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Date : 20130710

Dossier : IMM-9856-12

Référence : 2013 CF 771

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 10 juillet 2013

En présence de madame la juge Gagné

 

 

ENTRE :

 

INETIDE GILOT

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 27 août 2012 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, selon laquelle la demanderesse n’a pas la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Essentiellement, Mme Gilot conteste les conclusions de la Commission sur sa crédibilité et elle soutient que la Commission n’a pas correctement pris en compte sa crainte d’être victime d’actes de violence et de viol dans son pays d’origine en raison de son sexe, en tant que membre d’un groupe social particulier.

 

Contexte

[2]               Mme Gilot est une citoyenne d’Haïti âgée de 63 ans. Depuis 2008, elle s’est rendue à cinq occasions aux États-Unis et au Canada, pays où habite une de ses trois filles.

 

[3]               Après le tremblement de terre de janvier 2010 en Haïti, Mme Gilot a séjourné aux États‑Unis du 5 avril au 28 juillet 2010 pour visiter sa famille. Elle allègue que deux jours après son retour, le 30 juillet 2010, quatre hommes cagoulés et armés se sont introduits par effraction dans sa maison, où elle vivait avec son mari, ses deux plus jeunes filles et son cousin, Fritz. Elle allègue que les intrus les ont attaqués, attachés et dépouillés de leurs biens.  

 

[4]               Quelques jours plus tard, la nuit du 5 août 2010, les mêmes hommes sont revenus, ont violé sa fille, Marie Lynda, et ont fait feu sur Fritz alors qu’il tentait de venir au secours de cette dernière. Dans sa réponse à la question 31 du Formulaire de renseignements personnels [récit figurant dans le FRP], Mme Gilot dit que Fritz est mort sur le coup.

 

[5]               Le 6 août 2010, Mme Gilot et son mari ont porté plainte à la police, mais il n’y a pas eu de suivi.

 

[6]               Par la suite, elle et sa famille auraient erré de maison en maison de crainte de retourner chez eux. Le 9 août 2010, ils ont emménagé dans la maison d’un ami à Pétion-ville et, plus tard, dans la maison d’un autre ami à Péguy-ville. À la mi-septembre 2010, Mme Gilot et sa famille ont emménagé dans la maison de sa sœur à Bas Delmas, où les voleurs auraient réussi à les trouver. En octobre 2010, ils ont emménagé dans la maison de sa nièce à Puits Blain. Ils ont aussi habité chez la sœur de Mme Gilot à Jacmel avant que Mme Gilot décide de quitter le pays de façon définitive parce que les voleurs étaient selon ce qu’elle allègue encore à sa recherche.

 

[7]               Mme Gilot est arrivée au Canada le 27 octobre 2010, mais elle n’a demandé l’asile que deux mois plus tard.

 

La décision contestée

[8]               La Commission a examiné les deux motifs invoqués par Mme Gilot au soutien de sa demande d’asile. La Commission a d’abord considéré sa crainte que des voleurs la croient riche étant donné qu’elle a voyagé à l’étranger et qu’une de ses filles vit au Canada. L’examen de la Commission a aussi porté sur la crainte que lui suscitent les bandits du fait qu’elle est une femme, et son affirmation selon laquelle elle n’aurait pas d’endroit sûr où loger si elle retournait en Haïti.

 

[9]               En ce qui concerne la crainte de Mme Gilot d’être victime de vol ou d’enlèvement pour rançon ou extorsion en Haïti, la Commission a souligné que cette allégation ne pouvait être visée que par le paragraphe 97(1) de la LIPR parce que la jurisprudence établit que les personnes considérées comme riches ne font pas partie d’un groupe social particulier, au sens que la Cour suprême a donné à cette expression dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward].

[10]           Toutefois, la Commission a constaté que le récit de Mme Gilot soulevait plusieurs problèmes de crédibilité.

 

[11]           Premièrement, elle fait remarquer que Mme Gilot n’avait jamais été attaquée par des voleurs avant juillet 2010, bien qu’elle ait séjourné plusieurs fois aux États-Unis et au Canada entre 2008 et juillet 2010.

 

[12]           Deuxièmement, Mme Gilot et les membres de sa famille n’ont pas quitté leur maison pour aller habiter ailleurs après la première attaque. Ils ne l’ont fait qu’après la deuxième attaque.

 

[13]           Troisièmement, la Commission a mentionné que Mme Gilot a d’abord témoigné que les mêmes voleurs sont retournés chez elle neuf jours après la première attaque, bien qu’elle ait déclaré auparavant que les voleurs avaient pris tous les biens de sa famille le 30 juillet 2010 et n’avaient rien laissé derrière eux. Lorsque la Commission lui a fait remarquer que dans ces circonstances les voleurs n’avaient aucune raison de retourner dans la même maison, Mme Gilot a dit ne pas être certaine que c’était bien les mêmes voleurs qui étaient retournés chez elle la deuxième fois.

 

[14]           Quatrièmement, Mme Gilot a témoigné que des voleurs masqués et armés sont entrés chez elle vers 22 heures dans la soirée du 5 août 2010 pendant que les occupants (qu’elle avait identifiés plus tôt comme étant son mari, ses deux filles et son cousin Fritz) dormaient. Elle a d’abord affirmé que les voleurs avaient ligoté tous les occupants et violé sa fille, Marie Lynda, et que Fritz était intervenu pour aider cette dernière. Interrogée par la Commission à savoir comment Fritz a pu intervenir s’il était ligoté, Mme Gilot a dit que ce dernier n’était pas à la maison à ce moment-là et qu’il est arrivé vers 22 heures, en même temps que les voleurs.

 

[15]           Cinquièmement, la Commission a souligné que selon le récit figurant dans le FRP de Mme Gilot et sa déposition verbale, Fritz a été abattu de deux coups de feu. Elle a plus tard modifié sa version des faits pour dire que Fritz était mort deux heures plus tard. Cependant, le certificat de décès de Fritz indique qu’il est mort à 23 heures le 6 août 2011, ce qui est incompatible tant avec le récit figurant dans le FRP de Mme Gilot que son témoignage.

 

[16]           Sixièmement, la Commission a conclu que les lettres du mari et des deux filles de Mme Gilot étaient incompatibles avec sa version des faits. Entre autres, la Commission a mis en doute le fait que ni l’une ni l’autre de ces lettres ne mentionnait le décès de Fritz au cours de l’incident allégué du 5 août 2010. La lettre du mari de Mme Gilot ne renferme aucune mention du décès de Fritz au cours du vol allégué. Sa fille, Marie Lynda, dit pour sa part que son père et Fritz étaient présents lorsqu’elle a été violée, mais qu’ils n’avaient pu se porter à son secours. Elle dit aussi que le 25 août 2011 (date à laquelle la lettre a été rédigée), ils craignaient encore que les voleurs viennent dans la tente, mais qu’ils n’avaient nulle part ailleurs où aller. La Commission fait remarquer que selon le témoignage de Mme Gilot, sa famille a quitté leur maison après l’incident du 5 août 2010. En outre, son autre fille, Sheila, n’a pas non plus mentionné le décès de Fritz dans sa lettre bien qu’elle ait précisé que les voleurs avaient demandé de l’argent américain. Ces contradictions et ces incohérences ont amené la Commission à douter des allégations de Mme Gilot concernant le meurtre de Fritz.

 

[17]           Par ailleurs, la Commission a rejeté le certificat médical selon lequel Marie Lynda avait été violée vers « 2 heures du matin, pendant qu’elle dormait » puisque, selon Mme Gilot, l’attaque s’est produite vers 22 heures.

 

[18]           La Commission a rejeté le rapport de police dans lequel le mari de Mme Gilot signalait le vol de bijoux, d’un téléviseur, d’un radio et d’argent le 5 août 2011 puisque, selon le récit de Mme Gilot, les voleurs avaient tout emporté avec eux le 30 juillet 2011 et n’avaient rien laissé dans la maison.

 

[19]           Enfin, la Commission a conclu que Mme Gilot n’était pas crédible lorsqu’elle alléguait que les voleurs l’avaient trouvée chez une amie parce qu’elle était ciblée et recherchée parce qu’on la croyait riche. La Commission a estimé que ces allégations étaient « illogiques et exagérées » et a fait remarquer que, si elles étaient véridiques, le mari et les filles de Mme Gilot seraient vraisemblablement exposés au même risque.

 

[20]           Quant au deuxième motif invoqué dans la présente demande, la Commission s’est appuyée sur les décisions de la Cour dans Josile c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 39 [Josile] et Dezameau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 559 [Dezameau], et elle a déclaré que si une analyse personnalisée s’impose en ce qui concerne la peur d’une demandeure d’asile d’être victime de viol et de violence sexuelle en raison de son appartenance à un groupe social particulier dans le contexte de l’article 96 de la LIPR (Josile, précitée, aux paragraphes 36 à 39), la simple appartenance au groupe social particulier des femmes haïtiennes est insuffisante pour conclure à la persécution. La preuve fournie doit convaincre la Commission de l’existence de plus qu’une simple possibilité de préjudice dans la situation particulière d’une requérante (Dezameau, précitée, au paragraphe 29).

 

[21]           La Commission a conclu que Mme Gilot et son récit n’étaient pas crédibles et que, en l’espèce, elle n’avait pas établi qu’elle est une personne vulnérable n’ayant aucun endroit sûr où vivre avec son mari et sa famille si elle devait rentrer en Haïti. La Commission a conclu qu’elle a des amis, deux sœurs, un frère et une famille avec lesquels elle peut vivre en sécurité. Si ce n’était pas le cas, Mme Gilot ne serait pas rentrée en Haïti en juillet 2010.

 

Les questions en litige

[22]           Mme Gilot a soulevé les questions ci-dessous dans sa demande de contrôle judiciaire, et la Cour les examinera une à une :

1)      L’appréciation par la Commission de la crédibilité de la demanderesse était-elle raisonnable?

2)      La Commission a-t-elle correctement pris en compte la peur de la demanderesse d’être victime de violence sexuelle et de viol à son retour en Haïti?

 

Norme de contrôle applicable

[23]           La norme de contrôle applicable aux deux questions en litige est celle de la raisonnabilité.

 

[24]           Il est bien établi que les conclusions de la Commission concernant la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, au paragraphe 11).

 

[25]           L’omission de se prononcer sur un motif de protection invoqué est susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte (Woldesellasie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 522, au paragraphe 34). Toutefois, les questions relatives à l’établissement des faits sont susceptibles de contrôle judiciaire selon la norme de la raisonnabilité (Brazier c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1101, aux paragraphes 8-9; Barthelemy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1222, aux paragraphes 16-21 [Barthelemy]).

 

[26]           En l’espèce, Mme Gilot ne prétend pas que la Commission n’a pas pris en compte le deuxième motif invoqué à l’appui de sa demande de protection. Elle prétend plutôt que la Commission a commis une erreur dans l’appréciation de sa crainte d’être victime de violence sexuelle et de viol en Haïti lorsqu’elle a rejeté sa demande fondée sur l’article 96 de la LIPR. En conséquence, la norme de la raisonnabilité s’applique également à la deuxième question.

 

Examen de la décision contestée

[27]           Pour les motifs exposés ci-dessous, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce.

L’appréciation par la Commission de la crédibilité de Mme Gilot

[28]           Mme Gilot affirme que les raisons pour lesquelles la Commission n’ajoute pas foi à son récit sont douteuses et marquées par son empressement à repérer les contradictions, et que la conclusion défavorable quant à sa crédibilité n’appartient pas à l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier. Avec égards, je ne suis pas d’accord. Bien que la Cour puisse juger que certaines des préoccupations de la Commission ne sont pas raisonnables, dans l’ensemble la conclusion défavorable sur la crédibilité appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

[29]           Premièrement, Mme Gilot allègue que l’hypothèse de la Commission selon laquelle elle et sa famille avaient quelque part où aller après la première attaque, ou qu’elle pourrait habiter chez des parents ou des amis si elle rentrait en Haïti, n’est pas étayée par la preuve et se fonde sur de simples hypothèses (Buitrago c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1046, au paragraphe 16). Elle prétend qu’il est raisonnable de conclure que seule la deuxième attaque les a incités, elle et sa famille, à quitter leur maison. En outre, la Commission aurait dû prendre en compte le fait que même si à cette époque ses parents et ses amis pouvaient l’aider, il aurait été extrêmement difficile pour eux de le faire après le tremblement de terre.

 

[30]            La Cour est d’accord avec Mme Gilot dans une certaine mesure et concède aussi qu’il était déraisonnable pour la Commission de mettre en doute l’authenticité d’un certificat médical de viol en raison d’un écart de quatre heures. Cependant, les contradictions entre le témoignage de Mme Gilot et le récit figurant dans le FRP concernant l’identité des voleurs, son témoignage hésitant et incohérent sur les événements survenus au cours de la deuxième attaque, notamment l’heure de l’attaque, les articles dérobés de la maison, la présence de Fritz sur les lieux et l’heure et les circonstances exactes de son décès, et l’omission de renseignements importants dans les lettres rédigées par ses filles et son mari étaient suffisants pour soulever des doutes sérieux dans l’esprit des commissaires sur la véracité des événements tels qu’ils étaient allégués. En bref, la Commission a mis en doute la véracité des principales allégations de Mme Gilot concernant les incidents du 30 juillet et du 5 août 2010, et ses conclusions à cet égard sont raisonnables.

 

[31]           J’ai pris en compte l’argument de Mme Gilot selon lequel elle a subi un traumatisme important et qu’il est normal qu’elle ne se souvienne pas des heures exactes des attaques et de ce qui s’est produit pendant celles‑ci. Cependant, à la lumière des transcriptions de l’audience, je suis d’avis que rien ne laisse croire que la Commission a été insensible à sa situation en évaluant son témoignage et que la Cour ne peut se ranger à l’argument de Mme Gilot du simple fait que la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. Il ne convient pas que la Cour réévalue la crédibilité de Mme Gilot en fonction de sa propre compréhension du récit de cette dernière. Contrairement à la Cour, la Commission a eu l’avantage d’entendre Mme Gilot en personne et elle était en droit de prendre en compte et d’évaluer son attitude générale pendant son témoignage : voir Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACJ n685 (CAF); Wen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACJ n907 (CAF); Mostajelin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACJ n28 (CAF); et Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACJ n1131.

 

 

L’appréciation par la Commission de la peur de Mme Gilot d’être victime de violence sexuelle et de viol à son retour en Haïti

[32]           Mme Gilot conteste l’évaluation que la Commission a faite du risque qu’elle court d’être victime de viol. Elle admet que l’apparence de richesse n’a aucun lien avec un motif prévu par la Convention (Menendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 221, au paragraphe 27). Elle soutient néanmoins que c’est un facteur que la Commission aurait dû prendre en compte pour évaluer le risque qu’elle soit prise pour cible en raison de son sexe et le risque accru qu’elle soit victime de violence sexuelle et de viol du fait qu’elle est perçue comme une personne riche. Par conséquent, elle soutient que la Commission a commis une erreur en n’appréciant pas correctement son témoignage ainsi que la preuve documentaire, et en ne concluant pas à l’existence d’un lien entre sa demande et la Convention en raison d’un motif lié à son sexe, comme la Cour l’a déjà fait dans Ward (Josile, précitée, aux paragraphes 28-30; Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1055, au paragraphe 37).

 

[33]           Mme Gilot cite des extraits de la preuve documentaire visant à établir que le viol est un problème particulier pour les femmes partout en Haïti (Cartable national de documentation, 29 juin 2012, point 5.1.1. (Réponse à la demande d’information HTI104085.EF) et point 2.1 (Country Reports on Human Rights Practices for 2011 du Département d’État des États‑Unis)) et affirme que la Commission a fait erreur en ne renvoyant pas à ces éléments de preuve dans sa décision.

 

[34]           Comme l’exprimait le juge Martineau dans Josile, précitée, au para 31 :

[l]e véritable critère consiste donc à décider si la demanderesse est victime de persécution du fait de son appartenance au groupe social en question. En l’espèce, la Commission a conclu de façon générale que les Haïtiennes ne risquent pas d’être persécutées, c’est-à-dire d’être victimes de violence et d’agression sexuelle, du fait de leur appartenance à ce groupe : « Les femmes en Haïti ne sont pas prises pour cible parce qu’elles sont des femmes. Comme toutes les autres personnes en Haïti, y compris les hommes et les garçons, elles font l’objet d’agressions et de violences endémiques de tous genres, notamment de viols. Elles sont des victimes, au même titre que tout le monde, de l’effondrement chronique de l’État ainsi que de la violence et de l’omniprésence des crimes ». Il s’agit là d’une conclusion indéfendable en l’espèce.

 

La Cour ajoute, au paragraphe 38 de la décision, que :

[l]a décision contestée a été rendue le 25 mai 2010, c’est-à-dire quatre mois seulement après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 à Haïti. Devant la Cour, la demanderesse allègue que [traduction] « [i]l y a une épidémie de viols à Haïti, exacerbée par le tremblement de terre ». Il semble que depuis le tremblement de terre, quelque 1,5 million de personnes ont été déplacées et vivent dans la promiscuité, dans des camps ou ailleurs, dans des conditions extrêmes et sans protection adéquate, selon le cas. Compte tenu du fait que la crainte de persécution a un caractère prospectif, la Cour s’attend à ce qu’il y ait une évaluation complète et objective des documents les plus récents sur les viols et la violence sexuelle dont les femmes et les enfants sont victimes en Haïti, dans le contexte de la situation particulière de la demanderesse et de celui de la situation qui s’aggrave de plus en plus dans ce pays.

[Je souligne]

[35]           Toutefois, en l’espèce, la Commission a conclu à l’existence d’un risque en Haïti. La Cour a explicitement renvoyé à la preuve documentaire qu’invoque Mme Gilot et conclu que les femmes haïtiennes courent effectivement un risque d’être victimes de viol. Toutefois, il restait loisible à la Commission d’estimer qu’il serait improbable, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Gilot soit attaquée par des bandits et des violeurs dans sa situation particulière. Aux fins de l’analyse fondée sur l’article 96, la Commission a pris en compte toutes les caractéristiques particulières de Mme Gilot ayant été portées à son attention. Notamment, elle a pris en compte le fait que sa famille est toujours en Haïti, que si elle rentrait en Haïti, elle habiterait avec son mari et ne vivrait vraisemblablement pas dans la tente où elle vivait après son retour des États‑Unis, et qu’elle continuerait de bénéficier du soutien de ses parents et de ses amis. De fait, adopter la position de Mme Gilot signifierait que toutes les femmes haïtiennes qui seraient perçues comme riches et qui seraient victimes d’une attaque aux mains de bandits auraient droit à l’asile en application de l’article 96. Cette proposition est indéfendable.

 

[36]           Pour arriver à cette conclusion, je m’appuie sur la décision du juge de Montigny dans Barthelemy, précitée, aux paragraphes 18-19 :

[l]a demanderesse a fait valoir que le tribunal n’avait pas tenu compte de ses caractéristiques particulières avant de conclure que sa crainte subjective reposait non pas sur son sexe, mais découlait plutôt d’actes de banditisme. À cet égard, voici ce que le tribunal écrivait

 

[11]  [...] La demandeure d’asile a ajouté qu’elle se sentait vulnérable puisqu’elle n’avait pas de mari. Le dossier est fondé sur le récit, raconté par la demandeure d’asile, de deux attaques par des chimères : l’une d’entre elles a eu lieu en mai 2005, et l’autre, en août 2009. Le tribunal ne voit pas de lien entre ces deux crimes et ne considère aucun de ces crimes comme un crime fondé sur le sexe; le tribunal croit donc qu’ils ne sont pas liés à la Convention. Le dossier sera analysé suivant le paragraphe 97(1) de la Loi. Il n’est pas possible de déterminer le motif de l’attaque de 2005 contre la demandeure d’asile et sa belle-fille. Il n’y a aucune raison de croire que l’attaque était un crime fondé sur le sexe. Aucune des deux femmes n’a été victime d’agression sexuelle. Les bandits ont pris l’argent, ont tiré en direction des femmes et sont partis.

 

Cette analyse du tribunal me paraît tout à fait raisonnable et s’appuie sur les faits portés à sa connaissance. Rien dans la preuve ne permet d’établir que la demanderesse a été ciblée en raison de son sexe ou même du fait qu’elle serait veuve et donc plus vulnérable. Tout porte en effet à croire que la première agression était uniquement motivée par le vol; d’autre part, la demanderesse n’était même plus présente en Haïti lorsque son commerce abandonné a été la cible de vandalisme. Dans ces circonstances, il était loisible au tribunal de conclure que les infractions criminelles sur lesquelles s’appuie la demanderesse pour se dire victime de persécution auraient tout aussi bien pu être commises contre un homme. Il est de jurisprudence constante que la crainte d’agressions criminelles ne constitue pas, en soi, de la persécution liée à l’un des cinq motifs prévus à la Convention. Pour que les femmes soient reconnues comme un groupe social, la preuve doit démontrer qu’elles sont victimes de graves violations de leurs droits humains fondamentaux en raison de leur sexe (voir Lorne Waldman, The Definition of Convention Refugee, Markham (Ont.), Butterworth, 2001, au para 8 288). Tel n’est pas le cas dans la présente instance.

 

[37]           Même en retenant l’hypothèse que, contrairement à ce qui s’est produit dans l’affaire Barthelemy, la fille de Mme Gilot a été violée, les conclusions détaillées et raisonnables de la Commission en ce qui concerne la crédibilité de la demanderesse justifient sa décision.

 

[38]           Compte tenu de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé la certification d’une question de portée générale et aucune telle question n’est énoncée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                              la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                              aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        IMM-9856-12

 

INTITULÉ :                                      INETIDE GILOT ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             23 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Madame la juge Gagné

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jessica Lipes

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lyne Prince

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jessica Lipes

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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