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     T-2541-95


OTTAWA (ONTARIO), LE 15 FÉVRIER 1996

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande de contrôle judiciaire

présentée en vertu de l'article 18.1 de la

Loi sur la Cour fédérale ainsi que la compétence du

Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés

constitué en vertu de

l'article 91 de la Loi sur les brevets;


ENTRE :


ICN PHARMACEUTICALS, INC.

et ICN CANADA LIMITED,

     requérantes,

     et


LE PERSONNEL DU CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX

DES MÉDICAMENTS BREVETÉS,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE LA CONSOMMATION ET DES AFFAIRES COMMERCIALES,

     intimés,

     et


LE CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX DES MÉDICAMENTS BREVETÉS,

     intervenant.

     ORDONNANCE

     VU LA DEMANDE présentée par ICN Pharmaceuticals Inc. et ICN Canada Limited (les "requérantes") afin d'obtenir le contrôle judiciaire de la décision rendue par le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (le "Conseil") le 30 novembre 1995.

     LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.      L'intitulé de la cause est modifié de sorte qu'il soit conforme à l'intitulé apparaissant ci-dessus;

2.      La demande de contrôle judiciaire ainsi que la requête qu'elle comporte en ce qui concerne la validité de la renonciation sont rejetées.



                                     B. Cullen
                                     J.C.F.C.



Traduction certifiée conforme     
                                 Suzanne Bolduc, LL.B.


     T-2541-95


AFFAIRE INTÉRESSANT une demande de contrôle judiciaire

présentée en vertu de l'article 18.1 de la

Loi sur la Cour fédérale ainsi que la compétence du

Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés

constitué en vertu de

l'article 91 de la Loi sur les brevets;


ENTRE :


ICN PHARMACEUTICALS, INC.

et ICN CANADA LIMITED,

     requérantes,

     et


LE PERSONNEL DU CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX

DES MÉDICAMENTS BREVETÉS,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE LA CONSOMMATION ET DES AFFAIRES COMMERCIALES,

     intimés,

     et


LE CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX DES MÉDICAMENTS BREVETÉS,

     intervenant.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

     Il s'agit en l'espèce d'une demande présentée par ICN Pharmaceuticals Inc. et ICN Canada Limited (les "requérantes") afin d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision rendue par le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (le "Conseil") le 30 novembre 1995. J'ai entendu la présente affaire les 29, 30 et 31 janvier 1996.

     L'intitulé de la cause est modifié, avec le consentement des parties, de sorte que le personnel du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés, le procureur général du Canada et le ministre de la Consommation et des Affaires commerciales soient les intimés et que le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés soit désormais intervenant. Je signale également que les ministres intimés n'ont pris aucune part à la présente instance et que le terme "intimé" désignera ci-après le personnel du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés.

LE CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX DES MÉDICAMENTS BREVETÉS

     Comme il s'agit de la première affaire portant sur la compétence du Conseil, et même d'une des premières affaires dont est saisie la Cour relativement à ce Conseil, je présenterai l'historique et le cadre législatifs qui déterminent son fonctionnement.

     Le Conseil a été constitué en vertu des modifications apportées à la Loi sur les brevets en 19871. Selon ce texte législatif, le Conseil doit notamment veiller à ce que les prix de vente demandés au Canada pour les médicaments brevetés ne soient pas, à son avis, excessifs.

     L'historique du Conseil est exposé dans l'arrêt Re Manitoba Society of Seniors Inc. v. Canada (Attorney General) (1991), 35 C.P.R. (3d) 66 aux p. 69 à 71 (C.B.R.Man.), confirmé par (1992), 45 C.P.R. (3d) 194 (C.A.Man.), auquel m'a renvoyé l'avocat des requérantes. Comme la présente Cour n'a pas eu l'occasion d'examiner un grand nombre de décisions rendues par le Conseil, j'ai décidé de reproduire intégralement le résumé fait par le juge Dureault :

         [TRADUCTION]
         Un bref historique des textes législatifs applicables en matière de brevet visant des médicaments est pertinent pour expliquer le contexte dans lequel les dispositions attaquées ont été adoptées. L'art. 17 de la Loi sur les brevets, S.C. 1923, ch. 23, art. 17 autorisait la concession de licences obligatoires pour la fabrication, l'utilisation et la vente de procédés brevetés. Jusqu'en 1969, lorsque la Loi de 1923 a été modifiée (S.C. 1968-69, ch. 49) pour autoriser les licences obligatoires d'importation de produits pharmaceutiques brevetés, il y avait eu peu de demandes de licences obligatoires. Cependant, après la modification de 1969, on a enregistré 559 demandes de licences d'importation et de vente; 306 de ces demandes ont été accueillies, 15 ont été rejetées ou annulées, 96 ont été abandonnées ou retirées et 142 étaient encore pendantes au 31 janvier 1985.
         À cause de la modification de 1969, des produits brevetés de marque ont fait l'objet de licences accordées à des firmes génériques qui produisaient et commercialisaient ensuite leurs propres marques ou copies des médicaments brevetés. La concession de licences obligatoires pour importer des médicaments a permis aux firmes génériques de livrer une concurrence accrue aux firmes titulaires de brevets. Cette concurrence a été favorisée davantage par la politique des provinces à l'égard des substituts génériques dans leurs régimes respectifs d'assurance-médicaments. On vit alors apparaître de grandes sociétés pharmaceutiques canadiennes rentables, qui fabriquaient des médicaments génériques, ce qui a entraîné une baisse des prix. Il va sans dire que cet aspect de la concession de licences obligatoires, qui permettait à un concurrent (la firme de médicaments génériques) d'importer et de produire une copie du produit (de marque) du titulaire du brevet a fait l'objet de lobbying politique intense par les firmes titulaires de brevets. Il n'y avait pas d'exclusivité de brevet pour l'invention d'un médicament. En effet, un requérant pouvait demander une licence obligatoire dès la concession du brevet.
         Les firmes titulaires de brevets avaient, depuis un certain temps, tenté, sans succès, d'obtenir le rétablissement de l'exclusivité des brevets et l'abolition du régime des licences obligatoires pour les médicaments brevetés. En réponse au lobby pharmaceutique, le gouvernement a nommé le docteur H.C. Eastman à titre de commissaire chargé d'enquêter sur la situation qui existait dans l'industrie pharmaceutique au Canada à l'époque et de présenter un rapport à ce sujet. Le rapport du commissaire a été présenté le 28 février 1985.
         À la suite du rapport Eastman, le gouvernement a présenté au Parlement le projet de loi C-22, intitulé "Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes", 33e Parl., 2e sess. (1986). La première lecture de ce projet de loi a eu lieu le 7 novembre 1986. Après avoir suivi le cours législatif normal, y compris plusieurs renvois au Comité législatif de la Chambre des communes et au Comité spécial du Sénat, le projet de loi a fini par être adopté par le Parlement et a reçu la sanction royale le 19 novembre 1987 (voir L.C. 1987, ch. 41, voir également L.R.C. (1985), ch. 33 (3e suppl.)).
         Il est couramment admis que l'art. 14 du projet de loi C-22 a créé un nouveau régime d'exclusivité de brevet applicable aux médicaments. Les dispositions modificatrices étaient destinées à redonner une certaine mesure d'exclusivité de brevet aux firmes qui fabriquent les médicaments de marque. Bien que le régime de licences obligatoires ait été maintenu, il emportait une interdiction d'exercer les droits obtenus en vertu de la licence obligatoire pour des périodes variant généralement de sept à dix ans.
         Les brevets relatifs aux médicaments, comme tout autre brevet, sont décernés pour des périodes de dix-sept ou vingt ans. Le caractère exceptionnel de ces brevets est, toutefois, qu'ils peuvent immédiatement faire l'objet de licences obligatoires. Le nouveau régime ne modifie pas cette disposition unique. Il ne fait qu'interdire au titulaire d'une licence l'exercice des droits accordés par celle-ci pendant une période donnée. Autrement dit, un monopole est créé pour le titulaire du brevet pour la période pendant laquelle il est interdit au titulaire de la licence d'exploiter le brevet.
         Sous ce régime de monopole limité, on a reconnu que les prix des nouveaux médicaments seraient fixés et maintenus à des niveaux plus élevés que ce qui aurait autrement été le cas dans un contexte de concurrence sous le régime des licences obligatoires. On s'attendait à ce que le rendement accru dont bénéficieraient les firmes qui fabriquent les médicaments de marque encourage la recherche et le développement dans le domaine pharmaceutique au Canada. Le gouvernement considérait que l'expansion de cette industrie, et l'augmentation de l'emploi qui en découlerait, étaient des objectifs souhaitables. Par ailleurs, on s'inquiétait légitimement d'une éventuelle hausse des prix pour le consommateur, qui pourrait atteindre un niveau inacceptable pendant la période d'exclusivité. Pour contrecarrer ce problème, les dispositions modificatrices contestées ont également été liées à un régime réglementaire qui devait être administré par le Conseil mentionné précédemment.
         La principale fonction de réglementation du Conseil consiste à surveiller et à réviser les prix de vente fixés pour ces nouveaux médicaments brevetés. Il a également la responsabilité d'exiger des nouveaux titulaires de brevets visant des médicaments qu'ils fournissent des renseignements et des documents à l'égard du médicament breveté, du prix de vente ainsi que du coût de fabrication et de commercialisation.
         S'il arrive à la conclusion que le médicament est vendu à un prix qu'il juge excessif, le Conseil peut ordonner une mesure correctrice. Parmi les options qui s'offrent à lui, le Conseil peut exercer une pression morale en menaçant de divulguer l'information à la population ou il peut lever l'interdiction faite au titulaire de licence en ce qui a trait au médicament en question et (ou) à un autre brevet dont cette firme serait titulaire à l'égard d'un médicament. Cette mesure entraîne donc la perte du monopole sur le ou les brevets visés. Le Conseil peut aussi enjoindre à la firme titulaire du brevet de baisser le prix de vente du médicament de façon qu'il ne puisse pas être excessif. La Loi précise en outre que le Conseil est assimilé à une cour supérieure pour l'exécution de ses ordonnances (voir le paragraphe 39.23(4) de la Loi de 1985 modifiée). Cette dernière mesure a soulevé de nombreux débats, particulièrement en ce qui a trait au droit du Conseil d'exécuter ses ordonnances au moyen de l'outrage au tribunal. Sans décider si le Conseil peut recourir à cette dernière mesure, j'estime que, même si c'était le cas, cela ne permet pas de trancher la question en litige.

     Comme l'a expliqué le juge Dureault, le Conseil jouit de pouvoirs considérables. Les articles 80, 81, 82 et 88 obligent le titulaire d'un brevet à communiquer au Conseil certains renseignements sur ses médicaments brevetés : l'identification des médicaments, leurs prix ainsi que leurs coûts de fabrication et de commercialisation, etc. Toutefois, comme l'a signalé l'avocat de l'intimé, le Conseil n'a pas de pouvoir d'enquête lui permettant de vérifier, par exemple, si le titulaire du brevet utilise réellement un brevet donné pour produire un médicament.

     Par contre, le Conseil peut s'appuyer sur les renseignements donnés par le titulaire du brevet pour déterminer si le prix fixé pour le médicament est excessif. Le paragraphe 83(1), qui confère au Conseil le pouvoir de se prononcer sur le caractère excessif des prix, est ainsi rédigé :

         83.(1) Lorsqu'il estime que le breveté vend sur un marché canadien le médicament à un prix qu'il juge être excessif, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de baisser le prix de vente maximal du médicament dans ce marché au niveau précisé dans l'ordonnance et de façon qu'il ne puisse pas être excessif.

Le paragraphe 79(2) de la Loi sur les brevets précise la portée de l'expression "invention pertaining to a medecine" qui se trouve dans la version anglaise du paragraphe 83(1). Selon cette disposition, une invention est liée à un médicament si "elle est destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins". En l'espèce, la question en litige consiste à interpréter correctement cette expression à la lumière du paragraphe 83(1).

DÉCISION DU CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX DES MÉDICAMENTS BREVETÉS

     Par un avis d'audition modifié daté du 28 septembre 19952, le Conseil a avisé les parties qu'il tiendrait une audience visant à [TRADUCTION] "déterminer si, aux termes des articles 83 et 85 de la Loi sur les brevets (la "Loi"), les intimées [les requérantes en l'espèce] vendent et (ou) ont vendu, à titre de titulaires de brevet, le médicament connu sous le nom de Virazole sur un marché canadien à un prix qui, selon le Conseil, est ou était excessif et, dans l'affirmative, à décider de l'ordonnance à rendre le cas échéant". En réponse à l'avis d'audition modifié, les requérants [les intimés en l'espèce] ont présenté au Conseil un avis de requête modifié3 afin d'obtenir une ordonnance portant que le Conseil n'a pas compétence pour enquêter, tenir des audiences ou rendre une ordonnance relativement au médicament Virazole.

     Le Conseil a découvert que cinq brevets canadiens sont liés au Virazole. Cependant, trois d'entre eux sont expirés et seulement deux demeurent en litige dans la présente affaire. Le brevet canadien no 1,028,264 (le "brevet 264") a été accordé à ICN Pharmaceuticals Inc. le 21 mars 1978 et a expiré le 21 mars 1995. Le brevet 264 décrit un procédé enzymique servant à préparer la ribavirine, l'ingrédient actif du médicament que les requérantes vendent sous le nom de "Virazole". Le brevet canadien no 1,261,265 (le "brevet 265") a été accordé à Viratech Inc. (un prédécesseur d'ICN Pharmaceuticals Inc.) le 26 septembre 1989 et expirera le 26 septembre 2006. Le brevet 265 porte sur diverses méthodes de traitement médical employant la ribavirine.

     Les requérants (les intimés devant le Conseil) ont soutenu que ni le brevet 264 ni le brevet 265 n'étaient liés au Virazole au sens de la Loi sur les brevets et que, par conséquent, le Conseil n'avait pas compétence pour rendre une ordonnance relativement au Virazole. Le Conseil a toutefois conclu, dans une décision datée du 30 novembre 1995, qu'il avait compétence et que les deux brevets étaient liés au Virazole4.

     Je remarque que, dans sa décision, le Conseil a aussi fait mention des stocks de ribavirine sous forme de capsules qui sont en possession des requérantes sous le régime du Programme de médicaments d'urgence (le "PMU"). En l'espèce, l'avocat des requérantes s'est opposé vivement à cette partie de la décision du Conseil; il signale qu'aucun avis de conformité n'a été délivré à l'égard de la ribavirine en qui a trait à la dose et à la forme prescrites dans le cadre du PMU. À mon avis, la mention du PMU ne fait que brouiller les pistes. En effet, le Conseil a examiné le PMU sous la rubrique intitulée [TRADUCTION] "Le Virazole et l'évolution récente de son prix" pour finalement conclure que ce programme n'avait aucune pertinence pour décider si les brevets 264 et 265 étaient destinés à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptibles d'être utilisés à de telles fins.

QUESTION EN LITIGE

     La question que doit trancher la Cour est celle de savoir si le Conseil a eu raison de conclure qu'il était habilité à examiner si les prix fixés par les requérantes pour la ribavirine vendue sous la marque "Virazole" sont excessifs. Pour répondre à cette question, il faut déterminer si l'un ou l'autre des brevets 264 et 265 des requérantes, ou les deux, sont "destiné[s] à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible[s] d'être utilisé[s] à de telles fins" au sens du paragraphe 79(2) de la Loi sur les brevets .

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

     À titre préliminaire, l'avocat du Conseil s'est interrogé sur la norme de contrôle applicable pour affirmer que, peu importe cette norme, la décision du Conseil était bien fondée.

     L'avocat m'a renvoyé à l'arrêt U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, dans lequel la Cour suprême du Canada a dit que le tribunal siégeant en révision doit se poser la question suivante : "Le législateur a-t-il voulu qu'une telle matière relève de la compétence conférée au tribunal?". Si la réponse est affirmative, les tribunaux doivent faire preuve de retenue envers l'opinion du Conseil, sauf lorsque celle-ci est manifestement déraisonnable. L'intimé soutient que le Conseil est un tribunal spécialisé et que le législateur voulait que ce dernier tranche le type de questions qui sont en litige dans la présente affaire.

     Les requérantes ont invité la Cour à se reporter à un arrêt plus récent de la Cour suprême du Canada traitant de la norme de contrôle applicable : Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557. Dans cette affaire, aux p. 589 à 591, le juge Iacobucci a préconisé l'utilisation d'une analyse fondée sur une "gamme de normes" :

         Il importe tout d'abord de formuler certains principes en matière de contrôle judiciaire. Il existe diverses normes de contrôle applicables à la myriade d'organismes administratifs qui existent au Canada. Dans l'examen de la norme de contrôle applicable, il faut avant tout déterminer quelle était l'intention du législateur lorsqu'il a conféré compétence au tribunal administratif. Pour répondre à cette question, les tribunaux ont examiné divers facteurs, dont le rôle ou la fonction du tribunal. Il est également essentiel de savoir si les décisions de l'organisme sont protégées par une clause privative. Enfin, il est d'une importance fondamentale de savoir si la question touche la compétence du tribunal concerné.
         Compte tenu du grand nombre de facteurs pertinents pour la détermination de la norme de contrôle applicable, les tribunaux ont élaboré toute une gamme de normes allant de celle de la décision manifestement déraisonnable à celle de la décision correcte. Les tribunaux ont également formulé un principe de retenue judiciaire qui s'applique à l'égard non seulement des faits constatés par le tribunal, mais aussi des questions de droit dont le tribunal est saisi en raison de son rôle et de son expertise. Pour ce qui est des décisions manifestement déraisonnables, qui appellent la plus grande retenue, ce sont les cas où un tribunal protégé par une véritable clause privative rend une décision relevant de sa compétence et où il n'existe aucun droit d'appel prévu par la loi. Voir les arrêts Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, à la p. 1089 (Bibeault), et Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756.
         Quant aux décisions correctes où l'on est tenu à une moins grande retenue relativement aux questions juridiques, ce sont les cas où les questions en litige portent sur l'interprétation d'une disposition limitant la compétence du tribunal (erreur dans l'exercice de la compétence) ou encore les cas où la loi prévoit un droit d'appel qui permet au tribunal siégeant en révision de substituer son opinion à celle du tribunal, et où le tribunal ne possède pas une expertise plus grande que la cour de justice sur la question soulevée, par exemple dans le domaine des droits de la personne. Voir les arrêts Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, et Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353.

     Les requérantes ont prié la Cour de conclure que la décision rendue par le Conseil respecte la norme de la "décision correcte". Bien que la Loi sur les brevets ne prévoie aucun droit d'appel, les décisions du Conseil ne sont pas protégées par une clause privative et l'affaire dont la Cour est saisie porte sur l'interprétation d'une disposition ayant pour effet de restreindre la compétence du Conseil.

     Je n'ai aucune difficulté à conclure que le Conseil est un tribunal spécialisé. Le législateur a mis en place un mécanisme de nomination pour veiller à ce que le Conseil soit composé de membres qui sont bien informés au sujet de l'industrie pharmaceutique. L'article 92 de la Loi sur les brevets prévoit que le ministre peut constituer un comité consultatif formé de représentants des ministres provinciaux responsables de la santé, de représentants de l'industrie pharmaceutique et de représentants des groupes de consommateurs. Le ministre doit en outre consulter ce comité avant de nommer un membre au Conseil. Le caractère spécialisé du Conseil donne à entendre que les tribunaux doivent faire preuve de retenue envers l'opinion de cet organisme. Toutefois, il ne fait aucun doute que la question devant être tranchée dans le cadre du contrôle judiciaire est une question de compétence. Bien que la Cour puisse se demander, d'un point de vue "fonctionnel et pragmatique", si le législateur a voulu qu'une matière donnée relève de la compétence conférée au Conseil, celui-ci doit, en dernière analyse, répondre correctement à cette question sans quoi sa décision risque d'être infirmée par le tribunal siégeant en révision. À mon avis, la norme de contrôle applicable à la question de compétence visant à établir si les brevets 264 et 265 sont "destiné[s] à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible[s] d'être utilisé[s] à de telles fins" au sens du paragraphe 79(2) de la Loi sur les brevets est celle de la décision correcte.

LE BREVET 264

     Dans le cas du brevet 264, les requérantes font valoir que, selon la preuve, la méthode visée par ce brevet n'est manifestement pas destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ni susceptible d'être utilisée à de telles fins puisqu'il s'agit d'un procédé de recherche et de développement. Par conséquent, le brevet 264 ne confère aucun droit exclusif susceptible de donner lieu à des prix excessifs en raison des revendications qui y sont exposées.

     Dans son affidavit, qui a été déposé par les requérantes, Robert Orr5 affirme que ces dernières étaient titulaires des lettres patentes canadiennes no 997,756 (le "brevet 756") qui ont expiré le 28 septembre 1993. Ce brevet décrit un procédé permettant de fabriquer de la ribavirine. Selon l'auteur de l'affidavit, ce procédé est celui qui était et est encore aujourd'hui utilisé pour fabriquer le Virazole vendu au Canada. Le déposant précise en outre que le brevet 264, qui décrit lui aussi un procédé permettant de fabriquer de la ribavirine, n'a aucune pertinence à l'égard du médicament Virazole qui est mis en marché au Canada par les requérantes. Au paragraphe 31 de son affidavit, M. Orr résume pourquoi il serait impossible, sur le plan pratique, de fabriquer du Virazole à l'aide du procédé décrit dans le brevet 264 :

         [TRADUCTION]
         a) Les stocks mondiaux de ribose-1-phosphate [une des substances chimiques entrant dans la composition de la ribavirine] ne permettent pas de produire même une seule dose du médicament Virazole;
         b) Le ribose-1-phosphate est instable et doit être conservé à une température variant entre 0 et -18o C. Si l'on disposait de quantités suffisantes de ce produit pour effectuer une réaction à l'échelle industrielle permettant de préparer ou de produire des formes posologiques de Virazole, il serait très difficile de manipuler le produit et très coûteux de le conserver;
         c) Si l'on avait accès à des quantités suffisantes de ribose-1-phosphate, il en coûterait 4 900 000 $ US pour un lot de 20 kilogrammes [quantité de ribavirine nécessaire pour fabriquer une quantité suffisante de Virazole au Canada pour un an], ce qui serait prohibitif (c.-à-d. dépasserait la valeur marchande des formes posologiques finales de Virazole);
         d) Le coût de l'enzyme utilisé comme matière première, la phosphorylase du nucléoside [catalyseur de la réaction des deux composés chimiques employés pour produire la ribavirine], s'élèverait à 63 000 000 $ US, ce qui serait prohibitif (dépasserait de beaucoup la valeur marchande des formes posologiques finales);
         e) Pour la réaction à l'échelle industrielle, il faut un récipient d'une capacité de 3 millions de litres pour produire 20 kilogrammes et l'on ne dispose pas de récipient de cette taille.

     Les requérantes ont également déposé un affidavit signé par le docteur Howard Cottam6 qui corrobore le témoignage de M. Orr. Voici ce qu'affirme l'auteur de cet affidavit aux paragraphes 6 et 7 :

         [TRADUCTION]
         6. Après avoir examiné en détail le procédé décrit dans le brevet 264, je suis d'avis que le procédé tel que décrit ne convient qu'à la préparation de nucléoside à petite échelle, c'est-à-dire de quantités utilisées normalement dans un laboratoire par opposition à des quantités industrielles. Selon moi, le brevet 264 ne montre que le mode de préparation de nucléoside à l'aide de l'enzyme purifié, de la base et du sucre mentionnés dans le brevet et dosés en milligrammes uniquement et il n'indique pas comment préparer le nucléoside en grandes quantités. On ne peut pas préparer même une dose de médicament en n'utilisant que des milligrammes.
         7.      Je suis également d'avis que, si l'on tentait d'utiliser ce procédé à grande échelle, autrement dit en quantités utiles en pharmacie (en kilogrammes), le coût total serait certainement prohibitif en raison du prix et de la rareté de l'enzyme et du sucre entrant dans la composition du produit. De fait, ce procédé ne peut, selon moi, servir à la préparation de grammes de nucléoside, c'est-à-dire de quantités nécessaires pour produire une seule dose pharmaceutique de cette substance, soit environ 6 grammes.

     Les témoignages de M. Orr et du docteur Cottam ne sont pas contestés par l'intimé. L'avocat de ce dernier soutient plutôt que, à première vue, le brevet 264 vise, d'une part, une invention destinée à la préparation d'un médicament et, d'autre part, une invention susceptible d'être utilisée à cette fin. Restreindre la portée de l'expression "destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins" comme le proposent les requérantes serait aller à l'encontre du sens ordinaire du paragraphe 79(2). Cette disposition ne limite aucunement son application aux cas où une invention est effectivement utilisée. De fait, le Conseil ne possède aucun pouvoir lui permettant de faire enquête et de déterminer si un brevet est réellement exploité; si la Cour adopte la définition proposée par les requérantes, le titulaire d'un brevet pourrait aisément faire échec à la compétence du Conseil en affirmant qu'il n'utilisait pas le brevet en question.

     De plus, l'intimé soutient que le libellé du paragraphe 79(2) ne permet pas d'interpréter l'expression "destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins" comme signifiant "destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins, en quantités qui, selon le titulaire du brevet, sont suffisantes sur le plan commercial". Les requérantes invitent la Cour à ajouter des termes que le législateur n'a jamais inclus dans le texte de la Loi.

     Je reconnais, à la lumière de la preuve présentée par les requérantes, que l'invention visée par le brevet 264 ne peut actuellement être exploitée afin de produire des quantités suffisantes de ribavirine et qu'elle n'est pas, d'après le breveté, destinée à être utilisée pour produire des quantités industrielles de ce médicament. Pourtant, je ne peux me rendre à l'argument des requérantes voulant que l'invention décrite au brevet 264 ne soit pas susceptible d'être utilisée dans la préparation du médicament en question. Dans le contexte de la Loi sur les brevets, il ne faut pas donner au terme "susceptible" un sens qui s'apparente aux expressions "susceptible d'être mis en marché" ou "raisonnablement praticable".

     Les articles 79 à 103 de la Loi sur les brevets, qui prévoient la constitution du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés, ont été adoptés en réponse à l'abolition du régime de délivrance de licences obligatoires. Le législateur avait certainement l'intention de pallier le "préjudice" découlant du fait que le monopole accordé au breveté en matière de produits pharmaceutiques durant la période d'exclusivité pouvait entraîner une hausse des prix à des niveaux inacceptables. Par conséquent, les termes employés dans ces dispositions de la Loi sur les brevets doivent recevoir une interprétation fondée sur l'objet visé, de façon à reconnaître que le Conseil a compétence sur tous les brevets " qu'ils soient destinés à la préparation ou à la production de médicaments, ou susceptibles d'être utilisés à de telles fins " et non seulement sur ceux que le breveté prétend avec insistance utiliser ou considérer comme réalisables. Adopter une interprétation aussi restrictive ne concorderait pas avec le régime législatif qui n'accorde pas au Conseil le pouvoir de faire enquête sur la conduite du breveté ou sur l'utilisation réelle du brevet. Il serait alors bien simple pour le titulaire d'un brevet de se soustraire à la compétence du Conseil : il n'aurait qu'à affirmer qu'il n'utilise pas le procédé breveté parce que celui-ci est irréalisable sur le plan commercial ou parce que les matières premières ne sont pas disponibles. Comme il n'a pas de pouvoir d'enquête, le Conseil serait lié par cette affirmation.

     Il ne faut pas en déduire que les requérantes en l'espèce tentent délibérément de se soustraire à la compétence du Conseil. Comme je l'ai déjà mentionné, je reconnais, à la lumière des éléments de preuve qu'elles m'ont présentés, que le procédé décrit dans le brevet 264 n'a pas été et n'est pas actuellement utilisé afin de produire la ribavirine qui entre dans la composition du Virazole. Il est possible que le législateur n'ait pas envisagé la situation particulière où se trouvent les requérantes lorsqu'il a rédigé le paragraphe 79(2); toutefois, la Cour et les requérantes sont liées par le sens non équivoque de l'expression "destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins". Le brevet 264 est susceptible d'être utilisé pour la préparation ou la production de ribavirine au sens du paragraphe 79(2) et, par conséquent, il relève de la compétence du Conseil. Cette précision étant faite, le Conseil aurait la possibilité de conclure que les requérantes ne vendent pas le médicament au Canada au sens du paragraphe 83(1) de la Loi sur les brevets . Il s'agit là toutefois d'une question qu'il est préférable de laisser à l'appréciation du Conseil chargé de se prononcer sur le fond de l'affaire.

LE BREVET 265

     Selon les requérantes, pour qu'il soit possible de conclure que le brevet 265 est destiné à la préparation ou à la production de médicaments, il doit exister un lien logique entre les revendications exposées dans le brevet 265 et l'utilisation ou les indications approuvées relatives au Virazole. Or, en l'espèce, lorsque les revendications du brevet sont interprétées de manière appropriée, on constate qu'elles n'ont aucun lien logique avec le médicament Virazole vendu au Canada.

     Les requérantes ont attiré l'attention de la Cour sur certaines revendications du brevet 265 qui décrivent l'invention comme une formulation destinée au traitement du virus respiratoire syncytial chez les patients immunodéprimés ou ceux atteints du syndrome d'immunodéficience combinée sévère (severe combined immune deficiency syndrome). D'après les requérantes, les termes "immunodéprimé" et "syndrome d'immunodéficience combinée sévère" constituent des éléments fondamentaux des revendications énoncées dans le brevet. Pourtant, la monographie relative au médicament Virazole, que la Direction générale de la protection de la santé ajoute à l'avis de conformité relatif à une présentation de drogue nouvelle, ne fait aucune mention de ces termes essentiels. En effet, elle porte uniquement sur le "déficit immunitaire" et le "déficit immunitaire combiné sévère" (severe combined immune deficiency disease ).

     Dans son témoignage déposé pour le compte des requérantes, le docteur Heinz-Joachim Biedermann7 déclare que l'information donnée dans la monographie de produit relative au Virazole était accessible plus de deux ans avant que le brevet 265 ne soit délivré. Le docteur Biedermann s'appuie particulièrement sur deux articles rédigés par les auteurs Hall8 et Gelfand9. Dans les deux articles, on mentionne la ribavirine à titre de traitement du "déficit immunitaire" et du "déficit immunitaire combiné sévère". S'appuyant sur cette information, le docteur Biedermann conclut que les expressions "déficit immunitaire" et "déficit immunitaire combiné sévère" doivent désigner autre chose que les termes "immunodéprimé" et "syndrome d'immunodéficience combinée sévère" sinon l'antériorité aurait enlevé tout caractère innovateur au brevet 265 et l'aurait, à première vue, rendu invalide. Les requérantes affirment que cette approche serait contraire à celle fondée sur l'objet visé selon laquelle le brevet doit être interprété de manière à protéger l'invention mise au point par le breveté.

     En résumé, les requérantes font valoir que les revendications du brevet 265 ne sont pas liées au Virazole qui est vendu au Canada. La vente du Virazole est autorisée pour l'utilisation chez les patients qui sont atteints de déficit immunitaire ainsi que dans les cas de déficit immunitaire combiné sévère tandis que le brevet lui-même décrit les utilisations pour les patients immunodéprimés et pour le traitement du syndrome d'immunodéficience combinée sévère. Il n'existe aucun lien logique entre le brevet 265, d'une part, et la monographie de produit et l'avis de conformité relatif au Virazole, d'autre part. En conséquence, le brevet 265 n'est pas destiné à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments.

     L'intimé conteste toutefois les arguments présentés par les requérantes en s'appuyant principalement sur l'affidavit signé par le docteur Raymond Corrin10. Bien que les requérantes aient tenté d'attaquer les titres de compétence de ce dernier en laissant entendre qu'il ne possédait aucune formation spécialisée en immunologie ou en virologie, je signale que M. Corrin est médecin et qu'il travaille à l'Hôpital général d'Ottawa où il traite des patients atteints de déficit immunitaire, principalement le VIH, à la Clinique d'immunodéficience. Selon l'auteur de l'affidavit, les revendications du brevet sont identiques aux utilisations approuvées dans l'avis de conformité relatif au Virazole. Il ressort de son témoignage que, même si les termes "immunodéprimé" et "déficit immunitaire", d'une part, et "déficit immunitaire combiné sévère" et "syndrome d'immunodéficience combinée sévère", d'autre part, sont différents, leur signification est la même. Ce témoignage n'a pu être mis en doute lors du contre-interrogatoire11.

     L'intimé précise également que, contrairement à ce qu'ont affirmé les requérantes, les articles publiés par Gelfand et Hall remontent à moins de deux ans avant la demande de brevet. La demande visant le brevet 265 a été déposée le 7 mai 1985 et, selon le paragraphe 27(1) de la Loi sur les brevets alors en vigueur, l'invention ne devait pas avoir fait l'objet d'une publication pendant les deux années antérieures à la demande; le 7 mai 1983 serait donc la date dont il faut tenir compte. Cependant, l'article écrit par Hall et qui a été publié dans le New England Journal of Medecine est daté du 16 juin 1983 tandis que celui paru dans la publication Lancet et qui a été rédigé par Gelfand est daté du 24 septembre 1983. Je signale que les requérantes ont affirmé que l'article de Gelfand a été présenté lors d'une conférence et donc publié en mars 1983, en plus de sa parution subséquente dans Lancet. Compte tenu de mes conclusions relativement à la compétence du Conseil à l'égard du brevet 265, j'estime qu'il est inutile de trancher la question des dates de publication.

     L'argument le plus convaincant qu'a avancé l'intimé, et sur lequel s'est notamment appuyé le Conseil, est que ce dernier outrepasserait sa compétence s'il était appelé à interpréter les revendications du brevet. À la page 17 de sa décision, le Conseil a indiqué ce qui suit12 :

         [TRADUCTION]
         ... le Conseil signale qu'aux termes du mandat qui lui est confié en vertu de la Loi [sur les brevets], il doit avoir de l'expérience et de l'expertise en matière de fixation des prix. Lorsqu'il exécute son mandat, le Conseil ne considère pas qu'il a également pour mission d'accomplir les fonctions énoncées ci-dessous ni qu'il possède l'expérience ou l'expertise nécessaire pour le faire : examiner le dossier de la poursuite intentée à l'égard du brevet; suivre l'historique des revendications exposées dans le brevet au fur et à mesure qu'elles sont évaluées, révisées puis ajoutées au brevet concédé; examiner la documentation médicale qui existe encore au moment où la demande de brevet est présentée puis appliquer l'abondante jurisprudence invoquée par les intimées [les requérantes en l'espèce] en vue de conclure que la portée de la totalité ou d'une partie des revendications du brevet devrait être restreinte ou qu'elles ont un sens différent de leur libellé.

L'avocat de l'intimé m'exhorte à suivre la position adoptée par le Conseil. Il fait remarquer que la Cour, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, ne devrait pas être appelée à interpréter les revendications du brevet 265.

     La Cour doit donc composer avec les opinions contradictoires des docteurs Biedermann et Corrin, tous deux témoins experts. Il est particulièrement difficile, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, de choisir une version de la preuve donnée par un des déposants plutôt qu'une autre. En dernière analyse, j'ai décidé que ce choix n'était pas nécessaire en l'espèce. En effet, que les termes "immunodéprimé" et "déficit immunitaire", d'une part, et les expressions "déficit immunitaire combiné sévère" et "syndrome d'immunodéficience combinée sévère", d'autre part, soient synonymes ou aient des significations différentes n'a aucune pertinence en l'espèce si je conclus que le brevet 265 est destiné à la préparation ou à la production d'un médicament. Après avoir examiné la preuve minutieusement, j'estime qu'il ne fait aucun doute que le brevet 265 vise des utilisations de la ribavirine et que la ribavirine est, de fait, un médicament.

     Contrairement à ce qu'affirment les requérantes, le terme "médicament", tel qu'il est employé dans le contexte du paragraphe 79(2) de la Loi sur les brevets , ne doit pas être interprété comme signifiant seulement la drogue décrite dans la monographie de produit pour laquelle on a délivré un avis de conformité. Les requérantes ont prié la Cour de conclure que le terme "médicament" doit recevoir la même définition que celle donnée dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) parce que le régime réglementaire relatif aux avis de conformité et le Conseil ont été mis sur pied afin de remplacer l'ancien régime de délivrance de licences obligatoires. Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) définit le terme "médicament" de la façon suivante : "[s]ubstance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes". Toutefois, je ne suis pas d'accord avec les requérantes. À mon avis, dans le contexte du paragraphe 79(2), il faut donner au terme "médicament" le même sens que sous le régime des anciennes dispositions de la Loi sur les brevets portant sur la délivrance de licences obligatoires. Le libellé du paragraphe 79(2) s'inspire du paragraphe 39(4) de l'"ancienne" Loi sur les brevets qui régissait la délivrance de licences obligatoires; les deux dispositions emploient les termes suivants : "destinée à des médicaments ou à la préparation ou [à] la production de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins". Cette expression a un sens beaucoup plus large que la définition restreinte du terme "médicament" qui est donnée dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ; elle vise tous les médicaments, et non pas uniquement ceux vendus aux termes d'un avis de conformité.

     J'estime donc que le Conseil a eu raison de conclure qu'il ne devait pas procéder à un examen plus approfondi du brevet en vue d'interpréter les revendications qui y sont exposées pour établir si elles correspondent à l'avis de conformité délivré à l'égard du Virazole. À première vue, le brevet 265 est destiné à la préparation ou à la production de médicaments et cette conclusion, à elle seule, donne compétence au Conseil. Toutefois, comme je l'ai précisé en ce qui concerne le brevet 264, le Conseil pourrait, au moment d'examiner le bien-fondé de la présente affaire, conclure que les requérantes ne vendent pas le médicament Virazole au Canada aux termes du paragraphe 83(1) de la Loi sur les brevets.

LA RENONCIATION

     À la suite de l'audience devant le Conseil et de la décision rendue par ce dernier, les requérantes ont déposé une renonciation à l'égard du brevet 265 au Bureau des brevets qui a confirmé le dépôt le 6 décembre 1995. Le Bureau des brevets a confirmé que les requérantes ont renoncé à la partie suivante du brevet 265 :

         [TRADUCTION]
         1. Une formulation pour le composé chimique 1-â-D-ribofuranosyl-1,2,4-triazole-3-carboxamide (ribavirine) (offert en flacons de verre de 100 mL contenant 6 grammes de poudre de ribavirine lyophilisée stérile) et l'utilisation dudit composé pour le traitement des cas graves d'infection à virus respiratoire syncytial chez les nouveau-nés et les nourrissons, lorsque l'infection est associée à une déficience cardiovasculaire, pulmonaire ou immunitaire sous-jacente.
         2. En vertu des revendications indépendantes 1, 11, 17, 18 ou 19 du brevet et des revendications dépendantes afférentes, toute formulation contenant le composé chimique 1-â-D-ribofuranosyl-1,2,4-triazole-3-carboxamide (ribavirine) (offert en flacons de verre de 100 mL contenant 6 grammes de poudre de ribavirine lyophilisée stérile) utilisé dans le traitement médical de l'infection à virus respiratoire syncytial chez les nouveau-nés et les nourrissons présentant une déficience cardiovasculaire, pulmonaire ou immunitaire sous-jacente.
         3. En vertu de la revendication indépendante 20 et des revendications dépendantes afférentes, l'utilisation du composé chimique 1-â-D-ribofuranosyl-1,2,4-triazole-3-carboxamide (ribavirine) pour la fabrication d'une ou de compositions pharmaceutiques pour le traitement médical des maladies virales, si la ou les compositions en question doivent être utilisées dans le traitement de virus respiratoire syncytial des nouveau-nés et des nourrissons présentant une déficience cardiovasculaire, pulmonaire ou immunitaire sous-jacente.

     Les requérantes affirment que le Conseil est devenu incompétent pour se prononcer sur le brevet 265 depuis le 6 décembre 1995, date du dépôt de la renonciation, puisque cette dernière précise qu'on renonce aux revendications à l'égard de toute invention relative aux indications pour lesquelles la vente du Virazole est approuvée au Canada.

     L'intimé soutient cependant que la renonciation est nulle et sans effet pour trois raisons. Tout d'abord, même si la renonciation est valide, le Conseil demeure compétent puisque l'invention dévoilée dans le brevet 265 continue d'être liée à la ribavirine au sens du paragraphe 79(2) de la Loi sur les brevets. Compte tenu de ma conclusion au sujet du sens qu'il faut donner au terme "médicament" à la lumière de ce paragraphe, je suis d'accord avec la prétention de l'intimé. Comme il a déjà été mentionné sous la rubrique "Le brevet 265", je suis convaincu que ce brevet dévoile certaines utilisations et qu'il est destiné à être utilisé pour la préparation ou la production de médicaments, y compris les médicaments qui ne sont pas offerts en vente aux termes d'un avis de conformité.

     Comme j'ai déjà conclu que la renonciation n'a aucune incidence sur la compétence du Conseil, il n'est pas nécessaire d'examiner les deuxième et troisième arguments de l'intimé. Toutefois, pour ne rien laisser en plan, je vais quand même les aborder brièvement.

     L'intimé prétend aussi que la renonciation n'a aucun effet sur la compétence du Conseil parce qu'elle n'est pas conforme à l'article 48 de la Loi sur les brevets et qu'elle a été déposée irrégulièrement en vue de faire échec à la compétence de cet organisme. Le paragraphe 48(1) de la Loi prévoit qu'une renonciation peut être déposée afin de restreindre la portée des revendications du brevet lorsqu'un breveté a, "par erreur, accident ou inadvertance, et sans intention de frauder ou tromper le public", donné trop d'étendue à son mémoire descriptif. L'intimé soutient que les requérantes n'ont déposé la renonciation que pour se soustraire à la compétence du Conseil. Il est bien possible que ce soit effectivement l'intention des requérantes, mais je ne vois rien d'inacceptable dans ce geste. Un breveté peut, s'il le souhaite, renoncer à son monopole et organiser ses affaires de façon à se soustraire à la réglementation en matière de prix qu'applique le Conseil. Toutefois, en l'espèce, la renonciation ne change rien au fait que le brevet 265 demeure une invention destinée à des médicaments et que, par conséquent, il continue de relever de la compétence du Conseil.

     Enfin, l'intimé affirme que la renonciation n'a aucun effet à l'égard de la compétence du Conseil parce qu'elle a été déposée après que ce dernier eut donné son avis d'audition et rejeté la contestation présentée par les requérantes à l'égard de sa compétence. Voici le texte du paragraphe 48(4) de la Loi sur les brevets :

         Dans toute action pendante au moment où elle est faite, aucune renonciation n'a d'effet, sauf à l'égard de la négligence ou du retard inexcusable à la faire.

Je suis d'accord avec les prétentions de l'intimé sur ce point. Toutefois, si cet argument avait été le seul invoqué, j'aurais néanmoins examiné la question de la validité de la renonciation afin d'orienter le Conseil dans son examen du litige. De toute façon, je suis convaincu, pour les motifs énoncés plus haut, que la renonciation est invalide et qu'elle n'a aucune incidence sur la compétence du Conseil.

CONCLUSIONS

     Après avoir lu les documents et les éléments de preuve déposés, et après avoir examiné les arguments valables présentés par les avocats, j'arrive aux conclusions suivantes :

(1)      Il faut donner au terme "susceptible" employé au paragraphe 79(2) de la Loi sur les brevets son sens ordinaire; par conséquent, le brevet 264 est susceptible d'être utilisé pour la préparation ou la production du médicament visé, la ribavirine, et relève de la compétence du Conseil;
(2)      Le terme "médicament" employé au paragraphe 79(2) de la Loi sur les brevets comprend tous les médicaments et ne se limite pas aux drogues à l'égard desquelles un avis de conformité a été délivré; par conséquent, le brevet 265 est destiné à être utilisé pour la préparation ou la production du médicament visé, la ribavirine, et relève de la compétence du Conseil;
(3)      La renonciation déposée par les requérantes le 6 décembre 1995 ne fait pas échec à la compétence du Conseil puisque l'invention dévoilée dans le brevet 265 continue d'être liée à la ribavirine au sens du paragraphe 79(2) de la Loi sur les brevets.

         La demande de contrôle judiciaire ainsi que la requête qu'elle comporte en ce qui concerne la validité de la renonciation sont rejetées.




                                     B. Cullen
                                     Juge


OTTAWA

Le 15 février 1996









Traduction certifiée conforme     
                                 Suzanne Bolduc, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA




AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :                  T-2541-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :          ICN PHARMACEUTICALS, INC. c. LE CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX DES MÉDICAMENTS BREVETÉS ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 29 JANVIER 1996

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CULLEN LE 15 FÉVRIER 1996




ONT COMPARU :


JOSEPH ETIGSON ET

ALFRED SCHORR                  POUR LES REQUÉRANTES
DONALD HOUSTON ET              POUR L'INTIMÉ (LE PERSONNEL DU
BRUCE CAUGHILL              CONSEIL)
GORDON CAMERON              POUR LES INTIMÉS


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

HUGHES ETIGSON              POUR LES REQUÉRANTES

THORNHILL (ONTARIO)

ALFRED SCHORR                  POUR LES REQUÉRANTES

MARKHAM (ONTARIO)

STIKEMAN, ELLIOTT              POUR L'INTIMÉ (LE PERSONNEL DU
TORONTO (ONTARIO)              CONSEIL)
BLAKE CASSELS & GRAYDON          POUR LES INTIMÉS

OTTAWA (ONTARIO)

__________________

1L.C. 1987, c. 41.

2L'avis d'audition modifié est joint au dossier de la demande des requérantes au volume IV, onglet 28.

3L'avis de requête modifié est joint au dossier de la demande des requérantes au volume III, onglet 16.

4La décision du Conseil est jointe au dossier de la demande des requérantes au volume VIII, onglet 42.

5L'affidavit de M. Orr est joint au dossier de la demande des requérantes au volume III, onglet 17.

6L'affidavit du docteur Cottam est joint au dossier de la demande des requérantes au volume III, onglet 18.

7L'affidavit signé par le docteur Biedermann est joint au dossier des requérantes au volume VI, onglet 35.

8Hall, C.B., McBride, J.T., Walsh, E.E., Bell, D. et al. " Aerosolized ribavirin treatment of infants with respiratory syncytial viral infection ", New England Journal of Medecine , 308:1443-7, 1983.

9Gelfand, E.W., McCurdy, D., Rao, D.P. et Middleton, P.J. " Ribavirin treatment of viral pneumonitis in severe combined immunodeficiency disease ", Lancet ii: 732-733, 1983.

10L'affidavit signé par le docteur Corrin est joint au dossier des requérantes au volume VIII, onglet 38, comme pièce "A" déposée au soutien de l'affidavit signé par Laura Reinhard.

11L'interrogatoire, le contre-interrogatoire et le nouvel interrogatoire de M. Corrin apparaissent dans la transcription de l'audience tenue devant le Conseil le 2 novembre 1995 qui est jointe au dossier de la demande des requérantes au volume VIII, onglet 40, aux pages 1179 à 1245.

12Précité à la note 4, à la page 1453.

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