Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130626

Dossier : IMM-7850-12

Référence : 2013 CF 710

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

G.M.

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 30 juillet 2012 par laquelle une agente principale (l’agente) a refusé la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen hongrois d’origine ethnique rome. En 2001, il est entré au Canada et a déposé une demande d’asile. En 2003, sa demande a été rejetée, et il a quitté le Canada en 2004.

[3]               À son retour en Hongrie, le demandeur a commencé à travailler pour une politicienne en vue et militante des droits des Roms qui a fini par être élue au Parlement européen. Ils ont travaillé en étroite collaboration, ont développé une relation intime et sont maintenant mariés. Après le mariage, le demandeur a pris le nom de son épouse.

[4]               L’épouse du demandeur s’est attiré une grande notoriété en raison de son travail d’enquête sur les crimes commis contre les Roms et de son militantisme politique. Le demandeur l’accompagnait dans tous ses déplacements et il lui arrivait parfois de travailler directement sur des programmes auxquelles elle participait.

[5]               À au moins deux reprises, le demandeur a fait l’objet de menaces lors de manifestations au cours desquelles des manifestants néonazis étaient présents. Le premier incident s’est produit en 2008. Un homme a pointé le demandeur du doigt et lui a dit qu’il mourrait à minuit. Le second incident s’est produit plus tard en 2008 : un groupe qui avait des liens avec le parti Jobbik était présent. Le demandeur s’est identifié au maire de la ville, qui était un ancien camarade de classe, sans se rendre compte qu’il appuyait le Jobbik. Le demandeur a commencé à craindre pour sa sécurité.

[6]               Une fois, en 2009, le demandeur se trouvait seul chez lui à Budapest. Des néonazis se sont attroupés devant son domicile et ils ont commencé à jeter des verres sur sa maison. La police a refusé d’intervenir et l’épouse du demandeur a fini par appeler une relation qu’elle avait avec un chef de police d’une autre ville. Ce dernier lui a dit qu’il ne pouvait probablement rien faire pour ce qui se passait à Budapest, mais peu de temps après, le demandeur a entendu le propriétaire d’un bistro voisin rappeler les membres du groupe à l’intérieur.

[7]               Malgré ces incidents, l’épouse du demandeur voulait demeurer en Hongrie et continuer à militer pour les droits de la personne. Toutefois, à l’été 2011, elle a estimé que la situation avait empiré à tel point pour les Roms en Hongrie qu’elle et le demandeur devaient quitter le pays.

[8]               Le demandeur et son épouse se sont enfuis pour le Canada en 2011. Sa femme est arrivée en premier avec ses enfants et ils ont présenté une demande d’asile à leur arrivée. Le demandeur est arrivé trois jours plus tard et a obtenu à son arrivée un visa de visiteur valide pour six mois. Normalement, le demandeur aurait joint sa demande d’asile à celle de sa femme, mais, comme il avait déjà présenté une demande d’asile, il n’était pas admissible à en présenter une autre.

[9]               En juin 2012, le demandeur a fait l’objet d’une mesure d’expulsion. Il a demandé un ERAR qui était principalement fondé sur la déclaration de sa femme (déclaration qui est confidentielle). L’épouse du demandeur a déclaré qu’elle craignait que le demandeur soit ciblé parce que les autorités hongroises présumeraient qu’elle lui avait révélé des secrets d’État. Elle a déclaré qu’elle était disposée à témoigner à ce sujet, mais elle a refusé de faire une déposition écrite. Le demandeur a également réclamé d’être reçu en entrevue.

[10]           L’agente a examiné la demande d’ERAR du demandeur et l’a rejetée le 30 juillet 2012.

DÉCISION À L’EXAMEN

            Audience

[11]           En raison du fait que le demandeur parlait peu l’anglais et qu’il était détenu dans un centre de détention de l’immigration, aucune déclaration sous serment n’a été fournie avec les observations qu’il avait présentées au soutien de sa demande d’ERAR. L’agente a fait observer qu’une audience visait à apprécier la crédibilité lorsque celle‑ci constituait une question sérieuse soulevée par la demande. L’agente n’a pas remis en question la crédibilité du demandeur en l’espèce et elle a par conséquent conclu qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience.

Situation en Hongrie

[12]           L’agente a examiné les documents sur la situation au pays qui traitaient du traitement dont les Roms faisaient l’objet en Hongrie, en portant une attention particulière au Country Reports on Human Rights Practices for 2011 du Département d’État des États‑Unis. Ce rapport affirmait que les Roms sont victimes de discrimination dans la presque totalité des domaines de la vie courante et que les partis politiques d’extrême droite tels que le Jobbik continuent à inciter à la violence contre les Roms. Le rapport traitait également du mandat et du rôle du comité indépendant chargé d’entendre les plaintes contre la police et des protecteurs du citoyen chargés de défendre les droits des minorités ethniques.

[13]           L’agente a examiné le document HUN103822.EF de la CISR, dans lequel il était question des incidents survenus lors de manifestations de groupes d’extrême droite organisés en Hongrie contre des Roms. Le rapport signalait qu’une fois la police avait évacué des Roms d’un village et qu’une autre fois elle avait érigé des barricades pour repousser les manifestants du Jobbik. Le rapport signalait également que le parlement hongrois avait récemment adopté des lois plus strictes contre les discours haineux.

[14]           Le document HUN103232.EF faisait état de la brutalité policière et du profilage racial dont les Roms faisaient l’objet et relatait que bon nombre de victimes craignaient de s’adresser aux tribunaux ou d’aviser les ONG. Ce document relatait également les mesures prises en 2009 par la police pour enquêter sur les crimes commis contre les Roms et pour trouver de solutions aux problèmes de la discrimination et des crimes commis contre les Roms. Il était également question dans ce rapport de l’Autorité pour l’égalité du traitement, qui est chargée d’enquêter sur les plaintes de discrimination contre les autorités publiques, et des nouvelles lois qui avaient été adoptées pour permettra la mise sur pied d’un plus grand nombre de collectivités autonomes minoritaires.

[15]           Le demandeur a également produit la déposition de deux experts en matière de droits des Roms, M. Aladar Horvath et Mme Gwendolyn Albert. Monsieur Horvath a parlé de la discrimination dont il avait été victime en raison de son travail de défense des droits des Roms, mais l’agente a conclu que M. Horvath avait présenté peu de preuves documentaires pour justifier ses prétentions. Monsieur Horvath a également déclaré que le réseau qui offrait auparavant de l’aide juridique gratuite aux Roms en Hongrie avait été supprimé, mais, là encore, l’agente a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve à l’appui de cette prétention. Madame Albert a soumis des déclarations au sujet du traitement des Roms en Hongrie; l’agente a accepté le fait que les Roms étaient toujours victimes de discrimination en Hongrie et qu’ils étaient parfois maltraités par les autorités.

[16]           L’agente a estimé que la violence et le racisme contre les Roms existaient toujours en Hongrie, mais que l’État avait mis en place des mesures pour lutter contre le problème. La police a élaboré des politiques pour mieux collaborer avec la communauté rome et pour trouver des solutions aux problèmes. La Hongrie est un État démocratique doté de plusieurs organismes auxquels le demandeur pouvait s’adresser pour obtenir de l’aide. Monsieur Horvath a déclaré que ces institutions sont inefficaces, mais l’agente a estimé qu’il y avait peu d’éléments de preuve permettant de penser qu’il en était systématiquement ainsi pour tous les Roms.

[17]           L’agente a fait observer que le demandeur avait l’obligation de chercher à obtenir la protection de l’État et qu’il avait fourni peu d’éléments de preuve montrant que les menaces dont il avait fait l’objet en 2008 et 2009 se poursuivaient. De plus, ni le demandeur ni son épouse n’avaient fourni de renseignements sur les événements survenus entre 2009 et 2011 qui les avaient décidés à quitter la Hongrie. Ils avaient présenté peu d’éléments de preuve sur le type de protection de l’État qu’ils auraient demandée et qui leur aurait été refusée après l’expiration du mandat de l’épouse du demandeur au Parlement européen en 2009.

[18]           L’épouse du demandeur a déclaré qu’elle craignait que le demandeur ne soit persécuté s’il devait retourner en Hongrie, parce que les autorités pourraient croire qu’il avait eu accès à des secrets d’État qu’elle connaissait. Elle n’était pas disposée à mettre ces détails par écrit. L’agente a souligné que le demandeur avait soumis peu d’éléments de preuve ou de renseignements tendant à démontrer que lui ou les membres de sa famille avaient été ciblés en raison de la grande notoriété dont jouissait sa femme. Il incombait au demandeur de présenter tous les renseignements pertinents et, comme nous l’avons déjà signalé, il n’était pas nécessaire de tenir une audience étant donné que la crédibilité du demandeur n’était pas remise en question.

[19]           L’agente a fait observer que la magistrature hongroise continuait à être libre et indépendante et que, si jamais le demandeur était persécuté en raison de la présomption qu’il est au courant d’un « secret d’État », il pourrait s’adresser aux tribunaux et aux autorités et réclamer leur aide. Le demandeur a soumis peu d’éléments de preuve démontrant qu’il ne serait pas en mesure d’obtenir l’aide des autorités au besoin à son retour en Hongrie.

[20]           Vu ce qui précède, l’agente a conclu que le demandeur n’était pas visé par les articles 96 et 97 de la Loi et elle a rejeté sa demande de protection.

QUESTIONS EN LITIGE

[21]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.                  Le refus de l’agente de tenir une audience a‑t‑il eu pour effet de porter atteinte aux droits du demandeur à l’équité procédurale?

2.                  L’agente a‑t‑elle omis d’appliquer le critère de la persécution prévu à l’article 96 de la Loi ou a‑t‑elle mal appliqué ce critère?

3.                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la protection de l’État en tirant une conclusion déraisonnable vu l’ensemble de la preuve et/ou en n’appliquant pas le bon critère?

NORME DE CONTRÔLE

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs formant l’analyse relative à la norme de contrôle.

[23]           En ce qui concerne la décision de l’agent chargé de l’ERAR au sujet de l’opportunité de tenir une audience, la jurisprudence de la Cour fédérale est partagée en ce qui a trait à la réponse à la question de savoir s’il s’agit essentiellement d’une question d’équité procédurale (Prieto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 253; Sen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1435), ou d’une question d’appréciation des faits commandant la déférence (Puerta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 464; Marte c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection publique), 2010 CF 930). La juge Judith Snider a abordé cette question dans le jugement Mosavat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 647, dans lequel elle déclare, au paragraphe 9 :

Selon moi, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. La tâche de l’agent est d’analyser la pertinence de tenir une audience compte tenu du contexte particulier d’un dossier et d’étudier les faits en question à la lumière des facteurs prévus à l’article 167 du Règlement. Ainsi, il s’agit d’une question mixte de faits et de droit. Comme la Cour suprême l’a maintenu au paragraphe 53 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, les questions mixtes de faits et de droit requièrent la retenue et sont susceptibles de contrôle en fonction de la norme de la raisonnabilité.

 

 

Ce raisonnement a été suivi dans les jugements Rajagopal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1277, Adetunji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 708, et Brown c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1305.

[24]           Bien que la décision de l’agent de mener ou non une audience soit habituellement assujettie à la norme de la décision raisonnable, le demandeur a soulevé, dans la présente demande, des questions qui ne se limitent pas, comme c’est habituellement le cas, à se demander si la demande d’ERAR soulève des questions de crédibilité. Le droit du demandeur de présenter sa preuve en entier est une question d’équité procédurale qui sera donc évaluée en fonction de la norme de la décision correcte (Xu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 718, Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], au paragraphe 22).

[25]           Dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada explique, au paragraphe 100, qu’« [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». En outre, dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d’appel fédérale a jugé comme suit : « La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. »

[26]           L’interprétation du bon critère juridique de la « persécution » est une question de droit qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Leshiba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 442). Toutefois, l’analyse de la question de la persécution porte sur l’interprétation de la preuve et elle est donc assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Alhayek c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1126, au paragraphe 49).

[27]           Dans le jugement Pacasum c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 822, le juge Yves de Montigny a indiqué au paragraphe 18 que la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit qui doit être évaluée selon la norme de la décision raisonnable (voir également le jugement Estrada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 279; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Abboud, 2012 CF 72). De plus, la Cour d’appel fédérale a jugé, dans l’arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, que la norme de contrôle applicable aux conclusions tirées au sujet de la protection de l’État était celle de la décision raisonnable. Toutefois, lorsqu’il s’agit de savoir si c’est le bon critère qui a été appliqué à la protection de l’État, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte (Cosgun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, au paragraphe 30; Koky c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1407, au paragraphe 19).

[28]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[29]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[…]

 

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

[…]

 

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

[…]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in

accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

 

[…]

 

113. Consideration of an application for protection

shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only

new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

[…]

 

[30]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) s’appliquent au cas qui nous occupe :

Facteurs pour la tenue d’une audience

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

*       a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

*        

*       b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

*        

*       c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

*        

Hearing – prescribed factors

 

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

*       (a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

*       (c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

*        

 

ARGUMENTS

Le demandeur

            Dossier certifié du tribunal

 

[31]           Suivant le demandeur, on trouve dans le dossier certifié du tribunal (DCT) une décision rendue à l’issue d’un contrôle de la détention et environ 85 pages extraites du manuel du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (le SSOBL). On ne sait pas avec certitude si l’agente a examiné ces documents. Le demandeur voudrait que les pages 362 à 455 soient retranchées du DCT. À titre subsidiaire, le demandeur souhaite que les pages en question soient scellées, étant donné qu’elles renferment des renseignements personnels le concernant et concernant son épouse.

            Audience

[32]           Le demandeur affirme qu’en refusant de tenir une audience, l’agente a porté atteinte aux droits à l’équité procédurale qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177 [Singh], au paragraphe 47). Le demandeur est détenu au centre de détention de Toronto-Est et il n’a pas pu prendre les dispositions nécessaires pour obtenir les services d’un interprète hongrois dans le délai prévu pour sa demande d’ERAR. Il a par conséquent dû s’en remettre à la déclaration de sa femme pour présenter sa demande et il a réclamé une entrevue.

[33]           Le demandeur affirme que, compte tenu des circonstances uniques de l’espèce, l’agente aurait dû l’interroger et interroger sa femme. En raison de la nature délicate des renseignements relatifs à son épouse et des contraintes inhérentes à sa détention et à cause de ses contraintes linguistiques, le demandeur n’a pas été en mesure de soumettre un affidavit à l’appui de sa demande ou de présenter sa preuve correctement. L’épouse du demandeur n’a même pas fourni de renseignements personnels détaillés dans le Formulaire de renseignements personnels qu’elle a joint à sa demande d’asile et il était déraisonnable de la part de l’agente de s’attendre à ce qu’elle le fasse.

[34]           Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Singh, les décisions rendues sur dossier suffisent parfois à satisfaire aux exigences de l’équité fondamentale, mais pas toujours. Bien que l’affaire Singh concernât des conclusions défavorables tirées au sujet de la crédibilité en l’absence d’audience, il est clair que les circonstances uniques de la présente affaire ont privé le demandeur de la possibilité de faire véritablement valoir son point de vue. L’agente a conclu qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour confirmer les expériences et menaces que le demandeur aurait vécues en Hongrie; cette insuffisance d’éléments est directement liée à la capacité limitée du demandeur et de son épouse de présenter leur preuve.

[35]           L’article 167 du Règlement est axé sur des questions de crédibilité, mais la décision de l’agente de tenir ou non une audience est une décision discrétionnaire (Ventura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 871). La décision de l’agente de ne pas tenir d’audience en l’espèce reposait sur le fait qu’aucune conclusion défavorable n’avait été tirée au sujet de la crédibilité; le demandeur affirme que l’agente a par conséquent commis une erreur en interprétant le Règlement de manière à limiter son pouvoir discrétionnaire de mener une audience.

[36]           À titre subsidiaire, le demandeur affirme que, si le Règlement entrave effectivement le pouvoir discrétionnaire de l’agente de tenir une audience dans une situation comme celle du demandeur, il entrave de façon irrégulière le pouvoir discrétionnaire de l’agente de tenir une audience lorsque les principes de justice fondamentale en exigent la tenue. Si la justice fondamentale exige la tenue d’une audience, les articles du Règlement qui la restreignent sont incompatibles avec l’article 7 de la Charte.

[37]           Dans le cas qui nous occupe, le demandeur n’a pas eu l’occasion de répondre aux préoccupations formulées par l’agente au sujet de l’insuffisance de la preuve. En refusant de tenir une entrevue en dépit des demandes du demandeur et de sa femme, l’agente a porté atteinte aux droits à l’équité procédurale du demandeur, d’autant plus qu’elle avait vraisemblablement besoin de renseignements complémentaires.

Persécution

[38]           Le demandeur affirme, dans sa demande d’ERAR, qu’il risque d’être persécuté en Hongrie du fait de ses origines ethniques, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social (sa famille). L’agente a accepté que les agressions dont le demandeur et sa femme affirmaient avoir été victimes ont bel et bien eu lieu en 2008 et 2009, mais elle a estimé qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur avait fait l’objet de menaces en 2010 et 2011. Le demandeur affirme qu’en tirant cette conclusion, l’agente a commis une erreur en confondant le critère de l’article 96 et celui de l’article 97 de la Loi, en se concentrant sur la question de savoir si le demandeur avait été « personnellement » ciblé au lieu de se demander si la persécution dont il avait fait l’objet était fondée sur son origine ethnique, ses opinions politiques et son appartenance à un groupe social.

[39]           S’agissant de l’analyse fondée sur l’article 96, le présumé « hiatus » dans les menaces en 2010 et 2011 ne permet guère de trancher la question. L’agente a l’obligation d’examiner la persécution dont font l’objet les membres du groupe auxquels le demandeur appartient pour déterminer s’il existe plus qu’une simple possibilité ou une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté. L’article 96 n’exige pas que le risque auquel le demandeur serait exposé soit un risque personnel (Voskova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1376 aux paragraphes 30 à 34).

[40]           L’agente avait en main une abondante preuve documentaire qui évoquait un contexte dans lequel on assistait à la montée de l’extrême droite, à des actes discriminatoires graves et systémiques, à des violences à caractère raciste et à de la brutalité policière contre les Roms en Hongrie. L’agente disposait d’éléments de preuve précis portant sur les personnes se trouvant dans une situation semblable à celle des demandeurs et faisant notamment état d’agressions dont des militants roms bien en vue avaient fait l’objet.

[41]           Compte tenu du critère de l’article 96 et des éléments de preuve portant sur des personnes se trouvant dans une situation semblable que l’on trouvait dans les documents à l’appui soumis par le demandeur, ce dernier affirme que l’agente a commis une erreur en s’attardant uniquement à la question de savoir s’il était ciblé en 2010 et 2011. L’agente n’a pas appliqué le critère de la persécution prévu à l’article 96 ou l’a mal appliqué.

[42]           Le demandeur affirme en outre que l’agente n’a pas examiné correctement la question de savoir si la discrimination dont les Roms faisaient l’objet en Hongrie était assimilable à de la persécution, comme le démontrait de façon accablante la preuve documentaire que le demandeur avait soumise à l’appui de sa demande. L’agente a également conclu, s’agissant de l’un des rapports d’expert, que la discrimination n’était pas systémique, ce que contredisait nettement une grande partie de la preuve documentaire. Le demandeur affirme par conséquent que l’analyse de l’agente à cet égard est déraisonnable.

Protection de l’État

[43]           Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de conclure que le demandeur aurait dû chercher à obtenir la protection d’organismes de défense des droits de la personne et des tribunaux en Hongrie. Le demandeur affirme en outre que, compte tenu de la preuve documentaire, il était déraisonnable de la part de l’agente de conclure que le demandeur pouvait s’attendre à ce que la police hongroise le protège.

[44]           Suivant la jurisprudence de la Cour fédérale, la police est la seule institution qui est censée assurer la protection des citoyens d’un pays (Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, aux paragraphes 24 et 25). Il était donc déraisonnable de la part de l’agente de s’attendre à ce que le demandeur s’adresse à des organismes de défense des droits de la personne pour assurer sa protection.

[45]           Qui plus est, compte tenu du fait qu’il est possible qu’on cible le demandeur parce qu’on estime qu’il est au courant de secrets d’État impliquant les autorités dans des violations des droits de la personne, la conclusion de l’agente suivant laquelle le demandeur peut s’attendre à recevoir la protection de ces mêmes autorités était déraisonnable. Premièrement, le demandeur craint les personnes mêmes auxquelles l’agente s’attend à ce qu’il s’adresse pour obtenir leur protection. Deuxièmement, suivant la preuve documentaire, et notamment un rapport de Human Rights Watch, des changements récents apportés au système judiciaire ont eu pour effet de compromettre sérieusement l’indépendance de la magistrature en Hongrie.

[46]           Il ressort de la preuve documentaire que les Roms ne peuvent compter sur une protection suffisante de l’État en Hongrie et que la police continue à commettre des actes de violence envers les Roms. Les attitudes discriminatoires et le profilage racial créent des obstacles importants qui empêchent les Roms d’accéder à la justice. Le demandeur affirme que la possibilité de compter sur la protection de l’État doit être examinée en tenant compte du contexte des attitudes de plus en plus intolérantes et racistes dont les Roms sont victimes en Hongrie. Ainsi que Mme Alberts le déclare dans son affidavit, le ciblage des Roms par les groupes politiques est en train de devenir un problème de plus en plus sérieux.

[47]           Les exemples isolés des mesures prises par la police citées par l’agente ne démontrent pas que les Roms peuvent compter sur une protection suffisante de l’État en Hongrie. Au contraire, les exemples de problèmes systématiques dont les Roms font l’objet indiquent qu’ils ne peuvent probablement pas compter sur une protection suffisante de l’État. Le demandeur affirme que l’agente ne lui a pas expliqué pourquoi elle préférait les exemples isolés en question aux autres éléments de preuve.

[48]           Le demandeur affirme également que l’agent a commis une erreur en appliquant le critère des « efforts sérieux » dans son analyse de la protection de l’État. La protection de l’État n’est pas déterminée en fonction de la volonté d’un État d’assurer la protection; la protection de l’État qui est offerte doit être efficace et être raisonnablement assurée (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, aux paragraphes 48 et 49; Mendoza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119, au paragraphe 33). Ainsi que la Cour l’a dit au paragraphe 17 du jugement Streanga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 792 :

Dans la décision Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, la Cour a jugé qu’un État n’accomplit pas de « sérieux efforts » pour protéger les femmes contre le préjudice de la violence familiale en prenant simplement des initiatives de bonne foi. La Cour a déclaré au paragraphe 14  :

 

On ne saurait dire que l’État fait de « sérieux efforts » pour protéger les femmes du seul fait qu’il prend certaines mesures préventives avec diligence, par exemple en instituant des commissions d’enquête chargées d’examiner la réalité de la violence contre les femmes, en créant des postes de médiateurs chargés de recevoir les plaintes de femmes contre l’inertie policière, ou en organisant à l’intention des policiers des séminaires destinés à les sensibiliser à l’égalité des sexes. De tels efforts ne prouvent pas que l’État assure concrètement la protection des femmes, en d’autres termes, qu’il est capable, à l’heure actuelle de les protéger […]

 

[49]           L’agent cite plusieurs exemples de mesures mises en place par le gouvernement hongrois et conclut que [traduction] « l’État a reconnu que la discrimination à laquelle les Roms sont exposés est un problème et il a déployé des efforts sérieux pour protéger les Roms ». Le demandeur affirme que l’agente a commis une erreur de droit en se concentrant sur les efforts déployés par l’État au lieu de se demander si la protection offerte par l’État était suffisante sur le terrain.

Le défendeur

            Dossier certifié du tribunal

[50]           Le défendeur s’oppose à ce que les pages dont le demandeur réclame la suppression du DCT soient retranchées de celui‑ci. Le défendeur est disposé à ce que les pages qui concernent l’épouse du demandeur soient scellées en conformité avec l’ordonnance initiale de confidentialité, mais il affirme que le nombre de ces pages qui concernent l’épouse du demandeur est minime. Selonu le défendeur, il n’est nécessaire de sceller que les pages 362 à 365, 367, 400 et 408.

Audience

 

[51]           La décision de tenir une audience relève entièrement de la discrétion of l’agente; [traduction] « la question de la possibilité de tenir une audience sera toujours une question qui dépend de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, et non une question de droit » (L.Y.B. v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2009 FC 1167, au paragraphe 19). Les audiences ne sont censées avoir lieu que dans des circonstances exceptionnelles (Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 89, au paragraphe 38).

[52]           Il incombe au demandeur de soumettre à l’agente sa meilleure preuve pour appuyer sa demande d’ERAR. Dans le jugement Pareja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1333, la Cour déclare ce qui suit, au paragraphe 26 :

Une audition n’aurait rien donné de plus au demandeur puisqu’il a eu pleine opportunité de faire valoir ses moyens et de soumettre toute la preuve documentaire et les observations écrites jugées nécessaires pour soutenir ses prétentions. L’agente ERAR ne conclut pas dans sa décision que le demandeur n’est pas crédible, mais bien qu’il ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve de démontrer un risque personnalisé. Cette conclusion est parfaitement justifiée et possible au regard de la nature de la preuve offerte ici et du droit. Bref, il s’agit encore une fois d’une conclusion raisonnable qui ne justifie pas l’intervention de cette Cour.

 

 

[53]           L’agente n’avait pas l’obligation de confronter le demandeur à l’insuffisance de sa preuve. Ainsi que la Cour l’a déclaré au paragraphe 22 du jugement I.I. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 892 [I.I.], « le rôle de l’agent d’ERAR est d’évaluer et de soupeser les éléments de preuve qui lui sont soumis et de tirer une conclusion raisonnable, et non pas d’énoncer, pour le demandeur, les éléments de preuve que ce dernier devrait fournir en vue de s’acquitter de son fardeau ».

[54]           L’agente a fait observer que le demandeur était détenu et parlait peu l’anglais de sorte qu’il souhaitait se fonder sur les faits allégués dans l’affidavit de son épouse. L’agente a accédé à sa demande. L’agente a signalé que l’audience avait pour objet d’examiner les problèmes de crédibilité, de sorte qu’elle a refusé de permettre à l’épouse du demandeur de témoigner dans le cadre d’une audience. Même si des problèmes de crédibilité sont soulevés, cela crée uniquement une présomption quant à la tenue d’une audience et la question relève entièrement du pouvoir discrétionnaire de l’agente (Yakut c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 628). On ne peut raisonnablement s’attendre à ce que l’audience ait lieu simplement parce que le demandeur l’a demandée.

[55]           L’audience n’est pas censée donner au demandeur la possibilité d’améliorer sa preuve (Iboude c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1316, au paragraphe 14). Or, c’est essentiellement ce que le demandeur réclame en l’espèce; il soutient qu’une audience aurait dû être convoquée pour permettre à son épouse de témoigner. Il incombait au demandeur de soumettre dès le départ ses meilleurs éléments de preuve, et l’agente n’a commis aucune erreur en relevant les lacunes de la preuve présentée. Le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part de l’agente de refuser de tenir une entrevue.

[56]           Lorsqu’il conclut que la preuve présentée n’a pas une valeur probante suffisante, l’agent ne se prononce pas sur la crédibilité de la personne qui lui fournit la preuve, de sorte qu’aucune entrevue n’est requise (Mosavat, précité). Le demandeur n’a pas démontré que la tenue d’une audience était nécessaire, souhaitable ou raisonnablement requise compte tenu des circonstances de l’espèce.

Persécution

[57]           Le défendeur qualifie par ailleurs de raisonnable la conclusion de l’agente suivant laquelle le demandeur n’était pas exposé à risque de persécution. Lors des deux premiers incidents survenus en 2008 et 2009, la police était sur place et a empêché toute violence, et aucune menace et aucun acte de persécution n’ont eu lieu à la suite de ces incidents. Lors du troisième incident au cours duquel des objets ont été projetés en direction du domicile du demandeur, les actes ont cessé après que le propriétaire d’un bar eut interpelé les agresseurs pour qu’ils se dispersent. Le demandeur et son épouse ont continué à vivre en Hongrie pendant plus de deux ans après ce dernier incident et, au cours de cette période, aucun autre incident n’est survenu et ils n’ont jamais demandé la protection de la police. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve au sujet d’incidents récents et les menaces qu’il a reçues dans le passé ne se sont jamais matérialisées et n’ont jamais donné lieu à de la persécution.

[58]           Le demandeur affirme que l’agente a « confondu » les critères du risque prévus aux articles 96 et 97 en obligeant le demandeur à démontrer qu’il était personnellement exposé à un risque de persécution. L’agente avait toutefois le droit d’évaluer la situation personnelle du demandeur pour se prononcer sur le risque de persécution auquel il serait exposé à son retour en Hongrie. Au cours des deux années précédant son départ de la Hongrie, ni le demandeur ni sa femme n’ont fait l’objet de menaces. Ce facteur jouait certainement sur les probabilités que le demandeur soit victime de persécutions à son retour en Hongrie.

[59]           Qui plus est, l’agente a expressément examiné les risques auxquels le demandeur était exposé en tant que Rom. Le fait que la preuve documentaire démontre que des Roms ont été attaqués en 2010 et 2011 ne signifie pas nécessairement que le demandeur risque d’être agressé. Le demandeur soutient que l’agente avait l’obligation de tenir compte des personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne, mais l’agente a expressément examiné le traitement dont les Roms faisaient l’objet et la possibilité pour eux d’obtenir de l’aide en Hongrie. Quoi qu’il en soit, toute conclusion de risque fondée sur ces facteurs était atténuée par la conclusion de l’agente suivant laquelle les demandeurs pouvaient compter sur la protection de l’État.

 

 

Protection de l’État

 

[60]           Le défendeur affirme que le demandeur demande essentiellement à la Cour de réévaluer la preuve relative à la protection de l’État. Le défendeur affirme que la conclusion tirée par l’agente à cet égard commande la déférence (Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1063, au paragraphe 17; James c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 318, aux paragraphes 16 et 17). Plusieurs décisions récentes de notre Cour appuient la conclusion de l’agente selon laquelle les Roms pouvaient compter sur la protection de l’État en Hongrie (Matte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 761; Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 253; Balogh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 216; Banya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 313).

[61]           Le demandeur allègue qu’il ne pourra compter sur la protection de l’État parce qu’il sera perçu comme ayant eu accès à des « secrets d’État ». Toutefois, rien ne permet de penser que ces secrets d’État portent sur des renseignements qui ont été récemment obtenus. Le demandeur habitait en Hongrie jusqu’en 2011 et n’a jamais été ciblé en raison de la connaissance qu’il aurait de secrets d’État. Le demandeur a choisi de ne pas fournir de détails au sujet des secrets d’État en question dans sa demande et, à défaut de preuve justifiant cette allégation, le demandeur n’a pas démontré qu’il serait ciblé par les autorités ou que celles‑ci ne seraient pas disposées à l’aider. Les assertions du demandeur sont vagues et elles n’ébranlent nullement le caractère raisonnable de la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur peut compter sur la protection de l’État.

[62]           Le demandeur affirme que la police est la seule institution qui est censée assurer la protection des citoyens d’un pays. Toutefois, dans d’autres décisions, notre Cour affirme que les demandeurs d’asile sont censés chercher à obtenir de l’aide auprès d’autres ressources (Granados c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 210; Romero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 977; Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 134; Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 971).

[63]           Le demandeur affirme également que l’agente a eu tort d’appliquer le critère des « efforts sérieux » pour apprécier la protection de l’État. La Cour d’appel fédérale a déclaré, au paragraphe 7 de l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] ACF no 1189 [Villafranca], que le critère, en matière de protection de l’État, consiste à se demander si l’État a « fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens ». Le demandeur affirme que la Cour devrait intégrer un critère d’« efficacité » à l’analyse de la protection de l’État, mais le défendeur maintient que l’arrêt Villafranca s’applique toujours.

[64]           La Cour d’appel fédérale a reformulé le critère dans l’arrêt Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 30 :

La preuve aura une valeur probante suffisante si elle convainc le juge des faits de l’insuffisance de la protection accordée par l’État considéré. Autrement dit, le demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante.

 

 

[65]           La Cour fédérale a suivi cet arrêt dans le jugement Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 723, aux paragraphes 8 à 11 :

Les demandeurs ont fait valoir dans leurs observations écrites que le critère juridique applicable à la protection de l’État est celui de savoir si la protection offerte est efficace, citant Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 320, [2008] 1 R.C.F. 3. Entre les dates du dépôt des observations et de l’audience, cette décision a été infirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Carrillo, 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. no 399 qui a confirmé que le critère applicable n’est pas en soi celui de l’efficacité, mais plutôt celui du caractère adéquat.

 

Les demandeurs soutiennent néanmoins qu’il reste que le tribunal de la SPR a commis une erreur en ne vérifiant pas si les mesures qu’il avait jugées adéquates offraient au moins une efficacité minimale.

 

Bien que cet argument soit intéressant, j’estime qu’il ne fait pas partie de l’état actuel du droit au Canada. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Carrillo, l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, précise que la protection aux réfugiés est une protection supplétive fournie en l’absence de protection par l’État dont le demandeur a la nationalité. Lorsque cet État est une société démocratique, telle que le Mexique, même si le demandeur fait face à des problèmes importants, dont la corruption et autres formes de criminalité, la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption sera plus élevée. Il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

 

Les efforts sérieux déployés pour assurer la protection qui ont été constatés par le commissaire appuient la présomption formulée dans l’arrêt Ward. L’imposition d’un critère d’efficacité à l’égard des autorités des autres pays reviendrait à demander à ceux-ci d’accomplir ce que notre propre pays n’est pas toujours en mesure de faire.

 

 

[66]           D’autres décisions récentes ont également confirmé que le critère applicable à la protection de l’État n’était pas celui du caractère efficace, mais celui du caractère adéquat (Samuel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 762, au paragraphe 13; Mendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, au paragraphe 23). Ainsi que la Cour l’a confirmé dans le jugement Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 126, aux paragraphes 26 à 28 :

Le défendeur fait valoir que la jurisprudence démontre aussi que les États sont présumés être capables de protéger leurs ressortissants, sauf preuve claire et convaincante, et particulièrement lorsqu’ils sont démocratiques. Un demandeur doit démontrer qu’il a épuisé tous les recours à sa disposition (Flores Carrillo c Canada (MCI), 2008 CAF 94 au paragraphe 38; Park c Canada (MCI), 2010 CF 1269, au paragraphe 51; Canada (MEI) c Villafranca, [1992] ACF no 1189 (QL), au paragraphe 7). Par ailleurs, la Section du statut de réfugié peut tirer des conclusions sur l’existence de la protection de l’État dispensée par d’autres organisations que la police (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 57). Le critère applicable à la protection de l’État n’est pas le caractère efficace, mais le caractère adéquat et le tribunal a conclu avec raison qu’elle n’avait pas été réfutée (Samuel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 762, au paragraphe 13; Cosgun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 400, aux paragraphes 42 et 43).

 

À mon avis, le commissaire a appliqué le bon critère et est parvenu à une conclusion raisonnable. Il a traité des problèmes de discrimination en Hongrie ainsi que de la question de savoir si l’État avait néanmoins la volonté et la capacité de protéger ses citoyens. Il a traité de la preuve contraire d’Amnistie internationale, de même que d’autres preuves contraires, et les a évaluées. Il a toutefois souligné que, bien qu’ils se fussent initialement adressés à la police, les demandeurs n’ont pas tenté de faire un suivi auprès de la police après avoir déposé leur plainte concernant le vol du cheval. Le commissaire a conclu qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption selon laquelle la police aurait fourni une protection adéquate s’ils l’avaient demandée.

 

Dans l’ensemble, les conclusions de fait du commissaire étaient transparentes, intelligibles et justifiées et elles appartenaient aux issues acceptables. Le commissaire a appliqué le bon critère à la question de la protection de l’État. Je conclus qu’il n’a commis aucune erreur susceptible de révision.

 

 

[67]           L’agente n’a pas appliqué le mauvais critère en ce qui concerne la protection de l’État. Elle s’est livrée à une analyse approfondie de la preuve documentaire avant d’en arriver finalement à une conclusion raisonnable. Qui plus est, l’agente a tenu compte tant des efforts sérieux déployés par l’État que des conséquences de ses efforts.

Réplique du demandeur

[68]           Dans sa réplique, le demandeur conteste la constitutionnalité de l’alinéa 113b) de la Loi et de l’article 167 du Règlement. Le défendeur se contente d’affirmer que le demandeur a l’obligation de présenter sa preuve par écrit, ce qui ne constitue pas une réponse aux contraintes qui empêchent le demandeur de présenter sa preuve et d’exposer pleinement sa cause. Le demandeur souligne que le défendeur n’a absolument pas abordé la constitutionnalité des dispositions en question.

[69]           Le demandeur affirme en outre qu’une façon de résoudre le problème d’inconstitutionnalité de ces dispositions consisterait à tenir pour inclus dans ces dispositions des termes qui permettent aux agents chargés de l’ERAR de tenir une audience lorsque les principes de justice fondamentale l’exigent. Le processus d’examen des demandes d’ERAR est en grande partie un processus d’examen sur dossier, mais c’est un processus qui est conforme aux principes de justice fondamentale parce que les questions portant sur le témoignage d’un demandeur peuvent être résolues en le convoquant à une entrevue. Dans le cas qui nous occupe, le demandeur n’a pas eu l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agente.

[70]           Quant à l’évaluation que l’agente a faite de la persécution en vertu de l’article 96, le demandeur souligne que, bien que les éléments de preuve relatifs aux actes de persécution subis dans le passé constituent une considération pertinente, ce facteur n’est pas déterminant (Voskova, précité, aux paragraphes 30 à 34). Le demandeur répète que l’agente a accordé trop d’importance au risque auquel il serait personnellement exposé, ce qui démontre son incompréhension de la définition du réfugié au sens de la Convention.

[71]           Le défendeur se fonde sur les conclusions tirées par la Cour dans d’autres affaires concernant des Roms hongrois, mais il existe une foule d’autres décisions dans lesquelles la Cour a jugé déraisonnables les conclusions tirées au sujet de la protection de l’État en Hongrie (Sebok c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1107; Goman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 643; Rezmuves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 334).

[72]           De plus, l’agente ne s’est même pas demandé si la discrimination dont le demandeur avait été victime équivalait à de la persécution, commettant ainsi une erreur (Pinter c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1119, au paragraphe 11). L’agente n’a pas non plus tenu compte de l’érosion récente dont font l’objet les institutions démocratiques en Hongrie et qui ont des incidences sur l’analyse de la protection de l’État (Capitaine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 98, au paragraphe 22).

[73]           Enfin, contrairement à ce que prétend le défendeur, le critère applicable en ce qui concerne la protection de l’État ne consiste pas à se demander si celui-ci a fait « des efforts sérieux pour assurer une protection suffisante », mais à vérifier l’existence de l’efficacité de la protection de l’État au niveau opérationnel. Pour reprendre les propos que la Cour a tenus dans le jugement Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250, au paragraphe 5 :

Ce n’est pas suffisant de dire que des mesures sont prises en vue d’offrir un jour une protection suffisante de l’État. C’est la protection concrète, actuellement offerte qui compte. La preuve établit de façon accablante en l’espèce que la Hongrie est actuellement incapable d’offrir une protection suffisante à ses citoyens roms ….

 

(Voir également le jugement E.Y.M.V. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364).

[74]           Le demandeur affirme qu’il ne demande pas à la Cour de réévaluer la preuve, ajoutant que l’analyse de l’agente était intrinsèquement incohérente et déraisonnable.

Arguments complémentaires du défendeur

[75]           Le demandeur affirme que la Loi et les Règlements sont inconstitutionnels s’ils empêchent l’agent de tenir une audience dans l’intérêt de la justice fondamentale. Le défendeur souligne que l’agente n’a jamais prétendu que son pouvoir discrétionnaire d’ordonner la tenue d’une audience était limité par la loi. L’agente a estimé qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience et non qu’elle n’avait pas le droit d’en tenir une. Elle a simplement exercé son pouvoir discrétionnaire en décidant de ne pas tenir d’audience parce qu’elle estimait que cette mesure était inutile compte tenu des faits.

[76]           Le demandeur ne cite aucune jurisprudence dans laquelle la constitutionnalité des dispositions législatives relative à l’ERAR aurait été contestée, se contentant de citer l’arrêt Singh pour affirmer que la justice fondamentale exige que l’équité procédurale soit respectée lors d’une audience. Le défendeur ne conteste pas ce fait et souligne que les dispositions législatives relatives à l’ERAR reconnaissent que, dans certains cas, la tenue d’une audience est nécessaire pour assurer l’équité de l’audience et que dans d’autres cas, cette mesure n’est pas nécessaire.

[77]           Par ailleurs, cet argument a déjà été examiné dans le jugement Abdollahzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1310, aux paragraphes 36 à 41 :

Quant au deuxième point de la question, la demanderesse soumet que l’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du RIPR limitant le droit à être entendu viva voce à certaines circonstances très restreintes, violent le droit d’être entendu de vive voix par l’agent ERAR alors que la vie, la liberté et la sécurité de la personne visée est en jeu allant ainsi à l’encontre des droits prévus à l’article 7 de la Charte.

 

L’alinéa 113b) de la LIPR mentionne de façon claire et précise que l’agent ERAR n’a aucune obligation à convoquer une audience, le tout sujet à ce qui est prévu dans la réglementation. Celle-ci à l’article 167 du RIPR ouvre la porte à la tenue d’une audience lorsque des éléments de preuve reliés aux articles 96 et  97 de la LIPR soulèvent une question importante concernant la crédibilité du demandeur. Ces éléments de preuve doivent être importants pour la prise de décision de l’ERAR au point tel que si ceux-ci sont admis cela aurait un impact déterminant sur la décision.

 

Ayant dit ceci, il est important de noter que le droit à une audience n’est pas un droit absolu. Le législateur décide si une procédure inclura une audience. Il l’a fait lorsque la LIPR est devenue loi.

 

Il est aussi important de constater que la procédure de l’ERAR permet à la personne intéressée de faire par écrit toutes les représentations appropriées. Le présent dossier en témoigne. L’agent d’ERAR étudie la demande en tenant compte de l’information telle que présentée.

 

D’ailleurs, la Cour suprême dans l’arrêt Suresh c. Canada (MCI), 2002 CSC 1 (CanLII), [2002] 1 RCS 3, précisa qu’une audition n’était pas prévue de façon automatique lorsque le cas d’une personne susceptible d’être expulsée vers un pays où elle risque la torture était à l’étude et que les dispositions de la LIPR rencontraient [sic] les principes de justice naturelle garantie par l’article 7 de la Charte. Notre Cour appliquant cette approche à la procédure de l’ERAR, décida que l’article 113 de la LIPR et l’article 167 du RIPR en n’accordant pas dans tous les cas une audience, étaient conforme aux principes de justice fondamentale et qu’il n’y avait pas violation des droits fondamentaux prévus à l’article 7 de la Charte (voir Sylla c. Canada (MCI), 2004 CF 475, par. 6, et Iboude c. Canada (MCI), 2005 CF 1316, par. 12 et 13).

 

Je conclus de la même façon. Pour ces motifs, l’article 113 de la LIPR et l’article 167 du RIPR sont conformes aux principes de justice naturelle protégés par l’article 7 de la Charte.

 

 

[78]           Le défendeur affirme que le demandeur n’a invoqué aucun argument valable permettant de remettre en question ses conclusions.

[79]           Le demandeur affirme également que l’érosion récente des institutions démocratiques en Hongrie fait en sorte qu’on se trouve devant un nouveau contexte dans lequel la protection de l’État devrait être appréciée. L’agente a toutefois examiné expressément cette question. L’agente a finalement conclu que la magistrature était toujours indépendante. Un argument semblable a été rejeté dans le jugement Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1504.

[80]           Il n’a pas été démontré que le degré de démocratie atteint en Hongrie était à ce point faible pour justifier l’application d’un critère préalable moins exigeant pour réfuter la présomption de la protection de l’État, et l’agente a examiné cette question de façon raisonnable.

ANALYSE

            Équité procédurale

[81]           Le conseil du demandeur a réclamé une entrevue pour le demandeur en raison du fait que des circonstances indépendantes de sa volonté avaient empêché celui-ci de souscrire un affidavit. Il a également réclamé une entrevue pour l’épouse du demandeur afin de permettre à cette dernière [traduction] « de fournir des détails qu’elle n’était pas disposée à mettre par écrit dans sa déclaration, mais qui sont cruciaux en ce qui concerne les risques auxquels le demandeur serait exposé » (DCT, pages 38 et 39). Le conseil a également déclaré que [traduction] « pour le moment, nous nous fondons sur les faits allégués dans la déclaration de [V.M.], l’épouse de [G.M], ainsi que sur la preuve documentaire contenue dans la trousse documentaire déposée par le conseil au sujet de la situation qui existe en Hongrie ».

[82]           L’agente a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’ordonner la tenue de l’audience réclamée parce que [traduction] « la crédibilité du demandeur n’est pas remise en question ».

[83]           Le demandeur affirme que cette décision de l’agente a entraîné une iniquité procédurale en l’espèce, mais il a peu d’éléments pour appuyer cette allégation. Il convient de signaler, d’entrée de jeu, qu’il est simplement allégué dans la demande d’entrevue que le demandeur ne peut faire de déclaration sous serment dans les délais requis. Or, aucune preuve n’a été présentée en ce sens et rien ne permet de savoir pourquoi, si le demandeur avait de la difficulté à composer avec des contraintes de temps, il n’aurait pas pu demander une prorogation de délai afin d’être en mesure de soumettre un affidavit personnel complet renfermant tous les éléments de preuve qu’il souhaitait porter à l’attention de l’agente. En ce qui concerne l’épouse du demandeur, l’agente s’est contentée de dire qu’elle [traduction] « n’est pas disposée à mettre par écrit » ce qu’elle était prête à dire dans le cadre d’une audience.

[84]           Le demandeur allègue qu’une iniquité procédurale a eu lieu en l’espèce parce que l’agente n’a pas ordonné la tenue d’une audience pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec la crédibilité. Il est toutefois de jurisprudence constante qu’il incombe au demandeur de soumettre à l’agent chargé de l’ERAR la totalité de sa preuve et de ses prétentions par écrit (I.I. précité). Je ne dispose d’aucun élément qui permette de penser que le demandeur n’aurait pas pu se conformer à cette exigence en réclamant simplement une prorogation de délai. Le demandeur a choisi de ne pas présenter d’observations écrites et de réclamer la tenue d’une audience en invoquant très peu de raisons pour justifier sa demande; il s’est contenté de laisser son conseil s’exprimer brièvement sur la question. Si la procédure reconnue — y compris une prorogation de délai — ne permettait pas au demandeur d’exposer sa cause, il lui fallait fournir davantage d’éléments de preuve ou d’explications que ceux qu’il a présentés en l’espèce.

[85]           Pour des motifs analogues, je ne crois pas que le demandeur puisse invoquer des moyens constitutionnels, vu l’ensemble des faits de l’affaire. L’agente ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve  et la Cour n’en dispose pas non plus  pour permettre de penser que le demandeur n’aurait pu présenter tous ses éléments de preuve par écrit à l’agente en réclamant une prorogation de délai ou en demandant à l’agente de ne pas divulguer de renseignements qui préoccupaient l’épouse du demandeur. Le demandeur aurait peut‑être préféré une audience, mais il n’a pas démontré qu’il ne pouvait par ailleurs pas exposer sa cause par écrit. J’en conclus donc que l’argument suivant lequel l’alinéa 113b) de la Loi et l’article 167 du Règlement sont incompatibles avec l’article 7 de la Charte ne peut être invoqué, vu les faits de la présente affaire.

Persécution au sens de l’article 96

[86]           Selon le demandeur, l’agente n’a pas appliqué le bon critère prévu à l’article 96 de la Loi, en ce sens qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve concernant des personnes se trouvant dans une situation semblable qui seraient persécutées en Hongrie du fait de leur origine ethnique, de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social.

[87]           Ma lecture de la décision m’amène toutefois à conclure que l’agente a bien tenu compte des allégations et facteurs précis avancés par le demandeur pour constituer son profil et qu’elle a expliqué les raisons pour lesquelles la preuve présentée ne permettait pas de conclure à la persécution au sens de l’article 96. Elle a de façon générale estimé que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour étayer ses allégations au sujet des risques auxquels il serait exposé ou pour réfuter la présomption de la protection de l’État. L’agente a également examiné la preuve documentaire et conclu que [traduction] « bien que la réaction de la police ait fait l’objet de critiques en ce qui concerne la protection des Roms, j’estime, selon les recherches effectuées au sujet du pays, que la police a effectivement réagi ».

[88]           Comme c’est habituellement le cas dans les affaires concernant les Roms, la preuve présentée au sujet de la volonté et de la capacité de la police d’intervenir était contradictoire, et les parties ne s’entendaient pas quant aux leçons à tirer des faits relatés au sujet de l’intervention de la police. Vu l’ensemble des faits de l’espèce, il aurait raisonnablement pu être possible de donner gain de cause au demandeur, mais je ne puis affirmer que l’analyse et les conclusions de la SPR étaient déraisonnables et qu’elles n’appartenaient pas aux issues possibles acceptables au sens de l’arrêt Dunsmuir.

[89]           Le conseil du demandeur a suggéré deux questions possibles à certifier :

1.                  L’agent a-t‑il le pouvoir d’ordonner la tenue d’une audience non seulement pour des raisons de crédibilité en vertu de l’alinéa 113b) de la Loi et de l’article 167 du Règlement, mais également pour des raisons d’équité procédurale?

2.                  Dans la négative, l’alinéa 113b) de la Loi et l’article 167 du Règlement vont‑ils à l’encontre de l’article 7 de la Charte?

[90]           À mon avis, la réponse à la question soulevée par le demandeur ne permettrait pas de trancher la présente affaire, parce que j’en suis arrivé à la conclusion que le demandeur n’a pas démontré de façon adéquate qu’il avait été victime d’une iniquité procédurale et qu’il n’a pas démontré en quoi il avait été empêché d’exposer sa cause par écrit de la manière habituelle.

[91]           Le demandeur a également demandé que les pages 362 à 455 du DCT soient retranchées du dossier parce qu’elles contiennent des éléments qui n’avaient pas été portés à la connaissance de l’agente et qui sont de toute façon non pertinents et qui n’avaient pas été mentionnés par l’agente. Bien que je convienne avec le demandeur que les éléments en question n’avaient pas été portés à la connaissance de l’agente et que cette dernière n’en a pas tenu compte, j’estime qu’il suffit de juger qu’ils ne sont pas pertinents dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire et je n’en ai donc pas tenu compte dans mes motifs ou mes conclusions. Les pages mentionnées ci‑après seront toutefois scellées.

[92]           Le demandeur a également demandé que les extraits suivants du dossier soient scellés :

a.                   DCT — pages 9 et 20;

b.                  Dossier du demandeur — pages 10 et 21;

c.                   DCT — pages 44 et 289;

d.                  Dossier du demandeur — page 61;

e.                   DCT — pages 361 à 365, 367, 400 et 408.

 

[93]           Ces extraits seront scellés parce qu’ils contiennent des éléments qui constituent des renseignements personnels concernant l’épouse du demandeur, les évaluations psychologiques dont elle a fait l’objet, sa connaissance d’éléments de preuve secrète et de secrets personnels qui sont présentement entre les mains de la SPR dans le cadre d’une instance introduite à huis clos et qui sont identiques à ceux dont la juge Gagné a ordonné qu’ils soient scellés lorsqu’elle a examiné la requête en suspension. Le défendeur ne s’est pas vraiment opposé à cette mesure et il a accepté que certains des renseignements soient scellés malgré l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires.

[94]           Compte tenu de l’importance de l’audience à huis clos de la SPR, du fait que la juge Gagné a déjà examiné ces questions et des risques auxquels l’épouse du demandeur serait exposée si ces renseignements demeurent publics, la Cour est d’accord pour sceller les renseignements susmentionnés.


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                              REJETTE la demande;

2.                              DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier;

3.                              ORDONNE que les extraits suivants soient scellés :

a.       DCT — pages 9 et 20;

b.      dossier du demandeur — pages 10 et 21;

c.       DCT — pages 44 et 289;

d.      dossier du demandeur — page 61;

e.       DCT — pages 361 à 365, 367, 400 et 408.

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-7850-12

 

INTITULÉ :                                                  G.M.

 

                                                                        -  et  -

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 avril 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT :                           Le 26 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aviva Basman                                                                         POUR LE DEMANDEUR

                                                          

John Provart                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                                                                                                                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aviva Basman                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.