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Date : 20130709

Dossier : IMM-8066-12

Référence : 2013 CF 765

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

AI YAN LIANG

JUN WU SHAN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la Protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 28 juin 2012 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]        Âgée de 29 ans, la demanderesse principale, Ai Yan Lang, est une citoyenne de Chine. Elle et son mari, Jun Wu Shan, le demandeur secondaire, cherchent à obtenir la protection du Canada contre les autorités chinoises de la planification familiale (PF). L’exposé circonstancié suivant se trouve dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) que la demanderesse principale a soumis avec sa demande d’asile.

 

L’exposé circonstancié du FRP

 

[3]        La demanderesse principale est née à XinYi, dans la province du Guangdong, en Chine. Son mari est né à Guangzhou, dans la province du Guangdong, en Chine. Ils se sont épousés le 25 janvier 2005 et leur premier enfant, une fille, est né le 2 mai 2007.

 

[4]        Le ménage des demandeurs était considéré comme un ménage urbain, de sorte qu’ils n’étaient pas autorisés à avoir d’autres enfants selon la politique en matière de PF. Après la naissance de leur fille, la demanderesse principale a par conséquent été obligée de porter un dispositif intra-utérin (stérilet) et de se présenter régulièrement à des contrôles pour le faire examiner.

 

[5]        Malgré le fait qu’elle portait un stérilet, la demanderesse principale s’est rendu compte qu’elle était de nouveau enceinte à la fin de juillet 2009. Craignant d’être forcée de se faire avorter ou qu’elle ou son mari ou les deux aient à subir une stérilisation, la demanderesse principale et son mari ont confié la garde de leur fille aux parents de la demanderesse principale et se sont allés se cacher chez un parent.

 

[6]        Alors qu’ils se cachaient, les demandeurs ont appris au début de septembre 2009 qu’après que la demanderesse principale eut omis de se présenter à un examen de contrôle de son stérilet prévu pour la fin d’août 2009, des agents de la PF s’étaient rendus à leur domicile et à celui de leurs parents respectifs pour les retrouver. Les agents ont interrogé les parents des demandeurs pour savoir où ces derniers se trouvaient et on leur a répondu que les demandeurs étaient partis travailler dans une autre province. Les agents de la PF ont laissé un avis sommant la demanderesse principale de se présenter à un contrôle de son stérilet.

 

[7]        Des agents de la PF sont revenus chez les parents des demandeurs au début d’octobre 2009 pour s’informer au sujet du retour prévu des demandeurs et pour exiger que la demanderesse principale se présente à son contrôle de stérilet. Les agents de la PF ont également déclaré que, si l’on découvrait que la demanderesse principale était à nouveau enceinte, elle serait forcée de se faire avorter ou de se faire stériliser en plus d’être condamnée à une forte amende.

 

[8]        Les agents de la PF sont revenus au domicile des parents des demandeurs une troisième fois à la fin d’octobre 2009. Les demandeurs ont appris à l’époque que leur propre domicile avait été mis sous scellés parce que les autorités de la PF soupçonnaient la demanderesse principale de cacher une grossesse puisqu’elle ne s’était pas présentée à son contrôle de stérilet. Les autorités de la PF ont accusé les demandeurs de contrevenir aux politiques de la PF et les ont prévenus que leur défaut de déclarer une grossesse entraînerait des conséquences graves.

 

[9]        En plus de craindre que la demanderesse soit forcée de se faire avorter ou d’être obligés de subir une stérilisation, les demandeurs craignaient que, même s’ils réussissaient à avoir un second enfant en secret, il ne leur serait pas possible de l’enregistrer dans leur registre des ménages, ce qui empêcherait plus tard l’enfant de fréquenter l’école. À titre subsidiaire, s’ils enregistraient effectivement l’enfant, ils craignaient d’être forcés de subir une stérilisation et d’avoir à payer une lourde amende.

 

[10]    Comme ils n’avaient aucun avenir en Chine s’ils continuaient à vivre dans la clandestinité, les demandeurs ont décidé de quitter le pays avec l’aide d’un passeur. Depuis leur arrivée au Canada, les autorités de la PF sont toujours à leur recherche : elles sont retournées au domicile de leurs parents, et les demandeurs continuent de craindre qu’ils feront l’objet des sanctions susmentionnées s’ils retournent en Chine.

 

            Témoignages

 

[11]    Le 28 juin 2011 et le 11 janvier 2012, les demandeurs se sont présentés aux audiences qui se sont déroulées devant un tribunal de la SPR. La SPR a commencé par interroger la demanderesse principale au sujet de sa carte d’identité de résidente (CIR). La demanderesse principale a expliqué que l’adresse figurant sur sa CIR était celle de ses parents et de son frère cadet et non celle de la maison où elle résidait avec son mari, le demandeur secondaire, et leur fille. La demanderesse principale a expliqué que la raison en était qu’elle et le demandeur secondaire n’avaient pas encore fait l’acquisition de la maison où ils vivaient au moment où la CIR a été délivrée. Elle a également expliqué que son nom figurait sur le hukou (certificat d’enregistrement des ménages) de son frère et que, comme elle possédait déjà un hukou, elle ne pouvait enregistrer l’adresse de son nouveau domicile.

 

[12]    Interrogée quant à savoir comment son frère avait réussi à obtenir un hukou urbain alors que leurs parents avaient un hukou agricole, la demanderesse principale a expliqué que son frère l’avait obtenu à titre d’avantage supplémentaire lorsqu’il avait acheté une maison en ville. La SPR a fait observer que, normalement, il n’est pas aussi facile d’obtenir un hukou urbain simplement en achetant un immeuble.

 

[13]    Le demandeur secondaire a été interrogé quant à savoir pourquoi le nom de sa femme n’avait pas été ajouté à son propre hukou; il a répondu que l’ajout d’un nom à un hukou était une démarche longue et fastidieuse et que les bureaux gouvernementaux étaient fermés les jours où il ne travaillait pas. Il a également expliqué que rien ne justifiait de transférer le nom de sa femme, étant donné qu’ils avaient tous les deux des pièces d’identité et un certificat de mariage pour prouver leur identité et leur adresse.

 

[14]    La question de l’authenticité des hukous des demandeurs a été posée au demandeur secondaire. La SPR a expliqué qu’une analyse que la GRC avait faite du hukou du demandeur secondaire avait révélé que [traduction] « l’agrafage fait le tour du livret, ce qui n’est pas la façon dont les documents authentiques sont assemblés normalement. Habituellement, la couture se trouve à la tranche du document ». Le demandeur secondaire a répondu que son hukou avait été délivré en 1999 et qu’à l’époque, la méthode suivie pour assembler les feuilles du hukou était fort simple, de sorte que tout changement avait dû être fait manuellement. Dans le cas du hukou du demandeur secondaire, le seul changement effectué avait été l’ajout du nom de la fille des demandeurs.

 

[15]    La SPR a également fait observer que le fait que l’analyse de la GRC révélait que le hukou de la demanderesse principale comportait des trous d’agrafage sur quatre pages signifiait que les pages en question ne faisaient pas partie du document à l’origine.

 

[16]    La demanderesse principale a été interrogée au sujet de son travail en Chine. Elle a expliqué qu’elle avait travaillé pour une agence de voyages, mais qu’elle ne pouvait obtenir de document attestant qu’elle y avait travaillé parce que les documents se trouvaient en Chine, à son domicile, lequel avait été saisi par les autorités de la PF. Lors d’une audience subséquente, en juin 2011, la demanderesse principale a produit un document qui aurait été fourni par une agence de voyages attestant que la demanderesse y avait travaillé. Le document n’était pas rédigé sur du papier à en‑tête d’une société.

 

[17]    En ce qui concerne le domicile des demandeurs, la demanderesse principale a expliqué que les documents d’achat qu’elle avait soumis avaient été conservés par sa belle‑famille et que la sœur de son mari les lui avait envoyés depuis la Chine. Le demandeur secondaire a affirmé qu’il s’était installé dans cette maison en janvier 2008.

 

[18]    La demanderesse principale a parlé de sa crainte de devoir subir une stérilisation si elle devait retourner en Chine, étant donné qu’elle avait eu un deuxième enfant et qu’elle était inscrite sur un hukou urbain. Elle a également expliqué qu’elle n’avait pas l’argent pour payer la taxe de solidarité sociale exigée pour inscrire son second enfant sur un hukou et qu’on la forcerait de toute façon à se faire stériliser. Lorsque la SPR a expliqué à la demanderesse principale que les éléments de preuve relatifs à la situation en Chine indiquaient qu’il n’y avait pas de stérilisation forcée dans la province du Guangdong, elle a répondu que les autorités de la PF avaient dit aux membres de sa belle-famille que, si on la retrouvait, elle aurait à subir une stérilisation.

 

[19]    La SPR s’est demandé comment les autorités de la PF auraient pu savoir qu’elle était enceinte. Elle a expliqué qu’après qu’elle ne se soit pas présentée à son contrôle de stérilet – qui était prévu pour le 26 août 2009 –, ils ont commencé à avoir des doutes et ont saisi la maison des demandeurs, à qu’ils ont envoyé une lettre les avertissant qu’ils auraient à subir une stérilisation si on les retrouvait. Les demandeurs ont expliqué que, lorsqu’ils se sont aperçus que la demanderesse principale était à nouveau enceinte, ils sont allés se cacher et que leur fille est allée vivre chez les parents du demandeur secondaire pendant un certain temps avant d’être envoyée chez les parents de la demanderesse principale à environ six heures de voiture à l’extérieur de la ville.

 

[20]    La SPR a cherché à savoir de la demanderesse principale pourquoi elle avait été convoquée par les autorités de la PF pour un contrôle de stérilet si elle avait déjà un rendez-vous prévu en août 2009. Elle a expliqué qu’il lui était loisible de se présenter à son rendez-vous de contrôle en tout temps au cours du mois, mais qu’elle prenait habituellement un rendez-vous pour s’assurer que son contrôle ait lieu un jour précis, pour éviter de se rendre inutilement à la clinique, étant donné qu’on n’aurait peut-être pas le temps de la voir si elle se présentait sans rendez-vous.

 

[21]    La demanderesse principale a expliqué que les avis de contrôle de stérilet avaient été envoyés au domicile de son frère et laissés à la porte. Interrogée quant à savoir pourquoi les avis en question n’avaient pas été envoyés au domicile où elle vivait avec son mari et sa fille, la demanderesse principale a répondu que, même si le bureau de la PF possédait cette adresse, elle était enregistrée dans le hukou de son frère, de sorte que c’est là que les avis étaient envoyés. Toutefois, une lettre d’avertissement et une lettre de décision relative à une pénalité avaient été remises au domicile des parents du demandeur secondaire en octobre 2009 parce que les autorités de la PF avaient déjà recherché les demandeurs au domicile de ces derniers et au domicile du frère de la demanderesse principale et qu’ils s’étaient ensuite rendus au domicile des parents parce qu’ils n’avaient pas réussi à retrouver les demandeurs.

 

[22]    La demanderesse principale a également expliqué que les autorités de la PF n’avaient rendu visite qu’à ses beaux-parents et non à ses propres parents. La demanderesse principale a expliqué que les autorités de la PF n’avaient jamais trouvé l’adresse de ses parents, parce que son frère ne la leur avait pas communiquée par crainte qu’ils ne trouvent la fille des demandeurs et s’en servent pour forcer les demandeurs à revenir.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

 

[23]    La SPR a déclaré que la question déterminante en ce qui concerne la demande d’asile des demandeurs était la crédibilité de leur témoignage, le récit circonstancié du FRP et la preuve documentaire. La SPR a finalement conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et elle a déclaré qu’ils n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

 

[24]    La SPR n’était pas convaincue de l’authenticité des hukous urbains que les demandeurs avaient soumis en preuve pour démontrer qu’ils étaient assujettis à la politique de l’enfant unique. La SPR a fait observer que, s’il s’agissait de hukous agricoles, les demandeurs auraient été autorisés à avoir un second enfant d’après les règles relatives à la PF. La SPR a toutefois soumis des hukous à la GRC pour une expertise. Dans son rapport d’expertise, la GRC a déclaré que, comme on ne disposait pas de spécimen à des fins de comparaison, l’authenticité des hukous n’était pas concluante. Le rapport précisait également que des chiffres et/ou des caractères chinois avaient été ajoutés au hukou du demandeur secondaire et que le hukou n’avait pas été relié de la manière habituelle dans le cas de ce genre de document. Le hukou de la demanderesse principale semblait également comporter des pages qui avaient été ajoutées ou enlevées, puis réinsérées. La SPR a par conséquent conclu qu’on ne pouvait se fier sur les hukous pour démontrer que les demandeurs possédaient des hukous urbains.

 

[25]    La SPR a également estimé que les témoignages étaient contradictoires en ce qui concerne la raison pour laquelle les demandeurs n’avaient pas de hukou pour la maison où ils résidaient réellement et elle n’a pas jugé satisfaisantes les explications fournies par la demanderesse principale qui affirmait qu’ils n’avaient pas obtenu de nouveau hukou lors de l’achat de leur maison parce que les autorités avaient refusé de leur en délivrer un. La demanderesse principale n’était pas en mesure de présenter des éléments de preuve pour démontrer la raison pour laquelle son nom ne pouvait être supprimé du hukou de son frère et être ajouté au hukou de son mari à la nouvelle adresse de ce dernier. Pour expliquer pourquoi il n’avait pas obtenu un nouveau hukou, le demandeur secondaire s’est contenté de dire qu’il s’agissait d’une démarche fastidieuse et qu’il n’avait pas le temps de s’en occuper.

 

[26]    La SPR a critiqué le témoignage de la demanderesse principale suivant lequel son frère avait réussi à obtenir un hukou urbain simplement en achetant une maison en ville. De plus, même si la demanderesse affirmait que l’adresse figurant sur sa CIR était celle de ses parents et de son frère, l’adresse indiquée sur la CIR de la demanderesse principale correspondait en fait à celle indiquée sur le hukou urbain de son frère. La SPR a fait observer que, comme la CIR avait été délivrée en 2004 et que le hukou du frère de la demanderesse principale avait été délivré en 2005, on pouvait affirmer avec certitude que l’adresse figurant sur la CIR était celle de son frère et non celle de ses parents, lesquels avaient un hukou délivré aux personnes vivant en milieu rural.

 

[27]    La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que « ces deux documents » (on ne sait pas avec certitude si la SPR parle des deux hukous ou du hukou de la demanderesse principale et de sa CIR (étaient frauduleux, ce qui l’a par conséquent amené à remettre en question l’authenticité des autres documents présentés par les demandeurs ainsi que, de façon générale, leur crédibilité.

 

[28]    Pour ce qui est des éléments de preuve documentaires soumis par les demandeurs au sujet des problèmes qu’ils affirmaient avoir eus avec les autorités de la PF, la SPR a déclaré que l’avis de rappel du contrôle de stérilet « ne correspond pas au genre de document que produirait un bureau travaillant de manière efficace dans une grande ville comme Guangzhou » et que, s’il s’agissait d’« un avis général, il ne serait pas adressé expressément à [la demanderesse] principale ». De plus, la demanderesse principale avait expliqué qu’elle avait pris un rendez-vous pour un suivi à une date précise en août et qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’avis lui rappelle ce rendez-vous. La SPR a également reproché à la demanderesse principale de n’avoir soumis en preuve qu’un seul avis de rappel alors qu’« un avis aurait dû lui être envoyé pour les autres mois où elle devait subir un examen ». Par conséquent, la SPR a accordé peu de valeur probante à l’avis de rappel.

 

[29]    La SPR a ensuite signalé l’existence d’une lettre datée du 2 septembre 2009 adressée à la demanderesse principale lui rappelant qu’elle devait se présenter à un contrôle de son stérilet dans les 15 jours, à défaut de quoi elle s’exposait à des sanctions dont la nature n’était pas précisée, d’une lettre du 16 octobre 2009 informant les demandeurs que leur résidence avait été mise sous scellés jusqu’à ce que la demanderesse principale se présente à son contrôle de son stérilet, et d’un avis de décision les condamnant à une pénalité et portant également la date du 16 octobre 2009, qui précisait que, comme la demanderesse principale ne s’était pas présentée à son contrôle de son stérilet et qu’elle n’avait pas respecté pas la politique de contrôle des naissances en matière de PF, les demandeurs perdraient leur emploi et seraient condamnés à payer une taxe de solidarité sociale de 200 000 $ RMB.

 

[30]    La SPR a accordé peu de poids à l’avis informant les demandeurs de la décision de leur infliger une amende, ainsi que de la lettre les informant que leur propriété avait été mise sous scellés, étant donné que ces deux documents avaient été délivrés du même bureau le même jour. De plus, l’avis de pénalité était prématuré, étant donné que les autorités de la PF n’avaient aucune preuve à l’époque que la demanderesse principale était enceinte et que les frais de solidarité sociale ne seraient exigibles qu’à la naissance de l’enfant et non en fonction de l’hypothèse que la demanderesse principale était enceinte (elle n’aurait été enceinte que de quatre mois à ce moment‑là).

 

[31]    La demanderesse principale a également soumis une lettre par laquelle son ancien employeur confirmait qu’elle avait été congédiée de son emploi à l’agence de voyages parce qu’elle ne respectait pas les politiques de contrôle de naissance de la PF. Toutefois, la SPR n’a accordé aucune valeur probante à cette lettre parce qu’elle n’était pas signée et qu’elle n’était pas rédigée sur le papier à en‑tête d’une société alors qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’un document officiel possède ces caractéristiques.

 

[32]    La SPR s’est dite préoccupée par les explications de la demanderesse principale suivant lesquelles le premier avis la convoquant à un examen de stérilet en août avait été envoyé à l’adresse de son frère parce que c’était l’endroit où le hukou de la demanderesse principale avait été enregistré alors qu’elle avait également déclaré que le bureau de PF avait, dans ses dossiers, l’adresse à laquelle elle habitait réellement. La SPR a conclu qu’il n’était pas vraisemblable que les autorités de la PF n’aient pas envoyé l’avis à l’adresse personnelle de la demanderesse principale, étant donné qu’il s’agirait d’un endroit où elle recevrait probablement cet avis, puisque c’était l’endroit où elle était le plus susceptible de recevoir ce document, alors que rien ne garantissait que son frère serait chez lui ou qu’il serait en mesure d’aviser sa sœur de la réception de ce document si celui‑ci était envoyé chez lui. La SPR était également sceptique fasse à l’affirmation de la demanderesse principale suivant laquelle les avis avaient été laissés à la porte de son frère et elle n’avait pas vu les agents de la PF parce qu’elle travaillait. La SPR a trouvé étrange que la demanderesse principale se trouve chez son frère plutôt que chez elle.

 

[33]    La SPR a jugé peu vraisemblable que les autorités de la PF ne se rendent pas au domicile des parents de la demanderesse principale pour retrouver les demandeurs. La demanderesse principale a expliqué que cette situation s’expliquait par le fait que les agents de la PF ne connaissaient pas l’adresse; ils connaissaient cependant celle du frère de la demanderesse principale parce que le hukou de la demanderesse principale s’y trouvait et que c’était l’endroit où ils se rendaient pour envoyer des avis. La SPR a donc estimé que les agents de la PF :

… auraient très bien pu exercer des pressions sur lui pour qu’il donne l’adresse, ou ils auraient pu repérer les parents de la [demanderesse] principale au moyen de son ancienne adresse, qui est celle de ses parents et qui figure sur son hukou. Comme la [demanderesse] l’a également déclaré, s’ils s’étaient présentés chez ses parents, les agents auraient pu emmener sa fille et l’utiliser pour obliger la [demanderesse] à revenir chez elle. Or, si les agents du bureau de la planification familiale étaient si déterminés à retrouver la [demanderesse] principale, au point où ils lui ont fait parvenir plusieurs avis, ont scellé sa maison et sont allés chez ses beaux‑parents, il ne paraît pas logique qu’ils ne se soient pas rendus chez ses parents et qu’ils n’aient pas trouvé sa fille.

 

[34]    La SPR a fait observer qu’il y avait des messages ambivalents dans la preuve documentaire sur le pays qui lui avait été soumise. Le Règlement sur la planification familiale de la province du Guandong prescrivait l’imposition d’une taxe de solidarité sociale pour toute naissance non planifiée et précisait que le montant de cette taxe était multiplié par le nombre d’enfants non planifiés et que des modalités de paiement pouvaient être négociées si cette charge s’avérait trop lourde. Un document portant sur les mesures prises pour faire respecter la PF dans les provinces du Guangdong et du Fujian indique les politiques en matière de PF ne sont pas appliquées uniformément d’une région à l’autre, que ceux qui contreviennent au règlement sur la planification familiale s’exposent à des amendes, que la stérilisation forcée existe toujours en Chine, mais est moins courante que par le passé et que le Guangdong fait partie des provinces dans lesquelles des « mesures réparatrices indéterminées » sont exigées dans le cas des grossesses qui contreviennent aux lois provinciales (par opposition aux provinces qui exigent une interruption de grossesse). Le même document indique que les autorités de la ville de Puning, dans la province du Guandong, ont mené une campagne de stérilisation visant un nombre important de personnes en raison du taux de natalité élevé de cette ville, que trois mères porteuses ont été forcées de se faire avorter à Guangzhou et qu’une autre femme a été forcée de se faire avorter parce qu’elle était devenue enceinte avant l’expiration de la période d’attente à respecter avant d’avoir un deuxième enfant.

 

[35]    La SPR a estimé que la situation à Puning, qui ne citait aucune source, était différente et qu’il n’y avait aucun autre élément de preuve permettant de conclure à l’existence de campagnes semblables ayant été menées dans la province du Guangdong. Des incidents relatifs à des mères porteuses étaient également différents et n’étaient pas comparables à la situation de la demanderesse principale. Un seul incident d’avortement forcé avait été signalé dans toute la province.

 

[36]    Suivant la prépondérance des probabilités, et compte tenu des conclusions et des inférences défavorables qui avaient été formulées, la SPR a conclu que les demandeurs ne risqueraient pas une stérilisation forcée dans la province de Guandgong s’ils devaient retourner en Chine. La SPR a affirmé que cette conclusion était appuyée par la décision rendue par le juge Maurice Lagacé dans l’affaire Zhan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 711 [Zhan], dans laquelle ce dernier avait renvoyé à la politique en vigueur dans la province du Fujian suivant laquelle la sanction en cas de naissance d’un deuxième enfant non planifié serait fort probablement une amende et non la stérilisation forcée, et avait fait observer que les éléments de preuve documentaire sur la situation au pays indiquaient que les politiques provinciales de la province du Fujian étaient semblables à celles de la province du Guangdong en ce qui concerne l’absence d’éléments de preuve sur les avortements et la stérilisation forcés.

 

[37]    La SPR a poursuivi en examinant la question de la naissance du fils des demandeurs au Canada et les conséquences qu’aurait leur retour éventuel en Chine. Les éléments de preuve documentaire sur la situation au pays indiquaient qu’on n’avait pas signalé de difficultés dans le cas des couples qui étaient retournés dans la province du Guangdong après avoir eu des enfants à l’étranger, que les personnes qui retournaient en Chine depuis l’étranger étaient accueillies chaleureusement et que les naissances qui ont eu lieu à l’étranger étaient en grande partie pardonnées eu égard au règlement sur la planification familiale. Un enfant né à l’étranger sera enregistré dans le hukou familial après le paiement d’une amende, si tant est que le paiement est exigé, et il sera admissible à des services d’éducation et de santé.

 

[38]    La SPR a signalé qu’elle avait tenu compte des arguments des avocats ainsi que des Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, mais qu’elle n’avait trouvé aucune raison la justifiant de modifier ses conclusions antérieures. Après avoir déjà mis en doute la crédibilité générale des demandeurs compte tenu de la preuve documentaire et des conclusions et inférences défavorables cumulatives, et vu l’absence d’éléments de preuve convaincants contraires, la SPR a estimé que l’allégation des demandeurs suivant laquelle ils seraient exposés à de la persécution en raison de la politique de l’enfant unique de la Chine n’était pas crédible. La SPR a également conclu que la présumée crainte subjective de persécution fondée sur la politique de l’enfant unique n’était pas confirmée par la situation objective en Chine et que les demandeurs ne seraient pas exposés à la persécution en raison de cette politique.

 

[39]    Vu l’ensemble de la preuve et des conclusions cumulatives, la SPR a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer qu’il existait une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés ou personnellement exposés à une menace à leur vie ou à un risque de traitements cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture par quelque autorité que ce soit en République populaire de Chine.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[40]    Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans la présente demande :

a.  La SPR a-t-elle commis une erreur en ce qui concerne la crédibilité des demandeurs?

b.  La SPR a-t-elle rendu une décision fondée sur une ou plusieurs conclusions de fait erronées, a-t-elle mal interprété la preuve et les faits importants et/ou a-t-elle rendu sa décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

c.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur de droit en ne procédant pas à une analyse indépendante portant sur la question de savoir pourquoi les demandeurs ne devraient pas se voir reconnaître la qualité de personnes à protéger au sens de l’article 97 de la Loi?

 

NORME DE CONTRÔLE

[41]    Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs formant l’analyse relative à la norme de contrôle.

[42]    Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a jugé que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne les conclusions tirées au sujet de la crédibilité était celle de la décision raisonnable. De plus, dans le jugement Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a estimé que les conclusions tirées au sujet de la crédibilité jouaient un rôle crucial en ce qui concerne les conclusions de fait de la SPR et qu’elles devaient par conséquent être évaluées en fonction de la norme de contrôle de la décision raisonnable. Enfin, dans le jugement Aguilar Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, la juge Mary Gleason a conclu, au paragraphe 9, que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne les conclusions tirées au sujet de la crédibilité était celle de la décision raisonnable. La norme de contrôle applicable, s’agissant de la première question, est donc celle de la décision raisonnable.

[43]    L’appréciation que la SPR fait de la preuve est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir Ogbebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 1331, au paragraphe 15, et Walcott c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 505, au paragraphe 18). La norme de contrôle qui s’applique en ce qui concerne la deuxième question est celle de la décision raisonnable.

[44]    La décision de la SPR de se livrer à une analyse fondée sur l’article 97 est une question mixte de droit et de fait qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir Sow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1313, aux paragraphes 17 à 21). Cette question sera donc contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.

[45]    Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[46]    Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou  occasionnés par elles,

 

[…]

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards,

 

 

 

ARGUMENTS

Les demandeurs

[47]    Les demandeurs affirment que la SPR a critiqué leur hukou malgré le fait que la GRC avait conclu dans son rapport que l’analyse des hukous n’était pas concluante. Sans conclusion claire de la GRC suivant laquelle les hukous n’étaient pas authentiques, la preuve ne permettait pas de conclure que les hukous posaient problème. De plus, la SPR s’est fondée en partie sur les hukous pour établir l’identité des demandeurs et il est de jurisprudence constante qu’on ne peut se fonder sur une pièce d’identité à une fin pour ensuite la remettre en question à une autre. Les demandeurs citent à l’appui de cet argument le jugement Ru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 935, au paragraphe 55 [Ru].

 

[48]    Les demandeurs soutiennent que la SPR s’est livrée à des conjectures lorsqu’elle a examiné les avis envoyés par la PF qui avaient été déposés en preuve malgré les explications des demandeurs suivant lesquels l’avis de contrôle du stérilet n’était qu’un avis général rappelant à la demanderesse de se présenter à son rendez-vous de contrôle au cours du mois. La SPR a également remis en question d’autres documents qu’elle a jugés incomplets alors que les demandeurs avaient expliqué qu’il existait un bureau précis chargé de son secteur et que chacun savait où s’adresser. Le demandeur soutient que, lorsqu’on lit un document, on doit chercher à savoir ce qu’il dit et non ce qu’il ne dit pas.

[49]    La SPR a conclu qu’il était trop tôt pour condamner les demandeurs à une amende; la SPR ne disposait toutefois d’aucun élément de preuve lui permettant de savoir dans quel délai ce genre d’amende était infligé en Chine. La SPR ne faisait qu’imposer sa propre opinion de la preuve tout en faisant fi des explications des demandeurs suivant lesquels, après que la demanderesse principale eut omis de se présenter à son rendez-vous de contrôle de son stérilet, les autorités de la PF en avaient conclu qu’elle avait violé la politique de l’enfant unique. De même, après avoir constaté que l’avis de congédiement n’était pas authentique, la SPR n’a pas tenu aucun compte de l’explication de la demanderesse principale suivant laquelle l’agence de voyages pour laquelle elle travaillait était une petite entreprise et qu’elle ignorait si elle avait du papier à en‑tête officiel.

[50]    Les demandeurs affirment que la SPR a ignoré des éléments de preuve lorsqu’elle a critiqué le fait que les agents de la PF avaient laissé les avis au domicile du frère de la demanderesse principale et non à celui des demandeurs alors qu’en fait la demanderesse principale était inscrite au domicile de son frère. La SPR s’est livrée à d’autres conjectures en laissant entendre que les agents de la PF auraient dû entreprendre leurs propres démarches pour retrouver les demandeurs.

[51]    La SPR a également fait une lecture sélective des éléments de preuve documentaire portant sur la situation au pays en ne retenant que les éléments qui donnaient des exemples répétés de stérilisations et d’avortements forcés dans la province du Guangdong et qui déclaraient que l’expression « mesures correctrices indéterminées » était un euphémisme pour désigner les stérilisations forcées. De plus, l’affaire Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 608 [Zheng], portait sur la politique de l’enfant unique dans la province du Fujian, où l’on avait adopté des mesures très semblables à celles en vigueur dans la province du Guangdong. Dans cette affaire, aux paragraphes 11 et 12, le juge David Near a déclaré ce qui suit :

La demanderesse affirme que la Commission a mal interprété les éléments de preuve relatifs aux « mesures correctionnelles » au Fujian lorsqu’elle a conclu que celles-ci ne comprenaient pas la stérilisation forcée malgré des éléments de preuve indiquant le contraire.

 

Je suis enclin à souscrire à la position de la demanderesse dans les circonstances. Il était déraisonnable pour la Commission de « présumer que les mesures correctionnelles consistent en les frais d’indemnisation sociale en vigueur dans la province du Fujian ». Puisque la documentation relative au pays, notamment le rapport annuel de la Commission exécutive du Congrès des États-Unis sur la Chine de 2009, indique clairement que les « mesures correctionnelles » comprennent la stérilisation forcée, la conclusion de la Commission selon laquelle de telles mesures s’entendraient uniquement de frais d’indemnisation sociale dans la province du Fujian ne concorde pas avec les éléments de preuve présentés et ne satisfait pas aux critères de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité. Pour ce motif à lui seul, l’affaire sera renvoyée pour nouvel examen.

 

 

[52]    La SPR a également commis une erreur en déclarant qu’aucune source n’avait été citée en ce qui concerne la campagne de stérilisation de Puning, parce que cette campagne était mentionnée dans plusieurs documents. De plus, en ce qui concerne l’affaire Zhan, précitée, le tribunal ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve au sujet des stérilisations et des avortements dans la province du Guangdong. Toutefois, dans une affaire plus récente, l’affaire Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 205 [Huang 1], le juge Russel Zinn a relevé des éléments de preuve récents de stérilisation dans la province du Guangdong, contrairement aux conclusions tirées par la SPR.

[53]    Les demandeurs affirment que l’ampleur de l’amende qu’ils auraient à payer s’ils devaient retourner en Chine en compagnie de leur fils constitue de la persécution et dépasse leurs moyens. De plus, le Règlement sur la planification familiale de la province du Guangdong prévoit en toutes lettres que [traduction] « la mesure de contraception à privilégier en premier lieu en ce qui concerne les couples ayant déjà au moins deux enfants doit être la stérilisation ». La SPR a par conséquent commis une erreur en déclarant que les demandeurs n’étaient pas exposés au risque de subir une stérilisation s’ils devaient retourner en Chine.

[54]    Les demandeurs citent les rapports annuels de la Commission exécutive du Congrès des États-Unis sur la Chine à l’appui de leur argument qu’outre les amendes, des « mesures correctives » (c.‑à‑d. la stérilisation et l’avortement forcés) continuent à être utilisées pour sanctionner les naissances non planifiées dans la province du Guangdong. Ils affirment que ces documents démontrent à l’évidence que de nombreuses sanctions peuvent être infligées, ce qui permet de penser qu’ils pourraient faire l’objet non seulement d’une stérilisation ou d’un avortement forcé, mais également être condamné à payer une taxe de solidarité sociale ou se voir refuser des prestations pour l’enfant en question.

[55]    Les demandeurs soutiennent que le raisonnement suivi par la SPR est déficient parce qu’il n’aborde pas la question de savoir pourquoi les éléments de preuve relatifs à la situation qui existe en Chine qui appuient la thèse des demandeurs et proviennent tous de sources très fiables débordent du cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre et pourquoi la SPR s’est fondée sur d’autres éléments de preuve et les a préférés. La Cour est intervenue à de nombreuses reprises dans des situations où la SPR n’avait pas motivé suffisamment sa décision de n’accorder que peu ou pas de poids aux documents se rapportant à la preuve présentée par un demandeur.

[56]    De plus, bien que la Cour tienne à faire preuve de déférence envers la compétence spécialisée de la SPR lorsqu’il s’agit d’analyser les demandes d’asile, les conclusions que la SPR tire au sujet de la vraisemblance doivent être écartées lorsqu’il est démontré qu’elles reposent sur un principe juridique erroné, sur des hypothèses arbitraires ou illogiques ou sur des conclusions ou des hypothèses qui sont contraires à la preuve ou non appuyées par celles‑ci.

[57]    Les demandeurs affirment que le raisonnement de la SPR était manifestement déraisonnable et qu’il ne reposait pas sur la preuve et ils demandent à la Cour d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

Le défendeur

[58]    Le défendeur affirme que la SPR a conclu de façon raisonnable que les demandeurs n’étaient pas crédibles en raison des documents frauduleux et de la preuve peu vraisemblable qu’ils avaient présentés.

[59]    Les demandeurs ont soumis des hukous dont l’authenticité a été remise en question après que l’expertise eut révélé qu’ils avaient été modifiés. Bien que le rapport d’expertise affirme qu’on ne disposait d’aucuns spécimens avec lesquels comparer les hukous qui avaient été soumis et que l’on ne pouvait se prononcer sur l’authenticité de ceux‑ci, il était quand même loisible à la SPR de conclure que les hukous n’étaient pas des documents authentiques, et la SPR a suffisamment justifié sa conclusion. Par exemple, dans le jugement Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1280 [Yang], la Cour a confirmé la conclusion de la SPR suivant laquelle certains documents étaient frauduleux, étant donné que la SPR avait motivé suffisamment sa conclusion malgré la conclusion du rapport d’expertise suivant laquelle l’analyse de son authenticité n’était pas concluante (voir également le jugement Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1235 [Lin]).

[60]    La SPR a également tiré une inférence négative du témoignage confus donné par les demandeurs quant à la question de savoir pourquoi ils ne possédaient pas de hukou pour la maison où ils habitaient réellement. La demanderesse principale a expliqué qu’elle, son mari et leur fille vivaient seuls dans la maison qu’ils avaient achetée en 2005. Toutefois, l’adresse de cette résidence ne figurait pas sur leur CIR ou sur les deux hukous soumis en preuve. Compte tenu du fait que les demandeurs n’ont pas contesté les conclusions tirées à cet égard par la SPR au sujet de leur crédibilité, celles‑ci doivent être tenues pour avérées.

[61]    La demanderesse principale a invoqué la décision Ru, précitée, pour affirmer que la SPR a commis une erreur en tirant une inférence défavorable des raisons qu’elle a données pour expliquer pourquoi elle ne résidait pas à l’adresse figurant sur le hukou. Il convient toutefois d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Ru parce que, dans cette dernière, la SPR disposait d’éléments de preuve objectifs qui appuyaient les explications données par la demanderesse quant aux raisons pour lesquelles elle n’habitait pas à l’adresse figurant sur son hukou. Dans le cas qui nous occupe, les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve objectif confirmant la raison pour laquelle ils habitaient à une adresse différente de celle indiquée sur leur hukou.

[62]    En ce qui concerne les avis envoyés par les autorités de la PF, le défendeur affirme que la conclusion de la SPR suivant laquelle ces avis n’étaient pas authentiques est raisonnable. La demanderesse principale a expliqué qu’elle avait pris un rendez-vous pour le contrôle de son stérilet à une date précise du mois d’août et que la SPR avait conclu qu’il serait raisonnable que l’avis qu’elle avait reçu ne soit qu’un simple rappel de ce rendez-vous, ce qui n’était pas le cas. Par ailleurs, la SPR a accordé peu de valeur à la décision relative à la pénalité et à la lettre d’avertissement étant donné qu’elles avaient été envoyées le même jour du même bureau. La SPR a conclu qu’il n’était pas vraisemblable qu’une lettre d’avertissement et un avis de pénalité soient envoyés le même jour, puisque la lettre d’avertissement deviendrait sans objet. Enfin, la SPR a accordé peu de poids à la lettre de congédiement que l’employeur de la demanderesse principale avait remise à cette dernière, étant donné qu’elle ne portait aucune signature et n’était pas rédigée sur du papier à en‑tête d’une société. Si l’employeur était effectivement une agence de voyages, on se serait attendu à ce que la lettre soit rédigée sur du papier à en‑tête, notamment pour informer sa clientèle.

[63]    Contrairement à la prétention des demandeurs suivant laquelle les conclusions n’étaient pas appuyées par la preuve, les conclusions tirées par la Commission au sujet des avis envoyés par les autorités de la PF reposaient sur des invraisemblances, le bon sens et la raison. Il est de jurisprudence constante que la SPR a le droit de tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur les invraisemblances, le bon sens et la raison et qu’elle peut rejeter une preuve qui n’est pas compatible avec les probabilités qui ressortent du dossier dans son ensemble (Araya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 626 [Araya], au paragraphe 6).

[64]    La SPR a également conclu de façon raisonnable que la demanderesse principale ne serait pas, selon la prépondérance des probabilités, forcée de subir une stérilisation dans la province du Guangdong si elle devait retourner en Chine. La SPR est présumée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents, y compris des éléments de preuve contradictoires, et la conclusion qu’elle a tirée en l’espèce reposait sur la preuve documentaire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF)). Le fait que les motifs écrits ne résument pas tous les éléments de preuve qui ont été présentés ne saurait constituer une erreur de droit justifiant notre intervention.

[65]    La conclusion de la SPR suivant laquelle la demanderesse principale ne sera pas exposée à de la persécution reposait sur les éléments de preuve suivants :

a.                   Les articles 49 et 55 du Règlement sur la planification familiale de la province du Guangdong prescrivent l’imposition d’une taxe de solidarité sociale dans le cas de toute naissance non planifiée. Des modalités de paiement sont offertes si cette charge est trop onéreuse;

b.                  Suivant certaines sources, les avortements et la stérilisation forcée existent toujours en Chine bien que Freedom House affirme que [traduction] « les avortements et la stérilisation obligatoire imposés par les autorités locales sont moins courants que par le passé »;

c.                   Certaines provinces nommément désignées exigent l’interruption des grossesses qui violent les lois provinciales, tandis que d’autres provinces, nommément désignées [traduction] « exigent la prise de mesures correctives indéterminées ». La province du Guangdong fait partie de cette dernière catégorie.

[66]    La SPR a pris acte des éléments de preuve contradictoires présentés au sujet de la stérilisation forcée dans la province du Guangdong et, bien qu’elle ait affirmé à tort qu’il n’existait aucune source confirmant l’incident survenu à Puning, la SPR a constaté que rien ne permettait de penser qu’il existait une campagne de stérilisation semblable ailleurs dans la province du Guangdong. Qui plus est, la conclusion de la SPR suivant laquelle les incidents relatifs aux mères porteuses étaient différents et ne pouvaient se comparer à l’expérience qu’auraient vécue les demandeurs était une conclusion raisonnable. Contrairement à l’observation de la SPR, celle-ci n’a jamais affirmé que les demandeurs ne seraient exposés à aucun risque de stérilisation; la SPR a finalement conclu que la preuve était contradictoire et que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse principale ne serait pas exposée à une stérilisation forcée si elle devait retourner dans la province du Guangdong. 

[67]    L’argument des demandeurs suivant lequel la SPR a fait une lecture sélective de la preuve documentaire est fondamentalement problématique parce que la SPR a le droit de choisir les éléments de preuve qu’elle préfère lorsque la preuve est contradictoire. Bien que les demandeurs puissent être en désaccord avec les conclusions de la SPR et avec la valeur que celle-ci a attribuée à la preuve, on ne peut pour autant conclure que la SPR a commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision. Ainsi que la Cour l’explique au paragraphe 26 du jugement Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 288 [Huang no 2] :

Je partage l’avis du défendeur. L’argument de la DP équivaut à un désaccord sur la façon dont la Commission a apprécié la preuve. La Cour n’a aucune raison d’intervenir. La conclusion voulant que la crainte subjective de la DP ne soit pas appuyée par la situation objective dans la province du Guangdong est étayée par la preuve.

 

[68]    Qui plus est, les demandeurs prétendent à tort que la SPR n’a pas tenu compte des rapports annuels de 2010 et 2011 de la Commission exécutive du Congrès des États‑Unis sur la Chine. La SPR ne disposait pas de ces rapports lorsqu’elle a rendu sa décision : les demandeurs les lui ont soumis environ quatre mois après l’audience et ils n’ont présenté aucune preuve pour démontrer que la SPR les avait en mains. Pour démontrer que la SPR avait l’obligation de tenir compte des arguments présentés après l’audience, les demandeurs étaient tenus de faire un suivi auprès de la SPR pour s’assurer qu’elle les avait reçus. En l’espèce, ils n’ont pas satisfait à cette exigence.

[69]    Les demandeurs citent le jugement Huang 1, précité, dans lequel le juge Zinn a fait observer qu’il existait des preuves récentes de stérilisation dans la province du Guangdong; le juge Zinn avait toutefois conclu que la SPR avait commis une erreur dans cette affaire parce qu’on y citait des preuves documentaires qui n’étaient plus à jour alors qu’on pouvait consulter des éléments de preuve plus récents sur les risques de stérilisation dans la province du Guangdong, en l’occurrence Réponse à la demande d’information CHN103502.EF, Chine : information sur les lois en matière de planification familiale, l’application de ces lois et les dérogations; cas signalés d’avortements forcés ou de stérilisations forcées d’hommes et de femmes, notamment dans les provinces du Guangdong et du Fujian (2007 – mai 2010). En l’espèce, la SPR a expressément tenu compte de ce document et l’a raisonnablement soupesé. Aucune erreur n’a été commise : aucune ne peut donc lui être reprochée.

[70]    Les demandeurs se fondent également sur le jugement Zheng, précité, à l’appui de leur argument portant que la SPR a mal interprété les éléments de preuve concernant les « mesures réparatrices ». Dans cette décision, le juge Near avait conclu qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de présumer que, par « mesures réparatrices », on entendait la taxe de solidarité sociale en vigueur dans la province du Guangdong, ainsi que la documentation relative au pays, notamment le rapport annuel de la Commission exécutive du congrès des États-Unis sur la Chine pour 2009 qui démontrait que la stérilisation forcée faisait partie des « mesures réparatrices ». Toutefois, dans le cas qui nous occupe, la SPR a fait observer que « plusieurs provinces, qui sont précisées, prescrivent une interruption de grossesse en cas de violation du règlement provincial sur la planification familiale; tandis que d’autres provinces, qui sont précisées [traduction] “prescrivent le recours à des ‘[mesures réparatrices indéterminées]’ ”. La province du Guangdong fait partie de ce dernier groupe ». En l’espèce, la SPR n’en a jamais conclu que, par « mesures réparatrices indéterminées », il fallait entendre la taxe de solidarité sociale. La SPR n’a donc pas commis d’erreur à cet égard.

[71]    La SPR a exposé des motifs clairs et intelligibles pour justifier son refus de la demande d’asile des demandeurs, ce qui permet à notre Cour de déterminer si les conclusions de la SPR appartiennent aux issues possibles acceptables. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’il n’est pas nécessaire que les motifs du tribunal administratif fassent référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire. S’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables, les motifs répondent alors aux critères établis dans l’arrêt Dunsmuir.

[72]    En l’espèce, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs parce qu’elle estimait que leur témoignage n’était pas crédible et que, suivant la preuve documentaire, la demanderesse principale ne risquerait pas de subir une stérilisation si elle devait retourner dans la province du Guangdong. Par conséquent, la décision de la SPR satisfait aux exigences énoncées dans les arrêts Dunsmuir et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union et la demande de contrôle judiciaire des demandeurs devrait être rejetée.

Réplique des demandeurs

[73]    En réponse aux arguments du défendeur, les demandeurs affirment que les conclusions tirées par la SPR au sujet des hukous sont mal fondées parce que la SPR a demandé son avis à la GRC, qui a répondu qu’on ne pouvait tirer de conclusion ferme sur l’authenticité des hukous, pour ensuite ignorer cet avis. De plus, l’affaire Yang, précitée, sur laquelle le défendeur se fonde, se distingue de la présente espèce. Dans cette affaire, la Cour avait jugé que l’absence de carte d’identité avait joué un rôle important dans sa conclusion, ajoutant que le fait que les éléments de preuve incontestables démontrant que les permis de conduire étaient frauduleux avaient également joué un rôle et que, après examen de l’ensemble de la preuve, le demandeur n’était pas digne de foi. En l’espèce, il existe une carte d’identité ainsi qu’une multitude d’autres documents personnels.

[74]    Les demandeurs affirment que si, comme le défendeur le prétend, la SPR n’a jamais conclu qu’il n’existait aucun risque de stérilisation pour les demandeurs, ces derniers ont raison d’affirmer que ce risque existe effectivement. Le défendeur affirme également que la SPR a conclu qu’il n’existait aucun risque, mais la SPR ne peut dire une chose et son contraire : ou bien il existe un risque ou bien il n’en existe pas.

[75]    Quant à l’argument du demandeur suivant lequel les observations formulées par les demandeurs après la clôture de l’audience n’avaient pas été portées régulièrement à la connaissance de la SPR, les demandeurs affirment qu’elles ont été soumises à la SPR au moyen d’une lettre de présentation datée du 23 mai 2012 et que la décision a été rendue deux mois plus tard, en juillet 2012. L’accusé de réception de télécopie constitue une preuve présumée que la SPR a effectivement reçu les documents en question.

ANALYSE

 

[76]    Premièrement, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que la SPR aurait dû se pencher sur la question des avortements forcés. Lors de l’audience relative à la demande d’asile, les demandeurs ont expliqué qu’ils souhaitaient avoir d’autres enfants. Toutefois, la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve qui lui permettait de penser que la demanderesse principale était enceinte ou qu’il était probable qu’elle le devienne un jour. Par conséquent, les risques d’un avortement forcé n’étaient pas une situation à laquelle les demandeurs étaient confrontés au moment de la décision et la SPR ne saurait se prononcer sur des risques purement hypothétiques.

 

[77]    Quant au caractère raisonnable de la décision, la SPR a fourni des motifs objectifs pour justifier sa conclusion que les hukous étaient frauduleux. L’analyse ne s’en tenait pas uniquement au rapport d’expertise de la GRC et reposait sur certaines modifications non expliquées qui ont été apportées au document lui-même, aux témoignages contradictoires sur la raison pour laquelle les demandeurs n’avaient pas de hukou pour la maison où ils résidaient réellement, sur leurs explications peu convaincantes quant aux raisons pour lesquelles ils n’avaient pas obtenu un nouvel hukou pour leur nouvelle adresse et sur la façon dont le frère de la demanderesse principale avait pu obtenir un hukou urbain. Les conclusions défavorables tirées au sujet des hukous n’étaient nullement hypothétiques et elles étaient justifiées par les modifications matérielles apparentes apportées au document lui-même, ainsi que par les témoignages confus et insatisfaisants donnés par les demandeurs. La conclusion de la GRC suivant laquelle l’authenticité des hukous était « peu concluante » n’empêchait pas la SPR d’explorer la question plus loin avec les demandeurs et d’en arriver à une conclusion défavorable au sujet de l’authenticité des hukous sur la foi de leur témoignage (voir Lin, précité, au paragraphe 61 à 63).

 

[78]    S’agissant des documents personnels concernant la planification familiale, le paragraphe 21 de la décision pose particulièrement problème :

J’estime que [traduction] « l’avis » que les autorités chargées de la planification familiale ont laissé à l’intention de la demandeure d’asile principale ne correspond pas au genre de document que produirait un bureau travaillant de manière efficace dans une grande ville comme Guangzhou. L’avis, daté du 1er août 2009, rappelle à la demandeure d’asile principale qu’elle doit se présenter au bureau de la planification familiale pour un examen parce que les examens de vérification du mois d’août pour les [stérilets] et les grossesses ont débuté. D’abord, s’il s’agit d’un avis général, il ne serait pas adressé expressément à la demandeure d’asile principale. Ensuite, la demandeure d’asile principale a déclaré dans son témoignage qu’elle avait un rendez‑vous à une date précise en août pour un examen de contrôle. Il s’agit en outre du seul avis que les demandeurs d’asile ont fourni. Or, un avis aurait dû lui être envoyé pour les autres mois où elle devait subir un examen. Enfin, la demandeure d’asile principale a déclaré dans son témoignage qu’elle avait un rendez‑vous à une date précise en août pour un examen de contrôle. Il serait raisonnable de s’attendre à ce que l’avis lui souligne le rendez‑vous en question, mais ce n’est pas le cas. Par conséquent, j’accorde à cet avis peu de valeur probante.

 

 

[79]    Il ressort à l’évidence de ce paragraphe que l’évaluation que la SPR a faite de l’avis (pièce C‑2) repose sur des conjonctures et qu’il y avait peu de raisons objectives lui permettant de conclure que [traduction] « “l’avis” que les autorités chargées de la planification familiale ont laissé à l’intention de la demandeure d’asile principale ne correspond pas au genre de document que produirait un bureau travaillant de manière efficace dans une grande ville comme Guangzhou ». La démarche suivie par la SPR pour justifier sa méthode en parlant de « ce à quoi on aurait raisonnablement pu s’attendre » n’est pas convaincante.

 

[80]    En revanche, la façon dont la SPR a traité l’avis de décision relatif à la pénalité et la lettre d’avertissement, de même que la lettre de l’employeur, reposait sur les faits. Les conclusions tirées par la SPR au sujet des incohérences et des insuffisances des documents eux-mêmes ne sauraient être qualifiées de déraisonnables, et ce, même si comme toujours, il est possible d’être d’un avis différent.

 

[81]    Dans l’ensemble, je ne crois pas que la manière hypothétique dont la SPR a traité l’avis (pièce C‑2) au paragraphe 21 de sa décision rende déraisonnable sa conclusion générale, au paragraphe 27, que les avis ne sont pas des documents authentiques, parce que cette conclusion reposait sur des motifs suffisants, abstraction faite des conjectures à laquelle la SPR s’est livrée au paragraphe 21.

 

[82]    Compte tenu du bon sens et de la logique, les « autres réserves au sujet de la crédibilité » et les conclusions relatives à la vraisemblance formulées aux paragraphes 28 et 29 de la décision sont raisonnables (voir Araya, précité, au paragraphe 6).

 

[83]    À tout prendre, j’estime donc qu’il existe un fondement objectif suffisant pour appuyer les conclusions défavorables tirées par la SPR au sujet de la crédibilité et je ne crois pas qu’on puisse dire que ces conclusions n’appartiennent pas aux issues acceptables au sens de l’arrêt Dunsmuir. L’analyse ne se termine toutefois pas là, parce que la SPR devait examiner les éléments de preuve portant sur la situation du pays, et plus particulièrement sur la province du Guangdong et décider si les demandeurs seraient exposés à de la persécution au sens de l’article 96 ou à un risque au sens de l’article 97 s’ils retournaient en Chine, compte tenu du fait incontestable que les demandeurs ont eu un second enfant né au Canada et que la demanderesse principale était enceinte de cet enfant lorsqu’elle a quitté la Chine.

 

[84]    La SPR mentionne des éléments de preuve qui démontrent que des stérilisations forcées ont lieu dans la province du Guangdong :

Dans ce document, il est également indiqué que des responsables de la ville de Puning, au Guangdong, ont mené une campagne de stérilisation à laquelle un très grand nombre de personnes ont participé en raison du taux de natalité élevé dans cette ville. Il y est également mentionné que, à Guangzhou, trois femmes agissant comme mères porteuses ont été forcées de se faire avorter, et une autre, enceinte de son second enfant, a été forcée de se faire avorter parce qu’elle n’avait pas respecté la période d’attente prescrite pour avoir un second enfant. Pour ce qui est de la situation à Puning, aucune source précise n’est soulignée, et aucun cas particulier n’est mentionné. Quoi qu’il en soit, à l’exception de la situation à Puning, laquelle, selon la prépondérance des probabilités, a un caractère distinctif, car je ne dispose d’aucun élément de preuve, rien ne prouve qu’une campagne de stérilisation a été menée à quelque autre endroit de la province du Guangdong. Quant aux incidents concernant les mères porteuses, lesquels ont également un caractère distinctif et ne peuvent être comparés à la situation qu’auraient vécue les demandeurs d’asile en l’espèce, un seul incident a été signalé relativement à un avortement forcé dans cette très grande province.

 

 

[85]    Le défendeur reconnaît que la SPR a eu tort d’affirmer qu’aucune source n’était citée au sujet de la situation à Puning. Il ressort toutefois à l’évidence du paragraphe 31 de la décision que le raisonnement de la SPR était que, peu importe ce qui était arrivé à Puning, la situation qui existait là‑bas et les incidents concernant les mères porteuses étaient différents parce que « rien ne prouve qu’une campagne de stérilisation a été menée à quelque autre endroit de la province du Guangdong » et que les incidents « ne peuvent être comparés à la situation qu’aura[it] vécue [la demandeure] d’asile en l’espèce ».

 

[86]    La SPR a reconnu qu’il y avait « des messages ambivalents dans la preuve documentaire sur le pays » qui lui était soumise, mais elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que « la demandeure d’asile principale ne risquerait pas de subir une stérilisation forcée dans la province du Guangdong si elle devait retourner en Chine » et « qu’aucun des demandeurs d’asile ne risquerait de subir une stérilisation si ces derniers devaient retourner en Chine en raison des incidents qui seraient survenus… ».

 

[87]    Les demandeurs affirment qu’en fait la documentation soumise à la SPR donnait de nombreux exemples de stérilisation dans la province du Guangdong et que la SPR est coupable d’avoir fait une lecture sélective de ces documents.

 

[88]    Dans le jugement Huang 1, précité, le juge Zinn a eu l’occasion d’évaluer la Réponse à la demande d’information CHN103502.EF, Chine : Information sur les lois en matière de planification familiale, l’application de ces lois et les dérogations; cas signalés d’avortements forcés ou de stérilisations forcées d’hommes et de femmes, notamment dans les provinces du Guangdong et du Fujian (2007 – mai 2010), que, selon le défendeur, la SPR a expressément examinée et raisonnablement soupesée dans le cas qui nous occupe.

 

[89]    Voici ce que le juge Zinn déclare, au paragraphe 24 de sa décision, au sujet de ce rapport :

Le rapport indique qu’il y a en très récemment une campagne de stérilisation forcée à grande échelle dans la province d’origine des demandeurs. On peut difficilement parler d’une série d’incidents isolés – il s’agirait en fait d’une initiative gouvernementale systématique [sic].

 

 

 

[90]    Nous savons donc que la province du Guangdong a mené et pourrait mener de nouveau une campagne de stérilisation forcée à grande échelle. La SPR a toutefois conclu, suivant la prépondérance des probabilités, que la demanderesse principale n’était exposée à aucun risque parce que « rien ne prouve qu’une campagne de stérilisation a été menée à quelque autre endroit de la province du Guangdong ».

 

[91]    Il me semble que la réponse à la question de savoir si les conclusions tirées par la SPR sur cette question sont raisonnables dépend dans une large mesure des éléments de preuve dont elle disposait, suivant lesquels la stérilisation forcée n’était pas imposée aux personnes se trouvant dans la situation des demandeurs. La SPR aborde ces éléments de preuve au paragraphe 30 de sa décision :

Selon les articles 49 et 55 du règlement sur la planification familiale de la province du Guangdong, [une taxe de solidarité sociale] [est] imposé[e] dans le cas d’une naissance non planifiée. Il est en outre indiqué que, si ces frais constituent un fardeau, un plan de versements échelonnés sera établi. Il est également indiqué que les frais seront multipliés par le nombre total d’enfants dont la naissance n’était pas planifiée. En outre, dans un autre document qui porte sur l’application de la planification familiale dans les provinces du Guangdong et du Fujian en particulier, il est indiqué que l’application des politiques sur la planification familiale varie selon les régions. Il y est également indiqué que les personnes qui enfreignent les règlements sur la planification familiale peuvent se voir infliger des amendes. En outre, des avortements et des stérilisations forcés ont encore lieu en Chine, mais ils sont moins fréquents que par le passé. Pour ce qui est de certaines provinces en particulier, il est indiqué que plusieurs provinces, qui sont précisées, prescrivent une interruption de grossesse en cas de violation du règlement provincial sur la planification familiale; tandis que d’autres provinces, qui sont précisées [traduction] “prescrivent le recours à des ‘[mesures réparatrices indéterminées]’ ”. La province du Guangdong fait partie de ce dernier groupe.

 

 

[92]    La décision ne permet pas de savoir avec certitude comment la SPR interprète l’expression « mesures réparatrices indéterminées ». Toutefois, à la différence de la situation qui existait dans l’affaire Zheng, précitée, il est clair qu’en l’espèce, la SPR ne présume pas que les « mesures réparatrices » ne comprennent pas la stérilisation forcée et ne désignent que la taxe de solidarité sociale. La SPR a entièrement pris acte, en l’espèce, des « messages ambivalents » et de l’existence de stérilisations forcées dans la province du Guangdong. Elle a simplement conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque parce que, si l’on fait abstraction de la situation à Puning, « rien ne prouve qu’une campagne de stérilisation a été menée à quelque autre endroit de la province du Guangdong ». Les éléments de preuve suivant lesquels les demandeurs ne sont pas exposés à une stérilisation forcée se trouvent aux articles 49 et 55 du Règlement sur la famille de la province du Guangdong (pièce R/A‑1, article 5.5), suivant lequel les politiques en matière de planification familiale varient d’une région à l’autre. Même les éléments de preuve que les demandeurs m’ont cités – par exemple, la Réponse à la demande d’information du 9 juin 2010, page 1 – laissent entendre que la stérilisation forcée n’est pas systématique :

Selon l’Annual Report 2009 de la Commission exécutive du Congrès sur la Chine (Congressional-Executive Commission on Chine — CECC), les contrevenants à la politique de planification familiale [traduction] « sont habituellement sanctionnés par des amendes et, dans certains cas, sont forcés de se faire stériliser ou avorter, sont détenus arbitrairement ou sont torturés » (É.-U. 10  oct.  2009, 151.

 

 

Les deux avocats ont insisté pour dire qu’on doit se méfier d’une politique officielle qui se prête à deux interprétations différentes et que, ce qui importe, c’est ce qui se produit sur le terrain et que la tâche de la SPR était de vérifier ce qui s’était concrètement produit. J’estime que la SPR a effectivement examiné les risques auxquels les demandeurs étaient exposés et qu’elle a abordé la question sous cet angle.

 

[93]    Dans l’ensemble, la SPR affirme que, dans une province où l’application des politiques en matière de planification familiale varie d’une région à l’autre, il n’y a pas suffisamment de preuves pour démontrer que les demandeurs étaient exposés à une stérilisation forcée s’ils retournaient en Chine. En pareil cas, lorsque la preuve n’est pas claire, la SPR n’a d’autre choix que d’évaluer les éléments dont elle dispose. Il incombe à la SPR d’apprécier la preuve et le fait que d’autres conclusions raisonnables soient possibles ne rend pas sa décision déraisonnable. Ainsi que le juge Denis Pelletier l’a déclaré dans le jugement Conkova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 300, au paragraphe 5 :

La question litigieuse en l’espèce porte sur l’appréciation que la SSR a faite de la preuve, un aspect de l’affaire qui relevait clairement de son mandat et son champ d’expertise. Le point de vue que la SSR a adopté à l’égard de la preuve était raisonnable, tout comme l’aurait été le point de vue opposé. La preuve, comme c’est si souvent le cas, est ambiguë et équivoque. Certains éléments de preuve étayent le point de vue des demandeurs, alors que d’autres le minent. Il incombe à la SSR de tenir compte de tous les éléments de preuve (ce qui ne l’oblige toutefois pas à mentionner expressément chaque élément de preuve qu’elle examine), de les soupeser, et de parvenir à une conclusion. Toute conclusion qu’elle tire qui n’est pas erronée à première vue n’est pas manifestement déraisonnable. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, (1996) 144 D.L.R. (4th) 1. En l’espèce, la conclusion que la SSR a tirée n’est pas erronée à première vue, même si d’autres personnes seraient peut-être parvenues à une autre conclusion. Aucun motif n’appelle l’intervention de notre Cour.

 

 

[94]    En l’espèce, force m’est de conclure que, bien qu’il soit possible d’être en désaccord avec la SPR, on ne peut affirmer que les conclusions qu’elle a tirées au sujet de la question de savoir si les demandeurs seraient exposés à une stérilisation forcée n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables au sens de l’arrêt Dunsmuir. Par conséquent, la Cour ne peut modifier la décision sur ce fondement.

 

[95]    La situation en ce qui concerne l’application de la politique de l’enfant unique dans la province du Guangdong est très difficile à évaluer. Une grande partie de la réponse à cette question dépend de la preuve présentée dans chaque cas. En l’espèce, la SPR, qui était pleinement consciente de ces difficultés, a apprécié des éléments de preuve dont elle disposait de façon raisonnable. La Cour ne peut intervenir.

 

[96]    La SPR avait également l’obligation de se demander si le fils né au Canada serait exposé à de la persécution au sens de l’article 96 ou à un risque au sens de l’article 97. Là encore, la SPR a apprécié la preuve sur ce point et a conclu que l’enfant ne serait pas persécuté ou exposé à un risque. Rien ne permet de penser que cette conclusion était déraisonnable.

 

[97]    Les avocats sont d’accord pour dire qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR :

 

1.                  REJETTE la demande;

2.                  DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

            « James Russell »          

       Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8066-12

 

INTITULÉ :                                      AI YAN LIANG

JUN WU SHAN

 

                                                            -   et   -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 juin 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 9 juillet 2013

 

 

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Marvin Moses                                                                         POUR LES DEMANDEURS

 

Sophia Karantonis                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Marvin Moses Law Office                                                      POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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