Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20130628

Dossier : T-1219-12

Référence : 2013 CF 729

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2013

En présente de madame la juge Simpson

 

ENTRE :

 

ROBERT BO DA HUANG

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Robert Bo Da Huang [le demandeur] agit pour son propre compte et comparaît avec l’assistance d’un interprète. Il demande le contrôle judiciaire d’une décision, datée du 24 mai 2012 [la décision], par laquelle une déléguée du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a décidé : i) qu’il y avait eu contravention au paragraphe 12(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 [la Loi]; ii) que les espèces qui avaient été saisies entre les mains du demandeur seraient confisquées en vertu de l’alinéa 29(1)c) de la Loi.

Les faits

[2]               Le 5 janvier 2011, le demandeur devait prendre l’avion de Vancouver à Hong Kong. Lorsqu’un agent des douanes [l’agent] de l’Agence des services frontaliers du Canada l’a abordé dans l’aire des départs de l’Aéroport international de Vancouver, le demandeur a admis transporter plus de 10 000 $ en espèces qu’il avait omis de déclarer. Une somme de 15 760 $ en espèces a été trouvée dans le sac du demandeur. L’argent n’était pas caché, mais était réparti en trois paquets dont un était retenu par des bandes élastiques, et un autre, enveloppé d’un mince morceau de papier.

 

[3]               À la suite d’un entretien avec le demandeur, l’agent a décidé de saisir les espèces, soupçonnant qu’il pouvait s’agir de produits de la criminalité. Le fait que le demandeur avait déjà été condamné pour contrebande de drogues, et le fait qu’il était sans emploi depuis 2007 et n’avait aucune autre source de revenus depuis, sont quelques-uns des motifs de soupçons fournis par l’agent. La somme de 15 760 $ sera ci-après appelée les « espèces saisies ».

 

[4]               Le demandeur a contesté la saisie auprès de la Direction des recours et a demandé un examen ministériel en vertu de l’article 25 de la Loi. Il a fourni les explications suivantes sur les espèces saisies : 1) 6 700 $ provenaient de la vente de son automobile; 2) 2 000 $ étaient de [traduction] « l’argent porte-bonheur » que lui avait donné sa mère; 3) la somme restante constituait ses économies personnelles. Le demandeur a produit un contrat d’achat pour le véhicule automobile, daté du 4 janvier 2010, ainsi qu’un reçu de la Banque TD indiquant qu’un montant correspondant avait été déposé dans son compte bancaire.

 

[5]               Lors d’un entretien subséquent avec l’arbitre de la Direction des recours, celui-ci a dit au demandeur que les 6 700 $ seraient considérés comme légitimes [les fonds légitimes], mais qu’il n’avait fourni aucune preuve établissant un lien tangible entre ses économies, [traduction] « l’argent porte-bonheur » et leur origine légitime. Cela signifiait que l’arbitre soupçonnait toujours que 9 060 $ des espèces saisies étaient des produits de la criminalité. Ce montant sera désigné comme les « fonds illicites ».

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[6]               Le 24 mai 2012, la déléguée du ministre a informé le demandeur que la totalité des espèces saisies (soit 15 760 $) serait confisquée, même si seulement 9 060 $ étaient considérés comme des fonds illicites.

 

[7]               Les raisons fournies se lisent comme suit : [traduction] « Bien qu’il y ait des preuves que vous avez reçu 6 700 $ en vendant le véhicule, vous n’avez fourni aucune autre preuve corroborante pour étayer l’origine légitime du reste des espèces saisies. »

 

[8]               Lors de l’audience, qui s’est tenue à Vancouver le 21 mai 2013, l’avocat du ministre a reconnu que le défendeur était convaincu que le demandeur avait prouvé que 6 700 $ des espèces saisies étaient le produit de la vente de son véhicule et que cet argent ne provenait pas de la criminalité et ne servait pas à financer des activités terroristes.

 

La compétence

[9]               Dans son avis de demande, le demandeur conteste non seulement la décision du ministre de retenir les espèces confisquées en vertu de l’article 29, mais aussi la décision confirmant la contravention à la Loi en vertu de l’article 27. Toutefois, il ressort clairement de l’article 30 de la Loi que la question de savoir s’il y a eu contravention ne peut être tranchée que par voie d’action à la Cour fédérale (Tourki c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CAF 186, aux paragraphes 16 à 18; Kang c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 798, aux paragraphes 29 et 30). Ainsi, seule la décision du ministre de retenir les espèces saisies en vertu de l’article 29 peut faire l’objet d’une contestation dans la présente instance.

 

La question en litige 

[10]           Il est devenu évident à l’audience que la question à trancher était celle de savoir si l’article 29 de la Loi autorise le ministre à ne confirmer la confiscation que des fonds illicites.

 

[11]           Le défendeur n’ayant pas été avisé de l’intérêt que la Cour portait à cette question, les parties ont été invitées à présenter des observations supplémentaires.

 

La Loi

[12]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes pour la présente espèce :

3. La présente loi a pour objet :

a) de mettre en œuvre des mesures visant à détecter et décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à faciliter les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions de recyclage des produits de la criminalité et aux infractions de financement des activités terroristes, notamment :

(i) imposer des obligations de tenue de documents et d’identification des clients aux fournisseurs de services financiers et autres personnes ou entités qui se livrent à l’exploitation d’une entreprise ou à l’exercice d’une profession ou d’activités susceptibles d’être utilisées pour le recyclage des produits de la criminalité ou pour le financement des activités terroristes,

(ii) établir un régime de déclaration obligatoire des opérations financières douteuses et des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets,

(iii) constituer un organisme chargé de l’examen de renseignements, notamment ceux portés à son attention en application du sous-alinéa (ii);

b) de combattre le crime organisé en fournissant aux responsables de l’application de la loi les renseignements leur permettant de priver les criminels du produit de leurs activités illicites, tout en assurant la mise en place des garanties nécessaires à la protection de la vie privée des personnes à l’égard des renseignements personnels les concernant;

c) d’aider le Canada à remplir ses engagements internationaux dans la lutte contre le crime transnational, particulièrement le recyclage des produits de la criminalité, et la lutte contre les activités terroristes.

 

[…]

 

12. (1) Les personnes ou entités visées au paragraphe (3) sont tenues de déclarer à l’agent, conformément aux règlements, l’importation ou l’exportation des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire.

 

[…]

 

18. (1) S’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), l’agent peut saisir à titre de confiscation les espèces ou effets.

 

(2) Sur réception du paiement de la pénalité réglementaire, l’agent restitue au saisi ou au propriétaire légitime les espèces ou effets saisis sauf s’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il s’agit de produits de la criminalité au sens du paragraphe 462.3(1) du Code criminel ou de fonds destinés au financement des activités terroristes.

 

 

 



[…]

 

25. La personne entre les mains de qui ont été saisis des espèces ou effets en vertu de l’article 18 ou leur propriétaire légitime peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la saisie, demander au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) en donnant un avis écrit à l’agent qui les a saisis ou à un agent du bureau de douane le plus proche du lieu de la saisie.

 

 

 

 

29. (1) S’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre peut, aux conditions qu’il fixe :

 

 

a) soit restituer les espèces ou effets ou, sous réserve du paragraphe (2), la valeur de ceux-ci à la date où le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision, sur réception de la pénalité réglementaire ou sans pénalité;

 

 

b) soit restituer tout ou partie de la pénalité versée en application du paragraphe 18(2);

 

c) soit confirmer la confiscation des espèces ou effets au profit de Sa Majesté du chef du Canada, sous réserve de toute ordonnance rendue en application des articles 33 ou 34.

 

Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il en est informé, prend les mesures nécessaires à l’application des alinéas a) ou b).

 

(2) En cas de vente ou autre forme d’aliénation des espèces ou effets en vertu de la Loi sur l’administration des biens saisis, le montant de la somme versée en vertu de l’alinéa (1)a) ne peut être supérieur au produit éventuel de la vente ou de l’aliénation, duquel sont soustraits les frais afférents exposés par Sa Majesté; à défaut de produit de l’aliénation, aucun paiement n’est effectué.

3. The object of this Act is

(a) to implement specific measures to detect and deter money laundering and the financing of terrorist activities and to facilitate the investigation and prosecution of money laundering offences and terrorist activity financing offences, including

 

 

 

(i) establishing record keeping and client identification requirements for financial services providers and other persons or entities that engage in businesses, professions or activities that are susceptible to being used for money laundering or the financing of terrorist activities,

 

 

 

(ii) requiring the reporting of suspicious financial transactions and of cross-border movements of currency and monetary instruments, and

(iii) establishing an agency that is responsible for dealing with reported and other information;

 

 

(b) to respond to the threat posed by organized crime by providing law enforcement officials with the information they need to deprive criminals of the proceeds of their criminal activities, while ensuring that appropriate safeguards are put in place to protect the privacy of persons with respect to personal information about themselves; and

(c) to assist in fulfilling Canada’s international commitments to participate in the fight against transnational crime, particularly money laundering, and the fight against terrorist activity.

 

 

[…]

12. (1) Every person or entity referred to in subsection (3) shall report to an officer, in accordance with the regulations, the importation or exportation of currency or monetary instruments of a value equal to or greater than the prescribed amount.

 

[…]

 

18. (1) If an officer believes on reasonable grounds that subsection 12(1) has been contravened, the officer may seize as forfeit the currency or monetary instruments.

 

(2) The officer shall, on payment of a penalty in the prescribed amount, return the seized currency or monetary instruments to the individual from whom they were seized or to the lawful owner unless the officer has reasonable grounds to suspect that the currency or monetary instruments are proceeds of crime within the meaning of subsection 462.3(1) of the Criminal Code or funds for use in the financing of terrorist activities.

 

[…]

 

25. A person from whom currency or monetary instruments were seized under section 18, or the lawful owner of the currency or monetary instruments, may within 90 days after the date of the seizure request a decision of the Minister as to whether subsection 12(1) was contravened, by giving notice in writing to the officer who seized the currency or monetary instruments or to an officer at the customs office closest to the place where the seizure took place.

 

29. (1) If the Minister decides that subsection 12(1) was contravened, the Minister may, subject to the terms and conditions that the Minister may determine,

(a) decide that the currency or monetary instruments or, subject to subsection (2), an amount of money equal to their value on the day the Minister of Public Works and Government Services is informed of the decision, be returned, on payment of a penalty in the prescribed amount or without penalty;

(b) decide that any penalty or portion of any penalty that was paid under subsection 18(2) be remitted; or

 

(c) subject to any order made under section 33 or 34, confirm that the currency or monetary instruments are forfeited to Her Majesty in right of Canada.

 

 

The Minister of Public Works and Government Services shall give effect to a decision of the Minister under paragraph (a) or (b) on being informed of it.

 

 

(2) The total amount paid under paragraph (1)(a) shall, if the currency or monetary instruments were sold or otherwise disposed of under the Seized Property Management Act, not exceed the proceeds of the sale or disposition, if any, less any costs incurred by Her Majesty in respect of the currency or monetary instruments.

 

Contexte législatif

[13]           Le paragraphe 12(1) de la Loi énonce l’obligation de déclarer à un agent l’importation ou l’exportation des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire. Le Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002-412, fixe ce montant à 10 000 $.

 

[14]           Le paragraphe 18(1) de la Loi permet à un agent de saisir à titre de confiscation les espèces ou effets, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1). Toutefois, l’agent « restitue » au saisi les espèces saisies sur réception du paiement de la pénalité réglementaire, sauf s’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il s’agit de produits de la criminalité ou de fonds destinés au financement des activités terroristes (les soupçons). Si l’agent entretient de tels soupçons, les fonds demeurent confisqués.

 

[15]           À mon sens, ce paragraphe établit la base de la saisie et expose clairement l’intention du législateur : si des fonds n’ont pas été déclarés, il y aura pénalité, mais le Canada ne saisira, à des fins de confiscation, que les fonds qui font l’objet de soupçons. Il convient de noter que rien dans ce paragraphe n’empêche de retenir une partie des espèces ou effets saisis si l’agent est convaincu que seule une partie est suspecte.

 

[16]           L’article 25 permet à la personne entre les mains de qui les fonds ont été saisis de demander au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), c.-à-d.. une omission de déclarer des fonds. Selon l’article 29, s’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre peut restituer les espèces ou effets ou confirmer leur confiscation. Il est à noter que l’article 29 n’interdit pas expressément la restitution d’une partie des espèces saisies une fois que leur origine légitime a été établie.

 

L’analyse

[17]           Le demandeur soutient que la décision était déraisonnable au motif qu’elle ne tenait pas compte de la preuve corroborante supplémentaire fournie pour étayer la légitimité des fonds illicites. Pourtant, après avoir examiné la preuve présentée par le demandeur et le dossier dont disposait le ministre, je suis d’avis qu’il était raisonnable pour le ministre de confirmer la confiscation du montant dont le demandeur alléguait qu’il correspondait à ses économies personnelles et à l’argent qu’il avait reçu de sa mère.

 

[18]           Pour ce qui est des fonds légitimes, le défendeur a présenté des observations supplémentaires, datées du 11 juin 2013, selon lesquelles les principes d’interprétation législative, à savoir la méthode moderne d’interprétation des lois et le principe de « l’exclusion implicite », mènent à la conclusion que l’article 9 ne confère pas au ministre le pouvoir discrétionnaire de restituer au demandeur une partie des espèces saisies. De plus, le demandeur a présenté des observations supplémentaires, datées du 19 juin 2013, dans lesquelles il exprime son désaccord avec la position du défendeur au motif qu’elle est inéquitable. Il demande maintenant que seuls les fonds légitimes lui soient restitués.

 

[19]           Le défendeur soutient que, dans l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 SC 42, aux paragraphes 26 et 27 (CSC), la Cour suprême du Canada a confirmé que la méthode moderne d’interprétation législative exige de lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Puisque, dans l’article 29 et ailleurs dans la Loi, il n’est fait aucune mention de restitution partielle des espèces saisies, il est manifeste, selon le défendeur, que le législateur n’a pas autorisé la restitution partielle des fonds non déclarés ayant été saisis.

 

[20]           Le défendeur s’appuie aussi sur la conclusion exprimée par la Cour suprême dans l’arrêt Bell ExpressVu concernant l’applicabilité d’autres principes législatifs lorsqu’il y a ambiguïté sur le sens d’une disposition. Si l’article 29 est jugé ambigu, le défendeur soutient que le principe de « l’exclusion implicite » s’applique, c.‑à‑d. que, lorsque la loi prévoit expressément quelque chose dans une disposition, il est à supposer que si cette chose n’est pas mentionnée dans une autre disposition, celle‑ci ne peut avoir le même sens. En l’espèce, le défendeur affirme que l’intention exprimée par le législateur de ne pas autoriser la restitution d’une partie des espèces saisies est manifeste dans l’alinéa 29(1)a), si on le compare à l’alinéa 29(1)b), lequel permet au ministre de restituer « tout ou partie de la pénalité […] » [je souligne] à un saisi. Le défendeur avance que le traitement différent de ces concepts voisins, se trouvant à un alinéa d’intervalle seulement, indique fortement que le législateur a effectivement réfléchi à la question de la restitution partielle des espèces saisies, mais qu’il a rejeté cette mesure.

 

[21]           De plus, l’avocat du défendeur rappelle que la Cour a explicitement traité de cette question et qu’elle a déterminé que l’article 29 ne permet pas la restitution partielle des fonds confisqués. La question a été directement abordée par le juge Rennie dans la décision Admasu c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 451. Le demandeur avait omis de déclarer un peu plus de 14 000 $ alors qu’il s’apprêtait à monter dans un avion à destination de l’Éthiopie avec escale à Amsterdam. La Direction des recours avait reconnu l’origine légitime de 5 000 $ des espèces saisies, mais avait refusé de restituer cette somme au motif que le demandeur n’avait pas établi la source légitime de l’ensemble des espèces saisies. Le juge Rennie a relevé la différence entre le libellé de l’alinéa 29(1)a) et celui de l’alinéa 29(1)b), et a conclu que la Loi ne permettait pas la confiscation partielle des espèces saisies. Le juge a répété cette conclusion dans la décision Dhamo c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CF 443, aux paragraphes 16 et 33, où il a statué qu’il n’était pas possible pour le ministre d’accorder la restitution partielle d’espèces confisquées.

[22]           Dans la décision Mohammad c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CF 148, le juge Martineau est parvenu à la même conclusion, et la juge Gleason a cité et approuvé la conclusion du juge Rennie, bien qu’elle n’ait pas estimé nécessaire de trancher la question sur la foi des faits qui lui étaient présentés; voir Tran c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CF 600.

 

[23]           Le défendeur souligne l’importance de la courtoisie judiciaire et me presse de suivre ces décisions. Comme l’a dit le juge Marc Noël dans l’arrêt Allegran Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CAF 308, la doctrine de la courtoisie judiciaire cherche à promouvoir la certitude en droit, en empêchant qu’une même question soit tranchée différemment par des juges différents de la même cour.

 

[24]           Le défendeur soutient que ce n’est que lorsqu’il y a de « bonnes raisons de ne pas le faire » que les décisions de collègues ne devraient pas être suivies (Apotex Inc. c Pfizer Canada Inc., [2013] ACF no 562, aux paragraphes 13 et 14 (CF); Altana Pharma Inc. c Novopharm Ltd., 2007 CF 1095, au paragraphe 36). D’après le défendeur, cette doctrine a été interprétée comme signifiant la présence de l’un des facteurs suivants :

– des décisions ultérieures ont remis en question la validité du jugement contesté;

– il est démontré qu’un élément jurisprudentiel ayant force obligatoire ou une loi pertinente n’ont pas été pris en considération;

– le jugement a été rendu sans délibéré, un jugement nisi prius rendu dans des circonstances bien connues de tous les juges de première instance, là où les exigences du procès sont telles que le juge doit rendre immédiatement sa décision sans avoir le temps de consulter la jurisprudence.

 

[25]           Le défendeur soutient qu’aucun de ces facteurs n’est présent en l’espèce et qu’il n’y a donc pas de raison de s’écarter des quatre jugements récemment rendus par la Cour.

 

[26]           Toutefois, dans l’arrêt Allegran Inc., précité, au paragraphe 48, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’un juge peut écarter les conclusions de droit tirées par une autre juge de la Cour fédérale s’il est convaincu qu’il est nécessaire de le faire et qu’il peut faire état de motifs convaincants à l’appui. De plus, notre Cour a reconnu qu’il y avait une exception au principe de la courtoisie judiciaire lorsqu’un juge est d’avis que, si une décision antérieure de la Cour est suivie, elle créerait une injustice (Almrei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1025, au paragraphe 62).

 

[27]           En toute déférence envers mes collègues, je ne peux souscrire à leur conclusion voulant que, puisque la Loi précise à l’alinéa 29(1)b) qu’une partie de la pénalité peut être restituée, il s’ensuit que la partie des espèces saisies qui est légitime ne pourrait pas être restituée en vertu de l’alinéa 29(1)a) au motif qu’il n’est pas question de « partie » dans cet alinéa.

 

[28]           Mon désaccord se fonde sur les points suivants qui, à mon sens, sont de « bonnes raisons de ne pas le faire ». Je tiens à souligner qu’aucun de ces points n’a été cité dans les décisions antérieures de la Cour fédérale :

i.                    Les objectifs de la Loi sont définis à l’article 3 et la confiscation de fonds légitimes ne permet pas d’atteindre ces objectifs. Dans l’arrêt Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans le cadre de l’article 29 de la Loi. À cet égard, elle s’exprime ainsi au paragraphe 53 : « Le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire en respectant le cadre de la Loi et les objectifs que le législateur cherchait à atteindre par cette loi. » Je suis d’avis qu’il ne serait pas raisonnable pour le ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de la retenue de fonds légitimes confisqués.

ii.                  La pénalité imposée au présent demandeur pour avoir omis de déclarer des fonds légitimes est de 250 $, en application de l’alinéa 18a) du Règlement. La confiscation de la somme de 6 700 $ impose dans les faits une pénalité draconienne que la Loi ne prescrit pas.

iii.                À mon sens, si le législateur avait voulu que des fonds légitimes puissent être confisqués, il l’aurait dit en termes non équivoques. Bien que l’avocat du défendeur ait eu la possibilité de présenter des observations sur cette question, on n’a pas fourni à la Cour un historique législatif démontrant que le législateur avait l’intention de s’approprier ces fonds.

iv.                Si, à l’aéroport, le demandeur avait eu en sa possession les documents de vente du véhicule automobile, l’agent aurait été tenu, en vertu du paragraphe 18(2) de la Loi, de restituer les fonds légitimes à ce moment-là, sous réserve du paiement de la pénalité prescrite. Par conséquent, il est illogique qu’il soit loisible au ministre de confirmer la confiscation de ces fonds à une date ultérieure.

v.                  L’interprétation avancée par le défendeur pourrait conduire à des résultats punitifs absurdes. Par exemple, si 100 000 $ étaient saisis et qu’il s’avérait ultérieurement que 99 000 $ sont légitimes, le défendeur affirmerait néanmoins que le ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de restituer 99 000 $ en vertu de l’alinéa 29(1)c) de la Loi. Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 (CSC), au paragraphe 27, la Cour suprême du Canada a dit : « Selon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. ». L’absurdité est définie dans décision comme étant l’interprétation qui mène à des conséquences inéquitables ou qui est incompatible avec les objectifs de la loi.

vi.                Enfin, bien que le mot « partie » figure à l’alinéa 29(1)b), il renvoie à la pénalité qui, selon le Règlement, ne peut être supérieure à 5 000 $. À mon sens, l’interprétation de l’alinéa 29(1)a), qui peut décider du sort de sommes d’argent importantes, ne devrait pas reposer uniquement sur les termes utilisés dans une disposition punitive. Autrement dit, contrairement aux observations du défendeur, je ne crois pas que la pénalité pour défaut de déclarer des espèces et la confiscation de fonds suspects soient des [traduction] « concepts voisins ». Cela étant, je ne suis pas convaincue que le principe d’exclusion implicite de l’interprétation législative soit applicable.

 

Conclusion

[29]           Pour tous ces motifs, je conclus que la décision de confirmer la confiscation des espèces saisies, y compris les fonds légitimes, était un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

La décision est par la présente annulée et la demande du demandeur quant à la restitution des fonds légitimes doit être reconsidérée par le ministre, en conformité avec les présents motifs.

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1219-12

 

INTITULÉ :                                                  ROBERT BO DA HUANG c

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 21 mai 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LA JUGE SIMPSON

 

DATE DU JUGEMENT :                           Le 28 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Bo Da Huang

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Philippe Alma

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Bo Da Huang

Pour son propre compte

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.