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Date : 20130708

Dossier : IMM-8253-12

Référence : 2013 CF 761

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 8 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

NEDA REZAEIAZAR

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 28 juin 2012 (la décision) par laquelle un agent des visas (l’agent) de l’Ambassade du Canada, Section des visas, à Ankara, en Turquie, a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

 

CONTEXTE

 

[2]               Âgée de 41 ans, la demanderesse est une citoyenne iranienne. Elle est directrice du Département des arts visuels de l’Université islamique d’Azad et elle a présenté une demande d’immigration au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) en fonction de la profession 4121 – Professeurs d’université, de la Classification nationale des professions (CNP).

 

[3]               Après avoir soumis sa demande en octobre 2010, la demanderesse a été informée par une « lettre relative à l’équité procédurale » datée du 9 mai 2012 (dossier de la demanderesse, à la page 12), que l’agent craignait que le nombre de points qui lui avaient attribué selon la grille des travailleurs qualifiés fédéraux ne reflétât pas son aptitude réelle à réussir son établissement économique au Canada. L’agent était préoccupé par l’incapacité de la demanderesse de lire l’anglais. Elle n’avait en effet obtenu aucun point pour la lecture à son examen IELTS (International English Language Testing System). L’agent était également préoccupé que l’absence d’expérience en enseignement en anglais ou à l’extérieur de l’Iran faisait en sorte qu’il serait très difficile pour la demanderesse de se trouver du travail comme professeure d’université au Canada. L’agent était également préoccupé par la capacité de la demanderesse de se trouver du travail en graphisme étant donné qu’il s’agit d’un domaine fort compétitif et que l’expérience que la demanderesse avait accumulée dans ce domaine remontait à une dizaine d’années, dans un contexte fort différent de celui du Canada. La demanderesse n’a pas été convoquée à une entrevue et elle s’est vu accorder un délai de 45 jours pour soumettre des renseignements complémentaires pour répondre aux préoccupations de l’agent.

 

[4]               En réponse, la demanderesse a soumis des observations et des documents qui, selon ce qu’elle croyait, répondraient aux préoccupations de l’agent. Elle a expliqué qu’elle n’avait pas poursuivi ses études en vue d’obtenir un doctorat parce que ce programme n’était pas offert en Iran et qu’elle dirigeait le Département des arts visuels de son université depuis deux ans et demi. La demanderesse était l’auteure d’un ouvrage intitulé [traduction] « Application des arts graphiques en cartographie » qui a été publié en 2007 et elle a écrit de nombreux articles dans son domaine. La demanderesse possède également une vaste expérience en recherche et a utilisé ses recherches sur le terrain et ses recherches en bibliothèque pour ses publications.

 

[5]               La demanderesse a contribué à fonder un périodique sur les arts visuels et elle est membre du comité de rédaction. Elle a travaillé comme professeure d’université pendant plus d’une dizaine d’années et a enseigné des cours qui sont semblables à ceux qui sont offerts au Canada. La demanderesse a également de l’expérience avec une foule de programmes de conception par ordinateur et elle a conçu des catalogues de vente et de la publicité. Elle fait partie de la société iranienne des concepteurs graphiques, qui est un membre reconnu du Conseil international des associations de design graphique, ce qui signifie que l’expérience que la demanderesse a accumulée au sein de la société iranienne des concepteurs graphiques répond à la plupart des normes internationales.

 

[6]               En ce qui concerne ses compétences linguistiques, la demanderesse a expliqué qu’elle suivait des cours d’anglais depuis un an et que les notes qu’elle avait obtenues à son dernier examen ne correspondaient plus à ses capacités linguistiques actuelles. Elle a expliqué à l’agent qu’elle serait en mesure de fournir des résultats de test actualisés si on lui accordait un délai de plus de 45 jours étant donné qu’il fallait compter au moins 45 jours pour s’inscrire et subir l’examen. La demanderesse a expliqué qu’elle n’avait aucune raison de subir cet examen plus tôt, étant donné qu’elle ne croyait pas qu’elle avait besoin de points supplémentaires pour être admise au Canada puisqu’elle avait déjà accumulé plus que le nombre minimal requis. La raison pour laquelle la demanderesse tentait d’améliorer son anglais était qu’elle se préparait à partir pour le Canada.

 

[7]               Comme la demanderesse n’avait pas réussi à obtenir de nouveaux résultats d’examen à temps, elle a soumis à l’agent une lettre de son professeur d’anglais. Le professeur expliquait qu’il s’attendait à ce que la demanderesse atteigne un haut degré d’aptitude en conversation anglaise d’ici la fin de la session. La demanderesse a terminé son troisième niveau (niveau avancé) le 10 octobre 2012 et son professeur a affirmé qu’il s’attendait à ce que la demanderesse obtienne au moins la note IELTS 6.5 si elle se présentait de nouveau à l’examen IELTS. La demanderesse a expliqué qu’elle tenait beaucoup à continuer à améliorer ses compétences en anglais jusqu’à ce qu’elle obtienne la note de 7 à l’examen, c’est‑à‑dire la note nécessaire pour fréquenter un établissement d’études supérieures au Canada.

 

[8]               Le frère de la demanderesse a expliqué qu’il ferait travailler cette dernière à l’un de ses restaurants Swiss Chalet ou à son magasin de nettoyage à sec si elle ne réussissait pas à se trouver du travail ou à poursuivre ses études à son arrivée au Canada. La demanderesse déclare dans son affidavit que son frère ne lui avait pas précisé quel genre de travail il lui ferait faire à son restaurant Swiss Chalet, parce qu’il croyait qu’il serait évident en raison des antécédents de sa sœur qu’elle s’occuperait de conception graphique. Le Swiss Chalet est une grande entreprise qui nécessite davantage de promotion que le magasin de nettoyage à sec de sorte que le frère de la demanderesse n’a pas joint de lettre de son commerce de nettoyage à sec.

 

[9]               La demanderesse explique dans son affidavit que son mari est un décorateur intérieur expérimenté et que le frère de la demanderesse est également disposé à offrir du travail à la demanderesse et à son mari pour refaire l’intérieur du commerce de nettoyage à sec. Le mari de la demanderesse a également reçu une offre d’emploi de Daryoush Firouzli Architecture Inc., une entreprise de la Colombie-Britannique. Le professeur a estimé les compétences linguistiques du mari de la demanderesse à environ IELTS 5. La demanderesse affirme qu’elle n’a pas inclus ce renseignement dans les observations qu’elle a soumises à l’agent parce qu’elle ne croyait pas que l’employabilité ou les compétences linguistiques de son mari étaient en cause.

 

[10]           Le 28 juin 2012, la demanderesse a reçu une lettre de l’agent l’informant du rejet de sa demande.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

 

[11]           La décision rendue en l’espèce consiste en la lettre du 28 juin 2012 (la lettre de refus) ainsi qu’en les notes versées au système mondial de gestion des cas (SMGC) prises par l’agent.

 

[12]           L’agent a expliqué que le paragraphe 75(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), prévoyait une catégorie de travailleurs qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada. Les travailleurs qualifiés sont évalués en fonction des critères énumérés au paragraphe 76(1), et le paragraphe 76(3) permet à l’agent de substituer son appréciation à ces critères si le nombre de points obtenu par le travailleur n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de ce travailleur à réussir son établissement économique au Canada.

 

[13]           Dans ses notes du 7 mai 2012, l’agent fait observer que la demanderesse avait continué à fréquenter l’université après avoir obtenu sa maîtrise et qu’elle n’avait pas d’expérience de travail en dehors de l’enseignement. Rien ne permet de penser que la demanderesse a participé à des conférences universitaires à l’extérieur de l’Iran ou qu’elle a voyagé dans un pays occidental pour quelque raison que ce soit. L’agent a constaté que les deux publications de la demanderesse étaient mentionnées sur Internet, mais qu’elles avaient été publiées seulement en farsi.

 

[14]           Dans une note datée du 7 mai 2012, l’agent a souligné que la demanderesse avait obtenu la note de 5 à son examen d’anglais IELTS, ce qui signifiait qu’elle possédait une compétence de base en anglais, signalant toutefois qu’elle avait obtenu la note de 0 en lecture. L’agent a déclaré que l’incapacité de la demanderesse de lire l’anglais constituerait un obstacle crucial dans le cas d’une personne souhaitant travailler dans un domaine qui était tributaire à ce point de la communication écrite. Comme elle ne possédait aucune expérience en enseignement universitaire à l’extérieur de l’Iran ou en anglais, l’agent estimait qu’il était peu probable que la demanderesse soit en mesure d’obtenir un poste d’enseignement universitaire ou un poste comparable au Canada.

 

[15]           L’agent a souligné que la demanderesse possédait aussi de l’expérience de travail comme conceptrice graphique. Il s’agit d’un domaine économiquement difficile pour la plupart sauf une infime minorité, les meilleurs, et l’agent a fait observer que l’expérience accumulée par la demanderesse remontait à une dizaine d’années et qu’elle avait été obtenue dans un environnement très différent de celui du Canada. L’agent a fait observer que la demanderesse avait au Canada un membre de sa famille qui pouvait l’aider à obtenir du travail, mais qu’en l’espèce, cette aide se limiterait aux aspects sociaux et logistiques.

 

[16]           Les notes du 26 juin 2012 concernent les observations formulées par la demanderesse au sujet de la lettre relative à l’équité procédurale. La demanderesse réaffirmait son désir de se trouver du travail comme professeure d’université au Canada, mais l’agent a estimé que le fait qu’elle ne possédait pas de doctorat et que ses compétentes linguistiques étaient limitées constituerait un obstacle majeur, et ce, malgré ses capacités financières et l’appui de sa famille au Canada. Le fait qu’il n’existe pas de programme de doctorat en Iran ne changeait rien selon lui au fait que la demanderesse aurait besoin de ce diplôme pour obtenir du travail au Canada. L’agent a également déclaré que l’article érudit écrit par la demanderesse ne ressemblait pas à ceux qu’on trouve dans la plupart des publications érudites, étant donné qu’il était rédigé en termes généraux. L’agent a fait observer que la demanderesse avait amélioré ses compétences linguistiques en anglais, mais il ne croyait pas crédible qu’elle pouvait attendre pour se présenter de nouveau à un examen IELTS, compte tenu du fait qu’elle avait déclaré souhaiter continuer ses études en vue d’obtenir un doctorat au Canada.

 

[17]           L’agent a déclaré qu’après examen des observations de la demanderesse, les préoccupations exprimées dans la lettre relative à l’équité procédurale demeuraient. De plus, même si le frère de la demanderesse avait produit une lettre affirmant qu’il engagerait sa sœur dans un de ses restaurants Swiss Chalet, la lettre ne précisait pas s’il s’agirait d’un poste qualifié. Compte tenu du manque d’expérience de la demanderesse dans le domaine de la restauration, l’agent estimait que cela était peu probable et que le fait que la demanderesse occuperait un poste non qualifié ne saurait être considéré comme une réussite de son établissement économique au Canada en tant que travailleuse qualifiée. L’agent a fait observer qu’on ne disposait d’aucun indice au sujet des compétences linguistiques ou de la capacité du mari de la demanderesse de se trouver du travail au Canada.

 

[18]           L’agent a également signalé que l’autre agent supérieur avait souscrit à cette évaluation de substitution et il a par conséquent refusé la demande présentée par la demanderesse.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[19]           La demanderesse soulève les questions suivantes dans la présente demande :

a.                   L’agent a‑t‑il manqué aux principes d’équité procédurale en ne signalant pas à la demanderesse ses préoccupations d’une manière lui permettant d’y répondre adéquatement?

b.                  La façon dont l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire était‑elle déraisonnable?

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle applicable. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs formant l’analyse relative à la norme de contrôle.

[21]           En ce qui concerne la première question, la demanderesse affirme qu’on ne lui a pas donné la possibilité de répondre adéquatement aux préoccupations de l’agent. Il s’agit d’une question d’équité procédurale (Kuhathasan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 457, au paragraphe 18) et, ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100 : « Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale. » Par conséquent, cette question sera examinée selon la norme de la décision correcte.

 

[22]           La seconde question porte sur la façon dont l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire lors de son examen de la demande de la demanderesse. Cette question est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Kniazeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268; Ali v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1247; Hamza v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 264).

 

[23]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[24]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

 

Visa et documents

 

 

*       11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

 

[25]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent à la présente instance :

Catégorie

 

75. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

 

[…]

 

Critères de sélection

 

76. (1) Les critères ci-après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

 

 

 

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

 

 

(i) les études, aux termes de l’article 78,

 

(ii) la compétence dans les langues officielles du Canada, aux termes de l’article 79,

 

(iii) l’expérience, aux termes de l’article 80,

 

(iv) l’âge, aux termes de l’article 81,

 

(v) l’exercice d’un emploi réservé, aux termes de l’article 82,

 

(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83

 

[…]

 

Appréciation de substitution de l’agent à la grille

76 (3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

 

 

 

[…]

Class

 

75. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.

 

 

[…]

 

Selection criteria

 

76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:

 

(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,

 

(i) education, in accordance with section 78,

 

(ii) proficiency in the official languages of Canada, in accordance with section 79,

 

(iii) experience, in accordance with section 80,

 

(iv) age, in accordance with section 81,

 

(v) arranged employment, in accordance with section 82, and

 

(vi) adaptability, in accordance with section 83…

 

[…]

 

Circumstances for officer’s substituted evaluation

 

76 (3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

 

[…]

 

ARGUMENTS

La demanderesse

            L’équité procédurale

 

[26]           La demanderesse souligne que, lorsqu’un agent exerce son pouvoir discrétionnaire en substituant son appréciation aux critères prévus par la loi, le devoir d’équité est plus exigeant. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Sadeghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 337 [Sadeghi] :

14        Il est important de mettre l’accent sur le contexte particulier dans lequel cette question d’équité procédurale se pose. L’alinéa 11(3)b) confère un pouvoir extraordinaire s’appliquant aux cas exceptionnels et n’accorde pas aux agents des visas un pouvoir discrétionnaire général leur permettant de réviser l’appréciation qu’ils ont faite selon les critères de sélection particuliers prévus ou de justifier un point de vue selon lequel le demandeur n’est pas d’une certaine façon tout à fait [traduction] « à la hauteur » : voir la décision Chen, précitée, [1991] 1 C.F. 350 (1re inst.), à la page 363. L’exigence selon laquelle le demandeur indépendant qui sollicite un visa de résident permanent doit être apprécié conformément aux critères de sélection prévus par la loi vise comme objectif de la loi à garantir une certaine objectivité et une certaine uniformité dans le processus décisionnel des agents des visas.

15        En conséquence, dans l’exercice du pouvoir que lui confère l’alinéa 11(3)b), l’agente des visas a pris une décision discrétionnaire privant l’appelant de son attente légitime selon laquelle, comme il avait rempli les critères de sélection particuliers prévus par la loi, qui, pour la plupart, sont conçus pour apprécier la capacité du demandeur de réussir son installation au Canada sur le plan économique, il obtiendrait un visa, à moins d’être jugé non admissible en application du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’immigration. Les décisions qui frustrent une personne de son attente légitime de recevoir un bénéfice attirent généralement une plus grande protection sur le plan de la procédure que celles où le pouvoir discrétionnaire est général.

 

[…]

 

17     Pour s’assurer du bien-fondé de son opinion selon laquelle il existe de bonnes raisons de croire que les points d’appréciation ne reflètent pas de façon appropriée les chances du demandeur de réussir son installation au Canada, il est important que l’agent des visas communique ses réserves à l’intéressé de façon à lui donner la possibilité d’y répondre, au moins dans les cas où le demandeur peut apporter un éclaircissement utile. La rigueur du processus décisionnel est particulièrement importante quand une opinion défavorable est susceptible de priver une personne de ses droits ou, comme en l’espèce, de la réception légitimement attendue d’un bénéfice prévu par la loi.

 

 

[27]           La demanderesse affirme que, dans le cas qui nous occupe, l’agent ne lui a pas fait part de ses réserves d’une manière qui lui aurait permis d’y répondre adéquatement. Par exemple, l’agent indiquait dans la lettre relative à l’équité qu’il était d’avis que le frère de la demanderesse ne lui serait pas d’une grande aide pour l’aider à se trouver du travail au Canada. En réponse, la demanderesse a soumis une lettre de son frère dans laquelle ce dernier expliquait qu’il était prêt à lui offrir un emploi à son restaurant Swiss Chalet si elle avait des difficultés à se trouver du travail dans son domaine en arrivant au Canada.

[28]           L’agent a écarté cette lettre au motif que l’emploi offert ne serait probablement pas un poste qualifié. Toutefois, ainsi que la demanderesse l’explique dans son affidavit, son frère entendait l’embaucher comme conceptrice graphique. La demanderesse n’a pas jugé nécessaire de préciser ce renseignement dans sa lettre, étant donné que l’agent s’inquiétait simplement du fait que le frère de la demanderesse ne pourrait pas lui être d’une grande utilité pour se trouver du travail.

[29]           La demanderesse affirme que suivant l’arrêt Sadeghi, si l’agent avait des réserves au sujet de la lettre qu’elle lui avait soumise, il devait lui en faire part. L’agent a même reconnu qu’il n’était pas certain quel genre de travail la demanderesse exercerait au restaurant; pourtant l’agent a refusé la demande avant de réclamer des éclaircissements à ce sujet.

[30]           La demanderesse affirme qu’une situation semblable s’est présentée dans l’affaire Vandi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 515, dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit :

9          […] Dans sa lettre de refus, l’agente des visas s’interroge sur le sens de la remarque du demandeur, mais elle n’a pas essayé de préciser cet aspect, ni d’amener le demandeur à lui fournir d’autres explications. Les questions qu’a posées l’agente des visas concernaient l’expérience de travail qu’avait eue le demandeur en design d’intérieur pour obtenir sa licence d’architecte et ne portaient pas directement sur la motivation du demandeur, en tant que motif l’incitant à ne pas tenter d’exercer cette profession au Canada

 

[31]           La lettre fournie par le frère de la demanderesse répondait à la préoccupation formulée par la lettre relative à l’équité procédurale et, si l’agent avait informé correctement la demanderesse, cette dernière aurait aisément pu lui préciser quel type de travail elle aurait éventuellement pu faire pour son frère.

[32]           La lettre relative à l’équité procédurale ne laissait pas entendre que les capacités linguistiques du mari de la demanderesse posaient problème. Pourtant, lorsqu’on examine les notes, il est évident qu’il s’agit là d’un des facteurs dont l’agent a tenu compte pour rendre sa décision défavorable à l’issue de son appréciation de substitution. Comme ce facteur a contribué à sa décision finale, l’agent avait l’obligation d’en faire part à la demanderesse dans la lettre relative à l’équité procédurale. La demanderesse affirme que l’omission de l’agent de le faire constitue un manquement à l’équité procédurale.

[33]           La demanderesse affirme également que la conclusion défavorable que l’agent a faite quant à sa crédibilité relativement à ses compétences linguistiques obligeait l’agent à lui demander de plus amples renseignements ou à lui accorder une entrevue avant de rendre sa décision finale. La demanderesse a soumis des éléments de preuve corroborants de son professeur de langue qui démontraient qu’elle poursuivait sa formation linguistique. Elle a également fait part de sa volonté de se présenter à un autre examen en langues officielles si on lui donnait suffisamment de temps pour se préparer. Il n’y a aucune raison pour laquelle ces observations auraient dû amener l’agent à soulever des doutes quant à la crédibilité de la demanderesse. La demanderesse affirme toutefois que, comme il a effectivement exprimé des doutes à ce sujet, l’agent aurait dû lui demander des éclaircissements avant de tirer une conclusion défavorable.

[34]           Ainsi que la Cour fédérale l’a déclaré dans le jugement Talpur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 25 :

21     Il est désormais bien établi que l’obligation d’équité dont bénéficient les demandeurs de visa, bien qu’elle se situe à l’extrémité inférieure du registre (Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 41; Trivedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, au paragraphe 39), impose aux agents des visas de communiquer leurs réserves aux demandeurs, de manière à ce qu’ils aient l’occasion de les dissiper. Il en sera notamment ainsi lorsque ces réserves se rapportent non pas tant à des exigences légales qu’à l’authenticité ou à la crédibilité de la preuve fournie par le demandeur.

 

 

[35]           La demanderesse souligne que ce n’est qu’après avoir tenté de répondre aux préoccupations soulevées par l’agent dans la lettre relative à l’équité procédurale que la question de la crédibilité a été soulevée. L’agent avait par conséquent l’obligation de lui donner la possibilité de répondre à ces nouvelles préoccupations. En n’accordant pas à la demanderesse cette possibilité, l’agent a contrevenu aux principes d’équité procédurale.

Le caractère raisonnable de la décision

[36]           À titre subsidiaire, la demanderesse affirme que la décision de l’agent n’était pas raisonnable. L’agent qui formule une appréciation de substitution a un fardeau plus lourd, selon lequel il doit justifier l’exercice défavorable de son pouvoir discrétionnaire, que celui qui lui incombe à l’égard de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire favorable (Hameed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 10 (CAF)).

[37]           En réponse à la lettre de l’équité procédurale, la demanderesse a répondu qu’elle suivait des cours intensifs de formation linguistique pour améliorer son anglais, ce qui était corroboré par la lettre de son professeur d’anglais qui affirmait que la demanderesse aurait atteint un niveau de compétente élevé en conversation anglaise d’ici la fin de la session. La demanderesse était également disposée à se présenter à un autre examen. L’agent a toutefois écarté tous ces éléments en se demandant simplement pourquoi la demanderesse avait attendu avant de subir un autre examen. La demanderesse affirme que ce rejet sommaire d’éléments de preuve aussi importants constitue une erreur susceptible de contrôle.

[38]           La demanderesse affirme qu’il était déraisonnable de la part de l’agent d’avoir des réserves au sujet de la crédibilité de son témoignage ou de conclure que les observations de la demanderesse n’étaient pas exactes. L’agent n’aurait pas dû rejeter ces éléments de preuve importants au motif que la demanderesse n’aurait pas dû attendre pour se présenter de nouveau à l’examen IELTS alors qu’il n’y avait aucune raison pour elle de le faire au moment où la lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée. La demanderesse n’avait aucune raison de croire que ses compétences linguistiques feraient obstacle à son admission au Canada, compte tenu du fait qu’elle avait accumulé le nombre requis de points. Elle s’était inscrite à cette formation pour faciliter son adaptation au Canada. La demanderesse affirme qu’au contraire, ces facteurs auraient dû peser en sa faveur et démontrer sa détermination et sa volonté de s’adapter. À tout le moins, il était déraisonnable de la part de l’agent de tirer une conclusion défavorable du défaut de la demanderesse de se présenter à un examen auquel elle n’avait aucune raison de se présenter. Compte tenu du fait que les compétences linguistiques de la demanderesse étaient la principale raison pour laquelle l’agent croyait qu’elle ne serait pas en mesure de poursuivre sa carrière de professeur de niveau collégial, la demanderesse affirme que l’erreur qu’a commise l’agent était majeure.

[39]           La demanderesse affirme également que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de sa capacité d’entreprendre des démarches, une fois admise au Canada, pour s’assurer de réussir son établissement économique au Canada. La demanderesse a expliqué dans ses observations qu’elle était disposée à s’inscrire à un programme de doctorat canadien, de poursuivre sa formation linguistique et de travailler pour son frère au restaurant de ce dernier jusqu’à ce qu’elle soit en mesure d’obtenir un poste de professeur au Canada. Ainsi, la demanderesse était à la fois disposée et apte à prendre des mesures nécessaires pour répondre à toutes les préoccupations de l’agent (le fait qu’elle n’avait pas de doctorat, son manque d’expérience « occidentale », ses compétences limitées en anglais). La demanderesse a également démontré qu’elle possédait suffisamment de ressources financières pour subvenir à ses propres besoins pendant cette période de transition.

[40]           Dans le jugement Margarosyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1538 (C.F. 1re inst.), la Cour fédérale a bien précisé que le demandeur n’a pas à réussir son établissement économique immédiatement à son arrivée au Canada. La demanderesse affirme que, compte tenu du nombre total de points qu’elle avait recueillis et de sa volonté de réussir son établissement dès son arrivée au Canada, les éléments de preuve dont disposait l’agent démontraient que, même si elle n’était pas en mesure de réussir son établissement économique dès son arrivée au Canada, elle serait en mesure de le faire dans un délai raisonnable. La preuve indiquait que la demanderesse était une personne très motivée et compétente qui avait les moyens et la volonté de prendre des mesures nécessaires pour s’assurer de réussir son établissement économique. La loi oblige l’agent à tenir compte de la capacité générale de tout demandeur de s’établir et, selon la demanderesse, l’agent a échoué à ce chapitre.

[41]           La demanderesse affirme également que l’agent a commis une erreur en accordant trop d’importance au présumé manque [traduction] « d’expérience internationale » de la demanderesse, alors que cette exigence n’est pas prévue par la CNP. Ainsi que la Cour l’a déclaré dans le jugement Dogra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 560 [Dogra] :

27     Bien que ni la CCDP ni la CNP n’aient été conçues pour évaluer la « préparation au marché du travail » des demandeurs de résidence permanente au Canada, j’incline à penser qu’il n’est pas normalement approprié qu’un agent des visas se mette à évaluer la « pertinence pour le Canada » de l’éducation, de la formation et de l’expérience professionnelle des candidats, lorsqu’elles concordent avec les critères légaux.

 

[28]      Il serait préférable, entre autres, de laisser l’évaluation des « équivalences canadiennes » des diplômes et expériences professionnelles étrangers à des comités nationaux d’accréditation et aux organismes de réglementation professionnelle provinciaux. Des agents de visas occupés ne sont peut-être pas bien placés pour effectuer ces sortes d’évaluation dans le temps limité consacré à l’entrevue, laquelle doit également couvrir d’autres aspects de la demande.

 

[29]      De plus, la politique d’immigration insiste de plus en plus sur l’adaptabilité et la souplesse des candidats, caractéristiques qui sont particulièrement importantes sur le marché du travail actuel. Donc, le niveau d’éducation du requérant ainsi que sa participation au marché du travail revêtent probablement plus d’importance pour prédire un établissement réussi au Canada qu’une foule de connaissances précises.

 

[30]      Il y a également, bien sûr, une base juridique à la proposition voulant qu’un agent des visas ne puisse pas rejeter des demandes en invoquant des critères qui ne font pas partie de la CCDP, de la CNP ou des règlements mêmes : voir, par exemple, Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 29 Imm. L.R. (2d) 222 (C.F. 1re inst.).

 

 

 

[42]           Vu ce qui précède, la demanderesse affirme que l’agent a commis une erreur en accordant trop d’importance au manque d’expérience « occidentale » ou « internationale » de la demanderesse pour estimer qu’il y avait lieu de rendre une décision défavorable à l’issue de son appréciation de substitution.

Le défendeur

            L’équité procédurale

 

[43]           Le défendeur affirme que, contrairement à ce que prétend la demanderesse, aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis. Dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent a bien précisé sa préoccupation selon laquelle la demanderesse cherchait à obtenir un poste d’enseignement à l’université ou un poste comparable au Canada alors qu’elle avait obtenu la note de 0 en lecture en anglais. L’agent s’inquiétait également du fait qu’elle n’avait pas d’expérience en enseignement à l’extérieur de l’Iran ou en anglais.

[44]           La demanderesse affirme que l’agent aurait dû lui demander des éclaircissements au sujet du type d’emploi que son frère était disposé à lui offrir à son restaurant. Toutefois, dès lors que la demanderesse avait eu l’occasion de répondre aux préoccupations énumérées dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent n’avait pas l’obligation de demander que les meilleurs éléments soient produits ou de poursuivre le dialogue avec la demanderesse pour qu’elle clarifie sa preuve (He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 33, au paragraphe 30 [He]; Heer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1357, au paragraphe 19).

[45]           Pour ce qui est de la clarté de la lettre relative à l’équité procédurale, le défendeur affirme qu’elle était suffisamment précise et qu’elle exposait les préoccupations et les raisons justifiant les réserves. La demanderesse affirme qu’on ne l’a pas suffisamment orientée, mais c’est à la demanderesse qu’il incombait de démontrer qu’elle satisfaisait aux critères pour être admise au Canada, y compris sa capacité de réussir son établissement économique. L’agent n’avait aucune obligation de la guider sur la façon de répondre à ces critères.

[46]           On aurait également tort de prétendre que le degré d’équité procédurale qui s’applique dans le cas des demandes de visas est plus élevé en cas d’appréciation de substitution par un agent. L’obligation imposée à l’agent consiste simplement à poser des questions appropriées et à demander des renseignements raisonnables (Sivayogaraja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1112, au paragraphe 15).

[47]           La demanderesse affirme qu’on aurait dû lui accorder une troisième occasion de fournir des renseignements au sujet de la nature exacte du travail qu’elle effectuerait au restaurant Swiss Chalet de son frère, mais l’agent n’avait aucune obligation de lui accorder une telle occasion. Si la lettre de son frère n’était pas claire au sujet du fait que la demanderesse travaillerait comme conceptrice graphique à son restaurant Swiss Chalet – et la demanderesse admet qu’on doit inférer ce fait –, cette ambiguïté ou cette lacune ne peut être attribuée à l’agent. Ainsi qu’il a été déclaré dans le jugement Silva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 733, au paragraphe 20 :

Je suis d’avis qu’il n’y a pas eu atteinte en l’espèce aux principes d’équité procédurale. Il incombe au demandeur de fournir tous les documents d’appui pertinents et de présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles au soutien de sa demande. Dans sa lettre de décision, l’agente a déclaré bien clairement que le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau. Il incombe au demandeur de présenter la meilleure preuve possible (se reporter à Lam c. Canada (M.C.I.), (1998), 152 F.T.R. 316 (1re inst.)). Il n’y a pas eu déplacement vers l’agente du fardeau de preuve, et le demandeur n’a pas droit à une entrevue personnelle si la demande est ambigüe ou s’il n’a pas fourni de documents à l’appui de sa demande. En l’espèce, l’agente n’avait nulle obligation de réunir ou chercher d’autres éléments de preuve ni de demander d’autres renseignements.

 

 

[48]           La demanderesse affirme également qu’on aurait dû accorder l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent au sujet de son mari. Toutefois ces préoccupations ne faisaient pas partie des raisons initiales pour lesquelles l’agent a effectué une appréciation de substitution ou des motifs définitifs de celle‑ci. Par conséquent, l’agent n’avait aucune obligation d’en faire part à la demanderesse (Asghar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1091, au paragraphe 21).

[49]           Quant à l’argument de la demanderesse suivant lequel on aurait dû lui accorder une autre possibilité de répondre aux préoccupations qu’a eues l’agent après sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, le défendeur affirme que le dossier ne confirme l’existence d’aucune « nouvelle » préoccupation de ce genre. Et la demanderesse n’a d’ailleurs pas pu citer d’exemples concrets.

Le caractère raisonnable de la décision

[50]           En ce qui concerne les arguments de la demanderesse au sujet de ses projets de poursuivre sa formation linguistique et de s’inscrire à un programme de doctorat, même si l’agent n’a pas tenu compte de ces facteurs, il ne s’agit pas là d’une erreur. Ces facteurs concernent les événements à venir et l’agent n’a pas commis d’erreur en refusant de se livrer à des conjectures.

[51]           Quant à l’argument que l’agent a accordé trop d’importance au fait que la demanderesse n’avait pas d’expérience occidentale, le défendeur affirme qu’un agent peut tenir compte de la pertinence, pour le contexte canadien, de l’expérience accumulée par le demandeur dans la profession qu’il entend exercer en vertu du pouvoir discrétionnaire résiduel prévu au paragraphe 76(3) du Règlement (Gracheva v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 939 (C.F. 1re inst.) [Gracheva]).

[52]           L’agent disposait d’amplement d’éléments de preuve lui permettant de rendre une décision défavorable à l’issue de son appréciation de substitution et la Cour a confirmé pareilles évaluations de substitution dans d’autres affaires (Kainth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 175 [Kainth]; Wai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 780).

La réplique de la demanderesse

[53]           La demanderesse affirme que la décision Kainth, sur laquelle le défendeur se fonde, portait sur des faits très différents de ceux de la présente espèce. Bien que les deux affaires portent sur des préoccupations exprimées au sujet des capacités linguistiques du demandeur, dans l’affaire Kainth, le demandeur a expliqué qu’il ne souhait plus continuer à exercer la profession à l’égard de laquelle il avait présenté sa demande. Cette affaire portait également sur la question de savoir si l’agent avait « compté deux fois » les capacités linguistiques du demandeur. Par conséquent, le défendeur a tort d’invoquer la décision Kainth.

[54]           Le défendeur invoque le paragraphe 30 du jugement He, précité, à l’appui de son argument selon lequel l’agent s’est acquitté de l’obligation d’équité à laquelle il était tenu envers la demanderesse. En fait, ce paragraphe appuie plutôt la thèse de la demanderesse :

Invoquant la décision Guo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 626, 148 ACWS (3d) 975, la demanderesse affirme que le décideur aurait dû chercher à obtenir d’autres éléments de preuve s’il n’était pas convaincu par les explications données en réponse à la lettre d’équité. Dans l’affaire invoquée, il n’existait tout simplement pas d’élément de preuve permettant à l’agent d’immigration de ne pas croire la demanderesse. En revanche, en l’espèce, le dossier renferme des éléments de preuve sur lesquels il est possible de s’appuyer pour conclure que la demanderesse a fait de fausses déclarations au sujet de son emploi au sein de l’entreprise. La présente affaire s’apparente donc davantage aux faits sur lesquels portait la décision rendue dans Ni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 162, par le juge Zinn, qui a conclu, de la même façon, qu’il était raisonnable de ne pas faire d’enquêtes plus poussées. Le défendeur cite également à juste titre la décision Heer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1357, 215 FTR 57, pour affirmer que lorsqu’un demandeur a eu la possibilité de dissiper les réserves exprimées, l’agent n’était pas tenu de demander des éléments de preuve supplémentaires qui soient meilleurs (au paragraphe 19)

 

 

[55]           Nul ne prétend que la demanderesse se soit livrée à quelque type de fausse déclaration que ce soit et celle-ci affirme que sa situation s’apparente davantage à l’affaire Guo, précitée, qu’à l’affaire He. De plus, la demanderesse répète qu’on ne lui pas donné une possibilité raisonnable de répondre aux préoccupations exprimées par l’agent, qui ne les lui en a pas fait part et ne lui a pas suffisamment précisées dans la lettre relative à l’équité procédurale.

[56]           Par ailleurs, la jurisprudence n’appuie pas l’argument du défendeur suivant lequel le défaut de l’agent de tenir compte du fait que la demanderesse poursuivait sa formation linguistique et qu’elle était en mesure de s’inscrire à un programme de doctorat au Canada était raisonnable, étant donné que [traduction] « ces deux facteurs concernent des faits à venir ». Or, ces facteurs ont tous les deux joué un rôle important dans la décision défavorable rendue par l’agent à l’issue de son appréciation de substitution, ce qui n’aurait jamais dû être le cas, vu l’ensemble de la preuve.

[57]           La demanderesse affirme également que l’argument du défendeur suivant lequel l’agent n’a pas accordé trop d’importance au manque d’expérience « occidentale » de la demanderesse est peu convaincant. Bien que notre Cour ait jugé que, dans certains cas, il soit acceptable de tenir compte de l’« expérience occidentale » d’un demandeur, ce n’est en règle générale le cas que dans des situations comme celles dont il était question dans l’affaire Gracheva, sur laquelle le défendeur s’est fondé. Dans cette affaire, la profession à l’égard de laquelle la demanderesse avait présenté sa demande exigeait qu’elle possède une certaine connaissance de principes propres à une profession canadienne ou occidentale telle que les principes comptables généralement admis que doivent respecter les experts-comptables. Ce n’est pas le cas d’un poste de professeur d’université, et la demanderesse répète que l’agent a accordé trop d’importance à ce facteur.

ANALYSE

[58]           Lors des débats, le défendeur a affirmé que les notes versées au Système mondial de gestion des cas (SMGC) ne font pas partie de la décision en l’espèce. Sur ce point, je dois convenir avec la demanderesse que les notes versées au SMGC font partie en l’espèce des motifs de la décision de l’agent. Le juge John O’Keefe a expressément conclu dans le jugement Veryamani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] ACF no 1668, que « la jurisprudence indique clairement que les notes versées au système STIDI font partie des motifs à l’appui de la décision ».

[59]           Toujours dans la décision Veryamani, le juge O’Keefe a examiné la jurisprudence, aux paragraphes 28 à 31, où il cite l’extrait suivant de la décision du juge Michael Phelan, Ziaei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1169, 66 Imm. L.R. (3d) 287, au paragraphe 21 :

Il est bien connu qu’il n’est pas nécessaire que la lettre qui renferme la décision fasse état de tous les motifs de la décision. Pour cette raison, les notes versées au système STIDI font partie intégrante des motifs.

 

 

[60]           Il se peut que, dans certains cas, une lettre de décision renferme la totalité de la décision, ce qui n’est toutefois pas le cas en l’espèce, étant donné qu’à mon avis, on ne peut comprendre pleinement la décision sans tenir compte des notes versées au SMGC.

[61]           La présente affaire soulève plusieurs questions inusitées en ce qui concerne l’appréciation de substitution. Bien que la demanderesse ait accumulé 70 points selon le barème prévu à l’article 76 du Règlement, le nombre de points qu’elle avait recueilli ne correspondait pas, de l’avis de l’agent, à sa capacité réelle de réussir son établissement au Canada comme professeure d’université. C’est la raison pour laquelle sa demande a été refusée à l’issue de l’appréciation de substitution faite par l’agent en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement.

[62]           La lettre relative à l’équité du 9 mai 2012 fournissait à la demanderesse des raisons de s’inquiéter du fait que les 70 points qu’elle avait recueillis ne constituaient pas une indication suffisante de sa capacité de réussir son établissement économique au Canada. Ces doutes reposaient sur les facteurs suivants :

a.                   La demanderesse est titulaire d’une maîtrise de l’Université islamique Azad, où elle enseigne. Son expérience se limite à ce milieu et elle ne s’est jamais rendue dans un pays occidental et n’a jamais assisté à des conférences internationales;

b.                  La demanderesse n’a qu’une ou deux publications à son actif et elles ont été publiées uniquement en farsi;

c.                   La demanderesse n’a pas de doctorat et elle ne s’est pas encore inscrite à un programme de doctorat;

d.                  La note que la demanderesse a obtenue à son examen d’anglais IELTS était faible et elle a obtenu une note de zéro en lecture;

e.                   La demanderesse n’a aucune expérience d’enseignement à l’extérieur de l’Iran ou en anglais. L’incapacité de la demanderesse de lire l’anglais constitue [traduction] « une lacune cruciale dans le cas d’une personne qui espère pouvoir travailler dans un domaine qui dépend à ce point de la communication écrite »;

f.                   Les autres expériences de travail que la demanderesse a acquises comme conceptrice graphique ont été prises en compte, mais ce facteur n’est pas suffisant pour surmonter ces difficultés, et l’agent a fait observer que [traduction] « l’expérience accumulée par la demanderesse remontait à une dizaine d’années et qu’elle avait été obtenue dans un environnement très différent de celui du Canada » et que les arts visuels sont « un domaine économiquement difficile pour la plupart sauf une infime minorité, les meilleurs »;

g.                  La demanderesse a recueilli cinq points en raison du fait qu’elle a de la famille au Canada, mais ce facteur n’a pas répondu aux préoccupations, étant donné que l’aide de son frère [traduction] « se limiterait aux aspects sociaux et logistiques ».

[63]           Compte tenu de ces réserves, on a expliqué à la demanderesse que l’agent qui avait écrit la lettre relative à l’équité avait l’intention de se servir de l’appréciation de substitution défavorable pour refuser sa demande, mais que la demanderesse disposait du délai habituel de 45 jours pour fournir [traduction] « des renseignements et des raisons complémentaires » qui pourraient amener l’agent à tirer une conclusion différente quant à sa capacité de réussir son établissement économique au Canada.

[64]           Dans une lettre datée du 16 juin 2012, la demanderesse a fourni sa réponse aux réserves exprimées dans la lettre relative à l’équité. De façon générale, elle n’a pas contesté l’appréciation de l’agent suivant laquelle, dans l’état actuel des choses, elle ne serait pas en mesure de réussir son établissement économique au Canada en tant que professeure d’université. Elle a tenté de démontrer que, si elle était admise au Canada, elle serait éventuellement en mesure de devenir suffisamment qualifiée pour devenir professeure d’université. Elle a répondu aux réserves précises formulées dans la lettre relative à l’équité de la manière suivante :

a.                   Elle n’avait pas de doctorat parce que l’université islamique Azad n’offrait aucun programme doctoral en arts visuels et qu’il existe [traduction] « très peu d’occasions de faire des études avancées dans le domaine des arts visuels en Iran et très peu de raisons de le faire ». La demanderesse a exploré la possibilité de poursuivre ses études dans des pays voisins comme l’Arménie, mais [traduction] « aucun programme de doctorat n’est offert dans le domaine des arts graphiques »;

b.                  Pour combler cette lacune de doctorat, elle se propose [traduction] « de travailler comme professeure adjointe dans un pays comme le Canada et [est] très enthousiaste à l’idée de poursuivre [ses] études au niveau du doctorat »;

c.                   La demanderesse explique également qu’elle compte beaucoup sur son mari pour l’aider à atteindre ses objectifs. Son mari a des compétences en génie civil et en architecture et [traduction] « a toujours suivi [son] évolution et [elle se dit] convaincue qu’avec sa collaboration et [leurs] efforts conjugués, il sera plus facile pour [eux] de réussir [leur] établissement au Canada »;

d.                  En ce qui concerne les réserves exprimées au sujet de son manque d’expérience, la demanderesse signale les activités qu’elle a exercées au Département des arts visuels de l’Université islamique d’Azad, cite l’ouvrage qu’elle a écrit en 2007 ainsi que les articles qu’elle a publiés et le travail qu’elle a effectué au sein du comité de rédaction du Naghshmayeh, une publication trimestrielle de recherche spécialisée consacrée aux arts visuels publiée par l’Université islamique d’Azad. Elle n’a pas tenté de répondre aux préoccupations soulevées quant au fait qu’elle n’avait travaillé qu’en farsi à une seule université en Iran et qu’elle ne possède aucune expérience au niveau international. La seule expérience complémentaire qu’elle cite est sa participation à [traduction] « quelques foires et colloques en Iran »;

e.                   En ce qui concerne le manque de compétences linguistiques en anglais, qui a été qualifié dans la lettre relative à l’équité de [traduction] « lacune cruciale dans le cas d’une personne qui espère pouvoir travailler dans un domaine qui dépend à ce point de la communication écrite », la demanderesse affirme qu’elle a [traduction] « tenté d’améliorer [ses] compétences linguistiques » et que, si on lui donnait 45 jours de plus, elle s’inscrirait à un examen IELTS et que, en tout état de cause [traduction] « [elle] s’inscrirait certainement à cet examen et compte tenu des progrès [qu’elle a] réalisés en ce qui concerne toutes [ses] compétences, [elle a ] la conviction absolue [qu’elle] obtiendr[ait] des notes élevées ». Pour étayer cette affirmation, la demanderesse a produit une lettre de son professeur d’anglais qui confirme les cours auxquels elle s’est inscrite, ceux qu’elle a suivis et le niveau qu’elle est censée atteindre d’ici la fin de son cours : [traduction] « Je m’attends à ce qu’elle atteigne un niveau de conversation parfait en anglais d’ici la fin du cours ». Le professeur ne dit rien dans sa lettre au sujet des progrès qu’il s’attend à ce que la demanderesse accomplisse sur le plan de la lecture et de l’écriture, qui sont les points sur lesquels la lettre relative à l’équité insistait, de sorte, qu’à cet égard, on ne peut dire que la demanderesse a répondu entièrement aux réserves exprimées au sujet de ses capacités linguistiques. Qui plus est, bien que la demanderesse affirme qu’elle s’inscrirait à l’examen IELTS si on lui accordait plus de 45 jours, elle n’a pas formellement demandé de prorogation de délai pour lui permettre de le faire;

f.       La demanderesse a également produit une lettre de son frère qui vit à Toronto et qui est propriétaire d’un restaurant de la chaîne Swiss Chalet depuis 2009, où il emploie plus de 35 personnes à temps plein et à temps partiel. Il affirme qu’il [traduction] « garantirait du travail pour [sa] sœur et son mari pendant leurs deux premières années au Canada ou jusqu’à ce qu’ils se soient établis dans leur domaine de travail ». Il ajoute : [traduction] « Je vais être en mesure de les aider à s’installer au Canada de diverses manières notamment en leur procurant du travail. »

[65]           Comme on peut le voir à la lecture de cette liste, si l’on fait exception de la lettre de son frère qui démontre que la demanderesse peut compter sur un appui qui n’est pas simplement social et logistique de la part de sa famille (à moins, évidemment, que par « logistique », on entende aussi un appui financier), la réponse de la demanderesse n’offre pas de solutions concrètes aux réserves soulevées dans la lettre relative à l’équité, si ce n’est que d’affirmer que la demanderesse espère et croit qu’elle peut corriger les lacunes de ses qualifications afin d’être en mesure d’occuper un poste de professeure d’université si on lui permet de venir au Canada et de saisir les occasions qui s’offriront à elle ici.

[66]           La lettre de décision explique que la demande est refusée pour les motifs exposés dans la lettre relative à l’équité et ne formule qu’un seul autre commentaire au sujet de la lettre de son frère :

[traduction]

Ainsi qu’il vous a été expliqué dans la lettre relative à l’équité procédurale qui vous a été adressée le 9 mai 2012, je ne suis pas convaincu que les points qui vous ont été attribués reflètent fidèlement votre capacité de réussir votre établissement économique au Canada. J’ai effectué cette évaluation pour les mêmes raisons que celles que j’ai expliquées dans la lettre relative à l’équité procédurale. De plus, bien que vous ayez produit une lettre de votre frère dans laquelle ce dernier affirme qu’il vous embauchera à son restaurant Swiss Chalet, votre frère n’a pas précisé s’il vous engagerait dans un poste spécialisé (niveau O, A ou B de la NCP). Compte tenu de votre manque d’expérience dans l’industrie de la restauration, il est peu probable qu’il vous engage dans un poste spécialisé. Vous avez eu l’occasion de répondre à ces préoccupations en répondant à la lettre relative à l’équité procédurale. Les renseignements que vous m’avez fournis et les explications que vous m’avez données ne m’ont pas convaincu que vous serez en mesure de réussir votre établissement économique au Canada. Un agent supérieur a souscrit à mon évaluation.

 

 

[67]           Le commentaire exprimé au sujet de la lettre du frère de la demanderesse est éloquent. Il démontre que l’agent est de toute évidence d’avis que l’appui que son frère pourrait donner à la demanderesse devrait prendre la forme d’une offre d’emploi dans un « poste spécialisé » et qu’il ne suffit pas que le frère lui offre un appui financier ou un autre type d’aide [traduction] « jusqu’à ce [que les demandeurs] se soient établis dans leur domaine de travail ».

[68]           Les notes versées au SMGC qui portaient sur l’appréciation de substitution défavorable relèvent les points suivants :

a.                   Il est pris bonne note des efforts déployés par la demanderesse pour améliorer son anglais, mais celle-ci n’a soumis aucun nouveau résultat d’examen IELTS et il est [traduction] « peu probable qu’elle soit en mesure d’obtenir un emploi spécialisé compte tenu de ses faibles compétences en lecture anglaise »;

b.                  L’explication donnée par la demanderesse au sujet de l’impossibilité de s’inscrire à des programmes de doctorat en Iran [traduction] « ne change rien au fait qu’une personne qui n’est pas titulaire d’un doctorat a peu de chances d’obtenir un poste de professeure au Canada (étant donné que l’on peut obtenir un doctorat en arts visuels au Canada et dans d’autres pays) »;

c.                   Il est pris bonne note des activités professionnelles exercées par la demanderesse en Iran, mais [traduction] « cela ne change rien au fait que son absence de participation à des recherches, études et conférences internationales l’empêcherait probablement de se trouver un emploi comme professeure au Canada »;

d.                  Il est pris bonne note de l’offre d’aide de son frère, mais [traduction] « il est peu probable que son frère (même s’ils sont membres de la même famille) lui offre un poste spécialisé (tel que des postes de gérant adjoint, chef ou comptable) à son restaurant, et ce, même s’ils font partie de la même famille, étant donné que ces postes requièrent une formation et une expérience antérieures »;

e.                   [traduction] « L’intéressée n’a pas indiqué qu’elle possédait de l’expérience dans le secteur privé en conception graphique pour démontrer qu’elle pouvait travailler dans le secteur fort compétitif de la conception graphique au Canada »;

f.                   [traduction] « L’intéressée n’a pas démontré qu’elle possédait de l’expérience ou de la formation dans d’autres domaines qui lui permettraient d’obtenir un emploi spécialisé au Canada »;

g.                  [traduction] « L’intéressée a déclaré que son mari possédait de l’expérience en architecture et en génie civil. Rien n’indique qu’il possède des compétences en anglais ou en français qui lui permettraient de se trouver du travail dans ce domaine au Canada. »

[69]           Dans ce contexte, la demanderesse reproche plusieurs erreurs qui, selon elle, justifient l’infirmation de la décision. Je vais les examiner à tour de rôle.

Manquement à l’équité procédurale

[70]           La demanderesse affirme que l’agent ne lui a pas véritablement fait part de ses réserves dans la lettre relative à l’équité et qu’il ne lui a par conséquent pas exprimé ses préoccupations d’une façon qui lui permettait de répondre.

[71]           La lettre relative à l’équité explique, s’agissant des préoccupations exprimées au sujet du frère de la demanderesse, que l’aide de celui-ci [traduction] « se limiterait aux aspects sociaux et logistiques ». La lettre n’affirme pas expressément que son frère ne serait pas en mesure de lui offrir un poste « spécialisé », ce qui est la raison invoquée pour écarter, dans la décision, l’offre d’emploi du frère. Par conséquent, la seule façon dont la demanderesse pouvait savoir que l’aide de son frère devait prendre la forme d’une offre d’emploi dans un poste spécialisé serait si la législation et la jurisprudence applicables l’exigeaient. Ainsi que sa lettre le démontre clairement, l’objet de l’aide offerte par le frère de la demanderesse était de garantir [traduction] « du travail pour [sa] sœur et son mari pendant leurs deux premières années au Canada ou jusqu’à ce qu’ils se soient établis dans leur domaine de travail ». Cette lettre ne vise manifestement pas à garantir un emploi dans un poste spécialisé, mais elle promet effectivement le soutien économique nécessaire à la demanderesse et à son conjoint jusqu’à ce qu’ils aient atteint leurs objectifs professionnels au Canada. En dernière analyse, l’agent n’aborde pas la question de savoir s’il est nécessaire que la demanderesse démontre qu’elle peut réussir son établissement économique au Canada seulement à titre de travailleuse qualifiée. L’agent tient simplement cette exigence pour acquise. Si cette exigence n’existe pas, sa décision est entachée d’une erreur fondamentale. Je reviendrai plus loin sur cette question.

[72]           La demanderesse affirme également que la lettre relative à l’équité ne laisse pas entendre que les compétences linguistiques ou la capacité de son mari de réussir son établissement économique au Canada posaient problème. Or c’est la demanderesse elle-même qui a proposé son mari comme solution aux préoccupations soulevées dans la lettre relative à l’équité. L’agent n’a pas commis un manquement à l’équité procédurale en expliquant la raison pour laquelle la solution offerte par la demanderesse ne répondait pas aux préoccupations soulevées dans la lettre relative à l’équité.

[73]           À mon avis, les propos tenus par l’agent précédent GP0098 ‑ en l’occurrence, [traduction] « La question qui se pose est celle de savoir pourquoi a-t-elle attendu avant de s’inscrire à l’examen IELTS? Sa réponse n’est tout simplement pas crédible compte tenu de son intention de poursuivre ses études en vue d’obtenir un doctorat une fois qu’elle sera admise au Canada » ‑ ne sont pas pertinents en ce qui concerne la décision défavorable finale rendue à l’issue de l’appréciation de substitution qui, en ce qui concerne les capacités linguistiques de la demanderesse, repose sur le fait que la demanderesse [traduction]  « n’a soumis aucun nouveau résultat d’examen IELTS » et qu’il est « peu probable qu’elle soit en mesure d’obtenir un emploi spécialisé compte tenu de ses faibles compétences en lecture anglaise ». L’agent signale que [traduction] « l’intéressée a déclaré qu’elle poursuivait ses études d’anglais avec un professeur particulier [...] ». Rien ne permet de penser que l’agent n’a pas ajouté foi à ces affirmations lorsqu’il a rendu sa décision finale.

[74]           La demanderesse ajoute qu’elle a [traduction] « indiqué qu’elle était prête à démontrer officiellement à quel point elle s’était améliorée en s’inscrivant à un examen de vérification de ses connaissances en langues officielles si on lui accordait suffisamment de temps ». Comme nous l’avons déjà fait observer, aucune demande officielle de prorogation de délai n’a été formulée; la demanderesse affirme qu’elle a amélioré ses compétences linguistiques et elle a produit à l’appui de cette affirmation une lettre de son professeur.

Le caractère déraisonnable

[75]           La demanderesse affirme que l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’elle poursuivait sa formation linguistique. Comme nous l’avons déjà expliqué, l’agent a mentionné et examiné les observations formulées par la demanderesse au sujet des efforts qu’elle avait déployés pour améliorer son anglais en poursuivant sa formation. La décision repose sur le fait qu’aucun nouveau résultat d’examen IELTS n’a été soumis. À mon avis, il n’y avait rien de déraisonnable dans le fait que l’agent avait exigé la preuve habituelle de compétence linguistique; qui plus est, la demanderesse n’a pas officiellement demandé qu’on lui accorde plus de temps pour se préparer pour l’examen et pour produire de nouveaux résultats.

[76]           La demanderesse affirme également que l’agent n’a pas tenu compte de sa capacité d’adaptation. Essentiellement, la réponse de la demanderesse aux réserves formulées par l’agent et à la lettre relative à l’équité, a été de ne pas contester l’évaluation initiale suivant laquelle, au moment de sa demande, elle ne serait pas en mesure de devenir autonome sur le plan financier au Canada en tant que professeur d’université malgré le fait qu’elle avait recueilli 70 points. Elle a plutôt opté pour une démarche consistant à signaler que ce n’était pas le cas et qu’elle pouvait corriger ses lacunes si on l’admettait au Canada et qu’on lui permettait de poursuivre ses études. Rien ne permet de penser qu’elle ne disposait pas de l’appui financier et familial nécessaire pour poursuivre ses études et acquérir l’expérience nécessaire pour atteindre ses objectifs.

[77]           Cette situation m’amène à la question des rapports entre le système d’attribution de points et l’autonomie économique. La demanderesse affirme que, pour répondre aux exigences nécessaires pour être admis au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés, elle doit satisfaire aux exigences prévues à l’alinéa 85(3)b) du Règlement en ce qui concerne le nombre de points requis en plus de démontrer qu’elle peut réussir son établissement économique au Canada, autrement dit, qu’elle peut devenir autonome sur le plan économique dans un délai raisonnable après son arrivée au Canada. Compte tenu du fait que la demanderesse dépasse déjà de trois points le nombre de points minimum requis, la seule question à laquelle il faut répondre à son avis est celle de savoir s’il existe une autre condition à laquelle elle doit répondre pour démontrer qu’elle peut réussir son établissement économique dans la profession pour laquelle elle est qualifiée.

[78]           Il ressort à l’évidence tant de la Loi que du Règlement que la demanderesse doit être apte à réussir son établissement économique au Canada pour satisfaire aux exigences lui permettant d’être admise au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Sous la rubrique « Immigration économique », le paragraphe 12(2) de la Loi dispose :

(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

(2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

 

[79]           L’article 75 du Règlement porte expressément sur la catégorie des travailleurs qualifiés :

 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

 (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.

 

[80]           Je suis donc d’accord avec la demanderesse pour dire que ni la Loi ni le Règlement ne précisent qu’une personne doit avoir réussi son établissement économique dans la catégorie professionnelle qui lui permet de prétendre au statut de travailleur qualifié, ou, comme l’agent semble l’avoir présumé dans le cas qui nous occupe, que, même si la demanderesse ne pouvait devenir immédiatement professeure d’université, elle avait quand même l’obligation de démontrer qu’elle pouvait immédiatement devenir autonome sur le plan économique en tant que « travailleuse qualifiée ».

[81]           Le législateur semble avoir eu une conception différente du travailleur qualifié en le définissant, par exemple, comme une personne qui présente une demande dans la catégorie des entrepreneurs et qui doit démontrer qu’elle satisfait aux exigences de cette catégorie pendant une période d’un an au cours de la période de trois ans suivant la date à laquelle elle devient une résidente permanente du Canada. Comme la demanderesse le souligne, la loi et le règlement énoncent des conditions de déclaration précises à cet égard. Par contraste, il semble que la personne qui présente une demande dans la catégorie des travailleurs qualifiés n’a aucune exigence précise à satisfaire à son arrivée au Canada et qu’il n’y ait aucune disposition qui l’oblige à démontrer immédiatement qu’elle est autonome sur le plan économique en n’exerçant qu’un emploi spécialisé.

[82]           Je suis également d’accord avec la demanderesse pour dire que la Cour n’a trouvé aucune disposition législative qui oblige quelqu’un à devenir autonome sur le plan économique dans la profession à laquelle il est admissible ou que cette personne entre sur le marché du travail et exerce une profession déterminée à son arrivée au Canada. La Cour semble avoir interprété les exigences prévues par la Loi de manière à ce qu’elles exigent uniquement que la personne démontre qu’elle sera en mesure de devenir autonome sur le plan économique au Canada (voir Roohi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1408, au paragraphe 28; Uddin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1005, aux paragraphes 19 et 25).

[83]           Enfin, la demanderesse affirme que la décision est déraisonnable parce que l’agent a accordé trop d’importance à son absence d’expérience occidentale. À cet égard, la demanderesse cite les propos du juge Evans dans l’arrêt Dogra, précité, aux paragraphes 27 à 30.

[84]           À mon avis, l’agent n’a pas fondé sa décision sur le manque d’« expérience occidentale » de la demanderesse. Il n’y a pas lieu d’évaluer la pertinence pour le Canada de l’éducation de la demanderesse ou l’équivalence des qualifications de l’étranger par la demanderesse. Ainsi que le juge Evans le souligne dans l’arrêt Dogra, « [l]a politique d’immigration insiste de plus en plus sur l’adaptabilité et la souplesse des candidats » et c’est précisément ce que l’agent recherche. La demanderesse possède peut d’expérience sur le plan international, une expérience de travail limitée, n’a démontré aucune maîtrise de la langue anglaise et n’a possède pas de doctorat. Elle ne respecte pas en ce moment les conditions minimales préalables requises pour pouvoir occuper un poste d’enseignante universitaire au Canada. L’agent a tenu compte de la situation globale et n’a pas accordé une importance exagérée à l’absence d’expérience occidentale ou globale. Sans maîtrise de l’anglais et sans doctorat ‑ dont la demanderesse ne conteste pas qu’il s’agit de conditions essentielles , la demanderesse a peu de chances d’obtenir un poste de professeure d’université au Canada. La demanderesse admet même ce fait en affirmant qu’elle corrigera ses lacunes fondamentales et on ne peut pas dire que l’examen que l’agent en a fait était déraisonnable.

CONCLUSIONS

[85]           Bien que je ne sois pas prêt à dire que tous les moyens invoqués par la demanderesse permettent de conclure que la décision est entachée d’erreurs justifiant notre intervention, il me semble que la décision est effectivement déraisonnable et qu’elle n’appartient pas aux issues acceptables évoquées dans l’arrêt Dunsmuir, parce que l’agent a tenu pour acquis que la demanderesse avait l’obligation de démontrer qu’elle pouvait devenir autonome sur le plan économique, soit comme professeure d’université ou du moins comme travailleuse qualifiée, et qu’il n’a pas tenu compte de l’offre de son frère et de la garantie de soutien économique de ce dernier tant qu’elle et son mari n’auraient pas atteint leurs objectifs professionnels. Pour cette raison, l’affaire doit être réexaminée.

[86]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et la Cour est du même avis.

 

JUGEMENT

LA COUR :

 

1.                  ACCUEILLE la demande, ANNULE la décision et RENVOIE l’affaire pour qu’elle soit réexaminée par un autre agent;

2.                  DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

                                                                                                « James W. Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8253-12

 

INTITULÉ :                                      NEDA REZAEIAZAR

 

                                                            -  et  -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 juin 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 8 juillet 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacqueline Swaisland                                                              POUR LA DEMANDERESSE

 

Stephen Jarvis                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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