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Date : 20130705

Dossier : IMM-8513-12

Référence : 2013 CF 752

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

Entre :

 

ZEYNEL UYGUR

NEJLA EKICI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision, en date du 2 août 2012, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention suivant l’article 96 ni celle de personnes à protéger suivant l’article 97 de la Loi.

 

[2]               Mme Ekici et son fils, M. Uygur, sont des citoyens de la Turquie. Ils sont arrivés au Canada en mars 2009 à quelques jours d’intervalle, après avoir tous deux fait une brève escale aux États‑Unis d’Amérique. Les demandeurs sont des alevis et soutiennent qu’ils ont été détenus à plusieurs occasions en raison de leurs croyances religieuses et des activités politiques de leur famille, notamment la participation à des manifestations. Ils affirment que la maison familiale a fait l’objet de descentes et qu’ils ont été détenus par les autorités à plusieurs reprises depuis 2002 et ont à quelques occasions été battus. M. Uygur prétend également qu’il a été détenu en 2007 et en 2008 pour avoir distribué des tracts politiques et à nouveau en janvier 2009, moment où il a été forcé de signer une déclaration indiquant qu’il appartenait à des groupes illégaux, ce qui n’était pas vrai.

 

[3]               La Commission a rendu une longue décision étoffée et, après avoir pris en compte l’ensemble de la preuve et les nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité, de façon individuelle et cumulative, a conclu selon la prépondérance des probabilités que les autorités turques ne poursuivaient pas les demandeurs comme ils l’alléguaient. La Commission a reconnu que les demandeurs étaient des alevis et que ceux‑ci faisaient l’objet de discrimination en Turquie. Cependant, compte tenu de l’ensemble de la preuve objective sur la situation du pays, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne feraient pas l’objet de discrimination équivalant à de la persécution ni ne seraient exposés à un risque de préjudice du fait qu’ils étaient des alevis.

 

[4]               La Commission a souligné que l’audience des demandeurs avait été ajournée à plusieurs reprises en raison des maux de tête et autres malaises de Mme Ekici. La Commission a refusé leur demande de report de l’audience à une date indéterminée étant donné que les demandeurs avaient eu plus de deux ans et demi pour se préparer en vue de l’audience. De plus, malgré le fait que les maux de tête de la demanderesse constituaient un problème depuis longtemps, ce n’est qu’après la fixation de la date d’audience qu’elle a demandé un rendez-vous auprès d’un spécialiste. La Commission a cependant accordé un ajournement supplémentaire pour répondre aux besoins de la demanderesse et, ainsi, l’audience, qui a nécessité cinq séances, s’est étalée sur une période de sept mois.

 

[5]               La Commission a tiré de la preuve présentée par les demandeurs plusieurs conclusions défavorables quant à leur crédibilité, notamment :

         M. Uygur avait dit qu’il n’appartenait pas à l’Association Pir Sultan Abdal, mais il a par la suite fourni une carte de membre et d’autres renseignements contradictoires concernant la question de savoir s’il possédait une ou deux de ces cartes. Les cartes de membre n’étaient ni datées ni signées.

 

         M. Uygur a fourni des renseignements contradictoires quant au moment où il a adhéré à l’Association Pir Sultan Abdal, à savoir soit en 2004, soit en 1998‑1999, lorsqu’il y allait avec sa mère.

 

         M. Uygur connaissait peu l’Association Pir Sultan Abdal, ses origines et ses activités. De plus, il n’avait aucun reçu pour étayer sa prétention selon laquelle il avait fait des dons au groupe. Il connaissait également très peu les autres organisations alevies auxquelles il avait dit participer.

 

         M. Uygur a fourni des renseignements vagues à propos des tracts politiques qu’il avait distribués et ne connaissait pas leur contenu.

 

         M. Uygur ne pouvait fournir aucun détail à propos des manifestations auxquelles il avait participé en Turquie.

 

         Mme Ekici a montré une très faible compréhension de ce que signifiait être une alevie.

 

         Ce n’est que deux ans après leur arrivée que les demandeurs ont adhéré à l’association alevie canadienne, même s’ils ont fait valoir qu’ils appuyaient sans réserve les alevis en Turquie. La Commission a rejeté leur explication selon laquelle il était difficile de se rendre en autobus et métro jusqu’à l’association. De plus, ils ont fourni des dates contradictoires à propos de leur adhésion à l’association alevie canadienne.

 

         Selon le témoignage de vive voix des demandeurs, ils ont quitté la Turquie légalement. Cependant, dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP], M. Uygur a déclaré qu’il avait eu recours à un agent pour quitter la Turquie. Des éléments de preuve objectifs ont montré que si une personne était réellement recherchée par les autorités en Turquie, elle n’aurait pas été en mesure de quitter le pays légalement.

 

[6]               La Commission a conclu que les demandeurs n’ont pas établi leurs allégations de persécution ou leur profil politique, perçu ou non, au moyen d’une preuve crédible et digne de foi. Les demandeurs ont fourni des éléments de preuve contradictoires, incohérents et incomplets, ont livré à l’audience un témoignage évasif et changeant, et n’ont pas corroboré leurs prétentions de façon suffisante.

 

[7]               La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention et n’avaient pas, suivant un motif prévu à la Convention, raison de craindre d’être persécutés en Turquie. Elle a en outre conclu qu’ils n’avaient pas qualité de personnes à protéger puisque leur renvoi en Turquie ne les exposerait pas à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. La Commission a estimé qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que le renvoi des demandeurs en Turquie les exposerait personnellement au risque d’être soumis à la torture.

 

Questions en litige

[8]               Les demandeurs soutiennent que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient déraisonnables. Ils font de plus valoir que la Commission a omis de prendre en compte les rapports psychologiques qui indiquent que les deux demandeurs, et plus particulièrement la demanderesse, souffraient de problèmes de mémoire par suite de leur persécution en Turquie, ce qui pouvait expliquer quelques-unes des conclusions quant à la crédibilité.

 

[9]               En outre, les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en ignorant le FRP de Fatma (la fille de la demanderesse et sœur du demandeur) dans lequel cette dernière a décrit les mauvais traitements dont elle avait fait l’objet en raison de son activisme politique. Fatma a obtenu l’asile en 2007. Les demandeurs soutiennent que cet élément de preuve corroborait leurs allégations.

 

[10]           Le défendeur soutient que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité étaient exhaustives, justifiées et qu’elles commandent la déférence. Les rapports du psychologue ont été pris en compte et ne peuvent être utilisés pour étayer la crédibilité des demandeurs, pas plus qu’ils ne fournissent une explication pour les nombreuses contradictions ou l’absence de corroboration de la preuve des demandeurs. Le défendeur souligne également que M. Uygur est celui qui a livré la plus grande partie du témoignage de vive voix et qu’il n’a pas indiqué ni exposé quelque problème que ce soit lors de l’audience. Le défendeur fait également valoir que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne prenant pas en compte le contenu du FRP de Fatma. En effet, chaque demande d’asile doit être tranchée individuellement et les événements décrits dans le FRP de Fatma n’auraient pas corroboré de façon suffisante les prétentions des demandeurs.

 

Norme de contrôle

[11]           Les parties reconnaissent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. La jurisprudence souligne que lorsque cette norme s’applique, le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire consiste à chercher à savoir si la décision de la Commission « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Il peut y avoir plusieurs issues raisonnables et, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). La Cour n’a pas à apprécier à nouveau la preuve ni à substituer une décision rendue par la Commission.

 

[12]           Vu le rôle de juge des faits de la Commission, ses conclusions sur la crédibilité commandent une retenue appréciable (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, [2008] ACF no 1329, au paragraphe 13; Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, [2012] ACF no 924, au paragraphe 65). En l’espèce, la Commission a pris en compte de nombreuses contradictions et un témoignage vague et changeant, a offert aux demandeurs des possibilités de clarifier leurs réponses et a pu observer les demandeurs et entendre leur témoignage à l’occasion de cinq séances.

 

Les rapports du psychologue fournissent‑ils une explication en ce qui concerne les problèmes de crédibilité?

[13]           M. Devins, Ph. D., a rédigé le rapport psychologique de M. Uygur en novembre 2010 et celui de Mme Ekici en juin 2011, soit respectivement un an et six mois avant la première des cinq séances de la Commission. Les rapports contiennent un avertissement de M. Devins indiquant que ce qui peut sembler redondant ou répétitif dans les rapports des demandeurs d’asile vient du fait qu’il utilise un formulaire d’évaluation normalisé et uniforme, dont les résultats sont exprimés en des termes uniformes et semblables. Bien que je ne mette pas en cause ses compétences, ses méthodes, son expérience ou son explication, je constate que le rapport de M. Uygur et celui de Mme Ekici sont à plusieurs égards identiques, mot pour mot. Les conclusions des rapports de M. Devins à l’égard de chaque demandeur ont été tirées après une entrevue d’une heure, la première ayant eu lieu en novembre 2010 et la deuxième, en juin 2011.

 

[14]           Les demandeurs et le défendeur conviennent que le rapport psychologique ne peut être utilisé pour étayer les allégations de persécution simplement parce que les mêmes événements ont été communiqués à M. Devins.

 

[15]           Les demandeurs font toutefois valoir que les rapports psychologiques offrent une explication à l’égard de certaines conclusions de la Commission quant à la crédibilité. Je ne suis pas d’accord.

 

[16]           Le rapport concernant Mme Ekici indique qu’elle souffre de maux de tête pour lesquels elle prend un médicament en vente libre et qu’elle est atteinte de symptômes liés au stress, dont des problèmes de concentration et de mémoire. Le rapport indique également que cet état serait exacerbé en raison du stress lié à l’audience relative à la demande d’asile. Le rapport souligne également qu’elle devient distraite et qu’elle oublie des choses lors d’activités courantes (elle oublie notamment des noms et des numéros de téléphone et elle égare ses clés). Exactement les mêmes exemples sont donnés concernant M. Uygur.

 

[17]           Le rapport psychologique de M. Uygur était très semblable. Il souffre de maux de tête qui sont soignés à l’aide de médicaments en vente libre. M. Devins a indiqué que ses symptômes liés au stress incluaient des problèmes de concentration et de mémoire.

 

[18]           Dans les deux rapports, M. Devins indique ce qui suit : [traduction] « Des problèmes cognitifs liés au stress peuvent entraîner des difficultés à témoigner de façon claire et cohérente. Si de tels problèmes deviennent évidents, il est important de comprendre qu’ils reflètent probablement la désorganisation causée par le stress traumatique plutôt qu’un effort d’évitement ou de dissimulation. »

 

[19]           La Commission a mentionné les rapports du psychologue et indique qu’ils ne pouvaient pas être considérés comme étant une « panacée » palliant les lacunes du témoignage. La Commission a également indiqué qu’elle était au courant du stress inhérent au processus d’audience. La Commission a répété plusieurs questions aux demandeurs afin de leur donner la possibilité d’être plus clairs. En outre, les demandeurs ont bénéficié de plusieurs ajournements en raison des maux de tête et du stress de Mme Ekici. Comme le défendeur l’a souligné, M. Uygur, et non Mme Ekici, a livré la plus grande partie du témoignage.

 

[20]           La jurisprudence met l’accent sur la question de savoir si la prise en compte d’un rapport psychiatrique ou psychologique par la Commission est raisonnable, et la réponse varie donc en fonction des circonstances particulières.

 

[21]           Dans Krishnasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 451, [2006] ACF no 561, un rapport psychiatrique avait été demandé et présenté à la suite du témoignage incohérent et contradictoire de M. Krishnasamy. La Commission a examiné le rapport et conclu qu’il ne fournissait aucune clarification satisfaisante. L’avocat de M. Krishnasamy a aussi soutenu que la lettre du psychiatre pouvait dissiper l’ensemble des doutes quant à la crédibilité, y compris ses manières évasives et ses contradictions.

 

[22]           Après avoir pris en compte l’appréciation de la preuve par la Commission, la juge Layden‑Stevenson a indiqué ce qui suit :

[21]      La question de savoir si le rapport a été remis afin, selon moi, d’expliquer le comportement de M. Krishnasamy durant la partie de l’audience qui a eu lieu en mai ou la question de savoir si, peut‑être, il constituait un moyen par lequel on pourrait justifier le témoignage antérieur de M. Krishnasamy était sans conséquence parce que, selon moi, le traitement fait par le membre de la SI du rapport psychiatrique n’était pas manifestement déraisonnable.

 

[22]      Dans Karli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 137 A.C.W.S. (3d) 1007; 2005 CF 276, l’une des questions en litige consistait à savoir si la Commission avait correctement évalué la preuve médicale et, notamment, les rapports médicaux se rapportant à l’affaiblissement léger des facultés cognitives du demandeur. Le demandeur a prétendu que la Commission avait commis une erreur dans son appréciation de deux rapports médicaux dans le contexte de son évaluation défavorable quant à sa crédibilité. En rejetant la demande de contrôle judiciaire du demandeur, le juge en chef Lutfy a déclaré ce qui suit aux paragraphes 13 et 14 :

 

¶ 13     Je considère que la commissaire a exposé les motifs de sa conclusion défavorable concernant la crédibilité en termes clairs et explicites. Elle a interrogé à fond le demandeur le premier jour d’audience afin d’évaluer sa capacité de participer à la procédure après avoir examiné les dossiers médicaux. Elle a permis au représentant désigné d’aider le demandeur pendant l’audience en répétant les questions en termes plus directs et plus simples lorsque cela était nécessaire. Dans les deux avant-derniers paragraphes de sa décision portant sur les évaluations psychiatriques et psychologiques, elle a indiqué que ces rapports médicaux n’avaient pas influé sur sa conclusion défavorable relative à la crédibilité.

 

¶ 14     À mon avis, elle pouvait arriver à cette conclusion. Elle s’est montrée réceptive et sensible aux rapports médicaux avant l’audience et pendant toute la durée de celle-ci. Elle savait que le demandeur avait des problèmes cognitifs. J’estime, après avoir examiné la transcription, qu’elle pouvait tirer la conclusion défavorable concernant la crédibilité à laquelle elle est arrivée, même en tenant compte des rapports médicaux [...]

 

[23]      Ces commentaires sont utiles en l’espèce. Les motifs du membre de la SI, ainsi que la transcription, révèlent que le membre a été [traduction] « réceptif et sensible » au rapport psychiatrique. De plus, malgré le rapport, la SI pouvait à bon droit tirer la conclusion défavorable quant à la crédibilité. Si la SI avait omis de tenir compte du rapport ou n’avait pas cru son contenu, la situation serait peut‑être différente. Ce n’est toutefois pas le cas. Le membre était au courant du diagnostic concernant M. Krishnasamy et n’a pas omis d’en tenir compte dans l’appréciation de la crédibilité. La décision du membre de la SI que le rapport psychiatrique ne fournissait pas la meilleure explication quant aux contradictions et quant aux réponses évasives figurant dans le témoignage de M. Khrisnasamy était une décision qu’il incombait au membre de prendre. Dans les circonstances, la conclusion n’est ni manifestement déraisonnable, ni déraisonnable. Il est bien établi en droit que le rôle de la cour ne consiste pas à substituer son opinion à celui de l’instance décisionnelle, même si elle aurait pu arriver à une conclusion différente.

[Non souligné dans l’original.]

 

[23]           La question des rapports psychologiques et leur utilité à l’égard de conclusions quant à la crédibilité a été soulevée plus récemment dans Pjetri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 376, [2013] ACF no 429. Aux paragraphes 42 à 45, le juge Noël fait les observations suivantes concernant la démarche appropriée à utiliser avec ce genre de preuve :

42        M. Pjetri soutient que la SPR n’a pas fourni d’explication sur la question de savoir si son état mental expliquait les omissions ou l’absence de détails. Or, elle l’a fait tout au long du processus et plus particulièrement au début, lorsqu’elle a déclaré qu’elle aurait normalement accordé une plus grande « marge de manœuvre », mais que, dans les circonstances, les contradictions et les omissions étaient trop flagrantes pour s’expliquer uniquement par le TSPT (Krishnasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 451, au paragraphe 23, 2006 CarswellNat 969). Même si le rapport d’évaluation psychologique révèle que M. Pjetri souffre d’un TSPT, la SPR a établi que ce facteur n’avait rien à voir avec les incohérences qu’elle avait constatées, ce qui est une décision raisonnable (Paplekaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 947, aux paragraphes 18 et 19, 221 ACWS (3d) 940). De plus, dans les arguments de M. Pjetri, aucun élément de preuve relatif à des pertes de mémoire n’a été présenté pour expliquer le manque de crédibilité de sa version des faits.

 

43        En ce qui concerne Mme Vucaj, la SPR a examiné le contenu de son rapport d’évaluation psychologique. Elle l’a mentionné au début de sa décision, et c’est un facteur qui a été pris en compte pour autoriser Mme Metcalf à les aider à l’audience. Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient justifiées : son incapacité de fournir des dates était l’un des éléments du raisonnement de la SPR relatif à la crédibilité, tout comme un certain nombre d’autres facteurs importants étant donné que bon nombre d’entre eux justifiaient l’inférence négative quant à la crédibilité de sa demande :

 

               1.      Elle n’a fourni ni des éléments de preuve pour démontrer qu’elle avait été hospitalisée ni des documents pour expliquer qu’il lui était impossible d’obtenir son dossier médical en Albanie.

 

               2.      Elle n’a pas fourni de copie du rapport établi par la police au moment où elle était hospitalisée.

 

               3.      Elle a donné des réponses contradictoires relativement à sa date d’hospitalisation et à la période au cours de laquelle elle avait vécu avec les membres de la famille de son défunt mari.

 

               4.      Elle a livré un témoignage incohérent en ce qui concerne lequel des membres du couple avait demandé le divorce.

 

44        Même si les problèmes de mémoire sont mentionnés comme un des symptômes de l’état mental de Mme Vucaj, il était raisonnable que la SPR établisse qu’il ne s’agit pas d’une explication suffisante compte tenu des nombreuses incohérences de son témoignage et du défaut de fournir des documents justificatifs.

 

45        De plus, la lecture de la transcription révèle que la SPR était réceptive et sensible lorsqu’elle traitait avec les deux demandeurs. La SPR était bien au fait de l’état d’esprit de chaque demandeur, s’appuyait au besoin sur Mme Metcalf et faisait preuve d’une grande sensibilité à l’égard des demandeurs lorsqu’elle les interrogeait. Cette approche empreinte de sensibilité a permis à la SPR d’effectuer une évaluation approfondie de la situation, de prendre en compte les réponses fournies par les demandeurs puis de tirer les conclusions nécessaires et pertinentes en matière de crédibilité.

 

[24]           En l’espèce, la Commission n’a pas commis d’erreur dans son appréciation des rapports du psychologue. Elle n’a pas ignoré les rapports, mais a conclu de façon raisonnable qu’ils n’expliquaient pas les conclusions défavorables quant à la crédibilité découlant du témoignage des demandeurs. Les nombreuses conclusions défavorables de la Commission en matière de crédibilité, en raison notamment du témoignage contradictoire et changeant des demandeurs et de leur l’incapacité de fournir des détails concernant les aspects clés de leurs allégations de persécution politique, ne pouvaient être seulement imputées au stress des demandeurs exacerbé par le processus d’audience.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte du FRP de Fatma à titre de preuve corroborante?

[25]           Les demandeurs font valoir que la Commission a ignoré le FRP de leur sœur ou fille, Fatma, qui mentionnait que sa mère et son frère participaient aussi à ses activités politiques, ce qui corroborait les prétentions des demandeurs voulant qu’ils soient ciblés, en partie, en raison de Fatma. Je reconnais que la Commission n’a pas mentionné ce FRP dans ses motifs.

 

[26]           Se fondant sur Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 ACF no 1425, 83 ACWS (3d) 264 [Cepeda], les demandeurs font valoir que même si la Commission n’est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve, plus l’élément de preuve est important, plus l’obligation de la Commission d’en tenir compte est grande.

 

[27]           Dans Cepeda, le juge Evans a déclaré ce qui suit au paragraphe 17 :

[…] Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

[28]           Bien que les demandeurs soutiennent que cet élément de preuve était important et constituait un élément de corroboration, il est établi en droit que les demandes d’asile doivent être jugées selon leur propre bien-fondé. Le fait qu’un demandeur a obtenu l’asile en raison d’une expérience semblable ne lie pas la Commission puisque celle‑ci doit apprécier chaque demande individuellement. En outre, des décisions antérieures, même celles concernant des membres de la famille, peuvent être erronées (Bakary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1111, [2006] ACF no 1418, aux paragraphes 9 et 10).

 

[29]           Dans Cortes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 254, [2008] ACF no 323, le juge a examiné la question de savoir si la Commission avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l’issue d’audiences antérieures concernant des demandeurs d’asile qui étaient des membres de la famille des demandeurs. Il a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 10 :

[10]      On a énergiquement fait valoir, au nom des demandeurs, que la Commission avait commis une erreur parce qu’elle avait accordé peu d’importance aux demandes d’asile présentées avec succès par la sœur de Mme Mantilla Cortes et, plus récemment, par sa nièce. Il ne fait aucun doute que la Commission a refusé de tenir compte de l’issue de ces demandes d’asile antérieures, mais les demandeurs n’ont signalé aucun précédent de nature à établir que la Commission devait, en droit, les prendre en compte. L’attitude adoptée ici par la Commission s’accorde avec la jurisprudence, notamment la décision Bakary c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1111, 155 A.C.W.S. (3d) 161, où le juge Yvon Pinard écrivait ce qui suit, aux paragraphes 9 et 10 :

 

[9]        En ce qui concerne les arguments du demandeur, celui-ci reproche d’abord à la CISR d’avoir omis d’analyser le critère d’appartenance au groupe social que constitue la famille. Selon lui, la CISR, dans son analyse, n’a pas contesté son appartenance à la famille Bakary qui, selon la preuve, a subi la persécution, plusieurs membres de la famille ayant dû se réfugier à l’étranger, plusieurs étant au Canada comme réfugiés reçus.

 

[10]      À mon avis, toutefois, une simple lecture de la décision permet de constater que la CISR a clairement considéré et analysé la revendication du demandeur comme étant basée sur sa prétendue appartenance au groupe social de la famille. De plus, la jurisprudence de cette Cour a établi dans de très nombreuses décisions que la CISR n’est pas liée par le résultat obtenu dans une autre revendication et ce, même lorsqu’il s’agit d’un parent, puisque la détermination du statut de réfugié se fait cas par cas et qu’il est aussi possible que l’autre décision soit erronée (voir, entre autres, Rahmatizadeh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1994] A.C.F. no 578 (1re inst.) (QL); Museghe c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CFPI 1117; Singh c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 1013; Matlija c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 704; Gjergo c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 303 et Bromberg c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 939). Je suis donc d’avis que la CISR n’a pas omis de considérer le critère d’appartenance au groupe social de la famille.

            [Non souligné dans l’original.]

 

[30]           En l’espèce, même si la Commission n’a pas mentionné le FRP de Fatma, je conviens avec le défendeur qu’elle n’était pas tenue de le faire. Le fait que la Commission a auparavant accordé l’asile à Fatma ne crée pas un précédent pour les demandeurs d’asile faisant valoir des allégations semblables. De plus, le FRP de Fatma ne décrivait qu’un seul incident commun et ne décrivait pas les activités ou les croyances politiques clés alléguées par les demandeurs.

 

Conclusion

[31]           En l’espèce, la Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et a longuement justifié ses conclusions. Les renseignements contenus dans le FRP de Fatma ne l’emportaient pas sur les nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité et ne visaient pas le principal fondement de l’allégation de persécution des demandeurs en raison de leurs propres activités politiques, plus particulièrement leur appartenance à l’Association Pir Sultan Abdal. La Commission a conclu que la participation des demandeurs à l’organisation n’était pas crédible, pas plus que ne l’étaient leurs connaissances concernant celle-ci et leurs autres allégations d’activisme politique.

 

[32]           Comme il a été mentionné précédemment, les conclusions de la Commission concernant la crédibilité doivent faire l’objet d’une grande retenue. En l’espèce, la Commission a relevé plusieurs problèmes en matière de crédibilité et sa décision énonce clairement ces conclusions et en fournit les motifs. La Commission n’a pas commis d’erreur en n’estimant pas que les rapports du psychologue fournissaient une explication médicale pour le témoignage contradictoire des demandeurs. Compte tenu des rapports médicaux, du comportement des demandeurs à l’audience et de sa propre expérience, la Commission était au courant du stress que vivaient les demandeurs et en a tenu compte. Cela n’était toutefois pas suffisant pour contrer les nombreuses conclusions en matière de crédibilité et l’absence de preuve corroborante suffisante.

 

[33]           En ce qui concerne les allégations de persécution religieuse des demandeurs du fait de leur foi alevie, la Commission a reconnu qu’ils étaient des alevis malgré leurs connaissances limitées, mais a conclu de façon raisonnable, sur le fondement de documents objectifs sur la situation du pays, qu’ils ne seraient pas exposés à la persécution en raison de leurs croyances religieuses.

 

[34]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        IMM-8513-12

 

Intitulé :                                      ZEYNEL UYGUR et autre c le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

 

 

Lieu de l’audience :              Toronto (Ontario)

 

Date de l’audience :             Le 13 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            la juge KANE

 

Date des motifs :                     Le 5 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clare Crummey

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jane Stewart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldwan & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

 

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