’humanité. En fait, il souligne que le SPN ainsi que la Force armée paramilitaire [la FAP], qui a été créée en 2001, assumaient la responsabilité de la sécurité intérieure et que leurs efforts ont permis de réduire le nombre de cas de mauvais traitements par le SPN dès 2002. La plus grande partie des éléments de preuve documentaire renvoie aux forces de sécurité, ce qui ne vise pas nécessairement le SPN étant donné que les Forces armées et la FAP ont obtenu davantage de pouvoirs pour assurer la sécurité après 2001.

 

[39]           De plus, les incidents spécifiques de violations des droits de la personne commises par le SPN sont cités dans un rapport datant de 1994 et des incidents datant d’aussi loin n’auraient pas dû peser autant dans la décision.

 

VI.       Questions en litige

1.      Le commissaire a‑t‑il une commis une erreur en concluant que le demandeur est exclu de la protection en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés pour avoir été complice de crimes contre humanité?

 

 

VII.     Norme de contrôle

[40]           La norme de contrôle qui s’applique à la question de savoir si les faits entraînent l’exclusion est une question mixte de fait et de droit appelant une grande retenue à l’égard de la décision de la SPR. La norme de la décision correcte s’applique pour déterminer si le bon critère juridique relatif à l’exclusion a été appliqué en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut de réfugié étant donné qu’il s’agit d’une question de droit d’application générale au processus de détermination du statut de réfugié (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ekanza, 2011 CAF 224, au paragraphe 39, 335 DLR (4e) 164; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118, au paragraphe 11, 402 NR 154). Cependant, en l’espèce, la norme de la raisonnabilité s’applique étant donné que le demandeur conteste la décision de la SPR voulant qu’il devrait être exclu au titre de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut de réfugié et qu’il n’est pas question de savoir si la SPR a appliqué le bon critère juridique.

 

VIII.    Analyse

[41]           La décision de la SPR, selon laquelle il existe des motifs sérieux de penser que le demandeur devrait être exclu en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, est raisonnable.

 

[42]           Premièrement, il est important de rappeler que dans Ramirez, précité, et Moreno c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 298, au paragraphe 15, 159 NR 210 (CAF), la Cour d’appel fédérale a établi que le ministre doit respecter la norme de preuve comprise dans l’expression « des raisons sérieuses de penser » à l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Cette norme est beaucoup moins rigoureuse que celle exigée par le droit criminel, soit la norme de preuve de « hors de tout doute raisonnable », ou le droit civil, soit la norme de preuve de « selon la prépondérance des probabilités ».

 

[43]           En ce qui concerne l’argument du demandeur voulant que la SPR a commis une erreur en concluant que les éléments de preuve relatifs aux violations des droits de la personne concernent les forces de sécurité du Népal, en général, et ne visent pas précisément le SPN, la Cour ne peut pas l’accepter. Le DCT renferme des éléments de preuve documentaire de fond selon lesquels le SPN s’est livrée à des actes de torture, des exécutions extrajudiciaires, des meurtres gratuits, des mauvais traitements en détention, des viols, etc. pendant la révolution maoïste, qui a commencé en 1996. De plus, il ressort de la décision de la SPR que celle‑ci a pris en compte, comme il se devait, les quatre (4) conditions énoncées dans Mugesera, précitée, au paragraphe 119, pour établir si les actes commis par le SPN atteignent le niveau de crimes contre l’humanité. Les conditions sont les suivantes : un acte prohibé énuméré a été commis, l’acte a été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, l’attaque était dirigée contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes, et l’auteur de l’acte prohibé était au courant de l’attaque et savait que son acte s’inscrivait dans le cadre de cette attaque et ou a couru le risque que l’acte s’y inscrive.

 

[44]           De plus, un certain nombre de rapports figurant dans le DCT établissent que les violations des droits de la personne par le SPN étaient [traduction] « généralisées » et visaient directement les rebelles maoïstes. Enfin, les éléments de preuve montrent que le demandeur devait savoir que le SPN commettait des crimes. Par conséquent, la décision de la SPR selon laquelle le SPN se livrait à des crimes contre l’humanité est raisonnable.

 

[45]           En ce qui concerne la décision de la SPR quant à la complicité, la jurisprudence indique que la participation active n’est pas nécessaire, mais qu’une personne est considérée comme étant complice si elle contribue à l’organisation tout en sachant que celle‑ci commet des crimes contre l’humanité (Ramirez, précité). La complicité repose sur l’existence d’une intention commune et la connaissance commune que toutes les parties ont de celle‑ci, soit la « participation personnelle et consciente » (Sivakumar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 433, 163 NR 197 (CAF)). Si un responsable reste en poste, défend les intérêts du gouvernement pour lequel il travaille et est au courant des atrocités commises par celui-ci, il n’en faut pas plus pour établir la complicité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Ezokola), 2011 CAF 224, au paragraphe 72, 335 DLR (4e) 164).

 

[46]           La Cour d’appel fédérale a énoncé six (6) facteurs relatifs à la participation dans Bahamin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 171 NR 79, [1994] ACF no 961 : la nature de l’organisation, la méthode de recrutement, le poste occupé au sein de l’organisation, la connaissance des atrocités, la période passée au service de l’organisation et l’opportunité d’en quitter les rangs. La SPR a pris en considération chacun de ces facteurs.

 

[47]           Au sujet du poste occupé par le demandeur dans l’organisation, la Cour d’appel fédérale a établi le principe suivant dans Sivakumar, précité, au paragraphe 202 : « Tout en gardant à l'esprit que chaque cas d'espèce doit être jugé à la lumière des faits qui le caractérisent, on peut dire que plus l'intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l'organisation, plus il est vraisemblable qu'il était au courant du crime commis et partageait le but poursuivi par l'organisation dans la perpétration de ce crime. »

 

[48]           Le poste occupé par le demandeur au sein du SPN représente probablement l’élément le plus révélateur de sa complicité par rapport aux atrocités commises. Le demandeur était affecté à la prison centrale de Sundhara, à Katmandou, qui comptait des maoïstes parmi les détenus. Il occupait un poste de haut niveau, juste au-dessous de l’inspecteur, qui relevait du surintendant adjoint de police, le plus haut gradé à la prison. Il était aussi en contact direct avec les détenus étant donné qu’il s’occupait de leur transfert et veillait à ce qu’aucun ne s’évade. Par conséquent, il est raisonnable de conclure que, pendant qu’il exerçait ses fonctions, soit assurer le transport des détenus et empêcher les évasions, le demandeur était complice des violations des droits de la personne, particulièrement à la lumière du poste élevé qu’il occupait à la prison. En fait, il a déjà été établi de manière fiable que le SPN s’est livré à des actes de torture sur des détenus.

 

[49]           Qui plus est, avant de travailler à la prison de Katmandou, le demandeur a combattu les rebelles maoïstes pendant une dizaine d’années en occupant divers postes au SPN comportant tous des responsabilités de commandement et de supervision. En fait, il avait en tout temps de trente à quarante policiers sous sa supervision.

 

[50]           En ce qui concerne la complicité, les conclusions de la SPR sont raisonnables. Il est un principe bien établi selon lequel le demandeur d’asile ne doit pas nécessairement avoir participé directement à la perpétration des violations des droits de la personne et des crimes contre l’humanité commis par l’organisation à laquelle il appartient pour être considéré comme complice de tels actes (voir Ramirez, précité). Par conséquent, il n’était pas nécessaire que la SPR dispose d’éléments de preuve démontrant expressément la participation personnelle du demandeur aux crimes pour établir qu’il avait commis des crimes contre l’humanité (Mata Mazima c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 698, au paragraphe 26, 223 ACWS (3e) 1010).

 

[51]           Au sujet de la connaissance des violations par le demandeur, la SPR n’a pas trouvé crédible l’ignorance alléguée des violations commises par le SPN. Le demandeur a fourni un certain nombre de réponses évasives, particulièrement concernant les manifestations de Tibétains devant le consulat de la Chine à Katmandou, en 2008. Il a soutenu qu’il n’était présent à aucune des manifestations, mais que son collègue y était. Il a expliqué qu’il ne pouvait que donner une formation aux policiers se comportant de façon répréhensible et que les mesures qu’il pouvait prendre à l’encontre de ceux-ci étaient limitées. La SPR a, de façon raisonnable, contesté la validité de cette explication.

 

[52]           Lorsque le demandeur a été confronté à des éléments de preuve relatifs à des actes de torture pendant la détention d’un certain nombre de Tibétains après la manifestation, il  a expliqué que quand il était à la base de la police militaire, à Nexal, il avait [traduction] « entendu des rumeurs », mais qu’il n’avait pas cherché à en savoir davantage parce qu’il était [traduction] « accaparé par son travail ». Ces déclarations constituent un autre exemple révélateur. Un tel comportement montre, de la part du demandeur, un aveuglement volontaire et un refus de contester les agissements du SPN. Il était donc raisonnable que la SPR rejette son explication.

 

[53]           Par conséquent, la SPR a raisonnablement tiré une inférence négative sur la crédibilité du demandeur en raison de son déni patent des actes commis par le SPN.

 

[54]           Bien que l’appartenance à une organisation, en soi, ne suffise pas pour établir la complicité, elle représente néanmoins un facteur pertinent pour établir la participation personnelle et consciente. Le demandeur a appartenu pendant dix-huit (18) ans à une organisation qui s’est livrée à des crimes contre l’humanité. Pendant plus de dix (10) ans, l’organisation était reconnue comme commettant des crimes contre l’humanité à l’endroit des maoïstes. Le demandeur n’a pas renvoyé à des éléments de preuve démontrant qu’il désapprouvait les actes commis par le SPN. Au contraire, même s’il nie avoir eu même connaissance des actes commis par le SPN, il a décidé de rester au sein de l’organisation, même si elle continuait de commettre de graves violations des droits de la personne.

 

[55]           Enfin, dans sa décision, la SPR a, comme il se devait, appliqué le droit en fonction des faits en l’espèce. La décision est bien écrite et aborde les faits de manière méticuleuse. Il n’y a aucune raison d’intervenir. Il s’agit d’une décision raisonnable.

 

[56]           Les parties ont été invitées à proposer des questions à certifier, mais aucune n’a été proposée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.        La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

« Simon Noël »

____________________________

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8311-12

 

INTITULÉ :                                      SUMAN RAJ SAPKOTA c LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 juillet 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 15 juillet 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Atul Subedi

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Amina Riaz

 

Ndija Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Atul Subedi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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