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Date : 20120829

Dossier : T‑1359‑07

Référence : 2012 CF 1030

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 29 août  2012

En présence de Me Kevin R. Aalto, juge chargé de la gestion de l’instance

 

ENTRE :

 

CHEMIN DE FER CANADIEN

PACIFIQUE LIMITÉE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Le chemin de fer Canadien du Pacifique et toutes les gares et stations, ateliers, bâtiments, cours et autres propriétés, matériel roulant et dépendances nécessaires et servant à sa construction et à son exploitation, et le capital‑actions de la compagnie, seront à perpétuité exempts des taxes imposées par le Canada ou par aucune province devant être établie ci‑après ou par aucune corporation municipale de telle province […][1]

 

Introduction

[1]               La présente requête a été introduite par la défenderesse (Sa Majesté) en vue de faire radier la présente action. La requête soulève la question épineuse de savoir si les prétentions formulées par le demandeur, le CP, relèvent de la compétence de la Cour fédérale ou de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt. Les incidences pour le CP du contrat de 1880 et de l’exemption précitée constituent un aspect essentiel de l’action et de la requête. La déclaration remodifiée (la déclaration) du 25 janvier 2012 vise l’obtention du remboursement de deux types de taxes qui, selon le CP, auraient été perçues illégalement par Sa Majesté. Le CP sollicite également un jugement déclarant que Sa Majesté n’a pas le droit de percevoir certaines taxes du CP ainsi qu’il est expliqué plus en détail plus loin.

 

[2]               Dans la présente requête, Sa Majesté soutient essentiellement que la réparation sollicitée dans l’action ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale et qu’elle relève exclusivement de la compétence de la Cour de l’impôt. Par conséquent, l’action devrait être rejetée en entier. Or, au cours des débats relatifs à la présente requête, Sa Majesté a admis que [traduction] « telle qu’elle a été plaidée », la demande ne relevait pas de la compétence de la Cour fédérale, mais qu’il était possible qu’un acte de procédure remodifié puisse faire relever la demande de la compétence de la Cour fédérale.

 

Faits à l’origine du litige

[3]               Le résumé suivant des faits à l’origine de la présente action est essentiellement tiré de la déclaration. La Cour doit les tenir pour avérés, puisqu’elle est saisie d’une requête en radiation (Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, au paragraphe 27].

 

[4]               Les textes législatifs et les contrats à l’origine des questions en litige dans la présente instance remontent à environ 130 ans, juste après la Confédération. Ils concernent l’engagement du gouvernement du Canada de construire un chemin de fer devant relier la province de la Colombie‑Britannique, qui venait de se joindre à la Confédération le 16 mai 1870, au réseau ferroviaire du Canada tel qu’il existait à l’époque (l’engagement). L’engagement du Canada prévoyait que le chemin de fer devait être complété dans les dix ans suivant l’adhésion de la Colombie‑Britannique à la fédération canadienne.

 

[5]               Le Parlement a adopté une loi habilitante pour permettre au Canada de remplir son engagement. L’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique, 37 Victoria ch. 14 (la Loi sur le CP) précisait que le chemin de fer à construire devait être composé de quatre sections et de deux embranchements selon une trajectoire et un tracé devant être approuvés par le gouverneur en conseil. Ce chemin de fer était le chemin de fer du Canadien Pacifique et il est parfois appelé la « ligne principale exemptée ».

 

[6]               Entre 1874 et 1881, le Parlement du Canada a déclaré sa préférence pour la construction et l’exploitation du chemin de fer du Canadien Pacifique au moyen d’une société constituée en personne morale, qui recevrait une aide par l’octroi de terres et de subventions, plutôt que par le gouvernement du Canada. Toutefois, en 1880, malgré les lois adoptées par le Parlement, la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique n’était pas achevée dans le délai prévu dans l’engagement.

 

[7]               Ainsi, le 21 octobre 1880, le contrat de 1880 a été conclu et dûment signé par le ministre des Chemins de fer et des canaux, Sir Charles Tupper, au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, et par George Steven et d’autres personnes (les fondateurs) au nom de la société à constituer en personne morale. L’objet essentiel du contrat de 1880 était de concrétiser la construction de l’infrastructure permanente du tronçon manquant du chemin de fer du Canadien Pacifique. Était annexé au contrat de 1880 un projet de charte dont les fondateurs devaient se servir pour constituer une personne morale devant porter le nom de Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique.

 

[8]               La Loi sur le CP a été adoptée par le Parlement du Canada. Elle a reçu la sanction royale le 15 février 1881 et était le mécanisme qui a permis finalement la construction du chemin de fer. Le contrat de 1880 était annexé à la Loi sur le CP, qui comprenait également une ébauche de charte de la société qui devait être créée, en l’occurrence la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique.

 

[9]               Aux termes des dispositions de la Loi sur le CP, le Parlement du Canada a approuvé et ratifié le contrat en 1880 et autorisé le gouvernement du Canada à en remplir et en exécuter les conditions.

 

[10]           L’article 2 de la Loi sur le CP autorisait le gouverneur général à concéder à la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique une charte conformément aux modalités du contrat de 1880. Il précisait qu’une fois publiée dans la Gazette du Canada, cette charte « aura la même force et le même effet que si elle était un acte du parlement du Canada, et sera réputée un acte d’incorporation » au sens du contrat de 1880. La charte créant la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique a été publiée intégralement dans la Gazette du Canada le 19 février 1881 après avoir été promulguée par le gouverneur général le 16 février 1881[2].

 

[11]           Comme nous l’avons déjà signalé, la clause 16 du contrat de 1880 renferme la disposition qui est au cœur du présent litige : « Le chemin de fer Canadien du Pacifique […] [sera] à perpétuité exemp[t] des taxes imposées par le Canada ou par aucune province devant être établie ci‑après, ou par aucune corporation municipale de telle province [...] » (non souligné dans l’original) [l’exemption].

 

[12]           L’exemption en question n’a vraisemblablement jamais été révoquée, modifiée, abrogée, ou remplacée et le CP affirme qu’elle est toujours en vigueur et qu’elle lui confère un droit contractuel, constitutionnel et législatif. Le CP sollicite dans la présente action une exemption de taxes en soutenant qu’il s’agit d’un droit tant légal que contractuel, et ce, peu importe que les taxes en question soient directes ou indirectes.

 

[13]           Voilà le contexte législatif et contractuel du présent litige.

 

[14]           Les questions fiscales en litige se rapportent, en premier lieu, aux taxes sur le carburant exigées en vertu de la partie 3 de la Loi sur la taxe d’accise (la LTA) et, en second lieu, à l’impôt des grandes sociétés (IGS) perçu en application de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu (la LIR). Les années visées en ce qui concerne l’IGS sont les années 2000 et 2005.

 

Taxe sur le carburant

[15]           La taxe prévue par la LTA est une taxe sur le carburant indirecte. Le CP paie des factures sur le carburant acheté à divers fabricants et fournisseurs dans le cadre de ses opérations. Le fabricant ou le fournisseur de carburant paie, en tant que composante du prix d’achat au litre facturé au CP, une taxe sur le carburant perçue en vertu de la partie 3 de la LTA. Il convient de se rappeler que l’exemption ne s’applique qu’à l’égard du Chemin de fer Canadien du Pacifique (ou ligne principale exemptée) au sens de la Loi sur le CP et du contrat de 1880.

 

[16]           Le CP utilise du carburant pour d’autres aspects de son entreprise. Ainsi qu’il l’explique dans la déclaration, parce qu’il est difficile de déterminer quelle partie de ses achats de carburant ne sont pas taxables, le CP a été autorisé par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), par lettre datée du 27 juillet 1990, à déposer directement une demande de remboursement de la taxe sur le carburant payée en trop lorsqu’il constate subséquemment que du carburant a été utilisé dans des conditions non imposables malgré le fait que la personne qui a payé la taxe au départ était le fabricant ou le fournisseur du carburant (l’autorisation de l’ARC).

 

[17]           Le CP plaide que l’autorisation de l’ARC est toujours valide. Toutefois, à partir du 31 mai 2005, le CP a déposé la première d’une série de demandes visant à se faire rembourser la taxe sur le carburant qu’il avait payée pour le carburant qu’il avait utilisé pour sa ligne principale exemptée. Les demandes de remboursement couvrent la période comprise entre juin 2003 et mars 2007. Ces demandes de remboursement ont été refusées par l’ARC au motif que le CP n’était pas un contribuable au sens de la partie 3 de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[18]           Le CP a déposé des avis d’opposition dans lesquels il a fait valoir que la taxe sur le carburant était une taxe indirecte qui lui était réclamée pour des activités qu’il exerçait sur sa ligne principale exemptée et que l’exemption avait pour effet de le dispenser du paiement de toute taxe directe ou indirecte. Les prétentions et les objections ont été déposées sous réserve de la possibilité pour le CP d’exercer de façon générale les droits que lui confère l’exemption. L’ARC a rejeté les oppositions formulées par le CP au motif que rien dans la LTA ne permettait de rembourser au CP la taxe sur le carburant. Le CP sollicite par conséquent dans la présente action une ordonnance enjoignant à Sa Majesté de lui rembourser les montants de taxes qui ont été perçus illégalement en rapport avec les achats de carburant. Il cherche également à obtenir un jugement déclarant que l’ARC n’a pas le droit de percevoir des taxes sur le carburant acheté, consommé ou utilisé en rapport avec la ligne principale exemptée du CP.

 

L’IGC

[19]           La seconde taxe, l’IGS, est payée relativement au « capital‑actions » du CP. Cette taxe est un impôt exigé en vertu de la partie 1.3 de la LIR. Le CP a reçu des remboursements d’IGS qu’il avait payé relativement à ses années d’imposition 2001, 2002, 2003 et 2004. Il y a toutefois eu un paiement en trop relativement à ses années d’imposition 2000 et 2005. Le CP cherche à récupérer l’IGS qu’il a payé tant en ce qui concerne son année d’imposition 2000 que son année d’imposition 2005. En ce qui concerne l’IGS, le CP sollicite également un jugement déclarant que Sa Majesté n’a pas le droit de percevoir la taxe imposée en vertu de la partie 1 de la LIR sur les revenus gagnés par le CP en rapport avec l’exploitation de son réseau ferroviaire au sens de la Loi sur le CP. Dans sa déclaration, le CP plaide que l’exemption est l’un des « droits » stipulés au contrat de 1880 qui lui ont été cédés et conférés par voie législative conformément à l’article 2 de la Loi sur le CP et aux termes des articles 3 et 4 de la charte du CP.

 

[20]           Le CP allègue également dans la déclaration :

            [traduction]

            Valeur constitutionnelle de l’exemption

[49]      De plus, en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1871 (maintenant la Loi constitutionnelle de 1871) et aux termes du paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’annexe, l’exemption a été intégrée à la Constitution du Canada, dont elle fait toujours partie, et elle lie le Canada et les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta en vertu de l’Acte pour pourvoir à l’extension des limites de la Province de Manitoba, 1881 (44 Vict., ch. 16 (Canada)), l’Acte de la Saskatchewan, 1905 et de l’Acte de l’Alberta, 1905 (4‑5 Edouard VII, ch. 3 (Canada)), et rend inopérante toute mesure incompatible avec elle.

 

[21]           Bien que le terme « ultra vires » ne figure pas dans ce passage, au cours des débats, on a fait observer que le CP alléguait essentiellement que toute loi fiscale visant le CP ou toute taxe exigée du CP était ultra vires, compte tenu du contexte législatif et constitutionnel de l’exemption. De plus, le CP allègue que l’imposition des deux taxes en cause constitue une rupture fautive du contrat de 1880, une violation des dispositions législatives expresses de la Loi sur le CP et de la Charte du CP et des dispositions de la Constitution du Canada.

 

Thèse de Sa Majesté

[22]           En résumé, Sa Majesté affirme que la présente demande devrait être radiée [traduction] « étant donné qu’elle constitue une tentative irrégulière de contourner la procédure d’appel des cotisations d’impôt prévues par le législateur fédéral ».

 

[23]           Sa Majesté affirme que la demande présentée à notre Cour est un abus de procédure parce que le législateur fédéral a prévu par voie législative un système de cotisations et d’appel en matière fiscale et que la présente action constitue une tentative de contourner ce mécanisme. Indépendamment de ce principe général, Sa Majesté affirme également que la Cour fédérale ne peut accorder la réparation sollicitée, en l’occurrence le remboursement de quelque taxe que ce soit au CP, pas plus qu’elle ne peut prononcer les jugements déclaratoires demandés par le CP.

 

[24]           Sa Majesté se fonde sur trois dispositions législatives distinctes. Elle invoque en premier lieu l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, qui, selon elle, empêche toute forme d’intervention de la Cour fédérale en l’espèce. L’article 18.5 dispose :

Dérogation aux art. 18 et 18.1

 

18.5     Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28.

 

[25]           Deuxièmement, l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (la LCCI) définit comme suite la compétence de la Cour de l’impôt :

Compétence

 

12.(1)  La Cour a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur lexportation et limportation de biens culturels, de la partie V.1 de la Loi sur les douanes, de la Loi sur lassuranceemploi, de la Loi de 2001 sur laccise, de la partie IX de la Loi sur la taxe daccise, de la Loi de limpôt sur le revenu, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi de limpôt sur les revenus pétroliers et de la Loi de 2006 sur les droits dexportation de produits de bois dœuvre, dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle.

 

 

[26]           En troisième lieu, Sa Majesté se fonde aussi sur les articles 68, 68.01 et 71, et en particulier sur l’article 72 de la LTA. Le paragraphe 72(9) dispose :

Détermination valide et exécutoire

 

(9)  Une détermination en vertu du paragraphe (4), y compris une détermination modifiée en application de l’article 81.17, sous réserve d’une modification ou d’une annulation à la suite d’une opposition ou d’un appel prévu à la présente partie et sous réserve d’une cotisation, est réputée valide et exécutoire même si la détermination, ou une procédure s’y rapportant prévue à la présente loi, est entachée d’une irrégularité, d’un vice de forme, d’une erreur, d’un défaut ou d’une omission.

 

[27]           Sa Majesté soutient que l’effet net de toutes ces dispositions est qu’il existe un mécanisme législatif pour le recouvrement des paiements effectués sous le régime de la LTA. C’est cette procédure qui doit être suivie et, si elle ne l’est pas, il n’existe aucun droit de recouvrement dans la présente action.

 

[28]           Pour étayer davantage son argument, Sa Majesté cite divers précédents suivant lesquels il résulte de l’effet conjugué de la LIR et de la LCCI un code exhaustif en matière de cotisations fiscales. Sa Majesté se fonde notamment sur les observations incidentes formulées par la Cour suprême dans Canada c. Addison & Leyen Ltd., [2007] 2 R.C.S. 793, au paragraphe 11 :

[11]      Il y a lieu de protéger l’intégrité et l’efficacité du système de cotisation et d’appel en matière fiscale. Le Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc […] On ne saurait permettre que le contrôle judiciaire serve à créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale […]

 

[voir également Water’s Edge Village Estates (Phase IILtd. c. La Reine, 94 D.T.C. 6284 (CF 1re inst.) à la page 6285]

 

[29]           Sa Majesté soutient essentiellement que toute demande de remboursement de taxe est irrecevable dans le cadre de la présente action parce que la Cour fédérale n’a pas compétence pour contraindre le ministre à rembourser un impôt ou une taxe en invoquant une exemption prévue par la loi.

 

Thèse du CP

[30]           Le CP soutient essentiellement que le contrat de 1880 exonère le CP de toute taxe en raison des droits contractuels, législatifs et constitutionnels qui lui sont reconnus, et ce, indépendamment de la question de savoir si les taxes en question sont directes ou indirectes. Il s’agit d’une question qui n’a pas trait aux cotisations ou aux dispositions de la LIR ou de la LTA, mais plutôt aux droits qui sont conférés au CP et que ce dernier peut exercer devant notre Cour. Le CP affirme donc qu’il ne cherche pas de façon irrégulière à contourner le processus d’appel ou de remboursement des cotisations prévu par la LIR ou de remboursement prévu par la LTA.

 

[31]           Le CP revendique un statut unique en raison de l’exemption que lui reconnaît la loi et il affirme que toute tentative de lui imposer une taxe est ultra vires.

 

Questions en litige

[32]           La présente requête soulève plusieurs questions :

a)                  L’action devrait‑elle être radiée parce que la Cour fédérale n’a pas compétence en raison de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales et que la présente action constitue donc un abus de procédure?

b)                  La demande de remboursement de taxe présentée par le CP sous forme d’action devant la Cour fédérale n’a‑t‑elle aucune chance d’être accueillie en raison des dispositions de la LCCI?

c)                  Le CP peut‑il obtenir une réparation sous forme de jugement déclaratoire de la Cour et être dispensé du recouvrement de toute taxe à venir?

 

[33]           À mon avis, pour les motifs qui suivent, ces questions devraient être résolues en faveur du CP.

 

Analyse

[34]           La requête en radiation de Sa Majesté est fondée sur les alinéas 221(1)a) et 221(1)f), qui disposent :

221.(1)  À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas

 

a)         qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

 

f )         qu’il constitue autrement un abus de procédure.

 

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

 

[35]           Le tribunal saisi d’une requête en radiation doit d’abord examiner les critères à appliquer. Il est généralement accepté que, pour radier une demande, il faut qu’il soit manifeste et évident que celle‑ci n’a aucune chance d’être accueillie ou qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable [Hunt c. Carey, 1992 R.C.S. 959].

 

[36]           Il est également bien établi qu’une nouvelle cause d’action ne doit pas être radiée à cette étape‑ci. Ainsi que le juge Macdonald l’a indiqué dans Apotex Inc. c. Eli Lilly and Company, 2012 ONSC 3808 (CanLII) :

[traduction]

[…] Le fait qu’une cause d’action en particulier n’a pas encore été reconnue en droit n’est pas déterminant pour la requête en radiation. Le droit n’est pas statique et immuable. Il évolue constamment pour s’adapter aux besoins d’une société dynamique. Lorsque de nouvelles prétentions sont formulées dans le cadre de la requête en radiation dont il est saisi, le tribunal doit se demander si, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, il est raisonnablement possible que l’action soit accueillie. Comme la juge en chef McLachlin l’a expliqué dans l’arrêt R c. Imperial Tobacco Canada Limited (précité) au paragraphe 21, « [l]’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable ».

 

[37]           Les faits énoncés dans les actes de procédure doivent être tenus pour avérés à moins qu’il soit évident qu’ils ne peuvent être démontrés [Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, au paragraphe 27]. De plus, notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont toutes les deux fait observer qu’une déclaration ne devrait être radiée que dans les cas les plus manifestes et les plus évidents [Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals Int. Ltd., 2005 CF 1310; conf. par 2006 CAF 60, au paragraphe 33].

 

Remboursement de taxe

[38]           Comme nous l’avons déjà signalé, Sa Majesté soutient qu’aucun remboursement de taxe ne peut être obtenu dans le cadre de la présente action sur le fondement de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales. Sa Majesté soutient que la LCCI et la LIR, considérées ensemble, créent un code complet régissant les droits d’appel dont disposent les parties en matière de paiement de leurs taxes. Le CP admet qu’à défaut d’exemption  exemption qu’il qualifie de droit législatif et constitutionnel , il serait contraint de poursuivre le recouvrement des taxes en question selon la procédure habituelle par voie d’avis d’opposition et, ultimement, de demande devant la Cour de l’impôt. Le sens, la portée et l’application de l’exemption sont des aspects cruciaux des prétentions formulées par le CP dans le cadre de la présente action.

 

[39]           La Loi sur le CP a déjà été examinée par les tribunaux. Il semble toutefois que l’exemption n’ait pas encore été interprétée en tant qu’élément de la toile constitutionnelle canadienne. Les décisions qui ont examiné la Loi sur le CP ont, dans une large mesure, signalé le caractère extraordinaire des pouvoirs qui ont été conférés au CP en contrepartie de son obligation d’achever le chemin de fer. Par exemple, dans Canadien Pacifique Limitée c. Banque indienne de Matsqui, [2000] 1 C.F. 325 (CA) 1, le juge Marceau formule les observations suivantes au sujet de la Loi sur le CP.

Ma première remarque est assez simple. Il est important d’aborder la Loi du CP, peut‑être plus que toute autre loi, en gardant à l’esprit les circonstances historiques très spéciales dans lesquelles elle a pris naissance. Les motifs de mon collègue sur ce point sont assez clairs, et il n’est pas nécessaire que j’en traite en détail. Il est toutefois utile de mentionner à nouveau le préambule de la Loi du CP, qui fait état : de l’obligation imposée au gouvernement fédéral par l’Acte d’union intégrant la colonie de la Colombie‑Britannique au Canada [Conditions de l’adhésion de la Colombie‑Britannique, L.R.C. (1985), appendice II, no 10] de construire un chemin de fer reliant le littoral de la nouvelle province au réseau des chemins de fer du reste du pays; de l’inexécution par le gouvernement de son obligation dans le délai prévu de dix ans; de la nécessité de prendre toutes les mesures requises pour terminer ce qui avait été commencé; et, enfin, du fait que la mise en œuvre d’une solution viable, après tout ce temps, mettait en jeu la bonne foi et l’honneur du gouvernement. Personne ne devrait s’étonner qu’on ait voulu qu’une loi édictée en pareilles circonstances produise des effets extraordinaires. Dans l’arrêt Vancouver, (City of) v. Canadian Pacific Ry. Co., la Cour suprême du Canada s’est exprimée très clairement sur ce point :

 

[traduction] L’objet de [. . .] [l’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique] consistait nettement [. . .] à conférer à la compagnie constituée aux fins de ce grand ouvrage public national s’étendant sur tout le continent . . . des pouvoirs et privilèges supérieurs à ceux conférés aux compagnies de chemin de fer de nature purement commerciale constituées sous le régime de l’Acte des chemins de fer, 1879 [. . .]

 

De plus, dans l’arrêt Canadian Pacific Ry. Co. v. James Bay Ry. Co., le juge Girouard a écrit, après avoir souligné que la loi antérieure et les autres efforts déployés n’avaient pas mené à l’accomplissement de l’obligation imposée par les Conditions de l’adhésion :

 

[traduction] À la lumière de l’expérience passée, on peut facilement comprendre que des pouvoirs plus étendus, et en fait sans précédent, aient été demandés et accordés. Pour y parvenir, il a fallu mettre de côté l’ensemble de la politique du pays, exprimée dans l’Acte des chemins de fer, 1879, et adopter une nouvelle politique exceptionnelle.

[Non souligné dans l’original]

 

[40]           Comme la pleine portée de l’exemption n’a pas encore été interprétée par un tribunal, nous avons donc affaire à une action inédite. Les mots « à perpétuité exempts des taxes » devront être interprétés à la lumière de l’historique législatif de cette disposition. Suivant une interprétation suggérée par le CP, toute présumée restriction ou limitation prévue par une loi fédérale comme la LIR ou la LTA limitant le recouvrement des montants imposés sous forme de taxe est inopérante, compte tenu de la nature constitutionnelle et contractuelle de l’exemption. Une autre interprétation possible pourrait être que le CP n’a pas à supporter le fardeau économique de quelque taxe que ce soit et est dispensé des contraintes et des limites procédurales inhérentes au régime fiscal. Il s’agit là de questions d’interprétation législative découlant de l’historique législatif de la Loi sur le CP et de son application.

 

[41]           Compte tenu des interprétations diverses de l’exemption, y compris de celles qui rendraient inopérant l’article 12 de la LCCI dans la mesure où il concerne le CP, il est difficile de conclure que l’action du CP n’a pas la moindre chance d’être accueillie. La réclamation relative aux impôts payés en trop ne nous invite pas seulement à nous prononcer sur la justesse d’une cotisation ou du remboursement découlant d’une cotisation. Le débat porte sur la question centrale de la capacité de Sa Majesté de percevoir toute taxe directe ou indirecte se rapportant à la ligne principale exemptée du CP. Il s’agit d’une demande fondée sur une rupture de contrat, sur des droits reconnus par la loi, sur l’interprétation d’une loi et sur des principes constitutionnels.

 

[42]           Bien que Sa Majesté soutienne énergiquement que notre Cour ne peut ordonner un remboursement de taxes, cet argument passe à mon avis à côté de la question. Le débat ne porte pas sur un remboursement de taxes déjà perçues, mais sur la question fondamentale de savoir si toute taxe qui est perçue est inconstitutionnelle ou autrement ultra vires. Je répète qu’il ne s’agit pas d’une question de cotisation. La question relève du droit en matière de restitution élaboré par la Cour suprême du Canada dans Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau‑Brunswick, [2007] 1 R.C.S. 3. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a reconnu un recours de droit public unique qui fait partie du droit de la restitution.

 

[43]           L’affaire Kingstreet concernait des sociétés contribuables qui exploitaient au Nouveau‑Brunswick plusieurs boîtes de nuit titulaires de licences les autorisant à vendre des boissons alcooliques. La Société des alcools du Nouveau‑Brunswick percevait une redevance d’exploitation en plus du prix de vente au détail des boissons alcoolisées qui étaient ajoutées en vue d’être vendues dans les boîtes de nuit en question. Lesdites sociétés contestaient la validité de la redevance d’exploitation et réclamaient le remboursement des sommes payées au fil des ans, majoré des intérêts composés.

 

[44]           La Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick a déclaré que la redevance d’exploitation était une taxe indirecte inconstitutionnelle, mais a refusé d’en ordonner le remboursement. Le principal argument était que les sociétés contribuables avaient transféré le fardeau de la taxe à leurs clients en augmentant les prix des boissons alcoolisées qu’elles vendaient et la Cour a accepté, dans le cadre de l’action des contribuables pour enrichissement sans cause, le moyen de défense fondé sur le transfert de la perte. La Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a accueilli à la majorité la demande de restitution des sociétés contribuables pour les sommes payées avant l’introduction de l’action visant à faire déclarer la taxe ultra vires.

 

[45]           Dans le cadre du pourvoi formé à la Cour suprême du Canada, le juge Bastarache a exposé dans les termes suivants la question en litige et la démarche à suivre :

[12]      Le présent pourvoi porte sur la possibilité d’invoquer les règles relatives à la restitution pour recouvrer des sommes perçues en vertu de dispositions législatives ultérieurement déclarées ultra vires. Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que d’une manière générale elles peuvent l’être. Je suis d’accord avec le juge d’appel Robertson sur le fait qu’aucune immunité générale n’est applicable au recouvrement d’une taxe illégale. Je trancherais cependant l’affaire en fonction de principes constitutionnels plutôt que de la notion d’enrichissement sans cause. L’analyse axée sur l’enrichissement sans cause se prête mal aux questions que soulèvent les taxes ultra vires. Le principal souci de la Cour doit être de veiller à la constitutionnalité de la législation fiscale. De plus, la possibilité d’obtenir, comme dans Succession Eurig (Re), 1998 CanLII 801 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 565, le prononcé d’une déclaration d’invalidité dont l’effet est suspendu et celle de l’adoption d’une loi rétroactive apportant des améliorations suffisent à prévenir un éventuel chaos fiscal. Je rejetterais aussi le moyen de défense fondé sur le transfert de la perte invoqué par la Couronne dans cette affaire. Par conséquent, je ferais droit en partie à l’appel.

 

[13]      La présente affaire a trait aux conséquences de l’injustice qui est créée lorsqu’un gouvernement tente de conserver des taxes perçues d’une façon inconstitutionnelle. Vu la règle constitutionnelle en jeu, il est possible de statuer sur l’action plus simplement que si elle visait un enrichissement sans cause dans la sphère privée. Des taxes ont été illégalement perçues. Elles doivent être restituées, sous réserve des délais de prescription et des lois correctives éventuellement jugées appropriées. Comme nous le verrons plus loin, le moyen de défense fondé sur le transfert de la perte ne devrait pas être examiné.

 

[14]      La Cour doit avant tout veiller au respect des principes constitutionnels. Or, suivant un de ces principes, la Couronne ne peut lever une taxe que sous l’autorité du Parlement ou d’une législature : Loi constitutionnelle de 1867, art. 53 et 90. Le principe « Pas de taxation sans représentation » est au cœur même de notre conception de la démocratie et de la primauté du droit. Comme l’expliquent Hogg et Monahan, il [traduction] « garantit non seulement que le pouvoir exécutif est soumis à la primauté du droit, mais aussi qu’il doit convoquer le Parlement pour lever des impôts » (P. W. Hogg et P. J. Monahan, Liability of the Crown (3e éd. 2000), p. 246. Voir aussi P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 2, p. 55‑16 et 55‑17; Eurig, par. 31, le juge Major).

 

Enfin, le juge Bastarache a conclu :

La restitution de taxes ultra vires n’entre pas vraiment dans l’une ou l’autre des deux catégories établies en matière de restitution. Elle constitue plutôt une troisième catégorie, distincte de l’enrichissement sans cause. L’action en recouvrement de taxes perçues sans autorisation légale et l’action pour enrichissement sans cause relèvent toutes les deux de la justice restitutive, mais ces recours ont été élaborés dans notre système juridique selon des voies différentes et avec des objectifs distincts. L’action en recouvrement de taxes est solidement fondée, à titre de recours de droit public, sur un principe constitutionnel qui découle des plus anciennes tentatives de la démocratie pour circonscrire le pouvoir du gouvernement dans le cadre de la primauté du droit. L’enrichissement sans cause, en revanche, tire son origine de l’action indebitatus assumpsit de la common law, par laquelle le demandeur peut obtenir réparation à l’égard de dommages de nature quasi‑contractuelle (Maddaugh et McCamus, p. 1‑4; Goff et Jones, The Law of Restitution (4e éd. 1993), p. 7; Peel, p. 784 et 788, la juge McLachlin). ed. 1993), at p. 7; Peel, at pp. 784 and 788, per McLachlin J.).

 

[46]           Ainsi, vu l’ensemble des faits de la présente affaire, si l’interprétation de la Loi sur le CP, le contrat de 1880 et l’examen des principes constitutionnels se soldent par la conclusion que la perception de taxes directes ou indirectes sur les activités du CP relatives à sa ligne principale exemptée est ultra vires, le recours de droit public décrit par le juge Bastarache s’appliquerait et le CP aurait le droit d’être remboursé des taxes en question. Cette question relève de la compétence de notre Cour, étant donné qu’il ne s’agit pas d’une question de cotisation, mais d’une question concernant de la capacité de percevoir au départ une taxe du CP dans ces conditions.

 

[47]           Sa Majesté a tenté d’invoquer plusieurs affaires qui, selon elle, ressemblent à la présente espèce et qui ont pour effet d’établir que notre Cour n’a pas compétence pour instruire la présente affaire. Sa Majesté a notamment invoqué l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada c. Merchant Law Group, 2010 CAF 184. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a formulé les observations suivantes au sujet de l’arrêt Kingstreet en expliquant les raisons pour lesquelles, dans l’affaire Merchant, le demandeur ne pouvait faire valoir sa demande devant notre Cour. Voici ce que la Cour d’appel fédérale a fait observer :

[21]           En résumé, dans l’arrêt Kingstreet, la Cour suprême n’a pas créé de nouvelle réparation constitutionnelle au caractère vague permettant de recouvrer la taxe établie en vertu d’une application ou d’une interprétation erronée d’une loi fiscale. Elle n’a certainement pas créé de nouvelle réparation constitutionnelle au caractère vague permettant aux contribuables lésés de contourner tous les régimes législatifs en vigueur au pays qui régissent le recouvrement de taxes perçues en vertu d’une application ou d’une interprétation erronée d’une loi fiscale. Au contraire, la Cour suprême a fondé le recouvrement du contribuable sur la cause d’action en restitution, reconnue par la common law, changeant quelque peu l’analyse de manière à refléter le fait qu’une loi fiscale ultra vires était en cause.

 

[22]           Dans Sorbara, précité, la Cour d’appel a interprété l’arrêt Kingstreet de la même façon. Elle a conclu que Kingstreet ne créait pas de droit constitutionnel permettant aux contribuables de recouvrer les taxes perçues en raison d’une application ou d’une interprétation erronée d’une loi fiscale. Elle a conclu qu’un tel recouvrement devait être recherché en conformité avec les dispositions applicables. Je suis d’accord. Puisque la déclaration des appelants ne vise pas le recouvrement de la TPS en vertu d’une disposition ultra vires, l’arrêt Kingstreet ne s’applique pas

 

[48]           Dans le même ordre d’idées, Sa Majesté a invoqué l’arrêt Sorbara c. Canada (Attorney General), 2009 ONCA 506 (autorisation d’appel refusée à [2009] C.S.C.R. no 299). Cette affaire portait sur une allégation suivant laquelle la TPS avait été irrégulièrement perçue de cabinets d’avocats et que, dans certaines circonstances, les cabinets d’avocats étaient exonérés du paiement de la TPS pour certains des services financiers qu’ils fournissaient. L’action a été rejetée. En appel, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré ce qui suit au sujet de l’argument tiré de l’arrêt Kingstreet :

[traduction

[3]        Les appelants ont tenté d’invoquer la compétence de la Cour supérieure en faisant valoir que leur cause d’action alléguait les agissements inconstitutionnels des autorités fiscales. Tel qu’il est formulé dans la déclaration modifiée, le litige ne porte pas sur une contestation de la constitutionnalité de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise [...], mais sur la prétention selon laquelle, suivant l’interprétation qu’il convient de donner des dispositions de la partie IX, les appelants sont dispensés du paiement de la TPS relativement à certains services financiers qui leur ont été fournis [...] En résumé, telle qu’elle est formulée, la demande soulève des questions d’interprétation législative. La demande, dans sa rédaction actuelle, ne soulève pas la constitutionnalité de la Loi ou sa conformité avec l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

[...]

 

[5]        Suivant notre interprétation, l’arrêt Kingstreet ne crée aucune cause d’action constitutionnelle dont un contribuable pourrait se prévaloir chaque fois qu’il revendique le droit de se faire rembourser une taxe qui lui a été imposée par suite d’une mauvaise application ou d’une mauvaise interprétation d’une loi fiscale. À l’instar du juge saisi de la requête, nous refusons de qualifier de constitutionnelle la demande des appelants. Il s’ensuit que les appelants ne peuvent fonder leur déclaration de compétence de la Cour supérieure provinciale sur le pouvoir indéniable et incontesté de la Cour supérieure provinciale de trancher des prétentions constitutionnelles. [Non souligné dans l’original.]

 

[49]           Sa Majesté cite cet arrêt pour renforcer sa thèse que la LIR prévoit un cadre législatif complet régissant le droit d’un contribuable de demander le remboursement de toute taxe payée en vertu de la partie 9 de la LTA. Cette affaire se distingue toutefois de la présente espèce parce que cette dernière ne porte pas sur « le droit de se faire rembourser une taxe qui lui a été imposée par suite d’une mauvaise application ou d’une mauvaise interprétation d’une loi fiscale », comme la Cour l’a fait remarquer. La présente affaire porte plutôt sur la question de savoir si un contrat a été violé, si les taxes sont constitutionnelles ou non et si la LTA et la LIR s’appliquent au CP, compte tenu du contexte historique. Pour des raisons semblables, il convient d’établir une distinction avec l’affaire Merchant Law Group.

 

[50]           Sa Majesté table également fortement sur l’arrêt Addison & Leyen, précité, à l’appui de sa thèse qu’il convient de faire preuve de prudence avant de permettre d’empiéter sur la compétence de la Cour de l’impôt, vu le système complexe de cotisation et d’appel qui existe en matière fiscale. L’arrêt Addison & Leyen n’empêche toutefois pas complètement des tribunaux autres que la Cour de l’impôt d’examiner des questions fiscales. Ainsi que la Cour fédérale l’a fait observer dans JP Morgan Asset Management (Canada Inc. c. Ministre du Revenu national et autres, 2012 CF 651 :

[18]      La Cour suprême a essentiellement décidé que, comme l’affaire portait en fait sur l’interprétation de l’article 160, il n’était pas possible de recourir au contrôle judiciaire « compte tenu des faits en cause » [au paragraphe 9], parce que le délai ayant donné lieu à l’allégation d’abus était au fond un délai de prescription que la Cour d’appel fédérale avait ajouté à l’article 160, lequel ne prévoyait pas un tel délai. La Cour suprême a fait sienne l’analyse du juge Rothstein de la Cour d’appel fédérale selon laquelle, compte tenu des circonstances entourant les opérations en cause dans cette affaire, il est clair que « le législateur souhaitait qu’il n’y ait pas de délai de prescription ni aucune autre condition applicable au moment de l’établissement de la cotisation par le ministre. [par. 92] ».

 

Il est intéressant de noter que la Cour suprême a ensuite observé que cela ne voulait pas dire que le pouvoir discrétionnaire du ministre d’établir des cotisations « ne peut jamais faire l’objet d’un contrôle » [au paragraphe 10]. Ce n’était que dans les faits particuliers de l’affaire qu’il ne pouvait pas y avoir de contrôle judiciaire. Le recours en contrôle judiciaire demeure possible « dans la mesure où la question n’est pas autrement susceptible d’appel » et « en cas d’abus de pouvoir » et de « délais abusifs » [au paragraphe 8].

 

[20]      L’arrêt Addison & Leyen est souvent cité, généralement pour démontrer que les questions relatives aux cotisations fiscales doivent être soumises à la Cour canadienne de l’impôt […]

 

[21]        Il faut tirer trois principes importants d’Addison & Leyen. Premièrement, la décision de la Cour suprême était fondée sur les faits particuliers de l’affaire. Deuxièmement, le ministre fait partie d’un groupe de décideurs qui sont visés par l’expression « office fédéral » à l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales. Troisièmement, une décision du ministre ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire que s’il n’existe aucun autre moyen d’appel, par exemple en cas d’abus de pouvoir ou de délais abusifs.

[Non souligné dans l’original.]

 

[51]           Il convient de signaler que l’affaire Addison & Leyen était une instance en contrôle judiciaire et non une action en rupture de contrat ou en contravention du régime législatif mis en place pour assurer le parachèvement de la construction du chemin de fer. Aucun droit législatif ou constitutionnel n’était non plus allégué dans cette affaire. Enfin, sur ce point, il semble qu’aucun droit d’appel ne soit prévu par la LTA pour permettre au CP de se faire rembourser la taxe sur le carburant qu’il affirme s’être fait irrégulièrement percevoir.

 

[52]           Dans le même ordre d’idées, l’interprétation de l’exemption dans le cadre constitutionnel dans lequel elle s’inscrit s’applique également tant à la demande portant sur la taxe indirecte sur le carburant prévue par la LTA qu’à l’IGS prescrite par la LIR.

 

Jugement déclaratoire

[53]           En ce qui concerne le jugement déclaratoire, la thèse de la Couronne est que notre Cour ne peut accorder cette réparation, notamment parce qu’il s’agit d’une mesure qui empêche le ministre de s’acquitter de sa mission de mettre en application les lois du Canada. Le ministre est chargé de l’application de la LTA et de la LIR. Il y a deux réponses à cet argument. En premier lieu, si l’exemption a une telle ampleur que toute taxe réclamée au CP est nulle et de nul effet et est essentiellement ultra vires, toute déclaration en ce sens a simplement pour effet de clarifier le mandat de Sa Majesté lorsqu’elle perçoit des taxes auprès du CP. En second lieu, notre Cour a compétence pour rendre un jugement déclaratoire.

 

[54]           Par exemple, le jugement déclaratoire qui avait été rendu a été confirmé par la Cour d’appel dans le cadre d’une requête en radiation dans l’affaire Nation Dénée c. Canada, 1992 CarswellNat 301 (CAF). Dans cette affaire, Sa Majesté affirmait que le jugement déclaratoire demandé par les demandeurs au sujet des revenus des membres d’une bande indienne et d’une exemption de taxe pouvait être confirmé. La Cour a formulé les observations suivantes :

Ce raisonnement [de Sa Majesté] serait irréfutable si les demandeurs cherchaient par leur action à faire annuler ou modifier des cotisations d’impôt sur le revenu. Tel n’est cependant pas le cas. Ils ne font que conclure à jugement déclarant que certains types de revenu sont exemptés d’impôt et que l’argent qu’ils ont versé à titre d’impôt doit leur être remboursé. Attendu qu’ils ne contestent aucune cotisation d’impôt, l’article 29 [disposition qui a précédé l’article 18.5 actuel] n’a pas application en l’espèce.

 

[Sa Majesté] soutient encore que, de toute façon, la Cour est implicitement privée de sa compétence pour connaître de l’action des demandeurs par la Loi de l’impôt sur le revenu qui prévoit un mécanisme de dépistage des cotisations d’impôt sur le revenu et de recouvrement des paiements en trop. Je ne saurais en convenir. Je ne vois rien dans la Loi qui limite la compétence de la Section de première instance pour rendre, le cas échéant, un jugement déclaratoire sur l’assujettissement à l’impôt de certains revenus ou une ordonnance portant remboursement des sommes que le Ministre retient indûment. [Non souligné dans l’original.]

 

[55]           À l’appui de sa position que notre Cour n’a pas compétence pour rendre le jugement déclaratoire demandé, Sa Majesté invoque également une série d’autres décisions, notamment Bande indienne de Saugeen c. Canada, [1989] 3 CF 186. Cette action visait à obtenir le remboursement d’une taxe fédérale de vente payée sur certains produits. Ceux‑ci avaient été achetés en vue d’être utilisés sur le territoire d’une réserve indienne. La LTA imposait une taxe de vente sur le prix de vente de toutes les marchandises fabriquées ou importées ou vendues au Canada. Il s’agissait d’une taxe indirecte en ce sens qu’il était prévu que le contribuable récupérerait le montant de la taxe payée dans le prix facturé à l’acheteur suivant.

 

[56]           La question en litige était de savoir si cette taxe indirecte devait s’appliquer et si un remboursement devait être consenti à la bande indienne en cause, étant donné que l’article 86 de la Loi sur les Indiens exempte de taxation les biens meubles d’un Indien ou d’une bande indienne situés dans une réserve. Dans sa décision, la Cour a estimé que la taxe n’avait pas été perçue sur les biens meubles d’un Indien ou d’une bande indienne situés dans une réserve. De plus, il n’avait pas de fondement juridique permettant un remboursement, étant donné que la LTA ne prévoyait pas d’exemption expresse pour les Indiens ou les bandes indiennes. Signalons que cette affaire a été plaidée devant la Cour fédérale.

 

[57]           Bien que la déclaration ne permette pas de savoir avec certitude si l’argument relatif au caractère ultra vires repose sur des motifs constitutionnels, sur l’interprétation des lois ou sur une rupture de contrat, il ressort des plaidoiries qui ont été entendues lors de l’examen de la présente requête et des observations écrites du CP que la constitutionnalité de la LTA et de la LIR en ce qui concerne le CP sont de toute évidence en litige.

 

[58]           Enfin, les principales caractéristiques distinctives de la déclaration concernent le contrat de 1880. Le CP invoque le contrat pour affirmer qu’aucune taxe ne peut être perçue. Il s’agit de savoir si les cotisations et le régime applicable aux cotisations l’emportent sur le système législatif et contractuel créé par le Parlement pour assurer le parachèvement du chemin de fer. Il s’agit d’une question que l’on ne peut qualifier d’abus de procédure et qu’on ne peut considérer comme n’ayant aucune chance d’être accueillie.

 

[59]           Bien que Sa Majesté ait invoqué quelques autres décisions à l’appui de sa thèse, leur examen n’offre aucun argument permettant de radier la présente demande au motif qu’elle n’a aucune chance d’être accueillie.

 

[60]           Il est toutefois nécessaire de fournir d’autres éclaircissements au sujet de la déclaration pour permettre à Sa Majesté de plaider et de bien comprendre ce qu’elle devra prouver. Les observations écrites du CP à l’audience ont permis de connaître en détail la réparation sollicitée ainsi que les motifs à l’appui de cette réparation. Ainsi, comme l’avocat du CP l’a convenu à l’audience, les chefs de réparation devraient être précisés en incorporant les allégations du paragraphe 49 de la déclaration qui, comme il a été admis, est une prétention concernant le caractère « ultra vires ». De plus, l’allégation relative à la restitution tirée de l’arrêt Kingstreet qui a été formulée au cours des débats devrait être invoquée dans la déclaration, au soutien de la demande de remboursement, ce qui permettra à Sa Majesté de plaider et de mieux comprendre la portée des prétentions.

 

[61]           Par conséquent, la requête est rejetée, sous réserve des modifications ordonnées. Compte tenu du résultat et en vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, j’ordonne que les dépens de la présente requête suivent l’issue du principal.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR :

 

1.                  REJETTE la requête;

 

2.                  ORDONNE au demandeur de modifier la déclaration remodifiée conformément aux présents motifs dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance;

 

3.                  PROROGE en conséquence tous les délais relatifs au déroulement de la présente action;

 

4.                  AUTORISE l’une ou l’autre des parties à demander la tenue d’une conférence préparatoire pour le cas où la présente ordonnance soulèverait quelque question que ce soit.

 

 

« Kevin R. Aalto »

Juge chargé de la gestion de l’instance

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1359‑07

 

INTITULÉ :                                                  CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 10 avril 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE KEVIN R. AALTO

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 août 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brian C. Pel

Anthony M.C. Alexander

Michael E. Barrack

Jessica Prince

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William L. Softley

Michael Ezri

Rosemary Fincham

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Thornton Grout Finnigan L.L.P.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 



[1] Non souligné dans l’original. Contrat intervenu entre le ministre des Chemins de fer et Canaux et le Chemin de fer Canadien Pacifique le 21 octobre 1880 (le contrat de 1880). Le contrat de 1880 a été annexé à l’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique, dont il fait partie.

[2] Le chemin de fer du Canadien Pacifique a été achevé cinq ans plus tard. Donald A. Smith (devenu par la suite lord Strathcona) a enfoncé le dernier crampon de la ligne principale exemptée du CP le 7 novembre 1885.

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